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Le Code civil de Louisiane en français: traduction et retraduction

Olivier Moréteau

Louisiana State University Law Center, Baton Rouge, États-Unis

moreteau@lsu.edu

À la mémoire de Ti-Jean Hernandez,


Ami passionné de la francophonie

À paraître/Forthcoming

INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014

REVUE INTERNATIONALE DE SÉMIOTIQUE JURIDIQUE, 2014

The final publication is available at Springer via http://dx.doi.org/10.1007/s11196-014-9391-8

RÉSUMÉ

Les premiers codes de Louisiane (1808 et 1825) furent rédigés en français et traduits en anglais.
À l’occasion de la révision de 1870, le Code civil fut publié en anglais seulement. Les révisions
récentes, bien sûr en anglais, veillent à promouvoir un vocabulaire civiliste qui se distingue de
celui de la common law. Cet article discute le travail de traduction du Code civil de Louisiane de
l’anglais vers le français dans le contexte du profond déclin et d’un réveil limité de la
francophonie en Louisiane. Il explore l’intérêt du projet et sa mise en œuvre, détaillant chaque
étape et identifiant les difficultés linguistiques et juridiques, ainsi que les ressources utilisées.
L’objectif étant de produire une traduction authentiquement louisianaise, la traduction remonte
aux sources françaises originelles chaque fois que le texte a peu évolué ou a été reproduit, afin de
retrouver la lettre des origines, dans un processus de retraduction. Lorsque les textes ont été
substantiellement réécrits mais restent dans la logique et la stylistique du système civiliste, la
traduction se veut fidèle à l’esprit des origines. En revanche, lorsque le législateur emprunte la
substance et le style de la common law, comme il le fait parfois, la lettre surabondante vient tuer
l’esprit civiliste qui peine alors à vitaliser la traduction.

ABSTRACT

The first codes of Louisiana (1808 and 1825) were written in French and translated into English.
The revised Civil Code of 1870 was written in English only. Recent revisions, all in English, aim
at promoting a civilian vocabulary, markedly distinct from the common law vocabulary. This
article discusses the translation of the Louisiana Civil Code from English into French in the
context of the steep decline and limited revival of French language usage in Louisiana. It features
the purpose and the step-by-step implementation of the translation project, identifying linguistic
and legal challenges and resources relied on. The aim is to produce a truly Louisianan
translation. Translators therefore resort to original French sources whenever the text has not
sligthly evolved or was simply reproduced. The process may then be described as retranslation,
aiming at reviving the original language. Where texts have been substantially rewritten, yet still
reflect civilian logic and style, the translation aims at echoing the spirit of the Code. However, in
the several occasions where the drafters borrowed common law substance and style, the civilian
spirit may no longer vivify the translation, as it is obscured by an overabundance of language.

MOTS-CLÉS/KEY WORDS

Code civil, Louisiane, Traduction, Anglais, Français

Civil Code, Louisiana, Translation, English, French

L’histoire jurilinguistique de la Louisiane est singulière. Le 18e état des États-Unis, admis dans
l’Union il y a deux cents ans, en 1812, neuf ans après la cession de la Louisiane par la France, a
connu un Code civil rédigé en français et traduit en anglais, pour être publié en la forme d’un
Digeste bilingue des lois civiles (1808), avant d’être réécrit de la même façon pour devenir un
Code civil bilingue en 1825. Entièrement révisé en 1870, le texte fut publié en anglais seulement.
Révisé titre par titre au cours des récentes décennies, le Code civil n’a plus connu de version
française jusqu’à une période toute récente. Le travail de traduction commenté dans cet article
est un vrai travail de traduction, puisqu’il s’agit de traduire de l’anglais vers le français tous les
nouveaux développements, qui n’existaient pas dans les versions françaises d’origine. Il est aussi
un travail de retraduction, au moins pour les parties du texte remontant à 1825 ou 1808, l’anglais
actuel n’étant autre chose que le produit dérivé d’une traduction du français vers l’anglais.

La Louisiane fut la première région au monde à se doter d’un Code civil dans la foulée de
la codification française, et ce fut le premier code civil de l’hémisphère occidental. Ce premier
code bilingue fut adopté dans un territoire encore largement monolingue. Rédigé en français, le
code fut traduit en anglais et promulgué dans les deux langues, de manière à être accessible aux
Américains anglophones émigrants en nombre vers La Nouvelle-Orléans à la suite de la cession
du territoire par la France aux États-Unis en 1803. À l’issue de la Guerre de Sécession, alors que
la Louisiane était devenue bilingue, le monolinguisme fut imposé, le Code civil étant réécrit en
anglais seulement lors de la grande révision de 1870. La Louisiane a largement perdu la langue
française, tout en conservant le droit civil qu’elle pratique en anglais.

La première partie de cet article explique le passage d’un code bilingue pour une
Louisiane largement monolingue à un code monolingue pour une Louisiane devenue bilingue, ce

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qui est une évolution pour le moins paradoxale. La deuxième partie cherche à vérifier si le projet
de (re)traduire le Code civil louisianais de l’anglais vers le français marque ou non un retour vers
le bilinguisme.

Le projet de traduction et de retraduction du Code civil de Louisiane en français, entrepris par le


Centre de droit civil de la Louisiana State University (LSU), rendra le Code davantage accessible
à une minorité francophone devenue bilingue, car il n’est plus possible aujourd’hui de participer
à la vie économique et sociale louisianaise sans la pratique de l’anglais. Parler d’un retour au
bilinguisme afin de promouvoir les droits d’une minorité linguistique serait excessif, le discours
institutionnel sur la francophonie en Louisiane mettant plutôt l’accent sur les finalités culturelles,
économiques et touristiques1. Même si elle est saluée par les francophones de Louisiane, et
notamment par les membres de la section francophone du Barreau de l’état, la traduction du
Code en français aura un impact local limité, du fait de la pratique aujourd’hui universelle de
l’anglais en Louisiane.

Sans prétendre à l’ampleur de l’expérience canadienne, la Louisiane contribue de manière


significative à la traduction de textes juridiques. Les efforts de traduction consentis par l’état
allaient jusqu’ici dans le sens de la traduction de textes français vers l’anglais, au XIXe siècle par
la traduction des codes rédigés en français, puis au XXe siècle par celle de monuments de la
littérature juridique française contemporaine, afin de nourrir la pensée des civilistes louisianais.
Le présent projet conduit au XXIe siècle va à rebours des travaux de traduction jusqu’ici
entrepris en Louisiane : la traduction va cette fois de l’anglais vers le français. C’est ce travail en
cours qui vient alimenter la réflexion conduite dans cet article, dont la troisième partie offre un
pré inventaire de qui traduit quoi en Louisiane.

Contrairement à l’usage, il est demandé au maître d’œuvre de commenter son travail.


N’est-ce pas prendre le risque de le voir soumettre un manifeste, un ouvrage de propagande ? Si
l’auteur s’attache à défendre son projet, il tient avant tout à livrer une série de réflexions qui
faciliteront le travail des critiques et des commentateurs. À cette fin, il retrace l’odyssée de la
langue française et de la tradition civiliste en Louisiane, et replace le projet dans le contexte des
traductions louisianaises.

