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AVERTISSEMENT. '*
ON n’ajoutera ici qu’un mot sur la marche qu’on a suivie_
dans l’enseignement de ce Cours. ' ’ '
Les leçons étant d’audition, elles ont attiré constam
ment autant d’agnateurs des deux sexes que d’élèves. Ces
derniers, invités à faire par écrit le résumé de celle qu’ils
venoient d'entendre, apportoient ce travail à,la leçon sui—
vante. Pour le leur faciliter, on leur d0nnoit quelques'
notes qui leur en rappeloient les objets, et l’ordre, dans”
lequel ils devoient être classés. Cette méthode avoit pour
but de les accoutumer à se rendre compte de leurs idées,
- à les'resserrer ou à les développer , à prendre l’habitude
de cette précision qui ne dit ni trop ni trop peu, et qui,
n’ôtant rien à la clarté , n’omet en même temps rien d’es
sentiel. Il en résultait à la fin du cours que chaque élève
avoit composé le sien lui-même.
La Nature est la grande maîtresse dans tous les arts.
C’est dans l’imitation fidèle de Celle - là que ceux—ci trou
ventla perfection. Ils n’y sauroient arriver tout d’un coup.
11 y a des préliminaires indispensables , des degrés par
lesquels il faut passer. '
Le peintre, long-temps avant de prendre le pinceau,
a commencé par se servir du crayon. Il ‘a d'abord appris
, à le manier. Le premier usage qu’il en a fait a été de co- ‘
pier des dessins , et de chercher à approcher le plus qu’il
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X 0 AVERTISSEMENÏQ
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t « On a prétendu présenter ici moins des idées neuves
2 que des idées justes. Les principes du bon, du vrai et
« du beau sont dans la Nature. Tout ce qu’on peut puiser
AA dans cette source féconde a été déjà cherché, saisi et
AA dévelogpé.... Le précis de ce qui a été dit de mieux sur _
« cette matière intéressante, mis sous les yeux, vaut bien ' “
« sans doute. des vues nouvelles. Elles ne pourroient . l"
« l’être entièrement aujourd’hui qu’en contredisant quel— ‘
« quefois les leçons constantes de la raison et du goût
« établies par nos maîtres, reçuespar tous les bons esprits ,
« et consacrées par l’expérience et'les siècles. La Vérité
l\A est une comme la Nature ».
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,, _ ,,..fi., ‘ Ÿ..-_,v: ,_ ...., -
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\PRÉFACE. "
' ' Le quatrième jour complémentaire
an vu [:0 septembre 1798] (l).
(x) Le lecteur doit voir par cette date , qu’il est 'prié de se rap
‘ peler dans la suite de l’ouvrage, que ce Cours de belles lettres
est écrit déjà depuis quelques années; diverses circonstances ,
qu’il seroit inutile de rapportef‘ ici, en ont retardé l’impression
jusqu’à ce jour, vingt mois après la mort de l’auteur.
1. , a
.
WÏÇ a .mrMWJNMY»L-ÀW ’\
ij _ ' ' PRÉFACE.
qui eut lieu , un an après, le 1" frimaire au V
( 21 novembre 1796 ); ce Cours en est le résultat.
—— N’auriez-vous pas pu vous dispenser d'en
faire un? Nous‘en avons déjà un si grand nombre! '
= Vous savez aussi bien que moi qu’abon-_
dance n’est pas toujours richesse.
— Sans doute. Mais nous avons le Traité des
études de Rollin.; ,
= Cet ouvrage , nécessaire au professeur , ne
suffit pas pour l’élève. Il offre d’excellentes.vues
générales sur la nature , le choix, la distribution ,
la direction des études; mais il n‘est pas un cours
d’études. ‘ '
' -— Soit. M_ais Balteux nous en a douné,un qui
est estimé.
= A plusieurs égards il mérite de l’être. Mais
il est peut-être au dessous de sa réputation. Le
grand principe qu’il se propose de développer est
si ancien, si connu , si usé , qu’il n’est presque
plus qu’un lieu commun. Qui ne sait que dans
tous les arts de l’imaginalion le point précis de
l’excellence est la fidèle imitation de la Nature?
(J’est,par là que les anciens ont atteint la per
fection, et qnciplusieursymoderhei‘» y sont arrivés.
La seule r‘nanière de jeter de l’intérêt et de la nou
veauté sur Ce principe rebattu , étoit d’en montrer
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’clairement l’applic ion ; et c’est ce qu’il n’a. point
fait. On cherche en vain dans son ouvrage des rap
prochements de la littérature ancienne et de la
moderne. Cette dernière, a presque toujours été
dédaignée dans les universités où l’on donnoit
généralement une préférence exclusive aux an
ciens , et où on- rendoit rarement justice à ceux
qui, ayant marché depuis sur leurs traces, les ont
fréquemment égalés, et surpassés quelquefois.
Pour faire connoître les premiers, Batteux en
traduit des morceaux , et presque toujours il les
défigure. Avec la double prétention d’enseigner la
manière dont on écrivoit autrefois, et celle dont
on doit écrire aujourd’hui , il manque l’une et
l’autre. Son Cours, malgré son étendue et sa mé
thode, est très incomplet. Son goût; rétréci en
quelque sorte par les vieux préjugés de l’école,
n’est pas toujours sûr; son style, en général exact
et correct, est sec, roide , pesant, étranger aux
graces et à la sensibilité. Il ôte tout leur charme
à celles-là; et il n’a pas assez de celle-ci Pour la.
faire naître ou la développer dans les cœurs de
ses élèves. Discuter les effets de la sensibilité n’est
point le moyen de les_reproduire. On ne prescrit
pas des règles au sentiment. Il faut sentir soi
même pour faire sentir les autres. Quelque utile
.
iV ,
PREFA
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que soit son ouvrage, il lais bien des choses à
desirer. ’
— Et croyez—vous que le vôtre n’en laissera
pas aussi? ' ‘ ’
= Une réponse sérieuse à cette question sup'—
poseroit des prétentions que je n’ai pas. Je dois
ajouter à ce que je viens de dire sur Bollin et
Batteux, et cet aveu ne me coûte point, que leur
travail ne m’a pas été inutile; je m’en suis servi
comme de celui des maîtres grecs.et latins en élo
quence et en poésie , Platon, Aristote, Cicéron,
Ilorace , Quintilien , etc. J’ai dû leur joindre les
écrivains modernes qui ont traité comme eux de
l’enseignement; et quand je suis de leur avis, et
quand j’ose en avoir un autre ,' ils n’en ont pas
moins des droits à ma reconnoissance. Ils ont tiré
d'une mine riche des diamarits qu’ils ont taillés,
polis et montés; j’ai essayé de les mettre en œuvre
à mon tour.
' — A la bonne heure :je suis, trop honnête pour
disputer.’Mais les Elémentéde littérature de Mar
montel , le Lycée de la Harpe....
= Sont assurément d'excellents livres. Le pre
mier a rassemblé dans le sien les morceaux qu’il
avoit fait d’abord pour la première édition de
l'EncycloPédie , et qu’il a refaits ou augmentés
rRÉFAcE. v
ensuite pour l’Encyclope‘die méthodique. Ce re
cueil , où ila suivi l’ordre alphabétique, est un dic- ‘
tionnaire très bon à consulter. Le second a traité
exprofèsso de la littérature ancienne et moderne
‘avec plus d’étendue , de profondeur et de méthode.
’ —- Et la concurrence de ces ouvrages n’est-elle
pas dangereuse? .
= Sans doute. Ils portent le cachet d’excellents
littérateurs ; le goût du dernier surtout, car il
fâut être juste avec ceux même qui l’ont été si ra- .
rement pour les autres , rappelle celui des wo
dèlès des bons temps. Il a étudié tous les genres ;
et-il en a approfondi quelques uns avec cette su
périorité qui naîtde la méditation et de l’exercice.
Les Éléments de littérature existoient lorsque j’ai
’ - rédigé mon Cours, et j’en ai profité. L&Lyc_ée n’a-_
voit point encore paru. Il y avoit déjà_ trois ans
que je faisois usage de mon travail dans mes le
çons quand La Harpe publia ses premiers volumes:
ils sont déjà au nombre de dix. D’autres doivent
les suivre (1). Ils ne sont PèUt‘fêtI‘6 à‘la portée 'ni
de l’intelligence, ni des moyens de tous les_élèves.
L’auteur convient que son livre ne peut pas servir
L;_,._‘_ .' .
mË".
,y”T“.»—«_.J‘.«,
viij PRÉFACE. _
puis m'exprimer ainsi, qu’on en fixe la mobilité,
qu’on meuble leur mémoire , qu’on développe et
qu’on accroît leur force de penser. Sans cela il
n’y a point d’imagination. Pour apprendre ce que
c‘est que Cette faculté , il faut essayer la sienne;
et c’est le motif et le but des exercices qu’exige
nécessairement ce Cours. D’ailleurs il m’eût été
difficile de resserrer davantage un ouvrage qui,
d’après mon dessein, devoit, dans son ensemble
et dans ses détails, offrir en même temps un traité
et une histoire des belles lettres. '
-— Ce plan est vaste et ne peut qu’être inté
ressant, s’il est bien rempli. ,
= Le public en jugera.
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sua L’HISTOIRE DES scrzwcns,etc. 3
ques , pour ainsi dire , qu’elle avoir de villes. Sparte , par—
mi toptes ces démocraties , avoit seule conservé des chefs
ou des rois au nombre de deux , qui, régnant ensemble,
affoiblis par le partage du pouvoir, étaient encore con—
tenus par des magistratures créées expressément pour les
surveiller ainsi que les autres citoyens.
Les Macédoniens, les Thessaliens , les Épirotes, recon
noissant la même origine , parlant la même langue, avoient
seuls conservé leurs anciens gouvernements et Murs mo
narques , dont la foiblesse les rendoit peu redoutables à
la Grèce, unie pour conserver son indépendance; et leur
position, les plaçant entre les nouvelles républiques et les ’
Scÿthes , défendoit naturellement celles—là des incursions
de ceux—ci, qui ne pouvoient pénétrer jusqu’à elles qu’en
soumettant d’abord les peuples é:ablis sur le passage qu’il
falloit nécessairement se frayer.
La philosophie , puisée chez les Orientaux par les voya
geurs , par ceux des grands hommes de la Grèce qui, exi
lés de leur patrie , allèrent chercher un asile en, ‘gÿpte,
dans l’Inde et dans d’autres contrées de l’Asie , passa
bientôt sur le sol de la liberté, où la fixa l’attrait de l’in
dépendanœ si nécessaire à ses progrès._ Elle n’y en lit ce
pendant que de médiocres. Ses “forts , contrariés par une
imagination ardente, impétueuse, incapable de s’arrêter
long—temps à l’observation des effets, et se pressant trop
de deviner les causes, se bomèrcnt à de foibles essais, à
enfanter des systèmes, et à multiplier des erreurs qui
furent un des plus grands obstacles qu’on eut ensuite à
vaincre pour; rechercher et retrouver la vérité.
Cette même imagination , si contraire aux découvertes
phi1050phiques , étoit favorable aux lettres et aux arts,
qui naquirent presque en même temps que la philoso- '
4 . cour D’OEIL GÉNÉRAL
phie, et qui recevant des accroissements successifs, la
laissèrent en peu de temps bien loin derrière eux. Leurs
progrès furent rapides, et leur perfection portée au plus
haut degré dix ans .avan_t Philippe, père d’Alexandre.
L’éclatdu règne de celui-ci , la rapidité, la continuité de
ses victoires,_qu'il alla d’abord chercher en Perse pour
venger les anciennes injures de la Grèce, et que son arn
bition lui fit poursuivre ensuite jusque dans l'lnde, lui
procurègent l’honneur de marquer la première époque
du triomphe des arts et du savoir, qui déjà brilloient
long—temps avant sa naissance. La flatterie, toujours atta
chée sur les pas duæouvoir, et l’admiration qu’excite au
tour de lui le guerrier monarque et conquérant, s’em
pressèrent de substituer le nom d'Alexandre à celui de
Périclès, sous lequel les Athéniens avoient commencé
par désigner ce beau siècle.
La gloire de la Grèce lui :ivoit été d’abord personnelle:
elle la devoit à ses sciences, à ses arts, à ses victoires, à
son amour pour la liberté, à ses efforts constants pour la
mainteñir. A l’avènement d’Alexandre, cette gloire passa
presque tout entière à ce prince, qui, nommé généralis
sime pour l’expédition de la Perse, attacha son nom ex—
clusivement à tout ce qu’il exécuta. L’honneur et la répu
tation , qui en furent les résultats, cessèrent alors d’être le
patrimoine de la nation; ils devinrent, en quelque sorte,
celui d’un seul homme; et le peuple, oublié , fut remplacé
par le héros. , '
Les Grecs, si jaloux de leur gloire et de leur liberté,
corrompus par l'or et les intrigues de l‘hilippe, ne surent
plus conserver ni l’une, ni l’autre. L’avilissement dans
lequel ils étoient tombés avoit fait de si grands progrès,
qu'ils furent hors d’état de s'en ressaisir, quand, après la
son L’HISTOIRE uns scrnnce‘s, etc. 5
mort d’Alexandre, ses successeurs se disp fèrent ses états,
ses conquêtes , et sa puissance. '
Lorsque la force et les armes'eurent réglé le partage,
que chacun se fut emparé de son lot, ces soldats devenus
' -rois, peu touchés de tout autre charme que de celui du
pouvoir, dédaignèrent les sciences , les lettres , et les arts;
les seuls Ptolémées essayèrent de les transplanter dans
l’Egypte qui leur étoit échue : mais il n’y eut guère que
les sciences exactes qui y prirent racine. L’astronomie et
les mathématiques fleurirent dans l’école d’Alexandrie.
Elles d'evoient en effet être cultivées de préférence dans
une ville enrichie‘ par le commerce de deux mers , l’Océan
‘ indien et la Méditerranée.
Les sciences et les lettres continuèrent d’être cultivées
à Athènes; mais leurs fleurs, à demi fanées, ne conser
vèrent qu’une portion de leur ancienne fraîcheur et de
leur ancien éclat. Cependant quand Home, indifférente
àux lumières, insensible à toute autre sorte de gloire que
celle qui résulte de la guerre et des conquêtes , s’empara
de la Grèce, et y substitua son joug à la liberté dont elle .
émit si jalouse chez elle, lors même qu’elle cherchoità
l’anéantir’partout où sôn ambition et son avidité por
tèrent ses armes , Athènes eut encore l’avantage de deve
nir l‘institutrice de ses vainqueurs. Ceux-ci, en apprenant
sa langue, apprirent à polir la leur;à lui ôter la rudesse
et'l’âpretéaqu’elle avoit contractées dans la bouche d’un
peuple fier, dont le caractère inflexible et les mœurs eus
tères revoient jusqu’alors dédaigné les graces. Ils s’empa—
rëi-ent des modèles qui s’étoient multipliés dans les beaux
jours de l’Attique, dont ils imitèrent, égalèrent plusieurs,
et surpassèrent même quelques uns; car , quoique puissent
dire les partisans de la Grèce, Virgile et Cicéron sont bien
. ’
6 cour D’OEIL céuénu.‘
près d’Homère et de Démosthènes; et l'on ne voit pas trop
que] historien ils peuvent comparer à Tacite.
Cependant les Romains, il faut en convenir, ne firent
de très grands progrès que dans les connoissances dont
l’emploi est un besoin pour la richesse, et pour le luxe,
qui marche aVec elle. Ils portèrent l’éloquence et la poésie
à un degré de perfection dont ils retirèrent un honneur
qui rejaillit sur leurs maîtres. La première, cultivée pen
, dent les beaux jours de la liberté , jette son dernier et
son plus brillant éclat à la fin de la république , et dispa
rut presqu’entièrement avec elle. '
Lucrèce, Virgile, Horace , Ovide, Cicéron, Tacite,
Tite—Live, Varron, Vitruve, etc. , ornèrent le siècle briI-'
lunt de Borne auquel l'empereur Auguste, qui cherchoit à
faire oublier les prescriptions du triumvir Octave, donna
son nom, comme Alexandre avoit donné le sien au pre
mier âge du savoir.
Mais les sciences , la philosophie, les beaux arts_pro
prement dits , à l’exception de l'architecture , ne fleurirent
point avec le même éclat dans la capitale des maîtres du
monde. Si Lucrèce et Sénèque écrivirent avec succès sur
des matières philosophiques, ils ne firent quese traîner
sur les pas des Grecs dont ils copièrent les systèmes. Ils
ne créèrent rien : ils embellirent quelquefois. Ils appor
tèrent des plantes étrangères dans leur patrie; ils en éten- .
dirent la culture , mais ils ne la perfectionnèrent pas.
La sculpture et la peinture ne firent pas de grands pro
grès à Rome. Cette lville s’enrichit et s’embellit des pro-_
ductions des artistes grecs qui ornèrent ses places publi
ques, ses temples, ses palais , et les‘ jardins magnifiques
de ses riches citoyens. Les seul pteurs appelés de l’Attique
y formèrent bien des élèves: plusieurs de ceux-ci se firent
.
snn n’aurons mas scmncss,elc. 7
de la réputation; quelques uns approchèrent de leurs ,
maîtres; peu les égalèrent; la médiocrité fut le partage '
detout le reste. _ .
Il semble que la décadence des sciences et des lettres a,
été partout plus ou moins rapprochée de l’origine de leur
culture, en raison de la rapidité de leurs progrès. Elles
dégénérèrent bientôten Italie, où elles brillèrent peu de
temps avec tout leur éclat. On ne peut trouver la raison
de leur peu de durée que dans des causes politiques.
Nous avons vu la révolution qu’elles éprouvèrent dans
’1a.Grèce à la nËprt d’Alexandre. Athènes conserva bien
ses anciens et précieux modèles; mais la légèreté origi
nelle de ce peuple, augmentée par la corruption que Phi
lippe avoit semée dans la Grèce entière pour l’asservir
plus.aisément, le rendit incapable de les reproduire , et
ne lui permit de lesimiter que de loin.
La translation du siège de l’empire à Constantinople
entraîna leur ruine totale à Borne. A cette cause puis
sante, il faut en joindre une autre dont l’influence fut
plus grande encore. '
La révolution qui se fit dans la croyance, la religion
nouvelle qui s’éleva sur les ruines du paganisme, jus
qu’alors le seul culte universel, qui dans l’Orient s’assit
presque—sur le trône à côté de Constantin , et qui l’occuper
se'ul‘én0ccident après la chute de cette partie de l’em
pire romaip divisé, en ramenant les peuples au dogme
de l’unité de Dieu, y anéantit tout à fait le savoir; et le
bien que reçut la raison dans la destruction de l’ido
lâtrie fut accompagné de circonstances qui en suspen
dirent-les progrès. On sait que le mépris des sciences hu
' maines fut un despremiers caractères du christianisme
à sa naissance; et ce ne fut qu’avec le temps qu’il se ré.
8 cour n’ont. GÉNÉRAL
concilia avec. elles. Lorsque l’empire d’Occident fut (lé
truit, que les souverains pontifes occupèrent seuls la ville
de Rome, êt se saisirent, par l’opinion, du trône et du
pouvoir des Césars, toutes les espèces de connoissanœs,
à l’exception de celles de la religion , disparurent de cette
partie de l’Europe, où la barbarie les remplaça jusque
vers le milieu du xv° siècle. o ‘
Elles se soutinrent cependant en Orientoù nous voyons
‘saint Chrysostôme comparé par l’exagération à Démos
thènes , à qui personne ne peut être comparé, en parler
encore la langue avec élégance, avec noblesse, avec éner- '
gie. L’Occident ne nous offre rien de pareil, même de,
bien loin :reconnoît-on la langue de Cicéron et de Tacite
’ dans saint Augustin qui voulut être à la fois,orateur et his
torien,et qui fut plus déclamateur qu’éloquent, comme il
fut annaliste crédule et sans critiqué? La retrouve-t—on
dans saint Jérôme dont le style est aussi foible que son ca
ractère étoit violent et emporté, et qui, élevé dans,les
lettres à Rome, auroit dû y apprendre à préserver ses
écrits de cette barbarie que saint Augustin avoit puisée
dans les écoles africaines , les seules qu’il avoit fréêluen tées.
Le vandalisme le plus atroce se répandit aussi dans
la Grèce, où il laissa les traces les plus affligeantes au,
milieu du vm" siècle. L’ignorance et la stupidité féroce
des maîtres deConstantinople y contribuèrent encore
plus que les incursions des Arabes. _
Cc peuple ancien, mais obscur, à 'peine connu des
Grecs et des Romains, ou dédaigné par eux, venoit de' l
sortir tout à coup de l’espèce de néant où il étoit resté
enseveli; et dirigeant ses efforts sur les restes du vaste
empire des derniers, il semhloit se destiner à surpas
ser leurs conquêtes. Il portoit partout une nouvelle re—
Al
. sun L’HISTOIREDES scxnscas,etc., g
religion , née dans ses déserts , et qu’on vit remplir si
rapidement une grande partie de l’Asie , le nord de
l’Afrique, l’orient et le sud-ouest de l’Europe. Peut
être aurait—elle couvert la surface entière de la terre, et
remplacé toutes les croyances religieuses , si l’esprit d’en.
thousiasme éveillé par son fondateur parmi les Arabes,
qui le communiquèrent à leur tour aux peuples qu’ils
conquirent, s’étoit soutenu, et n’avoit subi le sort de
toutes les choses humaines, qui s’affoiblisser;t insensible
ment et s’anéantisscnt avec le temps.
Ce fut à ces révolutions dans les opinions religieuses
que les lettres durent deux pertes irréparables qu’elles
firent presque en même temps. Vers le milieu du vme
siècle, le fanatisme détruisit la bibliothèque de Constan
tinople et celle d’Alexandrie.
L’empereur Léon l’Isaurien , également imbécille et fu
rieux , fit entourer la première de fascines auxquelles il
ordonna de inettre le feu, et fit ainsi périr à la fois les
livres qu’elle contenoit et les savants qui s’y rassembloient;
ces derniers n’étoient coupables à ses yeux que parce
qu’ils s’étoient élevé; contre l’espèce de rage avec laquelle
il proscrivoit les images, qui sont peut-être un besoin
pour certaines ames, où il peut quelquefois dégénérer en
superstition.Les plaintes du bon hermite Sérapion , quand
on l‘eut privé de celle devant laquelle il 6toit accoutumé
à prier, annoncent un esprit faible et un cœur tendre(1).
“& On peut comparer cette espèce de superstitieux à ces
"' r
,:A W s...4n
20 cour n'osu. GÉNÉRAL
pliquer enfin à tous les phénomènes célestes dont il offre
l’explication naturelle, cela ne diminue rien de sa gloire;
et le génie qui met dans tout son jour une vérité incon
nue , doit au moins partager celle de l’homme qui, l’_ayant
d’abord trouvée, n’a su ni la démontrer, ni en tirer au
cun parti. Galilée rendit celle-ci sensible par ses décou
vertes, et la propagea en dépit des théologiens ignorans,
qui ne“ déshonor‘èrent qu’eux-mêmes par la rétractation à
laquelle ils le forcèrent à l’âge de soixantedjx ans. Il dé—
couvrit la pesanteur de l’air, et mit son disciple Torri
celli sur la voie des expériences qui la prouvèrent. Les
recherches de Tychô-Brahé , les méditations de Kepler,
l’usage constant enfin de l’expérience, ce guide sûrque
Bacon avoit enseigné à prendre pour se conduire dans la
nuit qui couvroit les“ sciences naissantes, tout fut em
ployé , médité , répété , étendu , et rectifié..La physique,
l’astronomie , les mathématiques , jusqu’alors de vains sys
tèmes , s’élevèrent à l’exactitude et à la vérité. Appliquées
à la navigation et aux arts, elles devinrent utlfes; elles re—
çurent tout l'éclat qu’elles méritoient, et le durent aux
lettres.
C’est ce dont la suite du cours que nous allons faire
de celles-ci nous fournira plus d’une preuve. Nous ne
bomerons pas nos recherches aux productions de ce siècle‘
(et du suivant en France; nous jetterons aussi les yeux sur
celles des principales nations étrangères, et nous éten
drons notre travail pour.ajouter à nos connoissances. .
En finissant cette esquisse d’un tableau hist0rique dont
les détails et les développements trouveront naturellement
leur place dans l’objet même des études pour lesquelles
nous allons nous réunir, je ne dois pas négliger une ob
servation rentre nécessairement dans mon sujet.
‘__/_.e “'—’._s_
‘ u- —-\‘,a.—-—-‘\ ——».—.,M A
, " ”’
3
sua L’HISTOIRE nes scrnwcas, etq. 21
On a remarqué que c’est à la Grèce que l’Europe a du
sa religion, ses sciences et les arts, qui ne brillent que
dans les plus hauts degrés de la civilisation. Ou deman
dera sans doute à qui la Grèce elle—même doit-elle parti
culièrement tout ce qu’elle a transmis d’abord à Roine,
et ensuite de Rome à nous? C’est à l’Egypte , qui, dès la
plus haute antiquité , avoit elle-même tiré ses conuois
sances de l’lnde , où ceux qui les lui rapportèrentpvoient
été étudier la théologie, l’astronomie , la médecine, toutes
es sciences cultivées sur les bords du Gange par les
Brachmanes, auxquels il paroît qu’ils dérobèrent même
leurs
Ce livres
fut sursacrés
les bords du Nil que les Grecs allèrent à leur
'b
22 0 Cour n’ont. cém’znsn
' Il est incontestable que les Égyptiens avaient fait .de
grands et de très grands progrès. Si leurs ouvrages pèchent
par le goût, quelques uns ne laissent peut-être rien à de
sirer; et les ruines de Thèbes offrent aux yeux du petit
nombre
mirationdeceux qui les ont
et devregrets visitées,
: tous quantité
étonnent d’objets
par leur d’adet
masse
(x) A l'époque où ceci fut écrit, l’Europe était encore dans l’at
tente de la publication des travaux des savants que l’amour des
sciences conduisit en Egypte, à la suite de l’armée française; on
n'a donc pu profiter des lumières qu'ils doivent nécessairement ré
pandre sur tout ce qui concerne cette antique contrée.
surti’nrsr0inn nus SCIENCES, etc. . 23*
t de . ce sont des groupes colossaux , souvent d’un seul bloc , de
hent ' trente,_ de quarante, de cinquante, et de soixante-dix
à de pieds; des 9bélisques d’une seule pièce, effrayants par
petit leur hauteur , plus étonnants en60re par l’art avec lequel
d’ad on avoit tiré des carrières le quartier énorme de marbre
:se et dont chacun étoit composé, et celui avec lequel on les
aune avoit conduits ensuite et élevés sur le terrain qu’ils oecu
ment! poient. \
Travaillqit-on ces pièces sur le rocher même qui en
fournissoit la matière? Mais alors la difficulté de leur
transport jusqu’au; lieux où elles devoient être placées
n’étoit guère moindre; celle d’élever ces masses sur des
,’éteP
piédestaux qui avoient plus ou moins d’élévation étoit
e au!
sans doute aussi grande que la première : les Égyptiens
; leur
les avoient vaincues l’une et l’autre. Comment s’y pre
, dan;
noient-ils? On l’ignore : mais quel que-fût leur procédé,
baq“° il annonce une connoissance profonde et peut—êäre supé—
aban
rieure à toutes les nôtres en mécanique.
à leur ‘
Les richesses de nos souverains, l’habileté de nos ar
PP°" tistes, ne parviendroient pas sans peine à faire exécuter
le 9' aujourd’hui, dans les grandes capitales de l’Europe, un
g”“" seul de ces monuments qu’on rencontroit._en si grand
n que nombre dans les contrées qu’arrose le Nil. Les Romains
e “‘3' en avoient transporté,quelquès uns des bords de ce fleuve
: cela;
sur ceux duTibre. Tout le monde connoît un de ces obé—
lisques, retrouvé sain et entier dans la terre qui l’avoir
recouvert depuis qu’il étoit tombé sans se briser : on sait
que Sixte-Quint le fit relever et dresser dans la place de
Saint—Pierre“; dont il nepfait pas à présent le moindre
ornement. ' ‘
: . . . -
Q1els enornes bânments les Romains ne durent-115 pas
employer? Quelle dépense ne dut pas leur coûter le trans
24 cour n’ozn. crânien.
port d'une masse de cette espèce , depuis la côte (l’Afrique
jusqu’à celle de l’Italie? Quel prince voudroit tenter de
faire ainsi transporter chez lui la superbe colonne de
Pompée, dont feroient sans doute bon marché les maîtres
de ce monument, auquel ils attachent peu d’importance?
Avec notre savoir, nos lumières bien supérieures aux
leurs, notre goût perfectionné , on seroit presque tenté
de s’écrier quelquefois : Combien nous sommes petits,
.mesquins, et pauvres, en comparaison des ouvriers et des
maçons de l’antique Egypte!
Les Grecs , qui avoient puisé les arts chez elle , nés avec
cette sensibilité exquise sans laquelle on ne peut avoir
l’idée du vrai beau, les traitérept comme ils avoient traité
ses fables religieuses, qu’ils avoient auparavant adoptées.
Leur imagination avoit enrichi et brillanté celles—ci , si je
puis me servir de ce mot. S’ils ne les rendirent pas plus
raisonnables, c’est que c’est le peuple qui en a besoin,
qui les gâte en les adoptant, qui force de les respecter
lorsqu’il les a corrompues, et qui invite à multiplier les
incohérences mêmes qui flattent sa grossièreté. L’igno
rance est avide de croire, l’ambition est avide de domi
ner : un pacte la lie bientôt avec ceux qui sont intéressés
à la soutenir, comme elle est intéressée elle-même à les
protéger. Ceux-ci donnent ensuite une forme aux super—
stitions , pour étendre ou pour affermir une domination à
laquelle ils doivent avoir une part qu’ils tendent sans cesse
à grossir. -
Les arts font le charme des personnes éclairées; c'est à
elles seules que les artistes cherchent à plaire. En suivant
cette marche , ils forment àla longue le goût d’une na
tion , comme les mythologues en façonnem les supef5ti
tions. Mais ce n’est pas à moi qu’il appartient de vous
son n’aurons nns scmncns, etc. _ 25
entretenir ici des beaux arts : la sensibilité suffit pour les
admirer; l’artiste seul peut en parler le langage. Je dois
donc me renfermer dans la partie que l’expérience et
l’usage m’ont rendue plus familière. En vous offrant le
peu de lumières qu’ils m’ont procurées , je ne vous pré
sente pas beauco*> , sans doute mais je me donne tout
entier, avec tout ce que je surs.
Il m’est bien doux de payer ce foible tribut à la ville
qui m’a vu naître. C’est ici qu’a commencé et que s’est
développé mon goût pour les lettres; c’est ici que, dans
la bienveillance de l’amitié, j’ai trouvé les secours en livres
et en conseils qui ont aidé à diriger mes premiers efforts.
Lorsqu’après quarante ans d’absence, j’y suis revenu, j’ai
cherché vainement ceux à qui j’avois ces obligations : c’est
avec un regret bien amer et bien senti que je n’en ai re
trouvé aucun; ils n’existent plus que dans mon souvenir;
et ma reconnoissance, dont je saisis cette occasion de leur
faire un hommage public , n’a jamais cessé d’être au fond
de mon cœur. L’idée de m’acquitter, en quelque sorte,
envers eux, en faisant pour mes jeunes concitoyens ce
qu’ils ont fait pour moi, échauffe et redouble ’mon zèle;
et je serai récompensé si je puis mériter de mes élèves
quelques uns des sentiments que m’ont inspirés mes
.
maures. :
suPer' uu.lun '
tion à
; Ce5se
3’65t à
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: Vous
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Wmmmuæmm MMMMMMMMW
tu _
.LEÇONS
PRÉLIMINAIRES.
Vu, flfi‘» -y -
28 maçons rnrîumrxunns.
bien voir, et n'avoir en effet quelquefois ’entrevu. Mon
exemple vous apprendra combien il eÏimportant de
méditer avant de.décider, de craindre l’erreur qui naît
ordinairement de la précipitation , de la corriger aussitôt
qu’elle est reconnue, de ne pas rougir de s’être trompé,
et d’en tirer l’avantage de donner à la réflexion le temps
nécessaire pour éviter de se tromper encore. Ainsi le pro—
fesseur et les élèves se prêteront un secours mutuel, et
tout tournera au profit de notre instruction commune.
Il y a toujours à apprendre, même dans ce que l’on sait
le mieux.
Avant d’entreprendre le Cours que nous allons com
mencer et finir à ce que j’espère , heureusement ensemble ,
je m’arrêterai un instant sur les matières qui en sont
l’objet. Il convient, en entrpnt dans la carrière, d’en con—
noître l’importance et d’en mesurer l’étendue.
Je vous présenterai ici moins des idées neuves que des
idées justes. Les principes du vrai, du bon et du beau
sont dans la nature. Tout ce qu’on peut puiser dans cette
' source féconde, a été déjà cherché, saisi et développé.
Quand on a trouvé le !n'en, dit Quintilien ,'il faut s’en
contenter; on s’expose, en cherchant le mieux, à ne
rencontrer que le pire.
Le précis de ce qui a été dit de mieux sur cette matière
intéressante, raSsemblé et mis sous vos yeux, vaut bien
sans doute des vues nouvelles. Elles ne pourroient l’être
entièrement aujourd’hui, qu’en cOntredisant quelquefois
les leçons constantes de la raison et du goût, établies par
les grands maîtres, reçues par tous les bons esprits, et
consacrées par l’expérience et les siècles. La vérité est
I,' une comme la nature.
Les belles lettres et les sciences se prêtent des secours
‘ LEçONS rnr’tttMmunËS. 29
mutuels. Les dernières, fruits sublimes des méditations
du génie, ont étendu les bprnes de l’entendementhumaip ,
multiplié ses connoissances, développé devant lui les
mystères auparavant impénétrables de la nature, perfec
tionné la morale qui rend l’homme bon, et les arts qui
contribuent, soit à faciliter ses travaux, soit à adoucir et
à lui faire oublier même quelquefois les misères de laide.
