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Abstract
Lyricism and Celebration : Epiphany of das Ding
Modern genre theory condemns lyricism as narcissistic. An older tradition, as Nietzsche, Hôlderlin, Rilke knew, saw it as
celebration made possible by the song of pure desire and loss of self. « High lyricism » includes love poetry, when a subject
uses the object of love to celebrate the world.
Broda Martine. Lyrisme et célébration : l'épiphanie de la Chose. In: Littérature, n°104, 1996. pp. 89-100;
doi : 10.3406/litt.1996.2423
http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1996_num_104_4_2423
Lyrisme et célébration :
'épiphanie de la Chose
* Ce texteL'Amour
paraître, expose,dusous
nom,
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forme
sur resserrée,
le lyrisme plus
et la assertive
lyrique amoureuse.
que démonstrative, les principales thèses d'un livre à LITTÉRATURE
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■ LYRISME ET CÉLÉBRATION
Dans ce poème qui est une théorie des genres suivie d'une poétique,
Scève finit par définir, en l'opposant tacitement à la poésie amoureuse
banale qui « chante ses amours manifestes », la position propre de son
poème, qui est d'affronter un objet affolant, inhumain, que désigne le
« toi » mi-extatique mi-terrifié, retrouvant sa fonction de « pronom
d'appel ». En face de lui, la Chose, à mi-chemin du silence et du cri, le poète ne
sait que crier mercy, soit, dans la langue du seizième siècle, crier grâce.
Tout le problème de la poésie lyrique amoureuse est de faire
perdurer le désir, fût-ce en pactisant avec l'impossible. Elle tente de résoudre
l'aporie que cernent ces deux énoncés de Char : « le poème est toujours
marié à quelqu'un », mais « le poème est l'amour réalisé du désir demeuré
désir ». Elle le fait en s'adressant à des « dames », dont les noms, Béatrice,
Laure, Délie, Aurélia, Hélène, Eisa, si illustres qu'ils soient devenus à force
d'avoir été chantés, ne sont jamais que le senhal, selon une très belle
expression de Pierre Jean Jouve, de « la personne aimée par moi inventée
et vraiment fausse » à laquelle les poèmes d'amour sont secrètement
mariés. Le plus souvent très loin des amours biographiques, ils parlent de
l'amour premier, origine du désir. Je ne donnerai pas d'exemple de
célébration dans la poésie lyrique amoureuse, il faudrait presque tout citer,
des poèmes des troubadours à ceux d'Aragon, ou à Union libre d'André
n° km - déc. 96 Breton. Je dirai simplement que la figure aimée est souvent mise au centre
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Chez les poètes qui ont un rapport au religieux, si l'univers visible est
célébré, c'est comme manifestation de la présence divine, qui le justifie et
le règle. Gerard Manley Hopkins, qui fut jésuite, écrit ceci, dans un poème
justement intitulé Grandeur de Dieu (2) :
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LITTÉRATURE 2 Traduit par Jean Mambrino dans le volume Grandeur de Dieu et autres poèmes. Granit, 1980.
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J'insisterai sur Rilke, car il me semble que son œuvre formule une
vraie pensée à propos du lyrisme, pensée dont les concepts clefs sont ceux
de la célébration et de l'épiphanie, le geste de la célébration étant le
prolongement naturel de celui qui présente le réel dans l'apothéose de son
plus vif éclat. Contrairement à Hopkins, Rilke reste un exemple de ce que
l'épiphanie peut être purement laïque, sans cesser d'être, très
ostensiblement, celle de la Chose, qui illumine le perçu dans ces expériences qu'il
nomme Erlebnisse, et qui sont comme des moments d'intense fulgurance,
qu'il met au centre de son œuvre pour qu'elle s'en nourrisse. Pour Rilke,
par ailleurs, l'amour a surtout une valeur épiphanique, comme on peut le
lire dans ces vers de la neuvième Élégie :
Les amants, ne sont -ils pas une ruse de cette terre de silence,
afin que par tout ce qu'ils ressentent
chaque chose soit exaltée ?
concept d'un amour sans objet, l'amour intransitif, qui n'est autre que le
désir pur. Par ailleurs, Rilke témoigne d'une vive sensibilité au sublime,
thématisé comme dualité du beau et du terrible dès le début de la Première
Élégie de Duino. Il recherche avant tout une position où il est identifié au
Tout du monde, ce qui lui permet d'apprivoiser la mort. En quête de ce
qu'il appelle l'Ouvert, soit l'existence pensée comme milieu, spatialité
pure et entière perception, il essaie de le reconstruire dans ce qu'il nomme
le Weltinnenraum, l'espace intérieur du monde, à travers des expériences
privilégiées, les Erlebnisse, sortes d'extases mystiques profanes où
s'abolissent pour lui les frontières entre sujet et objet, dedans et dehors. Avecce
panthéisme mystique, fusionnel, qui peut évoquer le « sentiment
océanique » dont parlera Freud, c'est le motif du « sublime mathématique »
selon Kant qui est sollicité, celui-là même qui provient de la représentation
de l'informe et de l'illimité, avec l'idée de la totalité. Mais c'est surtout
parce qu'il le rapporte toujours à la question de notre destination supra-
sensible que le geste poétique de Rilke est sublime.
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LITTÉRATURE 4 Dans le volume collectif Du sublime, Belin, 1991.
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