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T

ous les Britanniques se souvien-


nent de ce petit matin du
24 juin 2016. La veille, une pluie
torrentielle avait inondé des sta-
tions de métro londoniennes et plusieurs
gares du sud du pays. Dans ces cas-là, quand
la tempête gronde sur la Manche, il est im-
possible de voir se dessiner la silhouette des
côtes françaises, avant-poste de ce conti-
nent avec lequel les relations ont toujours
été ambivalentes. La veille encore, les sonda-
ges assuraient que 52 % des électeurs choisi-
raient de rester au sein de l’Union euro-
péenne (UE) lors du référendum. Même
l’europhobe Nigel Farage avait concédé à de-
mi-mot sa défaite. Mais ce 24 juin, à l’aube,
tout s’est inversé, et le Royaume-Uni a
découvert que 51,9 % de ses concitoyens
avaient décidé de rompre les amarres, dé-
clenchant dans la foulée la plus grave crise
politique du pays depuis 1945. Une onde de
choc qui continue de se propager trois ans
après, paralyse la vie publique, fracture en
deux le pays, ébranlant au passage la plus
ancienne démocratie d’Europe.
Que s’est-il passé pour que le Royaume-
Uni ait ainsi choisi le présent le plus confus
et l’avenir le plus incertain ? Est-ce la conclu-
sion d’un vieux malentendu avec un pays
convaincu d’être une exception en Europe,
par son insularité, sa longue domination
des mers et son héroïsme face au nazisme ?
Ou bien est-ce seulement le résultat d’une
campagne démagogique ? Le bilan de qua-
rante années de matraquage quotidien des
tabloïds, érodant au fil des jours toute
confiance à l’égard de l’Europe et de ses
bureaucrates, devenus aux yeux des Bri-
tanniques les mauvais génies d’une immi-
gration incontrôlée venue des pays de l’Est
et les fossoyeurs de leur souveraineté sécu-
laire ? Ou la conséquence du cynisme d’un
homme, le premier ministre conservateur
David Cameron, qui a promis un référen-
dum, convaincu qu’il n’aurait jamais lieu ?

Un choix binaire imposé


Car en voulant guérir une irritation persis-
tante, le référendum sur le maintien ou non
du Royaume-Uni dans l’UE a activé un can-
cer qui s’est attaqué à tout l’organisme. Par le
choix binaire qu’il imposait, il a dynamité de
l’intérieur les partis politiques, opposé les
jeunes aux vieux, Londres au nord de l’An-
gleterre, et posé les jalons de l’indépendance
de l’Ecosse et de la réunification de l’Irlande.
Cette histoire n’est pas seulement celle des
relations anglo-européennes. C’est aussi
celle d’une colère attisée par la nouvelle
panoplie des technologies de l’in-
formation. L’émergence d’un désir de
démocratie directe et de contestation des
élites et des experts. Une révolte contre le
partage de souveraineté qu’implique le
choix européen autant que la manifes-
tation d’une angoisse identitaire dont souf-
fre presque tout l’Occident.
Les promoteurs du Brexit promettaient la
renaissance d’une « Grande-Bretagne mon-
diale ». Voilà les Britanniques en quête d’un
nouveau modus vivendi avec leurs voisins
et d’une réconciliation avec eux-mêmes. Le
Monde a voulu faire le récit de cette double
déchirure. Retracer ses origines, ses acteurs,
ses coulisses, au moment où personne n’est
Le 10 Downing Street, résidence officielle des premiers ministres encore capable d’en prédire l’issue. p
à Londres, a vu passer ces dernières années deux des principaux raphaëlle bacqué, philippe bernard
protagonistes de cette histoire : David Cameron, puis Theresa May. (londres, correspondant),
SOPA IMAGES/LIGHTROCKET VIA GETTY IMAGES cécile ducourtieux
(bruxelles, bureau européen)

La saga
BREXIT d’une déchirure Retour sur les temps forts et les protagonistes
d’une crise sans précédent dans l’Union européenne.
Un scénario digne d’une série en trois saisons… au moins

Cahier du « Monde » No 23085 daté Dimanche 31 mars - Lundi 1er avril 2019 - Ne peut être vendu séparément
2 | brexit, la saga d’une déchirure 0123
DIMANCHE 31 MARS - LUNDI 1ER AVRIL 2019

David Cameron Angela Merkel


(52 ans). Sûr de lui, (64 ans). La chancelière
cet ancien d’Eton allemande a beau
et d’Oxford, premier se sentir proche des
ministre conservateur Britanniques, notam-
de 2010 à 2016, ment sur les sujets
aime relever les défis. économiques, elle
Il en avait trouvé un cherche, dès le début
à sa hauteur : régler de la crise, à préserver
une fois pour toutes la l’Union européenne
question européenne, face à leurs exigences.
qui empoisonne son Comme le président
parti. Il pense alors français d’alors,
mettre Angela Merkel François Hollande, elle
dans sa poche et comprend dès 2016
obtenir de l’UE de que David Cameron
nouvelles exemptions s’est embourbé dans
qui feraient aimer la politique interne
l’Europe aux Britanni- au Royaume-Uni.
ques. Il avait interdit JOHN MACDOUGALL/AFP
à ses collaborateurs
d’envisager l’échec
lors du référendum.
GEOFF CADDICK/AFP

1.LA BROUILLE
Herman Van Rompuy Nigel Farage (54 ans).
(71 ans). Le Belge, Le fondateur du Parti
ex-président du Conseil pour l’indépendance
européen, a tout fait, au du Royaume-Uni
début des années 2010, (UKIP), dont il a quitté
pour maintenir le la tête en 2016, puis
Royaume-Uni au sein démissionné en 2018,
de l’UE. Il n’a pas cédé a attribué à l’UE la
à David Cameron, qui, responsabilité de tous
en 2012 déjà, réclamait les maux du royaume,
un « nouvel accord » en- chômage compris. La
tre Londres et Bruxelles. gouaille nationaliste de
Van Rompuy a souvent cet ancien financier de
subi les attaques, voire la City l’a rendu popu-
les insultes, du nationa- laire. La décision de
liste anglais Nigel David Cameron d’orga-
Farage, leader du UKIP. niser un référendum a
ANDY RAIN/EFE marqué son triomphe.
GEERT VANDEN WIJNGAERT/AP

D
avid Cameron s’est allongé à d’être, joue avec les sentiments mitigés de
même le sol, en bras de che- ses compatriotes à l’égard de l’UE. Certes, il
mise, la cravate légèrement ne peut pas ignorer le caractère mortifère
dénouée. Ce 19 février 2016, du débat pour les premiers ministres
le premier ministre britan- conservateurs (tories) : ses deux prédéces-
nique négocie depuis vingt- seurs Margaret Thatcher et John Major ont

Le pari dangereux
six heures avec ses partenaires européens à perdu les élections à cause de leurs positions
Bruxelles, et il a profité d’une pause pour sur l’Europe dans les années 1990, et les to-
s’étendre sur la moquette du salon de sa délé- ries ont été écartés du pouvoir pendant
gation. Un mal de dos persistant ne l’a pas treize ans (de 1997 à 2010) au profit du La-
lâché, mais il doit absolument tenir bon et bour. En octobre 2006, lorsque Cameron est
arracher pour son pays de nouvelles excep- parvenu à se hisser à la tête du Parti conser-