Elles l’ont agrandi réellement en perfectionnant les in
struments à l’aide desquels notre vue parcourt l’immen
site des cieux, y compte une multitude de corps célestes
auxquels elle ne pouvpit atteindre auparavant; elles nous
gent mis en état d’en suivre la marche, d’en calculer les
mouvements, d’en reconnoître la périodicité, si je puis
employer cette expression, et de prédire à la minute le
retour de leurs divers aspects et des phénomènes qu’ils
présentent. C’est avec leur secours que l'homme fixé pour
jamais sur le continent qui l’a vu naître, peut en sortir,
franchir les mers immenses qui séparent les unes des
autres les différentes contrées de la terre et leurs habi
tans, établir une communication sûre entre eux à travers
l’0céan même qui sembloit leur opposer une barrière in
surmontable. . ._
Les belles lettres prêtent leur charme aux sciences dont
l‘étude deviendroit plus pénible si, par le choix et la
_ netteté des expressions et des images qu’elles leur four
nissent, elles n’en éclaircissoient pas les principes souvent
secs et rebutans.
.. D’un autre côté, sans les sciences, les lettres qui polis
sent l’esprit, le laisseroient dans une sorte’d’enfauce.
Cette enfance seroit aimable , à la vérité; mais elle ne pro
duiroit que des fleurs. C’est l’esprit pholosophique qui
fait naître et mûrir les,fruits que ces fleurs proinettent
q. .
‘,W
_,\ .«a
30 LEçONS PRÉLIMINAIRES. *
et qu’elles ne donnent pas toujours. C’est lui qui sans
faire perdre ses graces et sa frpîcheur à l’addlœcence, y
joint cette maturité qui en reçoit un nouvem prix et
augmente le sien.
Ce seroit donc insulter les belles lettres et la philo—
sophie que de prétendre qu’elles peuvent réciproquement
se nuire et s’exclme. La littérature doit sans doute 5’00.—
cuper essentiellement de l’harmonie et du goût; mais
l’harmonie et le goût ne dispensent pas de penser. Point
d’éloquence, point de poésie sans idées; les plus belles
images ne méritent ce nom , qu’autæ1t qu’elles rendent des
choses et qu’elles les rendent bien. La première loi du
style est d’être à l’unisson de son sujet. Des choses tri
viales , quelque q>loris qu’on leur donne, n’en restent pas
moins triviales. La peine qu’on 3 prise de couvrir leur
nullité, fait sentir une recherche puérile; et le goût pré
férera toujours une prose naturelle et pensée à une poésie
qui ne présenteroit que de l’harmonie.‘
Il faut être phil050phe autant que homme de lettres
pour réussir. C’est ce que furent les hommes les plus ce’
lèbres, les plus grands génies de la Grèce. Empédocle,
Epicharme, Parménide, Archelm‘is , furent poètes et phi
losophes autant qu’ils pouvoient l’être dans un temps où
la philosophie émit à son berceau , où l’on._ne sentoit pa’s
l’importance et la nécessité d’observer; où trop de viva—
cité dans les esprits les privait de ce calme si nécessaire
à l’observation, et Sans lequel on ne sauroit en faire de
bonnes; où l’on cherchoit à expliquer tout par des sys
tèmes; et ou l’imagination croyant éclaircir ce qu’on ne
connoissoit pas, ne faisant qu’épaissir et multiplier les
ténèbres, opposa des obstacles long—temps insurmom
.e
_ maçons rnéunruunns. 31
tables à ceux qui essayèrent de les dissiper, et retarda le
succès de leurs efforts.
Socrate cultiva également la philosophie, l'éloquence
et la poésie. Xénophon , son disciple, fut à la fois orateur,
historien, homme d'état, homme de guerre et homme
du monde. Platon rappelle par son nom seul toute l’élé
vation des sciences et tous les charmes des lettres. Aristote
fut un génie universel qui porta la lumière dans toutes
les branches de la littérature et des sciences.
Les belles lettres embrassent en général toutes les con
noissances. On distingue par le nom de gens de lettres
ceux qui cultivent l’érudition agréable et variée, de ceux
qui s’attachent aux sciences abstraites , à celles d’uneutilité
plus sensible, et auxquels le nom de savants convient
mieux. Mais il est constant que ces dernières ne peuvent
être acquises à un degré éminent, sans l’habitude des
premières. Il en résulte que les sciences proprement dites
et la littérature ont entre elles l’enchaînement , la liaison
et les rapports les plus étroits. Elles ont réciproquement
[r65 besoin les unes des autres; elles ont toujours marché,
CC'
elles marchent, elles doivent marcher ensemble; l’expé—
Cle, rience de tous les temps et l’histoire en fournissent la
phi* preuve. ‘
s 0‘1 Dans la Grèce, l’étude des lettres embellit celle des
; pas
sciences, qui en reçurent un charme pour lequel elles
yiV3‘ donnèrent en retour un nouvel éclat à celles—là. C’est à
gaire cet assemblage heureux que l’Attique dut son plus beau
e de lustre, et qu’elle joignit la plus brillante réputation .au
sy5‘ mérite le plus solide. Les unes et les autres y marchèrènt
m “9 toujoùrs d’un pas égal; les Muses présidoient en même
:r 13" temps à l’éloquence, à la poésie, à l’histoire, comme à la
mofl‘
32 Leçons rnénmnuxass.
dialectique, à la géométrie , et à l’astronomie. Elles étoient
sœurs, inséparables, et ne formoient ensemble qu’un seul
chœur. Homère et Hésiode les invoquèrent toutes; Pytha—
gore ne les sépara point, lorsqu’en reconnoissance de la
découverte de son théorème du carré de l’hypoténuse ,
il leur sacrifia une hécatombe philosophique La re
connoissance et le sacrifice s’adressèrent à toutes à la fois.
A Rame, sous Auguste, les sciences et les lettres allè—
rent aussi de front; et cette ville célèbre, devenue maî
tresse d’Athènes, fière des lumières qu’elle devoit à celle
que ses armes avoient subjuguée, se glorifia peut-être
encore de rivpliser avec elle, sinon tout à fait en savoir,
au moins en génie et en goût.
Elles suivirent une marche semblable en Italie, dans le
temps des Médicis. Ces mêmes Grecs destinés à être les ins
tituteurs du Monde, avoient conservé, au milieu des trou
bles et des horreurs de la tyrannie et de l’anarchie les an
ciens monuments du génie de leurs pères_, ces modèles de
tous les siècles qu’ils avaient long—temps négligés, pour ne
s’occuper ordinairement que de subtilités souvent futiles
qui ne font que resserrer les bornes de l’esprit , avec la
prétention de les étendre, et quelquefois de questions inac—
cessibles à l‘intelligence , condamnée à se taire sur toutes les
matières qui, en commandant le respect et la soumission ,
défendent les recherches. Chassés de Constantinople par
les Turcs, ils vinrent, non pas apporter ces modèles en
Italie où ils avoient déjà pénétré, mais les y faire mieux
t
(l) Observons, en passant, qu’un sacrifice de cent bœpl’s est
beaucoup pour la fortune d'un particulier et d’un philosophe. Les
écrivains grecs exagèrent sans doute; mais cette exagération même
montre l‘importance qu’ils mtnclnoient aux découvertes.
\
’-_'—. ‘-.nn
maçons rnÉummunus. 33
connoître, et y préparer par le goût du savoir qu'ils ré—
pandirent, les découvertes que firent ensuite Galilée,
Torricelli, etc., et qui ont porté rapidement les sciences
à une supériorité que l’Antiquité n’avoit jamais-connue,
m peut—être soupçonnée. . :
Les premiers fruits de la culture de l’esprit en France
étoient venus d’ltalie à la suite de deux reines sorties de la
maison des Médicis , de cette famille moins célèbre encore
par sa fortune et ses dignités, que par la protection qu’elle
ace rda aux lettres. Mais ils ne s’y propagèient que lente
me ; faits pour naître d’eux-mêmes et mûrir rapidement
au sein de la liberté, loin de son influence bienfaisante,
ils avoient besoin de protection ; etils attendaient celle
s le qu’ils obtinrent ensuite de Louis XIV , sous le nom duquel
on désigne le'dernier et le plus brillant âge du savoir.
r0‘1' Siècle heureux de Louis , siècle que la nature
', “‘1‘ De ses plus beaux présents doit combler sans'me'sure!
es de C’est toi qui dans la France amènes les beaux arts.
uî “° Sur toi tout l’avenir va porter ses regards.
utiles Les Muses à jamais y fixent leur empire :
vec la La toile est animée_et le marbre respire 1
sin3c' Quels sages, rassemblés dans ces augustes lieux,
Mesurent l’univers et lisent dans les cieux?
tes les
Et,daus la nuit obscure apportant la lumière ,
.ssi0n, Sondent les profondeurs de la qature entière?
de P“ L’erreur pr;gésomptucuse à leur aspect s’enfuit,
èles 6“ Et vers la vérité le doute les conduit. .
mieuï Et toi, fille du ciel, toi, puissante Harmonie,
_ Art charmant qui polis la Grèce et l’ltalie !
J‘entends de tous côtés ton langage enchanteur,
nuls 6’ Et tes sons souverains de l’oreille et du cœur.
Français, vous savez vaincre et chanter vos conquêtes:
Il n’est point tic-lauriers qui ne couvrent vos têtes.
I 3
34 maçons PRÊLIMINAIBES.
L’intelligence des langues savantes concourut à la
perfection de la nôtre. L’éloquence de la chaire et du
barreau, les seules tribunes ouvertes au génie par les
institutions de l’Europe moderne, la poésie dans toussés
genres, ignorées, pour ainsi dire, ou bornées à des essais
informes, prirent tout à coup naissance et se dévelop
pèrent avec éclat. L’histoire, dont avoient tenu lieu des
légendes et des relations sèches et monotones, lue dans
' ses sources ou dans des traductions élégantes, prit un
essor. Les richesses de l’antiquité, enveloppées de v 'les
épais qui nous les déroboient, se découvrirent à nos Æux.
La critique, portant partout son flambeau, éclaira le ju
gement; la philosophie réforma les idées; la physique
s’ouvrit de nouvelles routes; les mathématiques s’éle
vèrent à la perfection , et lessciences et les lettres s’enri—
chirent par l’intimité de leur commerce.
Ces exemples se retrouvent partout où les lumières ont
pénétré. Les sciences n’ont brillé nulle part à moins que
les lettres n’y fussent cultivées. Sans celles-ci , aucune na
tion ne poùrroit faire des progrès dans celles-là. Pour
profiter des lumières des autres ,9 s’entretenir avec les
écrivains de tous les pays et de tous les temps, il faut être
homme de lettres soLmême, o'u recourir à des hommes
de lettres qui puissent nous servir d‘interprètes. Sans ce
secours, le voile qui couvre les sciences reste étendu; il
faut une main en état de le soulever et de les montrer à 1
nos yeux.
Tous les sens qui forment l'homme de goût doivent
se trouver dans le philosophe; et ce sont les lettres qui
les développent. Lorsque l'exercice de ces sens a été exclu
sivement et trop concentré sur un seul objet, il semble
qu’ils deviennent incapables de s’exercer sur d’autres.
._.____ä . A‘ m . » u \
‘À . 4MmeN“._W,WV ;
“à l . . _, ,_
, _.. -..-———-—‘..m..— .-.r*: . ‘7‘"‘ “L:‘.__""-.=”:""* .-?<
LEçONS ima’ntmmunns. _ 35
Ce fut le sort de Mallebranche, dont le nom se trouve
associé à ceux des détracteurs de la plus brillante partie
de la littérature. Il ne pouvoit lire une page de la meil
leure poésie; et cependant son style offre les premires
qualités'du poète; car il n’y a point de poesie sans ima
gination , sans sentiment, et sans harmonie. Mais unique
ment occupé des objets qui tiennent à la raison ou au
raisonnement, il n’avoit d’imagination que pour enfanter
des hypothèses philosophiques; et lé sentiment en lui
ne servoit qu’à les lui faire adopter et soutenir avec cha
leur. Prosateur hàrmonieux, il émit insensible à l’har
monie poétique; la sensibilité de son oreille se bornoit à
sentir la mélodie de la prose; et la nature sembloitlui avoir
donné le talent de répandre, sans s'en douter, ce clitme
dans son style, comme elle avoit doué son imagination
de celui de produire des systèmes métaphysiques.
Aimons les lettres: c’est un goût nécessaire, pér50nne
n’ose avouer qu’il ne l’a pas. Tout le monde prétend s’y
connoître, tout le monde veut en raisonner; mais il n’ap
partient qu’à ceux qui les aiment en effet, et qui les cul
tivent, d’en raisonner dignement. Elles élèvent l’aune,
elles étendent les idées, elles ornent l’imagination, elles
mettent'le dernier sceau à la olitesse de l’esprit, elles
adoucissent les mœurs, elles s éveloppent la sensibilité_
au fond des coeurs, et les préparent pour la vertu; elles
y détruisent le germe du mal qui est inséparable de l’i—
gnorance; elles l'empêchent d’y entrer, s’il n’y est pas
encore, et nous préservent des deux plus grands écueils.de
l‘humanité dans cette espèce de jeu qu’on appelle la vie
humaine , ou souvent, comme le dit madame Deshoulières ,
On commence par être dupe,
On finit par être fripon. .
36 maçons PRÉLIMINAIRES.
0cz‘ositc’, sans sciences et sans lettres , dit énergique
ment Baoul de Presle, dans son vieux langage qui étoit
celui du xv° siècle , est sépulture d'homme vifI
L€pape Julÿ n , célèbre par ses démêlés avec Louis m ,
par la part qu il prit aux troubles de l’Europe ; par ceux
qu’il occasionna lui-même par sa conduite publique et
privée, l'une et l'autre bien contraires à celle qui conve
noit au chef de l'Église; par ses campagnes militaires;
par le siégé de la Mirandole qu’il lit en personne , et où
on le vit couvert de la cuirasse, et portant un casque à
la place de la tian; par son goût enfin pour la chasse, la
table, le vin, les femmes et le jeu , n’en sentoit pas moins
le prix des sciences et des arts. On a retenu de lui cette
pensOe dont l’expression, un peu triviale , ne laisse pas
pourtant d’avoir un grand sens : Les lettres, disoit-il,
sont de l’argent pour les rotun'ers , de l’or pour les
nobles, et des diamants pour lès princes.
Jusqu’ici j’ai considéré les lettrés et la littérature en
général. Sous ce point de vue, elles comprennent aussi
l’érudition , qui cependant en est distinguée, en quelque
sorte, par l'usage et surtout par l’abus qu’on en a fait.
Les belles lettres, telles qu’on les.bonçoit ordinaire
ment et qu’on doit les cqncevoir, sont la connoi!sancc
de l’art de penser, de parler et d’écrire en prose et en
vers, celle des écrivains, de leurs ouvrages, de ce que
contiennent ceux-ci , de l’exercice enfin et de l‘emploi
du jugement et du goût dans la manière de les apprécier.
Cette définition, trop resserée peut-être, a été inventée
et adoptée dans les écoles où l’on se bornait à l’enseigne
ment de ces ai'ts , où l’on s’oœüP0it moins des objets des
belles lettres que des différentes formes sous lesquelles
ils se présentoient. C’est de là qu’est venue la distinction
.O
maçons rnér.rmrnunxs. 3 \1
entre l’homme érudit et l’homme de lettres, qui ont été ‘
d’abord confondus.
Les objets particuliers de l’érudition sont l’éclairci5—
semen_t des faits historiques, des lieux, des temps, des
monuments antiques, des événements, la fixation des
époques de ceux-ci, l’explication des écrits, larestitu
tion des passages , les scholies , les gloses, etc.
L’homme de lettres jouit des travaux de l’érudit, c’est
à l’aide de ses secours qu’il s’est procuré l’usage des grands
modèles en éloquence, en poésie, en histoire, en morale,
en politique , en philosophie. Si quelquefois, à la rigueur,
il peut n’être pas érudit lui-même, nos anciens érudits
ont été rarement hommes de lettres. Ce qui caractérise
particulièrement ces derniers , c’est le don de produire
et de créer. Le défaut de ce don précieux a fait confondre
injustement les érudits et les pédants. C’est ce que Vol
taire a peut-être fait lorsqu’il les rencontre sur la route
du Temple du Goût, où l’on n’én connoit en effet a’ucun
qui y soit arrivé.
La , j‘aperçus les Daciers, les Sauinaises,
Gens hérissés de pesantes fadaises ,
Le teint jauni, les yeux rouges et secs,
Le do’s con_rbé sous un tas d’auteurs grecs,
Tout noircis d‘encre et couverts de_poussière.
Je leur criaide loin par la portière :‘
N‘allez-voua pas dans lepTemple du Goût .
Vous décrasser? Nou_s , Messieurs 1 point du tout; n
Ce n’est pas la, grace au ciel , notre étude.
Le goût n’est rien. Nous avons l’habitude ’
De rédiger au long , de point en point,
Ce qu'on pensa ; mais nous ne pensons point.
(1) Ceux dont les travaux nous ont fait gagner du teinps, ont-ils
tout à fait perdule leur 3‘
o
,"_‘—J
..
/
. , ,
maçons PRÉiIMINAIRBS. 39
il faut lire beaucoup , choisir ses lectures, remonter ,
autant qu’il est possible , aux auteurs originaux, aban
donner les écrivains qui n’ont, pour ainsi dire,. qu’ef
fleuré la surface des lettres , et que c’est,dans les sources
de l’antiquité qu’il faut étudier la religion, la politique,
le gouvernement, les lois , les mœurs, les coutumes, les
cérémonies, les jeux, les fêtes, les sacrifices, les spec
tacles de la Grèce et de Rome. C’est dans les récits, c’est
dans les ouvrages qu’elles nous ont transmis, qu’il faut
chercher des lumières. Il est presque nécessaire de se
transporter chez elles, de demeurer avec elles, et de
suivre à la lettre l’avis que donne Plante aux spectateurs
dans son prologue des Ménechmes:
'. OBJETS ’
D‘UN COURS GÉNÉRAL DE BELLES LETTRES, '
0
ET PLAN PARTICULIER DE CELUI-CI.
‘l
a
maçowsrnñnxmmunns. . ' 43
réputation et leurs succès. Ils méritoient une place dans
le temple de ce'Dieu , et Voltaire qui l’a décrit avec tant
d’agrément,s’est bien gardé'de ne pas leur donner celle
qu’ils 'y doiVent occuper. _ ’t
l. ii , I
44 , Leçons rnéuuruunes.
de cellesdes autres; sa nécessité indispensable est si bien
démontrée, qu’un mot de plus ne séroit qu’une amplifi
cation oiseuse. C’est un instrument commun et général;
la grammaire en règle l’emfloi , le génie l’applique à toutes
sortes d’usages :il faut d’abord apprendre à s’en‘ servir.
La grammaire est donc la première partie des belles
lettres. Jusqu’à présent elle a été fort négligée , sans cesser
d’être fort recommandée. L’instruction en a été bornée à
des détails techniques , à des divisions et à des subdivisions
barbares: malgré les réclamations des gens éclairés, pour
changer la méthode de l’enseignement, et les travaux de
quelques savants qui {voient indiqué la véritable, on a
continué d’adapter à la langue françoise les rudiments de
la langue latine, qui n’ont fait que fatiguer dans les in
struire, et que dégoûter pour jamais les enfants.
Vous devez à la révolution politique dans le gouverne
ment une révolution littéraire dans l’enseignement. Une
grammaire raisonnée succède à ces non-sens appellés
grammaires , et la métaphysique des langues, bien conçue,
bien expliquée, apprend à saisir facilement les rapports
qui îe trouvent entre les opérations de l’entendement hu
main et la manière de les exprimer. Après avoir appris à
parler, et comment il faut parler, vient naturellement
l’art de bien dire, de dire ce qu’il faut, et pas plus qu’il ne
faut; ce qui comprend, sans que j’aie besoin de l’ajouter ,
l’art d’écrire, celui du style; car l’art de bien parler ne
diffère pas de l’art de bien écrire : c’est la rhétorique,
l'art oratoire, l’éloquence.
La liaison qu’ont nécessairement entre eux l’art de la
pensée et celui de la parole, amènera naturellement dans
nos leçons l’occasion de dire un mot du premier. Mais
en laissant les recherches, les explications, et les détails ,
.
maçons raéuumunrs. 45
je ne présenterai ici que quelques uns des principes gé
néraux, découverts par Locke et développés par Condillac.
Je n‘Ie bornerai à vous inspirer le desir de les étudier dans
leurs sources, à vous ouvrir le chemin qui peut vous
conduire à cette étude, 1‘; vous préparer à lire avec fruit,
à saisir et à goûter les méditations profondes du méta
physicieu anglais et du métaphysicien français.
Il ne suffit pas de composer un beau discours; sa des
tination n’est point seulement d’être lu dans le cabinet ,
il doit être prononcé dans une assemblée publique; il
faut qu’il le soit d’une manière convenable, pour qu’il
fasse passer dans l’ame des auditeurs les sentiments, les
passions mêmes qui nous animent, notre propre con‘vic
tion. Le débit fait valoir les talents et le jugement de l’o
rateur; il appartient à l’action oratoire; et sang se placer
sur la même ligne, la déclamation‘se lie à l’éloquence.
Des leçons sur cet art _si nécessaire peuvent servir en
même temps à adoucir les accens locaux, à corriger quel
ques prononciations vicieuses, pariiculières à quelques
départements; et il n’en est aucun où elles ne fussent
utiles. 0 r
<
L’éloquence doit tenir le premier rang par son impor
1tance, sa nécessité, et son utilité. Nous lui donnerons
donc, dans ce Cours , la place qu’a occupée de tout temps
dans les écoles le premier des arts de l’imagination, la
poésie que nous mettrons immédiatement après. ’
Le domaine de cette fille chérie du ciel, dont le lan-.
gage est appelé par excellence celui des Dieux, est im
mense et de la richesse la plus variée. Ses compositions
qui embrassent tant de genres différents, seroieht peu de
chose si, comme l’ont prétendu quelques esprits assez
mal organisés p0ur ne pas en.goûter la magie enchan
a
46 ' ’LeçoNs PRÉLIMINAIRES.
teresse , elles n’avoient d’autre mérite que lebrillant. Mais
la philosophie n’est point étrangère à la poésie; la pre
mière a mêlé ses fruits aux fleurs de la seconde; et leur
alliance devenue plus intime de nos jours , le gain qu’elles
y ont fait l’une et l’autre, assurent la perpétuité de leur
umon. '
En étudiant les chefs-d’œuvre des anciens poètes, nous
' ne négligerons pas de nous arrêter un instant sur les
fables mythologiques que )es Grecs empruptèrent des
Egyptiens ; que leur imagination embellit , qu’ils commu
niquèrent ensuite ainsi ornée aux Romains; qui furent,
pendant tant de siècles , la religion presque exclusive du
monde, et qui, après avoir cessé d’être le culte universel,
ont continué d’être en quelque sorte celui de la poésie.
Celle-ci, mur s’assurer son empire, a dû conserver“ les
Graces, la tour detVénus , et surtout sa ceinture.
Il faut avoir au moins quelque connoissance de la mytho
logie, pour l’intelligence des écrivains anciens grecs et
_romains, dont les ouvrages sont remplis d’allusions à
leurs coutumes religieuses, à leut‘s mystères, à leurs
fêtes, etc. , et pour jugfl‘ des arts de l’imagination. La
poésie, la peinture, la sculpture, l’emploient également;
c’est elle qui a'fourni la plupart des sujets des tableaux
qui décorent nos galeries, ornent les plafonds de nos
palais; ceux des sculptures qui embellissent les lieux pu
blics ,sles jardins. L’ami des arts qui se promène au
milieu de ces chefs-d’œuvre , en admirant la main del’ar
tiste dans l’attitude d’un dieu , d’un demi-dieu, ou d’un
héros , jouit doublement s'il peut lui appliquer au premier
coup d’œil le nom qui le désigne, et saisir sans effort le
moment de sa vie dans lequel on l’a représenté. Il voit
dans‘Niobé, dans cette douleur morne, muette et pro
' ' i
l l
Leçons rnénrmmunrs- 47
fonde où elle est plongée, dans cette immobilité qui pré.
cède l’instant où_ elle est changée en rocher , la mère
accablée dela perte des fruits de sa fécondité dont elle
étoit si fière. Le théâtre nous offre sans cesse 0Edip9,’
Hercule, Philoctète, A‘ndromaque, Hector, Iphigénie,
Oreste, la famille entière d’Agamemnon , ses aïeux et ses
descendans, Achillc, etc. La mort de ce dernier a fourni
seule à la scène française le’sujet de cinq tragédies toutes
mauvaises, à la Vérité, et dont la dernière est de Thomas
Corneille. ..
Mais nous nous comenterons de jeter un coup d’œil
philosophique sur l'origine des fables de la mythologie,
leur accroissement, et surtout leur esprit général. Les
poèmes que la suite de ce Cours fera sans cesse passer sous
nos yeux, nous fourniront de fréquentes occasions de
donner les détails et les développements nécessaires. _
' Les Muses sont également filles de la Mémoire et dé
l’lmagination. On sait la place qu’occupent ces deux fa
cultés de l’esprit dans la !cience de l’entendement humain;
je place dotfl avec raison la philosophie dans le domaine
de la littérature, comme l’ont fait les anciens et les mo’
de_rnes qui ont marché sur les traces de leurs maîtres;
mais je réduis le champ vaste qu’elle cultive aux notions
générales de la raison , aux actes de la faculté intelligente ,
aux droits de l’homme, à ses devoirs , à son bonheur qui
ne peut résulter que de l’exercice Ces uns et des autres.
- Sous ce point de vue, la philosophie m’embrasse que la
morale, la logique,la métaphysique en tant qu’elle ne
s’occupe que de l’entendement humain, et qu’elleaban
donne , pour; renoncer à jamais , les notions plus obscures
que profondes des anciennes écoles , dont les divisions et
les subdivisions multipliées à l’infini, repoussant l’ordre
48 x.nçons rarimumunns.
I et la lumière, n’offrent en dernier résultat que ténèbre‘s
' l ' et que confusion. Telles sont leurs rêveries sur l’être et
‘ les êtres, les essences, les modes, les accidens, les sub
stances spirituelles et non spirituelles, l’espace, le temps,
l’éternité que, pour employer leurs expressions, elles
\ considéroient a parte ante et a parte post; cercle im
' mense au centre duquel nous nous trouvons invariable
ment fixés par la nature, qui nous a placés au milieu du
-rayon dont les deux extrémités échappent à notre vue,
et confondent notre intelligence. Vous ne regretterez pas
- - d’ignorer toutes ces questions métaphysiques , combattues
ou {soutenues autrefois avec d’autant plus d’opiniâtreté
qu’il émit moins possible de les résoudre, et qui ayant
occupé exclusivement et si long-temps les esprits, sans
les éclairer, ont plus que toute autre chose contribué à
les égarer. Ce n’est pointlà la saine philosophie , la science
de l’entendement humain; elle demande un professeur
particulier qui vous la développe, en marchant sur les
traces des Bacon , des Locke, et dès Condillac. Cette partie
si importante et si étendue exige le temps, lefluéditations
et les réflexions d’un homme de génie, et le demande
‘ lui-même tout entier.
La.critiqne, qui a sans doute moins de brillant et, par
là, moinsde célébrité, demandé une réunion rare de lu
mières de diverses espèces. En observant, tout à l’heure,
la différence qui se douve entre l’homme de lettres et
_ l’homme érudit, je vous ai montré de loin une partie-de
' . son domaine. J’ajouterai que daps l’érudition historique,
_7 et dans les recherches de l’Antiquité, la critique porte le
flambeau qui dissipe les ténèbres dont les faits et les mo«
numents sont toujours plus enveloppés à mesure qu’ils
s’éloignent de nous. Elle apprend à distinguer les fables,
maçons rnéuxmunns. 49
des vérités que trop Ring-temps on a confondues avec
elles; à juger les témoignages et les récits; à décider du.
guide. qu’il convient de choisir, à se défier de cette mul-l
titude de merveilles rapportées par des historiens cré
dules; à les examiner à l’aide de la physique qui en voue '
plusieurs au mépris et à l’oubli, et fait rentrer les autres
dans le cours ordinaire des phénomènes de la nature.
Mais cette partie appartient proprement à l’histoire,
et me renfermant dans notre domaine particulier , je m’at
tacherai principalement à la critique qui appartient au
goût, sans négliger cependant celle qui tient à l’érudition.
Ce n’est point l’art des aristarqnes anciens et modernes
qui s’acharnent aux lauriers pour les effeuiller; qui , en
remarquant les fautes échappées quelquefois au génie,
ont plus pour but de l’humilier que de chercher la per
fection de l’art. Ce travail, le plus facile de tous , n’a be
soin que de malignité, et n’est que méprisable.
Ceux qui l’exercent ressemblent à ces mauvais peintres
qui , jaloux de Le Sueur, allèrent gratter sur les murs du
cloître des Chartreux de Paris les tableaux dans lesquels
il'avoit représenté la vie de saint Bruno; et nous dirons
avec Voltaire à ces hommes bas et jaloux :
C’est ainsi que trop souvent les critiques ont traité les
I 4
Èo LEçONS raénruxnuans. .
meilleures productions littérairés ; mais leurs satires
meurent , et les bons écrits leur survivent. L’envie, qui
a inspiré celles-là, trouve un nouveau supplice dans l’im
puissance de‘ses efforts et le triomphe du génie. Ce vice ,
le plus odieux de tous , fait quelquefois le tourment d’un
grand homme pendant sa vie; mais il voue au mépris et
à l’indignation de la postérité celui qui a le malheur d’en
être souillé. '
La véritable critique n’est que l’observation et l’emploi
des vrais principes du'goût, fondés également sur la rai
son et les convenances, et qui recueillis dans tous les
siècles, attestés par les’résultats de l’expérience et de la
comparaison des objets , sont avoués par toutes les nations
éclairées. Elle est la compagne. inséparable de l’homme
de lettres , le flambeau qui l’éclaire et assuré ses
succès , la main régulatrice qui pousse on retient à pro
'pos les élans du génie, et qui marque àl’imagination
les limites au delà ou en deçà desquelles elle ne doit
aller ni rester. >
L’histoire enfin , ce tableau vaste et varié des passions
humaines et des diverses révolutions qu’elles ont prô
duites sur. la terre, entre encore dans le domaine des
belles lettres. Le philosophe y remarque cet amas de
contradictions et d’erreurs qui forment le caractère de
l’homme; ce mélange de grandeur et de petitesse, de
courage et de faiblesse, de lumière et d’ignorance, de
sagesse et de folie dont il est capable. Elle nous montre
souvent, d’un côté, le crime presque toujours triom
phant, mais intérieurement rongé de remords et d’in
quiétudes , éblouir les yeux par des succès éphémères ,
finir par tomber dans l’opprobre et dans l’ignominie, et
ne leur échapper que par l’oubli qui s’étend sur son exis
h
_-_— ——<—- _,—- _ A _._
Maçons rnénrmxxsrnss. 5r
,
tence p’assagère, et engloutit à la fin tout, son nom , ses
actions, et sa honte.
De l’autre côté , elle nous montre la vertu souvent per
sécutée, outragée par la calomnie, mais toujours con
tente d’elle-même, reprenant avec le temps son ascen
dant sur les hommes , et durant la suite des siècles , rece
vant l’hommage de l’univers sur les débris des empires
auxquels elle survit, et sur lesquels elle s’assied avec une
majesté imposante.
Cette partie intéressante des belles lettres est une source
d’instruction pour toutes les autres branches des connois
sances humaines, pour celles même qui paroissent lui
être absolument étrangères. C’est aux lettres en général '
que les sciences dOiVent la netteté , la clarté, la précision,
si nécessaires pour l’explication et l’intelligence des véri
tés qui sont l’objet de leurs méditations profondes. C’est
àl‘histoire en particulier qu’elles doivent la connoissance
de leur origine , de leurs premières découvertes, de leurs
progrès, et quelquefois des données d'après lesquelles
elles pourroientpousser plus loin ces derniers. Sans elle‘,
les arts seroient souvent embarrassés dans le choix des
sujets sur lesquels ils s’exercent ; elle leur fournit le grand
etvaste tableau des temps , des lieux , des faits , des mœurs,
et des usages. Elle éveille , elle échauffe l’imagination des
artistes; elle la dirige; elle leur fait connoître les cos
tumes divers si souvent oubliés ou négligés par des hommes
habiles d’ailleurs, mais qui manquoient de l’instruction
dont on ne peut se passer.
La science de la législation y puise des riotions sur les
gouvernements anciens et modernes , leurs avantages,
leurs désavantages , leur prospérité , leur décadence , et les.
causes de l’une et de l’autre. Elle lui indique les lois
52 Leçons rnizmmmunns.
diverses portées en divers temps et en divers lieux; les
circonstances qui les ont fait promulguer , celles qui ont
obligé d’en abroger plusieurs , les besoins des gouvernés,
et trop souvent l’impéritie , l’incurie, et la versatilité des
gouvernants.
La diplomatie doit surtout faireune étude approfondie
de l’histoire. En méditant sur les faits, elle découvre l’es
prit général des temps où ils se sont passés, celui qui
distingue par des nuances plus ou moins prononcées les
peuples contemporains. Elle acquiert la eonnoissance des
hommes , de la manière dont ils ont toujours été con
duits, et de celle dont ils devroient l’être. En suivant la
politique si mobile des cours , qui change au moins de
demi-siècle en demi-siècle, et l’on pourroit Presque dire
d’année en année, parce qu’elle a de tout temps été su—
bordonnée à l’intérêt des souverains , et souvent à celui
du moment, elle apprend à profiter de cette versatilité
’même , à se conduire avec la prudenceqni est tou
jours nécessaire , et avec l’adresse qui l’est quelque
fois, à attendre les circonstances favorables à ses négo
ciations, à préparer celles-là, et à assurer le succès de
celles-ci.
L’histoire, envisagée dans les détails qui lui sont parti
culièrement appropriés , ne sera pas l’objetde nos leçons.
