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Julien Jacques. La terminologie française des parties du discours et de leurs sous-classes au XVIe siècle. In: Langages,
23ᵉ année, n°92, 1988. Les parties du discours. pp. 65-78.
doi : 10.3406/lgge.1988.2000
http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1988_num_23_92_2000
1. Introduction
1.1. L'objet de cet article est d'examiner, sur un domaine limité — les parties du
discours et leurs subdivisions — , comment se crée une terminologie en langue verna-
culaire, en prenant soin de distinguer l'importation d'un terme, et l'importation d'un
concept. Autrement dit, on évitera de confondre la transposition d'un terme latin
isolé de son système, utilisé de manière ad hoc pour décrire la réalité linguistique
française (ce que nous appellerons emprunt terminologique), et l'adaptation d'un
terme latin accompagné de son contexte systématique (terme opposé, terme
dominant, terme(s) dominé(s)) à une réalité linguistique perçue comme analogue (ce que
nous appellerons emprunt conceptuel). Mais l'analogie d'une langue à l'autre étant
loin d'être une évidence, il convient aussi de juger de l'application du concept à un
ensemble de formes linguistiques, en l'occurrence françaises : on se demandera par
exemple si la transposition tient compte de la notion de mot (la partie du discours
qui est un mot en latin est-elle un mot en français ? ), ou si la liste française présente
la même homogénéité — ou la même hétérogénéité — que la liste latine.
Le noyau dur de notre corpus est constitué par les grammaires complètes, écrites
en français et portant sur le français : Meigret 1550, Robert Estienne 1557, Ramus
1562 et 1572, Du Vivier 1566 et 1568, et Jean Bosquet 1586.
Mais il nous a paru nécessaire, pour éviter des erreurs d'appréciation, en
particulier quant à l'innovation, d'étendre ce corpus :
1° aux textes grammaticaux écrits en français au Moyen Âge : Donat latin
traduit en ancien français, XIIIe s., éd. Heinimann, 1966 ; Donait François, John Barton
1409, éd. Stengel, 1879 ; Traité de syntaxe latine, v. 1400, éd. Mok 1975, qui
serviront de base de référence et permettront de voir la part de vocabulaire grammatical
que l'on peut considérer comme passée dans le domaine commun au début du XVIe
(même si ces traités sont nés pour la plupart dans un contexte anglais) ;
2° aux fragments plus ou moins importants de terminologie française épars dans
les grammaires du français écrites en latin : Sylvius 1530, Pillot 1550, ou les
grammaires multilingues : Drosay 1544, Meurier 1558 ;
3° aux grammaires latines traduites en français à des fins à la fois de pédagogie
et de promotion du français : ce sont les traités de Robert Estienne 1532, 1540,
1546;
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4° aux textes linguistiques non strictement grammaticaux qui véhiculent la
terminologie grammaticale : Fabri 1521, Geoffroy Tory 1529, Dolet 1540, Du Bellay 1549,
Meigret 1542, 1550b, 1551, Henri Estienne 1565, 1579, ... ou tentent de la
réformer : Abel Matthieu 1559, 1560.
Ce corpus étendu servira à l'étude de l'innovation terminologique ; l'étude de
l'innovation conceptuelle, supposant un système explicite, se concentrera sur le
corpus des grammaires mentionnées dans le 1°, en faisant occasionnellement référence
aux grammaires du français écrites dans d'autres langues terminologiques (latin
essentiellement, anglais pour celle de Palsgrave).
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4° surtout bien évidemment dans la relation d'opposition explicite du concept à son
contraire, en tenant compte des critères proposés 2.
1.2.2.2. L'innovation extensionnelle :
Le fait de classer une forme linguistique sous telle ou telle partie du discours ou
subdivision de partie du discours est une modification que l'on pourrait appeler
quantitative, même si elle a des conséquences en compréhension, dès lors qu'elle
consiste à ajouter ou soustraire dans une liste.
Si l'axiome de monocatégorisation défini ici-même par Auroux (1.3.) consiste à
postuler qu'une forme linguistique est classée sous une et une seule partie du discours, la
décatégorisation consistera alors à soustraire, puis à ajouter sous un concept, la poly-
catégorisation à copier sous un autre concept.