de David Cameron
tions aux règles européennes. Sinon, mena- vateur, il a d’ailleurs prévenu les militants :
ce-t-il depuis des mois, il fera campagne pour plus question de faire fuir les électeurs en
sortir de l’Union européenne (UE). « radotant sur l’Europe ».
« Brexit ». Ce mot est encore si peu familier
à l’extérieur du Royaume-Uni que Le Monde TACTICIEN PLUS QUE STRATÈGE
le pare de guillemets et d’une traduction : Mais qu’en pense-t-il vraiment, cet ancien
« British exit, ou sortie de l’UE. » Mais, de d’Eton et d’Oxford, habitué depuis l’enfance
l’autre côté de la Manche, l’idée plane prati- à être dans l’équipe des vainqueurs ? « Je suis
De 2010 à 2016, le chef du gouvernement britannique quement depuis 1973, date de l’entrée du plus eurosceptique que tu ne l’imagines »,
pays dans la Communauté européenne, a-t-il un jour répliqué à Denis MacShane,
joue un rôle majeur dans le processus qui va conduire cette entité que les électeurs du conser- ancien ministre travailliste des affaires euro-
vateur (tory) David Cameron associent sou- péennes, tandis que celui-ci lui conseillait de
ses compatriotes au Brexit. Ce premier volet vent à une « oppression étrangère ». rompre avec l’europhobie qui ronge les
La veille, en arrivant à Bruxelles, « DC » (pro- tories. Certes, « DC » n’est pas de ceux qui
retrace sa stratégie politique, pour le moins sinueuse, noncer « dissi »), comme l’appellent ses colla- suent la haine envers l’UE. Mais c’est un poli-
borateurs, n’a pas lésiné sur les métaphores ticien impulsif, sans véritables convictions,
et ses ambiguïtés vis-à-vis de l’Europe guerrières. A peine descendu de sa Jaguar XJ, sûr de son charisme et de sa bonne étoile.
il s’est élancé vers une forêt de micros en En vérité, s’il n’est pas un antieuropéen
assénant d’un air martial : « Cela va être dur. Je acharné, jamais David Cameron n’a été non
vais me battre pour la Grande-Bretagne. Je plus un fervent défenseur du maintien du
n’accepterai pas d’accord qui ne satisfasse Royaume-Uni dans l’UE. Avant toute chose,
pas nos exigences. » Plus prosaïquement, le c’est un tacticien plus qu’un stratège à lon-
tabloïd The Sun révèle le secret de son éner- gue portée, intéressé par l’économie et les
gie : vingt-trois sachets de bonbons Haribo. marchés, concentré sur ses propres intérêts
Depuis ses débuts en politique, ce grand politiques. Malgré sa promesse de 2006 de
quadragénaire, so british dans sa manière « ne pas radoter sur l’Europe », il a commencé
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à jouer avec l’idée du référendum dès l’an- même. Si l’on écoute ses discours outre- cieux de vendre ses Mercedes et ses Volkswa-
née suivante, bien avant son arrivée au pou- « DC » PENSE AVOIR Manche, il explique qu’il faut programmer gen outre-Manche. Seulement, Angela Mer-
voir. Pour contrer « l’euromaniaque » Tony
Blair, comme on dit chez les tories, il fait
TROUVÉ LA PARADE. un vote populaire sur un divorce pour en
faire un atout dans la négociation euro-
kel a beau être une alliée de Londres sur bien
des points, notamment économiques, elle
cette année-là une « promesse en béton » : IL PEUT PROMETTRE péenne, arracher des concessions et… dans le reste marquée par son parcours personnel.
organiser une consultation nationale sur le même temps empêcher un vote hostile à Pour avoir vécu à l’Est, du temps où son pays
traité de Lisbonne (signé le 13 décem- UN RÉFÉRENDUM, l’UE. « Retenez-moi, ou mes concitoyens était coupé en deux, la chancelière n’a pas la
bre 2007). Ce fameux traité ne reprend-il
pas le principe d’une Constitution euro-
SES PARTENAIRES vont voter pour la rupture que vous redou-
tez », dit-il en substance. Mais il paraît sûr de
nostalgie d’un continent lacéré de frontières.
Contrairement à l’Anglais, elle ne voit pas
péenne tout en évitant une consultation DU LIBDEM ET son fait. D’ailleurs, a-t-il annoncé, le référen- l’Europe comme une simple zone de libre-
populaire, et donc les risques de rejet qu’ont dum sur le Brexit constituera sa promesse- échange. Pas question, à ses yeux, de disso-
vécu, en 2005, la France et les Pays-Bas ? LES TRAVAILLISTES, phare lorsqu’il sollicitera le renouvellement cier les quatre libertés – biens, capitaux, per-
Puis Cameron a oublié son engagement, de son bail aux législatives de 2015. sonnes, services –, pierres angulaires du pro-
arguant que le texte en question a entre- QUI DÉNONCENT De quel côté du référendum entend-il faire jet européen depuis 1957. Pas question, non
temps acquis force juridique. LE BREXIT COMME campagne ? L’électeur britannique l’ignore plus, de maintenir l’accès des Britanniques
L’idée du référendum a ressurgi en octo- encore. Cela dépendra des concessions de l’UE au marché unique s’ils entravent l’entrée des
bre 2011, un an et demi après son arrivée au UN DÉSASTRE, qui seront négociées après sa réélection, lais- travailleurs européens.
10 Downing Street. La crise de l’euro et la se-t-il entendre. Un jour qu’Herman Van Rom-
perspective d’une montée en puissance du L’EMPÊCHERONT DE puy lui rend visite au Chequers, le ravissant NÉGOCIATEUR SATISFAIT
couple franco-allemand font alors craindre
aux Britanniques de nouveaux transferts
TENIR SA PROMESSE château dans le Buckinghamshire qui sert de
villégiature aux premiers ministres du Royau-
D’autres partenaires sont plus hésitants.
« Paradoxalement, il s’agissait des pays visés :
de souveraineté. Quatre-vingt-un députés me-Uni, le président du Conseil européen la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie… témoi-
tories se rebellent contre le gouvernement Depuis que les sondages soulignent les suc- demande : « Mais quelle question comptes-tu gne aujourd’hui François Hollande. Ils ne
Cameron et votent un amendement récla- cès du UKIP, David Cameron se retrouve de poser à tes concitoyens ? » Rompuy, qui garde voulaient pas mettre en difficulté leurs ressor-
mant un référendum sur la sortie de l’UE. plus en plus souvent à lui emboîter le pas. « Je un souvenir cuisant des attaques de Farage, tissants. » Le président français, lui, veut
Quel automne ! « DC » s’en souvient encore. ne pense pas que le statu quo [avec l’UE] soit craint une campagne susceptible de diviser la montrer que l’Europe demeure ferme sur ses
« Bruxelles est comme une force d’occupation acceptable », affirme-t-il ainsi dès 2012, devant société britannique pour longtemps. Came- principes, mais il sait, comme Angela Merkel,
pacifique », accusait le député conservateur la Chambre des communes, en défendant ron semble ignorer toute crainte : « Une fois le que Cameron, pour des raisons de politique
Mark Pritchard en pleine Chambre des com- l’idée d’une renégociation en vue de « moins référendum gagné [sous entendu : en faveur intérieure, « doit montrer qu’il a arraché sym-
munes. Dans cette crise-là, son gouverne- d’Europe, moins de coûts, moins d’ingérence ». du maintien dans l’UE], nous aurons réglé défi- boliquement une concession ».
ment n’a dû son salut qu’au petit parti cen- Le 23 janvier 2013, dans un grand discours pro- nitivement la question européenne au Royau- Celui-ci est encore allongé sur la moquette,
triste Liberal Democrats (LibDem) et à l’op- noncé au siège de l’agence d’informations fi- me-Uni pour les prochaines vingt années. » le visage douloureux, lorsque la chancelière,
position travailliste, favorables à l’Europe. nancières américaine Bloomberg, à Londres, « DC », en politicien né, a un sens aigu de sa souriante dans sa veste rose, frappe à la porte
Depuis, Cameron doit sans cesse resserrer il promet l’organisation d’un référendum survie. Même lorsqu’il est à Bruxelles, il ne de la délégation britannique, voisine de la
les rangs de son propre parti. sur le maintien ou non du Royaume-Uni s’adresse pas à l’Europe, mais à ses électeurs. sienne. « David est-il là ? » Branle-bas de com-
Le premier ministre est d’autant plus at- dans l’UE. « Il est temps pour le peuple britan- Outre-Manche, le UKIP le talonne ? A chaque bat autour de Cameron, qui se relève aussi-
tentif à son aile contestataire qu’il doit nique de s’exprimer, a-t-il lancé. Il est temps sommet européen, il joue les « résistants ». tôt. La suite a été racontée à la BBC par Craig
contrer sur sa droite un rival de plus en plus pour nous de régler la question de la Grande- C’est qu’il pense avoir trouvé la parade. Il Oliver, le directeur de la communication des
hargneux : le Parti pour l’indépendance du Bretagne en Europe. » Un an plus tard, il incri- peut bien promettre un référendum, ses par- Britanniques : « Elle était assise en face de
Royaume-Uni (UKIP). Née en 1993, au lende- minait le « tourisme social » des Européens tenaires du LibDem et les travaillistes, qui nous, concentrée sur le but à atteindre. » Alors
main du traité de Maastricht, cette forma- de l’Est et s’opposait à la libre entrée des dénoncent le Brexit comme un désastre, David Cameron se lance : « Ecoute, il faut que
tion franchement europhobe n’en finit pas Roumains et des Bulgares. l’empêcheront de tenir sa promesse. tu comprennes que, si vous n’acceptez pas la
de progresser au sein même de l’électorat Faut-il qu’il soit convaincant, ce premier mi- moindre de mes demandes, je serai confronté
conservateur. Son leader, Nigel Farage, est un NIGEL FARAGE, « HOMME DE L’ANNÉE » nistre qui joue de l’Europe comme d’un argu- À BRUXELLES, TOUT à un barrage, et ce sera un très sérieux pro-
redoutable bretteur, malin, charismatique et La chose est classique : en courant de la ment de campagne… Aux législatives de blème. » « Barrage ? » Merkel se tourne vers
démagogue en diable. sorte derrière les xénophobes, le premier mai 2015, il triomphe. Avec 37 % des voix, les LE MONDE VEUT ses conseillers : « Que veut dire “barrage” ? »
Chaque fois qu’il le peut, cet ancien cour- ministre conservateur n’a fait que les ren- tories remportent, sous sa direction, leur pre- Et avant que l’un d’eux ait pu l’empêcher de
tier né dans le Kent étrille l’UE et ses repré- forcer. Le 25 mai 2014, le UKIP a raflé 27 % mière éclatante victoire depuis Thatcher. Tout ÉVITER LA GUERRE. faire cette indélicate allusion, Cameron
sentants. Elu au Parlement européen, la
séance où il insultait en pleine assemblée, à
des voix aux élections européennes et
triomphé à la première place, devant les
le problème est que les travaillistes d’Ed Mili-
band et les europhiles lib-dem sont laminés.
IL FAUT « AIDER traduit lui-même : « Blitzkrieg. »
A Bruxelles, cependant, tout le monde veut
Bruxelles, en février 2010, le président du tories et les travaillistes. Des « tartignolles, « J’ai demandé à David Cameron : “Pourquoi DAVID » À MENER éviter la guerre. Il faut, disent les chefs d’Etat
Conseil européen, Herman Van Rompuy, a cinglés et racistes étriqués », c’est ainsi que as-tu décidé ce référendum qui est si dangereux, des vingt-sept autres pays de l’UE, « aider
été largement relayée à la télévision an- Cameron avait décrit le UKIP en arrivant au si stupide ?”, a rapporté à la BBC Donald Tusk, UNE CAMPAGNE David » à mener une campagne victorieuse
glaise. « Il a le charisme d’une serpillière
humide et l’aspect d’un petit guichetier de
pouvoir, en 2010. Désormais, le visage de
Nigel Farage triomphe même en « une » du
alors président du Conseil européen, juste
après la victoire de Cameron. Il m’a répondu
VICTORIEUSE contre un Brexit synonyme de « début de la
désintégration » de l’Union. Le Royaume-Uni
banque », cinglait Farage, tout en accusant ce Times, surmontant un titre qui sonne que l’unique raison était son parti, mais qu’il CONTRE UN BREXIT sera donc autorisé à limiter les indemnités
même Rompuy d’être « l’assassin de la comme une décoration : le quotidien l’a pensait qu’il n’y avait aucun risque, car le réfé- dont peuvent bénéficier les immigrés euro-
démocratie européenne et de toutes les désigné en 2014 « homme de l’année ». rendum serait bloqué par ses partenaires dans SYNONYME DE péens, mais uniquement les nouveaux immi-
nations européennes ». Ce jour-là, le prési- A Bruxelles, les Européens n’ignorent la coalition. Et voilà que, soudain, il n’avait plus grés. En sortant du sommet européen où il a
dent du UKIP a dépassé toutes les bornes en aucun soubresaut de la politique britanni- de partenaires. David est devenu la victime de « DÉBUT DE LA plaidé sa cause, Cameron ne semble plus
affirmant à l’intention du Belge : « Vous que. Farage est une bête noire, mais on sait sa propre victoire. » La reine Elizabeth peut DÉSINTÉGRATION » avoir mal au dos et affiche la mine conqué-
n’avez aucune idée de ce que peut être un que ses diatribes cachent les ambiguïtés plus bien, lors d’un toast au château de Bellevue, à rante du négociateur satisfait. « Je suis
pays uni, tout cela parce que vous venez de profondes et plus anciennes de ses compa- Berlin, en juin 2015, mettre en garde contre « la DE L’UNION convaincu que la Grande-Bretagne sera plus
Belgique, qui est plutôt un non-pays. » L’atta- triotes à l’égard du continent. « Depuis division en Europe » – qu’elle évoque, fait rare en sécurité, plus forte et plus prospère dans une
que lui a valu une amende de 3 000 euros au Guillaume le Conquérant, ce pays n’a jamais pour une Britannique, en ces termes : « notre Union européenne réformée », déclare-t-il en
Parlement européen, mais outre-Manche, été ni envahi ni soumis à un pouvoir autori- continent » –, le piège s’est refermé. salle de presse. « J’ai négocié un accord qui
chaque fois qu’il passe à la télé, ses compa- taire », rappellent les historiens en souli- Voilà, ce sont ces calculs politiques ratés, ces donne au Royaume-Uni un statut spécial dans
triotes sont au spectacle. gnant l’objectif séculaire de la diplomatie de angoisses identitaires qui déchirent son l’UE », claironne-t-il, comme si son pays,
Londres : éviter précisément toute alliance pays, ce fossé grandissant entre la City londo- n’ayant adopté ni l’euro ni les règles de Schen-
DES HISTOIRES D’IMMIGRÉS PROSPÈRES entre Etats du continent. nienne et les 72 % de chômeurs de Rochdale, gen, et bénéficiant d’un rabais sur le budget,
Nigel Farage n’est pas seulement un trublion. Au cœur des institutions européennes, à 20 kilomètres de Manchester, ces quarante n’en disposait pas déjà.
Il est aussi le porte-parole d’un nationalisme les Britanniques sont souvent considérés années à brosser un tableau apocalyptique de Il faut d’ailleurs l’entendre parler de l’Europe
britannique ancien et des peurs de l’époque. comme des enfants gâtés. Mais ils suscitent l’Europe, oui c’est tout cela qui pèse sur les à ses concitoyens : « La Grande-Bretagne ne
L’Europe, les élites et l’immigration, voici ses encore à Bruxelles une forme d’admiration, épaules de Cameron, ce 19 février 2016, alors fera jamais partie d’un super-Etat européen.
bêtes noires. Ce dernier point fait d’ailleurs dont témoigne le culte que les fonctionnaires qu’il tente de soulager son mal de dos, dans Nous participerons aux dispositifs qui sont
des ravages dans les milieux populaires où le de la Commission et du Parlement vouent au les bureaux impersonnels du Conseil euro- bons pour nous, nous exercerons notre
UKIP tente de tailler des croupières à la gau- quotidien Financial Times, leur bible. Depuis péen. Il faut maintenant raconter ce dernier influence sur les décisions qui nous affectent et
che. Dans sa bouche, les immigrés ne sont quelques années, cependant, il n’est pas diffi- baroud avant de plonger vers le référendum. serons en dehors des structures de l’UE qui ne
plus seulement les « pakis », comme les Bri- cile de noter le désengagement des Anglais. sont pas bonnes pour nous : pas dans la politi-
tanniques désignent pêle-mêle les Indiens et « Du temps de Tony Blair, ils avaient été extrê- MUR FRANCO-ALLEMAND que de frontières ouvertes, ni dans celle de
les Pakistanais venus des anciennes colonies. mement actifs à Bruxelles, et cela avait eu un Ce jour-là, donc, les Britanniques affichent renflouement financier, ni dans l’euro. » Et en-
Ce sont ces travailleurs venus des pays de impact très important sur la doctrine économi- l’état d’esprit classique des Britanniques. En core : « Je n’aime pas Bruxelles, j’aime la Grande-
l’Est auxquels Tony Blair a ouvert, en 2004, que européenne notamment, se souvient un substance : « Faisons comme si nous avions Bretagne. Mon job de premier ministre est de
les portes du Royaume-Uni, au moment diplomate auprès de l’UE. Mais, avec Gordon fait rendre gorge à Bruxelles. » De ces négo- faire tout ce qui est en mon pouvoir pour proté-
même ou l’UE votait son élargissement à dix Brown puis David Cameron, ils ont commencé ciations dépendra largement l’atmosphère ger les intérêts de la Grande-Bretagne. » On fait
nouveaux Etats autrefois situés derrière le à se désintéresser de l’UE. Ils ont continué à y de la campagne à venir sur le Brexit, a fait plus enthousiaste à l’égard de l’Europe…
rideau de fer. Cette année-là, la France et défendre leurs services financiers, mais en valoir Cameron. La veille, certaines de ses Le lendemain, de retour à Londres, David
l’Allemagne ont reporté l’accueil des popula- perdant le sens de la proposition. » demandes, purement formelles, n’ont guère Cameron annonce que le référendum aura
tions des nouveaux membres de l’UE. Mais Le « fil » qui permettrait de se comprendre rencontré de résistance : Londres veut être lieu le 23 juin 2016. Les électeurs devront ré-
Londres a accepté la venue de centaines de et d’anticiper les réactions de chacun s’est exempté de la clause du traité de Rome de pondre à cette question : « Should the United
milliers de Polonais et autres ressortissants relâché. Les jeunes diplômés des univer- 1957, prévoyant la construction d’une « union Kingdom remain a member of the European
de l’ex-bloc soviétique, par culture libérale et sités les plus prestigieuses d’Oxford, de sans cesse plus étroite entre les peuples euro- Union or leave the European Union ? » (« Le
pour mieux contrebalancer l’influence du Londres ou d’Edimbourg préfèrent se faire péens », devenue un épouvantail pour les Royaume-Uni doit-il rester membre de
couple franco-allemand. embaucher dans des sociétés d’avocats ou europhobes conservateurs. Mais le trophée l’Union européenne ou quitter l’Union euro-
Depuis la crise financière mondiale de de conseil, où les « jobs » sont bien mieux que « DC » compte décrocher, décisif selon lui péenne ? ») Le premier ministre qui « n’aime
2008, de plus en plus de chômeurs britanni- payés qu’à la Commission. Et puis, il faut pour gagner le référendum, n’a rien de sym- pas Bruxelles mais aime la Grande-Bretagne »
ques dénoncent la concurrence de cette être parfaitement bilingue pour passer les bolique : le Royaume-Uni veut être autorisé, recommande au peuple britannique de voter
main-d’œuvre, omniprésente sur les chan- concours de la fonction publique euro- pendant sept ans, à priver de certaines presta- « Remain », le maintien dans l’UE. Il semble
tiers de construction et dans les restau- péenne, et les Britanniques, en général, tions sociales les « migrants européens ». confiant. Les sondages affichent que trois Bri-
rants. Farage n’a même pas besoin de me- maîtrisent mal les langues étrangères. Bref, Depuis deux ans, le premier ministre an- tanniques sur quatre sont favorables à cette
ner campagne. Les tabloïds n’en finissent le fossé s’est peu à peu creusé. glais revendique une exception britannique consultation populaire. Ils donnent aussi une
pas de raconter des histoires d’immigrés Est-ce pour cela que personne ne com- au principe de libre circulation des tra- courte victoire aux pro-européens. p
prospères à côté de Britanniques appauvris. prend tout à fait, à Bruxelles, où peut mener vailleurs. Chaque fois, il s’est heurté au mur raphaëlle bacqué, philippe bernard
Généralement, leurs éditoriaux désignent ce référendum ? Ou est-ce le fait d’un David franco-allemand… Des Français, il n’en atten- (londres, correspondant)
toujours les mêmes responsables : « les bu- Cameron constamment ambivalent ? La mé- dait pas moins, mais il croyait Berlin plus et cécile ducourtieux (bruxelles,
reaucrates non élus de Bruxelles ». canique qu’il propose est complexe. Tordue, sensible à ses intérêts commerciaux et sou- bureau européen)
4 | brexit, la saga d’une déchirure 0123
DIMANCHE 31 MARS - LUNDI 1ER AVRIL 2019

