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La saga
BREXIT d’une déchirure Retour sur les temps forts et les protagonistes
d’une crise sans précédent dans l’Union européenne.
Un scénario digne d’une série en trois saisons… au moins
Cahier du « Monde » No 23085 daté Dimanche 31 mars - Lundi 1er avril 2019 - Ne peut être vendu séparément
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DIMANCHE 31 MARS - LUNDI 1ER AVRIL 2019
1.LA BROUILLE
Herman Van Rompuy Nigel Farage (54 ans).
(71 ans). Le Belge, Le fondateur du Parti
ex-président du Conseil pour l’indépendance
européen, a tout fait, au du Royaume-Uni
début des années 2010, (UKIP), dont il a quitté
pour maintenir le la tête en 2016, puis
Royaume-Uni au sein démissionné en 2018,
de l’UE. Il n’a pas cédé a attribué à l’UE la
à David Cameron, qui, responsabilité de tous
en 2012 déjà, réclamait les maux du royaume,
un « nouvel accord » en- chômage compris. La
tre Londres et Bruxelles. gouaille nationaliste de
Van Rompuy a souvent cet ancien financier de
subi les attaques, voire la City l’a rendu popu-
les insultes, du nationa- laire. La décision de
liste anglais Nigel David Cameron d’orga-
Farage, leader du UKIP. niser un référendum a
ANDY RAIN/EFE marqué son triomphe.
GEERT VANDEN WIJNGAERT/AP
D
avid Cameron s’est allongé à d’être, joue avec les sentiments mitigés de
même le sol, en bras de che- ses compatriotes à l’égard de l’UE. Certes, il
mise, la cravate légèrement ne peut pas ignorer le caractère mortifère
dénouée. Ce 19 février 2016, du débat pour les premiers ministres
le premier ministre britan- conservateurs (tories) : ses deux prédéces-
nique négocie depuis vingt- seurs Margaret Thatcher et John Major ont
Le pari dangereux
six heures avec ses partenaires européens à perdu les élections à cause de leurs positions
Bruxelles, et il a profité d’une pause pour sur l’Europe dans les années 1990, et les to-
s’étendre sur la moquette du salon de sa délé- ries ont été écartés du pouvoir pendant
gation. Un mal de dos persistant ne l’a pas treize ans (de 1997 à 2010) au profit du La-
lâché, mais il doit absolument tenir bon et bour. En octobre 2006, lorsque Cameron est
arracher pour son pays de nouvelles excep- parvenu à se hisser à la tête du Parti conser-
de David Cameron
tions aux règles européennes. Sinon, mena- vateur, il a d’ailleurs prévenu les militants :
ce-t-il depuis des mois, il fera campagne pour plus question de faire fuir les électeurs en
sortir de l’Union européenne (UE). « radotant sur l’Europe ».
« Brexit ». Ce mot est encore si peu familier
à l’extérieur du Royaume-Uni que Le Monde TACTICIEN PLUS QUE STRATÈGE
le pare de guillemets et d’une traduction : Mais qu’en pense-t-il vraiment, cet ancien
« British exit, ou sortie de l’UE. » Mais, de d’Eton et d’Oxford, habitué depuis l’enfance
l’autre côté de la Manche, l’idée plane prati- à être dans l’équipe des vainqueurs ? « Je suis
De 2010 à 2016, le chef du gouvernement britannique quement depuis 1973, date de l’entrée du plus eurosceptique que tu ne l’imagines »,
pays dans la Communauté européenne, a-t-il un jour répliqué à Denis MacShane,
joue un rôle majeur dans le processus qui va conduire cette entité que les électeurs du conser- ancien ministre travailliste des affaires euro-
vateur (tory) David Cameron associent sou- péennes, tandis que celui-ci lui conseillait de
ses compatriotes au Brexit. Ce premier volet vent à une « oppression étrangère ». rompre avec l’europhobie qui ronge les
La veille, en arrivant à Bruxelles, « DC » (pro- tories. Certes, « DC » n’est pas de ceux qui
retrace sa stratégie politique, pour le moins sinueuse, noncer « dissi »), comme l’appellent ses colla- suent la haine envers l’UE. Mais c’est un poli-
borateurs, n’a pas lésiné sur les métaphores ticien impulsif, sans véritables convictions,
et ses ambiguïtés vis-à-vis de l’Europe guerrières. A peine descendu de sa Jaguar XJ, sûr de son charisme et de sa bonne étoile.
