Sunteți pe pagina 1din 18

LEVINAS ET LA PHENOMENOLOGIE HUSSERLIENNE

Dès le début de son itinéraire philosophique, la pensée d'Emmanuel Lévinas


a été phénoménologique. Elle impliquait douc une sorte d'ÎIldifférence à l'égard
de la dialectique. Si ceUe indifférence devait progressivement se muer en
critique de l'idée de totalité, de l'universel singulier, ce n'était pas pour
des raisons purement méthodologiques. Cela était dûà l'époque. Ce qui
témoigne de l'actualité de cette pensée intempestive. Mais l'originalité philoso-
phique de œtte aventure, qui va de la phénoménologi,e à une métaphysique
puisant son ~~I.1~_~aJ?~__X~!§p:1.~:rrt.~!!1..!:qri~_·d~_T'ex~~_tence, est de n,e pas reposer
explicitement sur une analyse sociologique, cultureUe ou politique de la situation
historique contemporaine. Incompréhensible certes, indépendamment des secousses
qui ébranlèrent le siècle, c,ette œuvre n'est philosophiquement compréhensible
que référée à la phénoménologie husserlienne. L'universalité est contestée comme
source et résultat de tout événement sensé au terme d'une «réduction transcen~
dantale}). Pratiquée en toute liberté à J'égard de Husserl, celle-ci remonte au
l?.llétJJ!!Jlè~1J~ à l'expérience, eour ~a]sir en son origine même le~~~~!·,JljLS.~~gE!.fica­
.tion de layêriiê-:-~C'ÏesrIla réduct1OIlplüfôt"qi;à-TrrOnStftUtIon des objectivités
de conscience, à la réflexion :sur le temps, la sensation et même sur le Moi
pur plutôt qu'à ]a problématique de la perception que Lévinas, ,à la différence
de beaucoup d'autres phénoménologues, s'attache pour voir luire le sens pr,emier
non seulement du prés,ent vivant d'une vie singulière, mais encore de rinter-
subjectivité. C;est ainsi,. par exemple, que la vi-olence (qui t,end toutes choses
égales) deviendra une notion, philosophique; il faudra la penser dans son
antagonisme avec une présence, une identité rebelles à l'universalisation : la
particularité d'autrui s'expose (sich darstellen) , s'annonce (sich bekunden) -
termes phénoménologiques s'n en est - sans plus, ,c'es,t-à-dire sans pass,er sous
20 J. COLETTE

les fourches caudines de la généralité conceptuelle, par où la pensée fait


transüer le pensable. Ce qui de la sorte s'annonce, c'est autrui (non son concept),
autrui donc en sa nudité, me requérant moi aussi en ma nudité, c'est-à-dire en
mon unicité, en ma pré-identité. Que «les choses mêmes » se passent dans le
pré-originaire, avant toute conscience de soi, qu'elles précèdent non seulement
l'objectivation, mais aussi la compréhension, non seulement l'intentionnalité de
l'affectif, mais encore le premier mouvement de la pensée requise par ce
qui est à penser - voilà une curieuse manière d'approfondir, en le dépassant,
«l'idéalisme husserlien ».
Qu'en est-il de cette expérience (DL II, p. 376) irréductible à la vie de la
conscience qui, selon Husserl, est ce Cogito universel ayant son cogitatum
universel l ? Qu'en est-il de ce «domaine "subjectif" plus objectif que toute
objectivité» (EDE, p. 131) que la phénoménologie aide à découvrir, étant
entendu qu'il n'est pas « ce monde" subjectif" [... ] temporellement transcendant,
plus objectif que tout "objet" possible» 2? Qu'en est-il de l'unicité du moi
vigilant qui ne se sublime pas en conscience universelle, et pour qui l'idée
d'infini échappe à la téléologie de la conscience transcendantale (laquelle est
faite de l'intention où protentions et rétentions se recouvrent) ? Vouloir répondre
à ces questions, c'est réfléchir sur le sens d'une pensée qui vise ce dont il
n'y a ni perception, ni aperception : l'ipséité d'un Je qui n'est pas celui de
l'aperception transcendantale, mais qui est pure relation à la « résistance éthi-
que» (EDE, p. 173; TI, p. 173), relation mise en moi par le regard nu
d'autrui, comme a été mise en moi l'idée d'infini avant que prenne corps et,
selon certains, soit vaincue la résistance de l'objet au concept. Cet avant désigne
l'immédiateté dont la phénoménologie de Lévinas découvre après-coup l'intrigue
donatrice de sens. Dans ce qui suit sera seule envisagée la longue fréquentation
par Lévinas des textes de Husserl. Cette étude pourrait permettre d'approcher
la réponse à la question : comment, à force d'aller aux choses mêmes,
en vient-on à se demander principa1ement à quel point il faut se fadre philosophe
pour n'être point dupe de la morale?
Lorsqu'en 1927, E. Lévinas entreprend l'étude de Husserl, il y voit une
« philosophie vivante [... ] au milieu de 1aquelle il faut se jeter et philosopher»
(THI, p. 14). Dans les Recherches logiques de ]900 et dans les Idées de 1913,
il trouve «réellement exécuté un travail fondamental portant sur les choses
immédiatement intuitionnées et saisies» 3, à savoir l'élucidation des «structures
principales de la conscience pure» 4. C'est là une ontologie fondamentale théma-

1. Edmund HUSSERL, Ge.~ammel.te Werke, colt. Husser/iana, La Haye, M. Nijhoff, 1950 sq.
T. L D. 80. Nous citons desormals Hua.
2. HEIDDEGER, Sein und Zeit, p. 366.
3. HUSSERL, Recherches logiques, Préface à la 2· édition (1913), p. X.
4. Ibid.
LÉVINAS ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE HUSSERLIENNE 21

tisant le sens d'être que la vie prête aux objets,. étant entendu que «l'être se
confond avec les différents objets de notre vie cognitive, et aussi volitive et
affective» 5. Très tôt Husserl avait souligné la «signification métaphysique» 6
de la « conversion ontologique» 7 qu'il imposait à la philosophie, en modifiant
de la sorte 1e sens même de la pensée comme pouvoir. C'est de Husserl que
Lévinas hérite cette capacité, cette passion de méditer sans cesse sur le sens
d'être : que signifie le fait que toute significaltion est suspendue à l'être, à
l'actualité, c'est-à-dire à ce qui a lieu «au point d'apparaître et de se faire
présence dans une conscience» (DQVI, p. 175)? Qu'est-ce qui est impliqué
dans l'idée que l'être suscite la conscience en lui prescrivant Je comment de son
approche au point, par là même, d'apparaître (EDE, p . 134, 135)? Et, cela
étant, comment, après s'être jeté dans la pensée husserlienne, philosopher à
ses propres risques et périls 8? Après avoir reconnu avec Husserl que la cons-
cience, loin de demeurer la proie des idées abstraites, déploie « l'énergie de la
présence qui la suscite» (DQVI, p. 177), que ce déploiement est Je travail
infini de la thématisation et des synthèses d'identification, comment, en voyant
dans cette nouveauté se prolonger le règne du Même, parler philosophiquement
d'une «étrangeté qui se moque du savoir» (NP, p. 153)? Examinons, pour
explorer ce que recouvrent ces questions et cette conjoncture de l'histoire de
la philosophie, cinq thèmes où s'exprime, chez Lévinas, un point de contact
avec la pensée husserlienne, l'insistance étant chaque fois mise sur un aspect
différent.