Nous pourrons dire un mot des difficultés qu’plle pré
sente; mais nous nous attacherons principalement à sais ir
dans la manière dont elle a été traitée, celle dont elle de
vroit l’être , le ton , le style et les ornements qui lui con
viennent. Dans le choix des morceaux qui pourront nous
servir de modèle , nous nous arrêterons de préférence à
ceux qui présenteront des faits utiles à l’instruction , et
qui, rappelant à votre mémoire ce que vous aurez déjà
LEçO‘NS PRÉLIMINAIRES. .
l‘."’«
56 nnçoxvs PRÉLIMINAIRES.
que sorte par l’étude, leurs yeux, leurs oreilles, leur
sentiment et leur ame.
C’est à nous accoutumer à leur manière de voir, d’en
tendre et de sentir, que ce Cours est particulièrement
consacré. .
WMMM‘MW
DE L’ART DE LA PAROLE
ET DE L'ART DE LA PENSÉE EN GÉNÉRAL.
"'v-.c— —<'t;
kif-fi.» ;«\ J
Q
58 maçons ruËuumunns.
d’un bras , d’une jambe et d’un œil ,.lorsque introduit dans
le parlement d’Angfeterre par le parti qui voulait, en
1739, faire déclarer la guerre à l’Espagne , il dit à cette
assemblée : Illutile' par nos ennemis , menacé par equ
delamort, je rebommdndai mon ame à Dieu et ma
wengeance à ma patrie? '
'étoit-il pas éloquent, cetArabe, simple capitaine du
premier successeur deMahomtgt, qui, dans une action
où Dérhar , commandant, de son détachement , venait
d’être tué, voyant ses,compagnons incertains et décon
œrtés,, leur cria d’un ton fier et farouche: Qu’importe'
que Dérhar soit mort? Dieu est vivant; il nous re
garde : marchons ?
Est-ce dans une université que ces sauvages du Canada
qu’on voulait obliger à changer de demeure et à porter
leur établissement plus loin avaient puisé cette réponse
sublime aux brigands européens : Nous sommes nés sur
cette terre. Nos pères y sont ensevelis. Dirons: nous
aux ossements de nos pères : levez-vous , et venez
avec nous dans une terre étrangère ? _
. ' .Quel sentiment animait ce chef des Hurons , à qui un
commandant anglais rappeloit quelques injustices que sa
nationavoit éprouvées de la part des Français, pour l’en
gager à leur faire la guerre : Nous nous sommes venge’s.
N65 haches émousse’es reposent à présent sans dix pieds
de terre. Elles ne doivent pas en être tirées ?. 3;_
Ce ne fut pas la rhétorique, mais un sentiment profond
de patriotisme et d’honneur qui fit crier à d’Assas tombé
pendant la nuit, en allant faire une reconnaissance, au
milieu d’un piquet anglais dont les baïonnettes appuyées
contre son sein le menaçaient de la mart , s’il osait rom
pre le silence: .21 moi, Auvergne , les ennemis sont là!
.. ,. ,_
maçons rnéuumunns. ‘59
C’étoit sans doute un misanthrope dur et sévère , mais
éloquent, que ce membre de la chambre des communes
duparlement d’Angleterre qui, après avoir entendu en.
silence la longue discussion d’une loi pour la réforme des
mœurs , s’écria au moment où on alloit recueillir les voix
qui paroissoient toutes en faveur du bill : « Une nation
« dans son enfance est susceptible d’être perfectionnée;
a mais une vieille nation,affoiblie par les maladies m0
n raies et le temps, s’achemine invinciblement vers sa
« ruine. Le seul remède à tenter seroit de la détruire en
’« tiérement, et d’en créer une nouvelle. Cet ouvrage sera
a l’effet lent, mais infaillible, des convulsions de la na
« turc et des révolutions politiques. »
Il seroit aisé de citer quantité de traits semblables : mais
en voilà assez et peut-être trop pour prouver combien on
doit se défier de ces maximes proverbiales érigées en
préceptes par ceux qui veulent enseigner ce qu’ils ne
sävent pas, .et qui, incapables d’atteindre à l’élévatiqp
oratoire , tentent de la rabaisser à leur nivequ.
Le germe de l’éloquence est dans tous les hommes ; il
se développe dans les grands intérêts et dans les grandes
passions; il s’annonce par ces traits hardis et souvent
sublimes dont la première source est dans la nature, qui,
partout et tous les jours , fournit elle»même aiix senti
ments rapides et profonds ces expressions figurées, ces
.,tours animés qu’on appelle tropes, devenus familiers à
toutes les langues. Dans le plus grand nombre comme
dans la nôtre , le cœur brûle; le courage s'enflamme;
Icsyeur étincellent ,- la joie brille ou éclate ,- la haine
se dévoile , se _masque , s’enchaîne , se déchaîne ; l’es
prit s’endort, se réveille, se fatigue , s’affoi’blt’t , s’é.
puise}; le sang s’allume , s’échaufle ou se glace; la tête
.
I
60' maçons raéumrnuans.
se renverse , etc. Ces expressions vives , ces images fortes ,
sont dans la bouche du peuple, comme dans celle des,
gens éclairés. L’éloquence et la poésie en font un égal
emploi, que dirige le goût, et qui est susceptible de règles.
Ce que nous désignons par le mot éloquence , si.on le
bornoità la force de l’expression, ou plutôt à sa signifi
cation véritable , ne seroit autre chose que l’art de bien
parler. Mais on peut bien parler et n’être pas éloquent.
On ne l’est réellement que quand on sait faire passer avec
rapidité, et imprimer avec force dans l’ame des auditeurs
les sentimènts profonds dont on est pénétré. On ne re- ’
mue les affections de l'ame , on ne peint les passions , on
ne les excite, on ne les inspire que quand on les éprouve
soi—même. '
Siw's me flere, dolendum en
’ Prùnum ipsi tibi.
Pour me tirer des pleurs , il faut que vous pleuriez.
’
Despréaux a dit:
Ce que l‘on conçoit bien s'énonce clairement ,
‘Et les mots , pour le dire , arrivent aisément.
Pour s’énoncer ou s’exprimer avec chaleur ,il faut sen—
tir vivement. C'est la le secret de l’éloquence; c'est à cela
qu'en dernière analyse se réduisent toutes ses règles. Les
plus beaux endroits des ouvrages des hommes de génie
ne sont pas ceux qui leur ont le plus coûté. Ils leur ont
été comme inspirés, et semblables à Minerve qui sortit
tout armée du cerveau de Jupiter , ils ont été conçus et
produits , revêtus detoute l‘a parure que nous admirons.
Prétendre que des préceptes froids et didactiques fe
o
LEçONS raéuuraunas. 61
ront un homme éloquent, c’est annoncer positivement
qu’on ne l’est pas , et qu’on-est incapable de le devenir.
Je ne cesserai de vous le répéter, et vous ne sadi’1'ëz
trop vous pénétrer de cette maxime. Pensez fortement,
sentez vivement, et parlez ensuite; vous direz ce que
vous voudrez avec vivacité , avec énergie, avec chaleur.
Mais vous pouvez dire quelquefois trop ou trop peu,
étendre ou resserrer une discussion , donner trop de déve
loppement à‘un objet, n’en pas donner assez à un autre,
en déplacer quelques uns, déranger la suite des moyens
et des preuves, les employer au hasard, et par là, dé
truire leur effet qui dépend du soin avec lequel vous les
aurez rassemblés pour en composer un faisceau destiné à
porter à la fois la lumière et la conviction dans les ames.
L’expression propre, son exactitude, sa convenance ou
sa disconvenance, tout cela peut nuire Ou concourir à
l’effet que vous VOUS proposez de produire.
La manière de bien dire est donc un art qui appelle
nos premières études. Nous en trouvêrons les principes
dans les ouvrages les mieux écrits; leur correction nous
. .
offrira des modeles a‘ sume,
-
leurs taches des exemples a\ l
HISTOIRE ABRÉG‘ÉE ‘
DE LA PENSÉE.
9
Nous avons jeté un coup d’œil rapide sur le grand rôle
que jouent les sens dans les opérations de l’entendement
humain : mais avant d’achever le précis des méditations
de Locke et des recherches des métaphysiciens qui , en
suivant ses traces, ont prouvé ce qu’il a dit de la pensée,
et en ont complété l’histoire, il convient peut-être , dans
les nouvelles écoles , de justifier en peu de mots le philo—
sophe anglais des reproches que lui ont prodigués les
anciennes.
Les docteurs scholastiques s’effarouchant de tout ce
qui ne leur émit pas familier; repoussant, comme des
nouveautés dangereuses, des lumières dont l’éclat les
éblouissant sans les éclairer, réduisoit la science qu’ils '
avoient étudiée et qu’ils professoient à_ un vain et fri
vole jargon digne d’un profond mépris que devoient par
tager ceux qui n‘en savoient pas parler d’autre, s’empres
sèrent de décrier la nouvelle découverte et de la calom
nier. Pour la rendre plus sûrement odieuse aux aines
honnêtes , mais foibles, peu éclairées, incapables d’en
tendre et d’apprécier des questions métaphysiques , ac
coutumées à ne juger.que sur parole et jamais d’après
elles—mêmes , on effraya leur religion ; on dit et l’on ré
péta que par le grand emploi qu’il donnait aux sens dans
la formation de la pensée, le système de Locke conduL
soit au matérialisme. ' ’
La plupart de ceux qui s’étaient emparés de l'ensei
maçons PRÉLIMINAIRM. 77
gnement, n’avoient jamais lu cet écrivain; et presque
tous , ce n’est point exagérer, étoient peut-être hors d’état
de le comprendre. On ne peut leur répondre , ainsi qu’aux
échos qui répètent encore fidèlement leurs paroles ou
leurs vains sons , que par ces réflexions :
Les sens ne font pas l’ame ; ils lui communiquent seu
lement les impressions qu’ils reçoivent; mais elle est là
pour recevoir ces impressions et exercer la faculté de
penser dont elle est exclusivement douée. Cette faculté
intelligente existe. Si elle manquoit, l’action des sens
seroit inutile. Son union avec le corps lui rend leur agence
nécessaire. Elle a été destinée ou , si l’on veut , condam
née à ne s’exercer qu’avec leur secours, tant que cette
unioyubsistera. Ce n’est que lorsqu’elle en sera séparée,
qu’elle reprendra son indépendance première et l’énergie
qui convient à son essence. Locke n’a pu l’envisager que
dans son état actuel. Nous ignorons ce qu’elle étoit aupa
ravant et ce qu’elle sera après. Il n’a pu parler que de ce
qu’elle est à présent.
L’animal est privé de cette faculté intelligente. Il a des
sens et il ne pense pas. Il a , si l’on veut, quelques idées,
quelque mémoire, une sorte de réflexion et de jugement:
on ne peut en douter. ’ \ I
a
Le chien battu pour une faute, sûr de l’être encore
chaque fois qu’il la refait, se ressouvient qu’il ne doit plus
la faire. Il reconnoît son maître en milieu de la plus
grande foule; il ne se méprend point. Une longue ab
sence n’efface pas même de son cerveau l’impressim;
qu’y ont faite les traits de celui qui l’a nourri. ' °‘
Ulysse, à son retour dans Ithaque, est méconnu de
tous ceux qu’il y a laissés en partant. Son chien seul a
conservé son souvenir. L’animal affoihli Par l’âge exa-’
78 maçons raiuumunss.
mine, de l’endroit où il est couché, le mendiant couvert
de haillpns qui se présente à la porte du palais. Son beil
éteint reprend de la vivacité, il agite sa queue, se lève
pesamment , se traîne avec effort auprès de son maître,
le regarde encore, pousse un faible cri , tombe à ses pieds ,
et meurt de saisissement et de joie._ .. 5.
Ce trait, qui est si intéressant dans l’0dyssée, est une '
fable poétique , j’en conviens; mais l’expérience en 8 four—
ni des exemples; Homère n’a fait que saisir celui—ci, le
placer et l’embellir. >
Ce qui n’est pas une fable, c’est que , de deux aliments
qu’on lui présentera , l’animal pressé même parla faim
ne se jette que sur celui qui lui est propre; s’ils le sont
également l’un et l’autre, il donne la préférence ‘gcelui
qui flatte le plus son goût. Le castor bâtissant sa demeure
sous les eaux nous offre , dans ses procédés, un art qui
nous étonne. Il emploie pour opposer une digue au cou.
mm, pour diminuer la force et le poids du fluide qui
pourroit la renverser , presque les mêmes moyens que
nous ont appris une longue expérience et la méditation.
C’est avec autant d‘intérêt que de surprise que nous lisons
l’histoire de l’éléphant et les détails extraordinaires de
son intelligence. Noq_s admirons les abeilles qui se par
tagent entre elj’g_sleç travaux de la ruche, etc. Mais tout
cela est borné; et quoi que l’on en dise, l’admiration
exagère souvent les objets , autant que le mépris les
rapp}etisse. v . .nâgàpn.,ä
. Les facultés de l’animal, resserrées dans un cercle qu’on
ne l'a jamais vu franchir, réduites au pouvoir de lier
quelques sensations et d’imiter, privées de celui de les
combiner et de créer, n’ont rien qui puisse, même de
loin , se comparer à cette intelligence supérieure qui,
LBçONS rn'Éumrnunss. 79
dans l’homme, s’appelle ame; elles ne sont en lui que
l’effet simple du sentiment; et l’on a donné le nom d’in—
stinct à cet effet. .
Celui-ci ne lui apprend qu’à faire toujours la même
chose, sans pouvoir la varier. L’hirondelle construit tous
les ans son nid, comme elle l’a construit la première fois,
sans savoir ce qu’elle a fait, et comment elle l'a fait: elle
n’a ni prévoyance, ni but déterminé ; un sentiment aveugle
la porte à se reproduire, à bâtir son nid , etc.
a Toutes ces manœuvres, dit Buffon , dans son Discours
« surla nature des animaux, sont relatives à leur organi
« sation , et dépendantes du sentimentqui ne peut, à quel
« que degré qu’il soit, produire le raisonnement, et en
« core moins donner cette prévision intuitive, cette con-‘
« noissance certaine de l’avenir qu’on leur suppose. On
« peut le prouver par des exemples familiers. Non seule
« ment ces animaux ne savent 'pas ce qui doit arriver,
« mais ils ignorent même ce qui-est arrivé. Une poule ne
« distingue pas ses œufs de ceux d’un autre oiseau; elle
en ne voit point que les petits canards qu’elle vient de faire
« éclore ne lui appartiennent point. Elle couve des œufs
« de craie dont il ne doit rien résulter , avec autant d’at-‘
u tention que ses propres œufs. Elle ne connoît donc ni
« le passé, ni l’avenir,‘Ët se trompe encore sur le pré
« sent. . . . Les nids des oiseaux , les cellules des mouches,
a les provisions des abeilles, des fourmis, des mulets, ne
c supposent donc aucune intelligence dans l’animal,,etl
c n’émanent pas de quelques lois partœulie’rement éta-‘ ,
« blies pour chaque espèce , mais dépendent, comme
a toutes les autres opérations des animaux, du nombre,
« de la figure, du mouvement de l’organisation et du
« sentiment, qui sont les lois de la nature, générales et
80 Leçons rmäumruunns.
« communes à tous les êtres animés. Il n’est pas étonnant
« que l’homme qui se connoît si peu lui-même , qui co’n
« fond si souvgt ses sensations et ses idées, qui distingue
« si peu leproduit de son arpe de celui de son cerveau,
« se compare aux animaux , et n’admette entre eux et lui
« qu’une nuance dépendante d’un peu plus ou d’un peu
a moins de perfection dans les organes. . . . . . Mais que
« l’homme s’examine, s’analyse et s’approfondisse , il re
« connoîtra bientôt la noblesse‘de son être; il sentira
c l’existence de son ame; il cessera de s’avilir, et verra
- d‘un coup (l'œil la distance infinie que l’Être suprême a
« mise entre les bêtes et lui. Dieu seul connoît le passé,
« le présent, et l’avenir. Il est de tous les temps et voit
a dans tous les temps. L’homme, dont la durée est de si
« peu d’instants, ne voit que ces instants; mais une puis—
« sance vive , immortelle , compare ces instants , les dis
« tingue , les ordonne; c’est par elle qu’il connoît le pré
« sent, qu’il juge du passé et qu’il prévoit l’avenir. Otez à
a l’homme cette lumière divine, vous effacez, vous ob
« seurciçsez son être: il ignorent le passé, ne soupçon
- néra pas l’avenir , et ne saura même ce que c’est que le
a présent. n est; 7 niñflP*% _
_Les différences que nous venons d’établir ici, et qui
pourroient être étendues à des rolumes, suffisent pour
démontrer l‘injustice du reproche fait à Locke, et le dé
truisent entièrement; Je vais donc reprendre mes.guifles,
suivre avec eux l’action des sens dans la science de l’en
tendement humain, et achever de prouver que celui-ci
n’existeroit pas si nous étions absolument privés de ceux
là. On connoît l’histoire rapportée par Félibien (i), de
' ’ v
88 maçons rafauuruunas.
ceur lui fait éprouver une nouvelle sensation qui se ré
pète chaque fois que vous lui en présentez, et qui est ac
compagnée naturellement du desir d’en goûter encore.
Le plaisir qu’il a ressénti grave dans sa mémoire la déno
minati0n de bonbon que vous avez donnée à ce qui le
lui a procuré. Il l’appliquera à toutes les sucreries de
quelque espèce qu’elles soient. Bientôt il apprendra à les
distinguer par les différentes sensations que lui feront
éprouver la noisette, l’amande, l’anis, etc. dont elles
sont composées; il connoîtra la praline et les autres sortes
de dragées , les désignera chacune par le nom qui lui est
propre, et ne les confondra pas. Ces petites idées,concen—
trées dans un cercle très étroit, s’étendront insensible
ment jusqu’à sa circonférence; il jugera aussi bien que
vous des différences que présentent à ses yeux, à sa main ,
à son goût, les objets qui ont si vivement affecté ce der
nier. Ces jugements le mettront à portée d’en faire d’au
tres , en les appliquant à plusieurs choses placées hors du
cercle de ses premières idées, dont la quantité augmen
tera sans cesse avec une progression lente, mais sûre,
sggs qu’il s’aperçoive même de la manière dont il aura
acquis ses nouvelles connoissances. Il raisonnera en igno
rant ce que c’est que raisonner; il aura de l’attention ,
de la réflexion , sans avoir encore l’intelligence de ce que
sont ces facultés. .
Telle est la marche de la nature, à la naissance, au
développement, à la perfection de ce que l’on appelle
esprtt, razson. '
En rentrant en nous-mêmes, en considérant, en ana
lysant nos différentes sensations , les applications succes
sives que nous en avons faites à divers objets , nous dé—
.. ..—1,
snço.vs rnx’zr.tnxxuans. 89
couvrirons facilement que nos idées intellectuelles ou!
métaphysiques sont sorties de la même source.
C’est en conséquence de la manière dont les hbmmes
ont été physiquement affectés par les choses qui ont frappé
leurs sens , qu’ils ont attaché à quelques unes les idées
de beau , de bon, de Lieu, et de mal.
Le premier qui voulut construire une habitatjon trouva
dans les arbres qui lui en fournir-eut les matériaux , des
différences que l’usage qu’il vouloit, et qu’il put ou ne put
en faire, lui apprit à mieux distinguer. Il donna le nom
de beaux à ceux qu’il trouva les plus appropriés aux ser
vices qu’il desiroit en tirer; et il applique la même déno
mination abstraite, ou, si vous voulez, la même qualifi
cation à chaque chose, selon sa convenance ou sa dis—
convenance à ses besoins.
Un fruit flatta agréablement, un autre désagréablement
son goût; une épine le blessa; une plante que le hasard
lui fit employer le guérit. Il se vit enlever sa nourriture
au moment où pressé par la faim, il alloit la dévorer. Un
de ses semblables s’empressa généreusement de partager
la sienne avec lui. Volé , maltraité , blessé, mis en sang
par l’un, il fut humainement dédommagé, consolé, soi
gné par l’autre. Toutes ces, alternatives éveillèrent en lui
des sentiments profonds qui ne purent et ne durent pas
ser que par le corps pour arriver à l’intelligence. Tel fut
le gernie de ses idées du bien et du mal.
Ce germe se développa bientôt. Les abstractions s’éten—
dirent et changèrent de formes et de caractères; D’idées
accessoires , elles devinrent idées principales, et don—
nèrent naissance à celles qui sont purement morales. La
phyanue en fut la source trop mcconnue\de ceux qui
90 Leçons rnräummunns.
dissertent sur les vertus, sur les crimes et sur les vices,
quisontou unenuance de ces derniers, ou qui y conduisent.
PenSer, se ressouvenir, réfléchir, comparer, juger, ne
sont donc que différentes manières de sentir. C’est là le
premier principé de la logique, la clef, pour ainsi dire,
de l’entendement humain que nqus devons à Locke, et
dont Condillac s'est servi avec tant de succès pour nous
ouvrir la porte de cette science, nous en montrer toutes
les richesses et les mettre à notre portée.
Si le premier nous a appris que toutes nos idées nous
viennent par les sens, le second nous a fait connoître la
marche qu’elles suivent depuis la perception jusqu’au
raisonnement. Il nous a fait voir comment nous les com
parion's, comment nous portions des jugements, com
ment la mémoire les conservoit, comment la réflexion
les méditoit, comment l’imagination en formoit des com
binaisons nouvelles, et enfin comment nous raisonnions.
-,«',‘r,« Le germe de l’art de penser, dit Condillac, dont je
a ne fais ici que suivre les pas, est dans nos sensations;
« les besoins lefontéclore; “le développement en est ra
a pide, et la peçsée est formée au moment qu’elle com
« menee‘; car sentirdes- besoins , c’est avoir des desirs; et
« dès qu’on a des desirs , on est doué d’attention et de
« mémoire, on' compare , on juge, on raisonne. » v,;,3 =
La pensée se compose donc de toutes les .choses dont
je viens de vous indiquer l’origine , la. marche.et les
pr0grès. C’est proprement l’analyse employée par le.mém
physicien profond qui me sert de guide. C’est elle qui lui
a montréque les facultés de l’ame se géduisent à- la per
ception, l’attention, la comparaison ,' le jugement, la
mémoire, la réflexion, l’imagination, et le raisonnement.
LEçONS PRÉLI’MINAIRES. 9!
94 LEçONS PRÉL!MINAIRES.
ses mains, l’a si bien servi, et qui, porté dans toutes les
sciences, peut seul rendre raison de leurs progrès, et
conduire ou préparer à. ceux qu’elles feront encore.
Résumons ici avec lui par cette méthode, l’histoire de
la science; ce sera résumer en même temps les objets
essentiels de cette leçon et de la précédente.
Locke est le premier qui, en méditant sur la nature de
' l’entendement humain , a reconnu qu'il doit tout aux sens
et à l’important emploi que ces derniers ont dans toutesles_
opérations de l‘ame. Condillac a saisi cette découverte ,
l’a développée, l’a étendue, l’a démontrée, en analysant
ces opérations mêmes, qu’il a prises à leur origine, et
suivies dans leurs gradations, dans toutes leurs parties et
dans leur complément.
C’est ainsi que procède dans son travail le métaphy
sicien français, digne de marcher de front avec le méta
physicien anglais.
Sentir, cette première et essentielle faculté de l’ame ,
renferme toutes les autres, qui ne sontelle&mêmes que des
sentiments à leur tour. .
Lorsqu’un objet quelconque frappe nos yeux ou nos
oreilles, affecte notre goût ou notre odorat , etc. l’esprit
le sent aussitôt. Son attention est réveillée; etla faculté à
laquelle nous donnons ce nom , la première qui résulte
de celle de sentir , nlest autre chose que la sensation pro
duite sur nous par cet objet.
- Quand elle est réveillée par un second , nous éprouvons
alors deux sensations : nous les comparons; et cette der
nière_opération est une double attention qui, comme nous
venons de l’observer, est l’effet de deux sensations dis
tinctes.
Les choses qui les ont excitées se ressemblent, ou dif
:
,_ .» .....— < < -.. .‘,".‘I _‘—‘ ,___4_ .——w-—"
maçons PRÉLIMINAIRES. 95
fèrent entre elles. On ne peut faire cette observation sans
comparer; et reconnoître ou énoncer cette ressemblance
ou cette différence , sans juger. L’attention et la compa
raison étant l’effet des sensations, le jugement qui en est
le résultat, n'a pas une autre origine.
Le premier jugement nous a fait connoître un rapport;
pour en découvrir encore un ou plusieurs autres, il faut
un secondjugement. Deux arbres sont sous nos yeux; pour
voir en quoi ils sont dissemblables, on examine succes
sivement leur forme, leur tige , leurs branches, leurs
feuilles ou leurs fruits. C’est en les comparant les uns avec
les autres qu’on prononcera.
La réflexion , s’occupant égalementdesimpressions que
l’a me reçoit et de celles qu’elle a reçues, n’est qu’une série
de comparaisons et de jugements que la mémoire a con
servés pour les lui rappeler au besoin; et ceux-ci n’étant
en dernier résultat que des sensations, la réflexion et_la
mémoire ne peuvent offrir rien de plus. 1
Nous ne verrons pas autre chose non plus dans la plus
brillante des facultés de l’ame, l’imagination : elle n’agit
que d’après la réflexion, et par elle. Lorsque celle-ci a
remarqué les ressemblances ou les dissemblances qui se
trouvent entre divers objets , elle peut réunir dans un seul
les diverses qualités qu’elle a découvertes séparément dans
plusieurs , en composer un nouvel objet, qui n’existe pas
positivement dans la nature , quoique tout ce qui le con
stitue s’y trouve,‘mais divisé. Dans cette Opération elle
change de nom pour prendre celui d’imagination : cette
dernière a tout fait quand elle a formé sa création de ma—
nière à la faire croire possible, à lui donner toutes les
apparences de vérité qui peuvent faire illusion.
Toutes ces facultés, renfermées dans celle de sentir,
96 maçons rnéummuans.
forment, par leur réunion, le système entier de l’enten«
dement humain , qui comprend , comme nous l’avons
vu, la perception, l’attention, la comparaison, le juge
ment, la mémoire, la réflexion, l’imagination, et le rai
sonnement. Telle est l’analyse qu’en donne Condillac; et
il a raison de la terminer en assurant qu’on ne peut s’en
faire une idée plus exacte. .
La décomposition et la recomposition , qui font l’objet
de l’analyse, font reconnoître infailliblement la liaison
que doivent avoir entre elles les idées, la place qu'elles
doivent occuper dans le discours, pour donner au rai
sonnement’toute l’etaétitude, la force, la clarté, le mou
vement, la grâce même, qui assurent l’effet qu’on en at—
tend pour remuer, toucher, éclairer, convaincre les
aimes, et y laisser un souvenir durable. C’est le grand
principe de l’art d'écrire qui va d’abord fixer notre atten-«
tiqn. ’
Cet art appartient aux belles lettres; aucune partie ne
peut s’en passer; chacune le réclame : l’orateur, le poële,
l’historien, le romancier, le critique, le littérateur, en
un mot, quel que soit le genre d’étude ou de travail au
quel il se livre , doivent écrire avec pureté, avec élégance,
animer leurs pensées de la chaleur du sentiment, de la
vérité des images , du charme des fig11res,,du choix et de
l‘heureuse tournure des expressions, avoir enfin le style
et le ton de leurs sujets“.
Ce que nous allons en dire conviendra donc à.toutes
les parties des. belles lettres, à toutes les divisions de ce
Cours. Les exemples , puisés indifféremment partout,
tantôt dans un genre, tantôt dans un autre, fourniront
des leçons à tous; et ce sera autant de temps gagné et de
travail fait d’avance sur chacun.
Wmmmm
INTRODUCTION
A L’ART D’ÉCRIRE.
Poux bien écrire, il faut bien lier ses idées; les mots
qui les expriment doivent avoir, dans la bouche et sur
le papier, l’ordre et la liaison qu’elles ont dans l’esprit.
Le d 'veloppement de ce principe offrira toutes les règles
de l’art de bien dire et de bien écrire. '
Avant d’entrer dans les détails, il n’est peut-être pas
imitile de nous arrêter ici, pour observer que son ap— .
plication ne se borne pas à la languefrançaise, et que sa
fécondité s’étend à toutes, quelles que soient leurs con
structions particulières, leurs inversions, leurs tours, etc.
La liaison des idées tient à la liaison grammaticale des
mots : celle-ci varie avec la langue dont on se sert, et qui
a son génie particulier, ses figures, les tournures qui lui
sont propres. Pour conserver cette double liaisonpn tra
duisant, il faut nécessairement suivre l'ordre prescrit,
non par l’idiome que l’on traduit, mais par celui dans
lequel on traduit : l’pnget_ l’autre , malgré leurs diffé
rences, présentent le mêmie enèhaînement ; les inversions
les plus tranchantes en apparence ne le rompent pas. Sou'
vent ces mêmes inversions, qui blessent notre oreille et
notre esprit, parce qu’ils n’y sont point accoutumés, ont
commencé par suivre la marche des idées. L'étranger qui
dit : une rose belle , vit d’abord cette fleur; il la compara
ensuite avec d’autres auxquelles il la trouva supérieure,
n 7
.- ..,-__ _..
q8 - maçons PRÉLIMINAIRBS.
et il s’écria ; rose belle! L’objet le frappa le premier; la
qualité ne vint qu’après. L’usage consacra d’abord cette
tournure. ' _
Il paroît que partout on a commencé de cette manière,
qui est la plus simple et la plus naturelle. Nos vieux fa
blinux, nos vieux troubadours ont conservé cet ordre
dans leurs vers et dans leurs romans : nous l’avons inter
verti à la longue, lorsque la langue, adoucie et perfec
tionnée, a substitué de nouveaux usages aux anciens, et
nous avons dit urie belle rose. Notre esprit a si bien pris
l’habitude de lier l’objet avec l’attribut, qu’il est indiffé
rent pour la clarté de nommer l’un avant ou après l’qutre;
et nous avons fini par trouver plus de douceur et plus de
grace dans la nouvellé tournure que dans la primitive.
Si l’on examin'oitde près les tournures des différentes
langues, nous verrigns qu’elles n’ont fait que conserver,
dans les expressions, le premier ordre des idées, et que
les inversions les plus étrangères aux nôtres n’ont de la
confusion que pour nous seuls, et ajoutent à l’élégance,
sans nuire à l’ordre pour ceux qui les parlent.
Prenons un exemple; cherchons—le dans la langue au
, cienne la plus généralement familière : le début de l’Ene’ide
nous le fournira.
Arma , virumque cane , Trojæ qui primus (lb cris. ,
Ilalz‘amfato profugus , Lam'naqut venit
Lifl0ra.
LEçONS rn1âmmrNua-ns. 99
La liaison des idées, qui exige en français non seule
ment ce renversement, mais encore l’emploi d’un plus
grand nombre de mots, n’est pas moins bien observée
dans les expressions latines , qui, si elles étoient rendues
en notre langue dans le même ordre que Virgile a leur
donner en parlant la sienne, ne nous offriroient que dé
sordre et que confusion.
Essayons de voir si les idées et les mots ne sont pas
exactement et rigoureusement liés en latin. 1. .
Les combats sont le principal objet du poêle : voilà sa ’
première idée; il la place avant tout; il y joint le héros ’
qui s’est signalé dans ces combats : que] est ce héros? c’est
le chef des Troyens; d’où vieut;il? des rivages de Troie;
oirva-t-il? en Italie; pourquoi? parce que les Destins
l’obligent de fuir; dans quelendroit de l’Italie ces mêmes
Destins l’envoient-ils? dans celui qu’habite Lavinie. Elle
ne règne pas , à la vérité, dans ce pays; mais son père en
est roi ; elle doit épouser Enée et lui porter en dot son ' ,
héritage. " _ '
Ce qui fait que, dans la langue latine, il n’y a ni confu»
sien , ni embarras , ni défaut de liaison , quels que soient o
l’arrangement, le mélange des mots, c'est que tous ont
leurs rapports indiqués expressément par leurs terminai
sons ,'qui varient selon ces mêmes rapports. Elles font
reconnaître et porter mule-champ le subordonné à son
principal. Ce livre m’appartient, par exemple; j’ai lie—
soin de ce livre, je m’attache à ce livre, j’achète ce
livre, etc. Ce mot- livre est d’abord objet principal, et
ensuite subordonné. La langue française veut que je le
mette à la place que je lui ai dobn’ée dans tous ces cas.
‘La latine me permet de le transporter avant ou après les
noms, les verbes ou les autres mots auxquels il se rapv
Il
. COURS
'DE BELLES LETTRES.
PREMIÈRE DIVISION.
‘
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EL0QUENCE
ART ORATOIRE ou RHÉTORIQUE.
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COURS
DE BELLES LETTRES
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OU
. f EHETO'RIQUE. \
INTRODUCTION ET DIVISION.
K ‘1‘“,
:08 COURS DE BELLES LETTRES. ’
Cicéron , après avoir suivi ou du moins égalé les ora
teurs grecs à la tribune , traça dans le cabinet les règles
dont il avoit fait un si bel usage. Il ne s’écarta pas de celles
établies par Aristote; mais il les revêtit de tous les charmes
de l‘éloquence. V
Quintilien suivit leurs traces , et traita ensuite du même
art. C’est d’après ces maîtres qu’ont été faits tous les ou
vrages destinés à son enseignement, et que l’on appelle
Rhétoriques.
Dans‘tom on distingue, d’après Platon , Aristote, Ci
céron , et Quintilien, trois genres de discours oratoires :
le délibératif, leä démonstratif, et le judiciaire. Dans le
premier, adressé à une assemblée délibérante, on s’atta
choit à la déterminer à prendre un parti sur la paix , sur
'la guerre, sur l’administration intérieure ou extérieure
de la république, sur une alliance à faire, une autre à
' éviter, une troisième à rompre ,’etc. Dans le démpnstra
tif, il s’agissoit de faire voir ce qui étoit digne de louange
ou de blâme; et dans le judiciaire, de discuter ou de ré
soudre les questions qui se portaient devant les tribu
naux. ., .