Jeremy Corbyn
(69 ans). Eternel militant
de l’extrême gauche

La tiédeur
du Labour, le député
d’Islington (nord
de Londres) s’intéresse
plus à la révolution cha-
viste et à la cause pales-
tinienne qu’à l’Europe.

contre
Propulsé à la tête d’un
parti qui n’a pas voulu
du référendum, assigné
à faire campagne contre
le Brexit dans le même
camp que David Came-

la démagogie
ron, dont il dénonce la
politique d’austérité, il
fait le service minimum.
DARREN STAPLES/REUTERS

Au début de 2016,
les partisans

L
a foule s’est massée devant une
jolie maison, dans le quartier du Brexit se lancent
bobo d’Islington, dans le nord de
Londres. Perchés sur des esca- dans une campagne
beaux, les reporters brandissent
leurs caméras. Au premier rang, acharnée, révélatrice
s’alignent les journalistes vedettes des trois
principales chaînes de télévision nationales. des fractures du
Ce dimanche 21 février 2016, tous les médias
du pays paraissent concentrés sur cette élé- pays. De nouveaux
gante porte noire. La veille, après ses trente
heures de négociations à Bruxelles, le pre- personnages
mier ministre conservateur David Cameron
(DC) a lancé officiellement la campagne pour entrent en scène,
le référendum sur l’Europe, programmé le
23 juin, et le moins que l’on puisse dire est dont Boris Johnson,
que les choses ont mal démarré…
Cent quarante parlementaires de son pro- le fantasque
pre parti et 6 de ses ministres sur 32 ont
annoncé qu’à l’inverse de lui, ils soutien- maire de Londres
draient le Brexit. Ami du couple Cameron, le
secrétaire d’Etat à la justice Michael Gove ne
le suivra pas non plus. « Tu appelles ça un
accord, Dave ? », ironise le Daily Mail, en tisme et l’immigration, d’après lui « facteurs
moquant les acquis contre les migrants de prospérité » ? Or, l’autre grande figure de la
européens que Cameron a présentés campagne en faveur de la sortie du pays de
comme de grandes avancées. Mais celui que l’Europe, le leader du Parti pour l’indépen-
tout le monde attend, devant cette porte dance du Royaume-Uni (UKIP) Nigel Farage,
noire, c’est Boris Johnson, 51 ans, maire de est violemment hostile à l’immigration. Ses
Londres, député et formidable comédien. compatriotes verront bientôt des affiches Boris Johnson Arron Banks
Avec sa tignasse blonde et sa façon d’être montrant des foules déferlantes d’hommes (54 ans). Ancien (53 ans). L’homme
toujours fagoté comme l’as de pique, « Bojo », au teint basané, avec cette citation : « Nous camarade d’études et d’affaires, qui a fait
ainsi que les Anglais le surnomment, est une devons nous libérer de l’Europe et reprendre le de beuverie de David fortune dans les assu-
figure particulière dans les rangs conserva- contrôle de nos frontières. » Cameron à Oxford, rances, a injecté plus
teurs. Un vrai bourgeois-bohème, libéral, Face à Westminster Abbey, au Queen Eliza- maire de Londres de 9 millions d’euros
libertaire, excentrique et populaire. Sur le beth II Centre où la campagne « Leave EU » jusqu’en mai 2016, dans la campagne
papier, il ressemble à David Cameron, dont il (« Quitter l’UE ») dominée par le UKIP tient « Bojo » a toujours voulu « Leave EU » du
a exactement le même parcours scolaire, si justement son premier meeting, Farage a été se mesurer à lui. Le dirigeant d’extrême
typique de la haute société anglaise : à Eton et acclamé en fustigeant l’accord conclu par référendum sur le Brexit droite Nigel Farage.
Oxford, « Bojo » était d’ailleurs l’un des cama- Cameron à Bruxelles. A la tribune, le charis- sera leur ultime bataille. Ses mystérieuses
rades de « DC ». Pour le reste, il peut être beau- matique leader nationaliste insiste : « [L’ac- Entre eux, tous les rencontres avec
coup plus drôle et bien plus dilettante. cord] ne traite pas des principales préoccupa- coups sont permis. Mais l’ambassadeur russe
Son père a longtemps été député européen, tions du peuple britannique : les 55 millions de ces enfants gâtés de la à Londres et l’opacité
écolo avant l’heure, et sa mère est la fille d’un livres [64,5 millions d’euros] que coûte cha- politique ont des points de ses sociétés ont
ancien président de la Commission euro- que jour notre adhésion, et l’incapacité [de communs, dont le mené la commission
péenne des droits de l’homme. Cela ne l’a l’UE] à contrôler les migrations ! » Sa campa- cynisme sans borne et électorale à émettre
pas rendu europhile pour autant. Margaret gne s’annonce très à droite. Dans le public, l’ambition dévorante ne des doutes sur
Thatcher adorait les articles grinçants contre Le Monde a noté la présence de bon nombre sont pas les moindres. l’origine de ses dons.
Bruxelles qu’il écrivait à ses débuts comme d’électeurs tories (conservateurs). PAUL HACKETT/REUTERS STEVE BELL/SHUTTERSTOCK/
journaliste. Dans le Telegraph de la fin des SIPA
années 1980, il a lancé la mode de l’euro- LE DUO JOHNSON-FARAGE RATISSE LARGE
phobie militante qui a fait florès dans les ta- Avec le duo Johnson-Farage, les pro-Brexit
bloïds, mensonges grossiers inclus. A la tête tiennent deux têtes d’affiche qui vont per-
de la mairie de Londres, ses initiatives, mettre de ratisser large dans l’électorat en brillant, et probablement un peu des trois », des logiciels permettant de cibler les groupes
notamment en faveur des financiers de la empruntant deux chemins parallèles : l’un notait en 2013 le journaliste du Guardian Pa- d’électeurs potentiels et d’adapter en temps
City, l’ont classé parmi les libéraux intransi- respectable et axé sur le retour à la souve- trick Wintour, en intitulant déjà son portrait réel à chacun les messages adressés par
geants. Il est imprévisible, endurant (il a raineté britannique et les opportunités éco- « Dominic Cummings, génie ou menace »… Facebook ou Twitter. AggregateIQ travaille
survécu à plusieurs scandales) et fantasque. nomiques du Brexit (la campagne « Vote Son arrivée dans l’équipe « Vote Leave » est de la même façon que Cambridge Analytica,
Les journalistes qui patientent dans le froid Leave » de Johnson, « Votez pour la sortie ») ; en tout cas remarquée. C’est lui qui a imaginé la société anglaise recrutée par l’équipe de
d’Islington, ce dimanche d’hiver, savent que l’autre extrémiste et obsédé par l’équation le slogan, « Take back control » (« Reprenez le « Leave. EU » de Farage. C’est la première fois,
ses déclarations feront sensation. UE = libre circulation = immigration (la contrôle »). Bien au-delà de la question euro- au Royaume-Uni, qu’une campagne poli-
campagne « Leave. EU » de Farage). péenne, la formule résume les angoisses tique est aussi active sur le Web. Personne ne
UN DOUBLE DÉFI À DAVID CAMERON « Bojo », qui aime rappeler son ascendance identitaires, la peur de la mondialisation, la sait encore que Cambridge Analytica et
La porte s’ouvre. « Bojo » apparaît… Costume turque, est bien décidé à ne pas apparaître aux défiance à l’égard des élites, et le sentiment AggregateIQ ont pour actionnaire l’homme
sombre à peu près repassé, cravate de soie côtés de « Nigel » dont la xénophobie est, avec très anglais d’une dépossession par Bruxelles d’affaires américain Robert Mercer, un ultra-
verte et cheveux bien coiffés, il s’est fait une l’europhobie, le fonds de commerce. Le maire du Parlement de Westminster. Elle évacue LE PRINCIPAL ALLIÉ conservateur qui finance déjà la campagne
allure d’enfant sage. « La dernière chose que je
voulais était d’aller contre David Cameron et
de Londres part avec une longueur d’avance
puisque la commission électorale a choisi sa
également la peur du chaos que s’acharnent
à décrire les remainers, autrement dit les par-
DU TORY CAMERON en cours de Donald Trump, aux Etats-Unis.
Mais quoi qu’il en soit, grâce aux logiciels,
le gouvernement », assure-t-il sur le perron de campagne, animée par des conservateurs tisans du maintien dans l’UE. SE TROUVE ÊTRE les brexiters ont une avance indéniable sur
sa maison. Puis, il lance aux caméras ce mes- eurosceptiques, comme organe officiel du Cummings a aussi rédigé le vade-mecum les réseaux sociaux.
sage qu’elles ont déjà deviné : « Je ferai cam- vote « out ». A la clé : subventions publiques et distribué aux militants de « Vote Leave » : LE TRAVAILLISTE Le camp des adversaires du Brexit fonc-
pagne pour sortir de l’Union européenne. » Ce
look inhabituel, c’est sa façon subliminale de
plafond élevé de dépenses de campagne. Mais
la campagne de Nigel Farage, qui repose prin-
« Ne parlez pas d’immigration », « Parlez de
ce que nous coûte l’Europe ». Pour la partie
JEREMY CORBYN, tionne plus classiquement. Si les partisans
de la sortie suivent deux chemins parallèles
signifier le double défi qu’il vient de lancer à cipalement sur les militants du UKIP, bénéfi- visible, des bus rouges sillonnent le pays LE CONTEMPTEUR (Johnson et Farage), les pro-« Remain » font
son « ami » Cameron : en cas de succès, il en- cie des larges poches d’Arron Banks, un mil- avec ce raccourci saisissant peint sur la car- cause commune. On trouve parmi eux des
tend prendre le leadership du Parti conser- liardaire provocateur, ex-grand donateur des rosserie : « We send the EU £350 millions a EN CHEF militants conservateurs, des travaillistes et
vateur et lui succéder au 10 Downing Street. tories avant son passage au UKIP, dont l’ori- week. Let’s fund our NHS instead » (« Nous des membres du LibDem, des Verts, mais
Humiliation supplémentaire pour le pre- gine de la fortune est floue mais qui a mis envoyons 350 millions de livres chaque se- DE LA POLITIQUE aussi des Ecossais et des Gallois. Le seul pro-
mier ministre : Boris Johnson ne l’a informé quelque 8 millions de livres (9,4 millions maine à l’Europe. Donnons-les plutôt au D’AUSTÉRITÉ DES blème est que leur bête noire n’a toujours eu
de sa décision que par un laconique SMS, d’euros) dans les caisses juste avant l’entrée en NHS », ce système de santé entièrement gra- qu’un nom :les tories. C’est tout le paradoxe
neuf minutes avant sa déclaration à la presse. vigueur de la règle plafonnant les dons. tuit que les Britanniques de tous bords CONSERVATEURS… de la situation : cette campagne divise les
En confidence, « Bojo » assure avoir beau- Boris Johnson garde donc ses distances et vénèrent). Qu’importe que la somme affi- partis de l’intérieur et rebâtit des alliances
coup tergiversé. « J’ai tourné dans tous les sens compte sur un stratège plus cérébral mais chée ne tienne compte ni du rabais consenti improbables. Le principal allié de Cameron
comme un chariot de supermarché », dit-il. non moins décoiffant : Dominic Cummings. au Royaume-Uni depuis Margaret Thatcher se trouve ainsi être le travailliste Jeremy
Il est vrai que la campagne en faveur du « Un psychopathe de carrière », disait de lui ni des aides européennes perçues. Corbyn, le contempteur en chef de la politique
Brexit recèle déjà quelques complications David Cameron lorsque Cummings conseil- Pour la partie invisible, « Vote Leave » a passé d’austérité des conservateurs…
pour lui. Son passé d’europhobe enragé est lait encore Michael Gove au ministère de un accord avec AggregateIQ , une société ca- Corbyn n’exècre pas seulement les tories. A
un gage de sincérité vis-à-vis des partisans l’éducation. Quadragénaire ombrageux et co- nadienne de conseil politique et de technolo- 66 ans, ce vétéran du Labour, député depuis
de la sortie de l’UE, mais ne magnifie-t-il pas, lérique, ultralibéral et europhobe, Cummings gie. Son patron, Zack Massingham, un trente- 1983, a toujours considéré l’UE comme un
en tant que maire de Londres, le cosmopoli- est insaisissable. « Il est soit fou, soit nul, soit naire expert en marketing numérique, utilise club de capitalistes fossoyeurs des droits des
0123
DIMANCHE 31 MARS - LUNDI 1ER AVRIL 2019 brexit, la saga d’une déchirure | 5