1 - INTENTIONNALITÉ ET TRANSCENDANCE (1930)

Il convient de commencer, pour situer l'œuvre philosophique de Lévinas, par


J'étude de ·ses rapports avec la pensée hussedienne. En effet, c'est en lisant Husserl
(principalement les deux ouvrages ci-dessus mentionnés) qu'il a lui-même
commencé. Par la suite, son itinéraire devait le conduire, des réticences déjà
présentes dans le livre de 1930 (La Théorie de l'intuition dans la phénoménologie
de Husserl) à une opposition de plus en plus précise, celle-ci, sans jamais
disparaître., cédant progressivement le pas dans les écrits plus récents, à la
volonté de souligner une proximité insoupçonnée dans le premier ouvrage. Mais
enfin il reste que « Husserl aura apporté à la philosophie une méthode (DL II,
p. 374), ce que la conférence prononcée à Royaumont en 1957 appelait la

5. THI, p. 188. Sur le «sens d'être », l'ontologie et «la philosophie post-husserlienne


de Heidegger », voir id., p. 12-15, 187-188.
6. Hua, XXII, p. 133 n.
7. Troisième Recherche logique, ~ 7, 239, n. 1.
8. Sich besinnen. Voir El, p. 24-25.
22 J. COLETTE

« technique ph.énoménologique ~ : l'idée est inséparable du chemin qui conduit


vers elle, ,elle n'est plus ni le là-bas platonicien, ni ce qui, disait Descartes,
s,e trouve dans le trésor de mon esprit. (L'idée même d'infini, apparemment ainsi
trouvée, devra toujours être reconquise sous de nouvelles «espèces.:!».
Pour le dire d'emblée: alors même qu'il est admis que l'o.n ne peut plus
philo.sopher autrement que Husserl (et Bergso.n, vo.ir HAR, p. 33), on ne le
suit pas pour autant dans toutes ses conclusions. Alors que Husserl cherche
et croit trouver à l'origine du sens la subjectivité transcendantale et son pouvoir
de projeter le rayon intentionnel,. Lévinas cherchera à dire positivement les
raisons de l'incapacité, de l'inadéquation de la conscience à l'égard de l'Autre
qui n'est pas son autre. Rien n'est plus significatif, de ce point de vue, que
ce qui sera dit au sujet du concept de transcendance. Selon Husserl, tout ce
qui peut être considéré comme transcendant dans le monde est à ce titre, totale-
ment référé à «une subjectivité vivant sur le mode de la conscience» 9. L'être
dit transcendant est celui qui s'annonœ (sich bekundendes) dans la conscience,
c'est-à-dire dans l'être qui peut être dit absolu, mais seulement en un s,eDS
transcendantal 10.
La caractéristique essentielle de l'intentionnalité ch~ez Husserl est la trans-
cendance : la pensée est miginairement prés,ente à l'objet transcendant. Ainsi
sont d'emblée écartées, avec toutes leurs apories, les théories représentation-
rustes : une subjectivité enfermée en elle-même, confrontée à ses seules repré-
sentations. « Nous ne sommes pas dirigés sur nos représentations:!> (THI, p. 133).
« Nous sommes orientés immédiatement sur l'être» (Tm, p. 180). Que c,e soit
dans l'intention de signification ou dans la présence des choses, «( la pure pensée
est un mode de vie du même degré que la vie en présenoe de l'être}) (Tm, p. 105).
« Tout acte de conscience est acte de transcendance» (THI, p. 181). Ainsi sont
dépassées la problématique idéaliste et la dualité sujet-objd. Mais cette notion
d'intentionnalité permet de reconnaître .g d'autr,es modes d'existence que celui
de l'objet théorique» (THI, p. 99) : le volontaire et l'aff.ectif sont «des
manières spéciales de se transoender» (Tm, p. 73 ; El, p. 27-28). fi: Volonté,
désir, etc. sont des intentions qui constituent, autant que la représ.entation"
l'existence du monde» (THI, p. 76).
Néanmoins jamais Husserl ne mettra en question «le rôle prépondérant de
la théorie ~ (THI, p. 99), des actes objectivants, de la thèse doxique. On peut
donc parler de l'intellectualisme de Husserl (THI, p. 141, 184). En procédant
de la sorte, Lévinas répète, mais avec une tout autre visée, le geste de Heidegger.
Dès 1923 à Marbourg, celui-ci se situe par rapport à l'œuvre de Husserl. En
même temps qu'il voit dans la phénoménologie un moyen d'éviter les: impasses

9. Ideen 1, § 49, Hua, III, p. 115, 474.


10. Id., § 76. Hua, III, p. 174.
LÉVINAS ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE HUSSERLIENNE 23

de la philosophie régnante, il la voit comme un achèvement de la tradition


philosophique logique et ontolc)gique. Le coup d'œil jeté sur cene-ci, comme
en témoignent les cours aujourd'hui publiés, lui permet de pro1poser une inter-
prétation nouvelle de la philosophie occidentale : les Grecs, saint Augustin,
les Scolastiques. Pour lui, 'comme plus tard pour Lévinas, la phénoménologie
husserlienne est la référence primordiale ; ce nonobstant, l'impulsion majeure qui
les anime dès le début est, en un sens, étrangère à la phénoménologi,e telle
que la conçoit Husserl. Cela tient au fait qu'après la grande récapitulation
historique de la phUosophie par Hegel, le regard doit porter loin s'il veut
aller au delà de l'idée absolue, la p,ensée' doit voir large si elle veut pratiquer
une autre phénoménologie que celle qui fait coïncider le savoir et sa p.liésen"
tation (DarsteUung).
Ainsi,. tout en soulignant l'originalité de ]a phénoménologi,ehusserlienne par
rapport au criticisme kantien ,et 'aux doctrines' épistémologiques du dix-neuvième
siècle finissant, Lévinas sera-t-il constamment conduit à en préciser les limites.
Et cela parce' qu'en parlant de Husserl, on ne peut pas ne pas parler de «toute
la vénérable' tradition qu'il achève ou dont il explicite les donné,es» (DQVI,
p. 233). Il, faut être' à la fois dans, cette vénérable tradition pour saisir la
radicaHté de la pensée de l'être qui part de l'ego. Il faut dans, le même temps
être en dehors' pour en éprouver les limites. Comme 'en témoignent les ,écrits'
postérieurs à 1960, cela se fera à la fois par l'appel 'à la métaphysique cartésienne
de l'Infini --.;.. dont la « réalité objective» de l'Idée est excédée par la «Jéalité
formelle ou actueHe » -,' et par l'inspiration biblique qui anime la pens,ée juive
de l'éthique. C'est dire la situation unique d'une pensée' philosophique pafiCe
que juive. ' « Le Dieu de la Bible se révèle dans l'in.terruption du parler cohérent.
Et cependant l'Occidental, irréversiblement philosophe [ ...] , veut d'un discours
capable d'englober jusqu'à cette interruption» (NP, p. 119'). 'Ainsi, sans être
le guide unique,' Husserl permet-il d'entrevoir' de nouvelles possibilités de philo-
sopher tout ,en dememant mscrit dans cette « histoire de la philosophie occidentale
[qui] a été une -destruction de la Transcendance}) (DQV!, p. 95).. Asseoir
l'axiologique 'et le pratique, sur la' représentation; c'est encore'« ne prendre
au sérieux que la transcendance de l'intentionnalité qui pourtant se convertit en
immanence dans le monde» (DQVI.; p. 165). Il rest,era à dire, paradoxalement
grâcea la phénoménologie, le sens d'une relation éthique, relation qui repose
« sur une intentionnalité qui échoue», (DQV!, p. 167)..
24 J. COLETTE