On réservera le terme de modification qualitative au passage d'une classe ouverte
à une classe fermée.
2. L'innovation terminologique
2.1. Si l'on regarde les premiers traités grammaticaux en français {Donat latin
traduit en ancien français, éd. Heinimann, 1966, ou le Donait françois de John Bar-
ton, éd. Stengel, 1879), on s'aperçoit qu'il n'y a pas d'emprunt terminologique isolé :
ils empruntent l'ensemble de la métalangue. Le Donat sur lequel ils s'appuient
essentiellement est VArs minor (pas de subdivisions des noms propres et communs), encore
allégé des significations de l'adverbe. En revanche est rajoutée la bipartition
déclinables-indéclinables sous la forme (partie) déclinée vs. ne se déclinant mie
(Heinimann, éd.. 1966 : 52), qui, elle, semble provenir de VArs Maior. Du strict point de
vue de la terminologie, les termes non assumés restent en latin iepicoenum, supra-
commune et dubium par exemple sous le genre) ; le reste est calqué.
Le Donait françois de John Barton, qui ne fait que citer le nom des parties « ne se
déclinant mie » et arrête son analyse au verbe, en est une version simplifiée, mais sur
quelques points originale. Lusignan (1986 : 113) suggère une possible influence
modiste, au moins dans la méthode, pour rendre compte de l'ordre d'exposition
(accidents regroupés en bloc avant les parties du discours). La terminologie elle-même et
la conceptualisation sont aussi médiévales par la place assignée par exemple à
l'opposition substantif-adjectif sous le nom. Un certain nombre de termes en tous cas ne
viennent pas de VArs Minor, mais de VArs Maior {articulus substitué à pronomen
articulare, impersonnel appliqué au verbe, et non à un prétendu mode), des Partitio-
nes de Priscien 3 {uniuocum comme traduction ďhomonymon), ou de sources
antiques ou médiévales à identifier {équivoque comme traduction de synonymon semble
provenir des Catégories de Boèce ; nous n'avons pas trouvé l'origine de la partition
verbe personnel- verbe impersonnel immédiatement sous verbe].
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— la période 1550-1558, où la métalangue française s'organise en système
complet dans deux grands « bâtiments » de grammaire française : Meigret 1550 et
R. Estienne 1557 ;
— la période 1558-1586 (puisque notre terminus ad quem est la grammaire de
J. Bosquet), où le radicalisme terminologique, celui d'Abel Matthieu par exemple, le
dispute au radicalisme conceptuel de Ramus.
La pédagogie dont il s'agit ici est bien entendu la pédagogie du latin, non celle du
français qui n'existe pas encore. Les petits traités de Robert Estienne, publiés entre
1532 et 1546, si l'on met à part le premier, qui est un traité de conjugaison (ou plutôt
de déclinaison au sens ancien) du verbe français, s'inscrivent dans cette ligne : la
traduction systématique de la terminologie latine non seulement tend à prouver que
le français peut accéder au statut de métalangue, mais est censée faciliter l'apprentissage
du latin :
« Pourtant quae daulcuns pourroiet penser ou estimer ny avoir si grande difficulté
a tourner les diuerses espèces des noms en nostre vulgaire francoys, comme ha
desia este escript des verbes : a celle cause, affin de tousiours ayder les moins
cognossas en cest affaire, & principalement a la singulière vtilite des petiz enfans,
en hauons bien voulu par ce petit liuret enseigner quelque manière. » (15406 :
2r°).