Cette division , malgré les noms des grands hommes qui
l’ont imaginée, et le respect docile avec lequel les écoles
l’ont généralement adoptée, il faut trancher le mot, est
absolument mauvaise; car ces trois genres ne sont pas tel
lement séparés, qu'ils ne rentrent très souvent les uns dans
les autres. Les questions judiciaires, par exemple, soit
que l’on accuse, soit que l’on défende, appartiennent fré
quemment aux deux premiers genres. Un crime a-t-il été
commis? Le prévehu en est—il coupable? Un fait peut-il
être envisagé sous un point de vue ou sous un autre? Feui
on ou ne peut—on pas y appliquer tel principe? Toutes
- A _ .....— —--u-.._“_'_‘_
cocus un BELLES LETTRES. 109
ces questions ramènent nécessairement à la délibération}
.'l et s’il est difficile d’étdslir un fait devant les tribunaux,
sans avoir à louer qu à blâmer, l’orateur n’est-il pas forcé
de quitter encore ce genre , et de rentrerdans celui qu’on
appelle démonstratif. ' .
Cette réunion arrive presque toujours. Il faut déclarer
la guerre à Philippe , parce que c’est un voisin dangereux ,
dont les forces, si l’on n’en arrête l’accroissement, me
nacent de la destruction la liberté de la Grèce. On déli
bère à Rome sur le choix d’un général : l’éloge de Pom
pée détermine en sa faveur les suffrages de la multitude.
Le génie et les talents d’Archias feront honneur à l’Em
pire : c’est une raison de l’admettre au nombre des ci
toyens romains. .
Cette réunion se remarque surtout dans l’art oratoire
moderne, qui, forcé de s’ouvrir des routes nouvelles,
celles de la littérature, de la morale ou de la religion, n’a ‘
' pu louer la vertu, en recommander la pratique, blâmer
les vices, en inspirer l’horreur, sans employer à la fois
les deux premiers genres établis par la division.des an
ciens. Il en est de même du judiciaire, où, comme nous
l'av‘ns fait observer déjà, placés devant des juges qui
sont entre l’affirmative et la négative, les avocats n’ont
pas autre chose à faire que de fixer leqr incertitude. '
-: Toutes les espèces de discours oratoires fourniront la
même observation , depuis le discours académique, qui
ne demande souvent que de l’esprit et du goût, jusqu’à
l’oraison funèbre , qui exige du génie.
Ce dernier genre , qui étoit connu des anciens , mérite
que l’on dise un mot de.son origine : des détails histo
riques sur chaque partie de la littérature ne peuvent être
étrangers à un cours de belles,lettres.
‘ v
'110 counâ on BELLES narrans.
. L’Egypte , où les Grecs allèrent tout puiser, leurs scien
' ces, leurs arts, leur théologie aime, qu’ils embellirent
et qu’ils donnèrent aux Romains avec leurs autres con
noismnces, étoit dans l’usage de faire l’oraison funèbre
ù ses rois. Si elle les avoit loués pendant leur vie, elle
leur rendoit, après leur mort, une justice sévère qui de.
voit faire trembler leurs successeurs, mais qui ne les ren—
'doit peut-être pas meilleurs. Ce qui nuisoit à l’effet de
cette leçon , c’est sans doute que, tant qu’ils vivoient, les
mêmes orateurs chargés de Cette fonction, les louoient
en présence des dieux; et il leur importoit peu qu’ils blâ
'massent leurs vices et leur conduite devant les hommes,
lorsqu’ils seraient également insensibles à la louange ou
au blâme. .
Quels qu‘aient pu être‘ les effets de cette institution,
' elle n’en émit pas moins respectable et digne d’un peuple
/ dont les anciens se sont empressés de vzmter la sagesse,
‘Iet de l’exagérer peut-être, soit pour faire la satire de leur
Md_,_,,s _J__;_, _\
COURS DE BELLES LETTRES. H!
:.9‘.,A
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. _.._\-L _ _>.
' I
112 - comas un BELLES LETTRES.
sait que Cras‘sus fit celle de Popilia. Si les Romains du
rent ce genre aux Grecs , ils n’en bornèrent pas comme
eux l’emploi. On ne louoit à Athènes que la vertu guer
rière ; et Rome républicaine rendoit hommage à toutes
et n’en excluoit aucune. '
Ce genre est de nos jours un des 'plus brillants de l'é
loquerice : il a été adopté partout. Dans les états protes
tants d’Allemagne , en Angleterre , il est d’un usage géné
ral. Les cérémonies funèbres , simples comme la reli
gion , n’y consistent qu’en un deuil, un silence, un re
cueillement profond. On ne fait aucunes prières dans un ‘
culte qui les juge inutiles aux morts , et qui ordonne de
croire que ceux-ci, lorsqu’ils sont arrivés à ce terme fa
tal , ne peuvent porter d’autre protection que leurs actions
et leur vie , auprès du tribunal terrible où doit être pro
noncé leur arrêt éternel. (les cérémonies ordinairement
très courtes, sont prolongées par quelques fleurs que le
ministre de l’évangile présent jette sur le tombeau du
défunt qui en est l’objet, et dont il loue la cpnduite , la
sobriété , l’économie , les vertus sociales , etc., et les pro
pose pour exemple. Le dernier des citoyens, en rendant
sa poussière à la terre , obtient ainsi le froid honneur d’un
éloge qui quelquefois n’en est pas un, et que la malignité
de l’orateur s’est plue , dans bien des occasions , à tour—
ner en satire. C’est ce que fit un jour le fameux docteur
Swift, qui saisit une semblable circonstance pour mal-
traiter la mémoire d’un homme qui l’avoit tourmenté
pendant sa vie' par des chicanes et des procès. Les parents
se trouvèrent offensés; mais comme tous les objets de ses
U. .
d'lsis, etc. qui formaient des corps séparés, font une exception
sans doute , mais n’ôtent rien à l’exactitude de ce qui est dit ici du
sacerdoce païen en général. La plupart de ceux qui s'isolaient du
peuple au milieu duquel ils vivoient , méprisés comme les Galles et les
ministres d‘Isis,à cause de leur conduite licencieuse, de leurs mœurs,
de leur vie errante, et de la mendicité dont ils faisaient profession ,
, étaient peu nombreux, et soumis à la surveillance sévère des ma
gistrats qui les cliâtièrent spuven t. Les prêtres égyptiens occupés des
sciences , les Druides pour lesquels la religion commandoit le res
pect le plus profond et la soumission la plus aveugle , formaient ,
les uns dans les Gaules , les autres sur les bords du Nil , une classe
distincte , puissante par l’opinion qui l’élevoit au dessus des lois
dont l'empire pesait sur toutes les autres et ne pouvait l'atteindre.
Cette classe jouissait de trop de considération pour que ceux qui
desiroient la partager ne s‘empressassent pas de s’y faire admettre ;
et l'esprit de tout corps considérable étant t0ujours d’augmenter son
crédit et son pouvoir, l’ambition des pontifes de l'Egypte et des
Gaules tendit sans cesse à ce but, et y parvint. .
conns ne nm.mäs rennes. ' 117
cord sur des points où tout le monde devioit l’être; qui
prouvent que l’évidence n’est point une , puisque ce qui
est évident pour un pays ne l’est pas pour un autre; qui
fatiguent les esprits sans les convaincre;qui les aigrissept
quelquefois, et dont le résultat est toujours de laisser
chacun dans son Opinion particulière, de l’irriter contre
tous ceux qui ne la partagent pas, de les lui faire regar—
der de mauvais œil, et de le porter à les calomnier, s’il
ne peut les persécuter. Elle devroit abandonner également
la discussion de ces dogmes, de ces mystères incompré
hensibles qu’il faut croire , et au moins révérer par un -
silence respectueux , et qui, en échappant à la raison , ne
peuvent être l’objet du raisonnement.
L’art de la chaire, si important et si utile, a commencé
partout comme tous les autres. Ainsi que celui du théâtre,
auquel nous verrons dans la suite qu’il s’est allié d’abord ‘,
il est resté long—temps dans des langes fangeux. On l’a vu,
dans son enfance , être chez toutes les nations un mélange
de platitudes, de niaiseries et d’indécences mêmes qui
défiguroient aux yeux des peuples la religion dont on
prétendoit les instruire.
En Italie, au xve siècle, on accouroit de toutes parts
à Naples pour entendre le dominicain Barletta, qui mê
loit des plaisanteries dignes des farces de la foire , aux
vérités qu’il prêchoit, qui réunissoit dans ses autorités
Moïse et Virgile , ou mettoit sur la même ligne Hercule
et David , Lucrece, Horace, Ovide et saint Augustin, et
qui étoit si goûté, qu’on disoit généralement:’Qui nescit
Barlettare, nescit prædt’care.
Ce proverbe, ayant passé les monts, fut adopté en .
France où , pour nous servir de l'expression qu’il emploie ,
tous les prédicateurs se mirent à bar!etter ou à bouffon- _
n4
r—‘A_,w_A \ ._’,\,-\
118 ' cocus ne saunas r.mrans.
ner. On vit M:iillard, Menot et tant d‘autres , s’empressa
de l’imiter, se rendre ridicules à l’envi, renchérir sur
leur modèle, et s’attacher plus à faire rire qu’à édifier
leur auditoire. L’un,,en recommandant aux fidèles les
ames du purgatoire , les assurait que chaque pièce d’argent
qu’on donnait aux moines pour prier pour elles, était un
verre d’eau à la glace qui rafraîchissoit leur gorge em
brâsée par le feu qui les brûlait; l’autre, que le bruit que
faisait cette pièce en tombant dans le bassin placé à la
porte des églises , et destiné à recevoir les aumônes con
sacrées au soulagement de ces pauvres ames, était en
tendu dans le lien d’expiation qu’elles habitaient; qu’à
chaque fin, lin, elles témoignaient leur joie en riant en
chœur; si c’étoitle son d’une petite pièce, on entendait un
hi ,hi,fu’ général; mais si c’était celui d'une grosse, elles
éclatoicnt toutes à la fois, et le purgatoire retentissoit de
leurs ha, ha, ha. - 5‘33- "" ‘ “Ê“:ff
La plupart des sermons de ces temps ne roulaient que
sur des sujets semblables. On s’attachoit de préférence à
ceux"qü imäæohæm les richesses du clergé, ou qui
pouvaient concourir à les augmenter, et on revenait
principalement à l’obligation de payer la dixme: oblige»
tion Métoit quelquefois négligée, malgré les excommu
nigàüçjii’è des papes , et les ldis deCharlemagne. Ce prince ,
pour le dire en passant, fut le premier qui, à la fin du
v'n/r‘siècle, appuya de l’autorité temporelle une_dette
religieuse.
Ce mauvais tan se prolongea ' en France, où le petit
/
120 COURS DE BELLES LETTRES.
- lequel des moyens plus doux ont été sans effet. Nous ne désap
« prouvons même pas la dose un peu forte de sel caustique qui y a
- été employée; car on ne guérit pas un cancer avae de l’eau de rose. -
COURS DE BELLES LETTRES. 131
je traduis mot à mot. Il roule sur la tolérance, et est ainsi
terminé.
« Persécuter, bannir, emprisonner, maltraiter et brû
- 1er, c’est suivre l’évangile du diable. Le christianisme
« finit où la persécution commence; si le nom s’en con
« serve encore , on n’en retrouve plus l’esprit. Jésus-Christ
« n’enseigna point la violence; il ne pratiquaÿmais rien
a qui y eût quelque rapport, si ce n’est une seule fois:
« mais lorsqu’il prit le fouet, ce fut pour chasser les mar
« chands du temple , et non pas pour les y faire entrer. »
Un genre connu des anciens en général, mais de nos
jours revêtu de formes qui l’ont perfectionné, dirigé vers
un autre but plus vaste ,plus imposant, plus utile , et qui en
ont fait , pour ainsi dire un nouveau, c’est celui des éloges
consacrés aux grands hommes par la ci-devant Académie
françoise; éloges qui ne ressemblent ni aux oraisons fu
nèbres des Grecs et des Romains, ni à celles qui ont fait
la réputation de Bossuet, de Fléchier , et de Mascaron.
C'est un art oratoire nouveau qui n’a pas brillé à' la
tribune même, comme celui de Démosthèñes et de Ci
céron, mais qui, employé dans le cabinet par Montes
quieu, Beccaria, Rousseau, Voltaire, Raynal, et porté,
quoique avec circonspection, par Thomas et quelques
autres à l’Académie, devañt un auditoire choisi et éclairé,
a eu des influences si grandes et si marquées.
La justice, la vérité, et surtout le goût qu’il faut res—
pecter, le devoir de ne pas égarer celui de mes élèves
en leur présentant de fausses idées et des jugements in
exacts, me prescrivent d’observer ici qu‘en placant le
nom de Thomas a côté de ceux de ces grands hommes,
je n’ai point prétendu l’assimiler avec eux. Son véri
tablé mérite est- d’avoir le premier senti la nécessité de
122 COURS DE BELLES LETTRES.
—»—.fl_ ._.4.«. y
126 couns ne BELLES LETTRES.
il avoit essayé de s’y introduire rappelloit trop celui de
Rousseau dans son Introduction à la profession de foi de
son Vicaire Savoyard , qu’il suppose s’adresser à un jeune
homme inconstant et léger, qui ayant abjuré le culte de
ses pères pour en embrasser un autre , conserve des doutes ,
et peut-être des remords.
« Je me lasse, dit Rousseau, de parler en tierce per—
« sonne, et c’est un soin fort superflu; car vous sentez
« bien , cher concitoyen, que ce malheureux fugitif c’est
a moi-même. Je me crois assez loin des désordres de ma
« jeunesse, pour oser les avouer; et la main qui m’en tira
« mérite bien qu’aux dépens d’un peu de honte je rende
« hommage à ses bienfaits. 1»
Ces anecdotes tiennent à l’histoire du genre de l’élo—
quence académique dont nous nous occupons, et qui
en attaquant tantôt sourdem_ent, tantôt ouvertement, les
erreurs les plus funestes à la raison comme à l’espèce
humaine , avoit préparé par des succès d’abord lents,
ensuite plus sensibles, les triomphes de la justice et de
la vérité.
C’est à ce genre intéressant et dont l’usage peutétre si
utile que s’applique plus particulièrement la définition
philosophique du célèbre Bacon , qui appelle la rhéto
rique, l’art d'adresser, pour ainsi dire, à l’imagination
les préceptes de la raison et de la vérité, de l'en remplir
tellement et de les rendre si frappants que l‘ame , maîtri
sée par leur force , ne puisse leur résister.
On trouvedes exemples de ce genre en Angleterre
dans plusieurs sermons, où laissant de côté le dogme et la
controverse, on ne s’est attaché qu’à la morale. On en
trouve surtout dans divers écrits étrangers à la chaire,
\
comas ne BELLES LETTRES. 127
mais par cette raison plus profonds et peut-être plus
moraux.
C’est dans quelques ouvrages de cette dernière espèce
qu’on retrouve aussi en Italie des exemples de ce même
genre. Le Traité des délits et des peines du marquis de
Beccaria_a mérité surtout d’être distingué, et les effets
qu’il a produits sont le plus flatteur des succès; il a fait
abolir partout la question dans la jurisprudènce crimi
nelle; et elle n’avoit déjà plus lieu en France avant la
révolution. _ '
Nous devons nous glorifier peut—être d’une partie du
bien quis’est opéré, depuis quarante ou cinquante ans,
dans l’Europe entière en faveur de l’humanité. Grace à
notre langue, devenue générale et presque universelle dans
cette partie du monde, les écrits philanthropiques des
philosophes franç0is, et ceux des philosophes étrangers
que nous avons traduits , ont pénétré partout, dans quel
ques uns de ces pays mêmes où l’habitant des campagnes
est compté pour rien; où les hommes sont divisés en
grands propriétaires et en serfs; où ceux-ci vivent dans
l’humiliation, dans l’opprobre et dans l'infortune; où les
privilèges dont le cultivateur est exclus sont accordés à
une troisième classe composée de ceux qui se livrent aux .
travaux utiles de l’industrie et des arts, dont ces mêmes
privilèges rendent la profession plus honorable et la si
tuation plus douce que celle du labo’ureur. Elle partage
avec les riches propriétaires les fruits des sueurs de ce
dernier qui les enrichit tous ,‘sans avoir l’espérance de
pouvoir, non Às’enrichir un‘ mais de se
procurer seulement un peu d‘aiŒ9m L i.
Le Nord avoit commencé à acéneîflirieàbciences utiles
128 .cl'ns un BELLES nurrnes.
à l’humanité. En 1769, l'académie de Pétersb0urg' atroit
proposé un prix pour la meilleure réponse à ces deux
questions : Est-il plus avantageux à un Etat que les
paysans possèdent en propre des terres, ou qu’ils n’aient
que des biens-meubles? Jusqu’où cette propriété doit
elle s’étendre? .
Cette double question ne pouvoit être faite que dans
un pays où le paysan ne possède rien, où il ne jouit pas
même de sa liberté personnelle, et où il est lui-même la
propriété d’autrui. Partout ailleurs elle eût été indiffé
rente, elle eût même paru absurde; il seroit également
injuste et cruel de l’élever. Où en seroit le peuple qui ver
roit former des doutes sur la légitimité de ses possessions,
lorsqu’il en aur0it joui de temps immémorial? Et si, après
une discussion de cette espèce, il venoit à être décidé que
cette possession est contraire àl’avantage que l’on cherche ,
à combien de troubles et de malheurs ne seroient pas
exposés ce peuple et l’état auquel il est soumis?
' Une pareille question n’a rien qui étonne en Russie, où
le paysan est un esclave attaché au sol qu’il féconde; où
les terres ne sont pas évaluées, comme chez nous, par
le revenu qu’elles produisent; où l’on ne dit pas: Cette
terre est de 10, 20 ou 30,000 livres de rentes; mais c’est
une terre de 500 , de 1500 à 2000pqysans. Elle a dû
honorer la société savante qui la proposa, et qui cher
choit sans doute à exciter des écrivains à publier des vé
rités utiles. '
La solution de cette question fut en effet en faveur de
l’humanité. Mais si l’auteur philanthrope fut couronné et
applaudi dans une assemblée littéraire , il ne fut pas aussi
heureux dans les conseils du Gouvernement : on se con
tenta de dire qu’il étoit un bon homme. L'état des paysans
. I
_-_. .
_.,_‘ _ ‘,\ . çy u ‘ _ f__
“_..—“Ë“... ....A- 'F.? ;_/ ,..: . _
. c
- LA
ART ORATOIRE,
. .RHÉTOÉIQUE.
'äe‘
‘“*"“'“w' -1
courts nennm.zs r.nrrn‘ns. ‘ 139
critique, sa scrupuleuse exactitudc à copier des traditions
populaires, des contes mêmes de bonne femme, à côté
des faits les plus avérés, il n‘en est pas moins intéressant
ni moins nécessaire , mêine à ceux étudient l’histoire
ancienne de la Grèce. .
C’est dans cet ouvrage que se trouve le germe de la
première idée du jeune Anacharsis. L’époque choisie par
l’auteur ne lui permet pas de supposer qu’il voyage lui
même : il imagine de prendre un jeune Scythe déjà in
struit , avide de s’instruire encore davantage, affligé de ne
pouvoir se s‘1tisfaire dans le pays barbare où il est né, et
presséde,visiter une contrée éclairée, où, d'après ce qu’il
.a appris ,de son père qui, y ayarfi voyagé lui—même, y a
trouvéet laissé des amis , il se flatte de se procurer à la
fois des connaissances et le bonheur. Il se rend àAthènes
où il se fixe_, et de là il fait.des excursions dans les diffé
rentes parties de la Grèce : conversant avec les plus grands
hommes dans tous les genres, fréquentant les assemblées
publiques, les spectaclés,‘ les temples, assistant à toutes
les fêtes civiles et religieuses, visitant les monuments,
admis dans les sociétés, il rend compte de tout ce qui le
frappe, et entre dans une multitude de détails que ne
peut se permettre un historien, mais qui appartiennent
à un voyageur dont ils ont fait d’abord le chqrme parti
culier, pour faire ensuite celui de ses lecteurs. '
sa situation est différente de celle de l’historien : celui
ci, assis dans son cabinet, s’élançant, par la pensée, dans
les siècles qui se sont écoulés long-temps avant sa nais-b
sance, entouré de livres qui sont des maîtres muets au
près desquels il cherche à s‘instruire, mais qui ‘pe peuvent
ré ndre à ses questions , éclaircir une ohspuritéÿ expli—
quer une difficulté, dissiper un doute ;. forcé de se con-t .
. ’ ” l
140 cocus DE na'nnnsm!rrniæs.
tenter d’interroger leurs récits, sans autre secours que la
critique qui l’aide dans ses recherches, et qui fixe son
choix sur les faits les plus importants, les plus nécessaires
et les plus avérés, reste sonvenf et doit ordinairement.
rester froid dans son travail. -
.Le voyageur, au contraire, n’a point de livres; il a de—
vant lui un spectacle animé : il voit, il examine; il éprouve
toutes sortes de sensations; il les décrit au moment où il'
les a éprouvées; il y met un feu qui en fait tout l’intérêt.
Il est aisé de. juger-’de- la vivacité avec laquelle il a dû
sentir : c’est un témoin oculaire; les grands événements
-se passent sous ses yeux. Des acteurs ou des spectateurs
de ces mêmes événemenÏs lui parlent de ce qui les a pré-.
parés, avec unechaleur qu’ils lui communiquent; et cômme
il est'occupé des conséquences qu’ils doivent avoir, il y
prend un intérêt qui se répand dans ses récits._ +
De cette invention heureuse est résulté l’ouvrage le plus
profond , le plus complet, le plus varié , le plus instructif
et le plus amusant, en même temps , qui ait été écrit sur '
la Grèce; c’est incontestablement le meilleur qui ait été
fait en France depuis'plus de trente ans : son mérite est
attesté par son succès. Il parut dans le temps le moins
favorable peut—être, presque au commencement de la ré
volution. Les esprits, o'ccupés des plus grands intérêts,
avec une énergie que l’exagération et l’exaspération firent
dégénérer ensuite en violence, dédaignant, pour ainsi
dire, toute production étrangère à ces mêmes intérêts,
furent forcés-de distingue'r le voyage du jeune Anachar—
sis: il.fut'reçu avectransport, lu et relu, et les événe
ments de révolution n’ontpoint diminué l’estime et
l’admiration qu’il avoit d‘abord inspirées. .
-. La façon de voir de Barthelemy, sa manière de rendre,
. - .
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. .
142 ’ COURS DE rennes LETTRES.
les plus entraînantes; à rejeter celles qui ne sont que bril
lantes; à considérer le temps , le lieu, les circonstances
où l’on parle, ce qu’on se doit à soi-même, ce que l'on
doit à ceux qui nous écoute'nt. . ". .
Cicéron lui-même, qui regardoit l’invention comme la
partie la plus essentielle du discours , et qui en avoit offert
tant d’exemples dans les siens, s’est borné , dans l’ouvrirge
;qu’il a composé sur ce sujet, et dont il ne nous reste que
deux livres qui ne sont peut'être pas les meilleurs, a in
diquer vaguement les moyens généraux de disposer favo
rablement un auditoire , de le rendre attentif, d’échauffer
des juges froids ou indifférents, de les ramener à son avis
s’ils en ont un contraire; «le présenter un objet quel
: copque,'un fait, ou une opinion sous son véritable point
de vue; d’exposer celle—ci avec une clarté qui fasse décou
vrir sur-le-champ l’état de la question ; d’en tirer, si elle
est étendue ou compliquée, une division qui repose l’es
prit, dirige stfl attention; et de soutenir cette dernière
lorsqu’on l’a excitée. '
. _Tous ces-moyens d’inVention , et'tous ceux qu’on peut
yhjoutet, supposent nécessairement des connaissances
préliminaires de plus d’un genre. Nous avons vu que l’ima
gination ne se formoit que d’idées_ déjà acqtti’Sés , rappe
lées par la mémoire ,.et combinées par la réflexion. La mé—
moire est son magasin , si*je puis me servir de ce mot : il
est ii1dispénsahl’é qu'il’soit,rempli de tous les matériaux
Ces.matériaux,
dont elle a besoin. si nécessaires-. . ’aux orateurs chargés de '
‘
«
, « cq{uas DE BELLES LETTRES. r 143
- rions, et des devoirs dores hommes éloquents,’quiin
fluoient, de la tribupe, sur les délibérations publiques.
- C’est ainsi que , d’après Eschine, Aristote et Démos-
thènes, Barthelemy présente, par _l’orgafie du Scythe
Anacharsis, ce qu’on attendoit dieux, et ce qu’ils de
voient’être.
« La p;gfession à laquelle ils se dévouent exige, avec le
. sacrifice de leur liberté, des lumières profondes et des
a talent5_sublinæs : car c’est peu de connaître en détail
. 4 Histoire, les lois et les forces de la république, ainsi
a que des puissances voisines ou éloignées; c’est peu ‘de
' a suivre de l’œil ces efforts rapides ou lents que les états
ç; « font sans cesse les uns contre les autres , ces mouvements
a: presque imperceptibles qui (les détruisent intérieure
; nient; de.prévenir la jalousie des nations foibles et al
‘ « liées; de déconçerter les mes’ures-des nations puissantes '
” ' gde démêler enfin les vrais intérêts de la
‘ " _ une foule de combinaisons et de rap
. p0rt3,,il ' t Lencore faire valoir en public les grandes
- vérités dont on s’estpéuéiré’dans le Particulier; n’être
r ému ni des menaces, ni desrapplaudissements du peuple,
« affronter la_haine des riches, en les soumettant à de
« fortes impositions; celle de la multitude, en l’arrachant
« à ses plaisirs du à son repos; et celle des autres ora
- teurs, en dévoilant lqurs intrigu_es;, répondre des évé
- nements qu’on n’a pu empêcher ,v et de ceux qu'onln‘a
'c puprév0ir; payer de sa disgrace les projets“quim’om _
c; pas réussi, et quelquefois ceux que le succès a justifiés;
g paroître plein‘de confiance lor‘u’un danger imminent
’ iàrépand la terreur de tous côtés, et par des lumières su
: bites relever les espérances abattues; courir" chez les
_- p’euples voisins former des ligues puissantes; allumer .
couas ne BEI.LB5 LETTRES.
« avec l’enthousiasme de la liberté la soif udentades
« combats;et, après avoir rempli l_esdevoirfld’homme
« d’état, d’orateur et d’ambassadeup,_aller sur le champ
« de bataille pour y_ sceller de son sang les avis qu’on
. donne au peuple du. haut de la tribune : tel est le par
« tage de ceux qui sont à la tête du gouvernement. »
On ne pouvoit se faire une idée 'plus grande ,. plus im
posante de l’éloquençe; mais il étoit naturel d’en conce—
voir une semblable à Athènes, où les hommes qui possé
doient ce talent précieux exerçoienbune sorte de magh
traturp; où les administrateurs du gouvernement , les ma- .ë
gistrats du. peuple étoient tous_orateurs , et n’étoient
même , pour la plupart, parvenus aux dignités,n aux pre
mières fonctions publiques, que par le don de la parole .
qui, les ayant fait connoître d’abord à la qibune, les
avoit portés ensuite. aux grandes places : mais peu de
ceux que l’éloquence seule y avoit ainsi éle és s’en mon} '
trèrent dignes, et l’on en_vit un grand nombre tromper
les espéranqes,qtÿils avoient donnéeste ma_l dut être
senti sou'vent ,.pùisqgç_l’_& Eprit des,précautions pour
prévenir les surfiseiflfl’eg A' iaèe qui égare si fré
quemment la Ægltimde dans _es gouvernements démocra
tiques; et ' _ utions ,‘.,toutes sages qu’elles étoienÆ,
ne garÿlti_l‘6flf jours de l'erreur. .,.i._ , ,7
:- « lis, , ' Apacharsis, qui ont prévu l’enm;
t. que des hommes si_\utiles et si dangereux pren
.. droient sur les esprits , ont voulu qu’on ne fît usage de
t leursÿtalents qu’après s’être assuré de leur conduite.
àÇ_ÉH&E‘éloignent de la Uibune celui qui aproit frappé les >
d‘ltteurs de ses jours , ou qui leur refusgroit les moyeqs
«’de subsister, parcequ'en "€363 on ne counoît guère
. « l’amour de la patrie quand on ne connaît pas les sen
cocus DE BELLES LETTRES. 145
« timents de la nature. Elles en éloignent celui qui dissipe
« l’héritage de ses pères , parce qu’il dissiperoit avec plus
« de facilité les trésors de l’Etat; celui qui n’auroit pas
« d’enfants légitimes , ou qui ne posséderoit pas des bierls
« dans l’Attique , parceque , sans ces liens , il n’auroit pour
« la république qu’un intérêt général, toujours suspect
« quand il n’est pas joint à l’intérêt particulier; celui qui
a refuseroit de prendre les armes à la voix du général,
« qui abandonneroit son bouclier dans la mêlée (1), qui
« se livreroit à des plaisirs honteux , parce que la lâcheté
« et la corruption , toujours inséparables , ouvriroient son
« arme à toutes les_espèces de trahisons , et que d’ailleurs
« tout homme qui ne peut ni défendre sa patrie par sa va
’« leur , ni l’édifier par ses exemples , est indigne de l’éclai
« rer par ses lumières..." »
Un des devoirs de l’orateur est donc de ne monter à la
tribune qu’avec la sécurité et l’autorité d’une vie irrépro
chable. Il doit encore,avant de s’y présenter , avoir réuni
une masse -imposante’ d’idées. Il faut qu’il ait recueilli '
surtout avec soin toutes celles que peut fournir une étude
approfondie des lois et de l’administration de son pays,
de'-celles des peuples voisins, pour être en état de tirer
de leur comparaison, des vues utiles et nouvelles, de
trouver dans ce qui a été fait partout, ce que l’on peut ou
ce La
quenécessité
l’on ne peut
de cette
pas faire
étudé‘bst
che.g. soi.
surtÛùt J a:î
(I) Il est bon d’observer ici pour des élèves qui ne le savent pas, ,
que la loi, veillant à la conservation des soldats, jugcoit que l’arme
défensive leur étoit encore plus nécessaire que l’offensive. On pon
voit perdre son épée dans le combat, sans être exposé à aucun re
'pro,cbq; mais celui qui y laissoit son bouclier étoît déshonoré.
l. 10
146 cocus m; BELLES LETTRES.
barreau où souvent il faut répliquer sur-le-champ a son
adversaire. Elle ne l’est pas moins dans les assemblées
délibérantes, où fréquemment une idée jetée au hasard
au milieu d’une discussion est un trait de lumière qui,
saisi par le génie, le pousse à la tribune pour combattre
une opinion qu’on est sur le point d’adopter, ou pour
en défendre une autre qu’on va rejeter. L’orateur, pressé
par une foule d'idées qui viennent de naître tout à coup
dans son esprit, se présente sans autre préparation que
le sentiment profond qui l’anime. La mémoire , nourrie de
pensées et de faits sur lesquels son jugement est accou
tumé à s’exercer, lui fournit soudain les matériaux d’un
discours dans lequel il mettra l’ordre dont il a l’habitude,
et le style convenable, facile à l’homme qui a l’usage de
bien parler. Les affections habituelles de son ame y ré—
pandront le mouvement et la vie. Il pourra n’avoir pas
toute la correction que lui auroit donnée le travail du ca
binet , qui refroidit quelquefois ;mais il aura de la chaleur,
des élans, cette éloquence qui fait passer dans les amas
_ des autres la conviction qu’on éprouve.
Ces sortes de di'sbours nécessaires dans les constitutions
1 anciennes , restreints au barreau parles constitutions mo
derneeont mérité l’attention des rhéteurs. Ils ont cher
ché à établir quelques règles , sur'lës pas de Démosthènes
et de Cicéron, qui n’ont pas présenté des préceptes sur
’5’èe sujet, mais donné simplement des conseils. "'“'
3’ Le premier a recommandé aux orateurs qui se trou
vent souvent obligés de monter à la tribune sans être
’ préparés, de se fournir d’avancead’çräÿräes et de péroiai
sons. Mais qui ne voit que ces «berceaux, n’ayant aucun
but déterminé, s’appliquent difficilement avec succès au
sujet auquel on les adapte après coup? v ' v,‘- *
p ,..——
—v——-.. .(
"»"“"‘To"f“-‘ΑV’ 7". H -'_ 3—41W
__
COURS ‘nr. BELLES marraes. 147
Cicéron va plus loin : il veut qu’outre des parties vagues
de discours ainsi arrangées, l’orateur traite des sujets en
tiers d’une manière générale, pour les faire servir ensuite
dans des occasions particulières qui ne laisseroient que ‘
’ le travail facile de les adapter aux noms et aux. circon—
stances. _
. Malgré tout mon respect pour Démosthènes et pour
Cicéron, dont l’imagination riche, féconde et brillante
n’avoit certainement pas besoin de ces secours , je ne puis
croire que des harangues de cette espèce pussent jamais
être d’un grand effet. Elles mettroient seulement l’orateur
dans le cas de parler plus long-temps , de se dévier sans
7 cesse de la route, de marcher; avec effort pour y rentrer,
et de dire plus de mots que de choses.
La nécessité de dire-au contraire plus de choses que
de mots n’a pas toujours été sentie par les rhéteurs : aussi
ont-ils sacrifié une place considérable dans leurs leçons
aux moyens qu’ils ont cru pouvoir servir les improvisa
teurs, et dont l’importance et l’utilité paroissent.bien.peu
de chose à l’homme de goût. Ils présentent à ceux qui
veulent bien se mettre sous leur direction, des recueils
de pensées-et de réflexions sur.mutes sortes.de sujets'; ils
les invitent à en meubler leur mémoire, à en imaginer,
à en recueillir d’autres, d’apès ces modèles, pour les
employer ensuite au besoin.