II - INTENTIONNALITÉ ET DONA nON DE SENS (1940)

L'exposé de l'intentionnalité de la conscience se fait chez Husserl moyennant


un concept que Lévinas ne cessera de questionner, de critiquer avant de l'adopter,
fût-ce provisoirement seulement : la donation de sens (Sinngebung). L'insistance
mise ici sur le sens plus que sur la transcendance de l'objet conduit à une
atténuation du jugement de 1930 : « Il serait peut-être injuste de qualifier [la
philosophie husserlienne] d'intellectualisme» (EDE, p. 23). En effet, la notion
de sens ne s'applique pas qu'aux actes objectivants, mais aussi au désir, au
sentiment. Ce mérite reconnu à Husserl, on ne peut toutefois méconnaître que
l'intentionnalité, inséparable de la théorie de l'évidence et de l'identification,
revient en fin de compte à «identifier esprit et intellection» (EDE, p. 24). La
question ici posée ne cessera d'animer la pensée de Lévinas dans son rapport
à Husserl. «Mais que signifie la présence de l'acte d'identification à la base des
intentions qui n'ont rien d'intellectuel? l> (EDE, p. 24). A quoi fera écho
en 1979 : «Mais 1'intentionnalité épuise+eUe les modes se10n lesquels la pensée
est signifiante» (DQVI, p.. 241)? Dès 1940 se trouve formulé le principe
d'interprétation de la philosophie phénoménologique qui sera à la base du
texte programmatique mais décisif de 1951 : «L'ontologie est-elle fondamen-
tale? »11. Le rapport à l'être a toujours été compris comme intention au sens
de compréhension. Jusque dans les visées les plus concrètes, dans les moments
les plus contingents de l'existence en sa facticité, on peut voir un acte d'in-
tellection. «Cela a été découvert par Husserl, mais rattaché par Heidegger à
l'intellection de 1'être en général [ ... ] Tout l'homme est ontologie l> 12.
Dans le texte de 1940 - qui souligne le caractère révolutionnaire de l'œuvre
de Heidegger (EDE, p. 39) - Lévinas présente l'épochè et la réduction comme
]a liberté que se donne le phénoménologue accédant au monde à travers ses
noèses. «La vie spirituelle est le fait de prêter un sens. Mais ne suis-je pas
autre chose que cet acte?}) (id., p. 35). Voilà la question posée: Ne suis-je pas

If. Revue de Métaphysique et de Morale, t. LVl (1951, n° 1), p. 88-98.


12. Art. cit. p. 99. Comparer avec le texte de. 1?78, (DQVI, p. 178). Voir cependant
Heidegger considérant. dans son Cours de 1927 Intitule Grundprobleme der Phiinomena~
[agie, que la phénoménolo~ie n'~ ~ême pas posé la question de savoir comment la com-
préhension de 1'être appartIent a 1 mtentlO (Gesamtausgabe t. XXIV, Frankfurt am Main
1975, p. 447). Cette problématique :oncerne évidemment la donation de sens qui fait
de l'être J'être donné I;a; cette donatlOn. U!1 c analyse ~lu.s précise devrait ici être pOur-
suivie concern~nt 1'expenence du t~mps. Heidegger et, Lev~nas r,efuser?nt de n'y voir que
l'auto-constitutIon du flux de c?nscJ 7nce comme ~onne p~eno:nenologtque absolu. Mais à
partir. du même ~e~s de la reductlO n. du sens a .la sphere Imn:a~e,nte et absolue de la
conSCIence, Se fait JOur une autre divergence qUI concerne preCiSement le sens de la
transcendance.
LÉVINAS ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE HUSSERLIENNE 25

autre chose que conscience entendue comme donation de sens, celle-ci étant,
comme identification par la pensée, le phénomène même du sens? 4: Le fond
dernier de l'esprit» est-il, comme le dit Husserl, «l'intimité d'un sens à la
pensée» (id.; p. 34)? Alors que le livre de 1930 montrait que Husserl ne rend
pas compte de la spécificité de l'affectif, en raison du primat reconnu à la
théorie, l'article de 1940 oppose à la conscience l'esprit (comme Heidegger y
opposait le Dasein). C'est en contrepoint de l'idée de la conscience pleinement
active dans la donation de sens que commence à se poser, notamment à propos
du temps, la question de la passivité (voir id., p. 39, 42). C'est là qu'est
interprétée, dans le sens si souvent repris par la suite, la portée de la phéno-
ménologie comme monadologie : pour Husserl, c'est «à travers l'immanence
de son présent» que l'esprit doit «considérer toute transcendance. Rien ne
peut entrer en lui, tout vient de lui» (id., p. 47). Formules qui plus tard
seront renversées lorsqu'il s'agira d'évoquer la clandestinité d'un sens qui entre
dans la conscience à son insu, en contrebande.

III - HORIZONS ET «MEHRMEINUNG» (1959)

Dans trois articles parus la même année, l'essentiel est l'appréciation positive
de l'intentionnalité comme Mehrmeinung, « ce dépassement de l'intention dans
l'intention inhérent à toute conscience» 13 - aspect «que masque, peut~être.
le recours au terme "constitution"» (EDE, p. 127). En quoi consiste ce
supplément de pensée? Les horizons insoupçonnés par la visée directe d'un
objet, par toute pensée actuelle, leur irruption subreptice, cette invasion clan-
destine font que le regard voit plus qu'il ne se sent voir, que la pensée pense
plus qu'eUe ne croit penser. Cette structure de la pensée, cette configuration
de la visée intentionnelle, leur confirmation permanente dans les analyses
phénoménologiques concrètes, voilà sans doute ce qui a rendu possible sinon
l'intuition unique - comme eût dit Bergson - de Lévinas, du moins son
effectuation progressive en forme d'œuvre philosophique. En cela, les catégories
opératoires de la phénoménologie et le style de celle-d ont été aussi décisives
que l'orchestration des thèmes importants, comme l'intentionnalité de l'affectivité
ou l'antériorité de l'engagement actif dans le monde par rapport à la contem-
plation (EDE, p. 131). L'analyse intentionnelle permet de pressentir qu'il y a
dans les intentions (Meinungen) plus que la pensée qui entre en elles. L'idée
de potentialité de l'intention ouvre la voie aux analyses de la sensation, de l'anté-
prédicatif, du temps (id., p. 132). Et s'il y a plus, c'est paree que la pensée,