La néologie dans ces traités est forte (43 %), et si le calque reste la règle, on voit
apparaître de vraies traductions : adjoint pour l'adjectif (15406 : 3 v°), nom
d'assemblée pour collectiuum (15306 : 6 r°), nom de pays pour patrium (ibid.) et
dérivé des pères pour patronymicum (15406 : 8 r°), avenir pour futurum (1532 :
аЗ v°) et passé pour praeteritum (ibid.). Il faut noter que c'est dans les subdivisions
des adverbes, senties comme inutiles ou superflues dans l'exposé par le Donat traduit
au XIIIe, que s'exerce surtout la créativité néologique : adverbe de défense (prohi-
bendi) (1546c : 153), d'aventure (euentus) (1546c : 155), pour amoindrir iremit-
tendi, imminuendi) (1546c : 154) et augmenter (intendendi) (ibid.), pour choisir
(eligendi) (1546c : 153). La tendance générale est à gloser plutôt qu'à durcir la
terminologie : en dehors du cas de l'adverbe, où la fréquence d'un critère communication -
nel (v. Auroux, Annexe I) : « pour + infinitif », « servant à », traduit le caractère
flottant du classement, R. Estienne refuse par exemple de suivre Priscien dans ses
subdivisions des noms dérivés (denominatiuum, uerbale, participiale, et aduerbiale 4
sont glosés : dérivé de nom, de verbe, de participe, d'adverbe (15406 : 8 v°))
revenant sur ce point à la terminologie plus « molle » de ÏArs Maior (factum de
uerbo, participio simile, aduerbio simile 5).
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Dolet (1540a) va dans le même sens :
« II te faut garder d'usurper mots trop approchants du latin & peu usités par le
passé : mais côtente toy du commun, sans innover aulcunes dictions follement, &
par curiosité reprehensible. » {La manière de bien traduire, 14).
Si les quelques mots grammaticaux (moins d'une trentaine) qui apparaissent dans ses
traités sur la ponctuation et les accents ne permettent pas de vérifier ce principe de
naturalisation tempérée, on lui est, sauf erreur, redevable du terme de particule
(« si » est une particule démonstrative ou conditionnelle (1540c : 31), ce dernier
terme semblant repris de Palsgrave 6), de l'acclimatation d'indéclinable (1540c : 39)
et de locution (1540b : 20), et de la traduction de pronomen subiunctiuum en
pronom postposé (1540c : 38). Soit une créativité, si elle est significative pour un si
petit nombre de termes, d'environ 22 %.
L'œuvre grammaticale de Drosay (1544, éd. 1554) est une récession par rapport à
ce mouvement de libération à l'égard du latin, et un retour très net au calque, ne
serait-ce que par le retour durable du mot prétérit (139). Mais il est intéressant de
constater que les références de ces calques se diversifient : Donat cède parfois la
place à Priscien ineutropassif (137)), Grocyn à travers Linacre et Sylvius {futur
imparfait, futur parfait (140)), voire Scaliger dans le concept de note {nota) : « à la
mienne volunté : est note de l'optatif, « quant » note du subjunctif (140, 141).
Les quelques termes français enfin qui apparaissent, au milieu d'un métalangage
latin, dans la grammaire de Pillot (1550), ne sont pas à interpréter de la même
manière que chez Sylvius : regroupés dans le chapitre de l'adverbe, ils témoignent
d'une volonté de trouver l'équivalent vernaculaire en dégelant la terminologie latine
usuelle ; adverbe pour assembler {congregandi) (72 v°), pour compter (numerandi)
(69 r°), pour montrer dissimilitude (76 r°) (variation probable sur Vaduerbium
diuersitatis de Linacre "), cri pour montrer et signifier son ennui idolentis)
(76 v°), soit une néologie, très localisée, de 27 %.
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Il faudrait cependant étudier sa dette à l'égard des « recentiores », aussi bien
dans la multiplication des suffixes en -if par rapport même à Priscien, que dans la
variation lexicale dont les grammairiens latins du XVIe n'étaient pas avares : acquisi-
tif pourrait bien venir de Vacquisitiuus de Scaliger, que celui-ci décrète, à sa manière
habituelle, bien meilleur que le terme consacré 8.
Une partie non négligeable des néologismes de Meigret est pourtant originale : ils
proviennent d'un raffinement des sous-classes : les adverbes de lieu et de temps sont
ainsi subdivisés en adverbes relatif de lieu, relatif de mouvement de lieu, relatif
de mouvement à, par et en lieu, interrogatif de tout lieu, interrogatif de tout
temps (127 r°), de temps présent, de temps passé, de temps futur (126 v°), de
temps perpétuel (127 r°), etc.. Quant aux noms de nombre, il importe en
grammaire, comme le montre Hausmann (1980 : 168). tout un pan de la tradition arithé-
matique issue de Boèce en distinguant les noms numéraux surpartis et surrépartis
(43 v°-45 r°), en plus des termes déjà utilisés par Linacre 9 (proportionnels, référés
(42 r°) ou renombrants (43 r°), et noms numéraux marquant le nombre avec
dignité (45 rf) comme : « sizenier », « dizenier », « centenier »).
