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Entretien

« Baudelaire a su comprendre l
misère de l’homme moderne »
À l'occasion des 150 ans de la mort du poète romantique, Robert Kopp, spécialiste d
du XIXe siècle, rappelle en quoi l'œuvre de Baudelaire résonne encore avec notre épo

par Antoine Lagadec


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29 SEPTEMBRE 2017 / 0 COMMENTAIRE LA REVUE DU WEEK-END

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Le mot-clé de la semaine : l’actualité éclairée par les archives de
evue des Deux Mondes – « La profonde originalité de Charles
! la Revue des Deux Mondes, dans votre boîte mail.
Baudelaire, c’est, à mon sens, de représenter puissamment et
" essentiellement l’homme moderne », écrivait Paul Verlaine en 1865. La
Votre adresse email
position de Baudelaire à l’égard du moderne est ambiguë, oscille entre
#
fascination et dégoût. Quel est le rapport de Baudelaire à la modernité ?
JE M'INSCRIS
Robert Kopp – En effet, Baudelaire est partagé entre la fascination et
l’horreur. Pour la très grande majorité des écrivains de son temps,
« modernité » signifie « progrès » : progrès scientifique, technique,
politique. L’humanité, après des siècles de vie dans l’obscurité, allait enfin
accéder à la lumière, connaître le bonheur promis par les principes de
1789, s’épanouir dans la démocratie.

Pour Baudelaire, cette religion du progrès, célébrée par la grand-messe de


l’Exposition universelle de 1855 par exemple, relève de la plus énormes des
impostures. Dans son compte rendu de l’événement, il dénonce ce « fanal
obscur », « cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la
fatuité moderne ». Le progrès – purement matériel – est en réalité la
preuve de la décadence dans laquelle sombre un monde « tellement
américanisé par ses philosophes zoocrates et industriels, qu’il a perdu la
notion des différences qui caractérisent les phénomènes du monde
physique et du monde moral, du naturel et du surnaturel ». L’homme est
toujours le même, c’est-à-dire marqué par le péché originel. Le seul
progrès consisterait alors à voir diminuer les traces de ce dernier. Et nous
en sommes loin !

Revue des Deux Mondes – Alors qu’au XIXe et XXe siècle, la littérature
faisait l’épopée de la modernité, notre époque réhabilite les auteurs dits
anti-modernes : Chateaubriand triomphe de Lamartine, Charles
Baudelaire de Victor Hugo, Gustave Flaubert d’Émile Zola,
etc. L’anti-moderne semble, paradoxalement, terriblement contemporain.
Qu’est-ce qui fait de Baudelaire un personnage très actuel ?

Robert Kopp – Baudelaire n’appréciait guère Lamartine – « Tous les


élégiaques sont des canailles » – ni le Victor Hugo des Misérables. Et
comme il exécrait Eugène Sue, on peut supposer qu’il n’aurait eu que
mépris pour Zola. Bien avant Gide, il pensait que ce n’était pas avec de bons
sentiments qu’on faisait de bons livres.
Le concept d’anti-moderne ne rend que très imparfaitement compte de sa
situation. Il est trop schématique. Baudelaire dénonce la fausse modernité,
celle qui s’arrête aux aspects purement matériels d’une civilisation. Il
souffre profondément de l’incomplétude de la nature humaine. Parmi ses
références, on trouve le marquis de Sade, Joseph de Maistre et Edgar Allan
Poe. Pas plus qu’eux, il ne croit à l’homme né bon et s’oppose ainsi
radicalement à Rousseau. Il est ainsi aux antipodes de ce que pensent la
plupart de nos contemporains.

Baudelaire est politiquement tout ce qu’il y a de plus incorrect et sur les


campus américains, on commence à mettre des tampons sur les pages de
garde de ses livres avertissant que leur contenu pourrait heurter les
sensibilités modernes. « Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère
! » Y a-t-il pire agression ? Surtout après avoir déclaré :

« La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,


Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine. »

Baudelaire nous met constamment en cause. C’est un auteur impitoyable


! Impossible de lire certaines pages dans les
écoles. L’Albatros, L’Invitation ou Parfum exotique donnent une idée pour le
moins fort incomplète.

Ce qui fait la modernité de Baudelaire, c’est d’avoir compris la misère de


l’homme moderne, sa dépossession dans l’anonymat des grandes villes, son
aliénation par l’industrie du divertissement, sa méconnaissance de la
poésie et donc de la beauté, puisque tout est soumis aux critères de l’utilité
et de l’efficacité. Notre monde était en gestation dans le Paris du Second
Empire et Baudelaire a compris quelle allait être l’évolution et que le monde
ne pouvait courir qu’à sa perte, en tout cas son monde à lui, qui voulait
encore faire une place à la beauté.