13. HUSSERL, Méditations cartésiennes, Trad. Peiffer-Lévinas, Paris, 1931, rééd. 1953,
p. 40.
26 1. COLETTE

n'étant plus comprise comme représentation, est interprétée à partir de l'inten-


tionnalité comme étant suscitée par l'être ou par l'objet. Le monde est constitué
et constituant, l'horizon n'est pas le paysage où s'inscrit l'objet, « mais la situa-
tion du sujet» (id., p. 132). Dès lors, la donation de sens _. loin d'être souve-
raine dans son activité de constitution - pourrait être comprise « comme
simultanéité de la liberté et de l'appartenance - sans qu'aucun de ces termes
1
ne soit sacrifié» (id., p. 133). .
Penser plus qu'on ne pense actuellement et activement c'est dépasser idéa-
lisme et réalisme. Les potentialités, le caractère implicite de la pensée indiquent
que celle-ci n'est pas immanente à elle-même. Même si, chez Husserl, elle
vise toujours la donnée adéquate et apodictique, la phénoménologie ne cesse
de d,écouvrir des «horizons cachés qui ne sont plus le contexte de cet objet,
mais les donneurs transcendantaux de son sens» (id., p. 135). De ce point
de vue, l'acquis est plus important que la reconnaissance du primat des actes
objectivants. La donation de sens peut n'être pas objectivation, mais éthique.
Penser plus qu'on ne pense, c'est avoir l'idée de l'Infini dont l'altérité «ne
s'amortit pas dans l'idée» (DL II, p. 377 ; voir aussi DQVI, p. 9-10, 13). C'est
ainsi que pourra se formuler l'interprétation philosophique de l'expérience du
désir « qui se distingue de l'indigence du besoin» (ibidem).

IV - LE TEMPS ET L'AUTRE (1974)

Tout en mettant en question le primat du théorique, Lévinas ne va pas du


donné subsistant ou de l'ustensile au Dasein et à l'Etre qui n'est aucun étant.
Il va de l'existence à l'existant et de l'existant à autrui. Dans l'existant, il va à
la responsabilité qui «précèd,e en lui l'Essence» (AE, p. 145). Or,. pour ce
faire, la méthode livrée par Husserl est irremplaçable. Que la «Raison méta-
physique» - comme relation à l'absolument Autre - ~cesse d'opposer théorie
et pratique, c'est là déjà une des thèses de Totalité et Infini (1961) «rendue
possible par la phénoménologie husserlienne » (TI, p. XVII). Ici encore, il s'agit
de procéder en· sachant que l'on doit à· Husserl de rester sur l'orbite de la
philosophie, tout· en lui faussant compagnie 14 sur les points où· il achève cette
« vénérable tradition ». Ainsi peut-on, grâce à lui, sans se donner le temps, ni
s'arroger le pouvoir de tout rassembler~ de tout légitimer à coup de synthèses
d'identification, penser plus. C'est encore gr{ice à la Mehrmeinung que peut se

14. «11 faut dès lors pens,er les formules husserUennes au-delà de leurs formulations»
(DQVI, p. 159). Cette liberté prise à l'égard de Husserl, dont },e style même ne se prête
guère au mimétisme, est le fait de bien d'autres phénoménologues. P'armi ceux qui l'avouent
clairement citons K. Held, Lebendige Gegenwart, La Haye, 1966, p. 143. W. Biemel, Hua, VI,
p. XXI.
LÉVINAS ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE HUSSERUENNE 27

développer urie pensée suprêmemeIit agile qUi, dàns sa hâte, dans l'urgence qui
la pr,esse,. précède là. réfi,exion. Dans Autrement qu'êt.re, c'est enCOl,e à partir
de Husserl que la pens,ée évolue. Là où celui-ci s'approche de' l'énigme du
temps où se recouvrent constituant et constitué (Hua, X, § 39), de la. « conscience
originaire » (id., p. 119), il parle d,e la co'incidenèe « de l'être et de l'être-conscient-
interne» 15, Là encore,a11ant en deçà de cette «monstration de l'être Jo (AB,
p. 43), Lévinas trouve à indiquer une passivité plùs origfuaire que c,eUe c,oinci-
dence d'activité et dé passivit,é. Et de même, il sera. question d'un langage capable
de faire l'économie de l'Universel, langage qui est contact (EDE, p . 235), c'est-
à-dire dénudation, exposition (AB, p . 63) et, «riuilgré son activité apparente»
(id . , p. 195), passivité (id., p. 117). Fût-ce pour se' contredire ou se dédire, la
philosophie se voit forcée de ·dire «en termes de conn.aissance'" 116 - c'est
dire ici phénoménologiquement - ' non seulement, comme Husserl, ce que
manque d'entrée' de jeu la négativilt,é hégélienne, mais même une diachronie,
un sentir, une an-archie que la réduction husserlienne, 'aUant jusqu'au non-
intentionnel de J'impression originaire, ne peut pressentir.
, S'il fauts'aventurèr «au':'delà de la Phénoménologie» (AB, p. 231), c'est "
parce que, par sa pro'pre visée de radicalité~ celle-ci se trouve elle-même conduite il),
aux limites de la phénoménalité. Lorsqu'elle s'approche de oe qui ne se laiss,e
ni thématiser ni synthétiser Iii synchroniser, ]a dëscription phénoménologique
doit céder le pas' à l'instance éthique. Le paradoxe auquel s,e' heurte noil pas
une ins.uffisance provisoire de la méthodé, mais l'essence même de la phéno-
! ménologie fuséparable de ront6logie, devra' se manifester dans le style abrupt
et heurté de l'éthique de là responsabilité infinié.

v- LE MOI COMME VI'(}ILANCE ou L'INTIMITÉ 'DU NON-INTENTIONNEL


(1974~1981) ,

On peut réunir' dans un dernier groupe les texteS parus après Autremént
qu'être. n s'agit alors dè rémonter en deçà' de l'intentionnel, dans' le pré-réflexif,
nori plus ,en explorant les potentialités dissimulées dans les horiions, mais par
, .
l,S. Id. p. 117, passage. évoqué par Heidegger dans son Cours de 1928 (Gesamtau.sgabe,
t. 26, Frankfurt am MaIn 19'78. p. 264) et par MEllLEAU·PONTY, Phénoménologie de .la
perception, Paris, "1945, p; 483, n. 2. Voir AB, p. 42, n. 14.
16. B. LÉVINAS, «Philosophie et positivité» in, Savoir; faire, espérer : les limites de
la raison, t. l,. BrmœUes, 1976. p. 197. Nombreux sont,. dans Autrement qri8tre. les passa-
ges où l'auteur. recom.~.aît la nécessi!é. ~e synchroni~er en. assertions philosophiques ce qui
dépasse ceUes-cl, ce qUI excède leur legltune autonomie. VOIr p. 56, 108, n. 18, 19'8, 206 213
215. Ce qu'il importe !cide voir est que le texte phiJo'sophique n'est rien d'ulti~e (U
s'int.erroinpt pour s'offnr au lecteur, aux commentaires), ni d'odginaire (le sens de ce
qu'il dit a comme préalable <II: la signification par excellence ~ j. id. p. 87).
28 J. COLETTE