Ces prétendus ornements qrti:nesauroîent être:regardés
comme tels, ces morceauxisolés, ces pièces de rapport,
ces passagæen maximes ou entableaux, quelque mérite
qu’ils puissent avoir d'ailleurs, sont toujours déplacés
quand ils ne découlent pas dessujets mêmes; etpour en
découler, il faut qu’ils aient été conçus en même temps;
sans cela, quelque/ brillants qu’ils soient; ils ne rem- ‘
148 comas on snpr.rs LETTRES.
plissent pas le but qu’on se propose. Ce sont des ouvrages
de marqueterie, exécutés par la patience et l’adresse , dont
.r> la durée est passagère. Le génie jette les siens en bronze,
et ils font l’admiration des siècles. ,
Ce passage de Massillon est cité dans beaucoup de
rhétoriques comme un exemple de morceaux ainsi pré
parés:
« La gloire d’un prince ambitieux est toujours souillée
« de sang. Quelque insensé chahtera peut—être ses victoires;
« mais les provinces, les villes, les campagnes , en pleure
« ront. On lui dressera des monuments superbes pour
«’ immortaliser ses conquêtes; mais les cendres encore fu—
« mantes de tant de villes autrefois florissantes; mais la
« désolation de tant de campagnes dépouillées de leur
« ancienne beauté; mais les ruines de tant de murs sous
« lesquelles tant de citoyens paisibles ont été ensevelis;
« mais tant de calamités qui subisteront après lui,
« seront des monuments lugubres qui immortaliseront sa
n vanité et sa folie. u
Mais quoi qu’en disent les rhéteurs, ce passage n’est
point un de ces morceaux faits d’avance;jil naissoit natu
rellement du sujet, dans le sermon de Masillon sur la
vaine gloire. Il peut bien être regardé comme un lieu
oratoire; mais on ne doit pas l’assimiler avec ceux qu’ils
vantent ou recommandent, qu’on appelle Ioca, que je
semis tenté de traduire par lieux communs , et qui le sont
bien réellement; carde l’intention qu’on a eue, en les
cbmposant, de les rendre applicables à tout, il résulte
souvent qu’on ne sauroit les appliquer à rien. On ne peut
les comparer qu’à ceux qu’on emploie fréquemment dans
tous les genres de littérature, et qui ressemblent à ces
\
comas on BELLES LàrrnnS. 149
lieux communs poétique: dont on a si bien montré le
ridicule.
' « Quand une nation se dégrossit, dit Voltaire, elle est
« d’abord émerveillée de voir l’Aurore ouvrir de sesdoigts
n de rose les portes“ de l’Orient, et semer de topazes et de
- rubis le chemin de la lumière; Zéphire caresser Flore,
- et l’Amour se jouer des armes de Mars. Toutes les images
« de ce genre qui plaisent par la nouveauté, dégoûtent'
« par l’habitude; les premiers qui les employèrent pas—
:< sèrent pour des inventeurs ; les derniers ne sont que des
« perroquets. »
Comme ce que l'on nomme loca, lieux oratoires, dans
toutes les rhétoriques y occupe une très grande place , et
fait le fond de la plupart, et que c’est à cela que se réduit
du moins toute la partie qui y est consacrée à l’invention
dont on a voulu faire un art, je vous en donnerai ici une
idée succincte, mais suffisante pour vous faire connoître
qu’il nous est également inutile de perdre notre temps ,
moi à l’enseigner, vous à l’étudier.
On distingue les lieux oratoires, en lieux intérieurs, et
en lieux extérieurs. Les uns tiennent au fond même de la
cause, les autres viennent d’ailleurs. Tels sont, pour ces
derniers, l’application des lois, la discussion des titres,
les témoignages, les aveux, tantôt échappés à l'inadver—
tance, tantôt arrachés par les tortures; la renommée qui
n’est souvent que le bruit public, ou l’opinion générale;
les autorités, les exemples, les faits étrangers dont on
tire des inductions, etc. On ne voit pas trop ce que tout
cela peut avoir de commun avec l’invention telle que
nous l’avons conçue.
Leslieux intérieurs sont puisés dans la définition qui
,',Y.—\.—\W .\._. .
_..A. _.\ .
'150 courts ne BELLES nanars.
sert en effet à mieux expliquer un objet; mais qui, pour
être bonne , demande une connoissance parfaite de l’objet
défini, et par conséquent plus de jugement que d’imagi
nation; dans les détails connus sous le nom (l’énuméra
tion de parties, où l’on rassemble et l'on accumule toutes
les idées qui se lient à un même sujet, soit qu’on prouve,
soit qu’on réfute; dans l’étymologie qui peut s’appliquer
à la pensée comme à l‘expression; dans les homonymes,
qui ne sent propres le plus souvent qu’à fournir des
jeux de mots; dans le genre, et dans l’espèce qui est ren;
' fermée dans le genre, puisque ce qui est vrai de l’un est
ordinairement vrai de l’autre; dans la similitude qui
rentre dansla comparaison , comme la dissimilitude rentre
dans les contraires qui servent à faire connoître une chose
en disant ce qu’elle n’est pas; dans les circonstances qui
aggravent ou atténuent une action ,et qui prouvent qu’elle
a été ou qu’elle n’a pas été commise; dansles antécédents
et les conséquents, dans les causes et les efflzts, etc. etc.
C’est là_que les rhéteurs ont placé le dépôt des argu
ments, des développements, de tout ce qu’ils appellent
enfin les mines d’où l’invention tire ses richesses, les textes
des exercices qu’ils recommandent , et des morceaux qu’ils
conseillent de préparer d’avance , sans songer, comme
nous l’avons observé, et comme on ne sauroit trop le ré
péter, qu’en voulant les approprier à toutes les occasions,
à toutes les circonstances, à tous les sujets, il résulte né
cessairement que presque toujours ils le ne sont à aucun.
Ces prétendus inoyens oratoires ne sauroient ni ré
veiller, ni inspirer l’imagination , ni la remplacer. Quel
ques uns peuvent fournir des ressources utiles pour déve—
lopper un fait, une questiofl,f0rtifier une preuve, un
raisonnement; les autres servir simplement a les orner,
u
covns nn nnnnss uns-nus. 15I
n’être que des figures qui ne sont elles-mêmes en dernier
résultat que des manières différentes de construire et de
tourner une phrase, pour lui faire rendre mieux ou plus
complètement une idée ;.et sous ce point de vue, ils trou
veront leur place ailleurs. Ils appartiennent à toutes les
parties de l’art de bien dire, à «l’exception de celle qui
nous occupe dans ce moment.
Voilà cependant, à peu de chose près , à quoi se réduit
lathéorie abrégée de l’invention dans la plupart des rhéto
riques où l’on a prétendu réduire en art une faculté qu’on
n’acquiert point, qu’on doit posséder, et qu’il faut déve
lopper avant de songer à la guider. Voilà en même temps
la justification du nom de lieux communs que nous avons
cru pouvoir donner, dans l’acception littérale et com
mune de ce mot , aux lieux oratoires; et celle du reproche
faità la plupart des rhéteurs, d’avoir voulu donner des
règles d’invention , sans avoir de l’invention eux-mêmes.
Presque tous, sans imagination, ont parlé de l’imagination.
Pour ne pas les imiter et mériter le même reproche , cher
chons comment on a employé cette faculté, pour ap
prendre à en faire l’emploi nous-mêmes. Mettons des
exemples à la place des dissertations. La.vue même de
l’objet le fait mieux connoître que son image, quelque
exactitude et quelque ressemblance qu’on lui ait données.
Je choisirai le premier dans le genrejudiciaire ou l’élo
quence du barreau; et Patru , chez qui d’autres avant moi
l’ont déjà puisé, nous le fournira.
Un gradué, Jean-François Brizet, prêtre et licencié en
droit canon, réclamant un bénéfice de quarante écus de
rentes , situé dans la Bresse, ne semble pas offrir une
o cause bien intéressante, ni un sujpt bien fécond. Mais
entre les mains de Patru, cet objet si petit, si mesquin, \_
Il
.a.
M MMWWæMMWMM MML“M
DE L’INVENTION
Développée particuliérement dans des exemples.
l«
162 COURS DE BELLES LETTRES.
DE L’IMAGINATION
Selon les lieux , les temps, et les hommes.
t
il venoit
Il étoit d’obtenir
au clïdï la. permission
, .: d’y-recevoir
. les visites
‘ ’
‘_,_-. 7‘.
-_, ..—. __——.'hj’L—x“
I
COURS DE BELLES LETTRES. 177
(1) Lorsque l'on écrivoit ceci, on étoit bien près du temps où les
sophismes. les plus étranges et les plus exagérés avoient été émis et
répétés de toutes parts. Il n'étoit pas inutile de prémunir’cn passant
contre eux les roues neuves qui les avaient entendus. ’
l. , I2
’.
ART ORATOIRE _°
OU
-RHÉTORIQUE.
SECONDE PARTIE,
De la Disposition.
Ô .
cocus DE _nrzm.ns LETTRES. 189
. pèreht y joindre, qu’ils ne voient pas encore, et pour la
découverte desquelles ils comptent tËop souvent sur l’in
spiration du moment, qui_peut leur manquer au besoin;
ce qui les jette, pour la suppléer, dans un travail pénible
et sans but, et dans d’inutiles efforts qui n’aboutissent
qu’à des divagations. Ils tracent à la hâte un plan ou rien
n’est combiné; ils en associent les parties sans en avoir
préparé les liaisons : ils composent ensuite avec la même
rapidité , s’opiniâtrent à leur travail jusqu’à la fin , et ne dé—
couvrent qu’alors qu’il faut absolument le recommencer.
C’est là la source de la plupart des ouvrages médiocres
qui ont été faits dans tous les temps, et peut—être aussi ia
cause du dégoût qui a fait quitter la carrière littéraire à
plpsieurs jeunes gens nés avec des talents qui se seroient _
développés à l’aide d’un bon guide, s’ils en avoient pris
un. J’en ai connu quelques uns qui ont cédé à leur dé—
couragement, et qui ont renoncé à faire usage de leurs
dispositions naturelles, parce que le premier essai qu’ils
en avoient fait, dirigé avec cette négligence et cette pré
cipitation , avoit été malheureux. ‘
Je l’ai déjà dit, et je ne saurois le redire trop souvent
aux élèves, c’est la méditation qui saisit toutes les res
sources dont un sujet est susceptible; c'est le jugement
qui les dispose; c’est l’imagination qui dirige, qui conduit
ces deux facultés précieuses de l’esprit. L’idée générale
d’un discours oratoire , que le sujet en soit donné ou
inventé, doit être conçue avec toutes celles qui se rangent
a‘utour d’elle pour servir à son développement, et qui
doivent paroître en découler : tout cela appartient à l’in /t
vention , que j’ai cherché à vous faire connoître , et dont
je vous ai donné des exemples queje reprendrai ici, pour
mieux faire sentir comment elle influe sur la distribution,
[90 COURS DE BELLES LETTRES.
.
COURS DE BELLES LETTRES. xgt
à en placer accessivement les parties, à établir le fait ,
à montrer le .droit de son client, à l’entourer des appuis
que lui fournissaient l’histoire des prétentions à: la cour
de Home, celle des oppositions constantes, tantôt ou;
vertes et fières, tantôt sourdes et ’ménagées, auxquelles
elles avoient donné lieu; l’accord convenu entre les papes
et les rois qui ,en essayant de fixer leurs droits respectifs,
ne mit cependant pas fin à leurs démêlés; les usages
fondés sur nos libertés, etc. ; et enfin à terminer son plai
doyer par l’intervention de l’université qu’il appelle au
pied du trône pour réclamer en faveur des lettres, le
maintien d’un droit ÆIi n’avpit été accérdé que pour en
courager leur culte, exciter l’émulation de ceux qui s’y
livrent , et réc0mpenser leurs progrès.
.A cet exemple de distribution , joignons-en un second
,dont nous connoissons déjà la première conception pro-s
duite par une imagina'ion vive, quelquefois exaltée , que
le goût n’a pas toujours réglée , mais qui jamais n’a
cessé d’être brillante. On ne sauroit trop multiplier ces
exemples pour donner une idée de cette seconde partie
de la rhétorique , non moins essentielle que la première ,
et sans laquelle tout disèours, tout autre ouvrage est né
cessairement mauvais. Toutes les beautés que l'on pour—
roit y répandre d’ailleurs ne seroient jamais que—des
beautés de détail qui ne sauraient former d’ensemble,
faute d’un plan qui les réunisse à un but général qui se
trouve alors manqué. ‘‘ '
Nous avons vu comment l’imagination de Thomas avoit
conçu son éloge de Marc—Aurèle. La première idée qu’elle
lui inspira fut la source féconde ‘de toutes les autres.
Voyons comment cette même imagination les distribua.
La pompe funèbre partie de la Germanie où l’empereur
192 cours ne nénnnstpîrans.
étoit mort en accompagnoit le corpsà Borne où il
devoit être déposé dans un mausolée, et s’était grossie ,
pendantJa marche , d’un grand nombre d’habitants des
provinces par lesquelles on avoit passé; elle avoit été
jointe par quantité d’autres hommes accourus de toutes
les parties de l’empire , attirés par l’admiration , l‘amour
et la reconnoissance. Apollonius , en faisant l’éloge de
son maître et de son ami, pouvoit attester leur témoi
gnage; et par un mouvement dramatique du plus grand
effet, ils l’interrompent quelquefois, non pour démentir
ces paroles, mais pour lui apprendre des faitsqu’il ignore,
ou ajouter à ces récits des cireonstflnces, des détails qui
y répandent un nouvel intérêt.
L’orateur avoit à parler d’un homme long—temps simple
particulier et sujet, occupé, depuis l’âge de douze ans
jusqu’à quarante, du soin d'éclairer à la fois son esprit et
son cœur. Il ne parvint à l’empire qu’après avoir été in
struit et formé par cette étude. Il falloit peindre le philo—
sophe sur le trône, dans le cabinet, dans les cônseils ,.à
la tête des armées , tournant sans cesse ses lumières au
profit des peuples qui lui étoient soumis , au bonheur de’
l’humanité. Sèule celle-ci dirigea sa conduite pendant la
paix, et il la fit honorer et respecter pendant la guerre
même. Toutes ces idées si multipliées et si variées se '
rangent sans effort autour de la principale , se distribuent
avec ordre, et prennent la place la plus propre à la déve-v
lopper, et à faire ressortir les unes et les autres. I
L’auteur ne devoit pas oublier les écrits philosophiques
.
9.h__. .À -
_L >=fl—u'—'M _
198 COURS DE BELLÏSS narrnas. ,
qui estsimple esfi,un; la vue l’embrasse tout entier d’un
coup d’œil: une divfiion superflue serait puérile.
Si l’orateur qui a médité son sujet, qui l’a envisagé
dans toute_son étendue et sous toutes ses faces , a besoin
de chercher une division , elle est inutile ; c’est une
marque infaillible qu’elle n’est pas nécessaire. Lorsqu’elle
l’est, elle se présente d’elle-même. Quand on ne la dé—
couvre pas tout de suite , c’éSt un avis qu’elle donne de
s’épargner la peine de la chercher.
Elle s’offroit, par exemple, nécessairement à Rousseau,
dans sen discours sur l’origine et les fondements'de l’iné
galité parmi les Hommes“ _
. C
DISPOSITION ORATOIRE:
' !.
DE L’EXOBÜE.
L’axonnn, cette première partie de la disposition ora
toire , sert à préparer l’auditeur , à l'instruirè en quelque
sorte de l'état de laqi1estion, ou du moins àla lui faire
envisager en général. Ce! le péristyle d’un édifice qui
doit préparer la vue au spectacle, et-l’ame à la jouis
sance de l’intérieur. Il doit donc répondre à l’édifice
même. _ j ‘ ' .
Quel que soit celui dans lequel nous entrons, l’archi
tecte a manqué son but quand il ne nous l’a pas annoncé
. par quelque chose dès le Premier moment. Des jardins
enchantés conduisent au palais d'Armide et à celui des
Plaisirs; l’Elégañêe et la Graèe indiquent la demeure
d’un homme qui a de la richesse et du goût; un ton de
noblesse et de dignité nous fr'appe à'l’aspect d’un palais,
l’avenue d’un temple doit disposer au recueillement.
- R'yæn n’égale le génie de Soufflot dans la conception. et
l’exécution de son péristyle du Panthéon , où l’homme ,
marchant à travers ces colonnes majestueuses et d’une
prodigieuse élévation qui le décorent, se trouve ramené,
malgré lui, à sa propre petitesse! qu’il sont 'avec une force
qui la luiexagèré peut-être , et se voit déjà pœsque anéanti
avant d’avoir pénétré dans la demeure du seul être grand;
Mais il faut que l’ensemble et les détails de l’intérieur
entretiennent, prolongent, fortifient ce sentiment, et le
rendent plus profond. -‘ '
202 COURS DE BELLES LETTRES.
‘
'
-'- -‘\%_’v'_xîæ‘û‘W‘-äaæ L ‘ 7 ,.--— ._.,
.WL
204 douas DE BELLES marrans.
se trouvent réunies avec tant d’art la richesse des images
nn'
dans l’une, et la noble simplicité des idées dans l’autre,
sans éprouver un charme Secret qu’on ne sauroit s’apli
qugr, dont il est impossible de se défendre. Je l’ai relue
avec un plaisir nouveau , etj’ai voulu vous le faire partager.
Après une pareille citation , ce n’est pas sans peine que
_.
,.
l’on reprend la parole soi-même, on est trop près d’un
objet désespérant de comparaison. Mais ce son_t les grands
modèles seuls qui peuvent nous former; il faut les prendre
où ils se trouvent. L’amour-propre doit se taire; et si l’on
sait sentir ces modèles et réussir à'le: faire sentir, c’est.
encore uri petit dédommagement pourlui ; il doit au—moins
s’en contenter. ' '
' ' Je reviens àma comparaison de l'Exorde au péristyle
d’un édifice. Elle prouve, ce me semble, l’importance
de cette partie du discours oratoire , la variété dont elle
est shsceptible, la nécessité de consulter le goût dans le
choix, comme dans l’emploi des exordes. S’ils ne con
viennent pas parfaitement aux discours, si leur ton vague
permet de les transporter d’un genré à l’autre, leur
effet non seulement est manqué, mais encore il devient
ridicule. Un boudoir, une petite maison, ne doivent pas
s’annoncer comme un salon , un palais ; un .temple,
comme une salle de spectacles. L’application des grandes
choses aux petites est aussi absurde que celle des petites
aux grandes. - ' ' ' .
L’orateur qui, au.lieu de suivre le grand chemin ou
vert devant lui , en prend de détournés que le besoin ne
commande pas, comme il peut arriver qu’ifles prescrive
quelque fois, ne fait qu’égarer l’auditeur. Celui-ci étonné
omme Dandin dans la comédie des Plaideurs, de‘ voir
‘es avocats remonter au chaos, à la naissance du monde,
‘
I i .
M*_
:7 ,_ _ ‘>.
—._» ,. “
ud“‘â‘_k _ ‘
couns na sentes mamans. 211
pesante et plus terrible qui les arrache au charme quile‘s
att‘achbit. Ee peintre ayan‘Pà rendre un de ces tableaux
effrayants que présente si souvent la nature qui va être
l’objet des instructions du sage, quitte le pinceau de
l’Albane pour prendre celui de Michel-Ange et de Ba
phaël. C’est unorage épouvantable qui bouleverse le ciel,
la terre et les mers. Ce spectacle, fait pour porter au re
cueillement dé la terreur, l’étoit aussi pour réveiller la
curiosité dans les ames étonnées de voir, au milieu de
ces convulsions de la nature, la chaîne des êtres toujours
prête à se rompre, se conserver cependa’nt entière; et
cette gradation observée avec art, et peinte plutôt que
décrite, prépare plus particulièrement au discours de
Platon; '
Je le répète, l’autedrd’A’rîac'har‘sis a voulu imiter Rous- ’
seau'; mais il'n’en'a imité qdë'la première conception ; il
Ëa‘ traitée ensuiteàv’e‘c a'ut'arit‘ d’intérêt que d’éloquencé;
il l’a présentée‘ sous de nouvelles couleurs et sous de
nouvelles images: e'ri'variaht'célles-ci, il leur a donné
une originalité qui attaché; et c’est ainsi, je l’ai déjà
dit, que le génie copie le génie.
Les qualités de l’éxordè que' je viéns'd’indiquer, et les
exemples que j’en ai donnés, mettent sur la voie de dé
couvrir aisément le ton qui-’ lui convient. Ce ton est la
simplicité; mais'c‘ette' simplicité n’exclut pas la noblesse;
et Thomas a réuni’ ce double r’nérite dans la plupart des
siens. Dans celui de l’éloge de Sully, par exemple , comme
il avoit à parler d’un grand ministre et de ses opérations ,
il pouvoit donner des conseils aux administrateurs des
états. Il en présente en effet quelques uns qu’il a l’art de
glisser sans'paroître en avoir l’intention, et dont l’ap
plication cit aisée. Cet art rend son exorde‘plus intéres
212 bonus ne n.au.as LÈ’1‘TRES.
sant et plus piquant encore, sans porter atteinte à la
simplicité. Cette qualité estaun grand mérite , surtout
quand elle est noble , raisonnée, tournée de manière à
insinuer doucement ce que l’on veut dans l’esprit des au—
diteurs. ,
Cette partie du discours demande une sorte d’adresse;
et Rousseau, sans rien perdre de la fierté de son carac—
.tère, en a mis beaucoup en présentant‘à une société
savante la satire éloquente contre les sciences , les lettres
et les arts. ‘
Il faut se souvenir que l’exorde n’est que l‘introduction
au discours. Il ne s’agit pas alors de déployer les forces
du raisonnement, les ressorts du pathétique, ni rien de
ce qui échappe dans les mouvements impétueux , parce—
que, dit Quintilien , la chaleur qui les inspire n'est pas
encore dans les esprits. Une secousse violente surprend
et saisit; mais son effet peu durable.fait qu’on s’attend à
une nouvelle contre laquelle on est préparé.
Le jardinier qui veut arracher un arbre sait qu’il n’en
viendra pas à bout tout d'un coup: il essaie sa propre
force et la résistance qu’il lui opposé, en l’embrassant et
en le secouant à droite, à gauche, de tous les côtés; il
l’ébranle enfin; et c’est lorsqu’il le voit prêt à céder à ses
efforts, qu’il, les redouble, et qu’il en fait enfin un der—
nier qui renverse à terre la tige _orgueilleuse. Elle seroit
restée de bout s’il avoit employé ce dernier effort avant
',le temps.
, Cependant cette observation ne doit pas se prendre à.
la rigueur, et faire exclure de l’exorde les grands mou—
vements. Il ne faut pas les repousser quand ils se présen
tent; il s’agit seulement de s’assurer si le sujet en fournira
d’autres, de consulter ses forces, de voir si l’un sera en
cocus DE BELLES Lit'rrn25. ‘ 213
état de les traiter d’une manière non seulement soutenue,
mais supérieure à celle dont on aura traité les premiers,
et d’avoir l’adresse de se modérer si l’on doute, pour ne
pas rester au dessous de soi-même. Lorsque l’on est sûr
de soi et de son sujet, on peut aller en avant. C’est ce qu’a
fait heureusement Bossuet dans son Oraison funèbre de
la. duchesse d’0rléans , à la mère de laquelle il avoit payé
peu de temps auparavant le tribut douloureux qu’il venoit
lui rendre à elle-même sur son tombeau; et ce rappro
chement, rappelé avec sensibilité dans son exorde, y ré
pand un ton touchant et pathétique.
Le style de l’exorde doit être, en général, périodique,
grave et mesuré :‘C’est la partie qui demande le plus à être
travaillée, parceque , dit Cicéron, étant la première que
l’on écoute, elle est aussi la première exposée à la cria
tique.
L’exorde doit pareillement être court. On sent que ce” ,
n’est ni le lieu d’approfondir la matière qui ne doit être
qu’indiquée et pour ainsi dire effleurée, ni de se livrer
à des amplifications qui ne font que fatiguer et rebuter
sans instruire. Quintilien l'appelle, d’après Ciceron, la
partie la plus difficile du discours.
On distingue deux espèces d’exordes :l’une modérée
ou l’orateur prend , si l’on peut s’exprimer ainsi, son tour
de loin , prépare avec adresse l’auditoire à le suivre, et le
conduit insensiblement, et comme par degrés à ce qu’il
veut proposer.
L’autre espèce est véhémente : l’orateur transporté de
quelque passion vive et soudaine, entre subitement en
matière, étonne ses auditeurs par son début imprévu , re
mde leur imagination,etles entraîne sur ses pas avec une
force irrésistible.
214 courts un menu mamans.
C’est ainsi ‘qu’au milieu du sénat aussi surpris et troublé
que choqué de IJaudace de Catilina qui venait par sa pré
sence interrompre une délibération dont il- étoit l'objet,
Cicéron voyant les membres de cette auguste a'ssemblée
quitter leurs places pour s'éloigner d'auprès de lui, et
4 témoigner par ce mouvement une indignation que l’éton
nement et peut—être la crainte ne leur permettoient pas de
manifester autrement, se leva lui-même, et tirant son
exorde court et serré de la circonstance et de la passion
que venoit d'exciter l’apparition de l'ennemi de la patrie,
entra tout à coup en matiere pour continuer cette passion
et pour l’échauffer. .
Ovide nous présente aussi un exemple de ce genre vé—
hément : il tient au caractère de l‘orateur, au sentiment
fqui l’anime, au sujet même qui fournit l’occasion de ce
plaidoyer dans lequel le poète donne une leçon à l’o
rateur. '
Achille est mort, ce héros jusqu‘alors invincible. est
tombé sous les coups incertains de Pâris; mais c’est un
'Dieu qui les a dirigés. Le guerrier vainqueur des plus re—
doutables guerriers et d'Hector, a péri de la main d’un
voluptueux efféminé, du lâche et galant ravisseur d'Hé
lène. Ses armes, qu’il tcnoit de Thétis sa mère et qui
étoient sorties des forges de Vulcain, doivent être le prix
de lavaleùr. Tous les Greçs oubliant leur ambition, leurs
jalousies, l’orgueil même qui dicteà chacun que personne
ne le mérite mieux que lui, sans se disputer l’héritage
glorieux
s’asseoiî ui doit a artenir
enl.qualilléP aupîur
de juges lus pronoincer
brave se bornent
entre lesà
(D
COURS DE BELLES LETTRES. 217
« avec des archers qui lui ont procuré une évasion facile
« et une retraite assurée. -
C’est en employant le même moyen qui consiste à en
visager lès choses comme elles sont, à les dépouiller de
tout ce dont les environnèrent les passions toujours exa
gératrices, et l‘éloquence qui ne l’est pas moins quelque—
fois, que Phocion détruisit souvent les impressions que
Démosthèn—es avoit faites sur les’esprits: aussi ce dernier,
quand il le voyoit se lever, s’approcher gravæ:ment et
tranquillement de la tribune pour lui répondre, disoit-il
à ses amis, en lui faisant place : L’arbre que je viens de
planter, court risque de ne pas rester long-temps sur sa
tige: voici une hache qui menace de le couper par le
pied.
Les objets traités ou discutés par l’élgquence moderne
n’ont pu en général fournir des exordes dignes de celle
d’Athènes et de Bonne. On n’eq a vu des imitations 'que
dans celle de la chaire. Mais les moyens de celle-ci sont
différents; les relations politiques de l’hommeà l’homme,
et de l’homme aux gouvernements en sont, pour ainsi
dire, exclues; elle ne considère que celles de l’homme à
Dieu, de la morale à la religion , qui, pour employer une
belle image d'un écrivain moderne, est un arbre dont la
racine est dans'le ciel, et dont les branches couvrent la
terre. L’orateur qui s’en occupe s’attache ordinairement
dans ses exordes au développement de son texte, dont '
souvent ils ne sont que la paraphrasé , et à l’application
qu’il en fait à son sujet, soit qu’il s’agisse de la discussion
d’une question , du panégyrique d’un saint , ou de I’Eloge
funèbred’un grand. Dans celui-ci mêmel’éloge des grandes
actions ne doit tomber que sur celles dont les motifs sont
218 COURS DE BELLES LETTRES.
".‘ÆÊ“* ‘
. COURS DE BELLES LETTRES. 221
(1) Ceci est le sens du beau vers que d’Alembert mit sous le p0r
trait de Franklin.
En}mit cœlofulnæn , sceptrumque grenat}.
224 ' cocus né BELLES narrnns..
pliquoient à tous les genres d'ouvrages dont , sans en
excepter aucun , l’esprit humain peut s’occuper. Elles
sont les mêmes pour tous, et ne diffèrent que par des
nuances plus ou moins fortement prononcées, sous les
quelles il est aisé de les reconnoître. N’est-ce pas un vé
ritable exorde, par exemple, que ce début du Contrat
social ? '
« Je veux chercher si, dans l’ordre civil , il pot! y avoir
« quelque règle d’administration légitime et sûre, en pre
« nant les hommes tels qu’ils sont, et les lois telles qu’elles
« peuvent être. Je tâcherai d’allier toujours dans cette re—
« cherche ce que le droit permet avec ce que l’intérêt pres—
« crit, afin que la justice et l’utilité ne se trouvent point di
« visées. JÎentre en matière sans prouver l’importance de
« mon sujet. On me demandera si je suis prince ou législa- _
«teur pour écrire sur la politique : je réponds que non, et
« que c’est pour cela que j’écris sur la politique. Si j’étais
« prince ou législateur, je ne perdrois pas mon temps à
a dire ce qu’il faut faire : je le ferais ou je me tairais. Né
« citoyen d’un état libre , et membre du souverain , quel
« que foible influence que puisse avoir ma voix dans les
« affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’im
« poser le droit de m’en instruire. Heureux, toutesles fois
« que je médite sur les. gouvernements, de trouver tou
« jours dans mes recherches de nouvelles raisons d’aimer
- « celui de mon pays! »
Rousseau pouvoit—il exposer avec plus de précision ,
plus d’énergie, et en même temps avec plus de chaleur
et d’éloquente simplicité, le sujet qu’il vouloit traiter?
Pouvoit-il mieux justifier un simple particulier, étranger
en quelque sorte à’ l’administration , entreprenant d'exa
miner ce qu’elle doit être, et d'éclairer ceux qui en sont
COURS DE BELLES LETTRES. 221’3' '
_chargés? Il faut observer ici que né à Genève, aimant
sa patrie , s'honorant du titre de citoyen auquel ses
malheurs ne l’avoient point encore forcé de renoncer , il
lui consacroit ses veilles et ses méditations, il écriv_oit
pour elle : c’est.à elle seule qu’il adressoit ses vues sur le
gouvernement; il les concentroit dans sa ville et son ter
ritoire; et il ne les jugeoit lui-même convenables en gé
néral qu’à des\états ainsi circonscrits , persuadé que ce
n'est ni l’étendue de la domination, ni le nombre (les
habitants qui concourent à rendre ceux-ci plus heureux.
Il veut écrire sur l’éducatiOn : voici comment il y pré
pare ses lecteurs. Si la philosophie doit donner elle-même
des leçons, c’est l’éloquence et la sensibilité qui lui prê
teront leur langage. .
(( T0}1t est bien , sortant des mains de l’auteur des
« choses ; tout dégénère entre les mains de l’homme; il
«force une terre à nourrir les productions d'une autre;
« il mêl'e et confond les climats, les éléments, les sai
« sons; il mutile son chien , son cheval, son esclave. Il
« bouleverse tout, il défigure tout; il aime la difformité ,
«les monstres; il ne veut rien tel que l’a fait la nature, pas"
« même l’homme; il le faut dresser pour lui comme un
«cheval de manège ; il le faut contourner' à sa mode
« comme un arbre de son jardin; sans cela, tout iroit
« plus mal encore, et notre espèce ne veut pas être fa
« çonn.ée à demi. Dans l’état où sont désormais les choses ,
« un homme abandonné dès sa naissance à lui-même
a parmi les autres , seroit le plus défiguré de tous : les
« préjugés, l’autorité, la nécessité, l’exemple , toutes les
il institutions. so‘ciales dans lesquelles nous nous trou
« vous submergés, étoufleroient en lui la nature , et ne
« mettroient rien à la place ; il y seroit comme un arbris
[. 15
226 cocus DË BELLES nurses.
. seau que le hasard fait naître au milieu d’un chemin,
.. et que les passants font bientôt périr en le heurtant de
« toutes parts , et le pliant dans tous les sens. C’est à toi
a qpe je m’adresse , tendre et prévoyante mère, qui sus
et t’écarter de la grande route et garantir lhrbrisseau nais
. sant du choc des opinions humaines! Cultive, arrose
a la jeune plante avantyqu’elle meure! Ses fruits feront
.. un jour tes délices. Forme de bonne heure une enceinte
n autour de l’ame de ton enfant. Un autre ep peut mar
« quer le circuit; mais toi seuley doit poser la barrière. 2: ‘
. C’est véritablement un exorde. Chaque partie de ce
sujet utile, immense et fécond aura le sien. Celui-ci s’a
dresse aux mères. L'éducation de l’homme commence à
sa naissance. L’être sensible qui l’a conçu et porté dans
son sein pendant'neuf mois, l'y attache encore au mo
ment où il en est sorti, l’y réchauffe, le nourrit? veille
à la conservation de son existence, et trouve dans ses
soins mêmes le dédommagement et la récompense des
peines qui en sont la suite. L’afl’ection d’une mère semble
s’augmenter des privations auxquelles elle se soumet. La
première leçon de la nature est la nécessité d’un attache
ment réciproque; et sa bienfaisance en a fait à'la fois
un besoin et un plaisir.
.mmmuq mm M\“t"
DE LA PROPOSITION.
La Propositi0n est proprement l’objet même du discours
oratoire._ On se propose d'établiËou de discuter un fait ,
d’examiner une question et.de la résoudre: il faut donc
raconter l’un et exposerque
verses.dénominations l’autre. Delà sont donne
la rhétorique venues àilescette
di
._,4
couas DE BELLES LETTRES. 229
'. tres prétendus grands hommes ne tiroient que de leurs
' aïeux. Elle jette de l’intérêt et de la—philosophie sur cette
exposition , qui fait voir clairement et nettement le point
de vue dans lequel Catinat est ici envisagé : tout le reste .
du discours en découle; et l’on voit_facilement comment
toutes les parties doivent se distribuer et s’arranger. On
commence par son éducation , qui fut d’abord négligée, _
et qu’il recommença : c’est ce qui [dans nos anciennes -
institutions, est arrivé à presque tous_ les hommes de gé
nie; 'et c’est peut—être aussi ce qui les a mis ensuite si
promptement à leur place.