Dominic Cummings

DIVORCE (47 ans). Stratège


de la campagne « Vote
Leave », cet ultralibéral
apparaît comme
le mauvais génie
du Brexit. « Take back
control » (« Reprenez
le contrôle »), slogan
qui a fait mouche, c’est
lui, tout comme la ma-
nipulation de données
des réseaux sociaux.
un complot ourdi par l’establishment ? Peu à
peu, le Labour a mis une sourdine dans sa dé-
nonciation des entourloupes de la campagne.
Seule Nicola Sturgeon, la première ministre
indépendantiste d’Ecosse, ose qualifier l’argu-
ment des 350 millions de livres par semaine
inscrit sur le bus des « Vote Leave » pour ce
qu’il est : « un bobard ».
Cela n’empêche pas Boris Johnson, en mai,
de faire étape dans une usine du Dorset dont le
tes », Nigel Farage proteste contre le bannisse-
ment de Mme Le Pen, tout en estimant sa ve-
nue inutile. La ministre de l’intérieur Theresa
May, eurosceptique ralliée du bout des lèvres
au « Remain » par loyalisme à l’égard de David
Cameron et totalement absente de la campa-
gne, refuse pour sa part de se prononcer.
Les référendums n’ont pas pour seul incon-
vénient de trancher de façon élémentaire une
question complexe. Ils divisent aussi radicale-
On lui prête beaucoup patron le soutient. Au milieu de l’atelier, une ment. Dans tout le pays, la tension est montée
de pouvoir, peut-être banderole rappelant les fameux 350 millions de plusieurs crans. On se déchire sur les pla-
pour faire oublier la de livres a été plantée. « Bojo » a endossé un teaux de télévision et sur Internet, mais égale-
médiocrité de la cam- gilet orange fluo, enfilé un casque et un mas- ment dans les villages et les quartiers, les en-
pagne pro-européenne. que de sécurité, et brandi une scie circulaire. La treprises et les familles. Même chez les John-
DAVID LEVENSON/GETTY IMAGES photo sera reproduite dans toute la presse. son, on est écartelé entre Boris, leader des
« Les gens de ce pays en ont assez des experts », brexiters, et sa sœur Rachel, proeuropéenne.
assène Michael Gove, malgré Les partisans des deux bords s’insultent dans
son passé de ministre de la rue, se menacent sur les réseaux sociaux.
l’éducation. Le 16 juin, à deux semaines du vote, Thomas
La stratégie du bulldozer Alexander Mair, un jardinier au chômage de
« Boris » semble payer. A la 52 ans, lié à la Ligue de défense anglaise (ex-
mi-mai, 45 % des électeurs trême droite), tire avec un fusil à canon scié
estiment qu’il dit la vérité sur sur la députée travailliste Jo Cox et la poi-
l’Europe. Ils ne sont que 21 % gnarde ensuite à deux reprises, dans un
à en penser autant de David village du West Yorskhire, à la sortie de sa
Cameron. Les sondages dési- permanence électorale. « Britain first ! » (« la
gnent l’immigration comme Grande-Bretagne d’abord ») a-t-il hurlé en la
l’un des principaux détermi- frappant, ainsi qu’un septuagénaire venu à
nants du vote. Boris Johnson son secours. Dans tout le pays, le choc est im-
se met à parler, à l’instar de mense. Pour la première fois, Cameron et
Nigel Farage, comme si le Corbyn, les deux leaders du « Remain », appa-
pays était menacé d’inva- raissent fugitivement ensemble pour un dé-
sion. « Chaque année, l’équi- pôt de gerbe. La campagne est interrompue
valent d’une ville comme pour 48 heures en signe de deuil, mais per-
Newcastle [280 000 habi- sonne n’ose faire de lien explicite entre le
tants] s’ajoute à la population climat nauséabond et l’assassinat. Ultime et
de notre pays, déclare-t-il sur immense impensé d’un pays qui feint d’igno-
ITV à deux semaines du vote. rer ses extrêmes, ce drame ne change rien.
Dix pour cent d’immigrés en Aucune réaction contre les supporteurs du
plus, c’est 2 % de baisse sur les Brexit. En vérité, les jeux sont presque faits.
salaires. » Peu lui importe
que l’ancien premier minis- UN SCORE SANS APPEL
2.LE