1
Le site du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL, <www.codofil.org>, consulté le 22
octobre 2012) affiche le texte suivant: « D’après le recensement de 1990, à peu près 250,000 louisianais ont répondu
que le français était la langue principale parlée chez eux. Le recensement de 2000 montre 198,784 francophones
louisianais qui ont plus de 5 ans, incluant 4,470 personnes qui parlent le français Créole. Le Conseil pour le
développement du français en Louisiane a été créé en 1968 par un acte de la législature. L’objectif de cet acte était
de préserver ce noyau de francophones qui existait déjà en Louisiane. D'après l'Acte 409, le Gouverneur de
Louisiane a «…le pouvoir d'établir le Conseil pour le Développement du Français Louisianais, telle agence de
consister en 50 membres maximum, y compris le Chef...». Le CODOFIL a le pouvoir de « faire tout ce qui est
nécessaire pour encourager le développement, l'utilisation et la préservation du français tel qu'il existe en Louisiane
pour le plus grand bien culturel, économique et touristique pour l'état ». Par la suite, le nom de l'agence est devenu le
Conseil pour le Développement du Français en Louisiane. »

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Le Code civil louisianais tel qu’il se présente en 2014 a été modifié à plus de 75%. Trois
types de dispositions peuvent être identifiés, et c’est autour de cette trilogie que s’organisent les
premières réflexions d’un (re)traducteur, dans la quatrième partie de l’article. Il y a tout d’abord
des dispositions qui n’ont pas été retouchées ou l’ont été de manière minime. Les traducteurs se
doivent alors d’être fidèles à la lettre et de faire revivre le français d’origine, en évitant autant
que possible de retraduire. Il y a ensuite les articles qui ont été réécrits, souvent pour faciliter la
convergence avec la common law des autres états de l’Union, les rédacteurs restant toutefois
dans la logique de la tradition civiliste. Les traducteurs se doivent d’en respecter l’esprit, qui
souffle dans la clarté et la concision. Il y a enfin des dispositions directement inspirées de la
législation ou de la jurisprudence des autres états. Non seulement elles sont de common law en
substance, mais aussi par la forme, ce qui les fait ressembler à des statutes plutôt qu’à des
articles du Code civil. N’imprégnant plus le texte de départ, l’esprit du droit civil peine alors à
survivre et l’on voit mal comment il pourrait vivifier le travail de traduction.

1. Du code bilingue en Louisiane largement monolingue au code monolingue en


Louisiane bilingue

La Louisiane ne fut que brièvement française (1.1), ce qui n’empêcha pas la francophonie de
prospérer jusqu’à la cession de 1803 et au-delà, jusqu’à se matérialiser dans deux codes civils
promulgués en 1808 et 1825 en français et en anglais (1.2). Les révisions de 1870 et du XXe
siècle furent en revanche monolingues, alors que la Louisiane était encore largement bilingue
(1.3).

1.1. La Louisiane française, une brève histoire

En 1682, Cavelier de la Salle prenait possession de la Louisiane au nom du roi Louis XIV [15 ;
16]. À compter de 1699, la France prenait politiquement le contrôle d’immenses territoires, allant
des Grands Lacs au Golfe du Mexique et s’étirant jusqu’aux Montagnes Rocheuses. Le droit
français fut introduit il y a trois siècles, par une lettre patente signée en 1712 par le roi Louis XIV
[24 : 325]. La Nouvelle-Orléans, fondée en 1718, allait devenir le plus grand port de
l’hémisphère occidental. Par le Traité de Fontainebleau en 1762, à la fin de la Guerre de Sept
Ans, la France abandonnait la Louisiane à l’Espagne. En 1769, le droit français fut officiellement
remplacé par le droit espagnol. L’Espagne retourna la Louisiane à la France en 1800. À peine
redevenue française (Napoléon Bonaparte n’en prit possession que pendant vingt jours, sans
rétablir le droit français), la Louisiane fut cédée aux États-Unis en 1803.

Aussitôt après la cession de la Louisiane, le droit civil fut maintenu, dans la mesure où il
était compatible avec la Constitution des États-Unis (Acte du Congrès de 1804). Le Territoire
d’Orléans, qui allait devenir en 1812 l’état de Louisiane, fut séparé du reste des territoires
vendus, avec à sa tête un gouverneur, Clairborne, et un Conseil législatif de treize membres,
nommés par le Président des États-Unis. La rédaction d’un code civil fut confiée, en 1806, à

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James Brown et Louis Moreau-Lislet [17], deux juristes éminents, parlant le français et
l’espagnol. En l’espace de deux ans ils produisirent un Code civil, rebaptisé Digeste au moment
de sa promulgation [29 : 10-15 ; 24 : 325].

1.2. La codification de 1808 et 1825 : les premiers codes bilingues

Le Digeste des lois civiles actuellement en force dans le territoire d'Orléans fut promulgué le 31
mars 1808 et publié en édition bilingue, avec le texte anglais sur la page de gauche et le français
sur celle de droite2. Bien que le texte fût rédigé en français et traduit hâtivement en anglais, la loi
de promulgation plaçait les deux versions sur un pied d’égalité, sans doute pour rassurer les
nouveaux immigrants. Bien qu’organisé comme un code, le texte est appelé digeste car il ne
remplace pas le droit préexistant. Le droit espagnol applicable avant la cession restait en vigueur,
la loi ne l’abrogeant que sur les points où il était contredit par le Digeste. Ainsi, lorsque les juges
avaient connaissance de réponses plus détaillées provenant des compilations espagnoles ou du
droit romain, ils appliquaient les textes historiques, sauf à être convaincus d’une contradiction
entre le texte du Digeste et les textes antérieurs3. Cela donnait lieu à des débats complexes,
contraires à la finalité du Digeste, qui était de clarifier le droit et de mettre fin à la nécessité de
connaître des langues étrangères, dont le latin, pour pratiquer le droit en Louisiane.

Outre le fait que cette discussion prouve l’origine espagnole du Digeste, elle explique
l’état de confusion régnant en Louisiane dans les années suivant cette première tentative de
codification. Il n’était nullement dans l’intention du législateur de rompre avec le passé, raison
pour laquelle l’ancien droit n’avait pas été abrogé, contrairement à ce qui avait été fait en France.
Il en résulta une deuxième codification, le Code civil de 1825 abrogeant l’ancien droit pour les
matières régies par son texte (art. 3521).

Les textes de 1808 et 1825 sont relativement proches et la structure reste celle empruntée
au Code civil des Français. Le plan du Code français fut adopté car il reflétait celui des Institutes
de Gaius et donc la tradition civiliste. La substance des articles a été empruntée ou reprise,
chaque fois que le Code français ou son projet offrait une solution semblable à celle du droit
espagnol [32 ; 37 : 313], ce qui fait du Code louisianais « une fille espagnole en robe française »
[33 : 303]. En revanche, sur les points de divergence, les solutions espagnoles sont reprises,
comme en matière d’aliments, de quarte du conjoint pauvre et de régimes matrimoniaux. Le
recours au droit espagnol durant la période du Digeste prouve cette continuité historique, qui
permet de dire que le code louisianais fut historiquement la première codification du droit

2
Le Digeste est accessible en ligne, sur le site du LSU Law Center <www.law.lsu.edu/digest> consulté le 25 août
2014. Le texte original en français et la traduction en anglais peuvent être vus séparément ou conjointement sur le
même écran. Les deux versions ont été dactylographiées à partir de la première édition de 1808, imprimée à La
Nouvelle-Orléans par Bradford & Anderson. La formulation et l'orthographe de l'époque ont été scrupuleusement
respectées, seules les fautes de frappe évidentes ayant été éliminées. Ce projet, conduit par le Centre de droit civil à
LSU, a marqué la commémoration du bicentenaire de la codification louisianaise, en 2008.
3
Cottin v. Cottin, 5 Martin (O.S.) 93 (1817).

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espagnol [19 : 1104]. Les sources espagnoles étaient tellement citées qu’elles durent être
traduites en anglais [17 ;13 : 100-108].

Le résultat est à la hauteur de la créolisation de la culture louisianaise, avec une


codification du droit espagnol offerte en langue française et en langue anglaise, à une population
très majoritairement francophone, mais pratiquant aussi l’espagnol, l’anglais et le créole.

1.3. Les révisions de 1870 et du XXe siècle : la fin du bilinguisme

À la suite de l’abolition de l’esclavage, le Code civil de 1825 fut substantiellement modifié. La


révision fut confiée à John Ray, qui connaissait bien non seulement le Code, mais aussi
l’ensemble de la législation et de la jurisprudence [35]. La législation ultérieure fut intégrée dans
le code, dont la structure demeura inchangée. La qualité de l’anglais fut améliorée, les erreurs,
nombreuses dans la traduction anglaise de 1825, étant pour la plupart corrigées. Il en résulta une
version anglaise de meilleure facture, reflétant l’acquis de trois générations de pratique du droit
civil en anglais dans la Louisiane états-unienne, sujet qu’il serait intéressant d’étudier dans une
perspective jurilinguistique. Cependant, les progrès de la version anglaise furent faits au prix de
l’abandon de la version française.

