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Kahrstedt
Kahrstedt U. Les Carthaginois en Espagne. In: Bulletin Hispanique. Tome 16, N°3, 1914. pp. 372-381.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hispa_0007-4640_1914_num_16_3_1876
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1. Quelques archéologues (p. ex. Siret et Bonsor) ont déclaré punique tout ce
qu'ils ont trouvé; Bonsor appelle la céramique qui, évidemment, n'a rien à faire a\ec
la poterie punique, «gréco-punique ». Siret (Rev. Arch., 1907, II, p. 373 sqq.) a soumis
le monde aux Phéniciens. M. Déchelette a réfuté ces théories fantastiques (Rev.
Arch.. 1908,, II, 219 et sqq). La chronologie proposée par M. Bonsor (I. Í., p. 378 sqq.)
est absolument impossible à accepter; il croit, par exemple, que les époques d'in
cinération des morts sont celles de l'influence sémitique.
a. Bonsor, l. ¿., p. a83 sqq, ; Engel-Paris, /. /. Le caractère punique des objets
d'ivoire des Alcores me semble douteux, à en juger par la photographie donnée par
Paris. Promen. arch., pi. 3i ; je ne connais pas les originaux. Les analogies puniques
en Etrurie que M. Bonsor, /. ¿ , a signalées pour ses trouvailles de Carmona, n'ont rien
de phénicien; ou n'ignore pasque l'influence phénicienne en Italie a été eiagérée.
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qui est, seulement, plus grand que les caveaux voisins». Osuna était,
évidemment, un centre principal de la vallée du Bétis aux temps
préromains. La ville était ibérique, sa situation, les grandes sculp
tures et le grand mur de fortification sont des preuves irréfutables
(P. Paris, Promen. arch., pi. 36 sqq.). Néanmoins, on y a découvert
deux tombeaux puniques, les seuls de l'intérieur de* la péninsule.
C'étaient, sans doute, des commerçants — nous connaissons les
marchandises que ces hommes et leurs compatriotes y ont apportées :
peignes d'ivoire et un vase d'albâtre (Paris, Arch. Anz., 1904, p. i4o;
Engel-Paris, Nouv. Arch. miss, scient. XIII, p. 357 sqq.).
Le Musée de Séville (n° 3996; contient la figurine d'une déesse-
mère avec sa fille, qui rappelle les objets puniques de Carlhage et
d'Ebusus. Elle provient de Valle de Abdalagis, au nord de Malaga,
il est donc très possible qu'elfe ait été importée par les commerçants
de cette colonie phénicienne.
Le commerce punique s'est étendu à la Catalogne, la seule région
de l'Espagne qu'il ait atteinte au delà des frontières de la domination
carthaginoise. Emporiae nous a livré quatre amphores puniques et
quelques petits vases (au Musée de Gérone), un fragment d'amphore
avec le signe de ïanit (au Musée de Barcelone), une lampe, égale
ment ornée du symbole de la grande déesse de Carthage, actuell
ementpropriété de Sr D. Pedro Villanueva, à Barcelone, quelques
autres lampes puniques, propriété deSr D. Manuel Cazurro, à Gérone,
enfin un grand nombre de fragments de colliers, de scarabées, amul
ettes, etc., semblables aux objets carthaginois, conservés à Barcelone
et Gérone 3.
Des amphores puniques ont été découvertes à Cabrera- de-Mataro, sur
la côte, au nord de Barcelone; elles sont perdues ou appartiennent
à des particuliers (Pellicer, Estudios sobre lluro, Mataro, 1887, p. 127).
Elles ont été importées probablement d'Ebusus.
Voilà les objets puniques ou soumis à l'influence punique, prove
nantde la péninsule ibérique. Il y a encore d'autres objels qui sont
publiés et parfois mentionnés comme puniques, même par des savants
non espagnols. La prédilection des amateurs espagnols — excepté ceux
de la Catalogne — pour les Carthaginois leur fait publier certaines trou
vailles comme phéniciennes, qui sont ibériques ou même romaines et
l'impossibilité d'un contrôle fait entrer ces erreurs dans la littérature
* 1. J'espère qu'il ne faut plus parler des statues puniques d'EIche, d'Osuna, etc.
On croyait parfois que ces monuments montraient quelque influence orientale. Leur
caractère purement ibérique est maintenant acquis.
a. Quelques unes des trouvailles conservées au Musée de Barcelone proviennent,
peut-être,, de Tharros (Sardaigne), elles ont été achetées par le Musée à un collec
tionneur. Une part de la céramique d'Emporiae est, sans doute, importée d'Ebusus
au temps romain ; quelques amulettes de Gérone rappellent Naukratis plus nettement
que Carthage.
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scientifique. J'ai déjà dit que, par exemple, les sculptures du Cerro
de los Santos, Elche, etc., n'ont rien de punique. C'est un mérite de
M. P. Paris d'avoir repoussé ces idées exagérées sur l'étendue de la
civilisation phénicienne en Espagne; je cite l'éléphant de Carmona, les
sphinx et les taureaux d' Albacete, et d'autre part les objets de métal,
que l'on affirmait être des produits puniques et qu'il a restitués à leur
vraie origine (L'art et Findastrie, I, p. rai sqq. p. 3a4 sq. ; II, p.a63).