il s’est élancé vers une forêt de micros en En vérité, s’il n’est pas un antieuropéen
assénant d’un air martial : « Cela va être dur. Je acharné, jamais David Cameron n’a été non
vais me battre pour la Grande-Bretagne. Je plus un fervent défenseur du maintien du
n’accepterai pas d’accord qui ne satisfasse Royaume-Uni dans l’UE. Avant toute chose,
pas nos exigences. » Plus prosaïquement, le c’est un tacticien plus qu’un stratège à lon-
tabloïd The Sun révèle le secret de son éner- gue portée, intéressé par l’économie et les
gie : vingt-trois sachets de bonbons Haribo. marchés, concentré sur ses propres intérêts
Depuis ses débuts en politique, ce grand politiques. Malgré sa promesse de 2006 de
quadragénaire, so british dans sa manière « ne pas radoter sur l’Europe », il a commencé
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à jouer avec l’idée du référendum dès l’an- même. Si l’on écoute ses discours outre- cieux de vendre ses Mercedes et ses Volkswa-
née suivante, bien avant son arrivée au pou- « DC » PENSE AVOIR Manche, il explique qu’il faut programmer gen outre-Manche. Seulement, Angela Mer-
voir. Pour contrer « l’euromaniaque » Tony
Blair, comme on dit chez les tories, il fait
TROUVÉ LA PARADE. un vote populaire sur un divorce pour en
faire un atout dans la négociation euro-
kel a beau être une alliée de Londres sur bien
des points, notamment économiques, elle
cette année-là une « promesse en béton » : IL PEUT PROMETTRE péenne, arracher des concessions et… dans le reste marquée par son parcours personnel.
organiser une consultation nationale sur le même temps empêcher un vote hostile à Pour avoir vécu à l’Est, du temps où son pays
traité de Lisbonne (signé le 13 décem- UN RÉFÉRENDUM, l’UE. « Retenez-moi, ou mes concitoyens était coupé en deux, la chancelière n’a pas la
bre 2007). Ce fameux traité ne reprend-il
pas le principe d’une Constitution euro-
SES PARTENAIRES vont voter pour la rupture que vous redou-
tez », dit-il en substance. Mais il paraît sûr de
nostalgie d’un continent lacéré de frontières.
Contrairement à l’Anglais, elle ne voit pas
péenne tout en évitant une consultation DU LIBDEM ET son fait. D’ailleurs, a-t-il annoncé, le référen- l’Europe comme une simple zone de libre-
populaire, et donc les risques de rejet qu’ont dum sur le Brexit constituera sa promesse- échange. Pas question, à ses yeux, de disso-
vécu, en 2005, la France et les Pays-Bas ? LES TRAVAILLISTES, phare lorsqu’il sollicitera le renouvellement cier les quatre libertés – biens, capitaux, per-
Puis Cameron a oublié son engagement, de son bail aux législatives de 2015. sonnes, services –, pierres angulaires du pro-
arguant que le texte en question a entre- QUI DÉNONCENT De quel côté du référendum entend-il faire jet européen depuis 1957. Pas question, non
temps acquis force juridique. LE BREXIT COMME campagne ? L’électeur britannique l’ignore plus, de maintenir l’accès des Britanniques
L’idée du référendum a ressurgi en octo- encore. Cela dépendra des concessions de l’UE au marché unique s’ils entravent l’entrée des
bre 2011, un an et demi après son arrivée au UN DÉSASTRE, qui seront négociées après sa réélection, lais- travailleurs européens.
10 Downing Street. La crise de l’euro et la se-t-il entendre. Un jour qu’Herman Van Rom-
perspective d’une montée en puissance du L’EMPÊCHERONT DE puy lui rend visite au Chequers, le ravissant NÉGOCIATEUR SATISFAIT
couple franco-allemand font alors craindre
aux Britanniques de nouveaux transferts
TENIR SA PROMESSE château dans le Buckinghamshire qui sert de
villégiature aux premiers ministres du Royau-
D’autres partenaires sont plus hésitants.
« Paradoxalement, il s’agissait des pays visés :
de souveraineté. Quatre-vingt-un députés me-Uni, le président du Conseil européen la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie… témoi-
tories se rebellent contre le gouvernement Depuis que les sondages soulignent les suc- demande : « Mais quelle question comptes-tu gne aujourd’hui François Hollande. Ils ne
Cameron et votent un amendement récla- cès du UKIP, David Cameron se retrouve de poser à tes concitoyens ? » Rompuy, qui garde voulaient pas mettre en difficulté leurs ressor-
mant un référendum sur la sortie de l’UE. plus en plus souvent à lui emboîter le pas. « Je un souvenir cuisant des attaques de Farage, tissants. » Le président français, lui, veut
Quel automne ! « DC » s’en souvient encore. ne pense pas que le statu quo [avec l’UE] soit craint une campagne susceptible de diviser la montrer que l’Europe demeure ferme sur ses
« Bruxelles est comme une force d’occupation acceptable », affirme-t-il ainsi dès 2012, devant société britannique pour longtemps. Came- principes, mais il sait, comme Angela Merkel,
pacifique », accusait le député conservateur la Chambre des communes, en défendant ron semble ignorer toute crainte : « Une fois le que Cameron, pour des raisons de politique
Mark Pritchard en pleine Chambre des com- l’idée d’une renégociation en vue de « moins référendum gagné [sous entendu : en faveur intérieure, « doit montrer qu’il a arraché sym-
munes. Dans cette crise-là, son gouverne- d’Europe, moins de coûts, moins d’ingérence ». du maintien dans l’UE], nous aurons réglé défi- boliquement une concession ».
