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Malamut Elisabeth. Les peuples étrangers dans l'idéologie impériale. Scythes et Occidentaux. In: Actes des congrès de
la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 30ᵉ congrès, Göttingen, 1999. L'étranger au
Moyen Âge. pp. 119-132.
doi : 10.3406/shmes.1999.1764
http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_2000_act_30_1_1764
L'étranger au Moyen Âge. Actes du XXXe congrès de la SHMESP (Gôttingen, 1999), Paris,
Publications de la Sorbonne, 2000, p. 119-132.
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9. Constitution XVIII sur les peuples étrangers dans : PG 107, col. 956.
10. Ibid., c. 43.
11. Ibid., c. 45.
12. Ibid., c. 46.
13. Texte et traduction allemande dans : Maurikios, Dos Stratègikon des Maurikios,
G.T. Dennis, E. Gamillscheg éd. et trad., Vienne, 1981 (CFHB, XVII), p. 360-368 ; trad,
anglaise seule dans Maurice's stratègikon, Handbook of Byzantine Military Strategy,
G.T. Dennis éd., Philadelphie, 1984, p. 116-120.
14. Maurice, Stratègikon, XI. 2, 6-7 : « Les ethnè scythes sont d'une nature unique, pour ainsi
dire, dans leur genre de vie et leur organisation, primitifs et inactifs. Seuls les ethnè des Turcs
et des Avars se soucient de l'organisation militaire, faisant des batailles rangées plus fortes
que les autres ethnè scythes. Et Y ethnos des Turcs est très peuplé (polyandron) et libre
(eleutheron) [...] ils résistent à la chaleur et au froid et au manque du nécessaire et mènent une
vie nomade ».
15. Constitution XVIII, op. cit. n. 9, c. 46.
16. Ibid., c. 47.
17. De administrando imperio, op. cit. n. 2, c. 13, 1. 24-28, 73-75, 104-110.
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Cette mutation est tout à fait visible dans les Taktika. Alors que les
chapitres concernant les Turcs, c'est-à-dire en ce temps les Hongrois, sont
identiques au développement du Stratègikon, des chapitres nouveaux sont
ajoutés 18, qui révèlent la difficulté d'admettre que Byzance ait été alliée aux
Hongrois dans une guerre contre le peuple récemment baptisé des Bulgares.
La question qui se pose à Léon VI est de justifier le massacre de chrétiens
par des chrétiens. Ses arguments reposent d'abord sur la violation par les
Bulgares de la paix éternelle promise lors du baptême de Boris. Les sources
de l'époque, en particulier le patriarche Nicolas Mystikos 19, reviennent à
plusieurs reprises sur ce serment mutuel prêté par les Romains et les
Bulgares dont elles attestent à la fois l'authenticité et sa transgression par le seul
souverain bulgare Syméon. Violant donc les traités de paix, les Bulgares ont
pillé la Thrace et, par la justice du Christ, ils ont alors reçu le châtiment. En
effet - si l'on en croit Léon VI -, alors que les Romains étaient occupés avec
les Saracènes, la divine Providence a armé le bras des Hongrois à la place
des Romains contre les Bulgares, la flotte romaine ne servant qu'à leur faire
traverser le Danube. La justice divine a envoyé des bourreaux pour que les
Romains chrétiens n'aient pas à verser le sang des Bulgares chrétiens contre
leur volonté.