Comment expliquer l’abandon du français alors que la Louisiane restait largement


francophone ? La question a bien sûr retenu l’attention des juristes, mais elle est d’ordre
historique et culturel. Les juristes constatent que le législateur aurait tiré des conclusions de
« l’effacement de la langue et de la culture juridique françaises » [39 : lix]. Après la Guerre de
Sécession, l’usage de l’anglais était devenu presque universel dans la vie politique, juridique et
administrative. La citation des sources françaises et espagnoles avait connu un tel déclin que
d’aucuns prônèrent l’abandon pur et simple de la tradition civiliste, proposant d’utiliser le Code
civil comme un simple statute, un acte législatif à interpréter sur la toile de fond de la common
law [39 : lix].

De manière générale, la suprématie de l’anglais fut imposée à une population encore très
largement francophone. Tout comme en France où l’école laïque et obligatoire a écrasé la
pratique des langues régionales, la scolarisation des jeunes Louisianais, obligatoire à partir de
1916, se faisait en anglais. Le climat n’était pas à l’émergence des droits linguistiques, concept
alors inconnu4, mais plutôt à leur déclin. Ce fut particulièrement le cas en milieu cajun, où
beaucoup de familles abandonnèrent la pratique du français, espérant favoriser l’intégration de
leurs enfants dans la société américaine. L’évolution des constitutions louisianaises reflète cette
évolution.

La Constitution originelle de 1812, rédigée en anglais et en français, rendait obligatoire la


publication des lois en anglais (art. 6 (15)), sans imposer de rédaction française, ce qui révèle un

4
La Déclaration universelle des droits linguistiques ne date que de 1996 et on ne saurait trouver en Louisiane
d’équivalent à l’article 16 de la Charte canadienne des droits et libertés.

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effondrement inattendu du français [29 : 16-18]. La Constitution de 1845 imposait le bilinguisme
pour la rédaction des lois et de la constitution (art. 132). Celle de 1852 imposait l’anglais (art.
100), tout en autorisant l’usage du français dans les débats législatifs (art. 101). Les dispositions
en faveur du français disparurent avec la Constitution sécessionniste de 1864. Une disposition
négative apparut dans la Constitution de 1868, à l’issue de la guerre civile. L’article 109 imposait
l’usage de l’anglais pour la rédaction des lois et les débats législatifs et judiciaires ; il interdisait
l’imposition par la loi d’une langue autre que l’anglais dans les procédures judiciaires. Cette
disposition était en vigueur quand le Code civil de 1870 fut promulgué.

L’interdiction du français fut levée par la Constitution de 1879, dont l’article 154
autorisait, sans l’imposer, la publication des lois en français, de même que l’usage de cette
langue pour les annonces judiciaires dans certaines villes. L'article 226 prescrivait la langue
anglaise dans les écoles primaires tout en autorisant l'enseignement en français dans les paroisses
où le français prédomine, « à la condition qu'il n'en résulte aucuns frais supplémentaires »,
formule qui fut reprise dans les constitutions de 1898 (art. 251) et 1913 (art. 248). Le cri de
bataille de Theodore Roosevelt, « one nation, one people, one language » devint réalité en
Louisiane. La Constitution de 1921 ne fait plus référence au français mais impose l’usage de
l’anglais (art. 12(12)).

Il fallut attendre la constitution actuelle pour assister à une timide reconnaissance


officielle des droits linguistiques. La Constitution de 1974 précise que « le droit du peuple de
préserver, encourager et promouvoir ses origines historiques, culturelles et linguistiques, est
reconnu » (art. 12(4)). Un Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL)
fut fondé en 1968, pour favoriser l’enseignement de la langue française comme deuxième langue
et l’enseignement en français dans des programmes d’immersion5.

S’agissant du travail législatif, il reste exclusivement produit dans la langue anglaise, que
ce soit au stade des débats ou à celui de la publication de la loi. La révision du Code civil
commença dans les années 1970, pour se poursuivre sur plusieurs dizaines d’années. La révision
est préparée par le Louisiana State Law Institute, qui fut créé en 1938 pour notamment
« promouvoir et encourager la clarification et la simplification du droit louisianais ainsi que sa
meilleure adaptation aux besoins sociaux du moment » [Loi no 166 du 2 juillet 1938 ; 3 ; 4 :
85]. Il fut choisi de réviser le code titre par titre plutôt que de s’engager dans une simple révision
linguistique et mise à jour, ou encore procéder à une révision structurelle équivalente à une
recodification. Plus de 70% du Code avait été révisé il y a sept ans [20: 1118], le travail arrivant
bientôt à son terme. La révision a mobilisé au fil des ans des dizaines de rapporteurs et des
centaines de membres du Louisiana State Law Institute, professeurs, juges et avocats, travaillant
dans les comités. Une fois achevé et approuvé par le Conseil de l’Institut, chaque avant-projet est
soumis à la discussion et au vote des assemblées législatives.

5
<www.codofil.org>, consulté le 22 octobre 2012.

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Chaque fois que les juges interprètent des dispositions contemporaines dont l’origine peut
être retracée jusqu’au Code de 1825 ou au Digeste de 1808, ils font prévaloir la version
française. Ils ne sont plus liés par la loi du 31 mars 1808 qui plaçait les deux versions
linguistiques sur un pied d’égalité. Dans un arrêt remarqué6, un juge fédéral insista sur la
nécessité d’aborder le texte comme un code et non un statute [18: 341-342]. Il cita les sources
historiques et la jurisprudence constante de la Cour suprême de Louisiane, qui avant et après le
Code civil de 1870, déclare que le texte français doit toujours prévaloir7.

2. La traduction du XXIe siècle : un retour au bilinguisme ?

En même temps que la francophonie que l’on disait moribonde reprend vie (2.1), la Louisiane
contribue à la production d’un patrimoine jurilinguistique singulier en développant un
vocabulaire du droit civil en anglais qui reste très français (2.2).

2.1. Le réveil de la francophonie en Louisiane

Pendant que les Acadiens et les Québécois luttaient avec succès en vue de la défense et de la
promotion de la francophonie, la Louisiane la laissait dépérir ou survivre à l’état de folklore. La
création du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL) en 1968
marqua un réveil et l’identité linguistique fut reconnue dans la Constitution de 1974.
L’enseignement du français est aujourd’hui encouragé, de même que le développement de
programmes d’immersion.

Cajuns et créoles ont beaucoup contribué au réveil de la francophonie. Zacharie Richard


la fait revivre en chanson, le Festival international de Louisiane et le Festival acadien et créole
faisant deux fois par an de Lafayette une ville phare de la musique francophone. Barry Jean
Ancelet, connu pour ses travaux sur la littérature orale en Louisiane francophone, travaille sur les
liens entre la langue et la culture [1]. À LSU, un Centre d’études françaises et francophones
développe l’interdisciplinarité dans les études francophones, en liaison avec la francophonie
officielle. J’enseigne depuis 2010 un cours en français (introduction au droit français) au LSU
Law Center, ouvert également aux étudiants de maîtrise du Département de français. Amanda
Lafleur contribue pour la Louisiane à la Base de données lexicographiques panfrancophone8,
créée sous l’égide de l’AUF. Des dictionnaires ont été publiés, dont un remarquable Dictionary
of Louisiana French [38].

Le langage juridique n’est pas totalement absent de ce dictionnaire paru en 2009, où l’on
trouve « avocasser » (dans le sens de plaider une cause) et les expressions « ça prend pas un
avocat » (c’est évident) ou « t’es pas proche un avocat » (tu n’es pas aussi intelligent que tu le
crois). La « maison de cour » est un calque intéressant de courthouse, et le seul mot qui se
rapproche un peu de « code » (absent de ce dictionnaire mais présent dans Daigle [6], dans le
6
Shelp v. National Surety Corp., 333 F.2d 431 (5th Cir. 1964).
7
Phelps v. Reinach, 38 La. Ann. 547 (1886).
8
<http://www.tlfq.ulaval.ca/bdlp>, consulté le 25 août 2014.