une sorte d'accès direct à l'implicite, à l'intimité, à la passivité du non-


intentionnel (DQVI, p. 260). Le rapport à Husserl se précise sur la question
du Moi ou de la vivacité de la vie le plus souvent à partir d'une méditation sur
le temps (comme déjà dans Intentionnalité et sensation de 1965). On y perçoit
une approche consistant à infléchir la signification de la réduction. De même
que dans la conscience du temps on peut trouver la reconnaissance d'une
passivité qui signifie cliachronie plus que temps récupérable 17 (Manuscrit C 3 II
de 1931,. cité dans EDE, p. 160), ainsi peut-on trouver dans l'exercice de la
réduction un éveil non-intentionnel comme transcendance dans l'immanence.
Tenter de remonter à «l'origine de l'extériorité» (DQVI, p. 182-183) ou de
dire le sens que peut revêtir le fait «d'être affecté par l'inassumable» (DQVI,
p. 183) - cela peut, comme tâche, être décrit par contraste avec l'entreprise
husserlienne. Se référant à l'unité originairement synthétique de l'aperception
( transcendantale kantienne, Husserl s'efforce de montrer que le Moi pur n'est
pas un «pôle d'identité mort» (Hua, IX, p. 208). Il est vivant parce qu'il est
le flux des vécus et parce que dans ses affections et ses actions, sa vie est
l'exercice de ses «intentions intentionnelles» (ibidem), ,elle est mise en éveil
du fait que par elles elle est dirigée vers des «( objectivités intentionnelles»
(ibidem). C'est à partir de là que Lévinas, en évoquant la réduction transcen-
dantale comme intersubjective (DQVI, p. 52), indique le sens d'une «veille
sans intentionnalité» (id., p. 51) comme susception de l'Infini, comme réveil à
partir de l'Autre qui arrache «le moi à sa coïncidence avec soi» (id., p. 52).
Loin de s'identifier aux retrouvailles du psychisme comme donation de sens
(id., p. 233), du sens dans «l'aventure de la conscience qui est ontologique»
(id., p. 56), la réduction comme éveil doit pouvoir rompre avec Husserl, pour
qui eUe est accès à une vie totalement présente à la réflexion, pour qui le sens
du sens ne peut être que « savoir de la présence et de l'être» (loc. cit.). Comme
l'indiquent les nombreuses allusions à l'aperception transcendantale (id., p. 50-52,
55, 127, 160), il s'agit, pour Lévinas, de remonter à quelque chose de plus
originaire que l'unité originairement synthétique. Certes le Moi est Soi (Tl, p. 7)
en soi, il est ici et ici au monde. Mais, comme tel, il est iso1é en soi et la
phénoménologie se devra de dépasser cette comoacité égologique en orocédant
à la réduction intersubjective à partir de l'Autre (DOVI, p. 52). Ce qui se
dit, dans Totalité et Infini, comme visage - exp1osion de l'Autre dans le
Même - désign,e la désintégration de la « consistance atomique de l'aperception
transcendantale» (id., p. 55). Des métaphores comme insomnie, dénucléation
renvoient au Moi de la vigilance que Husserl ne parvient pas à penser autremen~

17, K. Held (~p, ci!., p, 7~, 144, 186) a bien analysé ~'énigme phén?mén,ologique à laqueUe
se heurte une reductlOn radIcale:, , le temps non recuperable, le phenomene originaire d' un
moi temporalisant et tempora lIse.
LÉVINAS ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE HUSSERLIENNE 29

que comme intentionnalité. A partir des emplois husserliens du thème de l'éveil,


Lévinas en vient à opposer à l'identité du Moi en soi, cette hypostase (id., p. 54),
du «Moi rivé à soi» 18,. l'unicité du moi voué à autrui, parce que arraché à
lui-même, dénucléé par cette résistance éthique dont parlait Totalité et Infini.
Par la réduction intersubjective (id., p. 51, 55), Husserl a cependant entrevu que
l'éveil de l'esprit, la vivacité de la vie signifient d'abord un arrachement du moi
à sa coïncidence avec soi, une veille sans intentionnalité. C'est en vertU de l'in-
tention dépassant l'intention, de cette Mehrmeinung, qu'une phénoménologie
placée elle aussi dans des horizons insoupçonnés, en vient à pratiquer une dona-
tion de sens que l'on pourra dire éthique, c'est-à-dire «essentiellement respec-
tueuse de l'autre}) (EDE, p. 135). A la différence du texte de 1940, analysé
plus haut, l'acte de prêter un sens n'est plus entendu ici comme identification
par la pensée. Mais cela, Husserl n'a fait que l'entrevoir car, comme la vivacité
de la vie, la relation à autrui restera pour lui savoir de l'être et de la présence.
Le seul rapt que connais·se la philosophie, est celui du poète - Je est un autre
(TI, p. 7. Comparer HAH, p. 88, 91) - ou du rêveur: «Ivresse ou sommeil :&
(DQVI,. p. 56).
Le travail imposé par Lévinas aux textes husserliens consiste à chercher, en
lisant entre les lignes, dans le moi «transcendant dans l'immanence », l'énigme,
inaperçue par Husserl, d'une présence à soi rejetant «au dehors son centre de
gravité» (id., p. 46). Selon Husserl, il va de soi que la subjectivité transcendan-
tale est « le fond unique d'immédiat,etés apodictiques» (Hua, VIII, p. 41), c'est-,
à-dire de données immédiates d'une expérience qui, de soi, est homogène à la
pensée. Philosophie du «point archimédique », la phénoménologie ne peut
naître et se développer que comme «produit immanent (de la pensée), c'est-à":'
dire à partir d'un commencement absolu» (Hua, VII, p. 62). Pour comprendre

18. TI, p. 7. En opposant au présent contexte l'usage que Michel Henry fait de la
même formule (L'Essence de la manifestation, Paris, 1963, p. 421, 830, 857), on se fera
une idée de ce qui sépare ces deux lecteurs de Husserl. L'enjeu est décisif, puisqu'il
concerne non seulement la possibilité d'une ontologie phénoménologique, mais encore le sens
de celle-ci lorsqu'elle impHque la pensée philosophique de Dieu. Lévinas cherche à élaborer
n
positivement une « Phénoménologie de l'idée de l'Infini» (DQVI, p. 1 en exc1uant tout
l'apophatisme que peut suggérer son <~ apparente négativité» (id., p. 10). D'où les comme
si répétés (id., p. 11-12) visant à suggérer d'où peut bien venir l'idée die Dieu, étant
entendu qu'ell.e ne peut être la simple finalité de ma visée intentionnelle. L'ontologie
phénoménologique de M. Henry n'est pas en quête de l'origine de l'idée de Dieu: la réalité
de l'absolu est identique à sa phénoménalité, elle est originairement révélatrice de soi
(op. cil., p. 384; 542) .. Le retrait de l'abs~l? hors du champ de l'idéalité renvoie, selon
cette lecture phtlosophlque des textes chretiens (Eckhart, Fichte) non li l'énigme mais
au phénomène. Pour Lévinas, la pensée qui pense plus qu'elle ne pense d~meure
équiv~que, int:igue, c:est-à-di~e « .énigme du non-phénomène» (DQVI, p. 51, n. 24). L'idée de
rInfim en mot ne fait que temmgner sur le mode du comme si, c'est-à-dire valoir comme
attestation dlu sourd travail de, l'énigme, du non phénoménal. Nous reviendrons ~n termi-
nant sur le sens de ce «noumene».
30 J. COLETTE

la modification du sens imposé à la réductio'n par Lévinas, il convient de dégager


