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Langages

La terminologie française des parties du discours et de leurs


sous-classes au XVIe siècle
Jacques Julien

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Julien Jacques. La terminologie française des parties du discours et de leurs sous-classes au XVIe siècle. In: Langages,
23ᵉ année, n°92, 1988. Les parties du discours. pp. 65-78.

doi : 10.3406/lgge.1988.2000

http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1988_num_23_92_2000

Document généré le 14/10/2015


Jacques JULIEN
URA CNRS 381

LA TERMINOLOGIE FRANÇAISE DES PARTIES DU DISCOURS


ET DE LEURS SOUS-CLASSES AU XVIe SIÈCLE

« Soyez de volonté dative


A moy votre amant optatif
Qui, par un soupir vocatif
Demande la copulative
Et conjonctif sans exitif
Pour avoir force genitive »
(Tabourot des Accords
Bigarrures. 1582)

1. Introduction

1.1. L'objet de cet article est d'examiner, sur un domaine limité — les parties du
discours et leurs subdivisions — , comment se crée une terminologie en langue verna-
culaire, en prenant soin de distinguer l'importation d'un terme, et l'importation d'un
concept. Autrement dit, on évitera de confondre la transposition d'un terme latin
isolé de son système, utilisé de manière ad hoc pour décrire la réalité linguistique
française (ce que nous appellerons emprunt terminologique), et l'adaptation d'un
terme latin accompagné de son contexte systématique (terme opposé, terme
dominant, terme(s) dominé(s)) à une réalité linguistique perçue comme analogue (ce que
nous appellerons emprunt conceptuel). Mais l'analogie d'une langue à l'autre étant
loin d'être une évidence, il convient aussi de juger de l'application du concept à un
ensemble de formes linguistiques, en l'occurrence françaises : on se demandera par
exemple si la transposition tient compte de la notion de mot (la partie du discours
qui est un mot en latin est-elle un mot en français ? ), ou si la liste française présente
la même homogénéité — ou la même hétérogénéité — que la liste latine.
Le noyau dur de notre corpus est constitué par les grammaires complètes, écrites
en français et portant sur le français : Meigret 1550, Robert Estienne 1557, Ramus
1562 et 1572, Du Vivier 1566 et 1568, et Jean Bosquet 1586.
Mais il nous a paru nécessaire, pour éviter des erreurs d'appréciation, en
particulier quant à l'innovation, d'étendre ce corpus :
1° aux textes grammaticaux écrits en français au Moyen Âge : Donat latin
traduit en ancien français, XIIIe s., éd. Heinimann, 1966 ; Donait François, John Barton
1409, éd. Stengel, 1879 ; Traité de syntaxe latine, v. 1400, éd. Mok 1975, qui
serviront de base de référence et permettront de voir la part de vocabulaire grammatical
que l'on peut considérer comme passée dans le domaine commun au début du XVIe
(même si ces traités sont nés pour la plupart dans un contexte anglais) ;
2° aux fragments plus ou moins importants de terminologie française épars dans
les grammaires du français écrites en latin : Sylvius 1530, Pillot 1550, ou les
grammaires multilingues : Drosay 1544, Meurier 1558 ;
3° aux grammaires latines traduites en français à des fins à la fois de pédagogie
et de promotion du français : ce sont les traités de Robert Estienne 1532, 1540,
1546;

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4° aux textes linguistiques non strictement grammaticaux qui véhiculent la
terminologie grammaticale : Fabri 1521, Geoffroy Tory 1529, Dolet 1540, Du Bellay 1549,
Meigret 1542, 1550b, 1551, Henri Estienne 1565, 1579, ... ou tentent de la
réformer : Abel Matthieu 1559, 1560.
Ce corpus étendu servira à l'étude de l'innovation terminologique ; l'étude de
l'innovation conceptuelle, supposant un système explicite, se concentrera sur le
corpus des grammaires mentionnées dans le 1°, en faisant occasionnellement référence
aux grammaires du français écrites dans d'autres langues terminologiques (latin
essentiellement, anglais pour celle de Palsgrave).

1.2. Mise au point et définitions

1.2.1. On considère qu'il y a innovation terminologique à partir du moment où il


y a apparition d'un nouveau terme en vernaculaire, qu'il s'agisse d'une invention ou
d'une traduction. Le calque sera le degré zéro de l'innovation : le changement y est
réduit à un changement de langue terminologique, avec les adaptations morpho-
phonologiques que cela suppose.
Entre le calque et l'invention, qui apparaît le plus souvent dans l'étiquetage de
nouvelles subdivisions, c'est-à-dire au plus bas de l'arbre conceptuel, on peut
distinguer plusieurs modalités de l'innovation « seconde » :
— la variation lexicale, procédant en général d'un refus du calque et d'un désir
de promotion de la langue française, dont il est parfois difficile de dire si elle prend
pour référence et repoussoir le terme français calqué dont elle établit une variante
synonyme, ou le terme latin dont elle constitue une vraie traduction ;
— la variation suffixale, dans une même langue ou d'une langue à l'autre, qui
traduit un durcissement ou un « ramollissement » de la terminologie (exemple :
passage de negandi à negatiuum, ou de negatiuum à pour nier ou servant à nier).
On tiendra compte aussi de la manière dont l'innovation est introduite : à côté du
terme traditionnel, ou à sa place, ce qui donne des informations précieuses sur
Г« énonciation » grammairienne.

