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BIOPOLITIQUE ET POUVOIR SOUVERAIN

Maria Muhle

Editions Léo Scheer | « Lignes »

2002/3 n° 9 | pages 178 à 193


ISSN 0988-5226
ISBN 2914172494
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MARIA MUHLE

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BIOPOLITIQUE ET POUVOIR SOUVERAIN
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« Comme le pouvoir serait léger et facile,


sans doute, à démanteler, s’il ne
faisait que surveiller, épier, surprendre,
interdire et punir ; mais il incite,
suscite, produit ; il n’est pas simplement
œil et oreille ; il fait agir et parler. »
Michel Foucault.

Le discours politique actuel semble s’être figé autour


d’un sujet unique décliné sur toutes les tons – l’insé-
curité civile dans les zones problématiques des
banlieues (échelle locale), les affrontements violents
entre manifestants et forces de l’ordre au cours des
manifestations contre les politiques étatiques et la
mondialisation (échelle nationale) et le danger immi-
nent qui émane de la menace terroriste (échelle
mondiale). Il serait intéressant de voir quelles sont les
raisons de ce changement du discours au cœur duquel
la droite et la gauche semblent se rejoindre. L’impor-
tance croissante de l’insécurité déclinée sous toutes
ses formes possibles peut être considérée comme
symptomatique d’un état de crise de la démocratie,

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crise qui se trouve explicitée par la préoccupation


frénétique de maintenir les limites de l’espace poli-
tique enfermant une masse homogène d’individus,
vivant en sécurité et préservée des attaques violentes
de ceux qui ne font pas partie de cet espace.
Michel Foucault, dans ses écrits sur la biopolitique,
avait centré son analyse sur ces problématiques inhé-

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rentes à la démocratie même : le passage de l’Ancien
Régime aux nouvelles techniques de pouvoir s’effec-
tue par une prise en compte majeure de la vie. C’est le
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passage d’un système régi entièrement par le droit de


vie et de mort exercé par le souverain sur ses sujets à
un autre régime de droit dont la fonction est de faire
vivre ou de rejeter dans la mort. Au sein de ce pouvoir
qui investit la vie de part en part, Foucault distingue
deux formes principales: les disciplines et les contrôles
régulateurs – « une anatomo-politique du corps humain
et une biopolitique de la population 1 ». Il abordera
donc son analyse politique sous cet angle qui est celui
d’un pouvoir sur la vie qui, peu à peu, a pris la place
du pouvoir archaïque du souverain sur ses sujets.
Ainsi, les préoccupations principales de Foucault qui,
dès le début, tournent autour des sujets exclus de la
société, ainsi qu’on peut le lire dans son Histoire de la
folie et ses écrits sur la prison notamment, rencontrent
ici un nouveau mécanisme théorique et pratique : une
analyse du pouvoir en fonction de ses pratiques effec-
tives et une fonctionnalisation de l’exclusion consi-
dérée du point de vue des inclus et tendant vers la
purification de la population.

1. Michel Foucault, La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 183.

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Le déploiement actuel des thématiques sécuri-


taires, autant intérieures qu’extérieures, montre la
pertinence des analyses foucaldiennes et de sa grille
d’analyse. Néanmoins, il serait important d’envisa-
ger une possibilité de reformulation de celles-ci afin
de leur donner une dimension plus juridique, dimen-
sion à laquelle Foucault renonce entièrement en