ment n’a dû son salut qu’au petit parti cen- Le 23 janvier 2013, dans un grand discours pro- nitivement la question européenne au Royau- Celui-ci est encore allongé sur la moquette,
triste Liberal Democrats (LibDem) et à l’op- noncé au siège de l’agence d’informations fi- me-Uni pour les prochaines vingt années. » le visage douloureux, lorsque la chancelière,
position travailliste, favorables à l’Europe. nancières américaine Bloomberg, à Londres, « DC », en politicien né, a un sens aigu de sa souriante dans sa veste rose, frappe à la porte
Depuis, Cameron doit sans cesse resserrer il promet l’organisation d’un référendum survie. Même lorsqu’il est à Bruxelles, il ne de la délégation britannique, voisine de la
les rangs de son propre parti. sur le maintien ou non du Royaume-Uni s’adresse pas à l’Europe, mais à ses électeurs. sienne. « David est-il là ? » Branle-bas de com-
Le premier ministre est d’autant plus at- dans l’UE. « Il est temps pour le peuple britan- Outre-Manche, le UKIP le talonne ? A chaque bat autour de Cameron, qui se relève aussi-
tentif à son aile contestataire qu’il doit nique de s’exprimer, a-t-il lancé. Il est temps sommet européen, il joue les « résistants ». tôt. La suite a été racontée à la BBC par Craig
contrer sur sa droite un rival de plus en plus pour nous de régler la question de la Grande- C’est qu’il pense avoir trouvé la parade. Il Oliver, le directeur de la communication des
hargneux : le Parti pour l’indépendance du Bretagne en Europe. » Un an plus tard, il incri- peut bien promettre un référendum, ses par- Britanniques : « Elle était assise en face de
Royaume-Uni (UKIP). Née en 1993, au lende- minait le « tourisme social » des Européens tenaires du LibDem et les travaillistes, qui nous, concentrée sur le but à atteindre. » Alors
main du traité de Maastricht, cette forma- de l’Est et s’opposait à la libre entrée des dénoncent le Brexit comme un désastre, David Cameron se lance : « Ecoute, il faut que
tion franchement europhobe n’en finit pas Roumains et des Bulgares. l’empêcheront de tenir sa promesse. tu comprennes que, si vous n’acceptez pas la
de progresser au sein même de l’électorat Faut-il qu’il soit convaincant, ce premier mi- moindre de mes demandes, je serai confronté
conservateur. Son leader, Nigel Farage, est un NIGEL FARAGE, « HOMME DE L’ANNÉE » nistre qui joue de l’Europe comme d’un argu- À BRUXELLES, TOUT à un barrage, et ce sera un très sérieux pro-
redoutable bretteur, malin, charismatique et La chose est classique : en courant de la ment de campagne… Aux législatives de blème. » « Barrage ? » Merkel se tourne vers
démagogue en diable. sorte derrière les xénophobes, le premier mai 2015, il triomphe. Avec 37 % des voix, les LE MONDE VEUT ses conseillers : « Que veut dire “barrage” ? »
Chaque fois qu’il le peut, cet ancien cour- ministre conservateur n’a fait que les ren- tories remportent, sous sa direction, leur pre- Et avant que l’un d’eux ait pu l’empêcher de
tier né dans le Kent étrille l’UE et ses repré- forcer. Le 25 mai 2014, le UKIP a raflé 27 % mière éclatante victoire depuis Thatcher. Tout ÉVITER LA GUERRE. faire cette indélicate allusion, Cameron
sentants. Elu au Parlement européen, la
séance où il insultait en pleine assemblée, à
des voix aux élections européennes et
triomphé à la première place, devant les
le problème est que les travaillistes d’Ed Mili-
band et les europhiles lib-dem sont laminés.