1.2.2. L'étude de l'innovation conceptuelle pose des problèmes plus délicats :


l'innovation conceptuelle fait intervenir à la fois la place du terme dans le système et
la classe de phénomènes qu'il décrit. Il peut donc y avoir théoriquement
conservatisme terminologique et ébranlement du système conceptuel, comme il peut y avoir
innovation terminologique où le terme nouveau a exactement la même fonction que
l'ancien dans le système : c'est ce que Livet (1859 : 308) reproche à Abel Matthieu,
nous aurons l'occasion d'y revenir.
On appellera innovation intensionnelle (i.-e. en compréhension) le changement de
place dans le système, et innovation extensionnelle la modification du contenu des
classes de phénomènes linguistiques décrits.
1.2.2.1. L'innovation intensionnelle peut être examinée : 1° dans la subdivision
du concept en sous-classes ; 2° dans les modifications par addition et soustraction
dans la liste des termes de même niveau ; 3° dans la dominance du terme jusqu'au
concept général de partie du discours (avec addition ou soustraction de nœuds Ц ;

1. Ou doublage de nœuds dans le cas où Ton a un métalangage, comme dans la grammaire


modiste (adiectiuum est doublé par modus adiacentis ) ou à Port-Royal {indicatif est doublé par
affirmation simple, subjonctif par affirmation modifiée). Mais cela n'arrive pas dans la
grammaire française du XVIe.

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4° surtout bien évidemment dans la relation d'opposition explicite du concept à son
contraire, en tenant compte des critères proposés 2.
1.2.2.2. L'innovation extensionnelle :
Le fait de classer une forme linguistique sous telle ou telle partie du discours ou
subdivision de partie du discours est une modification que l'on pourrait appeler
quantitative, même si elle a des conséquences en compréhension, dès lors qu'elle
consiste à ajouter ou soustraire dans une liste.
Si l'axiome de monocatégorisation défini ici-même par Auroux (1.3.) consiste à
postuler qu'une forme linguistique est classée sous une et une seule partie du discours, la
décatégorisation consistera alors à soustraire, puis à ajouter sous un concept, la poly-
catégorisation à copier sous un autre concept.
On réservera le terme de modification qualitative au passage d'une classe ouverte
à une classe fermée.

2. L'innovation terminologique

2.1. Si l'on regarde les premiers traités grammaticaux en français {Donat latin
traduit en ancien français, éd. Heinimann, 1966, ou le Donait françois de John Bar-
ton, éd. Stengel, 1879), on s'aperçoit qu'il n'y a pas d'emprunt terminologique isolé :
ils empruntent l'ensemble de la métalangue. Le Donat sur lequel ils s'appuient
essentiellement est VArs minor (pas de subdivisions des noms propres et communs), encore
allégé des significations de l'adverbe. En revanche est rajoutée la bipartition
déclinables-indéclinables sous la forme (partie) déclinée vs. ne se déclinant mie
(Heinimann, éd.. 1966 : 52), qui, elle, semble provenir de VArs Maior. Du strict point de
vue de la terminologie, les termes non assumés restent en latin iepicoenum, supra-
commune et dubium par exemple sous le genre) ; le reste est calqué.
Le Donait françois de John Barton, qui ne fait que citer le nom des parties « ne se
déclinant mie » et arrête son analyse au verbe, en est une version simplifiée, mais sur
quelques points originale. Lusignan (1986 : 113) suggère une possible influence
modiste, au moins dans la méthode, pour rendre compte de l'ordre d'exposition
(accidents regroupés en bloc avant les parties du discours). La terminologie elle-même et
la conceptualisation sont aussi médiévales par la place assignée par exemple à
l'opposition substantif-adjectif sous le nom. Un certain nombre de termes en tous cas ne
viennent pas de VArs Minor, mais de VArs Maior {articulus substitué à pronomen
articulare, impersonnel appliqué au verbe, et non à un prétendu mode), des Partitio-
nes de Priscien 3 {uniuocum comme traduction ďhomonymon), ou de sources
antiques ou médiévales à identifier {équivoque comme traduction de synonymon semble
provenir des Catégories de Boèce ; nous n'avons pas trouvé l'origine de la partition
verbe personnel- verbe impersonnel immédiatement sous verbe].

2.2. Au XVIe siècle, du moins en ce qui concerne l'évolution de la terminologie


vernaculaire, on peut en gros distinguer trois périodes :
— la période qui précède la grammaire de Meigret (1530-1550) où, le
nationalisme aidant, apparaît l'urgence de traduire vraiment au lieu de calquer ;

2. Voir Annexe II.


3. Les Partitiones duodecim uersuum Aeneidos principalium, recueillies à la suite des Insti-
tutiones dans l'édition de Keil (G.L.K., III, 459-515) sont le découpage en parties du discours
des premiers vers de YEnéide, à usage scolaire, ancêtre lointain de Y Idylle des Moutons de
Madame Des Houlières analysée en particulier par Du Marsais (Du discours et de ses parties,
Oeuvres, an VIII, t. I. 139 sq.l.

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— la période 1550-1558, où la métalangue française s'organise en système
complet dans deux grands « bâtiments » de grammaire française : Meigret 1550 et
R. Estienne 1557 ;
— la période 1558-1586 (puisque notre terminus ad quem est la grammaire de
J. Bosquet), où le radicalisme terminologique, celui d'Abel Matthieu par exemple, le
dispute au radicalisme conceptuel de Ramus.

