Supplément à La Gazette n° 1700 - Du 16 au 22 mars 2018
L’homme aux 6000 tubes
Les prêtres passent, Othar Chedlivili demeure. Titulaire de l’orgue de la cathédrale Saint-Pierre
depuis 1992, il a façonné sa vie autour du pape des instruments.
ous ses doigts, le plus gros ins-
S trument de tout Montpellier.
Un monstre somptueux à don-
ner le tournis : près de 6 000 tubes
pour autant de sonorités, sa cohorte
d’anges sculptés et un écrin de pres-
tige, la cathédrale Saint-Pierre. « Un
orgue, c’est un monument de mys-
tères. Il faut fouiller ses tripes, trouver
la clé pour le faire parler. Et il vous
livre quelques-uns de ses secrets. »
Othar Chedlivili, titulaire du grand
orgue, aime cet instrument : c’est
quatre à quatre qu’il monte les
marches de l’escalier en colimaçon
qui y mène. Ses 75 ans n’ont qu’à
bien se tenir. Son embonpoint,
idem. « La nourriture céleste, c’est
bien. Mais la terrestre, aussi. »
Cet amour, ce « rapport fusionnel »,
il le nourrit depuis l’enfance. « J’ai
commencé à 11 ans. » Sous l’impul-
sion de sa mère, organiste elle
aussi. « Elle s’est dit : qu’est-ce que je
vais faire de ce petit ? Moi, ça me pas-
sait au-dessus de la tête. » Mais tout
à la joie de jouer aux côtés des maî-
tres, le talent ne tarde pas à naître.
Ses gammes pliées depuis des lus-
tres, il s’exerce à l’église Sainte-Thé-
rèse. Jusqu’au jour où « le maître de
chapelle de la cathédrale me voit
jouer ». « Il flaire la bonne affaire. »
Et le voilà débauché pour Saint-
Pierre.
« c’est un mÉtier
D’HumilitÉ »
Fini les orgues de troisième caté-
gorie. « Quand j’ai joué ici, avec le
grandiose et le majestueux, la puis-
sance qui se dégageait, les vibrations,
j’ai senti le caractère sacré de la
chose. Tout tremblait sous mes doigts
et le son se propageait sous les
voûtes. » Un baptême dont on ne
sort pas indemne.
Il n’empêche, il officie comme béné-
vole et l’orgue ne remplit pas l’as-
siette. Alors, de front, il mène aussi
sa vie d’économiste. Dans une
banque puis comme enseignant.
« Ma variable d’ajustement, c’était
la nuit. » Il multiplie les insomnies.
C’est que la passion se paie cash,
pour le plus grand bonheur de sa
famille… « Mon épouse me disait : je
commence à en avoir assez de ta
cathédrale ! » En un trait, il résume
l’affaire. « J’étais l’homme invisible. »
En 1992, le voilà propulsé titulaire
de l’orgue. «C’est de la gloriole, un titre
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honorifique, une carte de visite.» DES MEN-
Mais aussi quelques responsabi-
lités. «Je gère le planning des sept
organistes de la cathédrale. Il en
SURATIONS
DE TITAN
Construit en 1778,
faut au moins un par service domi-
nical. Si personne n’est là, je le grand orgue de
bouche les trous, je remplis les la cathédrale
blancs.» Et justement, pour la fascine par ses
messe, l’essentiel consiste à être dimensions. 
« en phase complète avec les Des boiseries
fidèles». «Pour l’orgue liturgique,
recouvertes 
je dois disparaître, il faut que l’on
m’oublie. C’est un métier d’humi- de 16000 feuilles
lité.» Dans ce registre, seul le tra- d’or, son faîte qui
vail paie. culmine à
22,5mètres,
60timbres
« De la variÉtÉ » différents,
4claviers et
Répéter, répéter, et ne surtout 1pédalier pour
pas rester prostré dans ses habi-
jouer… Et si le
tudes. «L’organiste qui ne va pas
voir ce qui se fait à l’extérieur se visiteur ne peut
fane. Il s’étiole.» Quitte à sortir compter que 140
du registre sacré, un détour pour tuyaux en façade,
s’amuser. «Quand j’étais l’assis- le ventre de la
tant de l’archiprêtre, vers minuit, bête recèle
il nous est arrivé de jouer de la environ 5700
variété.» Ou encore de bercer la tubes. Le plus
cathédrale avec des airs de rock.
gros pèse près de
Il sourit. Un regret? Pas exacte-
ment. Mais «quand je viendrai 75kg, tandis que
à mourir, je n’aurai toujours pas le plus grand
vu l’ensemble des possibilités de avoisine les
cet instrument». n 10,5mètres. 
Les plus courts
wTous les samedis, entre juin et sep- sont de
tembre, à 17 h 45, l’association Les
Amis du grand orgue de la cathédrale
minuscules
sifflets de 8 à
de Montpellier organise un concert.
10cm.
Et ce depuis 1984. Les grands noms
européens de l’instrument, Sylvain
Pluyaut, Henk Galenkamp, Mayam
Haiawi ou encore vincent Warnier,
font partie du cru 2018. Renseigne-
ments : 04 67 66 04 12.
AUSCULTER L’ORGUE
Dans le ventre de la bête: Jacques Nonnet. Gérant de la société
Orgues Giroud et facteur d’orgue, il ausculte quelques milliers de
tubes. Une opération qu’il répète trois fois par an, notamment à
l’amorce de l’hiver et du printemps. C’est que «la température
joue sur l’instrument», explique-t-il. Muni d’un accordoir d’anche,
une fine tige de métal, il tapote chaque tube. L’objectif ?
Déterminer, à l’oreille, si la note produite est la bonne. Et si tel
n’est pas le cas? Il faut «raccourcir ou rallonger la partie
vibrante» à l’intérieur du tuyau. Un travail de longue haleine,
près de quatre heures à chaque fois. 
Une bagatelle, mine de rien, à côté du chantier d’harmonisation
de l’orgue. «Il s’agit alors de faire en sorte qu’il ait un son
agréable à l’oreille. La dernière fois, il nous a fallu cinq mois.»