tre John Major, conservateur « Independance Day », proclame la « une » du


comme lui, le qualifie à la Sun le matin du 23 juin, jour du vote, clôturant
BBC de « charmant bouffon un déferlement europhobe dans la presse.
de cour » et de menteur. Tous titres confondus, 82 % des articles pu-
Oubliant son grand-père, bliés pendant la campagne auront été hostiles
Osman Kemal, et ses ancien- à l’UE.Trente-trois millions cinq-cent soixan-
nes plaidoiries en faveur de te-dix-huit mille et seize électeurs du Royau-
l’entrée de la Turquie dans me-Uni et de Gibraltar se déplacent aux ur-
l’UE, voici que Boris Johnson nes, soit 72,2 % des inscrits. Un record. Les pre-
assure que 70 millions de miers bulletins dépouillés dans les grandes
Turcs vont déferler, une fois villes laissaient supposer une légère avance
que l’UE aura accepté l’adhé- pour le « Remain », mais aux petites heures
sion d’Ankara. Et tant pis si du vendredi 24 juin, les résultats du Nord
l’intégration de la Turquie viennent renverser la tendance et secouent
Jo Cox L’assassinat, n’est plus à l’ordre du jour et tous ceux qui, à l’abri de leur bulle profession-
une semaine avant que les 70 millions de Turcs nelle, géographique ou sociale, n’avaient pas
le référendum, de cette en question correspondent entendu rouler le tonnerre. C’est un séisme
députée travailliste quasiment à la population d’une ampleur sans précédent depuis 1945. Le
anti-Brexit de 41 ans entière du pays. pays du « in » oscille entre stupéfaction,
choque le royaume, consternation et colère. Celui du « out »
travailleurs et de la souveraineté nationale. mais la population LA COLÈRE DU NORD exulte, sans trop savoir ce qui l’attend.
Lors du référendum de 1975 visant à confir- croit à un fait divers. Il existe une Angleterre péri- A 4 heures du matin, David Cameron,
mer l’adhésion du Royaume-Uni, il avait Pourtant, l’assassin, phérique, comme il existe retranché au 10 Downing Street avec le
voté « non » au maintien. Jamais il ne s’est un sympathisant une France périphérique, à ministre des finances George Osborne et ses
montré enthousiaste pour l’UE, dont il criti- d’extrême droite, l’écart des grandes villes flo- conseillers, a compris. Avec 51,9 % pour le
que notamment le libéralisme. C’est lui a crié « Britain first ! » rissantes et des bénéfices de « Leave », le score est sans appel. Mais les
pourtant, éternel dissident au sein de son (« La Grande-Bretagne la mondialisation. C’est cette résultats sont contrastés. En Angleterre et au
propre parti, qui a été plébiscité contre toute d’abord ») au moment Angleterre-là que les parti- Pays de Galles, le Brexit l’emporte avec res-
attente par la base du Labour, dix mois plus du crime. Il faudra sans du Brexit accrochent pectivement 53,4 % et 52,5 % des voix. En
tôt. S’il paraît archaïque aux yeux de bon attendre le procès avec leurs slogans. Il suffit de Ecosse et en Irlande du Nord, le résultat est
nombre de sociaux-démocrates européens, pour que l’évidence mence-t-il à être inquiet ? Chaque fois qu’il passer un moment sur le parking du Mecca inversé : 62 % et 55,8 % pour le « Remain ». A
il est révéré à la fois par une vieille garde de d’un meurtre rencontre ses partenaires, il se montre « lucide Bingo d’Acocks Green, casino pour pauvres l’intérieur même de l’Angleterre, la ligne de
militants qui avait détesté le « New Labour » politique s’impose. et confiant », note le président français Fran- dans la grande banlieue de Birmingham, fracture entre Brexit et « Remain » est visi-
recentré de Tony Blair, et par une nouvelle GUZELIAN/SIPA çois Hollande. Les sondages sont très serrés pour prendre la mesure de la colère du nord ble : nord contre sud, vieux contre jeunes,
génération séduite par son tiers-mondisme, cependant, et Cameron a mis les bouchées de l’Angleterre à l’égard des « élites » londo- catégories populaires contre bourgeoisie,
sa dénonciation de l’ultralibéralisme, de la doubles, participant personnellement aux niennes. « Notre argent part à Bruxelles au néoruraux contre citadins, travailleurs
précarité et de la pauvreté. séances d’appels téléphoniques auprès des lieu de financer nos hôpitaux, fulmine Noel, manuels contre diplômés, Londres, surtout,
Alors qu’il est censé avoir remisé son électeurs, multipliant les meetings, en parti- un chômeur de 49 ans. Ceux qui défendent contre le reste du pays. Comment faire avec
vieil euroscepticisme, Corbyn rechigne culier dans le nord de l’Angleterre, majoritaire- l’UE habitent dans des quartiers pour multi- un pays aussi déchiré ?
tout de même à apparaître en soutien à ment eurosceptique. Mais ses arguments, sa millionnaires. Ils se fichent totalement de gens Le premier ministre est pâle et défait. « Je
Cameron dont il dénonce le « show théâ- crainte du « saut dans le vide » que représente- comme nous. Ils mentent, mentent, mentent dois partir. J’ai pris ma décision », confie-t-il
tral » à Bruxelles. rait le départ de l’UE, ne portent pas dans un en annonçant des calamités si nous sortons, à ses conseillers. Dès 8 heures, Samantha
pays où la nostalgie de la grandeur impériale juste pour nous faire peur. » Point n’est besoin Cameron accompagne son mari devant le
CAMERON ET CORBYN À CONTRE-EMPLOI et le sentiment d’être à part sont transmis à d’aborder la question de l’immigration. Elle 10 Downing Street. « Le peuple britannique a
En réalité, avec des eurosceptiques comme chaque écolier dès le plus jeune âge. surgit d’emblée, presque systématiquement. voté pour quitter l’UE, et sa volonté doit être
Cameron et Corbyn, la campagne pour le « Re- Après quelques jours d’une campagne fair- « Ils rentrent par milliers pour nous prendre respectée », énonce-t-il, les yeux rougis mais
main » affiche deux têtes qui jouent à contre- APRÈS DES DÉBUTS play, les brexiters ont passé la vitesse supé- nos emplois en cassant les salaires, s’emporte sans manifester le moindre regret face au ré-
emploi. Les électeurs le sentent confusément
lorsqu’ils répètent leur slogan, « plus forts,
FAIR-PLAY, rieure. Boris Johnson a quitté le registre de la
farce pour celui de la provocation calculée.
encore Noel. Mais les politiciens ne s’occupent
pas des Anglais. »
sultat accablant. Alors qu’il a promis de rester
aux manettes quel que soit le résultat du réfé-
plus en sécurité et plus prospères dans l’UE ». LES BREXITERS ONT « Napoléon, Hitler, ont essayé [de réunir le A Boston, gros bourg rural du Nord, Angela rendum, il annonce sa prochaine démission :
N’ont-ils pas assuré du contraire durant des continent européen sous un seul et unique Cook, ancienne chef d’une entreprise de « Je ne pense pas qu’il serait bon que j’essaie
décennies ? « Jeremy Corbyn ne défend le PASSÉ LA VITESSE gouvernement], affirme-t-il maintenant, et transport routier ruinée par la concurrence d’être le capitaine qui conduit notre pays vers
maintien dans l’UE que parce que 90 % de nos
élus y sont très largement favorables, mais le
SUPÉRIEURE. BORIS cela s’est terminé de manière tragique. L’UE est
une autre tentative avec des méthodes diffé-
polonaise, ne décolère pas contre une popu-
lation immigrée montée en flèche depuis
sa prochaine destination. » Sa voix s’étrangle
seulement au moment de conclure : « J’adore
cœur n’y est pas », estime un haut responsable JOHNSON A QUITTÉ rentes. » Sa saillie déclenche un tollé. « Il a l’ouverture des frontières d’Europe de l’Est ce pays et je suis fier de l’avoir servi. Je ferai tout
du Labour. « Sur une échelle d’amour de l’UE perdu la tête. Ses propos sont obscènes », tonne en 2004 : « Moi, je ne suis pas européenne, je ce que je peux à l’avenir pour aider ce grand
allant de 1 à 10, où vous situez-vous ? », lui LE REGISTRE DE Michael Heseltine, ancien vice-premier mi- suis anglaise ! La seule façon de stopper ça, pays à réussir. Merci beaucoup. »
demande-t-on un soir à la BBC. « Probable- nistre conservateur, pro-européen proche de c’est de sortir de l’UE. » Lui qui répétait imprudemment que « la
ment à sept, ou sept et demi », finit-il par LA FARCE POUR CELUI David Cameron. Mais « Boris » sait que ses Toute l’Europe s’est mise à suivre ce feuille- Grande-Bretagne peut survivre hors de l’UE »
répondre. Ce n’est d’ailleurs pas lui mais l’an- DE LA PROVOCATION coups d’éclat ne font que renforcer sa popula- ton si crucial pour son avenir. Et d’abord les ne survivra pas politiquement. Il jette
cien ministre de l’intérieur Alan Johnson, rité dans son camp. Déjà, lorsque Barack eurosceptiques du continent. Marine Le Pen, l’éponge, alors que la livre sterling plonge et
avec lequel il entretient des relations glacia- CALCULÉE Obama est venu à Londres en avril pour met- qui a inscrit dans son programme la sortie de que les marchés s’inquiètent. Le président
les, qui mène pour les travaillistes la campa- tre en garde les Britanniques contre le Brexit, il l’euro, première étape à ses yeux d’un du Conseil européen Donald Tusk l’avait
gne officielle du parti en faveur du « Re- a expliqué la démarche du chef de l’Etat améri- « Frexit », a proposé de venir faire campagne prévenu : « Personne n’a envie de révolution-
main ». Ce n’est pas vraiment mieux. Il faut cain par « l’aversion ancestrale pour l’Empire au Royaume-Uni. « J’espère que les Français ner l’Europe à cause de ton stupide référen-
entendre Johnson dire d’un ton monocorde britannique d’un président en partie kényan ». auront eux aussi sans trop attendre une occa- dum. Si tu essaies de nous forcer la main, tu
qu’il convient de rester en Europe « malgré ses A chaque mensonge ou propos démagogue, sion semblable [de référendum] », assure la perdras tout. » p
défauts » pour « renforcer la protection de cha- les pro-« Remain » dénoncent la mystifica- présidente du Front national (rebaptisé de- raphaëlle bacqué, philippe bernard
que travailleur » et les droits sociaux que les tion. Mais comment faire si les brexiters rétor- puis Rassemblement national). Alors que les (londres, correspondant)
tories sacrifieraient en cas de Brexit… quent à chaque mise en garde « Project Fear ! » pro-« Remain » réclament qu’on lui interdise et cécile ducourtieux (bruxelles,
Le premier ministre David Cameron com- (« Projet peur »), comme s’ils démasquaient l’entrée en raison de ses « opinions extrémis- bureau européen)
6 | brexit, la saga d’une déchirure 0123
DIMANCHE 31 MARS - LUNDI 1ER AVRIL 2019

A
partir de maintenant, l’his-
toire va balancer entre Sha-
kespeare, les Monty Python
et la série américaine House
of Cards. Un tumulte effarant
et tragique. Des scènes de
comédie grotesques. Beaucoup de cynisme
3.LE CHAOS
et d’illusions perdues.
Plongeons d’abord du côté britannique, où
le résultat du référendum a saisi toute la
population. Le premier ministre, David Theresa May
Cameron, jette l’éponge, la livre sterling (62 ans). Dès son
dévisse. Les brexiters, eux, ont dessoûlé en arrivée à la tête du
quelques heures. Même Boris Johnson, l’un gouvernement, à l’été
de leurs chefs de file, a perdu son sourire de 2016, la chef de file
trublion. Dès l’annonce des résultats, le ven- du parti conservateur
dredi 24 juin 2016, une centaine de person- incarne, aux yeux
nes se sont rassemblées devant sa maison du monde, la volonté
d’Islington en hurlant « Honte à vous ! », du Royaume-Uni
« Vous allez le payer ! » Depuis, on ne voit plus de sortir de l’Union
l’ex-maire de Londres, comme si l’ardent pro- européenne.
moteur du « Take back control » (« Reprenez
le contrôle ») ne contrôlait plus rien. Jean-Claude
La logique voudrait pourtant qu’il succède Juncker (64 ans). Bête
à Cameron au 10 Downing Street. Le week- noire des médias bri-
end, il a d’ailleurs reçu quelques députés tanniques, le président
dans sa propriété de l’Oxfordshire, entre de la Commission
deux parties de cricket disputées en costume européenne a occupé
blanc. Mais on le sent perdu. Dans sa chroni- les avant-postes du-
que hebdomadaire au Telegraph, pour la- rant la crise de la zone
quelle il perçoit près de 311 000 euros par an, euro. Artisan du main-
n’assure-t-il pas contre toute évidence que tien de la Grèce dans
« le Royaume-Uni fait partie de l’Europe » et l’eurozone, il répétera
qu’il continuera à avoir accès au marché uni- sa « tristesse » de voir
que ? Son entourage n’en fait pas mystère : la partir le Royaume-Uni,
victoire inattendue du Brexit a été un choc et tentera de maintenir
pour lui, surtout lorsqu’il a réalisé qu’allait un « agenda positif »
lui échoir la responsabilité d’orchestrer la pour les Vingt-Sept,
sortie de l’Union européenne… afin de prouver
Le 30 juin, il se décide tout de même à par- que l’UE peut avancer
ler aux électeurs. Le lieu a son importance : le malgré le Brexit.
St. Ermin’s Hotel, l’un des QG de guerre de YVES HERMAN/REUTERS
Churchill, son modèle. La presse, présente en
masse, pense assister au lancement de sa
candidature à la succession de M. Cameron.
« Bojo » n’a-t-il pas discipliné sa coiffure,
comme à chaque fois qu’il doit prétendre à
une haute responsabilité ? Après avoir énu-

Londres et Bruxelles
méré les tâches du futur premier ministre, il
livre une conclusion déroutante : « Je dois
vous dire, mes amis (…), que cette personne
ne peut pas être moi. » Les conservateurs
europhobes viennent de perdre leur leader.
Le nationaliste Nigel Farage (UKIP) affiche