IL FAUT « AIDER traduit lui-même : « Blitzkrieg. »
A Bruxelles, cependant, tout le monde veut
Bruxelles, en février 2010, le président du tories et les travaillistes. Des « tartignolles, « J’ai demandé à David Cameron : “Pourquoi DAVID » À MENER éviter la guerre. Il faut, disent les chefs d’Etat
Conseil européen, Herman Van Rompuy, a cinglés et racistes étriqués », c’est ainsi que as-tu décidé ce référendum qui est si dangereux, des vingt-sept autres pays de l’UE, « aider
été largement relayée à la télévision an- Cameron avait décrit le UKIP en arrivant au si stupide ?”, a rapporté à la BBC Donald Tusk, UNE CAMPAGNE David » à mener une campagne victorieuse
glaise. « Il a le charisme d’une serpillière
humide et l’aspect d’un petit guichetier de
pouvoir, en 2010. Désormais, le visage de
Nigel Farage triomphe même en « une » du
alors président du Conseil européen, juste
après la victoire de Cameron. Il m’a répondu
VICTORIEUSE contre un Brexit synonyme de « début de la
désintégration » de l’Union. Le Royaume-Uni
banque », cinglait Farage, tout en accusant ce Times, surmontant un titre qui sonne que l’unique raison était son parti, mais qu’il CONTRE UN BREXIT sera donc autorisé à limiter les indemnités
même Rompuy d’être « l’assassin de la comme une décoration : le quotidien l’a pensait qu’il n’y avait aucun risque, car le réfé- dont peuvent bénéficier les immigrés euro-
démocratie européenne et de toutes les désigné en 2014 « homme de l’année ». rendum serait bloqué par ses partenaires dans SYNONYME DE péens, mais uniquement les nouveaux immi-
nations européennes ». Ce jour-là, le prési- A Bruxelles, les Européens n’ignorent la coalition. Et voilà que, soudain, il n’avait plus grés. En sortant du sommet européen où il a
dent du UKIP a dépassé toutes les bornes en aucun soubresaut de la politique britanni- de partenaires. David est devenu la victime de « DÉBUT DE LA plaidé sa cause, Cameron ne semble plus
affirmant à l’intention du Belge : « Vous que. Farage est une bête noire, mais on sait sa propre victoire. » La reine Elizabeth peut DÉSINTÉGRATION » avoir mal au dos et affiche la mine conqué-
n’avez aucune idée de ce que peut être un que ses diatribes cachent les ambiguïtés plus bien, lors d’un toast au château de Bellevue, à rante du négociateur satisfait. « Je suis
pays uni, tout cela parce que vous venez de profondes et plus anciennes de ses compa- Berlin, en juin 2015, mettre en garde contre « la DE L’UNION convaincu que la Grande-Bretagne sera plus
Belgique, qui est plutôt un non-pays. » L’atta- triotes à l’égard du continent. « Depuis division en Europe » – qu’elle évoque, fait rare en sécurité, plus forte et plus prospère dans une
que lui a valu une amende de 3 000 euros au Guillaume le Conquérant, ce pays n’a jamais pour une Britannique, en ces termes : « notre Union européenne réformée », déclare-t-il en
Parlement européen, mais outre-Manche, été ni envahi ni soumis à un pouvoir autori- continent » –, le piège s’est refermé. salle de presse. « J’ai négocié un accord qui
chaque fois qu’il passe à la télé, ses compa- taire », rappellent les historiens en souli- Voilà, ce sont ces calculs politiques ratés, ces donne au Royaume-Uni un statut spécial dans
triotes sont au spectacle. gnant l’objectif séculaire de la diplomatie de angoisses identitaires qui déchirent son l’UE », claironne-t-il, comme si son pays,
Londres : éviter précisément toute alliance pays, ce fossé grandissant entre la City londo- n’ayant adopté ni l’euro ni les règles de Schen-
DES HISTOIRES D’IMMIGRÉS PROSPÈRES entre Etats du continent. nienne et les 72 % de chômeurs de Rochdale, gen, et bénéficiant d’un rabais sur le budget,
Nigel Farage n’est pas seulement un trublion. Au cœur des institutions européennes, à 20 kilomètres de Manchester, ces quarante n’en disposait pas déjà.
Il est aussi le porte-parole d’un nationalisme les Britanniques sont souvent considérés années à brosser un tableau apocalyptique de Il faut d’ailleurs l’entendre parler de l’Europe
britannique ancien et des peurs de l’époque. comme des enfants gâtés. Mais ils suscitent l’Europe, oui c’est tout cela qui pèse sur les à ses concitoyens : « La Grande-Bretagne ne
L’Europe, les élites et l’immigration, voici ses encore à Bruxelles une forme d’admiration, épaules de Cameron, ce 19 février 2016, alors fera jamais partie d’un super-Etat européen.
bêtes noires. Ce dernier point fait d’ailleurs dont témoigne le culte que les fonctionnaires qu’il tente de soulager son mal de dos, dans Nous participerons aux dispositifs qui sont
des ravages dans les milieux populaires où le de la Commission et du Parlement vouent au les bureaux impersonnels du Conseil euro- bons pour nous, nous exercerons notre
UKIP tente de tailler des croupières à la gau- quotidien Financial Times, leur bible. Depuis péen. Il faut maintenant raconter ce dernier influence sur les décisions qui nous affectent et
che. Dans sa bouche, les immigrés ne sont quelques années, cependant, il n’est pas diffi- baroud avant de plonger vers le référendum. serons en dehors des structures de l’UE qui ne
plus seulement les « pakis », comme les Bri- cile de noter le désengagement des Anglais. sont pas bonnes pour nous : pas dans la politi-