2.2.1. Sylvius (1531), dans sa Grammatica btino-gallica, fait référence, dans le


cadre d'une métalangue grammaticale latine issue de Donat, à une vingtaine de
termes français. C'est probablement là un fragment de jargon scolaire, issu de textes
tels que le Douait françois, tombé dans le domaine commun de la pratique
pédagogique du temps : outre les noms des parties du discours et de leurs accidents, on y
trouve la liste des modes, y compris Yoptatif (113). Seul le terme de déclinaison (90),
appliqué au seul nom comme chez Priscien, est un néologisme, ce qui donne une
créativité, faible, de 5 %.

La pédagogie dont il s'agit ici est bien entendu la pédagogie du latin, non celle du
français qui n'existe pas encore. Les petits traités de Robert Estienne, publiés entre
1532 et 1546, si l'on met à part le premier, qui est un traité de conjugaison (ou plutôt
de déclinaison au sens ancien) du verbe français, s'inscrivent dans cette ligne : la
traduction systématique de la terminologie latine non seulement tend à prouver que
le français peut accéder au statut de métalangue, mais est censée faciliter l'apprentissage
du latin :
« Pourtant quae daulcuns pourroiet penser ou estimer ny avoir si grande difficulté
a tourner les diuerses espèces des noms en nostre vulgaire francoys, comme ha
desia este escript des verbes : a celle cause, affin de tousiours ayder les moins
cognossas en cest affaire, & principalement a la singulière vtilite des petiz enfans,
en hauons bien voulu par ce petit liuret enseigner quelque manière. » (15406 :
2r°).
La néologie dans ces traités est forte (43 %), et si le calque reste la règle, on voit
apparaître de vraies traductions : adjoint pour l'adjectif (15406 : 3 v°), nom
d'assemblée pour collectiuum (15306 : 6 r°), nom de pays pour patrium (ibid.) et
dérivé des pères pour patronymicum (15406 : 8 r°), avenir pour futurum (1532 :
аЗ v°) et passé pour praeteritum (ibid.). Il faut noter que c'est dans les subdivisions
des adverbes, senties comme inutiles ou superflues dans l'exposé par le Donat traduit
au XIIIe, que s'exerce surtout la créativité néologique : adverbe de défense (prohi-
bendi) (1546c : 153), d'aventure (euentus) (1546c : 155), pour amoindrir iremit-
tendi, imminuendi) (1546c : 154) et augmenter (intendendi) (ibid.), pour choisir
(eligendi) (1546c : 153). La tendance générale est à gloser plutôt qu'à durcir la
terminologie : en dehors du cas de l'adverbe, où la fréquence d'un critère communication -
nel (v. Auroux, Annexe I) : « pour + infinitif », « servant à », traduit le caractère
flottant du classement, R. Estienne refuse par exemple de suivre Priscien dans ses
subdivisions des noms dérivés (denominatiuum, uerbale, participiale, et aduerbiale 4
sont glosés : dérivé de nom, de verbe, de participe, d'adverbe (15406 : 8 v°))
revenant sur ce point à la terminologie plus « molle » de ÏArs Maior (factum de
uerbo, participio simile, aduerbio simile 5).

4. G.L.K., II, 117 et 60.


5. Ars Maior, éd. Holtz, 1981 : 617.

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Dolet (1540a) va dans le même sens :
« II te faut garder d'usurper mots trop approchants du latin & peu usités par le
passé : mais côtente toy du commun, sans innover aulcunes dictions follement, &
par curiosité reprehensible. » {La manière de bien traduire, 14).
Si les quelques mots grammaticaux (moins d'une trentaine) qui apparaissent dans ses
traités sur la ponctuation et les accents ne permettent pas de vérifier ce principe de
naturalisation tempérée, on lui est, sauf erreur, redevable du terme de particule
(« si » est une particule démonstrative ou conditionnelle (1540c : 31), ce dernier
terme semblant repris de Palsgrave 6), de l'acclimatation d'indéclinable (1540c : 39)
et de locution (1540b : 20), et de la traduction de pronomen subiunctiuum en
pronom postposé (1540c : 38). Soit une créativité, si elle est significative pour un si
petit nombre de termes, d'environ 22 %.
L'œuvre grammaticale de Drosay (1544, éd. 1554) est une récession par rapport à
ce mouvement de libération à l'égard du latin, et un retour très net au calque, ne
serait-ce que par le retour durable du mot prétérit (139). Mais il est intéressant de
constater que les références de ces calques se diversifient : Donat cède parfois la
place à Priscien ineutropassif (137)), Grocyn à travers Linacre et Sylvius {futur
imparfait, futur parfait (140)), voire Scaliger dans le concept de note {nota) : « à la
mienne volunté : est note de l'optatif, « quant » note du subjunctif (140, 141).
Les quelques termes français enfin qui apparaissent, au milieu d'un métalangage
latin, dans la grammaire de Pillot (1550), ne sont pas à interpréter de la même
manière que chez Sylvius : regroupés dans le chapitre de l'adverbe, ils témoignent
d'une volonté de trouver l'équivalent vernaculaire en dégelant la terminologie latine
usuelle ; adverbe pour assembler {congregandi) (72 v°), pour compter (numerandi)
(69 r°), pour montrer dissimilitude (76 r°) (variation probable sur Vaduerbium
diuersitatis de Linacre "), cri pour montrer et signifier son ennui idolentis)
(76 v°), soit une néologie, très localisée, de 27 %.