S'il est légitime de voir en Léon VI, qui avait appelé les Hongrois à l'aide
et qui par la suite traita séparément avec les Bulgares en abandonnant ses
alliés, un casuiste avant l'heure, il n'en reste pas moins que le cas de
conscience posé par la guerre entre chrétiens suscita un problème moral aigu
chez les contemporains. Nicolas Mystikos déjà cité mentionne l'œuvre du
Diable « qui a contribué au si grand massacre de l'héritage du Christ, un
massacre perpétré par des mains qui ne sont pas impures ou instruites à
servir l'impiété, mais rendues pures par le baptême du Christ, qui s'élevaient
vers le Père céleste, et fortifiées par le signe de la croix contre la malice du
Diable » 20. On comprend pourquoi Léon VI préférait éluder la présence de
soldats romains face aux Bulgares. Néanmoins, il s'agit de justifier le
massacre des Bulgares chrétiens et cela ne se peut sans la justice divine. La
même idée est reprise par Nicolas Mystikos quelques années plus tard quand
il justifie l'aide apportée aux intérêts byzantins par les nations impies, Turcs,
Alains, Petchénègues, Russes ou autres génè scythes pour la destruction
complète du génos bulgare : « la destruction de tant d'églises, de tant de
palais épiscopaux, le massacre des prêtres, la souillure des vierges, l'offense
faire des incursions subites, à faire du butin, à répandre le crime par les
mains souillées de meurtre pour tout ce qu'elles touchent, ont été subitement
frappés par la peur. La peur a transformé des bêtes sauvages en hommes
sensibles. Ils ont jeté leurs armes, ils ont supplié l'empereur pour sa
miséricorde et, ayant reçu le signe de la grâce et l'enseignement par l'empereur de
la connaissance de Dieu, ils ont été baptisés » H
Dieu a œuvré pour la soumission des Petchénègues à l'empereur, à la
justice et à la loi, et l'empereur a joué un rôle d'intermédiaire pour la christiani-
sation des Petchénègues. Ils sont venus à Dieu par la grâce, mais aussi par
l'enseignement de l'empereur, imitateur du Christ 25.
24. Jean Mauropous, Discours 182, op. cit. n. 22 ; J. Lefort, « Rhétorique et politique... »,
op. cit. n. 23, p. 285-286 et 290.
25. É. Malamut, « L'image byzantine des Petchénègues », Byzantinische Zeitschrift, 88
(1995), p. 123.
26. Nicolas I, op. cit. n. 19, lettre n° 24 (922-923), p. 169 : « le génos commun des Bulgares
et des Romains non seulement se détruit lui-même dans la vie présente, mais encore la vie
future les rendra étrangers les uns aux autres et ils s'ensevelissent eux-mêmes dans une mort où
ils ne connaîtront pas le royaume de Dieu ».
27. Nicolas I, op. cit. n. 19, lettre n° 9 (août-début septembre 917), p. 65.
28. Agapetis Diakonos, Der Filrstenspiegelfîir Kaiser Justinianos, R. Riedinger éd., Athènes,
1995.
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biguë est réservée aux peuples étrangers occidentaux dans la mesure où,
étant chrétiens et descendants de l'empire romain, ils sont les égaux des
Byzantins mais, étant de culture barbare, ils ont bien des points communs avec
les peuples du Nord.
29. Ioannis Scylitzae Synopsis Historiarum , I. Thurn éd., Berlin-New York, 1973 (CFHB,
V),p.310.
30. Ibid., p. 468 ; É. Malamut, « L'image byzantine des Petchénègues... », op. cit. n. 25,
p. 125. Sur le récit extrêmement précis de Skylitzès concernant Katakalôn Kékauménos et la
bataille de Diakene, cf. J. Shepard, « A suspected source of Scylitzes'Synopsis Historion : the
great Catacalon Cecaumenus », dans Byzantine and Modem Greek Studies, 16 (1992), p. 171-
181.
31. V. Tapkova-Zaïmova, « Les Mixobarbares et la situation politique et ethnique au Bas-
Danube pendant la seconde moitié'du XIe siècle » dans Actes du XVe congrès international
des études byzantines, Bucarest, 1971, II, Bucarest, 1975 [repris dans V. Tapkova-Zaïmova,
Byzance et les Balkans à partir du VIe siècle, Londres, Variorum Reprints, 1979, XV], p. 615-
619.
32. Ils étaient perçus comme des « sous-Byzantins » ; voir H. Ahrweiler, « Citoyens et
étrangers dans l'empire romain d'Orient », dans Atti del IlSeminario intemazionale di Studi Storici
« Da Romàalla Terza Roma », 21-23 avril 1982, p. 345-346.
33. Jean Mauropous, Discours 182, op. cit. n. 22, p. 144 ; voir à ce sujet V. Tapkova-
Zaïmova, « Quelques particularités dans l'organisation militaire des régions du Bas-Danube et
la politique byzantine aux Xle-XIIe siècles », dans Mélanges Edmond-René Labande,
Poitiers, 1974 [repris dans V. Tapkova-Zaïmova, Byzance et les Balkans..., op. cit. n. 31,
XVI], p. 670 .
