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1. La lecture au XIX°
La lecture est la première des trois connaissances de base dont l'école primaire doit
munir les élèves. Au XIX° siècle, plus encore qu'aujourd'hui, apprendre à lire
représente la mission essentielle de l'école primaire, et il n'est pas rare que cet
apprentissage emplisse à lui seul les six ou sept années que dure en moyenne la
scolarité élémentaire. Encore arrive-t-il fréquemment, jusque dans les années
quatre-vingt, qu'au terme de leur scolarité nombre d'élèves n'en soient encore qu'au
stade d'un laborieux déchiffrage. " En France, précise un instituteur dans le compte
rendu d'une conférence pédagogique de 1875, beaucoup de personnes savent lire,
mais très peu possèdent le rare talent de la bonne lecture, qui semble être un
privilège pour les gens déjà en possession de la fortune et d'une éducation achevée.
" Sans doute, le caractère très décousu de la scolarité des enfants du peuple
explique-t-il cette carence. Mais il faut surtout mettre en cause une méthode
d'apprentissage particulièrement défectueuse, essentiellement basée sur la répétition
mécanique et excluant, malgré les conseils des pédagogues de la seconde moitié du
siècle, tout appel à l'intérêt et à l'intelligence des enfants.
Cette phase de déchiffrage, surtout dans sa première étude qui comprend l'étude
des éléments des mots, lettres et syllabes fait peu appel à l'entendement de l'enfant.
" C'est un mécanisme dont l'étude n'est guère qu'une affaire de mémoire, et
s'adresse plus aux yeux qu'à l'intelligence ", écrit le Journal instituteurs. Les
pédagogues reconnaissent cet exercice " peu attrayant par lui-même ", d'où les
moyens plus ou moins ingénieux qu'ils inventent pour donner quelque attrait à fassi
assimilation de ce mécanisme. D'où aussi la multitude " méthodes ", plus ou moins
ingénieuses elles aussi, mises point pour accélérer ce déchiffrage.
D'où la notion de " lecture expliquée ", ou de " lecture raisonnée ", que la Rénovation
pédagogique met à l'ordre du jour et pour le triomphe de laquelle elle mène d'ardents
combats.
Comprenant ce qu'il lit, l'enfant est en mesure de franchir les deux étapes que les
pédagogues de la Rénovation distinguent dans la pratique de la lecture courante : la
" lecture intelligente ", dans laquelle la compréhension se traduit par le ton et les
inflexions de la voix, la " lecture expressive " ou " lecture accentuée ", " qui ajoute à
l'intelligence le sentiment du sujet, accompagné de la flexibilité d'organe nécessaire à
l'expression de ce sentiment "
Tout au long du siècle, une sorte de dichotomie caractérise donc la conception qu'on
se fait de l'apprentissage de la lecture. A la limite, pour certains, déchiffrage et lecture
courante appartiennent à deux réalités différentes.
b. Pourquoi lire ?
Lorsqu'il est " raisonné ", l'apprentissage de la lecture est de nature à permettre,
outre l'acquisition d'une technique instrumentale, la formation intellectuelle de
l'enfant. Aux alentours de 1830 on s'interroge pour savoir s'il convient d'apprendre à
lire aux enfants avant de leur avoir appris à penser. De nombreux pédagogues jugent
cette question sans fondement, estimant que l'apprentissage de la lecture contribue
à l'apprentissage de la pensée.
L'une des principales raisons qui poussent les pédagogues à inciter les élèves à
comprendre ce qu'ils lisent, tient au fait que c'est le seul moyen de permettre aux
leçons de lecture de véhiculer un contenu moral et religieux.
Les textes officiels vont dans le même sens. L'un des plus significatifs à cet égard est
une circulaire adressée en 1871, au lendemain de la défaite, par l'Inspecteur
d'académie du Calvados aux Inspecteurs primaires sur " la tenue et la direction des
classes ". Les livres de lecture ne doivent pas contenir, précise l'Inspecteur
d'académie, " des idées creuses, de vaines descriptions de contrées lointaines, des
jeux d'imagination ", mais < des récits simples et attachants, où le devoir et tout ce
qui est grand, noble et pur, se présentent sous des formes gracieuses, où l'enfant se
sent invité à devenir meilleur, parce qu'il y a là une voix douce et persuasive qui lui
fait aimer la vertu, le travail, les saintes rigueurs du sacrifice, la famille, Dieu et la
patrie ".
Notons enfin qu'entraîner l'enfant à une lecture comprise, c'est le doter, pour sa vie
future, d'un outil lui permettant d'être plus efficace dans son activité professionnelle.