sur le ring des négociations


davantage sa satisfaction de vainqueur. Le
28 juin, devant les députés européens, à
Bruxelles, il a lancé sous des huées : « N’est-il
pas drôle, quand je suis venu ici il y a dix-sept
ans en disant vouloir mener une campagne
pour faire sortir le Royaume-Uni de l’UE, que
vous ayez tous ri de moi ? Vous ne riez plus,
maintenant, n’est-ce pas ? » Sauf que lui non En votant en faveur du Brexit lors du référendum de juin 2016,
plus n’entend pas rester aux manettes pour
régler la sortie de l’UE. Le 4 juillet, il quitte le Royaume-Uni entre dans une zone d’incroyables turbulences politiques.
même de la direction du UKIP.
Il n’a donc fallu que quelques heures pour Côté européen, les tractations s’organisent autour du Français Michel Barnier
délier nombre d’artisans du divorce de leurs
serments de campagne. « Nous ne nous som-
mes pas engagés. Nous avons seulement fait
une série de promesses qui étaient des possi- siège de la Commission, pour voir passer un ensemble. Il n’a fallu que quelques jours pour parfait, il connaît les institutions. Il siégera à
bilités », tweete, un rien gêné, Iain Duncan- député italien, un commissaire allemand que l’Union s’accorde sur un texte expliquant la table du Conseil européen, signe que les
Smith, ancien ministre et brexiter acharné. ou un fonctionnaire français. Le quartier en substance : « Nous allons ouvrir une négo- Vingt-Sept le considèrent déjà un peu
n’a ni le charme ni la chaleur du vieux ciation afin d’aboutir à un retrait ordonné. comme l’un des leurs.
AVEUGLÉS PAR L’AMOUR DE L’UE Bruxelles, mais on y expérimente chaque Dans ces discussions, nous nous attacherons à Barnier a tout de suite accepté la mission.
La plupart de ces élus n’ont eu qu’à analyser jour ce mélange de cultures et de valeurs qui faire respecter les principes de l’UE : l’intégrité « C’était l’occasion de participer à la sauve-
les résultats pour mesurer le quiproquo du composent l’âme européenne. du marché unique et l’indivisibilité des quatre garde du projet européen », assure-t-il
référendum. Le Brexit l’a emporté grâce à C’est peu dire que le Brexit a été un trauma- libertés fondamentales du marché unique (la aujourd’hui au Monde. Mais il a posé ses
l’improbable alliance de deux électorats. tisme ici. La plupart des bureaucrates, aveu- circulation des personnes, des biens, des ca- conditions. Instruit par les difficiles négocia-
D’un côté, des ultralibéraux thatchériens tels glés par leur amour de l’UE, n’avaient pas pitaux et des services), ainsi que l’autonomie de tions du traité de libre-échange entre l’UE et
que Johnson, qui considèrent les réglementa- imaginé que le Royaume-Uni puisse vrai- décision des Vingt-Sept. » En somme, le Royau- les Etats-Unis (TTIP), dont l’opacité a généré
tions européennes comme des entraves aux ment claquer la porte. « Beaucoup nourris- me-Uni trouvera face à lui non pas des parte- rumeurs et mensonges, il exige le respect de
affaires et l’immigration comme un moyen saient la certitude que c’était les Etats qui frei- naires avec lesquels « dealer » ses accords deux principes : être le seul habilité à négo-
de faire baisser le coût de la main-d’œuvre. naient une Europe que les peuples, eux, dési- commerciaux, mais une Union soucieuse de cier avec Londres et travailler en toute trans-
De l’autre, les déshérités du nord de l’Angle- raient », reconnaît Pierre Sellal, alors repré- négocier d’une seule voix. parence vis-à-vis des Etats membres. « C’est
terre, précisément victimes de la précarité sentant de la France auprès de l’UE. Le choc Le président de la Commission euro- inhabituel, ici, explique-t-il. Mais je voulais
ultralibérale. Ceux-là ont vu dans le slogan est général dans presque tous les pays mem- péenne, Jean-Claude Juncker, a proposé cette que tout soit dit en temps réel aux gou-
« Take back control » un appel à la protection bres. A l’Elysée, une réunion était convoquée « C’EST INHABITUEL mission au Français Michel Barnier, un vernants, au Parlement européen, aux mé-
de l’Etat national, notamment contre l’afflux pour le lendemain du référendum, mais les Savoyard habitué des courses en montagne dias et aux citoyens. » Autre décision : toutes
d’Européens de l’Est. Les premiers rêvent de diplomates n’ont jamais vraiment cru à une [À BRUXELLES], et des climats rudes. En France, cet ancien les négociations auront lieu à Bruxelles.
transformer le Royaume-Uni en paradis fis- victoire du Brexit. « Est-ce bien nécessaire ? », ministre des affaires européennes de 65 ans
cal dérégulé ; les seconds ont la nostalgie de a lancé la veille du vote François Hollande, MAIS JE VOULAIS a toujours été traité avec un brin de condes- « BREXIT MEANS BREXIT »
l’Angleterre d’avant le thatchérisme. Com- en relisant parmi les communiqués prépa- QUE TOUT SOIT DIT cendance. Au sein de la famille gaulliste dont Côté britannique, le meneur du Brexit sera
ment un premier ministre pourrait-il conci- rés de concert avec les Allemands celui évo- il est issu, Jacques Chirac regardait avec une femme. Après le renoncement de Boris
lier ces désirs contradictoires ? Cette duperie quant le « Leave ». La chancellerie allemande EN TEMPS RÉEL mépris ce grand type aux cheveux blanchis Johnson, trahi par une partie des conserva-
va envenimer toute la négociation, pro- était tout aussi dubitative. Idem pour les avant l’heure qui s’intéressait à l’environne- teurs qui doutent de ses capacités à diriger,
voquer la débandade et dégénérer en crise pays scandinaves, ceux de l’Est, les Pays-Bas AUX GOUVERNANTS, ment et à l’aménagement du territoire. Theresa May, ministre de l’intérieur depuis
politique. « Les gens qui nous ont mis dans ce
pétrin se sont enfuis », résume le travailliste
ou l’Italie du centriste Matteo Renzi.
Le Brexit agit sur les uns et les autres
AU PARLEMENT Même son excellente organisation des Jeux
olympiques d’hiver à Albertville, en 1992, ne
six ans, s’est retrouvée favorite parmi les
cinq candidats pour la direction des tories.
Alistair Darling, ex-ministre des finances. comme un coup de cravache. Jusqu’ici, les EUROPÉEN, lui a pas apporté la totale estime de ses pairs. Etonnant personnage que cette fille de
Partons maintenant à Bruxelles. Dans ce 27 pays de l’Union ont été divisés sur presque « Il n’a pas fait l’ENA, mais une école de com- vicaire anglican, militante conservatrice de-
drôle de quadrilatère, moderne et sans âme, tout, des migrations jusqu’aux façons de AUX MÉDIAS merce, l’ESCP, et il le paie encore », dit Michel puis ses années à Oxford, élue députée après
qui abrite dans l’est de la capitale belge la
Commission, le Parlement et le Conseil
résoudre la crise financière. Mais pour la
première fois, le délitement de l’Europe est
ET AUX CITOYENS » Dantin, eurodéputé, maire de Chambéry et
proche du Savoyard.
avoir travaillé pendant vingt ans dans la fi-
nance : grande et dégingandée, elle approche
européen, toutes les langues et nationalités devenu possible, et ce risque les soude. Le MICHEL BARNIER Michel Barnier est bien plus respecté à de la soixantaine, paraît toujours embarras-
de l’UE se croisent depuis des années. Il suffit 29 juin, lorsque les dirigeants de l’UE se re- négociateur en chef Bruxelles, où il a été deux fois commissaire sée par ses longs bras et s’est fait connaître
de se poster devant le bâtiment Berlaymont, trouvent à Bruxelles, ils sont décidés à réagir pour l’UE et eurodéputé. Et si son anglais n’est pas pour ses escarpins léopard et sa fermeté sur
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DIMANCHE 31 MARS - LUNDI 1ER AVRIL 2019 brexit, la saga d’une déchirure | 7

David Davis (70 ans).