La dette de Robert Estienne à l'égard de Priscien, déjà sensible dans les petits
traités, n'est pas moindre dans les quelques néologismes (33 sur 179 termes relevés,
soit moins de 20 %) qu'il introduit dans sa grammaire (1557) : conjonction pour
inférer (83) reprend visiblement illatiua 10.
Le plus souvent, c'est par l'intermédiaire de Meigret, et sur le mode de la glose
ou de la variation suffixale qu'il acclimate la terminologie de Priscien : nom de
corps, sans corps (14), race et famille (13), ville ou territoire (14) traduisent bien
corporate, incorporate, patronymicum et patrium H, mais en refusant en français les
adjectifs de Meigret : corporel, incorporel ou national. De même il dégèle les
catégories en -if : conjonction exceptive devient pour excepter (83), adverbe dissuasif
redevient défendant de ne faire (80) et rémissif pour remettre et diminuer (81).
Il est cependant parfois plus latinisant que Meigret : adverbe pour choisir
devient pour élire {eligendi) (80) et passé prétérit (35 sq.).
D'une manière générale, on peut dire que la grammaire de Robert Estienne
témoigne d'un recul à la fois par rapport aux petits traités publiés dans l'élan
traducteur des années 1530-1540, et par rapport à Meigret dans l'ultrapriscianisme qui
consiste à répertorier par exemple des modèles de déclinaison du pronom en français
{première, seconde, tierce déclinaison (23 sq.).
La volonté de faire œuvre durable et classique l'amène à un oecuménisme où
coexistent des traditions incompatibles : futur imparfait, futur parfait (38) en
provenance de Vairon par l'intermédiaire de Linacre ou Drosay 12, mais futur du con-
jonctif (40) dans la tradition de Donat et de Priscien.
Je n'ai pas pu accéder à la grammaire de Meurier (1557) analysée par Colette
Demaizière 13. mais son traité de conjugaison plurilingue (1558) introduit un seul
néologisme, de taille, celui ^auxiliaire (20 v°). Je n'ai pas trouvé pour ce terme de
source latine antérieure à Pillot (1550 : 21).
2.2.3. Si l'originalité dans la traduction faiblit chez Robert Estienne, elle éclate
en 1559-1560 dans les deux Devis de la langue françoyse d'Abel Matthieu, qui, pour
8. 1540 : 151.
9. Numérale ad pondus uel numerům et numérale in -rius, 1524 : 4 v°.
10. Institutiones, G.L.K., III, 101.
11. Institutiones, G.L.K.. II. 59-62.
12. Sur ce point, v. Serbat, in J. Collait et a/., éds, 1978, pp. 263-272.
13. 1983 : I, 172-203. 9.
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n'être pas des traités de grammaire, utilisent une terminologie résolument novatrice.
Le nationalisme des années Villers-Cotterets n'était rien en regard de l'armée de
fantassins du langage ordinaire lancée à l'assaut des termes techniques les mieux établis,
tous selon lui « plus vilains que lard jaune » (1560 : 3 v°) : sexe mas le et femelle,
nombre de beaucoup (24 r°) sont lancés contre les bastions du genre et du nombre
dès 1559. suivis en 1560 du nombre d'un ou nombre unique (14 v°), et surtout de
la notion d'indice (16 r°), ou compagnon de la diction (17 r°), qui recouvre les
articles («je les appelle indices pour ce qu'ils dénotent les sexes ») et les pronoms
personnels appelés aussi compagnons de la variation (32 v°), et de celle de nerf ou
de lien appliqué au verbe : nerf du devis ou de la parolle (18 r°), ou d'oraison
(19 r°) pour faire une concession au jargon des grammairiens, ou lien d'oraison
(33 v°). La conjugaison devient variation (19 r°), le mode impératif forme de
donner mandement (26 r°) I4. et les temps composés sont formés d'un nerf principal
et maître (27 v°) ou d'un nerf emprunté (25 r°) et d'un mot propre et engendré
(27 r°).