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faveur du concept de normalisation. Giorgio Agam-
ben, dans son livre Homo sacer, le pouvoir souverain
et la vie nue, prend l’initiative de montrer la struc-
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ture juridico-politique à laquelle sont soumis les


mécanismes d’exclusion qui fonctionnent au sein
d’une démocratie.
C’est à partir du phénomène des camps qui appa-
raissent un peu partout sur les bords de l’Europe
qu’Agamben déploie son analyse des situations d’ex-
ceptions se produisant à l’intérieur d’un espace se
prétendant balisé par les droits de l’homme. Le para-
doxe est évident, d’autant plus évident que la situa-
tion en elle-même ne suscite pas beaucoup d’attention
de la part de la politique institutionnalisée et semble
réveiller uniquement certains réflexes humanitaires 2.
Le retour du camp, c’est-à-dire d’un espace placé
dans l’espace politique d’un point de vue géogra-
phique, mais en dehors de celui-ci d’un point de vue
juridique, met en évidence, selon Agamben, le fait
que l’État démocratique se comporte en souverain

2. On se souviendra de la remarque que fait Hannah Arendt au sujet de l’in-


térêt qui avait été porté aux apatrides qui erraient dans l’Europe de l’entre-
deux guerres. La seule réaction qu’ils avaient suscitée était de caractère
totalement humanitaire, ce qui mit en évidence la paradoxale impossibilité
d’exiger une reconnaissance politique de leur statut.

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absolu, qui enferme, qui inclut et exclut, et qui tue


légitimement une vie qui n’atteint pas à la dignité
d’une vie politique – ce qu’il appelle une vie nue.
Agamben construira donc une image de la démocra-
tie occidentale à partir du couple « pouvoir souve-
rain » et « vie nue » qui scande l’espace démocratique
selon le modèle de l’exclusion inclusive. Pour cette

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analyse, il s’appuie sur une réinterprétation de la
théorie de la biopolitique foucaldienne, réinterpréta-
tion qui ne va pas sans difficultés car elle réactive un
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concept de pouvoir, le bio-pouvoir, en le ramenant


vers une compréhension souveraine et transcendante
de ce pouvoir. Le bio-pouvoir acquiert, dans l’ana-
lyse d’Agamben, une fonction transcendantale
capable de créer et de suspendre l’espace politique,
capable de créer la règle démocratique en même
temps que son exception. Agamben transpose le para-
digme du régime absolutiste – dans lequel le roi
exerce invariablement le droit de vie et de mort sur
ses sujets, et peut donc les réduire à « vie nue » –, à
un système démocratique qui a été analysé par
Foucault en termes de biopolitique. Le pouvoir
souverain reste alors présent dans le régime démo-
cratique, même s’il est caché sous le manteau de la
normalité démocratique scandée par l’héritage de la
Révolution – liberté, égalité, fraternité.
Afin d’approcher les motifs de l’analyse agam-
bienne – attirante quoique critiquable sur bien des
points –, il est nécessaire de différencier deux compré-
hensions de l’exception qui semblent entremêlées.
D’un côté, et suivant les thèses sur l’histoire de Benja-
min – l’exception est devenue la règle –, Agamben
élabore un concept d’exception généralisée qui lui

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permet d’attribuer une fonction transcendantale et


créatrice à ce concept. Mais, d’un autre côté, nous
faisons invariablement face à de multiples moments
d’exception se générant à l’intérieur de l’État démo-
cratique, lesquels ne sont pas produits selon une seule
et unique logique mais reflètent plutôt les variations
internes et les faiblesses inhérentes à ce système. La

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différence qui s’établit ici n’est donc pas réductible à
celle qui existerait entre une exception accidentelle,
un dérèglement passager de la démocratie, et une
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exception permanente qui invaliderait tout acquis


démocratique. L’exception ne doit pas être comprise
en tant que paradigme de la société, ou comme
Agamben le fait, en suivant Carl Schmitt, en tant
qu’origine archaïque de l’espace politique, mais
plutôt en tant que phénomène se produisant à l’inté-
rieur de la démocratie, possibilité structurelle d’une
exception dans l’espace démocratique tel qu’elle se
cristallise dans des situations d’exclusion, et notam-
ment autour de la figure du réfugié. La démocratie
produit donc des exceptions sur un mode structurel
sans que cette production d’exception puisse pour
autant constituer l’origine transcendantale de la
démocratie et représenter la règle universelle bien que
cachée de l’espace politique.
Ce qui doit être considéré comme permanent est
la possibilité effective de la production de moments
d’exception, la possibilité par exemple pour l’État de
mettre en place des structures de camp ou de zones
d’attente où le droit est momentanément suspendu,
structures qui ne sont pas soumises au système juri-
dique démocratique. Agamben, par contre, présente
une compréhension de la démocratie en termes d’ex-