Europhobe et liberta-
rien, nommé à la tête LES MOTS DU BREXIT
du ministère du Brexit
par Theresa May, il est
partisan d’un divorce
dur. Volontiers fanfaron ARTICLE 50
mais dilettante, il croit Introduit dans le traité de Lisbonne
avoir la main sur les pour prouver que l’UE n’est pas une
négociations alors qu’il prison, cet article donne la possibilité
est mené par le bout à un Etat membre d’en sortir. Deux
du nez. Mis à l’écart par ans après sa notification par Theresa par où transite le gros des marchandises
Theresa May, il démis- May (le 29 mars 2017), la période échangées entre l’Europe et le Royaume-Uni.
sionne en juillet 2018 prévue – deux ans maximum –, Supposé être le best friend des Britanniques,
et reçoit l’hommage arrive à son terme. Mais il n’y a tou- le fringant quinquagénaire se montre ferme :
de Nigel Farage (UKIP). jours pas de majorité à la Chambre « Nous, les Néerlandais, sommes vos meilleurs
JEFF OVERS/BBC/REUTERS des communes pour ratifier l’accord amis, et pouvons vous parler directement :
négocié par Londres avec l’UE. vous marchez comme des somnambules vers
Pour éviter un « no deal », Mme May un “no deal” ». Ou encore, pour mieux leur si-
a réclamé une « extension » jusqu’au gnifier qu’ils n’ont plus guère de choix : « C’est
30 juin. Le 21 mars, les 27 autres comme si, sur le Titanic, on leur avait donné la
Etats membres lui ont concédé un possibilité de voter contre l’iceberg… »
répit plus court : jusqu’au 22 mai si Comment les Britanniques ont-ils pu si mal
l’accord de retrait finit par être agréé se préparer au divorce ? Habitués à comparer
par les élus britanniques ; jusqu’au eux-mêmes l’UE au Titanic, ils imaginaient
12 avril dans le cas contraire. une débandade de l’adversaire. Or, aucun des
Londres peut révoquer unilatérale- changements politiques – l’élection d’Emma-
ment l’article 50 – selon un arrêt de nuel Macron en France en mai 2017, l’arrivée
la Cour de justice de l’UE – avant le d’une coalition populiste en Italie un an plus
12 avril. Dans ce cas, le Brexit n’aurait tard – n’ébranle la solidarité au sein de l’UE.
pas lieu, le traité de retrait disparaî- Barnier, lui, n’a rien laissé au hasard. Juste
trait des radars, et le Royaume-Uni après sa nomination officielle, le 1er octo-
resterait dans l’UE. bre 2016, il démarre un premier tour des
27 capitales. « Chaque fois, j’ai ressenti un sen-
timent de gravité, confie-t-il. Ce n’était pas
« BACKSTOP » seulement le Brexit qui venait de se produire,
Le dispositif a été conçu par les Euro- mais aussi les conséquences de la crise finan-
péens et le gouvernement May pour cière que nous avions beaucoup sous-esti-
éviter, après le Brexit, le retour d’une mées, la souffrance sociale, la crise syrienne,
frontière physique entre les deux le terrorisme et, bientôt, les inquiétudes liées à
Irlandes et préserver les accords l’élection de Donald Trump. Ce sentiment de
de paix en Irlande du Nord. Deux gravité a été le ciment de notre unité. » Politi-
« backstops » (« filets de sécurité ») ques, syndicats, représentants de la société
ont été imaginés. Le « backstop civile… il n’oublie de serrer aucune main.
Barnier » – du nom du négociateur A Bruxelles, il s’est constitué un cabinet de
en chef de l’UE – est le plus simple techniciens, installé dans une aile du 5e étage
à mettre en œuvre : l’Irlande du Nord du Berlaymont. Un peu à l’écart du 13e, celui
reste dans le marché intérieur. de la présidence : M. Juncker, dont il est
L’autre option est le « backstop Olly proche, lui laisse les coudées franches. Le
Robbins », en référence à l’homme Luxembourgeois ne veut surtout pas mélan-
de confiance de Mme May, qui l’a pro- ger la question britannique avec le reste de
posé à l’automne 2018 : le Royaume- l’agenda européen.
Uni reste momentanément dans
l’union douanière. TRANSFORMER LE PAYS EN PARADIS FISCAL
Ce mécanisme est devenu le princi- Dans ces bureaux fonctionnels, une tren-
pal obstacle, chez les conservateurs taine de fonctionnaires s’activent. Jeunes,
britanniques et les élus du Parti unio- compétents et spécialisés. La « team Barnier »
niste démocrate irlandais, à la ratifi- organise des dizaines de séminaires théma-
cation du traité. Il est aussi l’une des tiques auprès des Etats membres, afin de dé-
manifestations de l’impréparation tailler les conséquences prévisibles du Brexit.
britannique au Brexit. Lors de la Pour les thés et les cafés, une bonne âme a
l’immigration. Jamais elle n’a fait preuve Michel Barnier seuls à l’adversité. Enfermés dans leur campagne référendaire de 2016, acheté un lot de mugs sur lesquels est écrit
d’une vision supérieure, mais elle est coura- (68 ans). L’ex-commis- conception d’une UE à dessein strictement aucun politique n’a alerté sur les ris- « Keep calm and negotiate »…
geuse et très attachée au Parti conservateur. saire à la politique commercial, ils exigent de mener en paral- ques qu’une sortie du marché inté- Barnier s’est choisi deux conseillères de
Le courage et la ténacité, c’est probable- régionale puis lèle la négociation sur les termes du divorce rieur de l’UE ferait courir aux accords haut niveau : une Française, Stéphanie Riso,
ment l’essentiel. Le jour où David Cameron au marché intérieur et celle sur l’accord de libre-échange « auda- de paix nord-irlandais. et une Allemande, Sabine Weyand. Riso, pur
s’est éclipsé, tout le Royaume-Uni a pu dé- et aux services est cieux et ambitieux » qu’ils se font fort de produit de la Commission, où elle est arrivée
couvrir son soulagement en raison d’un mi- désormais l’un conclure avant mars 2019. à 24 ans, dirige la stratégie ; Weyand est
cro oublié au revers de sa veste. « Do-doo-do- des Français les plus Michel Barnier, de son côté, compte bien RELATION FUTURE l’adjointe du négociateur en chef. Très diffé-
doo… », chantonnait l’instigateur du référen- connus dans l’Union. imposer un séquençage. Pas question de né- Dès 2017, Londres a voulu lancer rentes en apparence, elles sont en vérité
dum, comme libéré d’un poids. C’est dire la Il a été nommé gocier le futur traité de libre-échange avant des discussions sur la relation complémentaires. Economiste de forma-
tâche qui attend la première ministre… négociateur en chef que les Britanniques n’aient accepté de ré- future avec l’UE. Les pistes que les tion, la Niçoise est passée par la prestigieuse
Pour faire oublier sa (discrète) position anti- du Brexit pour gler le montant de leur ardoise (les engage- Vingt-Sept ont accepté d’explorer DG Ecfin (surveillance des budgets des Etats
Brexit pendant la campagne, celle-ci affiche les Vingt-Sept en ments financiers du pays s’élèvent à 40 mil- sont contenues dans la « déclaration membres), le cabinet du commissaire à l’éco-
sa foi de convertie : « Le Royaume-Uni va juillet 2016. A ce poste liards d’euros), le statut des expatriés et le politique » attachée au traité nomie d’alors, Olli Rehn, puis la direction
quitter l’UE. Le pays a rendu son verdict, répè- de « super diplomate », non-retour de la frontière entre les deux du divorce et validée par Mme May générale des budgets. C’est une jeune femme
te-t-elle. Il ne peut y avoir de nouvelle ten- le Savoyard s’est Irlandes. Il s’agit d’abord de divorcer, pro- à Bruxelles, le 25 novembre 2018. sans façon, très bosseuse. L’Allemande est
tative de rentrer en catimini ni de second ré- distingué par sa capa- prement, de manière « ordonnée », estime La chef de gouvernement ayant une spécialiste du commerce. Une coupe à la
férendum. » D’emblée, elle a d’ailleurs lancé cité à rassembler M. Barnier, dont le sérieux, souvent moqué réclamé une sortie du marché uni- Louise Brooks, rouge à lèvres vif et lunettes
une litote qui lui tiendra lieu de philosophie et sa maîtrise des jusqu’alors, fait enfin merveille. En somme, que et de l’union douanière, Bruxel- papillon, Weyand est une technocrate mais
durant les négociations : « Brexit means rouages européens. réglons d’abord la vente des biens com- les a proposé la conclusion d’un aussi une politique toujours prête à monter à
Brexit » (« Brexit signifie Brexit »). Compren- muns et la garde des enfants avant de fêter accord de libre-échange, un peu sur l’offensive sur Twitter.
dre : nous ne reviendrons pas en arrière. Sabine Weyand de nouveau Noël ensemble. le modèle du CETA, qui lie l’Europe C’est avec elles que Michel Barnier élabore
Au congrès de son parti, début octobre 2016, (55 ans). L’Allemande, et le Canada, et une multitude sa stratégie et bientôt le traité de retrait bri-
Theresa May se pose même en championne adjointe de Michel PAS DE FAILLE AU SEIN DES VINGT-SEPT de coopérations bilatérales. Mais les tannique. Lui-même reçoit dans son bureau
d’un « Brexit dur », prônant notamment la Barnier, est un atout « Ce sera l’engueulade de l’été », plastronne Da- élus britanniques refusent de voter tous ceux qui comptent en Europe. Dans son
sortie du marché unique et de l’union doua- maître pour le négocia- vid Davis, le ministre du Brexit, chargé de né- cette « déclaration politique ». sofa et ses fauteuils en cuir crème viennent
nière, la fin de la libre entrée des Européens teur. Elle a contribué gocier avec M. Barnier. L’été passe et Downing s’installer le ministre David Davis, le chef de
sur le territoire. « Pas d’accord vaut mieux à l’élaboration de l’ac- Street capitule. En conditionnant la négo- l’opposition travailliste, Jeremy Corbyn, mais
qu’un mauvais accord », assurera-t-elle impru- cord de retrait, agréé ciation commerciale – point crucial pour les surtout Olly Robbins, homme de confiance
demment plus tard. En vérité, son gouverne- en novembre 2018. Britanniques – au règlement de la question ministre, « Bojo » a accepté celui de ministre de Theresa May et véritable négociateur du
ment a un objectif central, conforme à la Brillante, méthodique, irlandaise dont Londres n’a pas mesuré l’im- des affaires étrangères de Theresa May, où il camp britannique. Depuis que la première
conception qu’ont toujours eue les Britanni- cette spécialiste du portance mais que lui sait capitale, Michel exerce une diplomatie toute personnelle. ministre a activé, le 29 mars 2017, l’article 50,
ques de leur place dans l’UE : signer un traité commerce n’hésite pas Barnier a piégé Theresa May et préservé L’UE peut « toujours courir » pour que qui dispose, en cinq alinéas, des règles d’un re-
de libre-échange (FTA) qui permette au à rectifier des contre- l’unité des Vingt-Sept. Ce n’est qu’un début. Et Londres acquitte sa facture, fanfaronne-t-il. trait de l’UE, le compte à rebours a commencé.
Royaume-Uni to have the cake and eat, d’avoir vérités sur le Brexit le premier revers d’une série qui va renvoyer Quand le ministre italien du développe- Le Royaume-Uni a deux ans pour se préparer.
« le beurre et l’argent du beurre », formule que émises sur Twitter. les négociateurs de Londres dans les cordes. ment économique, Carlo Calenda, oppose Le temps joue désormais contre Mme May.
répétait à l’envi Boris Johnson pendant la THIERRY MONASSE/GETTY IMAGES « Dans les minutes qui suivront un vote pour une fin de non-recevoir à ses exigences d’ac- Or, sous la pression de l’aile droite du Parti
campagne. Autrement dit, les Britanniques le Brexit, les PDG de Mercedes, BMW, VW et cès au marché unique sans libre circulation conservateur, largement ignorante du fonc-
souhaiteraient pratiquer une politique de Audi frapperont à la porte de la chancelière des personnes, il lance : « Alors, vous nous tionnement de l’UE et sourde aux mises en
dumping fiscal et social aux portes de l’Eu- Merkel et exigeront qu’aucune barrière n’en- vendrez moins de prosecco ! » Calenda rétor- garde, elle a lancé la procédure sans avoir la
rope tout en pouvant y exporter librement et trave l’accès des Allemands au marché britan- que, un brin méprisant : « Je vendrai moins moindre idée du type de relation future
sans avoir à contribuer au budget européen. nique », jurait David Davis pendant la cam- de prosecco à un pays, mais vous vendrez qu’elle souhaite établir avec les Vingt-Sept.
Les Européens, eux, sont décidés à éviter la pagne. Mauvais calcul : l’Allemagne ne se dé- moins de fish and chips à vingt-sept pays ! » Les « hard brexiters » sont des ultralibéraux
mutation de cet Etat membre sur le départ en solidarise pas de ses partenaires européens. Johnson croit encore faire peur à l’Europe. en quête d’une rupture radicale avec l’Union
concurrent déloyal. Ils entendent aussi proté- Dès le 6 octobre 2016, Angela Merkel brise En France, il tient le même discours qu’en pour se « libérer » de ses réglementations et
ger leur frontière extérieure commune : toutes les illusions britanniques sur ce point. Italie, en remplaçant « prosecco » par « cham- transformer le pays en paradis fiscal, un vaste
l’Irlande du Nord ne doit pas se transformer Devant le BDI, le puissant syndicat patronal pagne ». Il est si agaçant, ce héraut du Brexit, Singapour arrimé au continent européen. La
en sas d’entrée pour les marchandises et les national, elle déclare : « S’il faut choisir entre le que les grands vins effervescents du conti- première ministre, elle, a un objectif : éviter
immigrants illégaux vers l’UE, via la Républi- marché britannique et le marché intérieur de nent sont quasiment devenus un signe de l’éclatement de son parti. Elle cède aux ultras
que d’Irlande. Les Britanniques le compren- l’UE, choisissez l’UE. » Il n’y aura donc pas de ralliement européen. Sur Twitter, des négo- du Brexit en feignant d’ignorer que leur rêve
nent-ils ? Pas sûr… Quarante-cinq années de faille au sein des Vingt-Sept, soudés par deux ciateurs de Bruxelles partagent des photos de nouvelle révolution thatchérienne coupe-
vie commune ont beau avoir déniaisé chacun intérêts communs : maximiser la facture du où ils trinquent à sa santé… rait le pays d’un continent dont ses approvi-
des partenaires, les compatriotes de Theresa Brexit pour les Britanniques, et éviter de Mark Rutte, le premier ministre des Pays- sionnements dépendent en grande partie et
May ont toujours gardé, depuis leur conduite transformer l’Irlande du Nord en passoire. Bas, refuse lui aussi la négociation directe qui représente 40 % de ses exportations.
héroïque pendant la seconde guerre mon- Boris Johnson tarde à comprendre cette avec Londres. Et pourtant, le Brexit est une
diale, le sentiment qu’ils peuvent résister réalité. S’il a renoncé au poste de premier mauvaise nouvelle pour le port de Rotterdam lire la suite page 8
8 | brexit, la saga d’une déchirure 0123
DIMANCHE 31 MARS - LUNDI 1ER AVRIL 2019