Ces innovations dignes de Damourette et Pichon ont suscité les quolibets de Livet
(1859) :
« II est trop bon français pour dire que nos verbes ont des conjugaisons. Fi !
Conjugaison est un mot latin. Les nerfs du devis ont des formes ; évidemment,
forme est un mot purement français, comme nerf, et Matthieu se fait un plaisir
de les filer, parce que filer sans doute n'est pas d'origine latine. — Où ne va-t-on
pas avec l'esprit de système ? » (308).
À vrai dire, on ne peut guère juger des concepts visés par ces termes ; tout au plus
peut-on remarquer une tentative de généralisation qui oppose par exemple les
membres principaux aux particules (35 r°) (parmi lesquelles il range apparemment
adverbe, préposition et préverbe), et, plus syntaxiquement, un terme fort déterminé
par un terme faible (nom-article, verbe-pronom personnel, auxiliaire-participe passé).
La justification qu'il donne de ce refus de la scolastique grammaticale est la
suivante : la médecine est redevable à la science grecque et peut donc se permettre des
emprunts, mais le langage étant le noyau de la nation :
« Notre premier langage est faict apart lui : il n'est tiré ny entremeslé d'aucun...
S'il y a en d'aucuns motz convenance avec des motz estrangiers, cela est comme
j'ay diet advenu fortuitement et par adventure. » (1559 : 18 v°)
les spécialistes du langage, gens de justice ou grammairiens, doivent proscrire par
conséquent tout terme venu d'ailleurs.
Si nous nous sommes attardés sur Abel Matthieu, c'est que ses Devis, si
programmatiques soient-ils, ont eu une influence sur la grammaire française à venir : la
grammaire de Jean Bosquet (1586) lui fait, ainsi d'ailleurs qu'à Meurier, plusieurs
emprunts : auxiliaire ou verbe aidant (78), ce verbe aidant est qualifié d
'engendrant ou essentiel (ibid. ) (v. mot engendré pour désigner le participe passé face au
lien principal ou maistre) ; singulier est doublé par nombre unique (79) et genre
par sere (46).
Passons rapidement sur les grammaires à l'usage des Flamands de Girard Du
Vivier : hormis terminaison pour conjugaison (1566 : 18 v°) et verbe anomal pour
irrégulier (1568 : 51), l'innovation se cantonne à un dégel du mode {manière
d'annoncer (1566 : 16 v°), manière de désirer (1566 : 17 r°)) et de l'adverbe {pour
approuver (1568 : 93), pour douloir (1568 : 104), pour pousser {ibid.)).
14. Il est vrai qu'on trouve mandatiuus chez Linacre, 1524 : 12 v°.
Reste à évaluer l'apport strictement terminologique de Ramus, quoiqu'il soit
difficile de l'étudier indépendamment de ses retombées conceptuelles : c'est en effet au
plus haut de l'organigramme de la grammaire [différence (1562 : 39), mot ayant
nombre, mot sans nombre (1562 : 40)) et dans le chapitre de la conjonction (énon-
ciative, ratiocinative, discrétive, ségrégative (1562 : 74)) que se manifeste la plus
grande créativité terminologique, par ailleurs faible (de l'ordre de 17 % pour la
grammaire de 1562).
Ce que l'on peut dire, c'est que Ramus n'hésite pas à emprunter des termes en en
changeant complètement le contenu : par exemple conjonction absolue (1562 : 74)
pourrait être considéré comme un emprunt à coniunctio absolutiua chez Linacre 15,
mais ne sert qu'à désigner la copulative simple ; de même perpétuel pour infinitif a
peut-être pour origine le chapitre de l'adverbe chez Meigret, mais c'est de l'ordre de
la réminiscence librement réutilisée. On peut se demander si l'affirmation nette des
frontières épistémologiques, entre autres dans la Dialectique, n'est pas ce qui chez lui
autorise les importations sauvages de termes.
La filiation grammaticale qui le relie à Meigret est cependant visible
ponctuellement : par exemple itératif (1562 : 49) comme variation sur réitératif (1550 : 60 v°)
pour désigner « même » dans « luy-même ».