tanniques désignent pêle-mêle les Indiens et « Du temps de Tony Blair, ils avaient été extrê- MUR FRANCO-ALLEMAND que de frontières ouvertes, ni dans celle de
les Pakistanais venus des anciennes colonies. mement actifs à Bruxelles, et cela avait eu un Ce jour-là, donc, les Britanniques affichent renflouement financier, ni dans l’euro. » Et en-
Ce sont ces travailleurs venus des pays de impact très important sur la doctrine économi- l’état d’esprit classique des Britanniques. En core : « Je n’aime pas Bruxelles, j’aime la Grande-
l’Est auxquels Tony Blair a ouvert, en 2004, que européenne notamment, se souvient un substance : « Faisons comme si nous avions Bretagne. Mon job de premier ministre est de
les portes du Royaume-Uni, au moment diplomate auprès de l’UE. Mais, avec Gordon fait rendre gorge à Bruxelles. » De ces négo- faire tout ce qui est en mon pouvoir pour proté-
même ou l’UE votait son élargissement à dix Brown puis David Cameron, ils ont commencé ciations dépendra largement l’atmosphère ger les intérêts de la Grande-Bretagne. » On fait
nouveaux Etats autrefois situés derrière le à se désintéresser de l’UE. Ils ont continué à y de la campagne à venir sur le Brexit, a fait plus enthousiaste à l’égard de l’Europe…
rideau de fer. Cette année-là, la France et défendre leurs services financiers, mais en valoir Cameron. La veille, certaines de ses Le lendemain, de retour à Londres, David
l’Allemagne ont reporté l’accueil des popula- perdant le sens de la proposition. » demandes, purement formelles, n’ont guère Cameron annonce que le référendum aura
tions des nouveaux membres de l’UE. Mais Le « fil » qui permettrait de se comprendre rencontré de résistance : Londres veut être lieu le 23 juin 2016. Les électeurs devront ré-
Londres a accepté la venue de centaines de et d’anticiper les réactions de chacun s’est exempté de la clause du traité de Rome de pondre à cette question : « Should the United
milliers de Polonais et autres ressortissants relâché. Les jeunes diplômés des univer- 1957, prévoyant la construction d’une « union Kingdom remain a member of the European
de l’ex-bloc soviétique, par culture libérale et sités les plus prestigieuses d’Oxford, de sans cesse plus étroite entre les peuples euro- Union or leave the European Union ? » (« Le
pour mieux contrebalancer l’influence du Londres ou d’Edimbourg préfèrent se faire péens », devenue un épouvantail pour les Royaume-Uni doit-il rester membre de
couple franco-allemand. embaucher dans des sociétés d’avocats ou europhobes conservateurs. Mais le trophée l’Union européenne ou quitter l’Union euro-
Depuis la crise financière mondiale de de conseil, où les « jobs » sont bien mieux que « DC » compte décrocher, décisif selon lui péenne ? ») Le premier ministre qui « n’aime
2008, de plus en plus de chômeurs britanni- payés qu’à la Commission. Et puis, il faut pour gagner le référendum, n’a rien de sym- pas Bruxelles mais aime la Grande-Bretagne »
ques dénoncent la concurrence de cette être parfaitement bilingue pour passer les bolique : le Royaume-Uni veut être autorisé, recommande au peuple britannique de voter
main-d’œuvre, omniprésente sur les chan- concours de la fonction publique euro- pendant sept ans, à priver de certaines presta- « Remain », le maintien dans l’UE. Il semble
tiers de construction et dans les restau- péenne, et les Britanniques, en général, tions sociales les « migrants européens ». confiant. Les sondages affichent que trois Bri-
rants. Farage n’a même pas besoin de me- maîtrisent mal les langues étrangères. Bref, Depuis deux ans, le premier ministre an- tanniques sur quatre sont favorables à cette
ner campagne. Les tabloïds n’en finissent le fossé s’est peu à peu creusé. glais revendique une exception britannique consultation populaire. Ils donnent aussi une
pas de raconter des histoires d’immigrés Est-ce pour cela que personne ne com- au principe de libre circulation des tra- courte victoire aux pro-européens. p
prospères à côté de Britanniques appauvris. prend tout à fait, à Bruxelles, où peut mener vailleurs. Chaque fois, il s’est heurté au mur raphaëlle bacqué, philippe bernard
Généralement, leurs éditoriaux désignent ce référendum ? Ou est-ce le fait d’un David franco-allemand… Des Français, il n’en atten- (londres, correspondant)
toujours les mêmes responsables : « les bu- Cameron constamment ambivalent ? La mé- dait pas moins, mais il croyait Berlin plus et cécile ducourtieux (bruxelles,
reaucrates non élus de Bruxelles ». canique qu’il propose est complexe. Tordue, sensible à ses intérêts commerciaux et sou- bureau européen)
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DIMANCHE 31 MARS - LUNDI 1ER AVRIL 2019
Jeremy Corbyn
(69 ans). Eternel militant
de l’extrême gauche
La tiédeur
du Labour, le député
d’Islington (nord
de Londres) s’intéresse
plus à la révolution cha-
viste et à la cause pales-
tinienne qu’à l’Europe.
contre
Propulsé à la tête d’un
parti qui n’a pas voulu
du référendum, assigné
à faire campagne contre
le Brexit dans le même
camp que David Came-
la démagogie
ron, dont il dénonce la
politique d’austérité, il
fait le service minimum.