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ception devenue la règle, exception qui découle à son


tour de l’activation camouflée du pouvoir souverain
à l’intérieur de la démocratie dans laquelle il s’est
maintenu caché pour ne pas gâcher l’impression de
normalité démocratique qui s’est installée dans les
sociétés post-totalitaires. Cette présence cachée est
donc l’élément fondateur de la théorie agambienne

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qui conclut sur l’exception devenue la règle, et sur
l’identité secrète entre totalitarisme et démocratie
dont le paradigme n’est plus la polis mais le camp.
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Cette discussion théorique sur le statut de l’exception


et de la règle dans la politique contemporaine mène
à une autre discussion qui tourne, elle, autour de l’en-
trelacement des deux régimes de droit que nous avons
mentionnés, le régime souverain du droit de vie et de
mort, et celui, biopolitique, de l’investissement de la
vie dans une société de normalisation. Il nous faut
donc voir comment Foucault et Agamben s’opposent
ici dans leurs conceptions d’une possible intrication
des deux systèmes à travers une problématique récur-
rente, celle de l’exclusion.
La théorie agambienne, selon laquelle toute vie est
réductible à la vie nue, doit être reformulée sensible-
ment : quelle est cette vie qui bascule du côté du non-
droit et qui se trouve recluse dans les camps de
réfugiés ? Est-ce que cette vie nue correspond vérita-
blement à toute vie en puissance, c’est-à-dire est-ce
que toute vie est susceptible d’être réduite à vie nue,
ou est-ce que cette réduction répond à certains
critères, historiques, sociaux ou raciaux ? L’État s’oc-
troie le pouvoir d’inclure ou d’exclure, comme on
peut le voir avec les lois portant sur l’immigration,
constituant par le fait différentes classes d’immi-

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grants ; une première qui inclut tous ceux dont le


travail est précieux pour le fonctionnement de l’éco-
nomie – les spécialistes d’informatique que l’Alle-
magne veut faire venir en leur offrant des titres de
séjour illimités pour eux et leurs familles – et une
seconde qui englobe tous ces immigrants indésirables
dont la force de travail constitue un excédent sur le

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marché national du travail. Le pouvoir d’inclure et
d’exclure s’applique donc à des sujets précis, précisé-
ment à ceux qui peuvent être considérés comme
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faibles en droits et éloignés à ce titre de la figure du


sujet dominant de la politique occidentale.
Dans sa tentative de produire une ontologisation
de la politique à travers la scission originaire du
concept de vie en vie humaine et vie animale, Agam-
ben ignore cette différenciation ou la réduit à l’op-
position plus générale entre vie nue et pouvoir
souverain, réduction à l’intérieur de laquelle, on l’a
vu, toute vie est susceptible d’être réduite à vie nue.
La même opposition formalise l’interprétation du
phénomène des camps dans la pensée d’Agamben : ce
qui a lieu à l’intérieur d’un camp, la réduction totale
de la vie à vie nue, le dépouillement général de
l’homme de tous ses attributs humains, a lieu dans
tous les camps – la « structure-camp » étant une zone
de non-droit à l’intérieur du droit, ce que réalisent,
selon lui, des situations aussi différentes qu’Ausch-
witz, le camp des réfugiés albanais à Bari, et les zones
d’attente des aéroports où les clandestins peuvent être
retenus pendant quarante-huit heures.
Ces affirmations sont évidemment très contes-
tables et la question se pose de savoir si cette
approche juridique, qui permet de conclure à une

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seule structure se répétant dans tous les moments


d’exception, ne serait pas finalement réductrice et ne
tendrait pas à construire, du moment politique actuel,
une interprétation extérieure recourant à des termes
transcendantaux et universels. Foucault, quant à lui,
insiste non seulement sur la scission existante entre
les deux régimes de droit, souverain et biopolitique,

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mais aussi sur les éléments historico-sociaux ou
économiques dont le rôle est indéniable dans les
processus d’exclusion, lesquels ne peuvent être pris
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en compte par les thèses d’Agamben.