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sens de « livre de lois », moral code et système d’écriture secrète…) est « codache », traduit par
foolish, terme sans doute utilisé par ceux qui ont un « beau parlement » (un style oral élégant)
pour désigner ceux qui se perdent en « parlementages » (bavardage).

2.2. Le développement du patrimoine jurilinguistique en Louisiane

Du côté de la langue savante, une grande créativité est à relever, non sans liens avec la Belle
Province. Le Louisiana Civil Law Dictionary en témoigne, dictionnaire récemment publié par
deux jeunes auteurs locaux [36]. Ce dictionnaire de 88 pages est avant tout destiné aux étudiants.
Purement anglophone, il donne une image fidèle du droit civil en anglais, les définitions étant
empruntées aux articles du Code civil louisianais quand c’est possible, ou renvoyant aux articles
où la matière est traitée.

Les trois premières entrées sont absolute simulation (avec un renvoi à simulation), abuse
of right et accession, cette dernière insistant sur les fruits (fruits) et les produits (products) sans
hélas citer la définition générale de l’art. 482. Au mot act, l’on retrouve act of administration, act
of disposition, act under private signature, act translative of title, authentic act, conservatory
act, juridical act, material act, et preparatory acts. Le material act mis à part, tous ces actes sont
civilistes pur jus, et témoignent de l’ancrage du droit civil en Louisiane.

Le terme act under private signature offre un exemple de calque d’un terme juridique
français (« acte sous seing privé »), alors que le Québec traduit la même notion par private
writing. Un autre exemple est la partnership in commendam (art. 2836), plus proche de la
« société en commandite » que le terme universellement utilisé de limited partnership, que l’on
retrouve dans le Code civil du Québec (art. 2236). Un dernier exemple sera l’enrichissement sans
cause (art. 2298), traduit par enrichment without cause, alors que le Code civil du Québec a
évolué vers « l’enrichissement injustifié » (art. 1493-1496), traduit par unjust enrichment, alors
que la traduction unjustified enrichment était possible. Alors qu’au Québec, la terminologie
juridique du droit civil en anglais se rapproche des standards internationaux admis par les
comparatistes, la Louisiane semble mettre un point d’honneur à garder une terminologie proche
du français, au risque de paraître plus exotique aux yeux d’un public américain qui de toute
façon fréquente assez peu la littérature comparative. Les Québécois ne sont pas pour autant allés
jusqu’à utiliser le concept de tort, universellement admis en droit comparé, et traduisent la
« responsabilité civile » par civil liability (art. 1457), alors que la Louisiane reste fidèle aux
« délits et quasi-délits » du Code napoléon, rendus par offenses et quasi offenses (art. 2315 et s.),
alors que delict et quasi delict eussent été beaucoup plus fidèles à l’origine romaniste (le Digeste
de 1808 traduisait « Des Quasi-Délits » par Of Quasi Crimes or Offences).

Tous ces exemples confirment que la traduction juridique louisianaise se fait


traditionnellement du français vers l’anglais, les codes civils de France et de Louisiane restant les
principaux référents terminologiques.

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3. Qui traduit quoi en Louisiane ?

La traduction juridique louisianaise va traditionnellement du français vers l’anglais, comme en


témoigne celle des codes mais aussi la traduction de monuments de la littérature civiliste
française (3.1). La traduction-retraduction du Code civil de l’anglais vers le français est un
exercice novateur, au moins d’un point de vue louisianais (3.2).

3.1. Les traductions anglaises de monuments de la littérature civiliste

Le travail de traduction engagé par le Louisiana State Law Institute et relayé par le Centre de
droit civil à LSU est peu connu en dehors de la Louisiane :

Grâce à la Louisiane, plusieurs grands classiques de la littérature civiliste française sont accessibles en
langue anglaise. Le Louisiana State Law Institute fit traduire, outre Gény, le traité de Planiol et celui
d’Aubry et Rau, pour remédier à l’insuffisance de la production doctrinale locale. Alain Levasseur a plus
récemment traduit Atias, Favoreu et Halpérin, et l’Association Capitant contribue aujourd’hui à ce travail
avec sa nouvelle revue et un projet de traduction du Vocabulaire juridique Cornu, avec le concours des
civilistes louisianais [27 : 71-72 ; 28].

La suspension de cet effort, qu’il faut lier à la production plus abondante d’une doctrine
locale [10 ; 11] et comparative [30], ne veut pas dire qu’on ne traduit plus la doctrine française en
Louisiane. Le matériel pédagogique utilisé pour l’enseignement de plusieurs cours de droit civil
à Bâton-Rouge ou à La Nouvelle-Orléans contient de nombreuses pages traduites, le plus
souvent du français, mais aussi d’autres langues : la doctrine côtoie la jurisprudence et la loi,
dans cet effort de rendre les systèmes continentaux (et notamment le droit français) accessibles
aux étudiants louisianais. Le Centre de droit civil de LSU garde le projet de mettre en ligne cette
littérature grise dans la base de données Civil Law Online9, une fois achevée la traduction
française du Code civil louisianais.

3.2. La (re)traduction française du Code civil louisianais

Après quelques mots sur l’intérêt de la traduction (3.2.1), la démarche sera exposée, mettant en
évidence son caractère empirique (3.2.2). L’effort de traduction reçoit aujourd’hui un soutien
international (3.2.3) et les résultats sont déjà communiqués au public bien qu’il s’agisse d’un
travail en cours (3.2.4).

3.2.1. L’intérêt du projet

Depuis la révision de 1870, le Code civil louisianais n’est plus disponible en français pour la
population francophone de Louisiane. Que les francophones forment 5 ou 10% de la population,
qu’ils soient bilingues ou non, il était normal de leur rendre leur code dans la langue dont nous
avons vu qu’elle est celle d’origine. Certains auteurs n’oublient pas que le code civil est avant
tout écrit pour les citoyens, qu’il a notamment pour objet de les informer de leurs droits et

9
<www.law.lsu.edu/civillaw>, consulté le 25 août 2014.

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 10


obligations, et de leur permettre de les comprendre au moins pour les problèmes simples, sans
avoir à recourir à des consultations juridiques coûteuses [32 ; 21 ; 22 ; 23]. En outre, il existe une
section francophone au sein de l’Association du Barreau de Louisiane, et des affaires sont de nos
jours plaidées en Français dans certaines cours du sud de la Louisiane, notamment en pays cajun.
Aussi modeste soit-elle, la traduction française est une contribution aux droits linguistiques de la
minorité francophone.

Elle bénéficiera à la francophonie bien au-delà du bassin du Mississipi, et facilitera peut-


être la réforme du droit dans d’autres systèmes mixtes en Afrique et alentour (Cameroun,
Maurice, Seychelles), en Asie (Cambodge, Vietnam), dans le Pacifique-Sud (Vanuatu) et
ailleurs. Elle facilitera les relations d’affaires entre la Louisiane et les pays francophones. Elle
servira peut-être de modèle, au moins sur certains points (par exemple le droit des obligations
contractuelles), dans les régions qui travaillent à faciliter le dialogue entre droit civil et common
law, comme au sein de l’Union européenne. Elle attirera l’attention sur les problèmes et les
solutions linguistiques et, tout comme la version anglaise du Code civil québécois, contribuera à
faire connaître le développement du droit civil en anglais.

Une traduction espagnole suivra, tout comme il en existe du Code civil du Québec. Bien
qu’il fût l’ancêtre du Code civil espagnol, le Code civil louisianais n’a jamais été entièrement
publié dans cette langue, en dépit de la grande influence qu’eut le Code de 1825 sur le
mouvement de codification en Amérique latine [31]. La version espagnole fera revivre cette
influence, à l’âge de la recodification [20].

