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Moi Antoinette, ouvrière et veuve de l'amiante

20 MAI 2013 PAR JEAN JACQUES CHIQUELIN BLOG : LE BLOG DE JEAN JACQUES
CHIQUELIN
Antoinette F. une petite femme soignée, d’une admirable dignité a vu l’homme de sa
vie mourir jour après jour dans d’atroces souffrances que même la morphine à
hautes doses ne soulageait pas.

Antoinette F. une petite femme soignée, d’une admirable dignité a


vu l’homme de sa vie mourir jour après jour dans d’atroces
souffrances que même la morphine à hautes doses ne soulageait
pas.  Le calvaire d’Emile, gars du nord, belle gueule, yeux bleus,
avec des épaules de costaud, a duré des années.  Il travaillait dans
l’usine Eternit de Thiant Prouvy propriété de la famille Cuvelier.
J’ai rencontré Antoinette F. un week end de l’hiver 2005, au cours
de l’assemblée générale de la Caper  ( Comité amiante,
prévenir ,réparer) alors présidée par René Delattre, un autre ancien
ouvrier d’Eternit, qui n’a plus besoin de tuyaux dans le nez depuis
qu’il est au cimetière. René Delattre aurait  pu lui aussi donner
quelques éléments de réflexion à ceux qui font le constat de «
l’usage contrôlé de l’amiante dans la norme ». Les propos ci dessous
ont été recueillis chez Antoinette F, dans la maison de Wavrechain
sous Denain où elle vivait avec son mari. Elle décrit une réalité nue,
sans artifice, ni la moindre volonté de se victimiser. Avec aussi un
grand sentiment d’injustice. Elle appartenait à une génération plus
soucieuse de faire son devoir que de revendiquer ses droits, même
les plus élémentaires. Ces gens là étaient persuadés qu’en étant
honnête et travailleur, il ne pouvait rien vous arriver de mal.
Antoinette appartient à ces gens du peuple qui avait confiance.
Dans les médecins, dans les institutions, et d’une certaine façon,
même dans les patrons. Son histoire et celle de son mari montre
que la plupart de ceux là, à elle et à lui, comme à beaucoup d’autres,
ont fait défaut. Et on peut le dire sans crainte d’être démenti, en
toute connaissance de cause. Ou ce qui est pire avec autant de
considération pour cette chair d’usine que n’en ont eu certains
généraux de 14-18 pour la chair à canon qu’ils lançaient à la gueule
des mitrailleuses ennemies. L’arrêt de la chambre d’instruction de
la cour d’appel montre que ces gens là demeurent aujourd’hui
encore dans une sorte de no man’s land judiciaire, comme hors de
portée de l’état de droit. Une grande partie du témoignage
d’Antoinette n’a jamais été publié. Dans l’article paru en 2005 dans
le Nouvel Observateur j’évoquais d’autres cas et je n’avais pu
utiliser tout ses propos.
 