Il est donc nécessaire de revoir celles-ci de manière
critique, entre autres la thèse de l’identité structurelle
entre démocratie et totalitarisme découlant de l’ana-
lyse de l’exception souveraine, et celle de l’assimila-
tion des camps d’extermination aux camps de réfugiés
ou aux zones d’attente dans les aéroports. Il est
possible de le faire à partir de l’interprétation de
Foucault par Agamben ; à partir de quoi il sera
possible d’aboutir, non pas à une alternative : biopo-
litique/pouvoir souverain, mais à une intrication des
deux termes qui ne formera pas une subordination de
la biopolitique au pouvoir souverain mais un entre-
lacement progressif ou une infiltration du droit de
mort dans les structures modernes du bio-pouvoir.
Agamben appuie sa théorie sur l’analyse des états
de non-droit à l’intérieur de l’état de droit, analyse
qui met en évidence la fragilité de certains sujets en
tant que sujets de droit et la facilité avec laquelle ils
peuvent être privés de ces droits. C’est ce qui se
produit dans les zones d’attente des aéroports, les
zones franches des frontières, les camps de réfugiés
installées aux bords de l’Europe occidentale et, de

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manière éclatante, à l’intérieur des prisons. L’État de


droit génère lui-même des zones de non-droit dans
lesquelles « le fait de commettre plus ou moins d’atro-
cités ne dépend pas du droit mais seulement de la civi-
lité et du sens éthique de la police qui agit provisoirement
en souveraine 3 ».
Ce qui se met en œuvre dans un tel espace est

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donc la réactivation du pouvoir souverain qui avait
été présent en puissance et s’active dans la figure de
la police – mais peu importe la figure. La démocratie
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n’est, selon Agamben, que système de souveraineté


absolue camouflé, coïncidence entre pouvoir souve-
rain et biopolitique, lequel se réalise à la perfection
au cours du nazisme. Deux objections peuvent être
faites à cette interprétation. La première, d’ordre
conceptuel, a trait à la clarification des concepts
(biopolitique et pouvoir souverain) et à la façon dont
Agamben se sert d’eux, façon qui ne le place pas dans
l’esprit et la compréhension qu’en avait Foucault lui-
même. La seconde objection découle presque auto-
matiquement de la première, et consiste à demander
si le recours à une force originaire et créatrice, donc
transcendantale, ne rend pas infructueuse toute
analyse politique actuelle, et s’il ne faudrait pas plutôt
examiner l’espace politique dans son immanence,
c’est-à-dire, s’il ne faudrait pas étudier les moments
de non-droit, créés de toute évidence à l’intérieur de
l’État de droit, à partir de concepts biopolitiques
fondamentaux, comme : « l’investissement de la vie

3. Cf. G. Agamben, « Qu’est-ce qu’un camp ? », in Moyens sans fins, Paris,


Rivages, p. 52.