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34. Les termes juridiques utilisés pour les fédérés aux Vle-VIIe siècles furent remis à l'ordre
du jour, mais ne recouvraient plus les mêmes réalités. On rappellera d'ailleurs l'exemple de
Nestor, un Illyrien d'un génos dont le rang était identique à ceux de Dristra, arrivé au sommet
de la hiérarchie militaire en tant que duc du Paristrion, voir É. Malamut, « L'image byzantine
des Petchénègues... », op. cit. n. 25, p. 131 ; V. Tapkova-Zaïmova, « Quelques
particularités.. », op. cit. n. 33, p. 670-673. Il est de fait que l'armée restait le plus sûr moyen d'intégrer
les étrangers.
35. Attaliate, p. 204.
36. À côté des grandes villes, il existait désormais des epauleis, c'est-à-dire des communautés
dont l'économie était entièrement pastorale ; cf. Attaliate, Bonn, p. 204 ; V. Tapkova-
Zaïmova, « Les Mixobarbares... », op. cit. n. 31, p. 619 ; H. Ahrweiler, « Byzantine Concepts
of the Foreigner... », op. cit. n. 8, p. 10.
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magne, roi d'Italie en 926 37. Dans le De Cerimoniis, les rois francs sont
appelés « frères » 38. Un siècle et demi plus tard, Anne Comnène dit de Gode-
foy de Bouillon qu'il était d'illustre génos 39.
Et pourtant, même ceux qui étaient de génos royal, qui servaient
l'empereur en faisant serment de mourir pour lui, comme Pierre, le neveu de
l'empereur de Francie, au service de Basile II en 979, restaient des ethnikoi
(étrangers) et, pour ne pas « rabaisser les Romains » 40, Pierre ne put être
nommé stratège. Un siècle plus tard, Kékauménos, l'auteur des Conseils à
l'empereur, rappelait qu'il ne fallait pas conférer de grandes dignités ni de
grands commandements aux étrangers, en citant justement en exemple la
politique de Basile II 41. Pourtant les temps ont changé et Kékauménos lui-
même concède que les étrangers, sous-entendus les mercenaires occidentaux,
jouiront d'exceptions s'ils sont de sang royal. Il est vrai que désormais les
empereurs distribuaient assez largement les dignités et les charges aux
Occidentaux. Plus tard, au-delà de l'époque concernée, certains Latins
bénéficièrent d'un statut politique égal à celui des Romains par l'acquisition de
l'égalité des droits 42, mais le fossé entre Occidentaux et Byzantins resta
d'ordre culturel et religieux. Il ne s'agissait pas tant de la connaissance de la
langue grecque, partagée par nombre d'Occidentaux surtout quand ils se
trouvaient au service de l'empereur43, que du refus par les Occidentaux de
l'hellénisation à travers l'orthodoxie. Et finalement il y eut très peu de
mariages mixtes à Byzance, en dépit des mariages des empereurs avec des
princesses latines pour des raisons strictement politiques. Une étude récente a
montré que, sur un échantillon étudié de quatre-vingt-quatre Latins au
service de Byzance de 1025 à 1204, trois familles seulement s'étaient
assimilées44.
En dépit de l'idéologie officiellement exprimée suivant laquelle les Latins
étaient aussi des Romains et de lignée de même rang, ils sont perçus comme
des « Barbares » par les Byzantins à partir de la fin du X£ siècle. Les cir-
37. De administrando imperio,op. cit. n. 2, c. 26. Le mariage fut conclu en 944 et la princesse
mourut en 949.
38. De Cerimoniis, II, p. 691.
39. Anne Comnène, Alexiade, B. Leib éd., Paris, 1967, H, p. 209.
40. Kékauménos, Strategikon, D. Tsougkarakis éd., 1993, p. 250-252 ; P. Lemerle,
Prolégomènes à une édition critique et commentée des « Conseils et Récits » de Kékauménos,
Bruxelles, 1960 (Mémoires, Classe de Lettres, 2e s., 54, fasc. 1), p. 41-42.
41. Ibid.
42. Lorsqu'à la fin du XIIIe siècle, les Italiens devinrent les seuls maillons économiques de
l'empire ; cf. H. Ahrweiler, « Citoyens et étrangers... », op. cit. n. 32, p. 349. Je ne partage
pas l'avis de l'auteur sur la référence de Y isopoliteia au niveau culturel. Il s'agit uniquement
d'une égalité politique.