La grammaire de 1572 marque une sorte de normalisation : le rétablissement de
l'adverbe entraîne quelques créations par traduction et variation : adverbe de
spéciale qualité en appel, exhortation, souhait, négation (119), tandis que le système
de la conjonction renforce sa cohérence comme s'il constituait une grammaire
autonome : congrégative (121) fait pendant à ségrégative.
La terminologie grecque, omniprésente dans la grammaire latine de Linacre et de
Scaliger, laisse peu de traces dans la terminologie française : si indéterminé
(prétérit parfait) chez Meigret (1550 : 66 v°) était la traduction d'aoriste à travers le latin
infinitum (Colette Demaizière 16 signale également indeffinitif chez Meurier,
1557), le terme même d'aoriste fait son apparition chez Henri Estienne (1565 : 54),
puis chez Ramus, qui l'oppose même à un oriste dans la grammaire de 1572 (173).
3. L'innovation conceptuelle
3.1.2. Le concept d'adjectif, sous le nom, n'est pas une innovation, mais est
l'objet d'un changement conceptuel : on peut opposer deux types de grammaire à
l'époque qui nous préoccupe : Meigret, dans la tradition de Priscien et de Linacre,
fait de l'adjectif une des soijs-classes de l'appellatif, alors que tous les autres
grammairiens à partir de Robert Estienne renouent avec la tradition médiévale, que l'on
trouve à la fois dans la grammaire modiste et dans le Donat traduit en ancien
français, qui place l'opposition substantif -adjectif immédiatement sous le nom et
indépendamment de ses accidents.
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3.1.3. Le concept de (pronom) possessif 20 est l'objet, lui, d'une innovation
terminologique (possessif, Meigret, 1550a : 58 v°), mais qui a des conséquences
conceptuelles : chez Robert Estienne, l'appellation traditionnelle du possessif, à savoir le
pronom dérivatif (22) est pris sous espèce qui est elle-même sous accident ; chez
Ramus quelques années plus tard, possessif (1562 : 47) est immédiatement sous
pronom au même titre que démonstratif, relatif, réciproque et itératif. Il est
intéressant de constater que Meigret utilise concurremment les deux termes mais aussi les
deux concepts, puisque l'un est sous accident et l'autre non 21.
3.1.4. Le concept de verbe impersonnel, alors même que le terme est très
anciennement attesté en français {mode impersonnel dans le Donat en ancien
français au XIIIe (54) et verbe impersonnel dans le Traité de syntaxe latine édité par
Mok, qui est du XIVe (40)), connaît au cours du XVIe une évolution significative :
plus personne n'en fait un mode, mai&> si l'on met de côté Garnier (1558) qui en fait
une subdivision de la voix [genus) (77) et Meigret qui n'en parle pas du tout, les
grammaires françaises se partagent en deux groupes :
— celles qui en font une division du verbe parmi d'autres à côté d'actif -passif et
des accidents du verbe : Robert Estienne ne l'oppose même pas explicitement à
personnel, ce que font Pillot, Cauchie et Jean Bosquet ;
— celles qui en font la première division du verbe, hors accident au même titre
que substantif -adjectif sous le nom, sur le modèle de John Barton : Ramus inaugure
officiellement là une dichotomie de la grammaire scolaire moderne, encore que chez
lui se pose le problème de l'articulation avec les deux autres dichotomies fini/infini
et actif/neutre --.
20. Le terme de possessif qui regroupe jusqu'au milieu du XVIIIe ce que nous appelons
adjectif et pronom possessifs. Wailly (1754, Principes généraux et particuliers de la langue
françoise, Paris. Barbou, 9' éd., 1780 : 71) est une des premiers, avant l'Homond et la
tradition scolaire du XIXe, à expliciter cette opposition. Sur la place du possessif sous le pronom au
XVIe, v. Lagarde *1985.
21. La double dénomination avec des arborescences différentes se trouvait déjà en latin
chez les Modistes, par exemple chez Thomas d'Erfurt.
22. Ce concept donne naissance à une subdivision (impersonnel de voix active,
impersonnel de voix passive) courante en grammaire latine et récemment réactivée par Scaliger
(1540) : quelque difficile que soit son application au français, on la trouve de Pillot (1550) à
Oudin (1632) en passant par Gamier (1558) et Maupas (1607), jusqu'à ce qu'elle succombe
sous les coups de Port-Royal.