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de part en part, les disciplines et les contrôles régula-


teurs, une anatomo-politique du corps humain et une
biopolitique de la population 4 ».
Comment la violence étatique s’introduit-elle
donc dans un tel espace protégé, un espace balisé par
des droits ? Le système biopolitique homogénéise ou,
au cas où ce n’est pas possible, il enferme, exclut ou

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même supprime, sans pour autant assumer la violence
de ses actes et tout en se réclamant d’un mouvement
entièrement dirigé vers le bien-être d’une population.
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Dans un contexte démocratique, la violence d’État se


dissimule, elle perd son caractère symbolique, voire
mythique, elle s’intègre subrepticement dans la poli-
tique démocratique. Le bio-pouvoir s’empare de la
violence mortifère et la disperse entre les individus :
elle la rend plus acceptable pour la population, moins
éclatante, moins choquante, plus « normale », mais
en aucun cas moins mortifère.
Le mécanisme qui permet cette introduction de la
mort au milieu d’un espace de vie est celui du racisme
qui double le pouvoir sur la vie d’un pouvoir sur la
mort. Pourtant, ce pouvoir sur la mort ne s’exerce
plus en tant que légitime défense du souverain, il
devient un des outils de survie de la population – les
holocaustes recherchent moins la destruction des
individus visés que la purification des autres, selon le
concept de « pouvoir tuer pour pouvoir vivre 5 ». Et,
dit Foucault au sujet du maintien dans l’existence
d’une population, « l’existence en question n’est plus

4. Cf. M. Foucault, La Volonté de savoir, op. cit., p. 181


5. Cf. ibid., p. 180 ou bien p. 181 : « On tue légitimement ceux qui sont pour
les autres une sorte de danger biologique ».

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celle, juridique, de la souveraineté, c’est celle, biolo-


gique, d’une population 6 ». Il ne s’agit donc plus de
tuer, de punir, de soumettre mais de faire vivre, de
surveiller et de rendre libre, d’une liberté toujours
soumise à un contrôle subtil, liberté qui s’exprime par
l’omniprésence du terme de transparence.
Néanmoins, il existe un enlacement non seulement

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entre le recours possible au droit de mort dans les
deux régimes, mais aussi dans la représentation du
pouvoir souverain et biopolitique. Au chapitre précé-
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dent, « Le dispositif de sexualité », Foucault avait


développé le terme de monarchie juridique : il y affir-
mait que la représentation du pouvoir est restée hantée
par la monarchie, le pouvoir absolu : « Dans la pensée
et l’analyse politique, on n’a toujours pas coupé la tête
du roi 7 ». Foucault admet donc l’existence et la persis-
tance d’une forme historique, la monarchie juridique,
et l’importance que celle-ci donne aux concepts de
droit et de violence, de loi et d’illégalité, de volonté et
de liberté, d’État et de souveraineté.
Mais, même s’il admet que ces formes ont subsisté
dans l’analyse politique moderne, « des mécanismes
de pouvoir très nouveaux l’ont peu à peu pénétrée, qui
sont probablement irréductibles à la représentation
du droit. […] ces mécanismes sont pour une part au
moins ceux qui ont pris en charge, à partir du XVIIIe
siècle, la vie des hommes ; les hommes comme corps
vivants. Ces procédés de pouvoir fonctionnent donc
non pas à la loi mais à la normalisation, non pas au
châtiment, mais au contrôle et s’exercent à des

6. Ibid., p. 180
7. Ibid., p. 117

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niveaux et dans des formes qui débordent l’État et ses


appareils ». Et Foucault conclut en affirmant que
« nous sommes entrés dans un type de société où le
juridique peut de moins en moins coder le pouvoir ou
lui servir de système de représentation 8 ».
Ici s’opposent deux problématiques fondamen-
tales : d’un côté Foucault défend une scission exis-