Mais c’est de l’exemple, et non des réflexions qu’il fait
’ naître, que je dois m’occuper. Celui que je viens de citer ‘
en est en même temps un d'ex0rde et de proposition réu—
nis, sous toutes les dépominations diverses par lesquelles
on a désigné la dernière. Il est essentiel d‘observer que ,
quand la proposition prend celle de narration , ou toute
autre pour se séparer, elle ne forme pas alors une partie
tellement distincte de l’autye,,qu’elle ne s’y réunisse fré
quemment, et plus fréquemment encore à toutes les au—
- tres divisions de la disposition. . . s
Dans les cas du la première, la Proposition , se déta_chç '
et s’isoleen quelque sorte , sa place naturelle est immédia
ment après l’exorde : dans tous les autres, elle s’y lie,
elle le termine; et alors elle doit être simple, claire et
courte. C’est ainsi qu’elle est particulièrement employée
dans la chaire; et elle devient nécessaire lorsque le dis
cours est partagé en deux ou plus ieurs parties : il faut
les annoncer, et indiqper cri même temps l’objet de cha
cuné. « Madame d’Aiguillon , dit Fléchier ,. n’a'été grande
« que pour servir Dieu noblement; riche , que pour assis
« ter. libéralement les pauvres; vivante, que pour se dis
230 COURS DE BELLES LÇTTRES
t qu’elle n’en fait pas une séparée; elle peut seulement être
regardée comme,un lieu dérhétorique ,'et souvent c0mme
. un développement 'cessaire. On la retrouve surtout dans
la Confirmation; ca‘r‘les preuves dont on appuie un fait,
une question , ont besoin d’être recueillies, distribuées ,
, et racontées. Nous en trouverons des exemples nombreux
en .traitant de cette partie; je dois me borner ici à vous
. en offrir qœlques'uns où la Narration et la Proposition
se confondent. ' -' '
Lorsque, dans la guerre du Péloponèse, tous les alliés
de la république de Sparte lui envoyèrent des députés
pobr l’engager ä les soutenir contre Athènes , le roi Archi
-damus, voyant les Lacédémoniens balancer_sur le seul
parti que leur intérêt leur conseilloit de prendre, les ex
horta ainsi à La neutralité. "
« Peuple, dit-il , j’ai été témoin de beaucoup de guerres,
« ainsiqpe plusieurs d’entre.vous , et je n’en suis que plus
« posté à craindre celle dans laquelle on veut vous enga-_
« ger. Sans préparatifs sans ressources, vous voulez atta
« quer une nation exercée dans la marine , redoutable par
’ a le nombre de ses soldats et de ses vaisseaux, riche des
« Productions de son pays et des tributs de ses alliés. Qui
« peut vous-infiré‘r cette confiance? Est-ce votre flotte?
« mais quel temps ne faudroit-il pas pour la rétablir! Est
« ce l’état de "vos finances? mais nous n’avons point de
« trésor public, et les citoyens sont pauvres. Est-ce/l'es
« pérance‘ de détacher les alliés d’Athèncs? mais comme la
« plupart sont des insulaires, il faudr0it être maître de la
« mer pour exciter et entretenir leur d'éfection.'Est-ce le
« projet de ravager les terres de l‘Attique, et de terminer
« cette grande‘ querelle dans «une campagne? eh! pensez—
« vous que la perte d’une moisstm , si facile à réparer dans
\
.
.
3236 COURS DE BELLES LETTRES. .
11‘.A Eh, qui peut être plus pénétré que nous de cmsenti
ment! Mon Dieu, nous osons vous en prendre à témoin
en présence de sori tombeau et de votre autel! Mais
quelle considération pourroit faire oublier jamais à un
—.A ministre de l'Evangilc le respect non moins inviolable
qu’il doit à la vérité! Placés entre ces deux devoirs, le
respect que nous devons à la vérité,' et le respect que
2..A
’ a
(r) Le Grand Dauphin. _ o 77"
(a) Adelaîde de Savoie.
(3‘, Le duc de Bourgogne.
'>
connspm BELLES îerrnes. . 2.13 ’
«sentir qu’il l’a perdue; et nous perdons avec lui les
« espérances de sagesse et de piété qui devoie‘nt faire re
u vivre le règne des meilleurs rois et les anciens jours de '
°«- paix et d’innocence! Arrêtez, grand Dieu! Montrerez
« vous encore votie colère contre l’enfant qui vient de
« naître? _Voulézwous tarir la source de la'race royale?
« et 1e sang de Charlemagne et'de saint Louis, qui ont
« tous combattu pour la gloire de votre nom, est-ilde
«venu pour vous comme le sang d’Achab et de tant de
« rois impiesflont vous exterminiez la postérité? Le glaive
« est encore levé : Dièu est sourd à nos larmes , à la ten
‘« dresse et à la piété de Lo’uis. Cette fleur naissante, dont
« les premiers jours étoient si brillants (i), est moisson
« née; ‘et si la cruelle mort se contente de menacer celui
u qœ' est encore attaché à la mame'lle , ce reste pré
«cieux que Dieu voulôit sauver de tant de pertes, ce.
« n’est que pour finir cette triste et sanglante scène par
- u nous enlever le seul des trois prinCes qui nous restoiv
‘ « encore pour présider à .503 enfance, et le conduire ou
« l’affermir sur le trône" »' .'î‘-: ,
On a ché partout le récit que fait Bosshet de la mort
d’Henüette—Anne d’Angleterrc , épouse de Monsieur, frère
de Louis xiv, etrapfielé l’impression déchirante que produi
sitl'exclamation si simple: fifadame’Ëe meurt!...fifïadame
est morte ! Cette exclamation, échappée aux personnes"
qui entouroient‘ou servoient la princesse mourante-aii
moment où elle expira , remplit bientôt le palais, la cour,
et la ville. Portée dans la chaire sans y rien Changer,
- . o
'I‘
. p .
-(l) Le duc de Bretagne , frère aîné de Louis xv.
_ (a) Louisxv. "', . i ' , ’
u (3) Le duc de Barry , oncle de Louis in.
A - . '
. .
'
. ' 1
. o
".’. * .--— —1 - , __ ,
‘ o
cocus DE‘BBLI.ES ternes.‘ o 245‘
«de leurs opinions, de leurs lois , de leursusage's,de
« leurs maladies , de leurs remèdes, de leurs vertus, et de
a leurs vices. Tout est changé et doit changer encore. Mais
1( les révolutions passées et celles qui doivent suivre ont
« elles été, serout-elles utiles à la nature humaine? L’hom
« me leur devra-t—il un jour plusde tranquillité, de bon
«heur et de plaisir? Son état sera—t—il meilleur, ou ne
« a-t-il que changer ? .» ‘ k ' ,
, 0 Voilà de grandes et importantes questionsl ce sont
celles“que l’auteur_va entreprendre de résoudre dans le
. cours de son ouvrage. Pqùr vous y préparer , ila saisi les
moyens les plus prfisäarit& d’attacher votre attention et
d'intéresser votre cdriosité.‘Vousvoyez d’avance qu’il ne
se contentera pas d'envisager 16 commerce, uniquement
dans ses échangqs‘, et dans les objets infiniment variés
de ces mêmes échanges; il va considérer les effets de
ce_ux-càsurÿÿétat des nations, leurs puissances, leurs ri
che‘ssesÿlfiÿW rÏéçiproques fleurs mœurs. C’est le
flambeau de-la philosophie qu’il veut prendre pour s’é
clairer dans ses recherches, qui embrasserom tç'ut le
globe; et son ouvrage sera à la fois historique, politique
et moral; Son.intçntion est de parler non seulement aux
corfl‘nierçants dont il espère étendre les vues et les spé- '
culatiohs , mais aux rois , aux agens , aux dépositaires de -‘
leur autoritéîgx« peuples en général, et à chaqpehpæp ;
en Je n’envisage cet wvrage que sous un point
particulier. ,_ de vue lit—
. DI‘SPOSI_TIÛN_QRATOIBE.’
il I. ° e
DE LA CONFIRMATION EN GÉNÉRAL.
'\
. I
I I .
" COURS 115 BELLES nanars.
verte d’un voile dans l’Aréopage, et dont il découvrit le
visage à la fin de son plaidoyer, semble prouver que cette
défense fut souvent sujette à des infractions , ou du moins
à des exceptions. La vue d’une femmécélèbre par sa rare'
beauté , qui‘tournoit la tête à toute la jeun esœ athéqienne,
fit sans doute quelque impression sur celle des juges , dont
l’arrêtlui fut favorable; et peut-être , à lahonte des mœurs ,
y a-t-il peu de pays et de tribunaux pù une péroraison de
cette espèce ne produisit un semblable effet.
Tous les maîtres de rhétorique ont recommandé par
tout auxjeunes orateurs la froideur et la circonspection
que la loi presçrivoit à ceux d’Athènes; mais.cela n’a pas
empêché le barreau moderne d’être exposé , comme l’an
c‘ien, au’x surprises et aux séductions de l’éloquence.
Lorsqu’il s’agit d’apprécier la' moralité des actions, d’es
timef= le tort, l’injure et le dommage qui en résultent,
d’en déterminer le degré de malice ou d‘iniquité, de dé
cider si elles méritent indulgence ou rigueur, pardon ou
châtiment, la loi, qui n’a pas‘ tout prévu, et qui ne sw
roit tout prévoir, ne laisse-t-elle pas au. juge le Soin de
juger l’homme, de fermer le livre du Code dont le silence
l’abandonne à son cœur, à'sa raison, et au sentiment?
Sema—"il défendu à l’orateur qui'a de la sensibilité de
' _ . -
. ‘
s’adresser, dans ces 01rc0nstances ,. a celle descnagnstrats
assis sur le tribunal, et à celle de l’auditoire? L’humalité
fait 'la réponse; et la justice mêmeyl’approuve dans tous
-les cas où l’incertitude, tenant la balance égalé,désar;me
sa sévérité , et la fait pencher en faveurde l’indulgence.
Souvent dans les temples on a employé ainsi l’arLde
remuer les ames pourles élever au àessus de la nature
humaine; les arracher , maËré .elles , au}: séductions des
..
, I , '
‘ . - :50 COURS me nanas LETTRES. "
passions, si puissantes, et les faire taire toutes, pouÂne
laisser de pouyoir et d’action qu’à celle qu’on a voulu
' excuer. , - ' ,
v , C’est cet art triomphant que mit en usage Cicéron en
faveur de Ligarius. Enfrainé dans le parti de Pompée, ce
dernier avoit pris part à la guerre civile , et n’ayin obtenu
son pardon de César que sous la condition de ne jamais
reparoître dans Romç. Accusé formellement "par Tuberon;
. pendant qu’on äollicitoit la fin deæson exil, il fut défendu
par Cicéron. César offensé, fier, et tout—puissant , était le
. juge qu’il falloit fléchir : il s’assit'sur son tribunal, déter-. ‘
miné à condamner,let résolu de n’entendre Cicéron que
‘. ' pour la forme. Tout autre prateur autoit cherché a atté
J nuer la faute, et seroit parti de là pour en solliciter et en
( ' obtenir le pardon : sa manière montra plus de franchise
x ' et plus de confiance; il commença par ,avouer le crhne,
et par abandonner le-coupable à la clémence du dictateur.
Cette route, si nouvelle dans une justification , lui fournit
des moyens qui honorent à la fois l’orateur et 'l’éloquexîæe.
' ' 4 Il revient adroitenient à tout ce qui peut rendre Ligarius
excusable; et se plaçant, pour ainsi dire, à côté de lui,
‘.‘ * s’exagérant des_torts qu’il avait eus lui-même et que César
avoit pardonnés, il—présénte _son client comme moins cau—
pable que ne l‘a été son défenseur. Le triomphe de son
' ' éloçænee est attesté par ce mot que l’admiration et cette .
adresse peut-être ah‘achèrent à César : J Cicéron, or! ne
peut te résister .’ - ' ' ' .
.J’ôbserverai en passant 'que ce même Ligarius , de re
tour à Rome, entra-ensuite dans la conspiration qui, en
immôlant César à la épublique qu’il avoit- asservie, ne la
sauva pas des orages de la guefle civile allumée par l’am—
O
. comas on nnu.rs r.nrrnns_. 251
bition , et termiqée , comme toutes celles de cette espèce,“
par l’anéantissement de la liberté 'que la corruption des
Romains ne méritoit plus déconserver. . '
Cette anecdote, qui rappelle un grand événement de
- l’hkfiire , n’est point absolument étrangère ici, où i? est
question d’un des plus Beaux exemples de l’heureux. em
ploi de l’éloquence en général, et de la confirmation en
particulier: ' . . ' .
Quel usageÆicéron n’a-kil pas fait du pathétique en
tonnant à la tribune contre Verres-dont il dénonçoit les
excès et les cruautés! Combien en a—t-il répandu dans le
tableau de la mort de Gavius que ce prêteur injuste et
barbare avoit fait expirer sous les verges! a-t-il de
plus touchant que celui du supplice des deux Philoda
mus? Il fait passer successivement de l’horrèurà l’atten
drissement les ames qu’il a d'aborddéchirées. On voit ces ‘
deux infortunés , insensibles à leurs propres souffrances ,
' ne gémir chacun que sur celles de la victime qui lui est
associée , et que les sentimentsdouk«et sacrés de la nature
lui rendent si chère : le-fils ne sentant que les tourments
de. son père, et le pèré n’éprouvant que ceux de son fils.
A ces esquissesde tableaux j’en joindrai un entier,
bien fait pour émouvoir les antes sensibles qui ne forme
ront qu’un peul‘vœii '.c’est que l’orateuny ait mis plus
d’éloquenqe que de vérité. Mais peut-on douter de la trop
affreuse exactitude de cette dernière Les monstres avides
de pouvoir, et qui ne savent qu’en abuser logsqu’ilÂl’ont
envahi; ces fousïttroces ,' ces lâches furieuxqu’oma vus
si souvent etvpartout se iouer de la vie des hommes, ajou
teraux agonies de la mort, et sourire.amr larmes de l’hu
manité souffrante, en'ont.fotnrni de trop fréquents et de
trogcrttels exemples. ' -' - A .*
252 COURS DE BELLES LETTRES. . '
L'ë“: \ :.
a
DE QUELQUES FORMES
DONT LES PItEUVES SONT SUSCEPTI_ÊLES,
_ ' 'ET DES AUTORITÉS.
. .
' L’ATTENTION de l’orateur ne doit pas se borner à établir
sa proposition par tous les moyens que son esprit peut
lui fournir, il faugaussi qu’elle se porte sur les objections
qu’on lui a faites; qu’elle prévienne même celles qu’on
peut lui faire‘ encore; que son adversaire ne puisse lui
0 poser aucun raisonnement qu’elle ne soit en étut'de
dis’trpire: il ne suffit pas de savoir élever un édifice, il
fautsavdir aussi en renverser un autre. On a eu raison de
le dire , l’orateur doit se considérer avec son adversaire
. comme un athlète en face de son ennemi : tous deux
prêts à lutter l’un contre l’autre, essayant leurs forces ,
les mesurant, tantôt les employant dans tdute leur éten
due, tantôt les suppléant par l’adresse , -et cherchant’à
s’affoiblir mutuellement, chacun épie , pour en Profiter,
le moment où son antagoniste présentera le côté-où il
dirigera le coup décisif qu’il veut lui porter pour s’as
surer la victoire. . ' , I
I
264 couns ne nznmss nanars, *
C’est une imitation deÏorateur de Bonne; mais elle est
peut—être supérieure au modèle : la circônsta.ce de l’ap
plicatioh en faitla différente. Une émeute partielle contre
un particulier puissant qui abusé de son pouvoir ne se
compare pas au mouvement d’une nation entière qui se
soulève contre l’oppression appesantie généralement sur
elle et qui la renVerse. Il faut considérer aussi que l’Amé
riqüe avoit réclamé, et 'que ce ne fut qu’après de longues
et vaines négociations qu’elle recourut aux armes'poup
repousser la tyrannie qu’elle avoit trouvée ’sourde à la
voix dela raison, de la justice , de l'humanité, de la saine
politique même. .
Cette maxime, je le répète, dont on a, de tout temps,
partout, si souvent , si cruellement et si étrangement
abusé, a été érigée en principe dans le Contrat social, par ‘
u'n éCrivahi éloquent; mais il y avoit mis quelques res
trictions que la philosophie, qui n’est autre chose que la
saine raison, deVoit y apporter; car si l’on en exagéroit
l’extension, toutes les foi5,qu’un peuple seroit mécontçut,
ou se jugéroit opprimé, il auroit le. droit de se révol;er.
Alors que seroient les conventions sociales; oùseroitlaur '
stabilité! Il n'y en auroit plus, et l’anarchie les rempla
cercit.flRousseau l’a bien senti, et il l’indique clairement
en se proposant de traiter des engagements réciproques
qu’ont dû prendre les hommes en se réunissant en société.
C’est ce qu’on perd fréquemment de vue en lisant légère
ment, et en regardant comme des conséquences d’un
principe des détails qui n’en découlent pas nécessairement,
et qui souvent ne sont que des accessoires. La précision
rigoureuse de l’exposition de son but ne laisse aucun
4
doute; et ce n’est pas sa faute si l’on exagère et si l’on
. se méprend. . _ - -
-’7m Æ®.t
COURS DE BELLES LETTRES. 265
« L’homme, dit—il, est né libre; et partout, il est dans
« les fers. Tel se croit‘le maître des autres qui ne laisse
.A'aI\ pas d’être plus esclave qu’eux. Comment ce changement
Aa—2
A ‘__àr"_ .,’.à,ï.j
. cocus ne BELLES LETTRES. 267
bornés chacun à son chef—lieu, et au territoire quelque
fois très resserré qui l’environnoit, tous les habitants,
lorsqu’ils étaient convoqués, pouvoicnt se réunir sur la.
place publique; et le,nonîbre de ceux-ci, leurs intérêts
particuliers, l’inégalité_de leurs richesses et de leurs con
ditions, les lumières des uns, l’ignorance des autres,
rendoient souvent ces assemblées tumultueuses et y ré
pandoient la confusion. ’
C’est ce qu’on avu‘ toujours sous cette forme de gou
Vernement; ce qui en avait dégoûté l lupart des peuples
qui vivdient sous d’autres, et ce qui peut-être attachoit
les Grecs au lùi‘HËæS doute il n’étoit pas sans incon:
vénients, mais il a"zoit aussi ses avantages. Les Grecs pen
soient qu’il étoit plu.s aisé à une nation de supporter le
mal qu’elle se faisoit à elle-même, mais qu’elle réparoit
bientôt , que de souffrir celui que lui feroit le pouvoir
absolu d’un seul qu’elle.ne pourroit repousser sans’s’expo
ser à des convulsions terribles. ''
Je terminerai cette petite digression en observant que
dans les grandes républiques , dans celles qui s’étendent
sur un vaste territoire, le peuple, qui ne peut se réunir que
partiellement, ne sauroit délibérer en masse, et est forcé
de le faire pardes représentants chargés de ses pouvoirs‘
et de sa confiance. Ces représentants peuvent abuser quel
quefois des premiers et trahir la dernière; mais leurs
fonctions sont “limitées à un temps; et quand ce_temps
est expiré, il est possible de profiter de l’expérience du
passé, dîapportor plus de prudence et de délibération
dans lés nouveaux choix , et d’en faire de meilleurs.
_Mais on use rarement et on ne peut pas toujours user
de cette ressource, et quoi que l’on fasse, l’unité si essen—
',..,..
I
268 COURS DE BELLES LETTRES. ..
',__.
cocus ne BELLES rennes. 269
sciences , les lettres etles arts; et quelquefois ces grandes
considérations ne faisoient que masquer celle de leur
avantage personnel. De ces vains compliments, infiniment
multipliés et toujours bien reçus parceque la vanité qu’on
encense est trop flattée pour n’être pas très indulgente,
au moins par reconnoissance, aucun n’a ééh1Ï>péà l’oubli
qui les a tous engloutis. °’
funèbres?'toutes les acgtions dé) celËiy qiii en d’ofaisons
Dans unntité d’élo es, de ané ri ues, est l’objet
Q
cou-as n’a BELLES LETTRES. 271
« pensées étoient célestes. Il suffit de lire dans son Téléma
u que la descripfion de l’Elysée pour voir combien il se
« transpprtoit facilement dans un autre ordre de choses.
« Ce morceau est le chef—d’œuvre d’une imagination pas- '
«i‘ sionnée; toutes les expressions semblent au-dessus de
« l’humain : c’est la pèinturç‘du bonheur qui n’appartient
« pas à l’homme terrestre, et qui ne peut.être conçu et
« senfij que par une substance immortelle. En lelisant,on
« est enlevé dans les cieux, et l’on respire en quelque
« sorte l’air de l’immortalité. Ceux qui ont observé que
« l’on a toujours réussi à peindre l’enfer etjamais le pa
« radis n’ont,qu’à jeter les yeux sur l’Elysée du Télé
« maque, et ils feront du moins une exception. »
La louange, je le répète, doit être bien délicate, bien
. /
adr6ite,bien neuve, pour ne pas fatiguer par sa fadeur et
sa monotonie : elledoit surtout être courte. Si quelque—
fois elle ne peut être justifiée que par l’usage, elle peut
toujours être ennoblie. Il faut au moins que, dans ce qui
n'est purement qu’éloge, on ait l’art de glisser quelques
traits qui en diminuent la fadeu’ que l’éloquence seule
ne sauroit faire disparoître. Cicéron en a donné un
exemple dans son Oraison pour Marcellus qui ayant suivi,
comme’Ligarius , le parti de Pompée dans la guerre_civile ,
avoit été e:gilé par César et rappelé à la prière du sénat.
Ce discours étoit consacré par la reconnoisænce à louer
la clémence de César. « La gloire que vous vous êtes ac
.« quise , lui dit Cicéror; en lui adresænt la parole, lorsque
« vous avez rétabli Marcellus, est au dessus de celle que
. «toutes vos victoires ont pu vous mériter; En efl’et,
« d’autres partagent avec vous l’honneur de vos triomphes ;
a mais la clémence est une vertu que vous ne partagez
«’ avec personne. »
'>"2 COURS DE BELLES‘ LETTRES.
DISPOSITION ORATOIRE.
IV.
'DE LA PÉRORAI-SON.
Nous arrivons ’à la dernière partie de la disposition ora—
toire. Elle a son importance comme les précédentes. La
péroraison qui complète le discours en doit réunir tous
les grands effets, pour achever la conviction et fixer,
pour ainsi dire, les passions des juges et des auditeurs
sur le seul point vers lequel on a voulu les diriger. L’o
rateur y résume'quelquefois les principaux objets qu’il
a déjà traités, tantôt avec l’étendue qui leur convient,
tantôt avec rapidité; et alors la précision doit ajouter à
la force. - -
Ce dernier genre de péroraison est celui dont on fait le
plus d’usage au barreau; mais cette forme simple‘ n’est
point étrangère ailleurs. Dans une discussion philoso
phique qui a occupé le lecteur ou l’auditeur, ou même
tous les deux, l’attention a pu ne marcher après l’0ra
teur_, ou l’auteur, qu’avec effort; elle a pu même, en
traînée quelquefois parle charme de l’éloquence ,-s’a rrêter
de préférence sur-quelques parties qui, quoiqu’çlles dé
coulent du sujet, n’ont pas laissé de la dévier en quelque
sorte, parcequ’elle n’a pas toujours bien suivi la chaîne
qui les lié, et dom divers anneaux lui sont échappés.
Alors il n’est pas inutile de se résumer et d’offrir un ta
bleau qui présente en raccourci l’ensemble du discours
et le terme auquel on a voulu arriver.
v
_-'w ‘L_ _
278 COURS un BELLES nurses;
C’est dans la péroraison que l’éloquence doit déployer
toutes ses ressources , et parler également à la raison et au
cœur. Les maîtres de l’art appellent cette dernière partie
du discours oratoire , le siège des sentiments , rades
ajfcctuum. '
Ici , comme dans toutes les divisions de la rhétorique,
je dois présenter moins de règles que d’exemples; c’est
dans ceux-ci que sont renfermées celles-là; si l'on ne les
y découvre pas soi-même, si l’on ne saitpas les y saisir,
on ne les apprendra jamais. J’ai eu l'occasion de citer
plusieurs fois l’éloge de Marc-Aurèle ; la péroraison en
est adressée au fils même de l’empereur: elle est philosœ
phique , majestueuse , inspirée par le sentiment amer et
profond qui pèse sur le cœur d’Apollonius.ll a vu naître
Commode; il en connoît le caractère féroce; il désespère
de porter dans cette ame abjecte et corrompue une
' étincelle de l’élévation de celle de son père, et il tente
encore l’effet d’un dernier effort et d’une dernière leçon.
« Toi qui vas succéder à ce grand homme, 6 fils de
« Marc-Aurèle! ô mon fils! Permets ce nom à un vieil
«lard qui t’a vu naître et qui t’a tenu enfant dans ses
«bras! Songe au fardeau ._que t’ont imposé les dieux;
« songe aux devoirs de celui qui commande , aux droits
« de ceux qui obéissent. Destiné à régner, il faut que tu
« sois ou le plus juste ou le plus coupable des hommes.
« Le fils de Marc-Aurèle aura-t-il à choisir? On te dira
« bientôt que tu es tout-puissant : on te trompera; les
« bornes de ton aùtorité sont dans la loi. On le dira en
« core que tu es grand, que tu es adoré de tes peuples.
« Écoute: quand Néron eut empoisonné son frère, on
« lui dit qu’il avoit sauvé Route; quand il eut égorgé sa
a femme, on loua duant lui sa justice; quand il eut assas
_ —-N'._- ———-—.'-—-——J _,
comas ne BELLËS nanars. 279
-222=ä
:Ê:
:
2: siné sa mère, on baisa sa main parricide , et l’on courut
aux temples remercier les dieux. Ne te laisse pas éblouir
non plus par lès respects. Si tu n’a; des vertus, on le
rendra des hommages , et l’on te haira. Crois-moi: on
n’abuse point les peuples; la ustice outragée veille dans
A tous les cœurs. Maître du monde, tu peux m’ordonner
de mourir, mais non de t’estimer. 0 fils de Marc—AuËèle!
pardonne: je te parle au nom des dieux, au nom de
l’univers qui t’est confié. Je te parle pour le bohheur
des hommes et pour le tien. Non, tu ne seras point
insensible à une gloiresi pure. Je touche au terme de
ma vie; bientôt j’irai rejoindre ton père. Si tu dois
êtrejusæ , puisséfie vivre encore assez pour contempler
tes vertus! Si tu devois un jour.. . . . Tout à coup Com
mode, qui étoit en habit de guerrier, agita sa lance
-. . d'une manière terrible. Tous les Romains pâlirent.
22.—-- Apollonius fut frappé des. malheurs qui menaçoient
Rome. Ce vénérable vieillard se voila le visage. La
2An pompe funèbre qui avait été suspendue reprit sa
Ap—. marche. Le peuple suivit consterné dans un profond
silence. Il venait d’apprendre que Marc-Aurèle étoit
tout entier dans le tombeau. »
Le tableau qui semble interrompre cette péroraison,
et qui la continue réellement parçequ’il termine la des..
cription du lieu de la scène choisi par l’auteur, est du
plus superbe effet dramatique ; et_le mouvement de Com—
mode , la consternation des Romains , leur douleur
muette , le convoi reprenant sa marche au milieu d’un
profond'et morne silence; tout cela devient à la fois tou
chant et terrible.
La nature du discours varie le ton de la péroraison ,
comme elle varie celui de toutes les autres parties. Quel
280 COURS DE BELLES LETTRES.’
quefois celle—ci n’est que véhémente, selon la circon
stance, le caractère de celui qui parle , et suivant l’audi
toire même dev’axg lequel il se trouve. Le bouillant et
violent Ajax disputant les armes du plus vaillant des
Grecs devant des guerriers tant de fois témoins de. ses
exploits et de son courage zpersuadé qu’elles doivent être
le prix de ses grandes actions , ne soupçonne pas qu’on
puisse les lui refuser; sa fierté dédaigne de les devoir à
_l'éloqixence. Ce don précieux, mais futile à ses yeux, est
le principal mérite de son rival ; et c’est une raison pour
lui de le mépriser. a Qu’est-il besoin de tant de paroles?
« dit—il en terminant son discours. Que l’on nous re
« garde agir; qu’on jette ces armes au_milieu d’une foule
« d’ennemis; qu’on nous ordonne de les aller chercher ;,
w et qu’elles soient la récompense de celui qui les rap
(( portera. » '
Ce ton fier en impose ordinairement , mais l’effet du
pathétique est toujours plus sûr ; lorsque l’on est touché,
on est séduit.et l’on est facilement entraîné: aussi dans
bien des circonstances; ce ressort est-il un des plus puis—
sants de la péroraison. Personne ne le mania avec plus
d’adresse que Cicéron. Dans les causes où plusieurs ora- .
teurs, comme c’étoit quelquefois l’usage, étoient chargés
_de parler pour la même personne, on lui confiait tou
jours la partie consacrée à toucher : l'intérêt qu’il prenait .
à ses clients l’identifioit , pour ainsi dire , avec eux. Dans
cette situation , sa sensibilité se déployoit avec plus de ’
force et de naturel; et selon le précepte d’Horace, s’il
faisoit pleurer son auditoire , c’est qu’il pleuioit lui
même. « Je finis , dit—il en terminant son plaidoyer pour
« Milon, je finis : mon émotion étouffe ma voix ; je ne
« pourrois plus vous parler que par mes larmes; et il
COURS DE BELLES LETTRES. .8!
-r— ‘
w—- _)""‘" _ ‘_’_"_J, <
,COURS DE BELLES LETTRES. 285
« de votre sang. Après tout, que pourroit ajouter l’élo
« quepce à ce sacrifice si grand et si extraordinaire? Votre
' « mémoire subsistera plus long-temps que l’empire des
«Perses auquel vous avez résisté; et jusqu’à la fin des
'« siècles votre exemple.produira dans les cœurs qui ché
’« rissent leur patrie le recueillement ou l’enthousiasme
« de l’admiration. »
En parlant des Lacédémoniens, je dois dire un mot de
ce qu’étoit chez eux l’éloquence. Ils la cultivoient peu:
leur dédain étoit extrême pour la rhétorique; et ils firent
punir», comme un homme qui vouloit les tromper, un de
0
leurs concitoyens qui, pendant un long séjour qu’il avoit
fait à Athènes, s’étant exercé à l’art de la parole, crut
pouvdir_ le rapporter dans sa patrie. Ils n’auroient pas
goûté les sublimes harangues des orateurs. athéniens:
Quand les habitants d’une île de la mer Égée éprouvant
les horreurs de la famine , leur envoyèrent demander des
subsistances , leur député prononça un beau discours au—
quel ils répondirent: Nous avons oublié. le commence—
ment de votre harangue, et nous n’en avons pas com
pris la fin. Un autre ambassadeur arriva bientôt, et pré
senta un sac vide : on ordonna sur-le-champ de faire
passer des graips dans l’île; cependant on avertit l’en-.
voyé d’être un peu moins prolixe une autre fois, parce
qu’en montrant le sac il avbit dit: Nous nous prions de
le remplir. '
Une précision énergique vaut sans doute toutes les
fleurs , et c’eSt de là que cette extrême épargne de paroles
_ qui, sans nuire au sens, y ajoute au contraire, prit dans
la Grèce le nom de laconisme; expression que toutes nos,
langues modernes ont adoptée sans y rien changer que
la terminaison.
286 . covns DE BELLES nrrrnns
’ Chez un peuple de ce caractère, l’éloquence peu ho—
'norée ne dut pas être fort cultivée : elle ne devoit pas
cependant lui être tout à fait étrangère , puisqu'il faisoit
faire tous les ans l’oraison funèbre de Pausanias qui,
pendant la guerre du Péloponèse, avoit soutenu en Ma
cédoine la gloire de sa patrie, et celle de Léonidas qui
étoit mort aux Thermopyles. Les Athéniens eux-mêmes,
dit Thucydide , trouvaient le Spartiate Brasidas éloquent;
mais il ne nous reste rien de lui ni de ceux de ses com
patriotes qui ont pu se distinguer à la tribune. Ainsi,
sans nous arrêter à ce que fut l’éloquence à Lacédêmone,
qui ne nous en a laissé aucun monument d’après lequel
nous puissions la juger, nous suivrons la marche de la
Péroraison. '.
- Nous avons vu de quelle variété elle étoit susceptible :
nous aurions pu multiplier}: l’infini les exemples qui nous
la montrent tantôt sim'ple, froide, tranquille , et raison
née; tantôt tendre , touchante, et pathétique; quelquefois
ingénieuse et fine; d'autres fois, passionnée, véhémente,
et rapide. Partout elle tient à la_nature du discours, à son
objet, à son importance, à la circonstance, au caractère
même de l’orateur et de son auditoire.
Fréquemment elle est sortie des bornes que la sagesse,
la délicatesse , les égards réciproques que l’on se doit dans
la société, la décence même, prescrivent à tous lesécri
vains. Plusieurs fois un homme , passionné pour son client,
pour son parti, pour son opinion , s’est écarté des lois de
la convenance et de la bienséance sociixles : après avoir
conçu chaudement, il s’est mépris dans l’eguêcution , et a
mis de la violence où il ne croyoit mettre que de la véhé
mence, et trop souvent il a cherché à remplacer celle-ci
par celle-là. '
. cbuas ne BELLES LETTRES. ' 287,
A votre âge, il est aisé de se laisser surprendre; et un
homme qui aura de l’adresse , de l’esprit, de l'énergie, de
l’éloquence , pourra fort bien éblouir un instant , faire
prendre l’injure pour le raisonnement, l’emportement
pour la chaleur. Quelques observations à cet égard sont
peut-être nécessaires, et sûrement ne seront pas in
utiles. .