2.2.2. La grammaire de Meigret (1550a), première grammaire complète en


français, est, comme Га montré Hausmann (1980), largement tributaire des Institutions
de Priscien. Un indice parmi d'autres est la substitution de subjonctif (71 v°) au
conjonctif de la tradition donatienne. La terminologie qu'il utilise est fortement
novatrice (90 néologismes sur 275 termes relevés, soit 33 %), mais cela ne tient pas
uniquement au changement de modèle. Il a certes en commun avec Priscien la
propension à user du suffixe -iuus/-if, dont l'effet est de durcir la terminologie, par
rapport au gérondif en -ndi ou surtout aux gloses qui en sont proposées en français sous
la forme de « pour 4- infinitif » : on trouve ainsi adverbe affirmatif (128 r°), horta-
tif (128 v°), rémissif (ibid.), séparatif (129 r°), subsécutif (128 r°-v°), interrogatif
(128 v°), responsif (128 r°), dissuasif (128 v°), et conjonction adjonctive (131 v°),
continuative (131 r°), negative {ibid.) et exceptive (131 v°)...
Mais une autre caractéristique de ce grand traducteur est d'aller au-delà du
calque (nom national pour gentile (23 r°-v°), contrefait pour facticium (23 v°)( et de
pratiquer la variation lexicale à partie de la terminologie existante : préposition par
adjonction au lieu d'apposition (117 v°), adverbe dissuasif au lieu d'adverbe de
défense ou pour interdire, encore que ie terme nouveau soit le plus souvent
présenté timidement à côté du terme traditionnel : acquisitif à côté de datif (51 v°),
mode commandante pour impératif (69 v°) et désidératif pour optatif (70 v°).

6. 1530 : II, 59 r°.


T. 1524 : 30 v°.

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Il faudrait cependant étudier sa dette à l'égard des « recentiores », aussi bien
dans la multiplication des suffixes en -if par rapport même à Priscien, que dans la
variation lexicale dont les grammairiens latins du XVIe n'étaient pas avares : acquisi-
tif pourrait bien venir de Vacquisitiuus de Scaliger, que celui-ci décrète, à sa manière
habituelle, bien meilleur que le terme consacré 8.
Une partie non négligeable des néologismes de Meigret est pourtant originale : ils
proviennent d'un raffinement des sous-classes : les adverbes de lieu et de temps sont
ainsi subdivisés en adverbes relatif de lieu, relatif de mouvement de lieu, relatif
de mouvement à, par et en lieu, interrogatif de tout lieu, interrogatif de tout
temps (127 r°), de temps présent, de temps passé, de temps futur (126 v°), de
temps perpétuel (127 r°), etc.. Quant aux noms de nombre, il importe en
grammaire, comme le montre Hausmann (1980 : 168). tout un pan de la tradition arithé-
matique issue de Boèce en distinguant les noms numéraux surpartis et surrépartis
(43 v°-45 r°), en plus des termes déjà utilisés par Linacre 9 (proportionnels, référés
(42 r°) ou renombrants (43 r°), et noms numéraux marquant le nombre avec
dignité (45 rf) comme : « sizenier », « dizenier », « centenier »).
La dette de Robert Estienne à l'égard de Priscien, déjà sensible dans les petits
traités, n'est pas moindre dans les quelques néologismes (33 sur 179 termes relevés,
soit moins de 20 %) qu'il introduit dans sa grammaire (1557) : conjonction pour
inférer (83) reprend visiblement illatiua 10.
Le plus souvent, c'est par l'intermédiaire de Meigret, et sur le mode de la glose
ou de la variation suffixale qu'il acclimate la terminologie de Priscien : nom de
corps, sans corps (14), race et famille (13), ville ou territoire (14) traduisent bien
corporate, incorporate, patronymicum et patrium H, mais en refusant en français les
adjectifs de Meigret : corporel, incorporel ou national. De même il dégèle les
catégories en -if : conjonction exceptive devient pour excepter (83), adverbe dissuasif
redevient défendant de ne faire (80) et rémissif pour remettre et diminuer (81).
Il est cependant parfois plus latinisant que Meigret : adverbe pour choisir
devient pour élire {eligendi) (80) et passé prétérit (35 sq.).
D'une manière générale, on peut dire que la grammaire de Robert Estienne
témoigne d'un recul à la fois par rapport aux petits traités publiés dans l'élan
traducteur des années 1530-1540, et par rapport à Meigret dans l'ultrapriscianisme qui
consiste à répertorier par exemple des modèles de déclinaison du pronom en français
{première, seconde, tierce déclinaison (23 sq.).
La volonté de faire œuvre durable et classique l'amène à un oecuménisme où
coexistent des traditions incompatibles : futur imparfait, futur parfait (38) en
provenance de Vairon par l'intermédiaire de Linacre ou Drosay 12, mais futur du con-
jonctif (40) dans la tradition de Donat et de Priscien.
Je n'ai pas pu accéder à la grammaire de Meurier (1557) analysée par Colette
Demaizière 13. mais son traité de conjugaison plurilingue (1558) introduit un seul
néologisme, de taille, celui ^auxiliaire (20 v°). Je n'ai pas trouvé pour ce terme de
source latine antérieure à Pillot (1550 : 21).

2.2.3. Si l'originalité dans la traduction faiblit chez Robert Estienne, elle éclate
en 1559-1560 dans les deux Devis de la langue françoyse d'Abel Matthieu, qui, pour

8. 1540 : 151.
9. Numérale ad pondus uel numerům et numérale in -rius, 1524 : 4 v°.
10. Institutiones, G.L.K., III, 101.
11. Institutiones, G.L.K.. II. 59-62.
12. Sur ce point, v. Serbat, in J. Collait et a/., éds, 1978, pp. 263-272.
13. 1983 : I, 172-203. 9.