DARREN STAPLES/REUTERS
Au début de 2016,
les partisans
L
a foule s’est massée devant une
jolie maison, dans le quartier du Brexit se lancent
bobo d’Islington, dans le nord de
Londres. Perchés sur des esca- dans une campagne
beaux, les reporters brandissent
leurs caméras. Au premier rang, acharnée, révélatrice
s’alignent les journalistes vedettes des trois
principales chaînes de télévision nationales. des fractures du
Ce dimanche 21 février 2016, tous les médias
du pays paraissent concentrés sur cette élé- pays. De nouveaux
gante porte noire. La veille, après ses trente
heures de négociations à Bruxelles, le pre- personnages
mier ministre conservateur David Cameron
(DC) a lancé officiellement la campagne pour entrent en scène,
le référendum sur l’Europe, programmé le
23 juin, et le moins que l’on puisse dire est dont Boris Johnson,
que les choses ont mal démarré…
Cent quarante parlementaires de son pro- le fantasque
pre parti et 6 de ses ministres sur 32 ont
annoncé qu’à l’inverse de lui, ils soutien- maire de Londres
draient le Brexit. Ami du couple Cameron, le
secrétaire d’Etat à la justice Michael Gove ne
le suivra pas non plus. « Tu appelles ça un
accord, Dave ? », ironise le Daily Mail, en tisme et l’immigration, d’après lui « facteurs
moquant les acquis contre les migrants de prospérité » ? Or, l’autre grande figure de la
européens que Cameron a présentés campagne en faveur de la sortie du pays de
comme de grandes avancées. Mais celui que l’Europe, le leader du Parti pour l’indépen-
tout le monde attend, devant cette porte dance du Royaume-Uni (UKIP) Nigel Farage,
noire, c’est Boris Johnson, 51 ans, maire de est violemment hostile à l’immigration. Ses
Londres, député et formidable comédien. compatriotes verront bientôt des affiches Boris Johnson Arron Banks
Avec sa tignasse blonde et sa façon d’être montrant des foules déferlantes d’hommes (54 ans). Ancien (53 ans). L’homme
toujours fagoté comme l’as de pique, « Bojo », au teint basané, avec cette citation : « Nous camarade d’études et d’affaires, qui a fait
ainsi que les Anglais le surnomment, est une devons nous libérer de l’Europe et reprendre le de beuverie de David fortune dans les assu-
figure particulière dans les rangs conserva- contrôle de nos frontières. » Cameron à Oxford, rances, a injecté plus
teurs. Un vrai bourgeois-bohème, libéral, Face à Westminster Abbey, au Queen Eliza- maire de Londres de 9 millions d’euros
libertaire, excentrique et populaire. Sur le beth II Centre où la campagne « Leave EU » jusqu’en mai 2016, dans la campagne
papier, il ressemble à David Cameron, dont il (« Quitter l’UE ») dominée par le UKIP tient « Bojo » a toujours voulu « Leave EU » du
a exactement le même parcours scolaire, si justement son premier meeting, Farage a été se mesurer à lui. Le dirigeant d’extrême
typique de la haute société anglaise : à Eton et acclamé en fustigeant l’accord conclu par référendum sur le Brexit droite Nigel Farage.
Oxford, « Bojo » était d’ailleurs l’un des cama- Cameron à Bruxelles. A la tribune, le charis- sera leur ultime bataille. Ses mystérieuses
rades de « DC ». Pour le reste, il peut être beau- matique leader nationaliste insiste : « [L’ac- Entre eux, tous les rencontres avec
coup plus drôle et bien plus dilettante. cord] ne traite pas des principales préoccupa- coups sont permis. Mais l’ambassadeur russe
Son père a longtemps été député européen, tions du peuple britannique : les 55 millions de ces enfants gâtés de la à Londres et l’opacité
écolo avant l’heure, et sa mère est la fille d’un livres [64,5 millions d’euros] que coûte cha- politique ont des points de ses sociétés ont
ancien président de la Commission euro- que jour notre adhésion, et l’incapacité [de communs, dont le mené la commission
péenne des droits de l’homme. Cela ne l’a l’UE] à contrôler les migrations ! » Sa campa- cynisme sans borne et électorale à émettre
pas rendu europhile pour autant. Margaret gne s’annonce très à droite. Dans le public, l’ambition dévorante ne des doutes sur
Thatcher adorait les articles grinçants contre Le Monde a noté la présence de bon nombre sont pas les moindres. l’origine de ses dons.