En même temps, il était sensible à la misère de ceux qui étaient exclus de


cette vie matérielle, les petites vieilles, les mendiants, les chiffonniers. Ces
derniers – image moderne de Diogène – semblaient incarner comme un
double du poète qui, lui aussi, essaie de sauver quelques lambeaux de
beauté au milieu des détritus que charrie la vie moderne.

Revue des Deux Mondes – Quelles sont les œuvres de Baudelaire qui
entrent en résonance avec notre époque ? On pense particulièrement
aux Fleurs du Mal qui jettent l’anathème sur l’auteur, Baudelaire étant,
entre autres, accusé par Ferdinand Brunetière (qui sera plus tard le
directeur de la Revue des Deux Mondes) « d’ériger en exemple la débauche
et l’immoralité ».

Robert Kopp – Brunetière a évidemment repris l’accusation portée contre


Baudelaire par la justice du Second Empire : offense à la morale publique et
aux bonnes mœurs. Il est évident que, de son point de vue, le substitut
Ernest Pinard (magistrat célèbre pour ses réquisitoires lors des grands
procès littéraires du début du Second Empire, ndlr) avait raison. Comme il
avait raison d’accuser Flaubert de glorifier l’adultère
dans Madame Bovary. Que devient l’institution du mariage si l’on
encourage toutes les provinciales qui s’ennuient de se faire enlever
par quelque hobereau parce qu’elles imaginent la vie d’après ce qu’elle ont
lu dans les romans ? Sainte-Beuve avait parfaitement compris ce qui faisait
le malheur d’Emma : de ne pas savoir se résigner. Ce jugement complète
celui de Baudelaire, pour qui Emma était un révolté (j’emploie le masculin
car il la prenait pour un homme), non seulement contre sa condition mais
contre la condition humaine.

S’il fallait citer une oeuvre qui entre dans une résonance particulière avec
le monde d’aujourd’hui, je citerai Le Spleen de Paris, ce recueil de poèmes
en prose dont Baudelaire aurait voulu faire le pendant des Fleurs du Mal et
qui est resté inachevé. Baudelaire y cultive une poésie du quotidien, on
pourrait presque dire de la banalité. De la moindre rencontre du hasard
peut jaillir une étincelle. En même temps, ce sont des poèmes d’une grande
ironie et parfois d’une grande amertume. Dans Perte d’auréole, le poète ne
se donne plus la peine de ramasser ses insignes qui sont tombées dans la
boue parce qu’il a dû éviter une voiture. Il peut désormais se promener
anonymement et se livrer aux mêmes turpitudes que tous ses semblables,
alors qu’un drôle ramassera peut-être son auréole pour s’en glorifier. Mais
on trouve aussi des poèmes où Baudelaire rêve d’évasion, d’ivresse, d’oubli.
Tout cela sur le mode mineur qui correspond à cette époque qui, aux yeux
de Baudelaire, a perdu tout sens de la poésie.

Revue des Deux Mondes – Quel est l’héritage baudelairien aujourd’hui ?


En quoi peut-il éclairer notre époque ?

Robert Kopp – Sur le plan littéraire, l’héritage de Baudelaire est assumé par
les surréalistes, par Pierre Jean Jouve, par Yves Bonnefoy, c’est-à-dire par
tous ces poètes pour qui la poésie était une chose éminemment sérieuse,
tenant lieu de philosophie et de religion à la fois. Et pour nous, Baudelaire
reste un aiguillon puissant qui nous empêche d’oublier que « c’est le Diable
qui tient les fils qui nous remuent », de nous abandonner « sur l’oreiller du
mal », de nous méfier de « l’humanité bavarde, ivre de son génie ».

Revue des Deux Mondes – Charles Baudelaire était un être d’opposition,


faisait le pari impossible de la réunion des contraires : il détestait et
réclamait sa tutelle, était entre horreur de la vie et extase de la vie, entre
passion pour la nouveauté et nostalgie/mélancolie des choses passées…
Comment comprendre ces contradictions déchirantes, cette existence
paradoxale ?

Robert Kopp – Il ne s’agit pas de contradictions, mais du déchiremement


de la condition humaine. « Il y a dans tout homme, à toute heure, deux
postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan.
L’invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en grade ;
celle à Satan, ou animalité, est une joie de descendre. » C’est une vision
pascalienne de l’homme, écartelé entre sa spiritualité et son
animalité. Baudelaire est un poète profondément tragique. Et il peut
nous réapprendre le sens du tragique que nous avons largement perdu.

CHARLES BAUDELAIRE L I T T É R AT U R E

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