3.2.2. Une démarche empirique et documentée

Le travail de traduction débuta en 2009, quand le responsable du projet traduisit le Titre


préliminaire et le début du Livre I (Des personnes). Le titre préliminaire fut alors révisé par le Pr
David Gruning (Loyola, Nouvelle-Orléans), puis récemment par le Pr Jean-Claude Gémar
(Montréal). Durant une visite de six mois au Centre de droit civil, Michel Séjean (Paris 2)
commença la traduction du Livre III, Titre 4, sur les contrats et les obligations contractuelles. En
2010, un accord fut passé avec l’Université de Nantes, permettant notamment l’accueil annuel à
LSU de deux ou trois stagiaires issus du Master Juriste Trilingue pendant une durée de trois
mois. Un premier groupe de stagiaires séjourna à Bâton-Rouge d’avril à juin 2011. Anne-
Marguerite Barbier du Doré, Laurie Chalaux et Charlotte Henry travaillèrent à la traduction du
Livre I et des titres 3, 4, 7 et 11 du Livre III. Ivan Tchotourian (Nantes) traduisit les titres sur le
mandat et le cautionnement (Livre III, Titres 15 et 16), durant une visite de plusieurs mois au
Centre de droit civil de LSU en automne 2011. Une deuxième équipe de stagiaires œuvra à LSU
d’avril à juin 2012, à la traduction du Livre I, ainsi que des Titres 4, 5 et 7 du Livre III. Anne
Perocheau et Anne-Sophie Roinsard travaillèrent également au projet de traduction en anglais
des mots du droit civil du Vocabulaire juridique Cornu [2]. Alexandru-Daniel On (assistant de
recherche à LSU) et la Pre Anne Tercinet (EM Lyon Business School), en séjour de recherches à
LSU en juin 2012, coopérèrent à cette partie du travail. Le travail fut poursuivi au printemps

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 11


2013 par Laura Castaing et Jean-Pierre Hufen, et au printemps 2014, par Oriane Defoix, Giorgia
Fabris et Mélissa Richard. Des 26 titres du Livre III, il ne reste à traduire que les titres relatifs
aux successions et libéralités (Titres 1 et 2), ainsi que les sûretés réelles et les privilèges (Titres
20 à 22-A). Les Titres 1 et 2 du Livre II sont traduits, et la traduction du Titre 3 (servitudes) est
bien avancée. Durant un séjour post-doc de six mois (janvier à juin 2014), Matthias Martin
(Université de Lorraine) a révisé près de 850 articles.

Le projet conjugue l’effort personnel et le travail en équipe. Pendant qu’une stagiaire


traduit un chapitre 1, une autre stagiaire traduit un chapitre 2, généralement dans une autre
matière. Chacune vérifie le travail de l’autre, tout changement ou commentaire apparaissant en
couleur sur le document électronique grâce à la commande « suivi des modifications » du
programme Word. Les deux ou trois stagiaires ont à leur disposition des dictionnaires, les plus
utilisés étant le Black’s Law Dictionary [9], le Vocabulaire juridique Cornu [2], le Dictionnaire
juridique Dahl [5], les dictionnaires Robert, Harrap’s et l’Oxford English Dictionary. Un logiciel
de traduction est utilisé depuis 2013, pour faciliter la collecte des données et optimiser leur
utilisation. Le logiciel permet de constituer une mémoire de traduction, dans laquelle tous les
choix sont enregistrés, ce qui est essentiel du fait de l’avancement du travail, de la pluralité de
traducteurs et de leur succession dans le temps. La mémoire a été enrichie de tout le travail
effectué depuis le départ, et des mémoires additionnelles ont été créées en 2013 pour mettre à la
disposition des traducteurs le Digeste bilingue de 1808 et le code bilingue du Québec. Les codes
civils de France et du Québec, ainsi que toutes les sources doctrinales nécessaires, sont
évidemment disponibles et largement utilisés, ainsi que la Compilation des codes civils de
Louisiane.

Lors de réunions hebdomadaires ou bihebdomadaires présidées par le directeur du projet


ou son adjoint, et auxquelles participent, outre les traducteurs, les chercheurs invités et visiteurs
de passage, les textes à réviser sont projetés à l’écran avec les modifications proposées. La
traduction est discutée, des vérifications sont faites, et si des recherches supplémentaires
s’avèrent nécessaires, la validation finale est reportée à la réunion suivante. Les choix
linguistiques sont soigneusement notés et enregistrés dans la mémoire de traduction. Il est gardé
trace de tout le développement du projet dans les fichiers électroniques du Centre de droit civil.
D’autres spécialistes sont occasionnellement consultés, notamment sur les questions techniques
ou sur les renvois à des règles de procédure.

Le document le plus utilisé lors de la traduction et des réunions est la Compilation des
codes civils de Louisiane, deux gros volumes préparés entre 1938 et 1940 sous la direction de
Joseph Dainow [7] et publiés par l’état de Louisiane [14], récemment mis en ligne sur le site de
LSU. La conception d’ensemble et les Livres I et II du Code (soit 25% du volume total) furent
réalisés par Robert A. Pascal, alors assistant du Pr Dainow [34 : 31]. Établie sur ordre de la
législature de Louisiane (Loi de 1938, no 165) et publiée par le Louisiana State Law Institute
(créé par la loi de 1938, no 166) dans la collection Louisiana Legal Archives [14], cette
compilation donne pour chaque article du Code civil de 1870, la disposition correspondante ou

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 12


d’origine du Code de 1825 et du Digeste de 1808. Elle les met en parallèle avec les dispositions
source du Code civil français de 1804 ainsi que du Projet du gouvernement de 1800, lesquels
sont reproduits autant que nécessaire, en français mais aussi en anglais. Outre l’intérêt de cette
compilation pour toute personne travaillant sur l’évolution et les sources du droit louisianais, elle
offre une traduction du Code civil français dans un anglais qui n’est pas celui de la common law
mais du droit civil.

Il ne faut pas exagérer l’importance du travail de traduction produit à l’occasion de cette


compilation, qui reprend pour l’essentiel les traductions officielles faites en 1808 puis 1825, tant
d’articles des codes louisianais étant issus directement du Code de 1804 et du Projet de 1800.
Dainow expliqua qu’il fut jugé préférable de ne pas retenir les traductions du Code Napoléon
disponibles à l’époque10, lesquelles sont néanmoins citées en abrégé dans l’ouvrage là où elles
sont parfois utilisées. Toutes trois sont l’œuvre de juristes de common law et utilisent la
terminologie de la common law [14 : xviii]11. La traduction du Code français a été faite « dans des
termes familiers aux juristes louisianais » [14 : xiii]12. S’agissant du Projet du gouvernement
(1800), il fut en partie reproduit à la demande expresse de Robert A. Pascal qui, en même temps
qu’il conçut la manière de réaliser la compilation et de la présenter [34 : 31], réussit à convaincre
Joseph Dainow de l’influence du Projet, notamment sur la rédaction du Titre préliminaire des
textes de 1808 et 1825. Aucune traduction anglaise n’existant de ce texte, elle fut élaborée dans
le même esprit que celle du code de 1804, très vraisemblablement par Robert A. Pascal jusqu’à
la fin du Livre II. Le Pr Pascal ne se souvient pas avoir traduit, ce qui s’explique facilement par
le fait que le Code et le Projet furent cités dans la compilation chaque fois qu’ils avaient inspiré
les rédacteurs de 1808 et 1825, lesquels les avaient bien souvent recopiés mot pour mot [14 :
xix]13.

Ce précieux document de plus de 2000 pages est maintenant librement accessible en


ligne, au bénéfice des historiens, juristes et jurilinguistes. Il fera le lien entre la publication en
ligne du Digeste de 1808 et celle du code actuel en version bilingue.