le sens de l'acte philosophique qu'il propose en guise de «réflexion transcen-
dantal,e ». Celle-ci définit le sens même de la Critique de la raison pure (voir
B, 317), c'est~à-dire, en deçà du constructivisme spéculatü des grands systèmes
idéalistes, le rattachement de toute représentation, selon les diverses modalités,
au pouvoir de connaître. La «réflexion sur ]a réflexion» (DQVI, p. 45) va
découvrir une plus étrange structure: la transcendance dans l'immanence, où,
au delà du paradoxe husserlien de la coexistence du constituant et du constitué,
du fluent et du stable,. peut se pressentir le sens même de l'ipséité, de l'ego
constamment arraché à son assoupissement (voir Hua. IV, p, 107).
Dans ]a réduction transcendantale, l'apodicticité du Cogito-Sum se mani-
feste à une « réflexion sur la réflexion ~ (DQVI, p. 45). Celle-ci n'implique pas
le recours à une évidence seconde appelée en renfort à titre de critère extrin-
sèque à l'affaire. L'existence (Sum) ou la vie (lebendige Se.lbstgegenwart, Médf-
tations cartésiennes, § 9' - Hna, l,. 62) vient en quelque sorte affecter l'imma-
nence de l'évidence, affection qui implique un certain décalage. C'est cela que
Husserl appelle parfois éveil et que Lévinas invoque pour élucider le sens du
Moi pur comme« transoendance dans l'immanence» (selon la formule de
Ideen 1,. § 57), c'est-à-dire ce qui nous conduit à penser non s·eulement un
en-deçà du monde, mais même de la conscience comme sphèr,e absolue. Origine
de toute signification, antérieur à toute monstration, ce premier décalage appa-
raît comme la plus ancienne diachronie, surprise,. affection originaire non par
soi, mais passivité de la subjectivité comme «idé,e de l'infini» : subjectivité ori-
ginairement fissurée pat le «traumatisme de l'éveil» (DQVI~ p. 108;. HAH,
p. 11 0, n. 8). .
De quelle nature est cette réflexion sur la réflexion 19 ?

19. La même formule apparaît dans un commentaire heideggérien de Kant: la «réflexion


sur la réflexion vise l'organon de l'interprétation de l'être de l'étant", une pensée .qui« demeure
ambiguë, et cela à travers toute l'histoire de la pensée occidentale:!> (La thèse de Kant
sur l'Etre, 1962, W.egmarken, Frankfurt am Main 1967, p. 305). - Dans une lettre du
9 janvier 1971, Heidegger évoquait ce texte, comme pour indiquer que son propos avait
surtout consisté à opposer Dasein et Bewusstsein, afin de soustraire la 'question de l"Etre
à la problém.atique idéaliste. Cette lettre était adressée au P. L.B. Geiger en réponse à l'étude:
«Heideggers Denken. Eine Ausweisung» parue dans Freiburger Zeitschr, f. Phil. u. Theol·
t. 23 (1976), p. 233·252. Cet article, en citant E. Lévinas, à côté de samt Augustin et d~
M. Scheler, attribuait l'abset.!ce, chez. Heidegger, de la, dimension ...religieuse et person.;
nelle dans l'analyse du Das,em et de son «ouverture »,. a la volonte exclusive de p'enser
la pensée elle~même c0!Dme !'événement meU~n.t en mouvemelllit la philosophie, l'être se
montrant comme ce qUi est a pens:r. ~our eVIter toute rechute dans la philosophie de
la subjectivité, il avait. faUu recondUIre Jusque-là «les choses mêmes Jo, la chose se mon.;
trant. Mais, selon Geiger, c'était là escorter la philosophie jus1qu'aux marches du dicible
et ~a.sser sou~ silence .une ou~~rture de. resprit h?~ain. (Mens) que. philosophes et penseurs
chretl,ens avalent depUIS d~s s!ecl~s scrute avec p~netratton .. Nou~ c.tons ce dernier échange
entre deux penseurs, qUI S estunèrent pr.o~0.ndement, pourevoquer avec gratitude la
mémoire de L.B. Geiger, qui fut un rare mltlateur à la réflexion philosophique. .
tti !!!! 7~ SL u':'7

LÉVINAS ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE HUSSERLIENNE 31

Le paradoxe de la réflexion sur la réflexion chez Lévinas est qu'il ne vig,e


pas à ,établir la relation de l'objet à penser, eu égard à la pens,ée qui le pens,e
sous telle ou °telle modalité" pas davantage à atteindre l'être comme ce qui a
besoin de la pensée. A partir die la réduction huslS,erlienne au moi pur, Lévinas
situe la réflexion CODnue Selbstbesinnung.. Mais celle-ci u',est pas le Jetour sur
soi' d,e ]a pensée comme organori rapportant à 'elle-même" de telle ou telle manière,
l'objet résultant de la donati'cm sensible et de la liaison effectuée par l'entende-
ment. Nulle distinction ici de la forme et de la matière (voir Critique de la
raison purel B, 322). Nul accès à la subjectivité comme réflexion de réflexjon 211.,
Ce qui est atteint, ce n'est pomt une unité originairement synthétique, mais une
unité éclat,ée, fissurée par une quesion ~ l'Infini en moi - qui me confère une
sorte d'identité seconde., Cette quèstion n'est pas un,e modalité d'une unité orig,i-
nairement assurée en elle~même. «EUe est originelle» (DQVI, p. 186) en
tant que nrlse en question, inquiiétud,e d'une récurrencI8 à soi, d'une transcen~
dance dans l'immanence en deçà de l'intentionnaUté et don.c du moi pur' (AE~
p. 60, n. 33). Ainsi, paradoxalement, la réflexion sur la réflexion, loin de signi-
fier un retour sur les modalités régies par le rapport de « l'être» à la subjectivité
connais sante, conduit-eHe à l'irréfléchi. Mais celui-d n'est pas simple résidu
d'une réflexion hélas finie, noyau dur échappant de fait à la totalisation synthé-
usante et synchronisante. Il indique la fin de la réflexion sur soi.. L'impossible
coïncidence totale (cf. Bergson) ne conduit pas seulement à ce que Merleau-
Ponty a appelé Etre sauvage, à cet empiètement de l'être et d.e l'expérience, à
l'intuitio'n se muant en interrogation. Elle va à la transcendance dans. l''imma~
nence, cette «étrange structure» (DQV!, p. 47): l'identité c,omme intimité de J
la relation à l'Autre.

CONCLUSIONS

Comme .méditation d,e soi-même, la philosophie, c'est-àadb"e la réduction


pbénoménologique elle-même, est une ques,tion en retour: à partir des objets.'
et des effectuations de' c,anscience eUe pose la question du sens, de l'origine et
de l'essence téléologique
0 du moi. Pour Husserl, la réduction ressaisit en sa tota-
lité la «Typique des effectuations singulières et intersubjectives» (Hua, VI,
p. 182). Une telle réflexion,. avec ce qu'elle implique comme arrachement au flux
de la vie,. n'est possible ,que par une sorte de coup d'état: la philos1ophie com- \
mence av,ec la réduction. Commencer de la sorte, c'est accorder à la philosophie
le même rôle dans notre vie qu'aux sdences, théoriques ,et final,ement la même
signification «dans la destinée métaphysique de l''homme» (THl,. p. 220). La