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n'être pas des traités de grammaire, utilisent une terminologie résolument novatrice.
Le nationalisme des années Villers-Cotterets n'était rien en regard de l'armée de
fantassins du langage ordinaire lancée à l'assaut des termes techniques les mieux établis,
tous selon lui « plus vilains que lard jaune » (1560 : 3 v°) : sexe mas le et femelle,
nombre de beaucoup (24 r°) sont lancés contre les bastions du genre et du nombre
dès 1559. suivis en 1560 du nombre d'un ou nombre unique (14 v°), et surtout de
la notion d'indice (16 r°), ou compagnon de la diction (17 r°), qui recouvre les
articles («je les appelle indices pour ce qu'ils dénotent les sexes ») et les pronoms
personnels appelés aussi compagnons de la variation (32 v°), et de celle de nerf ou
de lien appliqué au verbe : nerf du devis ou de la parolle (18 r°), ou d'oraison
(19 r°) pour faire une concession au jargon des grammairiens, ou lien d'oraison
(33 v°). La conjugaison devient variation (19 r°), le mode impératif forme de
donner mandement (26 r°) I4. et les temps composés sont formés d'un nerf principal
et maître (27 v°) ou d'un nerf emprunté (25 r°) et d'un mot propre et engendré
(27 r°).
Ces innovations dignes de Damourette et Pichon ont suscité les quolibets de Livet
(1859) :
« II est trop bon français pour dire que nos verbes ont des conjugaisons. Fi !
Conjugaison est un mot latin. Les nerfs du devis ont des formes ; évidemment,
forme est un mot purement français, comme nerf, et Matthieu se fait un plaisir
de les filer, parce que filer sans doute n'est pas d'origine latine. — Où ne va-t-on
pas avec l'esprit de système ? » (308).
À vrai dire, on ne peut guère juger des concepts visés par ces termes ; tout au plus
peut-on remarquer une tentative de généralisation qui oppose par exemple les
membres principaux aux particules (35 r°) (parmi lesquelles il range apparemment
adverbe, préposition et préverbe), et, plus syntaxiquement, un terme fort déterminé
par un terme faible (nom-article, verbe-pronom personnel, auxiliaire-participe passé).
La justification qu'il donne de ce refus de la scolastique grammaticale est la
suivante : la médecine est redevable à la science grecque et peut donc se permettre des
emprunts, mais le langage étant le noyau de la nation :
« Notre premier langage est faict apart lui : il n'est tiré ny entremeslé d'aucun...
S'il y a en d'aucuns motz convenance avec des motz estrangiers, cela est comme
j'ay diet advenu fortuitement et par adventure. » (1559 : 18 v°)
les spécialistes du langage, gens de justice ou grammairiens, doivent proscrire par
conséquent tout terme venu d'ailleurs.
Si nous nous sommes attardés sur Abel Matthieu, c'est que ses Devis, si
programmatiques soient-ils, ont eu une influence sur la grammaire française à venir : la
grammaire de Jean Bosquet (1586) lui fait, ainsi d'ailleurs qu'à Meurier, plusieurs
emprunts : auxiliaire ou verbe aidant (78), ce verbe aidant est qualifié d
'engendrant ou essentiel (ibid. ) (v. mot engendré pour désigner le participe passé face au
lien principal ou maistre) ; singulier est doublé par nombre unique (79) et genre
par sere (46).
Passons rapidement sur les grammaires à l'usage des Flamands de Girard Du
Vivier : hormis terminaison pour conjugaison (1566 : 18 v°) et verbe anomal pour
irrégulier (1568 : 51), l'innovation se cantonne à un dégel du mode {manière
d'annoncer (1566 : 16 v°), manière de désirer (1566 : 17 r°)) et de l'adverbe {pour
approuver (1568 : 93), pour douloir (1568 : 104), pour pousser {ibid.)).

14. Il est vrai qu'on trouve mandatiuus chez Linacre, 1524 : 12 v°.
Reste à évaluer l'apport strictement terminologique de Ramus, quoiqu'il soit
difficile de l'étudier indépendamment de ses retombées conceptuelles : c'est en effet au
plus haut de l'organigramme de la grammaire [différence (1562 : 39), mot ayant
nombre, mot sans nombre (1562 : 40)) et dans le chapitre de la conjonction (énon-
ciative, ratiocinative, discrétive, ségrégative (1562 : 74)) que se manifeste la plus
grande créativité terminologique, par ailleurs faible (de l'ordre de 17 % pour la
grammaire de 1562).
Ce que l'on peut dire, c'est que Ramus n'hésite pas à emprunter des termes en en
changeant complètement le contenu : par exemple conjonction absolue (1562 : 74)
pourrait être considéré comme un emprunt à coniunctio absolutiua chez Linacre 15,
mais ne sert qu'à désigner la copulative simple ; de même perpétuel pour infinitif a
peut-être pour origine le chapitre de l'adverbe chez Meigret, mais c'est de l'ordre de
la réminiscence librement réutilisée. On peut se demander si l'affirmation nette des
frontières épistémologiques, entre autres dans la Dialectique, n'est pas ce qui chez lui
autorise les importations sauvages de termes.
La filiation grammaticale qui le relie à Meigret est cependant visible
ponctuellement : par exemple itératif (1562 : 49) comme variation sur réitératif (1550 : 60 v°)
pour désigner « même » dans « luy-même ».
La grammaire de 1572 marque une sorte de normalisation : le rétablissement de
l'adverbe entraîne quelques créations par traduction et variation : adverbe de
spéciale qualité en appel, exhortation, souhait, négation (119), tandis que le système
de la conjonction renforce sa cohérence comme s'il constituait une grammaire
autonome : congrégative (121) fait pendant à ségrégative.
La terminologie grecque, omniprésente dans la grammaire latine de Linacre et de
Scaliger, laisse peu de traces dans la terminologie française : si indéterminé
(prétérit parfait) chez Meigret (1550 : 66 v°) était la traduction d'aoriste à travers le latin
infinitum (Colette Demaizière 16 signale également indeffinitif chez Meurier,
1557), le terme même d'aoriste fait son apparition chez Henri Estienne (1565 : 54),
puis chez Ramus, qui l'oppose même à un oriste dans la grammaire de 1572 (173).