Bruxelles qu’il écrivait à ses débuts comme d’électeurs tories (conservateurs). PAUL HACKETT/REUTERS STEVE BELL/SHUTTERSTOCK/
journaliste. Dans le Telegraph de la fin des SIPA
années 1980, il a lancé la mode de l’euro- LE DUO JOHNSON-FARAGE RATISSE LARGE
phobie militante qui a fait florès dans les ta- Avec le duo Johnson-Farage, les pro-Brexit
bloïds, mensonges grossiers inclus. A la tête tiennent deux têtes d’affiche qui vont per-
de la mairie de Londres, ses initiatives, mettre de ratisser large dans l’électorat en brillant, et probablement un peu des trois », des logiciels permettant de cibler les groupes
notamment en faveur des financiers de la empruntant deux chemins parallèles : l’un notait en 2013 le journaliste du Guardian Pa- d’électeurs potentiels et d’adapter en temps
City, l’ont classé parmi les libéraux intransi- respectable et axé sur le retour à la souve- trick Wintour, en intitulant déjà son portrait réel à chacun les messages adressés par
geants. Il est imprévisible, endurant (il a raineté britannique et les opportunités éco- « Dominic Cummings, génie ou menace »… Facebook ou Twitter. AggregateIQ travaille
survécu à plusieurs scandales) et fantasque. nomiques du Brexit (la campagne « Vote Son arrivée dans l’équipe « Vote Leave » est de la même façon que Cambridge Analytica,
Les journalistes qui patientent dans le froid Leave » de Johnson, « Votez pour la sortie ») ; en tout cas remarquée. C’est lui qui a imaginé la société anglaise recrutée par l’équipe de
d’Islington, ce dimanche d’hiver, savent que l’autre extrémiste et obsédé par l’équation le slogan, « Take back control » (« Reprenez le « Leave. EU » de Farage. C’est la première fois,
ses déclarations feront sensation. UE = libre circulation = immigration (la contrôle »). Bien au-delà de la question euro- au Royaume-Uni, qu’une campagne poli-
campagne « Leave. EU » de Farage). péenne, la formule résume les angoisses tique est aussi active sur le Web. Personne ne
UN DOUBLE DÉFI À DAVID CAMERON « Bojo », qui aime rappeler son ascendance identitaires, la peur de la mondialisation, la sait encore que Cambridge Analytica et
La porte s’ouvre. « Bojo » apparaît… Costume turque, est bien décidé à ne pas apparaître aux défiance à l’égard des élites, et le sentiment AggregateIQ ont pour actionnaire l’homme
sombre à peu près repassé, cravate de soie côtés de « Nigel » dont la xénophobie est, avec très anglais d’une dépossession par Bruxelles d’affaires américain Robert Mercer, un ultra-
verte et cheveux bien coiffés, il s’est fait une l’europhobie, le fonds de commerce. Le maire du Parlement de Westminster. Elle évacue LE PRINCIPAL ALLIÉ conservateur qui finance déjà la campagne
allure d’enfant sage. « La dernière chose que je
voulais était d’aller contre David Cameron et
de Londres part avec une longueur d’avance
puisque la commission électorale a choisi sa
également la peur du chaos que s’acharnent
à décrire les remainers, autrement dit les par-
DU TORY CAMERON en cours de Donald Trump, aux Etats-Unis.
Mais quoi qu’il en soit, grâce aux logiciels,
le gouvernement », assure-t-il sur le perron de campagne, animée par des conservateurs tisans du maintien dans l’UE. SE TROUVE ÊTRE les brexiters ont une avance indéniable sur
sa maison. Puis, il lance aux caméras ce mes- eurosceptiques, comme organe officiel du Cummings a aussi rédigé le vade-mecum les réseaux sociaux.
sage qu’elles ont déjà deviné : « Je ferai cam- vote « out ». A la clé : subventions publiques et distribué aux militants de « Vote Leave » : LE TRAVAILLISTE Le camp des adversaires du Brexit fonc-
pagne pour sortir de l’Union européenne. » Ce
look inhabituel, c’est sa façon subliminale de
plafond élevé de dépenses de campagne. Mais
la campagne de Nigel Farage, qui repose prin-
« Ne parlez pas d’immigration », « Parlez de
ce que nous coûte l’Europe ». Pour la partie
JEREMY CORBYN, tionne plus classiquement. Si les partisans
de la sortie suivent deux chemins parallèles
signifier le double défi qu’il vient de lancer à cipalement sur les militants du UKIP, bénéfi- visible, des bus rouges sillonnent le pays LE CONTEMPTEUR (Johnson et Farage), les pro-« Remain » font
son « ami » Cameron : en cas de succès, il en- cie des larges poches d’Arron Banks, un mil- avec ce raccourci saisissant peint sur la car- cause commune. On trouve parmi eux des
tend prendre le leadership du Parti conser- liardaire provocateur, ex-grand donateur des rosserie : « We send the EU £350 millions a EN CHEF militants conservateurs, des travaillistes et
vateur et lui succéder au 10 Downing Street. tories avant son passage au UKIP, dont l’ori- week. Let’s fund our NHS instead » (« Nous des membres du LibDem, des Verts, mais
Humiliation supplémentaire pour le pre- gine de la fortune est floue mais qui a mis envoyons 350 millions de livres chaque se- DE LA POLITIQUE aussi des Ecossais et des Gallois. Le seul pro-
mier ministre : Boris Johnson ne l’a informé quelque 8 millions de livres (9,4 millions maine à l’Europe. Donnons-les plutôt au D’AUSTÉRITÉ DES blème est que leur bête noire n’a toujours eu