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tante entre l’Ancien Régime et l’État moderne,
scission qui sera rejetée par Agamben. D’un autre
côté, il affirme que le pouvoir déborde l’élément juri-
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dique de cet État moderne ce qui l’oppose aux théo-


ries de l’État de droit régi par le constat universel des
Droits de l’homme. Ce qui doit être pris en compte
est donc la normalisation que le pouvoir moderne
vient coder, pouvoir moderne qui est lui-même sujet
à une atomisation, à sa décomposition en rapports de
forces. Le couple conceptuel normalisation/rapports
de force vient alors souligner la distance qui s’instaure
d’avec le couple droit (de vie ou de mort)/pouvoir
monolithique, souverain.
L’opposition ou l’intrication des régimes de souve-
raineté absolue et de biopolitique posent donc un
problème qui est repris dans les cours du Collège de
France de cette même année 1976 sous une tout autre
lumière. Ce déplacement d’un texte à l’autre, qui ont
pourtant été écrits durant la même période, peut
évidemment indiquer un ressaisissement de la part de
Foucault de ses thèses de la Volonté de savoir. Néan-
moins, je m’avancerais à dire qu’il s’agit plutôt là
d’une illustration de la pensée biopolitique de

8. Cf. ibid., p. 117s

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Foucault, d’une sorte de méthodologie traduite par


cette différence entre les deux textes. Par là il faut
comprendre que Foucault se place, dans un premier
temps, très clairement à l’intérieur d’un régime
biopolitique, qu’il dissocie en grande partie du régime
de souveraineté de type Ancien Régime ; et, dans un
deuxième temps, qu’il se voit obligé de réintégrer

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l’élément de souveraineté absolue par excellence,
c’est-à-dire le droit de vie et de mort, dans le contexte
biopolitique. Il est important de constater que cette
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réintégration se fait sur un mode non pas symbolique,


mais en mettant en avant la fonctionnalité d’un tel
processus. Le processus d’intégration ou d’entrela-
cement du droit de mort avec la biopolitique se fait
lui-même sur un mode biopolitique.
Dans les cours au Collège de France, Foucault
insiste alors sur la problématique de l’entrelacement
des deux régimes en montrant les paradoxes du bio-
pouvoir lui-même. Il y a d’un côté un excès du droit
souverain sur le bio-pouvoir, et de l’autre côté un
excès du bio-pouvoir sur le droit souverain. La
première situation est celle dans laquelle nous plon-
gerait l’utilisation de la bombe atomique, incarnation
du pouvoir de mort qui tue toute vie et supprimerait
donc le pouvoir en tant que bio-pouvoir. La deuxième
situation, l’excès de bio-pouvoir, se présente au
moment où l’homme est capable de créer la vie et
donc de fabriquer des monstres, des virus destructeurs
de l’humanité. Les deux éléments continuent donc à
se croiser dans un régime moderne et la question
fondamentale est alors la suivante : « […] comment va
s’exercer le droit de tuer et la fonction du meurtre, s’il
est vrai que le pouvoir de souveraineté recule de plus

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en plus et qu’au contraire avance de plus en plus le bio-


pouvoir disciplinaire ou régulateur 9 ? »
C’est par le biais du racisme que cette intrication
du droit de mort dans le droit de la vie est possible :
non pas que le racisme constitue un élément nouveau,
mais le fait qu’il soit intégré dans une politique
étatique repose sur l’émergence de ce bio-pouvoir. Le

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racisme permet, dit Foucault, d’introduire une
coupure dans le domaine de la vie, « la coupure entre
ce qui doit vivre et ce qui doit mourir » ; plus loin, il
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énnonce que la première fonction du racisme est de


fragmenter, de faire des césures à l’intérieur de ce
continuum biologique auquel s’adresse le bio-
pouvoir 10. Foucault conclut alors que le seul moyen
pour le pouvoir de normalité d’exercer le droit souve-
rain de tuer est d’en passer par le racisme. Le racisme
assume donc la fonction de mort dans le bio-pouvoir,
la mort des autres ou de l’autre étant le renforcement
biologique de soi-même ; néanmoins, peut-on affir-
mer à partir de ce constat que le racisme est le droit
archaïque de vie et de mort ? Pour être précis, il
faudrait plutôt dire que le racisme est le droit de mort
à l’intérieur d’un système biopolitique, le droit de
mort donc qui a perdu sa dimension symbolique et
scénique en faveur d’une fonctionnalité complète au
service des multiples relations de pouvoir.
Foucault poursuit avec l’exemple par excellence qui
fait voir l’intrication des deux régimes dans tout son
éclat, le nazisme, qui réalise parfaitement le pouvoir