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dans la « beauté » théorique : le système ramusien, analysé par Padley (1985 : 41)
est une merveille de méthode divisive. Rappelons-en l'architecture :
3.2.1. Le problème crucial des grammaires vernaculaires est de faire entrer dans
des classes prévues pour le latin et souvent même pour le grec un ensemble de formes
françaises. Si utinam est une partie du discours en latin, l'adverbe optatif ou désidé-
ratif en grammaire française renfermera sa traduction, si peu conforme soit-elle à ce
qu'on attend d'une partie du discours, à savoir qu'elle coïncide plus ou moins avec
les parties physiques du discours écrit, c'est-à-dire les mots. On trouve « о si » chez
Robert Estienne (1557 : 80) et Pillot (1550 : 72 v°), « pleust à Dieu » chez Palsgrave
(1530 : II, 58 r°), et Pillot (1550 : 72 v°) ; seul Cauchie (1586 : 82 r°) en fait une
périphrase tenant lieu de la partie du discours latine utinam.
Ce postulat de correspondance sémantique l'emporte quasiment toujours sur la
considération matérielle de savoir si l'on a affaire à un mot : Pillot donne ainsi
comme exemple ďaduerbium dubitantis « il est bien possible » (1550 : 76 r°). « il ne
s'en fault guère » est un âduerbium imminuendi (1550 : 74 v°).
Pillot n'est pas le seul dans ce cas : Cauchie range sous Yâduerbium concedendi
« posez le cas qu'il soit » (1586 : 83 v°), et « gardez-vous » dans Yadverbium admo-
nendi (1586 : 82 r°).
Ce débordement systématique des frontières du mot dans le chapitre de l'adverbe
pourrait être dû aux critères mêmes de définition de ces sous-classes d'adverbes :
pour nier, pour affirmer, pour démontrer, pour souhaiter... Les critères en
réalité ne sont pas sémantiques, mais communicationnels : les adverbes sont dans les
grammaires du XVIe liés à l'apprentissage de formules, d'expressions typiquement
françaises, constituant une sorte de manuel de conversation au sein de la grammaire,
où la notion de mot n'a plus guère d'importance.
3.2.2. Une forme peut en outre appartenir à plusieurs parties du discours dans la
même grammaire sans que cela soit mis en question. Il faudra attendre la grammaire
générale pour retrouver des discussions du même type que chez Apollonius (v. Lallot,
ici-même, 3.2.) sur l'unicité de la forme.
« Quand » est ainsi analysé par le même grammairien comme un âduerbium
omnis temporis et un âduerbium quaestionis (Cauchie, 1586 : 78 r°, 79 r°), et même
comme un âduerbium concedendi (« quand vrai seroit », 88 v°). Ou mieux encore
« davantage », toujours chez Cauchie, apparaît comme un adverbe de quantité,
d'ordre, de comparaison et d'intensité {intendendi).
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« Avant » est également chez Ramus une préposition (1562 : 73), un adverbe de
temps et un adverbe d'exhortation (1572 : 117, 119), sans que Ramus se sente obligé
de poser à la base une forme unique dont les autres dériveraient.
La polycatégorisation n'est donc pas un obstacle épistémologique pour les
grammairiens français du XVIe : l'attitude majoritaire à l'égard du problème de
« le »/« la »/« les » est de considérer que selon qu'ils suivent un nom ou précèdent
un verbe, ils sont articles ou pronoms « relatifs » (Meigret, Gamier, Cauchie, et dans
une certaine mesure Ramus, même si l'article fait partie du nom). L'idée d'une
catégorie primitive qui aurait évolué vers une catégorie dérivée (ce qu'Auroux appelle
décatégorisation), que l'on trouve chez Sylvius (« articulos a pronominibus (<& prae-
positionibus) corrogatos », 1531 : 96) n'est chez lui que l'effet de son latinocen-
trisme : ce n'est pas un argument à l'intérieur d'une langue comme cela peut l'être
chez Apollonius. Une preuve en est que Robert Estienne, après avoir repris à Sylvius
l'idée d'un emprunt (1557 : 18), enchaîne très naturellement sur une
polycatégorisation : « Quelque fois ils sont relatifs, & lors sont pronoms » (1557 : 20).
4. Conclusion
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