On retrouve ici la -finalité utilitaire de l'enseignement primaire que nous avons
souvent eu l'occasion de noter.
Tous, ou presque, se basent sur une méthode synthétique qui part des éléments du
mot, pour atteindre le mot lui-même, puis la phrase, avant de parvenir à la lecture
courante. Un bon exemple de cette méthode nous est fourni par A. Rendu, en 1819,
qui prévoit neuf sortes de " leçons " pour l'apprentissage de la lecture. " La table
d'alphabet, la table des syllabes, le syllabaire, le second livre pour apprendre à
épeler et à lire par syllabes, le même second livre dans lequel ceux qui savent épeler
commencent à lire, le troisième livre qui sert à apprendre à lire par pauses, le
psautier, la Civilité chrétienne, les lettres écrites à la main. "
Le plan d'études de Rapet (1859) introduit une dimension nouvelle, qui devait être
largement reprise par la Rénovation pédagogique: la compréhension du texte lu. Dès
la deuxième année, Rapet propose d'adjoindre à la lecture courante " l'explication
des morceaux ". En troisième année, tandis que la lecture courante devient "
expressive ", " les élèves sont exercés à rendre compte de ce qu'ils ont lu ".
Gréard continue dans cette direction. Son plan d'études (1868) prévoit, dès le Cours
élémentaire, l'explication des mots par le maître. Au Cours moyen, cette explication
se double d'interrogations destinées à vérifier la compréhension. Au Cours supérieur
enfin, la lecture dans les livres et dans les cahiers manuscrits se fait " avec
explications et comptes rendus ".
Quant au programme de 1882, il prévoit, en classe enfantine, l'étude des lettres, des
syllabes et des mots, au Cours élémentaire, la lecture courante " avec explication
des mots ", au Cours moyen, la lecture courante avec des explications plus larges, et
enfin, au Cours supérieur, la lecture expressive.
Les programmes des examens de recrutement des maîtres sont le reflet fidèle de
ceux destinés aux élèves. On peut y noter une évolution identique en faveur d'une
lecture de moins en moins mécanique et de plus en plus raisonnée. Le Brevet de
capacité est habituellement décerné, dans la première moitié du siècle, aux aspirants
sachant lire les textes imprimés, en français et en latin, et les textes manuscrits en
français. Une instruction de 1816 exige de plus que les candidats soient en état de "
bien montrer " cette discipline. Les principaux critères retenus étant une intonation
correcte et l'absence d'accent.
Il n'est pas exagéré de dire que les méthodes d'apprentissage de la lecture pullulent
au XIXe siècle. II n'est pratiquement pas une année qui n'en voie naître une. Chaque
nouvelle méthode étant d'ailleurs présentée comme définitive et appelée éclipser
toutes les autres. Toutes ces méthodes se proposent, sans exception, de faciliter et
d'accélérer l'apprentissage de la lecture. Cette discipline était considérée comme
l'instrument de toute acquisition scolaire l'objectif est en effet d'en doter les enfants
de la manière la plus efficace et la plus expéditive possible. D'autant que lorsqu'ils la
possèdent, ils peuvent s'instruire plus ou moins seuls, déchargeant par là même le
maître.
b. Principes de classification :
Chaque méthode de lecture peut être caractérisée par la solution qu'elle apporte aux
problèmes suivants :
- Si cette seconde solution est adoptée, quels sont les éléments constitutifs du mot
qu'il faut faire mémoriser aux élève pour leur permettre, par juxtaposition de ces
derniers, de déchiffrer le mot? Problème pédagogique connexe de ce problème
linguistique, ces éléments étant déterminés, dans quel ordre faut-il les présenter pour
qu'ils soient le plus aisément assimilés ?
- Dernier problème enfin, par quels procédés concrets et grâce à quels exercices
faire accéder les enfants à ces diverses combinaisons ?
Celles entrant dans le premier ensemble possèdent en commun le fait de partir des
éléments du mot pour reconstituer ce dernier par voie de synthèse. Méthode logique,
déjà utilisée dans l'Antiquité, correspondant à la nature de l'esprit adulte, elle est fort
prisée par la méthode pédagogique traditionnelle. Parmi les tenants de cette
méthode, des divergences importantes se manifestent.
Pour les uns, ces éléments minimaux sont représentés par les lettres de l'alphabet.
Ainsi, dans la méthode d'apprentissage traditionnelle de la lecture, les élèves
mémorisent-ils, de longs mois durant, les unes après les autres, toutes les lettres de
l'alphabet, avant de commencer à les assembler en syllabes, puis en mots. Cette
méthode repose sur l'épellation intégrale de toutes les lettres du mot. On la qualifie
habituellement au XlXe siècle " d'ancienne méthode " ou encore " d'ancienne
épellation ".