9. M. Foucault, « Il faut défendre la société », cours du 17 mars 1976, p. 226


10. Ibid., p. 227.

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disciplinaire, met en œuvre les régulations biologiques


mais, en même temps, fait fonctionner le droit souve-
rain, pouvoir meurtrier qui est donné à l’État et aux
individus à travers les dénonciations : c’est une société
qui a absolument généralisé le bio-pouvoir, mais qui
a, en même temps, généralisé le droit souverain de
tuer 11. Et le nazisme réalise cet entrelacement en

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partant du caractère hautement symbolique de la
figure du Führer et de tout le culte de la personne du
chef qui lui est consacré. Le pouvoir disciplinaire vient
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se subordonner à ce pouvoir symbolique et mortifère,


il en dépend entièrement. Il est vrai que Foucault, dans
ce texte, affirme que cet entrelacement ne se produit
pas uniquement dans l’État nazi, mais dans tous les
États : « Seul, bien sûr, le nazisme a poussé jusqu’au
paroxysme le jeu entre le droit souverain de tuer et les
mécanismes de bio-pouvoir. Mais ce jeu est inscrit
effectivement dans le fonctionnement de tous les
États 12 ». Ce sont tous les États, donc, qui sont
capables de produire des états d’exception, d’exercer
un droit de mort, qu’il soit direct ou non.
Pourtant le problème qui se pose encore est celui
de l’application de cette analyse aux régimes démo-
cratiques modernes. Foucault affirme ici que cette
possibilité existe aussi dans les états non-totalitaires,
ce qui est évident si l’on considère l’existence d’espaces
de non-droit en leur sein. Mais cette possibilité s’est
renversée en quelque sorte : les éléments restent les
mêmes – pouvoir souverain, c’est-à-dire droit de mort

11. Ibid., p. 232.


12. Ibid.

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d’un côté, et régime biopolitique qui investit la vie de


l’autre –, mais leur mise en relation change : dans un
régime totalitaire, les pouvoirs disciplinaires viennent
appuyer la mise en œuvre du pouvoir souverain, du
pouvoir symboliquement éclatant de la figure du
souverain ; et dans un régime biopolitique, le méca-
nisme se renverse et le droit de mort vient se glisser

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dans un espace entièrement soumis à une normalisa-
tion et une disciplinarisation en renonçant à son carac-
tère symbolique mais non pas à son pouvoir mortifère.
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Cette dernière constellation, qui serait celle des démo-


craties occidentales, donnerait lieu à un éclatement du
terme d’exception et, par là, à la multiplication de ses
possibilités. Exceptions sociales, culturelles, artistiques,
politiques, qui doivent être étudiées et pensées.
Ce que nous essayons de montrer est donc une
possibilité de penser ces moments d’exception à partir
de la démocratie ayant intégré le droit de mort de la
manière que nous avons décrite plus haut, et non pas
à partir de la transcendance souveraine; c’est-à-dire de
penser le jeu biopolitique-droit souverain à partir de
la biopolitique – comme le propose Foucault – et non
pas à partir du droit archaïque de tuer, comme Agam-
ben essaie de le faire ; mais cette possibilité de penser
ces moments d’exception ne peuvent cependant pas
laisser de côté les nouveaux et importants acquis de ce
dernier qui renvoient – paradoxalement – vers une
lecture de la biopolitique dans son sens premier. Un
sens premier qui est celui de la compréhension de la
démocratie en tant que système de domination telle-
ment puissant qu’il est capable d’intégrer le droit de
mort sous ses différentes formes sans pourtant jamais
renoncer aux acquis démocratiques fondamentaux.

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