3.2.3. Un effort soutenu dans un contexte de crise

Les travaux menés au Centre de droit civil sur la codification en Louisiane ont retenu l’attention
de la francophonie officielle. L’Organisation internationale de la francophonie proposa un
financement lors de la mise en ligne du Digeste bilingue de 1808 et de la commémoration du
bicentenaire, qui eut lieu en même temps que les Journées louisianaises de l’Association Henri
Capitant (2008).

10
Traductions du Code civil français: The Code Napoleon or French Civil Code, translated into English by a
Barrister of the Inner Temple, Londres, 1827 ; The French Civil Code, translated into English by Blackwood
Wright, Londres, 1908 ; The French Civil Code, translated into English by Cachard, édition révisée, Paris, 1930.
11
Explanatory Notes, by Dainow [7].
12
Preface [7].
13
Explanatory Notes, by Dainow [7].

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 13


Peu après le bicentenaire de la codification en Louisiane, les États-Unis entraient en
récession, et dans un contexte de crise, le Centre d’études françaises et francophones vota un
modeste soutien financier pour le projet de traduction du Code civil actuel, dont la valeur
symbolique fut porteuse. Le Centre de droit civil fut maintenu en vie avec un minimum de
personnel, et fut sélectionné pour un financement franco-américain (Partner University Fund)
pour la période 2012-2015. Le projet est mené dans le cadre d’un programme conjoint avec
l’Université de Nantes, Training Multilingual Jurists.

3.2.4. Un travail en cours

Le travail présenté est donc un projet en cours, dont aucun aspect n’est définitif. Les résultats
sont progressivement diffusés, tant sur la page Louisiana Civil Code Online14 que par la récente
publication d’extraits dans le Journal of Civil Law Studies, publié par le Centre de droit civil
[25 ; 26]15.

C’est en toute humilité et sans crainte excessive que son promoteur, qui n’est ni linguiste, ni
traducteur de formation, s’expose au commentaire et à la critique, dans le souci d’apprendre,
d’améliorer, de perfectionner un travail qu’il veut collectif et participatif. S’il contribue
modestement au développement de la jurilinguistique en tant que juriste comparatiste, il fait
aujourd’hui ses débuts de traducteur juridique16.

4. Premières réflexions du (re)traducteur

La traduction du Code civil de Louisiane se donne l’ambition de faire revivre le français


d’origine tel qu’on le trouvait dans le Digeste de 1808 et le Code de 1825. L’objectif est de
produire une traduction authentiquement louisianaise, tout comme celle du Code civil du Québec
en anglais est authentiquement québécoise17. Lorsque le code actuel reproduit les textes de 1808
et 1825, les traducteurs s’efforcent de rester fidèles à la lettre des codes d’origine (4.1). Lorsque
le texte a été réécrit à la faveur des révisions successives, il importe de rester fidèle à l’esprit
(4.2). En revanche, lorsque le texte du code est déformé par l’adjonction de dispositions
ressemblant non à celles d’un code mais d’un statute, la lettre tue l’esprit, qui peine alors à
vivifier le travail du traducteur (4.3).
14
<http://www.law.lsu.edu/index.cfm?geaux=clo.lcco>, consulté le 25 août 2014.
15
V. aussi Louisiana Civil Code - Code civil de Louisiane, Book III, Titles 15 and 16, Journal of Civil Law Studies,
6 : 653-677.
16
Le projet fut discuté lors d’un colloque organisé par le Center of Civil Law Studies à Bâton-Rouge, les 10 et 11
avril 2014 : Le projet de traduction du code civil louisianais : améliorer la visibilité et la promotion du droit civil en
anglais. Les actes seront publiés dans le volume 8 du Journal of Civil Law Studies (2015).
17
Elle produit un son montréalais, comme l’expliqua oralement le juge Nicholas Kasirer lors du Colloque
international du bicentenaire du Code civil de Louisiane, Tulane Law School, Nouvelle-Orléans, 19-22 novembre
2008 et dans la 37e Conférence en l’honneur de John H. Tucker, LSU, 10 avril 2014 : That Montreal Sound: The
Influence of French Legal Ideas and the French Language on the Civil Law Expressed in English (à paraître au
volume 8 du Journal of Civil Law Studies, 2015).

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 14


4.1. Les textes reproduits ou retouchés : la lettre des origines

Le mot d’ordre du projet est la fidélité au code et à ses sources. Cela conduit parfois à des choix
éloignés du français contemporain, comme à l’article 2520, où nous avons gardé l’expression
« défaut » rédhibitoire (plutôt que « vice »), reprise du texte de 1825 (Art. 2520 al. 2). En
revanche, dans le Livre I, le texte de 1825, maintenu à l’article 252, fut retraduit différemment,
avec une note du traducteur : « Lorsqu’une femme se trouve enceinte au moment du décès de son
mari, on ne peut nommer de tuteur à l’enfant jusqu’à sa naissance… » (NdT : Texte inchangé
depuis 1825 : « Si une veuve se trouve grosse au tems [sic] de la mort de son mari… » dans
l’original).

La traduction du Titre préliminaire fournit un exemple d’hésitation terminologique.


L’article 1, révisé en 1987, proclame : « The sources of law are legislation and custom ». Cela
représente un ajout au texte de 1870, qui disait : « Law is a solemn expression of legislative
will », disposition qui a migré dans l’article 2 : « Legislation is a solemn expression of legislative
will ». Pour éliminer le risque de confusion dû à la polysémie du mot law, le législateur de 1987,
suivant la proposition du Louisiana State Law Institute, a gardé law là où en français on parlerait
de droit, et substitué legislation là où le terme law était autrefois utilisé dans le sens de loi. La
chose est possible en anglais, le mot legislation désignant (1) le processus législatif allant de la
rédaction à la promulgation, (2) le texte ainsi promulgué et (3) l’ensemble des textes ainsi
promulgués [9 : vo Legislation]. En revanche, le sens (2) n’existe pas en français : les cinq
acceptions répertoriées dans le Vocabulaire juridique Cornu se rapportent aux sens (1) et (3),
mais n’incluent pas le (2) [2 : vo Législation]. L’auteur de cet article a hésité, et s’est d’abord
orienté vers un choix s’éloignant du texte source « La Loi [sic] est une déclaration solemnelle
[sic] de la volonté législative » (Digest 1808 et Code civil 1825, art. 1, reprenant l’art. 6 du Titre
I du Livre préliminaire du Projet du Gouvernement, 1800)18, en traduisant littéralement le mot
legislation. Le Pr David Gruning, dont l’anglais est la première langue, n’a pas sourcillé, ce qui
est naturel. Le Pr Jean-Claude Gémar a en revanche détecté l’anglicisme, qui fut corrigé. Il n’y
avait pas de raison de s’écarter des textes sources, même si le mot anglais avait changé lors de la
dernière révision.

La bonne traduction du Code nécessite donc un parfait maniement des outils


lexicographiques et historiques, si l’on veut éviter une fausse note dans la tentative de lui rendre
le son louisianais d’origine. Les écarts sont à éviter, comme celui que je viens de détecter à
l’article 7 : « Les personnes ne peuvent par leurs actes juridiques déroger aux lois relatives à la
sauvegarde de l’ordre public, » alors que l’article 11 du Code de 1825, texte source, interdisait
de déroger « aux lois qui sont faites pour le maintien de l’ordre public [et des mœurs]19 ». Le

18
« La loi, chez tous les peuples est une déclaration solennelle du pouvoir législatif sur un objet de régime intérieur
et d’intérêt commun », texte qui ne fut pas repris dans le Code français de 1804.
19
Les bonnes mœurs (good morals) sont passées à la trappe lors de la révision de 1987.

