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Gilbert Hottois
2005/2 n° 25 | pages 49 à 64
ISSN 1243-549X
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-tumultes-2005-2-page-49.htm
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De l’anthropologie
à l’anthropotechnique ?
La résistance anthropologique
Dans Clones, genes and immortality1, John Harris
— philosophe anglais bien connu dans les milieux de la
bioéthique internationale — pose la bonne question : « If the
goal of enhanced intelligence and better health is something that
we might strive to produce through education (...) why should
we not produce these goals through genetic engineering ? »,
étant entendu, que la technique serait sûre et sans effets
marginaux négatifs.
Le développement de la réponse apportée par Harris ne
nous paraît pas aller philosophiquement jusqu’au fond du
problème. Il convient, à cette fin, d’expliciter ce qui, dans
l’anthropologie (philosophique et théologique) dominante,
s’oppose si fortement à l’idée d’un progrès anthropotechnique.
Globalement, la réponse à cette question est le langage.
Plus précisément, la valeur et le rôle accordés au langage — et
plus généralement à ce que l’on a appelé au XXe siècle « l’ordre
symbolique » — dans la conception philosophique et religieuse
de l’homme : son origine, sa nature, son avenir.
8. Nous avons opéré une analyse critique détaillée de cette rhétorique dans « Is
cloning the absolute evil ? », in Human Reproduction Update, 1998, vol. 4,
n° 6.
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clonage a surtout contre lui qu’il est pour l’espèce humaine anti-
naturel. Et il l’est sans aucun doute, ce qui doit pousser à la plus
grande prudence. Mais la prudence se pratique dans le monde du
changement et du contingent. L’abus consiste à passer d’un
constat concernant les phénomènes naturels à l’apodicticité
d’une essence et à l’absoluité d’un interdit. On passe ainsi de la
description des conditions naturelles de l’existence humaine à la
« nature humaine » et à l’« essence humaine ». De là, à
l’interdiction catégorique de rien changer. Il s’agit, somme toute,
d’une variante du « sophisme naturaliste » invitant à glisser d’un
énoncé constatatif, factuel, à un énoncé normatif. En bioéthique,
l’on est très souvent obscurément confronté à des philosophies
de la nature rarement explicitées et, sans doute fréquemment,
inconscientes. Ces conceptions présupposées sont quelquefois
plus proches d’une variante de créationnisme que de
l’évolutionnisme, plus proches d’un monde pré-moderne d’ordre
et d’essences que d’un univers de contingences et de processus
dans lequel l’homme peut, d’une manière croissante, intervenir
librement, après réflexion et avec prudence.
Anthropologie et anthropotechnique
Nous allons conclure cet exposé critique par quelques