3. L'innovation conceptuelle

3.1. L'innovation intensionnelle

On se bornera dans le cadre de cet article à quelques remarques :

3.1.1. D'abord, au niveau le plus haut de la pyramide grammaticale, la liste des


parties du discours est peu modifiée : les grammaires écrites en français, sauf celles
de Ramus, n'introduisent pas de nœud intermédiaire entre partie du discours et
chacune des parties, à la différence de Palsgrave qui utilise l'opposition declined/
undeclined (1530 : 31 r°). Toutes sauf Ramus également, — mis à part Bosquet qui
en fait un indice — considèrent, même s'il n'a pas toujours droit à un chapitre
séparé du nom, l'article comme une neuvième partie du discours, ce qui n'est pas le
cas des grammaires, écrites en latin, de Sylvius (1531) et Garnier (1558).

15. 1524 : 34 r°.


16. 1983, II : 781.
Du point de vue de l'ordre des parties du discours, seuls l'article et la préposition
se déplacent, du moins dans l'ordre annoncé (* signale les grammaires dont la métalan-
gue n'est pas le français) :

*Palsgrave 1530 art nom Pr vb part prep adv conj int


*Sylvius 1531 nom Pr vb adv part conj prep int
*Pillot 1550 art nom Pr vb part adv prep conj
Meigret 1550 art nom Pr vb part prep adv conj int
Estienne 1557 nom art Pr vb part adv conj prep int
*Garnier 1558 nom Pr vb part adv prep conj int
Ramus 1562 nom vb adv conj
Du Vivier 1566 nom art Pr vb part adv prep conj
*Cauchie 1570 art nom Pr vb part prep adv conj int
Bosquet 1586 nom Pr vb part (adv) (conj) (prep) (int)

On peut remarquer au passage qu'aucun grammairien français ne suit l'ordre de


Priscien, justifié par Scaliger !", qui ferait passer le verbe avant le pronom.
Par rapport au système classique, Ramus propose, sur des critères varroniens №,
des regroupements de parties du discours : dans la grammaire de 1562, qui suit la
grammaire latine de 1559, l'article et le pronom sont regroupés sous le nom, la
préposition et l'interjection sous l'adverbe.
La raison morphologique se double d'une raison meta théorique qui est
l'architecture dichotomique du discours scientifique :

mot — mot ayant nombre, mot sans nombre


mot ayant nombre — nom, verbe
mot sans nombre — adverbe, conjonction
nom — substantif, adjectif/fini, infini/actif, neutre/

Les autres regroupements {indice ou compagnon chez Abel Matthieu ou particule


chez Dolet, Matthieu ou Henri Estienne) sont proposés en dehors d'un exposé
systématique, et appelleraient, en raison même de leur caractère non explicite et
provisoire — particule est un fourre-tout — une autre méthode d'étude №.
Pour les sous-classes de parties du discours, on se contentera de prendre quelques
exemples :

3.1.2. Le concept d'adjectif, sous le nom, n'est pas une innovation, mais est
l'objet d'un changement conceptuel : on peut opposer deux types de grammaire à
l'époque qui nous préoccupe : Meigret, dans la tradition de Priscien et de Linacre,
fait de l'adjectif une des soijs-classes de l'appellatif, alors que tous les autres
grammairiens à partir de Robert Estienne renouent avec la tradition médiévale, que l'on
trouve à la fois dans la grammaire modiste et dans le Donat traduit en ancien
français, qui place l'opposition substantif -adjectif immédiatement sous le nom et
indépendamment de ses accidents.

17. 1540 : 219.


18. V. Stefanini 1978 : 189.
19. Le terme de particule n'apparaîtra dans une grammaire complète qu'à partir de Jean
Bosquet et dans toute la grammaire française du XVIIe, particulièrement à Port-Royal, mais il
joue toujours le rôle d'un concept furtif ou non déclaré, alors qu'il jouera un rôle central dans
les tentatives de grammaire universelle en Angleterre à la même époque.

73
3.1.3. Le concept de (pronom) possessif 20 est l'objet, lui, d'une innovation
terminologique (possessif, Meigret, 1550a : 58 v°), mais qui a des conséquences
conceptuelles : chez Robert Estienne, l'appellation traditionnelle du possessif, à savoir le
pronom dérivatif (22) est pris sous espèce qui est elle-même sous accident ; chez
Ramus quelques années plus tard, possessif (1562 : 47) est immédiatement sous
pronom au même titre que démonstratif, relatif, réciproque et itératif. Il est
intéressant de constater que Meigret utilise concurremment les deux termes mais aussi les
deux concepts, puisque l'un est sous accident et l'autre non 21.