suite de la page 7 Mark Rutte


PARADOXE (52 ans). Le premier
DE CETTE FOLLE ministre néerlan-
dais aurait pu
HISTOIRE : UN AN choisir le camp des
Britanniques, étant
Theresa May se sent si forte que, après avoir APRÈS LE VOTE donné les liens
juré qu’elle ne déclencherait pas d’élections,
elle surprend tout le monde, le 18 avril 2017,
DU BREXIT, entre son pays
et le Royaume-Uni.
en annonçant pour le mois de juin des légis- PLUS AUCUN DE Mais, à Bruxelles, il
latives anticipées. Son but ? Renforcer sa reste ferme et n’hé-
position dans la négociation en obtenant SES PROMOTEURS site pas à critiquer
une onction populaire magistrale. Après l’impasse politique
tout, les sondages placent le Labour (tra- N’ÉTAIT AUX britannique. A pro-
vaillistes) au plus bas. Elle pense ne faire RESPONSABILITÉS pos d’un vote des
qu’une bouchée de ce vieux gauchiste de députés refusant
Jeremy Corbyn qu’elle méprise. POUR L’ASSUMER le « no deal », il s’est
Mais la campagne est difficile. Femme de exclamé : « C’est
dossiers, guère portée à l’empathie, Theresa comme si, sur
May se révèle une piètre oratrice et une mé- Comme si cela ne suffisait pas, Theresa May le Titanic, on leur
diocre meneuse. Surtout, son discours sur le essuie à la fin de 2017 au Parlement de West- avait voté donné la
Brexit est vide. Votez conservateur pour sou- minster un échec lourd de conséquences. possibilité de voter
tenir mon gouvernement « fort et stable », Alors qu’elle a prévu de réserver à l’exécutif le contre l’iceberg. »
assène-t-elle. Sa propension à ressasser des pouvoir d’accepter un accord sur le Brexit, LUDOVIC MARIN/AFP
formules creuses se confirme. Elle devient des députés « rebelles » pro-européens de son
« Maybot », le « Robot May », sous la plume parti font voter deux amendements : ils don-
hilarante de John Crace, chroniqueur au nent au Parlement non seulement le droit de
Guardian. Pendant ce temps, Corbyn en- veto sur l’accord final, mais aussi le pouvoir
flamme les foules en dénonçant la pauvreté de proposer des solutions alternatives en cas
et l’austérité sans dire un mot sur le Brexit. de rejet. Les prémices sont alors posées d’un
La campagne est aussi alourdie par les atten- dessaisissement d’une première ministre
tats islamistes de Manchester, puis, à cinq plus obnubilée par l’unité de son parti que
jours du scrutin, du London Bridge. La coo- par celle du pays, trop rigide pour parvenir à
pération en matière de terrorisme est l’un un compromis acceptable par ses compatrio-
des acquis de l’UE. La sécurité nationale ne tes. « Ce soir, le Parlement a repris le contrôle
risque-t-elle pas d’être affaiblie par le Brexit ? du processus de sortie de l’UE », tweete la
Le gouvernement est-il si « fort et stable » ? députée conservatrice Nicky Morgan.
Et puis, les Européens sont moins conci-
liants qu’auparavant. Le 26 avril 2017, L’ÉCOSSE, POUR LE MAINTIEN DANS L’UE
Mme May a convié Jean-Claude Juncker à dîner En cette fin d’année 2017, le Royaume-Uni pa-
à Downing Street. Un moment « constructif », raît menacé d’éclatement. En Ecosse, 62 % des
jure-t-elle pour rassurer ses concitoyens. En 5,4 millions d’habitants ont voté pour le
fait, la soirée est calamiteuse. A la première maintien dans l’UE, et la petite nation du Nord
ministre britannique qui appelait, comme à se bat maintenant pour freiner le Brexit. Alors
son habitude, à « transformer le Brexit en suc- qu’en 2014 elle avait perdu de peu le référen-
cès », M. Juncker a rétorqué : « Le Brexit ne peut dum sur l’indépendance de l’Ecosse, la pre-
pas être un succès. » Il a apporté un exem- mière ministre, Nicola Sturgeon, leader des
plaire du CETA, l’accord de libre-échange avec indépendantistes, cherche à utiliser le chaos
le Canada, un pavé d’un millier de pages. du Brexit pour relancer la cause de sa vie.
Une manière de lui dire que les discussions Les Britanniques feignent aussi d’oublier
entre Bruxelles et Londres sont parties pour que 56 % des Irlandais du Nord ont voté pour
durer. Mme May reste dans le déni. « Je quitte demeurer dans l’UE. Après un siècle de déchi-
Downing Street dix fois plus pessimiste que je rures, les relations semblaient apaisées, mais
ne l’étais », a glissé Juncker en reprochant à au sud, la République d’Irlande, que l’Europe a
son hôte de vivre dans une « autre galaxie », aidée à s’émanciper de l’ex-colonisateur bri- centrage autour du plan dit « de Chequers » Donald Tusk en plein doute. Le 25 novembre, la femme de
révèle le quotidien allemand Frankfurter tannique, menace à son tour de bloquer les – du nom de la résidence de villégiature des (61 ans). Après des devoir qu’est Theresa May sourit : elle signe
Allgemeine Zeitung le lendemain. négociations sur la sortie de l’Union. « Le premiers ministres britanniques – entraîne débuts hésitants enfin l’accord si laborieusement négocié
Brexit est un défi au processus de paix en Ir- la démission de deux poids lourds parmi les à la présidence du avec l’UE. Un « jour triste », grimace Jean-
THERESA MAY N’ENTEND PAS LE MESSAGE lande du Nord, affirme Simon Coveney, minis- brexiters : David Davis et Boris Johnson. Conseil européen, Claude Juncker, en réalité probablement
Le 8 juin 2017, les législatives ne se passent tre irlandais des affaires étrangères. Nous vou- Pour les Européens, c’est un soulage- cet ex-premier soulagé. Mais c’est une victoire à la Pyrrhus.
pas comme prévu. Les conservateurs per- lons bâtir des ponts, pas ériger des barrières, car ment : plus personne ne pouvait supporter ministre de la A force de négocier en aveugle, à force de
dent leur majorité absolue et doivent faire nous savons trop combien il a été compliqué de les provocations de « Bojo ». Le Daily Mail Pologne est devenu privilégier son parti sur l’enjeu historique du
alliance au Parlement avec des unionistes les supprimer. » Londres ne l’avait pas vu venir, avait rapporté qu’il était arrivé à une réu- l’une des voix Brexit, à force d’oublier les 48 % de Britan-
nord-irlandais (partisans du maintien de l’Ir- le Brexit relance une revendication jusque-là nion sans avoir lu les documents prépara- les plus percutantes niques pro-européens, « Maybot » a oublié
lande du Nord dans le Royaume-Uni), tandis inavouable : la réunification de l’Irlande. toires. Jeroen Dijsselbloem, le ministre tra- à Bruxelles. Ce qu’elle a besoin d’une majorité au Parlement
que le Labour gagne une trentaine de sièges. Pour sortir de la nasse, Michel Barnier a vailliste des finances néerlandais, l’accusait conservateur n’a pour son « deal », et que celle-ci est introuva-
Plus étonnant, des députés anti-Brexit sont proposé un « backstop » (« filet de sécu- de promettre « ce qui est impossible intellec- pas hésité à mettre ble. Sa persévérance, sa résilience et son
réélus dans des circonscriptions ayant voté rité »), une clause temporaire de sauvegarde tuellement » et « politiquement non disponi- en garde David courage masquent de moins en moins le
en faveur de la sortie de l’UE. Ce vote traduit pour conserver cette frontière ouverte aux ble ». Quant au ministre des affaires étran- Cameron contre les flou de sa pensée, son incapacité à commu-
le refus des électeurs du Brexit dur choisi par biens et aux personnes. Le temps de s’accor- gères allemand, Frank-Walter Steinmeier, il risques du référen- niquer, ses mensonges sur le « bon Brexit » et
Mme May, mais elle n’entend pas le message. der sur la « relation future » entre l’UE et ne supporterait plus de se trouver dans la dum. Affecté par le ses revirements. Elle ne contrôle plus ni son
La chef d’un gouvernement « fort et stable » Londres, dont la date butoir est fixée au même pièce que lui. départ programmé gouvernement, transformé en pétaudière,
n’est qu’un « cadavre ambulant », lâche l’an- 31 décembre 2020, l’Irlande du Nord reste- C’est le paradoxe de cette folle histoire : un du Royaume-Uni, ni le Parlement, qu’elle a longtemps cherché
cien ministre des finances George Osborne, rait ainsi alignée sur les normes européen- an après le vote du Brexit, plus aucun de ses il dénoncera les à bâillonner. Devant la fronde des députés,
qu’elle a limogé. « La seule question est de sa- nes (sanitaires, réglementaires, fiscales, promoteurs n’est aux responsabilités pour discours trompeurs face à la fermeté des Vingt-Sept, elle n’a
voir combien de temps elle va passer dans le etc.) pour éviter de remettre en place les l’assumer. Davis et Johnson ont quitté le de certains qu’une stratégie : jouer la montre,
couloir de la mort », ajoute-t-il, sardonique. contrôles des biens avec la République gouvernement. De son côté, Nigel Farage brexiters. convaincue que les uns et les autres craque-
L’UE pense-t-elle alors qu’un retour en d’Irlande. Mais l’affaire exaspère le Parti (UKIP) s’est reconverti, en janvier 2017, en VINCENT KESSLER/REUTERS ront à minuit moins une. Le premier minis-
arrière est possible ? En France, Emmanuel unioniste démocrate (DUP) nord-irlandais, animateur radio et contribue régulièrement tre néerlandais, Mark Rutte, compare
Macron a remplacé François Hollande. Dès le dont les voix sont indispensables à Mme May à Breitbart News, le média de l’ex-conseiller Mme May au chevalier noir des Monty
13 juin, il invite Theresa May, encore un peu au Parlement. Le 4 décembre 2017, à Bruxel- de Donald Trump Steve Bannon. Le 4 dé- Python qui continue de se déclarer invin-
sonnée par son échec électoral. « La porte est les, tandis qu’elle déguste des coquilles cembre 2018, il démissionnera même du cible après que le roi Arthur lui a sectionné
toujours ouverte pour rester dans l’Union Saint-Jacques gratinées et du turbot avec UKIP pour créer un Parti du Brexit. bras et jambes de son épée. Mais le grand-
européenne tant que la négociation n’est pas Jean-Claude Juncker pour fêter l’accord sur guignol cache le délitement de la monarchie
achevée », souligne le président français, qui l’Irlande, Theresa May reçoit un appel de la ÉNIÈME TENTATIVE parlementaire britannique, écartelée entre
passe pourtant pour un « faucon » à Londres. chef du DUP qui lui signifie un « no » catégo- Theresa May ne parvient pas mieux à impo- le vote pro-Brexit du peuple et la majorité
L’atmosphère est si incertaine que même les rique. Le « deal » est annulé. Effarées, Sabine ser sa version douce de la sortie de l’UE. Le parlementaire pro-européenne.
électeurs britanniques ont des doutes. Les Weyand et Stéphanie Riso prennent cons- 20 septembre 2018, à Salzbourg, Michel Une fois, deux fois, trois fois, elle monte à
sondages montrent que, alors que 48 % d’en- cience que la première ministre britanni- Barnier plaide auprès des Vingt-Sept contre l’assaut de Westminster, manie la carotte et
tre eux avaient voté contre le Brexit, ils sont que négocie quasiment seule. le « plan de Chequers » : une énième tenta- le bâton pour arracher une majorité, et mar-
désormais 53 % à penser que le Royaume- L’humiliation sera masquée par un com- tive britannique de faire du cherry picking que des points. En vain. Tout s’effrite autour
Uni a eu tort de voter pour quitter l’UE. promis promettant tout et son contraire. (« prendre les cerises sur le gâteau »). Emma- d’elle : les députés ne se rebellent plus seule-
Partout, on croit percevoir les signes d’une Le grand quiproquo sur l’Irlande a com- nuel Macron et Pedro Sanchez, le premier ment contre le Brexit mais contre sa per-
possible marche arrière. Traditionnellement, mencé. Discrètement, Mme May a de fait ministre espagnol, soutiennent son analyse. sonne, ses ministres étalent leurs différends
Elizabeth II revêt une robe blanche à traîne et accepté le « backstop », un statut provisoire Ni Giuseppe Conte, le premier ministre ita- dans la presse. « Pourquoi Mme May organise-
coiffe son étincelante couronne pour pronon- qui risque de s’éterniser, et contrarie l’une lien, ni Viktor Orban, le Hongrois, ne le t-elle un vote qu’elle est presque sûre de per-
cer à Westminster le « discours de la reine », des promesses-phares des brexiters : la contredisent. A Bruxelles comme à Londres, dre ? », demande la BBC à un membre du gou-
énumérant les projets législatifs et ouvrant la « Grande-Bretagne globale », cette possibi- le « no deal », une sortie des Britanniques vernement. Réponse : « Je n’en sais foutre-
session du Parlement. Mais ce 21 juin, tout le lité pour Londres de négocier en solo des ac- sans accord, prend de la consistance. ment rien. Ça ressemble à La Nuit des morts-
monde note sa robe bleue et son chapeau cords commerciaux avec le reste du monde. L’UE est parfois maladroite avec ce Royau- vivants ici. » Sans oublier le pays profond,
constellé de fleurs au pistil jaune. N’évoquent- Paradoxe des impasses de la vie politique me-Uni désormais affaibli. Il arrive que la dont la fracture s’aggrave, entre les pro-euro-
ils pas le drapeau européen ? britannique : l’obsession de cette Global Bri- première ministre britannique soit inutile- péens désespérés qui déferlent dans les rues
Liam Fox, le nouveau ministre pro-Brexit tain empêchera Theresa May de faire valoir ment humiliée. Par exemple ce jour où, de Londres agitant plus de drapeaux bleus
du commerce international, chargé de né- la considérable contrepartie qu’elle a arra- depuis Salzbourg, après le rejet du « plan de étoilés qu’on n’en a jamais vu en Europe, et
gocier des traités de libre-échange avec les chée aux Vingt-Sept, à savoir le maintien du Chequers », une photo est postée sur le les partisans du Brexit, Union Jack au vent,
pays non européens, peut bien affirmer que Royaume-Uni dans l’union douanière. compte Instagram de Donald Tusk, le pré- qui pestent contre la « trahison » du Parle-
« le traité de libre-échange que nous signe- Autrement dit, l’accès au marché unique sident du Conseil européen. On y voit le ment. Un mélange explosif allumé par les
rons avec l’UE sera l’un des plus faciles à sans obligation d’en suivre les règles ni Polonais lui proposer une pâtisserie. « Pas de apprentis sorciers d’un Brexit sans véritable
négocier de toute l’histoire », la vantardise ne contribution au budget de l’UE. cerises sur le gâteau », indique la légende… plan. Une promesse de « reprendre le con-
fait plus illusion. En réalité, la défaite de On s’épuiserait à énumérer les difficultés Comment faire lorsqu’on est à ce point pris trôle » qui dégénère en une mêlée nationale
Theresa May a fait basculer le pays dans une qui surgissent chaque jour au cœur de ce di- entre le marteau et l’enclume ? De sommet et en un cauchemar européen dont per-
zone de turbulences et l’a affaibli face aux vorce impossible. En juillet 2018, Mme May « décisif » en vote « crucial », les plans de sonne n’entrevoit la fin. p
Vingt-Sept. Surtout, les élections ont ag- doit effectuer, sous la pression des Euro- Theresa May sont sans cesse rejetés, soit par raphaëlle bacqué, philippe bernard
gravé une évidence jusque-là soigneuse- péens et dans la confusion, un virage sur l’Europe, soit par la Chambre des commu- (londres, correspondant),
ment masquée : Londres ne sait pas quel l’aile pour débloquer les négociations et dé- nes. Sans compter les démissions de minis- cécile ducourtieux (bruxelles,
Brexit il veut ni ce qu’il veut en faire. sormais envisager un Brexit « doux ». Ce re- tres, les attaques de l’opposition, les citoyens bureau européen)

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