20. Wegmark.en. p. 302, 304.

L
32 1. COLETTE

liberté que s'octroie aInSI le philosophe n'est que «la liberté de la théorie Jo
(THI, p. 222 ; EDE, p. 42). La méditation de soi commence avec la réduction
et s'achève comme théorie, puisqu'en sa facticité même la subjectivité transcen-
dantale est «scientifiquement saisissable» (Hua, VI, p. 181 sq), le fait de
«mon ego» peut et doit être rendu «scientifique c'est-à-dire logique» (Hua,
l, p. 106). A l'époque de son premier livre, Lévinas oppose à cette conception
intellectualiste de la réduction et à la théorie, qui voit tout sub specie aeternitatis,
l'historicité au sens heideggérien. Il y voit cependant posée en principe la recon-
naissance de l'intentionnalité de l'affectif où doit se trouver le moyen de vaincre
cet intellectualisme.
Les Méditations cartésiennes (voir l'Epilogue) se terminent en évoquant le
domaine de la philosophie seconde, dite aussi métaphysique, auquel il revien-
drait toujours de traiter des «problèmes éthiques et religieux» (Hua, l,
p. 182), c'est-à-dire d'affronter l'irrationnel de la facticité: mort, destin, sens
de l'histoire, mais aussi «l'irrationnalité du fait transcendantal» lui-même (Hua,
VII, p. 188, n.). Ces grandes questions «théologiques» sont «ultimement
métaphysiques et téléologiques» (Hua, VIII,. p. 506), el1es échappent à la logique
transcendantale qui s'occupe du monde possible, non du monde de fait (Hua,
VII, p. 394). C'est toutefois en approfondissant la question transcendantale, plutôt
qu'en allant aux questions-limites qui forment l'horizon d'une herméneutique de
la facticité, que Lévinas trouve 1'éthique et le religieux. Ce qu'il voit, en allant
d'horizon en horizon, c'est l'éveil de l'esprit ou la vivacité de la vie dans une
liberté «plus libre que la liberté du commencement qui se fixe en principe»
(DQVI, p. 51).
Mais d'une identité ainsi libérée d'ene-même y a-t-il encore phénoménologie,
intuition solitaire? « La fin de la pensée solitaire test] ... début d'une vraie expé-
rience du nouveau et du noumène - déjà Désir]) (TI, p. 20). L'analyse des
horizons, la pensée qui pense plus qu'eUe ne pense conduisent à un sujet décen-
tré, surpris là où il rejette hors de soi son centre de gravité. Lorsque Lévinas
parle de noumène, il faut entendre non seulement que« l'expérience» n'est
pas expérience de soi, mais qu'elle n'est pas connaissance. Accès philosophique
au non-savoir qui évoque la tradition qui va de Pascal à Kierkegaard en passant
par Jacobi. Quand Husserl parle de phénoménologie pure, il conçoit comme
accessible à l'intuition (perception interne) l'essence des phénomènes purs 21

21. Sixième Recherche logique, p ..235 sq. , - Dan~ Id~e und Methode der Philosophie.
Berlin, 1975, Iso, Kern oppose ,au vld,e cl: 1apercept,lOn mtell~ctuene kantienne (qui n'est
que la forme du Je pense) ,et a ~a re!lexlo,n h~sserbenne (qUi est perception immanente,
cf. ldeen /, § 38) une nOllmenologl e qUi seral!, sCl~nce des actes de la conscience non acce~­
sibles à la peweption, science des acte~ de refleXlOn conçue comme véritable connaissance
de la raison par elle-même. Les ac,qu~s de Kan! et. de Htlsse~l se trouveraient à la fois
dépassés et maintenus dans cette theone de la reflexlOn au-dela de la phénoménologie.
LÉVINAS ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE HUSSERLIENNE 33

et le moi pur comme sujet de ces actes. La question est de savoir si par là on
atteint autre chose que les strucures de l'expérience en leur universalité.
Lorsque le terme de noumène apparaît pour la première fois chez Lévinas 22,
c'est pour désigner, à l'opposé du 1"00e: 1"L (qui ne désigne le singulier qu'à partir'
de l'universel), le xCt.6'Ct.tlTO qui a un sens non à partir de moi ou dans le champ
relationnel, mais « à partir de lui-même ». Il s'agit du visage en tant que réalité
qui m'est «ontologiquement opposée» (art. cit' p. 268). Et la relation directe
j

avec le Y..Ct.6' CXÙ1"~ ne peut être de connaissance ou de pensée, elle ne peut être
intuition (id' p. 270). C'est la relation à l'expression dans Je visage, dans la
j

nudité du regard. C'est le rapport direct par ·excellence. «C'est une véritable
" phénoménologie" du noumène qui s'accomplit dans l'expression» (ibid.). On
comprend que le terme de phénoménologie soit mis entre guillemets. Plus que 1

de phénoménologie transcendantale, c'est bien de métaphysique qu'il s'agit ici.


Ce n'est plus des conditions de possibilité du donné qu'il s'agit, mais de la position
de l'Inconditionné. C'est pourquoi on peut lire à la suite: «La rencontre du
visage n'est pas seulement un fait anthropologique. Elle est, absolument, un
rapport avec ce qui est. Peut-être l'homme seul est substance et c'est pour cela
qu'il est visage» 23.

La phénoménologie qui vise à «présenter une défense de la subjectivité»


(TI, p. XIV) ne devient pas pour autant nouménologie. Son souci n'est pas de
donner substance à ce pur Dass vide dont, selon Kant, il n'y a qu'affirmation
et désignation (Critique de la Raison Pure, B, 422, note). Si elle demeure théo-
rie, c'est «comme respect de l'extériorité» (TI, p. 13). Elle apparaît souvent
comme soutenue par l'effort visant à dire le sens positif de l'échec des analyses
intentionnelles (voir EDE, p. 114), sans céder néanmoins à la théologie négative.
Comme Sein und Zeit (p. 363), eUe vise à opposer toujours plus radicalement

22. «Liberté et commandement », dans Revue de Métaphysique et de Morale, t. LVIII,


1953, 270.
23. Ce vocabulaire ontologique sera abandonné par la suite. Il ne saurait être question
de voir l'œuvre de Lévinas comme une «philosophie de l'éthique» venant constituer
une nouvelle province dans l'ensemble où s'inscrivent les recherches phénoménologiques
de Husserl et de Scheler ainsi que l'ontologie fondamentale de Heidegger. On comprend
que les philosophes. allemands n'aient guère pu situer autrement Totalité et Infini. Voir par
exemple H. KUHN, «Sein aIs Gabe» in Philos. Rundsch. 12 (1964-1965), p. 64-65. O. POG-
GELER, «L'Esprit du Christianisme de Hegel» in Arch. de Philos. t. 33 (1970), p. 752-753.
On peut voir à l'œuvre dans Autrement qu'être non seulement la volonté d'accentuer la mp~
tu~e av~c la phénoménologie, de dissiper toute apparence de similitude avec l'ontologie
eXlstenhale (Voir AE, p. 101), mais encore le souci de faire voir la description phénoméno-
logique elle-même s'engager dans des paradoxes qui la provoquent à virer en éthique
(AB, p. 120, n. 155), à se dépasser elle-même (AB, p. 231), mais sans jamais. renoncer au
«'phr~sé de la rec~erche phénoménologique» (EDE, p. 112). La principale raison de cette
seceSSIOn progreSSiVe est l'approche, par des voies philosophiques d'une «immédiateté i
antérieure à la philosophie» (AB, p. 116). '
34 J. COLETTE