3.1.4. Le concept de verbe impersonnel, alors même que le terme est très
anciennement attesté en français {mode impersonnel dans le Donat en ancien
français au XIIIe (54) et verbe impersonnel dans le Traité de syntaxe latine édité par
Mok, qui est du XIVe (40)), connaît au cours du XVIe une évolution significative :
plus personne n'en fait un mode, mai&> si l'on met de côté Garnier (1558) qui en fait
une subdivision de la voix [genus) (77) et Meigret qui n'en parle pas du tout, les
grammaires françaises se partagent en deux groupes :
— celles qui en font une division du verbe parmi d'autres à côté d'actif -passif et
des accidents du verbe : Robert Estienne ne l'oppose même pas explicitement à
personnel, ce que font Pillot, Cauchie et Jean Bosquet ;
— celles qui en font la première division du verbe, hors accident au même titre
que substantif -adjectif sous le nom, sur le modèle de John Barton : Ramus inaugure
officiellement là une dichotomie de la grammaire scolaire moderne, encore que chez
lui se pose le problème de l'articulation avec les deux autres dichotomies fini/infini
et actif/neutre --.

3.1.5. La sous-catégorisation des indéclinables pose d'autres types de problèmes :


les critères formels étant réduits, on rencontre les deux attitudes extrêmes d'une non-
conceptualisation qui se contente d'exhiber une liste : Pillot donne ainsi une liste de
prépositions comme Robert Estienne et Cauchie donnent une liste d'interjections, et
d'une surconceptualisation d'ordre purement sémantique qui donne lieu à des sous-
catégorisations infinies de l'adverbe : en attendant Maupas et Oudin et leur
cinquantaine de types d'adverbes, on raffine durant tout le XVIe sur les vingt-quatre types de
Denys et de Donat que le Donat traduit en ancien français avait très sagement
laissés au vestiaire.
La conjonction offre un exemple original de sobriété : au lieu de substituer le
modèle foisonnant de Priscien au modèle donatien à cinq termes, conservé par
Sylvius, et que le Donat en ancien français avait traduit : copulative, disjonctive,
expletive, causale, rationnelle (56), Meigret et Robert Estienne augmentent la liste
avec parcimonie : continuative, adversative, négative et adjonctive chez le
premier, pour inférer (venant de illatiua) chez le second. Chez Ramus, l'originalité est

20. Le terme de possessif qui regroupe jusqu'au milieu du XVIIIe ce que nous appelons
adjectif et pronom possessifs. Wailly (1754, Principes généraux et particuliers de la langue
françoise, Paris. Barbou, 9' éd., 1780 : 71) est une des premiers, avant l'Homond et la
tradition scolaire du XIXe, à expliciter cette opposition. Sur la place du possessif sous le pronom au
XVIe, v. Lagarde *1985.
21. La double dénomination avec des arborescences différentes se trouvait déjà en latin
chez les Modistes, par exemple chez Thomas d'Erfurt.
22. Ce concept donne naissance à une subdivision (impersonnel de voix active,
impersonnel de voix passive) courante en grammaire latine et récemment réactivée par Scaliger
(1540) : quelque difficile que soit son application au français, on la trouve de Pillot (1550) à
Oudin (1632) en passant par Gamier (1558) et Maupas (1607), jusqu'à ce qu'elle succombe
sous les coups de Port-Royal.

74
dans la « beauté » théorique : le système ramusien, analysé par Padley (1985 : 41)
est une merveille de méthode divisive. Rappelons-en l'architecture :

conjonction — énonciative, ratiocinative


énonciative — copulative (congrégative, 1572), ségrégative
ratiocinative — rationnelle, causale
copulative — absolue (copulative, 1572), conditionnelle
ségrégative — discrétive, disjonctive

L'innovation conceptuelle très apparente provient de la logicisation du problème


de la conjonction, qui relève, dans les termes de la Dialectique (1555 : 75 sq.) de
l'« énonciation composée », et annonce le traitement de la conjonction dans la
grammaire de Port-Royal, ou plutôt son renvoi à VArî de penser 23. Elle a ici des
retombées terminologiques dans la mesure où il faut inventer des nœuds dans l'arbre.

3.2. L'innovation extensionnelle

3.2.1. Le problème crucial des grammaires vernaculaires est de faire entrer dans
des classes prévues pour le latin et souvent même pour le grec un ensemble de formes
françaises. Si utinam est une partie du discours en latin, l'adverbe optatif ou désidé-
ratif en grammaire française renfermera sa traduction, si peu conforme soit-elle à ce
qu'on attend d'une partie du discours, à savoir qu'elle coïncide plus ou moins avec
les parties physiques du discours écrit, c'est-à-dire les mots. On trouve « о si » chez
Robert Estienne (1557 : 80) et Pillot (1550 : 72 v°), « pleust à Dieu » chez Palsgrave
(1530 : II, 58 r°), et Pillot (1550 : 72 v°) ; seul Cauchie (1586 : 82 r°) en fait une
périphrase tenant lieu de la partie du discours latine utinam.
Ce postulat de correspondance sémantique l'emporte quasiment toujours sur la
considération matérielle de savoir si l'on a affaire à un mot : Pillot donne ainsi
comme exemple ďaduerbium dubitantis « il est bien possible » (1550 : 76 r°). « il ne
s'en fault guère » est un âduerbium imminuendi (1550 : 74 v°).
Pillot n'est pas le seul dans ce cas : Cauchie range sous Yâduerbium concedendi
« posez le cas qu'il soit » (1586 : 83 v°), et « gardez-vous » dans Yadverbium admo-
nendi (1586 : 82 r°).
Ce débordement systématique des frontières du mot dans le chapitre de l'adverbe
pourrait être dû aux critères mêmes de définition de ces sous-classes d'adverbes :
pour nier, pour affirmer, pour démontrer, pour souhaiter... Les critères en
réalité ne sont pas sémantiques, mais communicationnels : les adverbes sont dans les
grammaires du XVIe liés à l'apprentissage de formules, d'expressions typiquement
françaises, constituant une sorte de manuel de conversation au sein de la grammaire,
où la notion de mot n'a plus guère d'importance.