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 15


traducteur pressé ne doit pas oublier Boileau : « Cent fois sur le métier remettez votre
ouvrage »…

Dans ce même esprit de retour aux origines, il a été décidé de ne pas traduire les titres
non-officiels qui ont été donnés aux articles dans les éditions récentes du Code, depuis le XXe
siècle. Si ces titres sont parfois évidents (exemple : art. 1 – Sources du droit ; art. 8 – Abrogation
des lois), ils sont souvent lourds ou peu élégants (exemple : art. 27 – General legal capacity ; art.
31 – Existence of a person at time of accrual of right) et surtout, ils enlèvent à la fluidité de la
lecture du code, de même que les commentaires rédigés par le Louisiana State Law Institute, qui
ne sont pas non plus traduits20. De plus, les titres sont parfois erronés, comme celui de l’article
1498, révélateur d’une ignorance embarrassante d’une institution du droit civil. Cet article
interdit au donateur entre vif de disposer de la totalité de ses biens, l’obligeant sous peine de
nullité absolue à en garder une part suffisante pour sa propre subsistance. Le titre, reformulé lors
de la révision de 1996, est « Nullity of donation inter vivos of entire patrimony »21, formule à
faire Aubry et Rau, pourtant lus en anglais en Louisiane [12], se retourner dans leurs tombes.
Tout comme le Canadien Joseph Dainow, premier directeur du Centre de droit civil à LSU (Civil
Code 1947), le Centre de droit civil publie un Code civil sans titres d’articles ni commentaires
[33 : 306-307].

4.2. Les textes réécrits : l’esprit des origines

Le processus de révision du Code civil, en cours depuis les années 1970, a généré un grand
nombre de dispositions nouvelles. La réforme du droit des obligations, adoptée par le législateur
en 1984 (Loi de 1984, n° 331, §1, en vigueur le 1er janv. 1985, réformant les Titres 3 (Des
obligations en général) et 4 (Des obligations conventionnelles ou des contrats) du Livre III ; [26],
offre un bel exemple de convergence des solutions du droit civil et de la common law tout en
restant fidèle à la taxonomie et à la grammaire conceptuelle civiliste ainsi qu’aux principes qui
les sous-tendent [24 : 31]. En outre, les rédacteurs se sont attachés à respecter autant que possible
le style d’origine du Code civil, en privilégiant la clarté et la concision. Les Titres 3 et 4 du Livre
IV ainsi révisés nous offrent un texte où souffle l’esprit des origines.

Les traducteurs se sont efforcés de rester fidèles à cet esprit, et n’ont pas reculé devant
certaines contractions inspirées de la stylistique législative française. Par exemple, l’article 1786
dispose : « When an obligation binds more than one obligor to one obligee, or binds one obligor
to more than one obligee, or binds more than one obligor to more than one obligee, the
obligation may be several, joint, or solidary. » Notre traduction donne ceci: « Lorsqu’elle lie
plusieurs débiteurs à un créancier, un débiteur à plusieurs créanciers, ou plusieurs débiteurs à

20
Ces commentaires, destinés au législateur, expliquent les changements législatifs proposés et leur portée. Ils sont
reproduits dans les éditions annotés du code, publiées par les éditions West et LexisNexis, mais n’ont pas à
proprement parler de valeur législative.
21
Dans une édition de 1932 (8 : 463), l’art. 1497 (alors siège de cette règle) avait pour titre : Donations inter vivos –
Restriction on amount, formulation qui était juridiquement correcte.

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 16


plusieurs créanciers, l’obligation est séparée, conjointe ou solidaire. » Le mot obligation n’est
pas répété, may be devient « est »22, more than one devient « plusieurs » et la notion de several
obligation, absente du vocabulaire français qui se contente de distinguer l’obligation conjointe de
l’obligation solidaire, est traduite par « obligation séparée », reprenant ce terme de la version
française de l’article 2072 du Code civil de 182523. Le nombre de mots tombe de 39 à 24 au
passage de l’anglais au français, la disposition restant la même dans sa substance.

L’art. 1825 offre un autre exemple. Il dit de la subrogation personnelle : « It may be


conventional or legal » qui devient « elle est conventionnelle ou légale », car on ne voit pas ce
qu’elle peut être d’autre. Il faut être juriste pour en juger ; notre traduction initiale « elle peut
être » était prudente et acceptable, mais peu civiliste.

L’article 1821 alinéa deux est légèrement plus court en français. En anglais, « An obligor
and a third person may agree to an assumption by the latter of an obligation of the former. To be
enforceable by the obligee against the third person, the agreement must be made in writing. » En
français, « Le débiteur et un tiers peuvent convenir de la prise en charge par à ce dernier de
l’obligation du premier. Afin que le créancier puisse l’opposer à ce tiers, l’accord doit être passé
par écrit, » soit deux mots de moins. Assumption est traduit par « prise en charge » plutôt que par
« délégation » car, comme l’explique une note du traducteur, « outre la prise en charge à
l’initiative du débiteur qui est une vraie délégation [art. 1886], le Code civil louisianais connait
en effet la prise en charge suite à un accord entre le créancier et un tiers acceptant de prendre en
charge l’obligation du débiteur initial [art. 1823]. » La phrase suivante « The obligee's consent to
the agreement does not effect a release of the obligor » devient : « Le consentement du créancier
ne libère pas le débiteur, » phrase plus incisive, la répétition du mot accord étant inutile, et does
not effect a release (cinq mots) devenant « ne libère pas » (trois mots).

Voici enfin quelques exemples de clarification du langage. Le premier met en scène la


notion d’opposabilité, que l’anglais a de la peine à rendre. À l’article 1859, is not valid against
est rendu par « n’est pas opposable », préféré à « est inopposable » pour mieux faire ressortir la
tournure négative de la phrase et de la règle qu’elle contient. Le second est relatif à la traduction
de execution, to execute, un faux ami redouté des traducteurs. Ils sont rendus par « passation »,
« passer » (art. 1833 et 1836) : An authentic act is a writing executed before a notary public » est
traduit par « L’acte authentique est un écrit passé par devant un notaire public » (art. 1833 A).

En règle générale, comme dans la disposition qui vient d’être citée, l’article indéfini de
début de phrase est remplacé par l’article défini en français. Ainsi, à l’article 1906: « A contract
is an agreement by two or more parties whereby obligations are created, modified, or

22
L’art. 1825 offre un autre exemple. Il dit de la subrogation personnelle : « It may be conventional or legal » qui
devient « elle est conventionnelle ou légale », car on ne voit pas ce qu’elle peut être d’autre. Il est vrai qu’il faut être
juriste pour en juger ; notre traduction initiale « elle peut être » était plus prudente et au demeurant acceptable.
23
La solution louisianaise est reprise dans la traduction française des Principes du droit européen de la responsabilité
civile (23 : 196, note du traducteur).

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 17


extinguished » devient « Le contrat est un accord entre deux ou plusieurs parties qui crée,
modifie, ou met fin à des obligations. » Le singulier est parfois préféré au pluriel, comme par
exemple au début de l’article 1918 : « All persons have capacity to contract… » qui devient
« Toute personne a la capacité de contracter… » Dans la même mouvance, if fut le plus souvent
traduit par « lorsque », « si » n’étant utilisé que pour traduire un if venant en seconde position ou
introduisant un conditionnel (art. 1767, 1773, 1774, 1782, 1804, 1805).

Le Code civil du Québec sert de référence, par exemple pour traduire des notions
importées de la common law, comme celles de « prépondérance de la preuve » (preponderance
of the evidence) (art. 1957), ou « preuves circonstancielles » (circumstantial evidence) (art. 2840
Code civil du Québec ).

Parlant de common law, un exemple célèbre d’emprunt à celle-ci par le Code civil
louisianais est l’article 1967 qui introduit juste après la définition de la cause, la notion de
detrimental reliance ou promissory estoppel (sans utiliser ces termes) :

Cause is the reason why a party obligates himself.

A party may be obligated by a promise when he knew or should have known that the promise would induce
the other party to rely on it to his detriment and the other party was reasonable in so relying. Recovery may
be limited to the expenses incurred or the damages suffered as a result of the promisee's reliance on the
promise. Reliance on a gratuitous promise made without required formalities is not reasonable.

En français:

La cause est la raison pour laquelle une partie s’oblige.