Le but de l'orateur doit être le triomphe de la vérité:
il ne doit donc se permettre qu’un langage digne d’elle.
Il faut se dépouiller de ses propres passions pour venir
à bout de celles des autres; se bien garder de les irriter
si l’on veut_ se faire écouter; raisonner et ne point insul
ter; n’être point l’ennemi de ses adversaires; et ne pas
les regarder non. plus comme ses ennemis. Ces distinc
tions n’ont pas toujours été faites, ni les réflexions qui
en résultent prises en considération; et beaucoup de pé
v raraisans , de discours entiers même, n’ont été segment
que des diatribes violentes, faites pour aigrir les esprits,
et souffler partout le feu de la discorde.
On n’a vu que trop fréquemment les orateurs se désho
iwrer à la tribune, êt les écrivains dans le cabinet vomir
le fiel sur tous les partis qui n’étaient pas les leugsj sur
toutes les apinionsäqn’ils ne partageaient pas, et surçeux '
qui les soutenaient; foinenter ainsi les haines, échaèffer
les passions, multiplier les factions opp‘osées, les exaspé
rer les unes cantre les autres, épaissir les nuages, appeler '
les tempêtes , les grossir, ajouter à leur fureur, prolonger
leurs dévastations, et s’en réjouir.
Les déclamations virulentes ne doivent être permises
ni à la tribune, ni dans les écrits. Si elles peuvent être
souffertes quelquefois dans le genre délibératif, c’est quand
elles sont générales , qu’elles ne tambent point sur l’indi—
288 cocus DE nnîm.ns LETTRES. o
vidu, et qu’elles n’attaquent que le crime à qui l'on ne
doit aucun ménagement : ce n’est plus alors l’invective
ou l’injure, c’est l’indignation de l’ame vertueuse contre
la’scélératesse; et elle produit de beaux mouvements , que
la justice et la raison approuvent , et que la politesse
même n’exclut pas. Dans ces occasions , un orateur peut se
permettre ces fiers élans qui, s’ils ne portent pas les remords
dans les amas de boue et de sang, y partent du moins
l’épouvante : il peut ainsi marquer à jamais du sceau de
l’infamiè le crime et les criminels qu’il voue à l’exécra
tion publique; c’est la massue d’Hercule terrassantle lion
qui rugit en regardant avec une fureur redoublée par
son impuissance même sa proie qui lui échappe; c’est
enfin le tombeau d’un régime affreux.qui n’en sortira
plus. ,
L’ame fière et sensible, vivement blessée de l’injustice,
se croyant outragée dans ses sentiments, ses principes et
ses opinions, réduite à les justifier aux yeux de l’homme
qui les attaque , et à ceux du public auquel ils ont été dé
noncés, prendra difficilement un ton qui ne rentre pa_s
quelquefois dans celui du reproché et de l’indignation.
On le pardonnera si l’adversaire, puissant par la naissance,
la fortune et les dignités qui en imposent, a employé des
qualifications que l’écrivain qu’il combat a le droit de
trouyer injurieuses; mais il faut, pour mériter cette in
dulgence, que celui-ci n’imite pas celui-là; qu’il» reste
dans les bornes de la modération; qu’il ne se permette
pas l'injure : avec ce ménagement, il pourra s’élever peut
être, non seulement au niveau, mais encore au dessus du
rang de celui contre lequel il se défend. Il mettra de la na
blesse et de la dignité dans sa justification. Plus il se croira
insulté, moins il insultera lui-même; et, qu’il ait tort ou
cours ne BELLES LETTRES. 289
raison , quelle que soit l’issue de la dispute, il n’en sortira
point sans'gloire; la sienne pourra même être alitdessus
de celle triomphe de 50n rival. C’est ce qui est arrivé à
Bonsseaii dans sa Réponse au Man dement publié par l’ar
chevêque de Paris contre sop Émile , qui fut proscrit par
tout loysqu’il parut, et qui le fut en France par toutes les
autorités à la fois, la civile et la religieuse.
Il convient peut—être de rappeler encore ici , pour quel
ques personnes , que, selon mon plan de choisir mes
exemples partout où ils se trouvent, je n’exclus aucun
des ouvrages qui peuvent en présenter de bons et de
propres à former le goût; que je ne les envisage qu’en
littérateur; que, pour me servir d’une expression deve
nue triviale par l’usage et l’abus qu’enfirent long-temps
les jansénistes et les molinistes , repoussée depuis lors
par tous les écrivains, je ne les considère que quant à la
forme; et_fnon quant au fond ,- que, dans cette contro
verse et les productian auxquelles elle donna lieu, il ne
s’agit pas de juger de quel oôtéfigq trouve la raison ou le
tort; qu’il est question seulement d’offrir un exemple de
l’art avec lequel on peut, même en ayant tort, si l’on
veut, Se donner les apparehées de.la raison , et battre
complètement par l’éloquence celui qui croit avoir battu
par la vérité. -€T ' _l -_ï_ _g,çwâfis' ,
Rousseau, après avoir” byé' la diàlœâMä plus
adroite pour détruire les raisonnemeñ ts de son adversaire,
et avoir en effet prouvé qu’il étoit bien plus éloquent,
termine par un morceau que je cite d’autant plus volon
tiers que , quoique fier et annongæint trop peut-être la con
fiance et la certitude du succès , il est étranger aux discus
sions théologiques qui le précèdent, et qu’il rentre tout
a. 19
'c -‘.
_/_Ï'\u_
l
u tais. » . '
C’est par de pareils mouvements , mais toujours calqués
sur l’objet général et sur le ton du discours que, dans
presque tous les genres , la péroraison doit remplir le but
décisif de faire naître l’espérance ou la confiance, d’in
_spirer la crainte, ou de jeter le trouble et l’effroi dans les
cœurs. Dans un panégyriqpe où l’on ne se propose que de
faire aimer les vertus, admirer ceux qu’elles ont distingués ,
' de les offrir à l’imitation, la Péroràison doit être conçue
de manière à inspirer ces sentiments. Cette forme n’estpas
uniquement bornée aux éloges des saints; elle peut être
admise dans les éloges profanes : il n’y a que les nuances
qui la varient dans les uns et dans les autres. On peut en
voir un exemple dans la Péroraison de celui de Sully. Il
étoit protestant ; mais il fut en même temps un grand mi—
nistre et un grand homme d’état; et par une réunion assez
-rare peut-être dans les hommes revêtus de ces places émi—
nentes, il eut de grandes vertus publiques et privées,
portées dans la pratique à ce degré de'sévérité qu’on
nous fait admirer dans les saints; et il les fit tourner il l’a
vantage de son pays. L’orateur a pu dire que le ministre
qui le prendra pour modèle aura, comme lui, le suf
frage des wrais citoyens , l'admiration. des grandes
amas, le témoignage de son cœur, les éloges de la pas
tén’te', et le regard de Dieu. - ’
. Quelquefois la Pérôrai50n est terminée par une prière,
e
'
99’! COURS DE BELLES LETTRES.
ABÏ‘ORATOIRE
C
RH ÉTORIQU E.
TROISIÈME PARTIE._
DE L’ÉLOCUTION.
. ' I.
VUES GÉNÉRALES
1er leurs plongeurs. Couché sur des charbons ardents avec '
\
-—-—
\ Conns ne BELLES LETTRES. 301
dent qui lui demanda s’il' étoit vrai qu’il en eût agi ainsi
avec le prétendant : Faites vous-même ma réponse, ré
pliqua-t-il froidement. Quel est celui d’entre vous qui eût
eu la ldchete' de mériter le prix proposé par le gouver
nement, et de devenir son délateur et son assassin .’
L’accusateur public baissa les ‘yeux , les juges se turent,
se regardèrent , et levèrent la séance.
La simplicité de l’expression ne fait donc rien perdre
au sublime. Le véritable et le. seul mérite de celle-ci est
de ne point l’affdiblir ; elle n’y ajoute pas: C’est de lui ,
quand elle est bien choisie , qu’elle reçoit toute sa force.
Quand Bossuet peint les progrès de l’idolâtrie sur la
terre , et termine son tableau par cette phraseaussi courte
qu’énergique ; Tout était Dieu , excepté Dieu' même ;
ce qui la précède, la prépare , et peut ajouter à.l’effet sans
ajouter à la pensée. Mais ni les expressions , ni les figures
ne suppléent le sublime où il n’est pas. Lucain voulut
l’être en comparant Pompée et César. Il crut exalter le
premier et rabaisser le second , en disant :
Victrix causa Diis'placuit , sed m‘cta Catam’.
:
ll ;‘_.. --—æ-‘...,
\ I
(x) Respicite volatilia cœli quæ non serùnt, neque metnnt, neque
congregant in horreà; et Pater cœlestis pascit illa. Math. cap. 6
vers. 26.
“'3‘.—
WW
r\.V\ ‘“w‘W W\W\ unww\m \\va\ w“ “\\“\\1“swv
- ELOCUTION.
II.
0
DE L’HARMONIE.
L’Humomn fait le charme de l’éloquence, comme celui
de la pbésie : ni l’une, ni l’autre ne peut exister sans elle.
Elle est à la fois, comme nous l’avons dit, le résu_ltat du
choix heureux et de l’arrangement des pensées, et des
mots dont on se sert pour les exprimer. On ne peut l’ob
tenir qu’aVec des soins et une_ attention qui ne sont pas
l’art le moins intéressant de l’Elocution.
Dans t0utes les langues, il y a des sons rudesbudoux,
graves ou aigus,'longs ou brefs. L’art est de les mettre
chacun à sa place , pour éviter les dissonnances, et de tirer
de leur accord une variété et une harmonie dont l’esprit ’
. et l’oreille soient toujours satisfaits; ce sont eux que l'on
doit consulter : l’un et l’autre s’alignent, pour ainsi dire,
et s’ajustent au moment où la phrase commence pour faire
cadrer la pensée avec l’expression , et les conduire toutes
deux à une chute commune qui les termine d’une façon
convenable.
Gardez qu’une voyelle, à courir tr0p hâtée,
Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée.
Ici Boile_au, sans manquer aux règles de la versification,
a trouvé l’art de joindre l‘exemple de l'hiatus au précepte
qui le proscrit. Le p final, dans le m0hosÿllabe trop, qui
ne se fait point sentir devant une consonne où il rendroit
la prononciation dure et barbare, se lie 'à la voyelle qui
le suit. On dit ira-lent, tro—p-impafient. Dans le vers, il
318 COURS DE BELLES LETTRES.
M;':m
‘s
s
fia,“ u
328 coins DE BELLES LETTRES.
convient 2_. la Mollésse; et le foible effort qu’elle semble
faire à la fin vers un mouvemth plus rapide, cessant au
moment même , fait ressortir encore davantage le, tableau
de lai marche lente et pesante du bœuf. _
La manière dont le poète termine ce discours nous
fournit un autre exemple, peut-être supérieur au précé—
dent et à tout ce que notre langue ’offre. dans ce genre.
_ t. 'I.a Mollrsse oppressée '
Dans sa bouche, à ce mot . sent sa langue glaçée; c
Et lasse de parler, succombant sous l’effort,
Soupire , étend les-bras, fern“œil et s’endort. '.
c l . '
330 cocus na quitus LETTRES:
niveau du sujet, et qu’il est susceptible de tous les orne
ments que celui—ci com orte. -. :tm
Celui de l’orateur doit être serré ; et cette qualité n’exclut
point l’abondance. C’étoit le caractère du style de Démas
thènes. Il ne consiste pas à épargner les mots. Tous ceux
qui servent à mettre chaque idée à sa véritable place, à
la menthe par l'expression qui lui est propre; tous ceux
qu’on ne peut retrancher sans omettre des idées intermé
diaires qui modifient ou développent les .priucipales' ,
et que l’auditeur ou le lecteur ne peut suppléer sur-le
champ, sont des mots nécessaires. En suivant l’ordre des
idées sans lequel il n’y a point de clarté, en les exprimant
comme elles doivent êtœ exprimées, on évitera la confu—
sion, les répétitions, les circonlocutions oiseu_ses, et le
style réunira le double avantage d’être concis sans être
obscur et développé sans être lâche. ’
a Pour bien écrire, dit Buffon dont on ne sauroit trop
« méditer les conseils, il faut posséder pleinement son
« sujet; il faut y réfléchir assez pour voir clairement
« l’ordre de ses pensées et en former une suite, une chaîne
« continue dont chaque_point représente une idée; et
u lorsqu’oxi aura pris la plume, il faudra la conduire suç
« ce'ssivement sur ce premier trait , sans lui permettre de
a s’en écarter, sans l’appuyer trop inégalement ; sans lui
a donner d’autre mouvement que celui qui sera déter
« miné par l’espaee qu'elle doit parcourir. C’est en cela
« que consiste la sévérité du style; c’est aussi ce qui en fera
« l’unité et ce qtîi en réglera la rapidité; (! cela seul aussi
« sûffira,‘ pour le rendre précis et simple, égal et clair,
« vif et suivi. A cette première. règle dictée Par le'génie ,
« si l’on joint delîdélicateSse et du goût , du scrupqle‘sur
u le droix des expressions , de l’attention à ne nomme:
covns DE anu.r.s 1.rrrnns. 331
a les choses que par les termes les plus généraux , le style
« aura de la noblesse. Si l’on yjoint encore de la défiance
« pour son premier mouvement, du mépris pour tout ce
« qui n’est que brillant , et une répugnance constante pour
« l’équivoque et la plaisanterie, le style aura de la gravité , '
« il aura même de la majesté. Enfin , si l’on écrit comme
« l’on pense, et si l’on est convaincu de ce que l’on veut;
« persuader, cette bonne foi avec soimnême qui fait la
« bienséance pour les autres et la vérité du style, lui fera
« produire tout son effet, pourvu que cette persuasion
« intérieure ne se marque pas par un enthousiasme trop
« fort, et qu’il y ait plus de candeur que de confiance ,
a plus de raison que de chaleur. »
Ceux qui disent que la concision est incompatible avec
l’éloquence n’ont qu’à lire les harangues de Tacite, ils
seront bientôt détrompés. Celle qui le caractérise , sans
faire perdre rién de son nombre au-style de ses discours,
ajoute au contraire à l’harmonie de la période dont il est
à propos de dpnner ici quelques détails, .
Aristote la définit un petit discours qui a un commen
cement, un milieu, une fin qu’on peut embrasser tout à
la fois. Elle est simple ou composée. Dans le premier cas,
c’est une seule proposition; dans le second, c’est une—
phrase composée de plusieurs, liées ensemble par le sens
et par l’har_monie. Ces petites phrases correspondant les
unes aux autres pour former un tout ou un corps s'ap n
,v«<r
334 COURS 'DE BELLES LETTRES,
Je dirai encore un mot de la période croisée; après
quoi jelaisserai toutes ces divisions, la plupart inutiles,
souvent ridicules, dont toutes les rhétoriques-sont sur
chargées, que le génie emploie et varie selon l’inspira- '
tion du moment , et qu’il ne trouveroit pas s’il alloit con
sulter les règles. La'période croisée est celle dans la
disposition des membres est telle qu’elle peut être chÏbgéa‘
sans altérer le sens , ni quelquefois l’harmonie. Un exemple
en donnera l’idée, et c’est tout ce qu’il faut. -
« Plus grande ,,dit Fléchier, dans le dépouillement de
« sa grandeur, et plus glorieuse lqrsque entourée de
’ « pauvres, de malades et de malheureux; elle participait-à
« l’humilité et à la patience de Jésus-Christ, que}qrsqne
« entre-deux haies de troupes victorieuses, dans un char
« brillant et 'pompeux, elle pren'oit part aux triomphes et
« à la gloire de son.époux. » _ .-,;:g>,,
. Il n’est pas inutile d’observer encore en passant ;’ et je
ne l’ai cité que pour celaçque cet exemple n’est pas-un
. modèle. Comme je l’ai remarqué déjà, la figure favorite
de Fléchier était l’antithèse , qui consiste dans une oppo
sition de mots ou d’idées dont la nouveauté éblouit, et
dont la fréquence fatigue. En attendant que j’entre dans
des détails sur les ornements du style, je dirai ici un mot
de celui-ci. -
L’antithèse est toujous bien placée dans un badinage,
un‘jeu de société, un ouvrage léger. Si elle paroît dans
une production grave, elle doit s’y trouver rarement, et
su ut en prendre le_ton. C’est ainsi que Voltaire peint
ce fameux Joyeuse qui quitta le monde pour se faire ca
pucin, jeta bientôt le froc pour rentrer dans le monde
qu’il ne tarda pas d‘abandonner de nouveau pour re
pr’endréson capuchqfl.
cocus DE BELLES LETTRES. O 335
'
p
336 ’ COURS .DE D‘ELLE} LETTRES.
‘.
340 .couns ne BELLES L'zr'rnns. ‘ .
rapidité, quelque fois même plus d’éclat , il a moins d'har
monie que le périodique , qui a l’avantage de tenir l’esprit
en suspens. Celui-ci se trouvant en quelque sorte engagé
dès que la période est commencée, est forcé de suivre
jusqu’à la fin, sans quoi il perdroit le fruit de l’attention
qu’il a donnée aux premiers, mots; elle le tient réveillé et
comme en haleine. Le style coupe au contraire-fatigue
touj0urs lorsqu’il est seul; et après la lecture dequelques
pages, ou est forcé de s’arrêter, en quelque manièrç es
soufflé comme si l’on avoit couru. La réunion de ces deux
'. styles peut donc non seulementles soutenir l’un et l’autre,
mais en même temps varier le ton général du discours.
“www w“wwwmmw“a wssmwmm
O
'ÉLOCUTION.
' m. _ ‘ .
DU STYLE,FIGURÉ. - ,
DE l’harmonie particulière de chaque période dépend
l’harmonie générale du discours. Pour l’établir, on ne
sauroit donc éviter avec tr0p de soin la diÿsconvenanc‘e
\ des mots'dont se composent les membres d’une période, \
l“ ni apporter trop d’attention‘à cônserver l’analogie entre ’
eux. Quand les idées que vous_ voulez rassembler n’ont
aucun rapport entre elles , vous détourncz l’intention qui
ne vpus suit plus, ou qui, si elle fait effort pour vous \
accompagner , est tout étonnée de vous voir arriver à
un terme auquel ne cbnduisoit pas le chemin que vous_
avez pris. Ce défaut de rapport pouvant se trouver éga
lement entre les idées et’entre les mOts , l‘analogie est ou
‘figuréè ou grammaticale. Quelques exemples le feront
mieux sentir; ' ' _ e .
Prends ta foudre, Louis, et va comme un lion, etc‘
.-...-__ÿ_ « _ , ,
comas DE n’anuss narrans. 343
que nous avons faites. Au reste ceci ne regarde que
l’exactitude et la correction ; la pensée est commune , et
l’expression originale est incorrecte. ’
Cette dernière l‘est aussi dans ces vers de la belle ré
ponse d’Omar à Zopire que j’ai citée précédemment. .
'- . I
A tes viles grandeurs ton ame accoutumée
Juge ainsi du mérite et pèse les humains ' _ .
'Au poids que la fortune avait mis dans tes mains!
t
Les verbes juge et pèse au présent exigent le même
temps pour le verbe du‘dernier vers; et il fallait .- du
poids que “la fortune à mis dans tes mains. *
Toutes ces observations, néceflaires à la clarté du dis—
, cours, ne Le sont pas moins à la justesse qui est difficile—‘
' ment dans les pensées lorsqu’elle n’est pas dans les ex
' pressions. Je les termineraLpar une courte explication
de ce qu’on entend par ce mot.
’ Justesse se dit au figuré en matière de langage , de peu
sée, d’esprit, de goût et de sentiment. L’exactitude, la ré
gularité, la. précision , la caractérisent.
La justesse du.langage consiste à s’exprimer en termes
propres, choisis ét‘liés ensemble_, qui ne disent ni trop,
ni trop peu. Cène justesse‘ etçrême est ‘ indispensable
dans les sciences exactes; mais daris celles de l’imagina—
tiou, a elle émir trop rigoureuse , elle a4‘fqibliroit 1g
pensées,-refroidiroit l’esprit et dessécheroit.le discours.
Une délicatesse eXcessive seroit nie servitude qui he-lais
serait rien de libœ et de brillant. Le génie peut s’en af
franchir quelquefois ,i mais'a10rs le goût doit le diriger. ‘
Le pied, débarrassé dés entraves qui gên0ient ses pas , en
formera de dégagés et de‘rapides; mais s’il les allonge
. .
x . . ' . _ .
346 * connsmn neuÆs unrnes.
trop , ils seront lents et contraints; il perdra l’aplomb qui
les rend sûrs , il chancellera , ‘s’agitera.beaucœp et n’a
vancera point. ‘ . '
LaJustesse de la pensée consiste dans la vérité et dans
la parfaite convenance avec le sujet: c’est ce qui fait la
beauté du discours. La pensée est plus ou moins belle,
selon qu’elle est plus ou moins confornie à son objet;
et. elle n’est juste _ que lorsque cette conformité est
entière.‘ 4
Dès que la justesse manqué à la pensée ,' celle-ci est
fausse; quelquefois elle ne l’est devenue que par le vice
de l’expression. Tous les.mots qui passent-pour syno
nymes ne le sont pas t.1jours ; la circonstance où on les
t emploie , ceux avec lesquels on les allie, varient leur si—
gnification et y jettent des nuances plus ou»_moins sen-‘
sibles que l’attention doit chercher à saisir. Ce passage de ‘
. Bossuet présente un exemple d’un défaut de cette atten—
tion échappé à ce grand écrivain. « Cette coutume (celle
« des Égyptiens qui jugeoient leurs rois après leur mort)
« faisoit entendre ’à ceux-ci que si leur majesté les met
« au‘dessus desjugements des hommes, ils y reviennent
« enfin quand la mort les a égalés aux autres hommes. »
Revênz'rqauxjugementäestà la fois une expression irqpro
Pre et une tournure in'correcte.Egnlerne se (lit guère qu’en
emontant au dessus de soi, et non en descendanrau des—
_sous. On peut vouloir égaler un grand,home personne
ne se Soucie d’égaler pn personnage odieux ou simple—
ment ordinaire. « Osez, dit_ Ilo’usseæi, confesser Dieu
« chez les philosophes; osez prêcher l'humanité aux in
« tolérants, vous serez seul de votre parti peut-être; mais
. .« vous porter_ez en vous un témoignage qui vous dispen.
« 36132 de celui des hommes. »' o "
.COURS DE BELLES LETTRES. 947
On peut être dispensé de faire quelque chose; ce mot
, peut prendre aussi la signification de distribuer : on dis—
pense la gloire ,- mais peut-il remplacer exactement tenir
lieu , dédommager, etc. _
On vous dira que souvent en vœ la gêne de la rime
ou de la mesure fait laisser le mot propre qui ne peut
s'y adapter, pour en prendrepn autre que toutes les
convenances repoussent ï c’est ce qu’on voit fréquem
ment en effet dans les poètes médiopres , mais rarement
dans lesbons , et plus rarement encore dans les excellents.
La justesse d’esprit et de goût est un don de la nature;
mais si l’on ne peut l’acquérir, on peut en développer le
germe quand on l’a, le perféctionner par l’entrêtien des
personnes éclairées et par la lecture des écrivains aux
quels elle a fait cet heureux présent. ’
Nous avons vu que la précision, loin de nuire à l’élo
quence , lui prêtbit uræ’nquvelle 'mergie ; la diffusionau
contraire l’effoiblit ét l’étouffe ordinaipement; elle nuit
presque autant à la clarté qu’une extrême concision entre
des mains qui ne savent pas l’emplbyer. C’est ici qu’il faut
prendre toujours le chemin le plus court, et savoir le
rendre.aisé lorsqu’il est difficile, pour arriver agréable—
ment-et sûrement au but. L’auteur qui prend le plus long
\ est sujet à s’égarer sur la route , à cueilär souvent des
fleurs d’une odeur fade ou d'un Coloris terne, lorsqu'il ’
ne les choisit pas ou qu‘ilen ramasse trop, à-se reposer
quand il faudroif marcher , à arriver tard, et à s’être
inutilement fatigué ainsi que ses auditeurs.
La manière dont on epseiguoit la rhétorique dans nos
anciens colléges où l’on émit accoutumé à prendre tou_—
jours le plus long chemin éfoiït, plus que tout autre chose
propre à‘empêcher les jeunes gens d’en cpnnoitre jamais
343 comas nia rennes rÆrrnes.
un meilleur. On les menait a l’éloquence par desampli—E
fications. On leur apprenoit à délayer deux ou trois pan,
sées en autant de mots qu’ils pouvoient, àles noyer dans
un déluge de périodes; pendant qu’il auroit fallu leur
montrer l'art de rescrrer leurs idées, sans nuire à leur
clarté. Au lieu de les habituer à dire beaucoup en peu de
mots , on les exerçoit à‘ faire précisément le contraire.
Il sortoit des leçons qu’on y donnoit , celui qui disoit à
un ami qu’il reucomroit :‘ « J’ai été ce matin chez toi;
« j’ai trouvé ton doinestique : je lui ai demarflé si on
« pouvoit te voir; il m’a répondu que tu étois sorti. )) Il
auroit été plus simple et mieux de dire : J’ai passé chez
toi, etje ne t’ai pas'tr‘0uoé. ' '
.-. Cette loquacité , que j’ai entendu appeler abondance ,
étoit le résultat de ces exercices nommés chries, dont
on fatiguuit de mon temps les élèves. Elles consistoient à
commenter un mot amteneiçux ,un fût mémorable. Je
me rappelle d’avoir passé une aprèsänidi entière à gâter ,
ainsi que mes jeunes 'camarades , ce beau mot: Répond;
au sénat_de Rame que tu as vu dlan'us assis sur les
ruines de L‘arthagex C’était le texte d’une chrie que l’on
ndus avoitd0nnéç. Qui ne vpit: que ce mot seul valoit
mieux que tous les discours? r , '
'çgü_Sans m’appsantir avec les faiseurs de rhétorique? sur
. toutes les'parties qu'ils se sont empressés d’enfermerdans
leurs méthodes , je me bornerai à dire que l'amplification
agrandit ou diminue les objets : lorsqu’elle les agrandit,
elle ne doit point. les e;agérer;.elleleur donne une’va
leur réelle et non une valeur fictive; elle ne dit donc
que ce .qu’elle doit-dire; et quand on dit_tout ce qu’il
faut, on n'amplifie pas. .. '
Les sermonspe sont bien souvent que des chries ; mais
‘
. /
350 couns ne BELLES LETTRES.
succès de ce général , de la rapidité avec laquelle il a dis
sipé toutes les armées lignées contre la France. L’espiit
plein des triomphes deœtte dernière et des projets vastes
et déconcertés de ses ennemis, il fait une apostrophe qui
convient parfaitement à la situation de son ame , à.celle
des choses. ‘ ’
u Villes que nos ennemis s’étoient déjà partagées , vous
« êtes encore dans le sein de cet empire! Provinces qu’ils
« avoientdéjà ravagées dans le desir et dans la pensée, vous
« avez‘ encore recueilli vos moissons! Vous durci encore
« pla'ces que la nature et l’art ont fortifiées ,‘et qu’ils
« avoient dessein de démolir ! Et vous n’avez tremblé que
« sous des projets frivoles d’un vainqueur en idée, qui
« comptoit le nombre de nos soldats et qui nesongeoit _
a pas à la sagesse de"leur capitaine. » s '
Nous avons déjà observé que rien n’étoit plus' com
mun que 'le langage.figuré. Semblables au Bourgeois
gentilliomme qui faisoit de la prose sans le savoir, nous
le parlons tous et tous les jours. ' _ '
Il est tout simple que nous appliquions les mots dont
'nous nous servons pour exprimer les objets qui frappent
nos sens, l’action dès facultés de l’ame. L'esprit «donc
tourné comme la tête; il s’est appesanti, il a langui, il a
souffert comme le corps. On n’auroit pu rendre ses di
vers états, si l’on ne les avoit comparés à ceux que la
machine qu'il anime éprouvé si souvent. . >
_ Le langage d’action a donc toujours été joint aux sons
articulés , et l’écriture n’a été composée d’abord‘que d'_i
mages sensibles ; elle commença par être hiéroglyphique,
et contribua nécessairement à tendre le langage encore
’ _plus figuré. En parlant de la chose, il était naturel de
se‘ servir du sÿmbole par lequel on l’avoit désignée aux
’|
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’?’æ:“ïw“'——n
"— “”‘\ | «en—
2332 cocus DE saunas LET“RES.
ardente des peuples 'de ces contrées que le soleil échauer
et éclaire de plus près, réalisant ce qu’ellepe voit pas,
rapprochant ce qui est éloigné, compare entre eux tous
les objets de la nature, y voit’souvent des ressemblances
qui. nous échappent, et les applique à l’expression de ,
toutes les affections morales. C’est par là qu’elle varie les
constructions et.les tournures de ses phrases et de ses
discours, qu’elle en détruit la monotonie, qu’elle peint
en quelque sorte par la parole, et que celle—ci se faisant
entendre à la fois à l’ame et aux sens, élève, embrase
celle-là, et remue fortement ceux-ci. ‘
Le rugissement du lion au milieu de la nuit, l’effroi des
animaux fuyants à ces accents terribles, leur agitation
dans letjrs asiles mêmes où ils ne se croient_point en
sûreté , lui annoncent l’approche d’un tyran. Sa présence ;
lui est rappelée par le tigre altéré de sang et de carnage,
élancé sur un troupeau d'animaux domestiques dont un
seul suffirait pour le rassasier; les égorgea‘nt tous, et moins
occupé d’asso’uvir sa faim que sa rage. Le sentiment du
matelot sauvé du naufrage, assis sur le bord qui fait sa
sûreté, regardant la mer en fureur et ses flots menaçants
qui, ne pouvant plus l’atteindre viénnent se briser et
mourir à ses pieds, est pour elle celui du sage_ ééliappé
dans sa solitude au tumulte du,monde, aux intriguesdes
cours, aux Caprices de la foitune, aux chaînes brillantes
qui fixent les ambitieux autour des trônes,‘et dont la
matière e51’éclat ne diminuent pi le danger, u,i la home,
ni le poids. Des nuages amoñcelés sur l’hori50n , envelop—
pant la terre de l’obscurité la plus profonde, percés enfin -
par un rayon du soleil qui'dissipant la nuit ranime et
.réiouit la nature, lui peignent successivement l'afflicti0n
' 1
courts ne nnuæas r.rr‘rnnS. 353
et la consolation del’ame. L’impression du plaisir est celle
que fait sur élle le parfum d'une fleur. Une belle femme
dans toute sa fraîcheur et dans tout son éclat est re
présentée par une rose épanouie; et dans son bouton , Elle
voit la vierge timide et modeste.
Ces emblèmes qui _charment l’oreille des Orientaux fa
tiguent quelquefois celle des peuples de l’Occident, qui
sont plus froids et qui ne retrouvent souvent que la même
idée sous une multitude d’ima’ges. Celles-ci offrent sans
doute‘s’eËp’lus belles ressources à l’éloquence. Elle leur
doit son feu, son éclat, son coloris. Selon Cicéron , elles
. sont en quelque sorte les yeux: du discours. La hature
n’en a donné que deux à l'homme. Si elle les avoit mul
tipliés et répandus surtout le corps , ils ne pourroient que
nuire à l’usage des fonctions de tous.les autrcs’membres.
Ego hæc lamina oratiom’s, velu! oculos qziosdam e10
quentiæ credq; 3dd‘ ne’que oculos e_sse toto corporc
œlim , ne cætera me’mbra suum officiant perdant.
Quoique la beauté du. style dépende des œnements
dont on l‘accompagne, il faut lps ménager. Un style trop
’ orné rebute souvent tout autant que celui qui l’est trop
peu. Des parures ajoutent aux charmes d’une jolie femme;
mais il y a un art de‘les placer. Sans cet art, en s’expose
à l’application de ce mot dit-"ai peintre qui montrait un .
portrait d’Hélène qu’il avô’itsurèhärgæ de pérles et’dé‘”
diamants : Tu ne l’asfaile que richç; tu devais lafaire
belle. . " "*’
Les fleurs n’annoncent pas toujours des fruits. Il arrive
aussi qu’elles ne donnent pas tous ceux qu’elles pr0met-‘
tent; et l’abondance des paroles marque ordinairement la
stérilité des idées. Le style figuré, dit Voltaire, ne l’est -
x. /' 23
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COURS DE B%LI.ES LETTRES.
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360 cocus un naines LETTRES.
ils condamnent celle où le retranchement tombe sur des
mots qui n’ont pas été énoncés auparavant, comme ;
‘—r—:‘Jv— \.‘
COURS DE BELLES LETTRES. 361
des tournures de phrases. Tels sont le pléonasm_e qui,
en opposition à l’ellr’pse dont l’objet est de supprimer
quelques mots, en ajoute de surabondants qui, sans être
précisémenf les mêmes, expriment la même chose, et la
répétition qui en répète un qu’on a déjà dit.
ÉLOCUTION.
IV. .
_ ..m,,‘...i . _.
370' COURS DE BELLES LETTRES.
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372 comas ne BELLES LETTRES.
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_‘ü_.‘i
____.‘ _ _/ _— - /
cocus DE BELLES marnes. 387
mais en parlant des styles, j’ai du donner au \moins une
idée de tout ce qui peut influer sur leurs divers caractères ,
et les nuancer. Comme tous peuvent trouver place dans
les différentes productions de la littérature , c’est au goût
à choisir ce qui convient à chacune, à les marier pour
ainsi dire quelquefois, et à tirer de leur union la variété
qui est un mérite essentiel. C’est ensuite au génie à leur
donner cette unité qui est une nouvelle beauté et qui doit
.se trouver dar_ts le plan et dans l’exécution de tout ouvrage
quelconque. Elle ne sauroit être dans la dernière, sielle
n’est pas déjà dans e premier. 4
« Un homme qui a l’ame forte_et grande , avec quelque
« facilité naturelle de parler et un grand exercice, dit
« Fénélon, ne, doit jamais.I craindre que lesïermes lui
M manquent... Il n’est point esclave des mots; il va droit
An à la vérité; il sait que la.passion est comme l’ame de,la
Ê:=: ‘ËÊ Ê=Ê pa'role. Il remonte d’abord au premier principe sur la
matière qu’il veut débrouiller. Il met ce principe dans
son premier point de vue; il le tourne et le retourne
pour y açcoutumer ses auditeurs les moins pénétrants :
il descend jusqu’aux dernières conséquences par un en
chaînement court, mais sensible. Chaque vérité est mise
en sa placç par rapport au tout. Elle prépare , elle amène ,
elle appuie une autre vérité qui a besoin de son secours...