 « J’ai travaillé cinq ans chez Eternit, jusqu’en 1951, année où la
direction a décidé de renvoyer chez elles les femmes mariées sans
aucun dédommagement ».  Antoinette ne l’a pas oublié. Elle
commençait à six heures. Certaines ouvrières rejoignaient l’usine
de Prouvy à pieds depuis Denain, commune distante de cinq
kilomètres. Antoinette était mouleuse, ébarbeuse. « On avait des
marteaux, des râpes. La pâte, le mélange de ciment et d’amiante,
arrivait sur un petit chariot ». Elle attrapait la pâte, posait dessus un
calibre, dessinait le contour de la pièce avec un couteau à refaire.
Elle graissait le moule, mettait la pâte dedans, tapait sur le moule
avec un maillet. Puis, les ouvrières portaient le moule jusqu’au
séchoir. Parfois les pièces étaient lourdes. C’était un travail
d’homme « on étaient musclées les jeunes filles de ce temps là ». Si
on faisait plus de pièces, on touchait des primes. Avec les primes, je
gagnais plus que mon père qui était chaudronnier en fer et en fonte
chez Usinor à Denain. Pendant l’hiver 44, et même 45, l’atelier
n’était pas chauffé. « On avait un bac d’eau, on cassait la glace avec
le ciment 
          Dans son dos, une meuleuse crachait de la poussière
d’amiante en continue. On mangeait au milieu de l’amiante, sur la
table de travail. Pas de masques, pas de gants. On avait les mains
toutes cassées. Ma mère nous mettait du sudozan sur les mains.
Pour dormir je mettais des gants pour ne  pas tâcher les draps...      
         Emile a commencé à travailler chez Eternit en 1944. Il avait eu
son certificat d’études. On lui a proposé d’être facteur à Prouvy. Il a
préféré rentrer chez Eternit. Pour gagner plus. Eternit avait la
réputation d’être une bonne boîte. Tous les ans en fin d’année le
patron, joseph Cuvelier, donnait la prime Saint Joseph. Les ouvriers
se cotisaient et offraient eux aussi un cadeau au patron.
         Au début, Emile chargeait les tuyaux dans les wagons. Ensuite,
il est passé pontonnier et conduisait le grand pont, un engin de
levage qui circule sur des rails.  Pour gagner plus, Emile, comme
d’autres faisait les doublages, les deux huit, seize heures d’usine,
par jour, samedi compris. Il travaillait aussi quelques dimanches
dans le mois. C’était payé double.  « Il allait s’empoisonner un petit
peu à la fois sans le savoir. » Il avait refusé d’être contremaître par
principe : « moi, je veux pas commander un pareil à moi ». 
         Tous les ans, Emile passait devant le médecin. Il soufflait.
Trop. Antoinette s’inquiétait. « Mon mari ne fait que de souffler »
confie-t- elle au médecin de famille qui après lui avoir demandé
depuis combien de temps Emile travaille chez Eternit l’envoie
consulter Jean Pierre Grigne, chef du service pneumologie de
l’hôpital de Denain. L’examen radiologique révèle la présence
d’amiante dans les poumons. Une présence confirmée au scanner.
Emile va voir le médecin d’Eternit et lui demande pourquoi il ne l’a
pas averti de son état ? « vous auriez été déclassé » lui répond le
bon docteur. On lui reconnaît 5% d’incapacité. Un pourcentage bien
faible au regard de son état, comme l’écrira un pneumologue de
Lille.
         « On était loin de se douter de ce qui allait nous arriver »
remarque Antoinette. En 1983, Emile part en pré retraite à 55 ans. Il
disait, le jour que j’ai ma pré- retraite, je prends ma musette, je la
jette au canal. Elle était en cuir, il l’a finalement donné à un copain.
« A cette époque déjà, il n’avait plus de souffle. Il voulait encore
faire le jardin, il s’asseyait il repiquait quatre ou cinq poireaux et il
n’en pouvait plus. J’ai été lui finir le parc de poireaux ».
         Un été Antoinette et Emile sont partis en vacances en voiture,
« il me disait « je ne peux pas te parler ». Il n’avait plus assez de
souffle. Depuis six ans on nous disait que son état était
stationnaire, sans aggravation. On est allé à Lille chez le professeur
Aubin. Quand il est venu nous chercher, mon mari n’arrivait pas à
le suivre dans le couloir de l’hôpital. Pourtant c’était un monsieur
âgé. Il examine Emile :« on ne peut pas nier l’aggravation »
s’exclame le professeur. « Mr F. pourquoi depuis six ans n’êtes vous
pas venu me voir ? » La réponse d’Emile est simple : « Si on ne
m’envoie pas, je ne peux pas venir de moi même ». Il avait 40%
d’IPP, il monte à 50%. Conclusion du médecin : mr F non fumeur
allègue une dyspnée au moindre effort avec majoration de la gêne
respiratoire depuis un an ».
«  J’ai un carton, il y a au moins cinquante kilos de radio dedans,
raconte Antoinette. « Le poumon sur une radio normalement c’est
tout noir. Avec l’amiante c’est tout blanc. Sur les poumons d’Emile,
Il ne restait plus qu’un petit bout de noir en haut ».
          Emile a passé les deux dernières années de sa vie sous
oxygène, avec des tuyaux dans le nez. Il a commencé à respirer
l’oxygène 16 heures par jour, puis dix huit ,et puis 24 heures sur 24.