Pour d'autres, les éléments minimaux de la lecture sont des éléments phoniques, et
non des éléments graphiques comme les lettres. Les partisans de cette " méthode
phonique ", ou " nouvelle épellation ", désignent les lettres par le son qu'elles
représentent et non par leur nom. Les éléments minimaux de la lecture sont alors les
sons représentés graphiquement par une ou plusieurs voyelles, et les articulations,
qui modifient les sons et sont représentées graphiquement par une ou plusieurs
consonnes. L'épellation consiste dans ce cas à énoncer, dans la composition du mot,
non les lettres, mais les sons et les articulations qui les modifient.
D'autres enfin, assurent que ce sont les syllabes qui forment les éléments du mot, et
que si l'élève doit connaître les voyelles et les consonnes qui les constituent, donc
les sons et les articulations, il n'a pas à les épeler séparément, seul le son global
représenté par la syllabe étant épelé dans le mot. Cette méthode est dite de "
syllabation ".
Ces méthodes " à marche analytique " partent donc de " la matière à lire dans son
ensemble ". Cette matière pouvant être une phrase, qu'on décompose en mots,
syllabes et lettres, ou un seul mot qu'on décompose en ses. A partir des sons ainsi
isolés, on reconstruit d'autres mots, ce qui fait que certains auteurs distinguent une
méthode analytique et une méthode mixte ou analytique-synthétique.
Le troisième grand ensemble groupe les méthodes qui apprennent à lire et à écrire
simultanément. Deux cheminements sont alors possibles.
- Soit on apprend d'abord à l'enfant à écrire les lettres de l'alphabet avant de les lui
faire assembler en écrivant ou en lisant. Il s'agit là d'une méthode d'écriture-lecture
avec marche synthétique.
4. La lecture aujourd’hui :
Il y a vingt ans, le " savoir-déchiffrer " pouvait encore paraître suffisant pour 80 % de
la population; et les autres, qui continuaient leurs études, devenaient (ou plutôt
étaient devenus) lecteurs pour des raisons étrangères à l'enseignement qu'ils avaient
reçu.
La volonté de démocratisation dans les CES a fait apparaître que le " savoir-
déchiffrer " ne pouvait se confondre avec le " savoir-lire "; et les professeurs n'en
sont pas encore revenus... L'affirmation démocratique du tronc commun rendait
nécessaire de changer l'enseignement de la lecture; on a seulement choisi de
l'améliorer. On a cherché la solution dans le perfectionnement des méthodes
existantes, alors que c'est par leur abandon qu'elle passait! A problème différent,
solution différente. La lecture n'est pas au-delà du déchiffrement, elle est, dès son
début, d'une autre nature.
Les normes utilisées pour évaluer le " savoir-déchiffrer " n'ont pas cours dans le "
savoir-lire ".
On fait la différence entre voir et regarder, entendre et écouter... Lire, ce n'est pas
voir de l'écrit, ce n'est pas donner une version orale d'un écrit. Qui oserait prétendre
qu'il sait lire le latin parce qu'il peut prononcer les phrases qu'on lui présente?
Lire, c'est être questionné par le monde et soi-même, c'est savoir que certaines
réponses peuvent se trouver dans l'écrit, c'est pouvoir accéder à cet écrit, c'est
construire une réponse qui intègre une partie des informations nouvelles à ce qu'on
est déjà.
Selon qu'il s'agit d'un poème ou d'une recette, d'un journal ou d'un roman, question,
exploration de l'écrit et réponse seront de nature différente mais l'acte de lecture est
le moyen d'interroger l'écrit et ne souffre pas d'être amputé d'un de ses aspects.
Lire, c'est traiter avec les yeux un langage fait pour les yeux
Ce n'est pas parce que, dans nos pays (pour des raisons qui ont bien peu de
rapports avec la lecture), l'écrit offre une correspondance approximative avec l'oral,
que lire consiste à retrouver l'oral dans l'écrit. Dans nos pays, comme en Chine,
l'écrit est le langage qui s'adresse aux yeux; il fonctionne et évolue pour la
commodité de cette communication visuelle. La correspondance approximative avec
l'oral est une caractéristique supplémentaire mais qui n'affecte pas les processus de
lecture.