de sa décision que par un laconique SMS, d’euros) dans les caisses juste avant l’entrée en NHS », ce système de santé entièrement gra- qu’un nom :les tories. C’est tout le paradoxe
neuf minutes avant sa déclaration à la presse. vigueur de la règle plafonnant les dons. tuit que les Britanniques de tous bords CONSERVATEURS… de la situation : cette campagne divise les
En confidence, « Bojo » assure avoir beau- Boris Johnson garde donc ses distances et vénèrent). Qu’importe que la somme affi- partis de l’intérieur et rebâtit des alliances
coup tergiversé. « J’ai tourné dans tous les sens compte sur un stratège plus cérébral mais chée ne tienne compte ni du rabais consenti improbables. Le principal allié de Cameron
comme un chariot de supermarché », dit-il. non moins décoiffant : Dominic Cummings. au Royaume-Uni depuis Margaret Thatcher se trouve ainsi être le travailliste Jeremy
Il est vrai que la campagne en faveur du « Un psychopathe de carrière », disait de lui ni des aides européennes perçues. Corbyn, le contempteur en chef de la politique
Brexit recèle déjà quelques complications David Cameron lorsque Cummings conseil- Pour la partie invisible, « Vote Leave » a passé d’austérité des conservateurs…
pour lui. Son passé d’europhobe enragé est lait encore Michael Gove au ministère de un accord avec AggregateIQ , une société ca- Corbyn n’exècre pas seulement les tories. A
un gage de sincérité vis-à-vis des partisans l’éducation. Quadragénaire ombrageux et co- nadienne de conseil politique et de technolo- 66 ans, ce vétéran du Labour, député depuis
de la sortie de l’UE, mais ne magnifie-t-il pas, lérique, ultralibéral et europhobe, Cummings gie. Son patron, Zack Massingham, un trente- 1983, a toujours considéré l’UE comme un
en tant que maire de Londres, le cosmopoli- est insaisissable. « Il est soit fou, soit nul, soit naire expert en marketing numérique, utilise club de capitalistes fossoyeurs des droits des
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DIMANCHE 31 MARS - LUNDI 1ER AVRIL 2019 brexit, la saga d’une déchirure | 5
Dominic Cummings
A
partir de maintenant, l’his-
toire va balancer entre Sha-
kespeare, les Monty Python
et la série américaine House
of Cards. Un tumulte effarant
et tragique. Des scènes de
comédie grotesques. Beaucoup de cynisme
3.LE CHAOS
et d’illusions perdues.
Plongeons d’abord du côté britannique, où
le résultat du référendum a saisi toute la
population. Le premier ministre, David Theresa May
Cameron, jette l’éponge, la livre sterling (62 ans). Dès son
dévisse. Les brexiters, eux, ont dessoûlé en arrivée à la tête du
quelques heures. Même Boris Johnson, l’un gouvernement, à l’été
de leurs chefs de file, a perdu son sourire de 2016, la chef de file
trublion. Dès l’annonce des résultats, le ven- du parti conservateur
dredi 24 juin 2016, une centaine de person- incarne, aux yeux
nes se sont rassemblées devant sa maison du monde, la volonté
d’Islington en hurlant « Honte à vous ! », du Royaume-Uni
« Vous allez le payer ! » Depuis, on ne voit plus de sortir de l’Union
l’ex-maire de Londres, comme si l’ardent pro- européenne.
moteur du « Take back control » (« Reprenez
le contrôle ») ne contrôlait plus rien. Jean-Claude
La logique voudrait pourtant qu’il succède Juncker (64 ans). Bête
à Cameron au 10 Downing Street. Le week- noire des médias bri-
end, il a d’ailleurs reçu quelques députés tanniques, le président
dans sa propriété de l’Oxfordshire, entre de la Commission
deux parties de cricket disputées en costume européenne a occupé
blanc. Mais on le sent perdu. Dans sa chroni- les avant-postes du-
que hebdomadaire au Telegraph, pour la- rant la crise de la zone
quelle il perçoit près de 311 000 euros par an, euro. Artisan du main-
n’assure-t-il pas contre toute évidence que tien de la Grèce dans
« le Royaume-Uni fait partie de l’Europe » et l’eurozone, il répétera
qu’il continuera à avoir accès au marché uni- sa « tristesse » de voir
que ? Son entourage n’en fait pas mystère : la partir le Royaume-Uni,
victoire inattendue du Brexit a été un choc et tentera de maintenir
pour lui, surtout lorsqu’il a réalisé qu’allait un « agenda positif »
lui échoir la responsabilité d’orchestrer la pour les Vingt-Sept,
sortie de l’Union européenne… afin de prouver
Le 30 juin, il se décide tout de même à par- que l’UE peut avancer
ler aux électeurs. Le lieu a son importance : le malgré le Brexit.
St. Ermin’s Hotel, l’un des QG de guerre de YVES HERMAN/REUTERS
Churchill, son modèle. La presse, présente en
masse, pense assister au lancement de sa
candidature à la succession de M. Cameron.
« Bojo » n’a-t-il pas discipliné sa coiffure,
comme à chaque fois qu’il doit prétendre à
une haute responsabilité ? Après avoir énu-
Londres et Bruxelles
méré les tâches du futur premier ministre, il
livre une conclusion déroutante : « Je dois
vous dire, mes amis (…), que cette personne
ne peut pas être moi. » Les conservateurs
europhobes viennent de perdre leur leader.
Le nationaliste Nigel Farage (UKIP) affiche