Dès que je le débranchais, il ne pouvait plus respirer. J’avais une
petite bouteille pour lui faire sa toilette, sans oxygène il ne pouvait
pas. Pendant un scanner on lui retire les tuyaux. Il tapait avec les
poings contre l’appareil parce qu’il ne pouvait plus respirer. Il
crachait tellement, c’était tout gris, on aurait dit du coton. J’avais
trois boîtes. Elle montre la salle à manger, une autre dans la cuisine,
une dans la chambre pour recueillir les crachats.
         Il a tout eu Emile. La bronchite. Il en faisait trois ou quatre par
ans. La tuberculose. En 1983, il passe deux mois à l’hôpital. Il
supplie Antoinette : « sort moi de là, j’ai pas le moral ça fait au
moins quatre que je vois passer les pieds devant ». En 91, il fait un
épanchement pleural au poumon droit. Le médecin lui fait une
biopsie, lui  montre le résultat et explique  : « vous voyez tous les
picots, c’est de l’amiante ». « Quand il a entendu ça, mon mari s’est
évanoui » raconte Antoinette.
                  En 1999 il fait une plastie nitrale, en 2000, un
épanchement pleural au poumon gauche. et pour finir deux
cancers, bronchique et pleural. Il était atteint depuis 1983. A la fin
il a eu trois mois de chimiothérapie. Il ne voulait plus sortir, il était
gêné de se promener avec une bouteille dans la rue. Il se voyait
descendre un peu plus tous les jours. Il n’arrivait plus à parler,
pouvait à peine marcher. Il est convoqué à Lille par la sécurité
sociale pour un examen. Il était intransportable. La pneumologue
de Denain téléphone à Lille pour leur signaler. Quelques jours plus
tard Antoinette reçoit un courrier : votre mari ne s’est pas présenté
etc etc.. .
         « Je suis traumatisée pour le restant de mes jours » confie
Antoinette. Les souffrances qu’il a eues. Il a maigri de dix sept kilos.
Il souffrait tellement « donne moi tout ce que tu veux «  qu’il me
disait. Il avait un appareil sur sa table de nuit avec une grande
ampoule de morphine. La morphine, il en avait marre. Il tremblait
tellement qu’il n’arrivait plus à manger tout seul. Un jour, il a
décidé d’arrêter. Il me dit « il faudrait que je tape dans les murs ». Il
était en manque.
         Je me souviens d’Antoinette debout dans la cuisine de leur
petite maison avec dans la main une liasse d’enveloppes retenues
par un élastique. « Emile était très ordonné, et moi je continue.
Tous les papiers sont rangés dans un meuble au coin de la salle à
manger ». De la paperasse. Des résultats, scanner, chimio, bilans,
radios, examens,  des recours, des convocations, des mots, des
formules, du charabia médical et administratif, le calvaire d’Emile
en format vingt et un vingt neuf sept, une feuille de route sans
surprise, terminus le cimetière.
         François, Emile, Charles, trois frères. François est parti le
premier, en 1991, à 59 ans. Il travaillait à l’atelier de menuiserie de
l’usine. Il réparait les moules en bois. Mésothéliome. « depuis, ma
belle sœur n’a plus sa tête »
         En 2002, Emile. Mort le jour de l’enterrement de sa sœur. « A
14 heures, on enterrait ma belle sœur à Prouvy. Elle est morte d’un
cancer des ovaires. Quand on lui a fait des examens on s’est aperçu
que ses poumons étaient plein de fibres ».         
         Après le cimetière Antoinette et ses enfants retournent à
l’hôpital, rejoindre Emile. Ils ont à peine eu le temps d’arriver. Il
était en soin palliatif, on lui avait retiré l’oxygène. Il était au bout
du rouleau.Il est parti à dix sept heures. Antoinette a pris sa main.
Les enfants étaient autour du lit. La tête d’Emile a glissé sur
l’oreiller. Dans la cuisine, les yeux d’Antoinette brillent un peu plus.
Elle se tait, un instant : « Mon mari a beaucoup plus souffert que
son frère. A force de mal respirer, il s’est fait un souffle au cœur. Il a
été opéré, on a du lui mettre un anneau à la valve nitrale ».
         En 2003, un an après Emile, c’est au tour de Charles, 73 ans.
Mésothéliome. Mon mari avait toujours dit à son frère « c’est toi qui
fermera la porte ». En 2002, Charles avait eu le temps d’ annoncer à
son frère, déjà en phase terminale, que lui aussi était atteint :« mon
mari est parti avec un fameux poids sachant que son frère allait
connaître les même douleurs que lui ». Antoinette fait le
bilan : « Ma belle mère a eu huit enfants. Elle a perdu toute la
famille ».
         Le lendemain de la mort d’Emile, Antoinette a reçu une lettre
de la caisse d’assurance maladie : Emile est reconnu à 70% d’IPP. 
« Dans l’état qui était le sien, on lui accordait pas 100%, j’en ai eu
les jambes coupées, je me suis dit il a trop souffert, je ne peux pas
laisser ça comme ça. J’avais un mari aimable, sociable, estimé de
tout le monde. Ceux qui ont employé les ouvriers en sachant que
c’était un poison, ils ne sont pas pardonnables ».   

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