Il faut montrer souvent la conclusion dans le principe.
De ce principe, comme du centre, se répand la lumière
sur toutes les parties de l’ouvrage , de même qu’un pein
ne place dans son tableaulejour, en sorte-que d’un seul
_._.a_s-._ ._‘',. A_ ,L-
_'
.4'
« endroit il distribue à chaque objet son degré de lumière.
« Tout le Discours est un : il se réduit à une seule pro«
« position mise au plus grand jour par des tours variés...
« Un ouvrage _n’a. une véritable unité que quand on ne.
388 comas nn nxax.zns mamans.
« peut en déplacer aucune partie, sans affoiblir, sans
« obscurcir, sans déranger le tout... Tout auteur qui
(( ne donne point d’ordre à son Discours ne possède pas
a assez sa matière, il n’a qu’un goût imparfait, qu’un
« demi—génie. L’ordre est ce qu’il y a de plus rare dans
«des opérations de l’esprit. Quand l’ordre,'la justesse et
« la véhémence se trouvent réunis , alors le Discours est
« parfait. Mais il faut avoir tout vu , tout pénétré et tout
« embrassé pour savoir la place précise de chaque mot. » ’.
Vous me demanderez peut-être copament on peut se
former le style? Je vous répondrai ce que l'on m’a ré
pondu à moi-même lqrsque j’ai fait cette question à
votre âge; ce que vous pourrez répondre à votre tour à
d’autres qui le répéterônt infailliblement :li5ez beaucoup
les meilleurs écrivains; étudiez, approfohdissez leur ma- '
nière; découvrez le secret de leurs compositions. Suivez
le conseil que Barthelemy fait donner par Euclidç à son
Scythe voyageur : « N’en prenez pour modèle‘ de style
« aucun en particulier, mais tous en général. Je dis tous,
« parcequ'en les méditant, en les comparant les uns
« avec les autres, non seulement on apprend à colorier sa
« diction , mais on acquiert encore ce goût exquis quiudi
« rige et qui juge les productions du génie, sentiment
« rapide et tellement répandu_ parmi nous , qu’on le
« prendroit pour l’instinct de la nation. »
Pleins de l’étude et de la méditation de ces grands écri
vains, essayez-vous ensuite à leur exemple. Consultez,
corrigez, et ne vous lassez pas. -
Hâtez—vous lentement; et sans perdre courage’, '
Vingt fois sur; le métier remettez votre ouvrage;
Polissez-le sans cesse , et le repolissez.
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. .
couns ne BELLES r.mrnr.s: 389
C'est peu qu’en un ouvrage où les fautes fourmillent,
Des traits d’esprit semê’s de temps en temps pétillent;
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu;
Que le début, la fin , répondent au milieu;
Que d‘un art délicat les pièces assorties
Ne forment qu’un seul tout de diverses parties;
Que jamais du sujet le discours s’écartant
N‘aille chercher trop. loin quelque mot éclatant.
‘ a.‘ma’ "L
ul_.‘.
--. AR_T@RATOIRE
BHÉTORIQUE.
QUATRIEME PARTIE.
DE LA DÉCLAMAÎION._
o I. o,
» VUES GÉNÉRALES
SUR SON ORIGINE ET SUR SON HISTOIRE.
v.
«,-ïwf; »cy»
-
o'°
V" O .
464 COURS DE nanars LETTRES?
se rend chez Hogarth, entre dans son c!)inet musée
costume, copiantä’attitude, la démarche de son modèle. '
Le peintre pousoè un cri, saute à son chevalet; ce qu’il
voit, sans lui montrer les traits réels de son ami, lui en
rappelle; l’idée générale, l’ensemble, les détails, aide sa
mémoire qui supplée à ce qui’lui manque, .et il fait un
portrait le Sep] qui-existe de Fielding qui n’àvoit jamais
voulu se laüser peindre pendant sa vie , et dont tous ceux
qu’ ont vécu avec lui attestent la ressemblance.“
Ces tours de force, car on peut leœ donner ce noü
supposent un grand art et un grand exercice. Garrick.
porta cet art sur le t’éâtre au degré le plus éminent. A
'. l’effet que je viens d’en rapporter je joindrai deux
exemples dont j’ai été témoin moi-même en 1768.“
Je m’étais trouvé avec lui à Paris dans une misort où
quelque! dames, après souper, le prièrent de leur don— ‘,
ne.un échantillon de ce talent précieux qui produisoit
tant d’effet sur la scène anglaise. Il saisit le moment où
Othello amant passionné de Desdémona qu’il vient d’é
pouser depuis si peu de temps, jaloux et trompé par un
ami perfide , se.croyaut trahi par une femme adorée , con
vaincu de sa prétendue infidélité par un mouchoir qu’il
connaît, ettju’op lui dit avoir.été surpris entre les mains
d’un rival auquel on a eq l’art de lui persuader qu’elle
seule a pu le donner, entre dans la chambre de l’objet
infortuné de ses soupçons qui est cons“ et qui dort ayec
la sécurité de l’innocence.la ._.üaz’h‘imm
Garrick s’approcha’de cheminée, mit sur la table de
o C.
’
.' e
T!
J
cocus ne BELLES LETTRES. 407
0 vit le trouble de Léar pasSer dans les urnes de ces derniers,
qui frémissoient, pleuroient, et ne perdaient rien de la O
situation. Ils n’en devaient pas l’intelligence au, discours,
puisque aucun d’eux , ainsi que je l’ai dit, n’entendait
l’anglais; et c’était en effet comme si l’acteur eût gardé
le silence. , , \ 0*
Garrick était 1. excellent pantomime. Il approchait
pept-ètre de bien près les anciens, s’ils ne les égaloit pas.
Il faut avouer cependant qu’il avait ici des ressoufies que
les Romains n’avaient point, celles du jeu du visage , de
la voix, de l’accent, de l’inflexion qu’il savait lui donner.
C’était précisémflt pour.eux'qui ne l’entendoient pas,
la première langue des hommes que nous avons oubliée,
et qui était formée de sans inarticulés et de signes. Nous
la comprenions parfaitement, mais nous n’aurions pas su
nous en servir pour lui répondre.
. ' C’est de,l'emploî de ces signes et de ces Sons réunis à
l’articulation Perfectionnée que se compose l’art de la
déclamatiçn qui forme la dernière partie de la rhétorique, .c
‘ et qui a pour objet la prononciation , la voix et le geste.
Cet art également indispensable , quoique avec des
nuances différentes , authéâtra ,au barreau , dansla chaire,
dans la tfihœe, l’est aussi, l-'la société, soit que l’on
parle, sfit‘queî l’on ’ ‘ ,.m lire en r I
est donc uhé’dépèndanceä. ’ v?*îÏ «i._ 'æmv»Wsa
Une pièce de Théâtre , un discou}d, un ouvrage, feront
plus ou moins ou point d’impression , selon qu’ils seront
bien ou mal joués, débités et lus. S’il 'y a»des adeurs, des
orateurs et des lecteurs maussade; qui ont le maiheureu
talent de rendre mauvais tôutÇ6qui passe par leur bouche ,
il y en a aussi qui ont le talent contraire, celui de p‘rètei‘,
. tamôt des-beautés, tantôt simplement de l"grément
408 COURS DE BELLES LETTRES;
00
coups DE BELLES LETTRES. 409
voix s’adoucit; il s’en rendit maître, les défauts mêmes de
sa taille disparurent : on eût dit peu d’années après qu’il
étoit devenir un nouvel homme. On ne reconnoissoît plus
au théâtre Uindividu qu’on avoit vu chez lui ou rencontré
dans la rue; ce n’étoit plus le nième. La façon dont ses
vêtements étoient arrangés ,l’effet des plis supérieurement
drapés, effaçoiqpt les inégalités de sa taille!A l’art de se
costumer de la manière la plus pittoresque il joignoit
celui de prendre les plus belles attitudes. Il se dessinoit
avec autant de goût que d’élégance dans toutes les occa
sions. Il semblait qu'il avoit été se modeler dans les ate
‘liers des premiers artistes sur les plus belles statues; et il
étoit parvenu à se mettre en état de servir de modèle à son
tour. Les jeunes dessinateurs l’épicient du paçerre dzins
ses positions les plus brillantes, le crayonnoient dans
celles-ci rapirbment, et souvent avec une vérité d’autant
plus étonnante que c’étoit_un éclair fugitif quÜl fallait se ,.
hâter de saisir. Ils gravoient ensuite au trait et à l’eau—forte
ces esquisses , qu’ils ehluminoiènt; et journellement les
quais étoient tapissés de petits Lekain pris dans diffé
\
rents moments de se9rôles de Mahomet, d’Qrosmane ,
de Zamore2d’Egisthe, de Ninias, de Gengis»kan , de Tan
crède , de Vendôme, etc.
Le succès de Lekain dans cette partie son art doit
être une invitation Üous les comédiens de l'etudier comme
lui. Il n'étoit pas moins éloquent dans la scène muette
que dans la scène parlée. Seul sur le'théàtre , il le rem
plissoit. Se trouvoit-il avec plusieurs , il les effaçÏoit; on les
oublioit. Petit en quelque sorte , il paroissoit le plus grand;
il écrasoit todt , on ne voyoit que lui. Quand dans la scène
de Tancrède où après avoirappris le prétendu crime d’une
maîtresse adorée, ne pouvant d’abord la croire coupab e ,
l
_# Y; e_.‘_..- _;'1i
. ICOURS DE BELLES LETTRES.
4l l
les spectateu’5 l’interrompre pour s’écrier en chœur:
Qu’il est bæu .’ Et le sentiment me faisoit joindre à ce
cri général. '
Il l’étoit réellement dans le rôle de Gengis—kan, lors
que debout , appuyé nonchalamment sur son arc , avecla
majesté et la fierté d’un conquérant donnant ses ordres
po'qu’aucun de ses guerriers ne quittàt son poste , il
disoit ensuite avec le sourire du mépris et une ironie dé-'
daigneuse:
.
.L On parle de surprise.
es Corréens, dit-on , tentent une entreprise;
Vers les rives du fleuve on a vu des soldat! s 'I-O
I. ' ' 27
DE LA DÉCLAMATION.
11.
L ...4. rW
V >:;n. . . æAh‘.‘-.n‘_..—l
. _..4 a..__aw
._v—_._._ _ . J
raw.. .. æ
\
"courts m: Bennes LETTRES. ' 419
combien il étoit important de se procurer ces avantages.
Lorsqu’il parut d’abord à la tribune, il fut plus d’une fois
découragé par un peuple rempli de goût, mais léger, fri
vole , incapable d’indulgence, et toujours prêt à se mo
quer de tout ce qui potfvoit blesser la délicatesse de ses
oreilles. Un jour que ce peuple avoit reçu très mal un
de ses discours, parceque la manière dont il avait été
récité en avoit fait disparoître l’éloquence, Démosthènes
se retiroit dése*ré , enveloppé tout entier ans son
manteau, comme pour se cacher aux railleurs et leur
dérober sa lroug%ur et sa confusion. Le comédien Satyrus
l’aperçut, en eut pitié, et le suivit. Arrivé dans sa maison
où il entra avec lui ,' il chercha à le consoler. L’amour
propre blessé ne l’écoutoit pas , s’exhaloit en plaintes
amères, et ne cessoit de s’écrier : Comth ai—je mérité
cet outrage? Je vais vous l’apprendre, lui dit Satyrus ,
et vous indiquer en même temps Le moyen de ne plus
l’éprouver. Fdites-moi le plaisir de me réciter une scène
de Sophocle.
Démosthènes nese lit pas presser long-temps. Lorsqu’il
ont achevé, l’acteur répéta à son tour la même scène.
Il y mit tout l’art de la déclamation , en donnant à chaque
- personnage le ton qui lui convenoit , et àchaque vers l’ex
pression et l’accent du ænümentqæ' ‘ ' eoit. La scène
parut toute nouvelle à l’orateur , et » À _ . :'llus belle dans
la bouche de l’acteur que dans la sienne. Ce fut pour
lui un trait de lumière. Il sentit que sans la grace et san?
l’action , le discours le plus éloquent ne produisait aucun
effet. Il embrassa Satyrus, et s'appliqua dès cet instant};
cette partie de l’art oratoire. '
Né avec une poitrine foible et un embarras dans la
:langue qui l’empêchait d’articuler nettement, il trouva 19
420 COURS DE BELLES LETTRES.
moyen de vaincre ces deux obstacles que la nature oppo
sait à la réputation que son génie devait lui procurer à
la tribune. Il allait dans des lieux solitaires que personne
ne fréquentait, et dont les routes rudes et escarpées écar
toient tout le monde. La , mettzfi1t de petits cailloux dans
sa bouche, il répétait à haute voix des discours étendus.
C’est dans ces longues et fréquentes promenades qu’il
parvint à donner à sa langue la flexibilité qu’elle n’aîoit
pas , ct&_ s’en rendre maître.
Pour fortifier la voix, il allait sur le bord de la mer,
et récitant ses harangues vis-à-vis des!ots violemment
agités, il semblait chercher à se faire entendre à travers
leurs mugissements. Il luttait, pour ainsi dire, contre le
bruit des vagues et des vents réunis. Sa constance et son
opiniâtreté le firent ainsi triompher de la nature; il prouva
que rien n'est impossible à leurs efforts, et que,
Qui veut bien ce qu’il veut est maître du succès.
'
‘ ’— '_s_— .._.--_._m_
\
COURS DE BELLES LETTRES. 421
prétendoit pas pour cela qu’elle pût les suppléer; mais
il croyoit qu’elle étoit indispensable pour les faire va- ,
loir. Il pensoit qu’un discours médiocre, soutenu de
toutes les forces et de toutes les graces de l’action , feroit
’plu‘s d’effet que le discours le plus éloquent dépourvu de
ce charme puissant.
Il avoit raison sans doute, et je n’ai pas besoin d’ajou—
ter quant à la tribune. L’effet ne seroit plus le'inême si
les deux discours étoient portés dans le cabinet. L’ora
teur n’est plus présent; l’illusion a disparu : les ouvrages
sont seuls avec le lecteur, autour duquel règne le plus
profond silence. Il ne voit'et n’entend rien qui pui
distraire‘ son attention. C’est là que to It prestige s’éva
nouit. La Phèdre de Pradon balança‘lè succès de celle
de Racine au théâtre. Lorsqu’elles en furent descenducs,
personne ne put lire la première ; et on ne peut quitter
la seconde après en avoir commencé la lecture.
L’action des anciens, il faut l’observer, était plus vé
hémente que celle des modernes: elle devoit l’être en
effet. La perfection dans cette partie leur étoit aussi plus
nécessaire; elle faisoit souvent plus qu’animer le dis
cours, elle secondoit l’inspiration; elle l'aidoit même
quelquefois dans les occasions où il s’agissoit de discuter
sur-le-champ et à l’improviste sur un grand théâtre, les
intérêts d’un citoyen , ceux même de, l’empire entier. es
exemples se présentoient fréquemment à Athènes et à
Rome; on ne les a vus que rarement dans les siècles mo—
dernes. a';ea ; æÈ‘k
C’est alors que l’éloquence débarrassée de toute con
trainte et de toutes règles peut Produire ses plus grands
effets : c’est alors qu’il échappe au génie ces mouvements
rapides, profonds et lumineux qui éclairent,saisissent et
423 cocus ni: BELLES Lnrraxs.
frappent enmême temps. Pectus est quodfacit disems;
dit Quintilien : Le sentimentfait les hommes éloquents.
L’action peut donc être quelque chose de plus que l’é
loquence du corps , à quoi Cicéron paroît la réduire.
Envisagée comme un art, elle exige une prononciafiofl’
exacte, Êisée et correcte , dont l’importance est démontrée
par le sp_in que prit Démosthènes pour procurer cette
qualité à lñ‘sienne. Elle s’acquiert par l'étude de la langue,
par l’habitude de s’entretenir avec ceux qui parlent bien;
par la lecture suivie et à haute voix des orateurs, et par
ticulièrement des poètes, avec l’attention de ne barbouil
let, de. ne manger aucune syllabe, d’épeler, pour ainsi
dire, le mot en l rononçant , de lui donner un. son net
et plein, de maniÏe que l’oreille puisse l’entendre aussi
distinctement que l'œil l’aperçnit sur le papier. Je recom
mande surtout la lecture des poètes, parceque leur langue
est une langue modulée, dont la mesure fait l’harmonie.
Omettez une syllabe , ou bien ajoutez -en une , vous
détruisez cette mesure, et vous défigurez le plus beau
vers. ' '
L’expérience fait voir que ceux qui bégaient dans la
comersation s’exPriment avec la netteté, la précision;
la rapidité souvent nécessaire lorsqu’ils chantent ou qu’ils
déclament. Cette observation plus importante qu’on ne
le croit communément, et jusqu’ici trop négligée,semble
indiquer le moyen qu’il serait possible d’employer avec
' succès pour corriger ce défaut. Une mauvaise articulation
n’a quelquefois sa cause que dans la timidité de celui qui
parle, ou dans cette paresse de l’esprit qui conçoit ses
idées avec lenteur, et à qui les expressions nécessaires ne
se présentent pas tout de suite. Pendant qu’on cherche
‘ces dernières on hésite , et en répétant à plusieursïe
,v_/ v Y . '-_.___—t
-e:1
’ COUflS DE BELLES LETTRES. ‘ 423
prises les syllabes d’un mot, on diroit qu’on s’oécupe à
donner à celui qui doit suivre le temps d’arriver. Cette
habitude secontracte, le temps la fortifie, et ensuite on
ne tu perd plus. Il n’y en a qu’une nouvelle et tout op
posée qui puisse détruire celle-là. On peut parvenir à
l’ac érir en apprenant par cœur des morceaux d'élo
quence et surtout de poésie , en les récitant fréquemment,
en s’attachant à leur donner le ton tantôt lent, tantôt ra
pide, l " cité, le feu , la sensibilité qu’ils exigent. J’ai
conseifle cette {méthode à plusiÇrs mères qui en ont fait
sur leuä enfants un essai que j’ai suivi, que j’ai fait con
tinuer lorsque le découragement.ou l'impatience alloit
le faire abandonner , et que j’ai vu presque toujours
réussir. -,
Cette méthode employée avec art ne se borneroit pas
à corriger le bégaiement, elle pourroit produire d’autres
avantages. J'ai remarqué que l’oreille attentive guide ceux
qui sont affectés de ce défaut pour suivre, en chantant,
un air qu’ils ont commencé, et pour ne pas rompre la
mesure des vers qu’ils récitent. ’
Exercé de bonne heure à ce genre de modulation, ce
sens se fait à l’harmonie, acquiert de la délicatesse, et
avertit toutes les fois qu’il est blessé. Cet exercice répété
constamment pourroit , à la longue, non seulement délier
la langue, mais corriger encore la plupart des vices de
prononciation. Pour obtenir les effets que je crois qu’il
est possible d’en attendre, il faudroit commencer à s’y
appliquer dans les premiers temps de l'enfance. Ce.moyen
‘ pourroit , si je ne me trompe, servir égalemenÏ à ap
prendre à bien prononcer, à diminuer, à affoiblir, et peut*
être à détruire insensibtement l’accent qui distingue les
habitants des diverses provinces d’un même état , et qui
._ .. fi‘ÆAæ‘m-rfl-“Aweflfçÿo-z'ww“ *"
I
.a-.«.‘.\\_
“"fi "'
426 COURS DE BELLES LETTRES.
' v
cocus DE ananas LETTRES. 427
Elle ne criera point lorsqu’il faut pleurer. Elle n’imitera '
pas ces acteurs qui mugissent quand ils soupirent, ces
prédicateurs furieux et forcenés dont parle Sanlecque,
C
Qui, portant vers le ciel desu‘egards effroyables,
Apostrophan les saints comme on chasse les diables;
, .
IDÉE ABRÉGÉE
DE L’HISTOIRE .
DE L’ÉLOQUENCE.
_—
*,
cou’us DE BELLES LETTRES. 3 413
de la pièce de bois qu’un manœuvre , à l’aide d’une hache
tailla grossiérement pour lui donner une forme où l’on
reconnut une tête, des bras et des jambes roides et sans
vie, il y a loin à ce que firent ensuite la peinture et la
Ëculpture, l’une avec le pinceau et les couleurs qui imi
tent la nature, l’autre avec le ciseau et des instruments
plus délicats que la hache, et toutes deux conduites par
le génie. .
Il y eut aussi loin de l’emphase , de l’enflure et de l’hy
perbole qui caractérisèrent les premiers parleurs, si je
puis m’exprimer ainsi, que l’on entendit dans la Grèce,
aux orateurs qui atteignirent la véritable élévation de
l’Eloquence, en formèpent et en fixèrent le goût.
Des sophistes sortis des colonies grecques ébléuirent
des hommgænés avec une sensibilité exquise que rien n’a
voit encore’i‘emuée. Elle le fut d'abord par des secousses
qui la réveillèrent tout à coup , mais qui laissant l’ame dans
cet état où elle se trouve en sortant inopinément d’un
profond sommeil avec ses facultés et son jugement plongés
encore dans un engourdissement qui ne lui en permet pas
entiérement l’usage, la firent passer avec rapidité de la
surprise à l’admiration, et la p6‘rtèrent à applaudir ce
qui l’étonnoit. Elle regarda, elle respecta comme un'en
fant des dieux ce Gorgias de Léontium dont les Athéo
niens récompensèrent d’une statue d’or qu’ils firent placer
dans le temple de Delphes, les hypallages, les byperbates,
et toutes ces figures ridicules et méprisables que le pédan
tisme a long-temps appelées des fleurs de rhétorique :
fleurs sans éclat, sans Couleur, sans parfum, que le goût
dédaigne et réprouve;
Ce mauvais goût qui fit la réputation de tant de vains
harangueurs ne devoit pas durer. Le bon devoit le rem pla
’ O
4»'ii
' - COURS DE BELLES LETTRES.
.‘ :'
talent extraordinaire renferme celles d’un prodige, d'une merveille.
Ceux qui ont imaginé de traduire par - Si vous aviez entendu le
. monstre - , ont supposé dans l'anse d’Eschine un double senti
Iment; celui de l'admiration arrachée par la justice , et celui de l’hu
-.uov: -
452 cocus DE nnu.ns LETTRES.
quence. Ils y avoient été élevés et exercés pËr Corne‘lia
leur mère, dont les lettres, du temps de Quintilien,
étoient regardées comme des modèles de ce genre. Caton
le censeur, Antoine, l’aïeul du triumvir, Crassus, Sulpi
tius et Cotta , rivalisèrent avec les grands orateurs d’A
thènes, et s’étoient formés sur leurs modèles mieux étudiés.
Le dernier siècle de l’éloquence ro aine fut le plus
fécond en grands orateurs ,parmi lesqueäe distinguèrent
Calidius, César, Hortensi‘üs , Crassus, et surtout Cicéron.
Le premier, possédant au plus haut degré l’art d’instruire
et de plaire, avoit négligé l’art de toucher. César, fait pour
tous les genres de supériorité , sut également assujétir les
cœurs et les esprits. Il ne suivit pas long-temps cette
carrière. Vainqueur de ses riyaux , il la quitta pour s’é
lancer dans celle des armes , où le seconda la victoire.
Hortensius avoit un génie vif et élevé, une ardeur in
fatigable pour le travail, une érudition peu commune,
une mémoire prodigieuse. Il avoit l’art de rapprocher de
ses sujets les preuves en apparence les plus éloignées, de
les enchaîner les unes aux autres dans l'ordre qui pou
voit le 'mieux les faire valoir. Rien ne lui échappoit de ce
qu’il droit,dit et de ce qu’qvoient dit ses adversaires. En un '
instant il résumoit tout, avec une force et une clarté qui
passoient dans les ames de ses auditeurs, entraînoient
leurs suffrages, et guhjuguoicnt quelquefois leur raison:
je dis subjuguoient, car le moral d’Hortensius désho—
nora plus d’une fois son talent. L’histoire et l'humanité
se réunissent pour lui reprocher d’avoir vendu son élo
quence à Verrès. Il osa défendre le crime, Et lutter contre
Cicéron qui le poursuivoit.
Sa fille Hortensia hérita de ses talents et en fit un
meilleur usage. Elle plaida la cause des dames romaines
.q
_f.___ma
w,
460 cocus o: nzr.nns tenues.
en injures contre leurs adversaires et ceux qui les soute
naient. Quelques uns crurent ensuite pouvoir racheter
l’insulte par la tournure qu’ils lui donnèrent, et qui ne fit
que la rendre plus mordante. 1’)» ‘v__. -
Le respect superstitieux des rhéteurs pour les anciens’
ne leur laissant que de l’admiration pour tout ce qui est
sorti de leurs mains , ne leur a pas permis de rejÇr;æfi
‘ moyens prétendus oratoires parcequ’ils les avoienÏW
ployés; il n’ont donc pas oublié d’en prescrire l'usage
et de l’assujétir à des règles. L’objet de ces dernières est
d’apprendre à donner à l’invective_ une tournure inge
nieuse; mais quelque effort que fasse l’art , quelque succès
qu’il obtienne , l’injure n'est jamais qu'une femme contre—
faite qu’on a revêtue d’une robe élégante et riche qui
s’applique bien juste à la taille, et qui, par son exacti
' ttfle même à dessiner, ne fait qu’en marquer mieux la
.. difformité. .9 .w« .;;,w
L’invective, tantôt ingénieuse, tantôt plate et presque
toujours grossière, a malheureusement deshonoré trop
long-temps le barreau; et l’homme de goût, en entnnt
dans le‘sanctuaire des lois, a pu se croire quelquefois,
sinon dans une arène de gladiateurs, au moins dans un
marché de harengères. Centauvais goût et ce mauvais ton
n’en disparurent qu’au milieu du xvue siècle. Ce furent
les Patru , les le Maître, qui donnèrent à l'éloquence du
barreau‘ un éclat que des avocats célèbres ont soutenu et
surpassé dans le siècle suivant, où plus d'un jurisconsulte
orateur a ustifié le portrait que d’Aguesseau a tracé. « De
« cet ordre aussi ancien que la magistrature, aussi noble
et que la vertu, aussi nécessaire que la justice, oùl'lromme
« unique auteur de son élévation tient les autres hommes
« dans la dépendance de ses lumières, et les force de
,L_.fiyl—zæ.—r'
P
x.
462 couas nr nzu.ns nnrrnss. '
lui sùilit, content de ce qu’il a, et défendu contre les invao
sions par son courage, sa position et ses montagnes. Avec
ce secours seul, il a su braver les attaques des potentals
de l’Europe dont l’ambition , forcée de le respecter, s’est
contentée pendant long-temps de puiser chez lui, pour
les porter ailleurs, des bras que sa population le mettoit
en état de leur fournir. Par ce commerce, plus étrange
aux yeux le la phil050phie qu‘à ceux de la politique, la
Suisse recevoit de l’argent, qui lui manquoit, en échange
de ses hommes qui, formés à l'art dela guerre, à la disci
pline des camps dans des armées étrangères, devaient
rapporter à leur retour dans sieur patrie les talents et
l'expérience nécessaires pour la défendre au besoin.
En Angleterre et dans son parlement l’éloquence a pu
se maintenir; mais ses élans improvisés, recueillis de
mémoire et souvent affoiblis dans les papiers publics,
oublié; nécessairement à mesure que de nouvelles cir
constances en font naître de nouveaux, condamnés au
néant qui finit par les engloutir, sont, comme toutes les !'
productions du besoin et du moment, perdus pour la .
postérité. ‘ _ {a
ditations du génie.
Thomas se présenta le premier dans la carrière. S’il y
porta souvent plus d’enflure que d’élévation , plus de
chaleur de tête que d’entrailles, plus d’imagination que
de goût; s’il ne peut pas enfin y être un guide toujours
bien sûr, il eut du moins le mérite de l’avoir ouverte. Il
courts DE’BELLES LETTRES. 465
y fit entendre desvérités fortes et philosophiques, dont
plusieurs fois s’alarma un gouvernement foible et ti
mide, qui crut plus aisé sans doute de les étouffer que
d’en profiter. Elles furent développées par d’autres écri
vains, et surtout par Roussea’u, lorsque son imagination
séductrice ne cherche pas à donner à un paradoxe les
apparences de la vérité; et par Baynal, quand il renonce
à la déclamationnLeur profondeur et leur véhémence
leur attirèrent la haine des ennemis de la vérité, dont la
vengeance poursuipit leurs personnes et e prit de flé
trir leurs ouvrages, qui n’en furent que pl, cherchés.‘
Elle subit le sort du serpent qui perd ses dents sur la
fi1e qu’il essaie en vain de ronger.
Mais qûelque éclat qu’ait en l’Éloquence dans les deux
slèçles qu’a distingués et consacrés la renaissance des
lettres, elle n’a offert ni sous Léon x, ni sous Louis XIV,
ni sous les successeurs de ce‘ dernier, rien de compa
rable, en tant qu’art oratoire, à ce qu’elle fut dans la
Grèce et dans Rome. ‘ A ’
‘ De nos jours cependant, et parmi noug,fl@lques voix
énergiques et sublimes se sont fait entendre; Parmi ces
voix s’est trouvée celle d’un homme qui d’un vulïhardi
s’est élancé à côté des écrivains les plus éloquents de
l’antiquité. Mirabeau a dévebppé une forcede raisonne—
ment dans laquelle il a eu peu de' rivaux; réunissant les
talents divers qui, séparés dans plusieurs orateurs , ont
suffi pour faire la gloire de chacun , il a marié les foudres
de Démosthènes aux fleurs de Cicéron: heureux s’il n’eût
trop souvent oublir’fle'çaractère Sacré de l’o’rateur , et s’il
eût pu obtenir cette gloire pure et supérieure à toutes,
jeveux dire celle qui réunit ep- faveur de celui qui l’in
spire l'estime à l’admiratiqn_ ! _ '
r. ' 30
466 nouns ne BELLES LETTRES.
En finissant ici le cours de Rhétorique que nous venons
de faire ensemble, je dois vous répéter encore ce que je
vous ai déjà dit plusieurs fois: ce qu’on exige particu
lièrement de l’orateur, c’est de joindre à une conduite
irréprochable, aux dispositions naturelles, la science et
la méditation. Tout l‘art est renfermé dans ce principe;
et je ne puis mieux en terminer les leçons que par les
conseils que Barthelemy nous donne , d'après Platon
et Aristote, par l’organe du jeune Anael1ar5i8. Ces 00n
seils sont lefiéveloppement de ce principe, et, en quel
que sorte, li! résumé de tout ce que j'ai essayé de vous
eXpliquer. .
u Si la nature vous destine au ministère de l’élg’l
« quence, attendez que la philosophie vous y c'onduise à
u pas’lents; qu’elle vous ait démontré que l’art de la pâ
« role devant convaincre avant de persuader, il doit tirer
A-A äîâ‘:âîäîaâà sa principale force de l’art du raisonnement; qu’elle
vous ait appris en conséquence à n’avoir que des idées
saines , à ne les exprimer que d'une manière claire , à
saisir tousjles rapports et .tous les contrastes de leurs
objets, à êbnnoître et à faire connoître aux autres ce
que chaque chose est en elle-thème. En continuant d’a
gir sur vous , elle vous remplira des lumières qui con
viennent à l’homme d’étaf, au juge intègre, au citoyen
excellent. Vous étudiera sous ses yeux les différentes
espèCes de gouvernements et de lois, les intérêts des na
tions , la nature de l’homme et le jeu mobile de ses pas
sions. Mais cette science,achetée par de longs travaux ,
A-A.‘ . céderoit facilement au souffle cdnt'ægieux de l'opinion ,
si vous n‘a la souteniez non seulement par une probité
reconnue et une prudence consommée, mais encore
A par un zèle ardent pour la justice et un respect pro
FIN DE L’ÉL0QUENCB
OU DE LA PREMIÈRE DIVISION DE CE COURS.
‘ - ‘ " 642688
|
. l.' -' -sM l
\.-." '
.»
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Prince, mon j
Avis, ix
.
C 0 U r n’ or. 1 L 0 É N 12 a A L sur l’Histoire des Sciences , des
Lettres et des Arts, < 1
l
LEÇONS PRÉL!MINAIRES.
Des Belles Lettres , ' ’ 27 ,
Objets d’un cours général de belles lettres , et Plan parti- ‘
culier de celui-ci, 4!
\ De l’Art de la Parole et de l'Art de la Pensée en général, 57
Histoire a de la Pensée, 76
Introductio a l‘Art d‘écrire, ' 97
COUBSIHEBELLESLETTRES
PREMIÈRE DIVISION. - ._‘.V
- ÉLOQUENCE
De la Disposition , 1 79
SUBDIVISIOKS DE LA DISPOSLTlOR.
I. De l’Exorde , 201
II. De la Proposition , ' . 227
“I. De la Confirmation en général ,' - 248
De quelques Formes dont les preuves sont susceptibles,
et des Autorités, 261
IV. De la Péroraison, 277
n 'î
. ART.ORATOIRE OU RHÉTORIQUE.
rnoxsu‘tnn nn'riz.‘
DE L'ÉLOCUTION.
I. Vues générales , . 295
II. De l'Harmonie, 317
111. Du Style figuré, 341
IV. De quelques Nuances différentes de style , 366
’ u
.
-/ ‘
TABLE uns MATIÈRES.
DE LA DÉC LAMÀTION.
I. Vues générales sur son origine et sur sonhistoire , PAGE 39 I
II. Ce qu‘elle est, considérée principalement comme action
oratoire, 418
'r
Idée abrégée de l’Histoire de l’Éloquencc , !./.r
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FIN DE LA TABLE ET DU TOME PREMIER.
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