43. Le normand Odon Stigand II fut à la fois interprète et médecin à la cour byzantine entre
1057-1060 ; cf. E. Amsellem, Les Occidentaux à Byzance 1025-1204, Mémoire de diplôme
d'études approfondies, soutenu à Paris en septembre 1998, p. 97. L'auteur cite R.N. Sauvage,
La chronique de Sainte-Barbe en Auge, Caen, 1906.
44. E. Amsellem, Les Occidentaux à Byzance 1025-1204, op. cit. n. 43, p. 176-179.
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62. V. Zlatarski , Istorija... , op. cit. n. 51, p. 372 ; G. Ostrogorsky, « Die Krônung Symeons
von Bulgarien durch den Patriarchen Nikolaus Mysticos », Bulletin de l'Institut archéologique
bulgare, 9 (1935), p. 275-286 ; A. Stauridou-Zafraka, La rencontre de Syméon et Nicolas
Mystikos (Août 913) dans le cadre de l'antagonisme byzantino -bulgare [en grec], Thessalo-
nique, 1972 : l'auteur donne l'ensemble de la bibliographie sur le sujet.
63. R.J.H. Jenkins, « The peace with Bulgaria (927) celebrated by Theodore Daphnopatès »,
Polychronion (Festschrift F. Dôlgerzum 75. Geburtstag), Heidelberg, 1966, p. 287-303.
64. Nous sommes d'avis qu'il y eut un réel couronnement de Syméon lors de l'entrevue de 913
et non une simple filiation spirituelle qui, de toute façon, avait déjà été consentie à Boris
quand il fut baptisé. Quelle que soit l'interprétation que l'on puisse donner à certains passages
obscurs du texte édité par R.J.H. Jenkins, toutes les sources byzantines, sauf Zonaras qui est
un auteur du XIIe siècle (cf. Zonaras, p. 462), témoignent du couronnement de Syméon
(cf. Théophane Continué, p. 385 ; Georges le Moine Continué, p. 878 ; Skylitzès, op. cit.
n. 29, p. 200). Par ailleurs, il faut avouer que, malgré les observations de P. Karlin-Hayter
(« The Homily on the Peace with Bulgaria of 927 and the "Coronation" of 913 », Jahrbuch
der o'sterreichischen Byzantinistik, 17 [1968], p. 29-39), l'interprétation de R.J.H. Jenkins est
à ce jour la plus satisfaisante si l'on tient compte de l'ensemble du texte analysé. Enfin, la
solution la plus plausible reste que Syméon ait été couronné soit basileus de Bulgarie soit césar
de Bulgarie, étant entendu que, pour les Bulgares, le terme césar équivalait à cette époque au
terme tsar. Mais il ressort également que ce couronnement n'a pas été ensuite reconnu comme
valide par le pouvoir byzantin, et cela dès 914, d'où l'extrême subtilité dans l'emploi des
termes aussi bien dans les sources officielles que dans les chroniques et la correspondance
concernant Syméon, son couronnement et le port de ses titres.
65. R.J.H. Jenkins, The peace... , op. cit. n. 63, p. 291.
66. Nicolas I, op. cit. n. 19, lettres n° 23, 1. 118 (922), n° 25, 1. 137 (922-923), n° 30, 1. 49 (fin
de l'année 924), n° 31, 1. 127 (janvier-avril 925) ; Théodore Daphnopatès, op. cit. n. 53, lettres
n° 5 (an 924), 1. 38, 52, 96 ; n° 6 (an 925), 1. 2, 22, 31, 96, 101, 106, 112, 116, 130, 152.
67. De cerimoniis, p. 690.
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Pour conclure, nous pensons avoir montré que Byzance avait construit au
Xe siècle une véritable théorie ethnique des sociétés humaines, théorie
reflétant une idéologie fondée depuis des siècles sur l'opposition entre Barbares
et Romains. Mais, si les Byzantins la voulaient stable et immuable, les
bouleversements démographiques à l'échelle mondiale et les transformations
politiques des États étrangers ont contraint l'empire à adapter cette théorie
ethnique. Les solutions furent diverses et originales : intégration par la ro-
manisation, intégration dans la famille des chrétiens, intégration par divers
serments directement liés à la personne impériale. Finalement, l'empire
byzantin était une remarquable machine à intégrer. Il a néanmoins échoué dans
l'acculturation qui, du Xe au XIIe siècle, commence à s'incarner dans la gré-
cité orthodoxe.