objectivité et transcendance (TI, p. 20). Mais il y a transcendance et transcen-


dance. C'est à l'expérience du noumène que la philosophie devra de pouvoir
ne plus penser la transcendance comme savoir (EDE, p. 226). Cette expérience
est cene d'une «immédiateté [... ] d'une intrigue [...] où je suis noué aux autres
avant d'être noué à mon corps» (AB, p. 96). Ce qui va manifestement à ren-
contre de l'idée husserlienne d'immédiateté 24. L'opposition à Husserl est en
effet radicale, lorsque l'on conçoit une immédiateté que ne peut réaliser non
seulement «l'exposition d'un sens à l'intuition» (EDE, p. 229), mais même
l'expérience du corps propre. Tendresse (EDE, p. 229), proximité, responsabilité
(AE, p. 96), vulnérabilité relèvent d'une i.mmédiateté autre que celle de l'in-
tuition. De même peut être dit immédiat le langage qui n'est pas intention, pré-
tention ou visée, mais contact, c'est-à-dire «relation originelle avec l'être exté-
rieur» (TI, p. 38). L'immédiateté est le fait d'une signification sans contexte,
celle du x1%8' I%frc6 qui s'exprime en se soustrayant à toute donation de sens, à
toute intuition. En ce sens la phénoménologie vire en éthique à partir de l'expé-
rience non du phénomène et de son objectivité, mais à partir du noumène. Cette
« expérience» seule permet de vaincre le solipsisme que Husserl avait affronté
sans pouvoir le réduire.

Le moindre paradoxe de cette aventure philosophique n'est pas de découvrir


après coup (TI, p. 25) une immédiateté, d'aller de la pensée théorique au psy-
chisme, de la phénoménologie à l'éthique, d'établir ainsi nouvellement «]a pos-
tériorité de l'antérieur» (ibidem) - ce qui est la négation même du cercle dia-
lectique où la médiation n'est pas autre chose que le devenir même de l'immé-
diateté. Voir l'analyse de l'apodicticité de la réduction transcendantale abou-
tissant à la présence vivante à soi, voir cette réflexion sur la réflexion surprendre
en sa clarté la vivacité même de la vie non pas comme état de veille, mais
«comme incessant réveil» (DQVI, p. 46) - cela témoigne du même souci
phénoménologique que la découverte du non-intentionnel dans la confusion
du pré-réflexif. A lire ces pages, on en vient,. de fait, à se demander: comment
peut-on n'être pas phénoménologue, pourquoi chercher l'idée dans l'alibi de
l'Empyrée (TI, p. 3 ; HAB, p. 33)? Il faut être phénoménologue en effet pour
parvenir, sans renoncer à la sobriété du style transcendantal, à formuler philoso-
pbiquement ce qui d'ordinaire relève de l'aveu, de la dénudation (NP, p. 71, n.).
Sans ce style, pourrait-on parler du pré-originaire, de la postériorité de l'anté-
rieur, pourrait-on évoquer «la merveiUe du moi débarrassé de soi» (DQV1,
p. 265) en un sens éthique - c'est-à-dire comme antériorité de ce qui se dit
après-coup, le conatus allant d'abord de soi? L'ordre éthique est «l'accession
même à la Divinité» (DL l, p, 139).
24. Il Mon corps propre est le seul corps. sur lequel je perçoive, de manière absolument
immédiate, l'incarnation d'une vie psychique» (Hua, VIII, p. 61. Voir aussi Hua, l, p. 128).
- _. __ .- ----- ---- --~.

LÉVINAS ET LA PHÉNOMÉNOLOGIE HUSSERLIENNE 35

POST-SCRIPTUM

La postériorité de l'antérieur, c'est aussi la « situation de l'homo philosophus »


(THI, p. 203), ses «expériences pré-philosophiques» (AB, p. 24). Postériorité,
car, eu égard au non-intentionnel, toute pensée commence en quelque sorte
gratuitement, naïvement, 'et ce n'est qu'après-coup qu'elle s'aperçoit qu'elle pensait
plus qu'elle ne pensait, fût-ce moyennant ce que Merleau-Ponty a appelé «ce
non-savoir du début qui n'est pas rien» 25. C'est par le recours à l'antériorité de
l'après-coup que Lévinas trouve d'ores et déjà dans le moi,. par essence rivé à
lui-même, le non-intentionnel, la passivité du pour-l'autre - ce qui signÎlfie,
pour la pensée, l'Infini qui d'aucune manière n'est une finalité.
On nous permettra de citer un texte inédit de Husserl choisi parmi ceux qui,
de 1930 à 1933, sont classés sous la rubrique « Constitution intersubjective» et
qui traitent du fondement téléologique, à savoir de cette «disposition irration-
nelle innée qui rend possible la rationalité ~> 26. C·est dans ces textes qu'il parle
de la grâce (E III 4), de la foi (E III 10) et, évoquant Kierkegaard, «du Dieu
sauveur qui n'est pas un théorème, mais qui nous sauve de ce qui nous enchaîne
à ce monde» (E III 4, p. 56). A la différence des textes bien connus sur le
Dieu constitué «par ma propre effectuation de conscience» 27, et aussi des
passages sévèrement jugés par Lévinas comme «preuve finaliste de l'existence
de Dieu» qu'il est difficile de prendre au sérieux (EDE, p. 48), Husserl a conti-
nué de se demander, dans la ligne de ldeen l, § 51 (Remarque),. comment peut
s'annoncer à la conscience un Absolu qui ne soit pas absolu au sens du vécu
et un Transcendant qui ne soit pas transcendant au sens du monde. Dans un
inédit de janvier 1933 28, il parle d'un pré-sentiment (Vorgefühl) , d'une pré-
signification (Vordeutung) qu'il n'est pas donné à tout le monde de connaître
et qui relèvent manifestement du pré-philosophique. Ce sont ceux qui portent
sur un au-delà de la subjectivité de la conscience (ein Jenseits der Bewusstseins-
subjektivitat): «Est à tout le moins pensable, à tout le moins possible un
domaine de l'être, qui nous demeur,e inaccessible ou un "Néant" qui n'est pas
lié à nos vérifications et à nos légitimations d'être (Seinsausweisungen). Au-delà
qui, de quelque manière dans le sentiment ou, en quelque manière mystique, frappe
dans notre sphère de conscience. Au-delà auquel ne s'accorde pas le langage

25. Le Visible et l'invisible, Paris, 1964, p. 74.


26. Manuscrit E III 9, transcription Marly Biernel 1952, p. 5, que nous avons pu consul-
ter aux Archives Husserl de Paris. Voir aussi H. HOHL, Lebenswelt und Geschichte, Freiburg,
1962, p. 83-88.
27. Logique .formelle et transcendantale, Hua, XVII, p. 258.
28. Manuscnt B 1 14 XIn, p. 16-17 (Transcription citée).
36 J. COLETTE

qui n'est que celui de notre conscience ». Ainsi Husserl n'excluait-il pas qu'une
transcendance s'annonce en troublant la conscience, de manière non bewusstseins-
müssig. Il ne s'agit pas seulement ici de reconnaître que le discours philosophique
ne fait pas cercle avec l'irréfléchi qui le précède. Par rapport au pré-réflexif
qui, selon Husserl, est constitué - même si cette constitution n'est jamais
exhaustivement inventoriée - il ne faut pas exclure l'énigme de ce qui est
antérieur à la constitution même . De ce qui, en ce sens, échappe à l'intention
comme vouloir-dire (AE, p. 46), au «fiat comme point d'insertion du vouloir
et de 1'agir » 29,

Jacques COLETTE

29. Ideen 1, § 122, Hua, III, p. 300.

S-ar putea să vă placă și