Le rapport Migeon en 1989, définit l’acte de lire: lire n’est pas qu’une activité de
décodage, lire c’est comprendre, c’est une activité par laquelle le lecteur prélève des
indices qu’il met en relation avec son savoir dans le cadre d’un projet. Dès lors une
question se pose faut-il donc apprendre à comprendre pour pouvoir lire, ou
apprendre à lire pour comprendre
La première limite de cette définition de la lecture réside dans l’idée selon laquelle le
sens est immanent au texte. Or la linguistique pragmatique situe le sens comme
constitué par le sujet lisant, le sens n’est pas immanent au texte comme message,
mais à une situation de communication - laquelle implique émetteur, récepteur mais
aussi normes, genre textuel, pratique sociale. " Le texte est une série de contraintes
qui dessinent des parcours interprétatifs Chaque lecteur est libre de suivre un tracé
personnel, de déformer ou de négliger à sa guise les parcours indiqués par le texte,
en fonction des ses objectifs et de sa situation historique "
La seconde limite à la définition citée plus haut tient dans une conception de l’écrit
enfermé dans la communication. C’est tout l’intérêt du travail de Jack Goody de
mettre en avant, que l’écriture est une décontextualisation de l’oral, " l’écriture
favorise des formes spéciales d’activités linguistiques et développe certaines
manières de poser et de résoudre des problèmes. ". Elle accroît les possibilités de
manipulation du sens, libère du circonstanciel, trie l’information extraite de la
situation réelle, fait de l’ordre dans le disparate, elle introduit une planification de
l’action. Opérant une synthèse entre Goody et Vygotski Jean Foucambert définit
l’écrit comme l’outil de la pensée réflexive rendant possible " une pensée sur la
pensée " faisant du langage écrit " l ’algèbre du langage "; " L’écriture est ainsi le
moyen de construire un point de vue, une vision du monde ".
Si enfin on se réfère aux théories de la réception pour qui le texte n’existe que parce
qu’il y a eu lecture, et selon ce qui précède, il apparaît que ne peuvent se dissocier
lecture et écriture. En effet on conçoit de ce que l’on vient de dire, qu’un bon lecteur
est celui qui est aussi capable d’endosser le rôle de scripteur, pouvant ainsi inférer
des significations issues des compétences de producteur d’écrit.
Lire est plutôt un processus interactif dont nous allons ici énumérer cinq facteurs :
4. Lire c’est enfin mettre en réseau des textes, entrer dans l’univers
des livres: un texte existe toujours en référence à d’autres textes; lire
c’est pratiquer l’intertextualité.
Enfin la construction des compétences de lecteur définie ainsi, réclame à notre sens
un modèle pédagogique de type socio-constructiviste: les interactions texte-lecteur-
contexte réclament la confrontation et l’invention collective pour atteindre un degré
d’efficience.
Le premier niveau est celui de l'efficacité, définie par le rapport entre le but et le
résultat, ce qui va permettre la régulation non seulement après, mais aussi en cours
d'activité (ainsi abandonne-t-on tel moyen lorsqu'il ne produit pas l'effet escompté,
pour essayer autre chose). Un deuxième niveau juge du rapport entre les moyens
utilisés et le but auquel parvenir, donc évalue l'efficience c'est-à-dire le degré
d'optimisation des efforts déployés au regard du but à atteindre (si je peux réaliser
mon but avec un moindre effort, j'ai tendance à privilégier le "principe d'économie").
Le troisième niveau est celui du sens, rapport entre le mobile et le but, donc entre le
versant objectif de l'activité (jaugeable concrètement du point de vue de son
efficacité et de son efficience) et son versant subjectif (les mobiles du sujet, liés à
son identité, son histoire personnelle, son rapport au monde, initiateurs de
l'activité). "
Enfin il propose un processus d’entrée dans l’écrit et établi sur l’année scolaire dont
voici le détail :
LE TEMPS D'APPRENDRE
Septembre-octobre :
- Eclaircissement à propos
Novembre-décembre :
- Elargissement du corpus référent; Multiplication des réflexions sur l'écrit par les
enfants à l'occasion de découvertes de textes (marques graphiques : ponctuation,
pluriel, comparaisons de mots...) ;
• Classement du fichier-mots
• Ouverture du cahier-dictionnaire
- Cristallisation des découvertes sur les rapports oral / écrit; multiplication des
occasions d'usage de la combinatoire. ( Intégration du principe alphabétique et
des valeurs conventionnelles).
- Accélération due à
• une plus grande pratique (lire est moins difficile, plus agréable);
• une meilleure compréhension; ... qui génèrent l'envie d'éprouver ses nouveaux
pouvoirs (lire partout, à tout propos).
7. Bibliographie :
DEVANNE B. ; Lire & écrire des apprentissages culturels, T1 & T2, Armand Colin,
1993