Une partie peut s’obliger par une promesse lorsqu’elle savait ou aurait dû savoir que la promesse conduirait
l’autre partie à se fier à celle-ci à ses dépens et que cette autre partie s’y est fiée raisonnablement. Le
recouvrement peut être limité aux dépenses engagées ou aux dommages subis du fait de la confiance que le
bénéficiaire de la promesse avait placée en celle-ci. La confiance en une promesse gratuite faite sans les
formalités requises n’est pas raisonnable.

Quatre mots de plus dans la version française : quand vient la common law, le texte français
peine à tenir sa promesse de concision. C’est à cause du promisee, qui devient « bénéficiaire de
la promesse… »

4.3. Les textes déformés : l’esprit tué par la lettre

La traduction du Titre 5 du Livre III (Des engagements qui se forment sans convention) offre une
combinaison de dispositions inspirées du droit civil et de la common law. La disposition générale
sur l’enrichissement sans cause pourrait migrer dans le Code civil français sans le défigurer,
après un léger toilettage :

Article 2298. Une personne qui a été enrichie sans cause au détriment d’une autre est tenue de compenser
cette dernière. L’expression « sans cause » est utilisée dans ce contexte pour exclure les cas dans lesquels

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 18


l’enrichissement résulte d’un acte juridique valable ou de la loi. Le recours envisagé ici est subsidiaire et
n’est pas ouvert lorsque la loi prévoit un autre recours pour l’appauvrissement ou une disposition contraire.

Le montant de la compensation est calculé compte tenu de l’enrichissement de l’un ou de


l’appauvrissement de l’autre, le plus petit des deux étant retenu.

L’étendue de l’enrichissement ou de l’appauvrissement est calculée au moment où le procès est intenté ou,
selon les circonstances, au moment où le jugement est rendu.

Le paysage change quand on ouvre le Chapitre 3 (Des délits et quasi-délits), et


notamment l’article 2315, qui commence de la manière la plus prometteuse, avec la reprise du
fameux article 1382 du Code Napoléon, qui n’a pas donné de travail au traducteur. Les choses se
gâtent avec l’alinéa suivant qui se charge de détail :

Art. 2315 B. Les dommages et intérêts peuvent inclure la perte de la compagnie, de l’affection et des
services conjugaux ou familiaux et peuvent être recouvrés par les mêmes catégories de personnes qui
auraient le droit d’agir du fait d’un acte délictuel ayant entraîné la mort de la victime d’un dommage. Les
dommages et intérêts n’incluent pas le coût des traitements, des services, du suivi, ou des actes médicaux à
venir, quelle que soit leur nature, sauf lorsqu’ils sont directement et manifestement liés à une atteinte à
l’intégrité physique ou mentale, ou à une maladie physique ou mentale. Les dommages et intérêts doivent
inclure toutes les taxes payées par le propriétaire pour la réparation ou le remplacement du bien
endommagé.

Elles se compliquent à partir de l’article suivant :

Art. 2315.1. A. Lorsqu’une personne qui a été victime d’un délit ou quasi-délit décède, le droit d’obtenir les
dommages et intérêts en réparation du préjudice corporel, matériel ou autre subi par le défunt du fait du
délit ou quasi-délit, peut être exercé pendant un an à compter du décès par:

(1) Le conjoint survivant et l’enfant ou les enfants du défunt, ou soit le conjoint, soit l’enfant ou
les enfants.

(2) Le père et la mère survivants du défunt, ou l’un des deux, s’il n’a pas laissé de conjoint ou
d’enfant survivant.

(3) Les frères et sœurs survivants du défunt, ou l’un quelconque d’entre eux, s’il n’a laissé ni
conjoint, ni enfant, ni parent survivant.

(4) Les grands-pères et grands-mères survivants du défunt, ou l’un quelconque d’entre eux, s’il n’a
laissé ni conjoint, ni enfant, ni parent, ni frère, ni sœur survivant.

(…)

D. Tels qu’utilisés dans cet article, les mots « enfant », « frère », « sœur », « père », « mère », « grand-père
» et « grand-mère » incluent respectivement l’enfant, le frère, la sœur, le père, la mère, le grand-père et la
grand-mère par adoption.

E. Aux fins du présent article, le père ou la mère qui a abandonné le défunt pendant sa minorité est réputé
ne pas lui avoir survécu.

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 19


Avec cet article et les dispositions suivantes, on quitte le droit civil pour entrer en
common law. La construction n’est plus celle du code mais d’un statute, encombré de définitions
et de redondances, comme à l’alinéa D. Le nombre de mots s’en ressent, avec 298 pour le
français contre 269 pour l’anglais. Il est vrai que la répétition du terme « dommages et intérêts »
dans un même article triple à chaque fois le mot damages. La litanie des sœurs et des grand-
mères se poursuit dans les articles suivants, le pire étant encore à venir, comme par exemple à
l’article 2322.1, dont seul le début est ici reproduit :

Art. 2322.1. A. Le dépistage, l’approvisionnement, le conditionnement, la distribution, la transfusion, ou


l’utilisation médicale de sang humain ou de composants sanguins de toute sorte ainsi que la transplantation
ou l’utilisation médicale de tout organe ou tissu humain, ou de tissu animal approuvé, par des médecins,
dentistes, hôpitaux, centres de transfusion hospitaliers et centres de transfusion locaux à but non-lucratif,
est réputé, à quelque fin que ce soit, être la prestation d’un service médical par chacun des médecins,
dentistes, hôpitaux, centres de transfusion hospitaliers et centres de transfusion locaux à but non-lucratif y
participant, et ne doit pas être interprété comme étant une vente ou être déclaré comme telle. Lorsqu’elles
fournissent ces services médicaux, les personnes susmentionnées ne se voient appliquer aucune
présomption de responsabilité ou garantie d’aucune sorte.

De telles dispositions seraient mieux venues dans le volume 9 des Revised Statutes où se
trouvent les règles annexes au Code civil. Elles sont hélas nombreuses à défigurer d’autres
parties du code, comme l’interminable article 2844 qui délimite la responsabilité des
commanditaires dans la société en commandite. Redoutées par les membres de notre équipe, ces
règles posent des défis différents : rien ne doit manquer au catalogue, chaque mot doit être
exactement traduit et répété autant que nécessaire car il s’agit de traduire et non de réécrire la loi.
Il n’est plus question de s’efforcer de retrouver une tournure française, sauf à vouloir s’inspirer
non plus du Code civil, mais du Code de la sécurité sociale ou du Code général des impôts.

***

Pour conclure sur une note moins pessimiste, l’auteur de cet article a demandé à être nommé au
comité chargé de la sémantique au sein du Louisiana State Law Institute. Ce comité procède au
lissage des textes avant l’approbation finale par le Conseil de l’Institut et l’envoi au législateur,
avec pour mission d’identifier les incohérences lexicales et de proposer une formulation plus
adaptée. Il espère que sa connaissance de plus en plus intime du code, du fait de la traduction,
l’aidera à détecter les mots et tournures inacceptables et qu’il saura proposer des choix meilleurs
et convaincants. Par un juste retour des choses, la retraduction française pourrait ainsi contribuer
à l’amélioration de la version anglaise, par un effet de fertilisation croisée conduisant à une
meilleure maîtrise des frontières de la langue et du droit [19]. Le projet de traduction avance,
mais la demande de nomination n’a toujours pas abouti.

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 20


REMERCIEMENTS
Cet article est un hommage à la mémoire de John « Ti-Jean » Hernandez III (1968-2012), président de la Section
francophone de l’Association du Barreau de Louisiane, qui avec son père, a œuvré avec passion et succès à
l’établissement de relations internationales avec la Belgique, le Canada, la France et Haïti. L’auteur remercie Jean-
Claude Gémar et Anne Wagner pour avoir suscité cet article et Alexandru-Daniel On, Michael McAuley, Robert A.
Pascal, pour leur aide dans la réalisation.

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ENTREVUES
Entrevue avec Robert A. PASCAL, Professeur émérite à LSU, 6 novembre 2012.

À paraître/Forthcoming INTERNATIONAL JOURNAL FOR THE SEMIOTICS OF LAW, 2014 Page 22

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