3.2.2. Une forme peut en outre appartenir à plusieurs parties du discours dans la
même grammaire sans que cela soit mis en question. Il faudra attendre la grammaire
générale pour retrouver des discussions du même type que chez Apollonius (v. Lallot,
ici-même, 3.2.) sur l'unicité de la forme.
« Quand » est ainsi analysé par le même grammairien comme un âduerbium
omnis temporis et un âduerbium quaestionis (Cauchie, 1586 : 78 r°, 79 r°), et même
comme un âduerbium concedendi (« quand vrai seroit », 88 v°). Ou mieux encore
« davantage », toujours chez Cauchie, apparaît comme un adverbe de quantité,
d'ordre, de comparaison et d'intensité {intendendi).

23. V. Nelly Bruyère 1984. Épilogue II : 331 sq.

75
« Avant » est également chez Ramus une préposition (1562 : 73), un adverbe de
temps et un adverbe d'exhortation (1572 : 117, 119), sans que Ramus se sente obligé
de poser à la base une forme unique dont les autres dériveraient.
La polycatégorisation n'est donc pas un obstacle épistémologique pour les
grammairiens français du XVIe : l'attitude majoritaire à l'égard du problème de
« le »/« la »/« les » est de considérer que selon qu'ils suivent un nom ou précèdent
un verbe, ils sont articles ou pronoms « relatifs » (Meigret, Gamier, Cauchie, et dans
une certaine mesure Ramus, même si l'article fait partie du nom). L'idée d'une
catégorie primitive qui aurait évolué vers une catégorie dérivée (ce qu'Auroux appelle
décatégorisation), que l'on trouve chez Sylvius (« articulos a pronominibus (<& prae-
positionibus) corrogatos », 1531 : 96) n'est chez lui que l'effet de son latinocen-
trisme : ce n'est pas un argument à l'intérieur d'une langue comme cela peut l'être
chez Apollonius. Une preuve en est que Robert Estienne, après avoir repris à Sylvius
l'idée d'un emprunt (1557 : 18), enchaîne très naturellement sur une
polycatégorisation : « Quelque fois ils sont relatifs, & lors sont pronoms » (1557 : 20).

4. Conclusion

La terminologie des parties du discours connaît au XVIe une poussée novatrice


pour trois raisons principales :
— l'adoption du modèle proliférant de Priscien contre le modèle élémentaire de
Donat, chez Meigret et Robert Estienne en particulier ;
— le calque du métalangage grammatical gréco-latin est la règle, mais se fait jour
un mouvement de « traduction authentique », ou de variation lexicale qui, parti de
la langue, rejaillit sur la métalangue ;
— la « division », qui est le fondement du discours grammatical, est poussée en
direction du lexique, dans la mesure même où la langue vernaculaire est un monde à
explorer et à répertorier. Ce qui explique la rareté des définitions, et la prédominance
des définitions par ostension.
Cette hâte à rejoindre le réel de la langue qui est bien ici une nomenclature est
une des raisons pour lesquelles l'architecture conceptuelle est peu « travaillée » : ou
bien on reprend sans modification le modèle de Donat, ou bien on l'époussette de ses
vieilleries — comme la notion d'accident — simplement pour aller plus vite et « ne
pas embarrasser l'esprit des enfants » ou des lecteurs leurs semblables, ou bien on lui
adjoint quelques ramifications inférieures, pour faire plus « complet ». L'essai de
Ramus apparaît comme d'autant plus original qu'il est rigoureux dans sa
construction conceptuelle et économe dans ses listes d'exemples. Sans doute la grammaire de
1572 fait-elle des concessions au goût du temps pour la saturation des combinaisons,
qui a pour effet en l'occurrence de multiplier les subdivisions, de l'adverbe, ou
surtout des temps, mais Ramus rejette dans un autre domaine, celui de la syntaxe, les
subdivisions qui lui paraissent incompatibles avec l'intuition de partie du discours :
ainsi les temps composés.
La méthode que nous avons choisie nous interdit sans doute d'étudier le rapport
entre le domaine des parties du discours, ce que l'on appelle encore « etymologie »
(v. Colombat, ici-même, 1.1.), et la syntaxe qui, implicite, en permet le découpage ou,
explicite, en est l'application-croupion. Mais la superficialité à laquelle nous a
contraint l'extraction, en vue d'un traitement automatique, d'un lexique métalinguistique
hors du texte grammatical et du système particulier qu'il constitue, a permis au
moins peut-être de dégager quelques tendances et surtout de comparer des données
ou des fragments de systématisation en échappant au moins partiellement au travers
des historiens de la grammaire française, qui, comme Livet ou Brunot, font
s'affronter des héros nationaux au-dessus des sans grade, ou opinent avec les grammairiens
« raisonnables » contre les bâtisseurs de systèmes...

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BIBLIOGRAPHIE

Textes grammaticaux cités


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