Mais d'autres objets encore qui, même chez M. Paris, passent comme
puniques ou peut-être phéniciens, sont purement ibériques, par
exemple une sculpture de Cártama (un loup, qui ressemble à un ours,
mangeant un agneau; L'art et Vindustrie, I, p. 137 sqq.); l'analogie
avec un prétendu groupe phénicien de Palerme, signalée par P.Paris,
est trop vague pour prouver une influence étrangère ; la stèle de Mar-
chena (palme et cheval, L'art et l'industrie,}, p. 3a6 sq.) dont le sujet
rappelle les monnaies de Carthage, mais qui est beaucoup mieux
exécutée qu'aucune sculpture carthaginoise; un bijou orné de quel
ques caractères ibériques (/. /., p. 117 sq.) et les reliefs du Tajo
Montero, près d'Estepa (p. 34o sq.) 1.
Les dernières fouilles où on a supposé l'origine punique de quelques
édifices et objets trouvés sont celles de M. lç marquis de Cerralbo
à Arcobriga, Galiana et quelques autres endroits autour de son château
de S. Maria de Huerta (sur la ligne de Madrid à Saragosse). Il a publié
(El Alto Jalori) p. ia3 sqq.) un vase qu'il croit punique à cause d'un
dessin qui ressemble à un autel de Malte. Il y a une ressemblance,
c'est une palme qui est portée par un homme sur le vase et sort d'un
grand vase sur les quatre côtés de l'autel (j'ai vu l'original). L'autel
provient de Hagiar-Kim qui, comme on ne l'ignore pas, est purement
néolithique, et n'est pas phénicien du tout; le vase a été trouvé (M. de
Cerralbo eut l'amabilité de m'en montrer l'emplacement) au sommet
d'un escalier qui forme la communication d'une place romaine au
faîte de la colline d' Arcobriga, et, évidemment, est romain lui-même.
On ne peut pas douter que le vase ne soit d'origine préromaine et
seulement encore utilisé au temps des Romains, mais qu'il est posté
rieur à l'époque punique. M. de Cerralbo le place à cette dernière
époque, parce qu'il prend un grand nombre des murailles romaines
d' Arcobriga pour ibériques ou même puniques. II s'agit des murailles
qui ont des piliers verticaux entre lesquels règne une construction
d'opus incertain. Le marquis les signale comme puniques, parce qu'il
en a trpuvé d'exactement analogues dans les publications françaises
1. Cf. p. 34iaun exemple amusant, mais encore typique de l'archéologie locale
de cette région. 11 me faut joindre mes regrets à ceux de M.P.Paris (II, p. 202, note)
sur l'état de la section archéologique de la Bibliothèque Nationale à Madrid. L'art et
l'industrie, de P. Paris n'y existait pas dans l'hiver «911-1913. Il est donc assez difficile
de travailler en Espagne sur l'antiquité du pays. En revanche, à la bibliothèque du
Musée de Barcelone, j'ai trouvé tout ce que j'ai demandé.
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relatives aux bâtiments découverts sur la Byrsa de Carthage, mais il n'a
pas remarqué que ces murs sont romains et ont été toujours publiés
comme romains ; on n'ignore pas qu'on n'a pas encore trouvé d'édif
ices phéniciens à Carthage. Le pronaos de Allô Jalon, p. 118 sq., n'a
rien de punique, non plus que les fortifications de la p. iai. L'empire
des Barcides n'embrassa jamais les régions du Jalon; ni Hamilcar, ni
Hasdrubal, ni Hannibal n'ont jamais vu cette partie de l'Espagne. M. de
Cerralbo a publié comme demi-puniques quelques fragments de vases
(9 fragments appartenant à 3 [?] vases) provenant de Galiana. Je confesse
ne pas connaître le « terme de comparaison », qui lui fait croire qu'ils
soient soumis à une influence étrangère. A Carthage, en Libye,, dans
les colonies phéniciennes del'Orient et de l'Occident, il n'y a rien de sem
blable ; les vases sont néolithiques commes les autres objets trouvés
à Galiana et dans les nécropoles voisines ; ils appartiennent vraiment
à une époque de culture plus développée que le reste des trouvailles.
C'est dans la collection magnifique du marquis de Cerralbo qu'on peut
le mieux étudier le développement de cette céramique, qui est plus
rude à Somaën et dans quelques autres nécropoles du voisinage, et
dont les fragments de Galiana représentent une forme plus élégante.
J'en ai assez dit sur les traces vraies ou supposées du commerce et
de l'industrie puniques. D'autres traces bien connues sont les grandes
trouvailles de monnaies. Partout, dans l'Espagne de l'Est et du Sud, on
trouve les monnaies des Barcides imitant les types carthaginois (Zobel
de Zangroniz, Moneda antigua española, p. i3 sqq.;Head, p. 3 sq.). Les
grands trésors proviennent du Sud-Est de la péninsule; Zobel ment
ionne ceux de Carthagène et de Cheste (Valencia), le dernier *e
rapportant vers la fin de la guerre d'Hannibal 1. On voit que le terri
toire de Caçthagène et les provinces voisines formaient le centre
de l'empire.
Les Baléares ne furent jamais une possession carthaginoise. En 208,
les officiers carthaginois s'y rendent pour enrôler non des recrues,
mais des mercenaires (Tite Live, XXVII, 20, 7); Magon, en 206, touche
les îles, mais il y débarque à main armée et a besoin d'un camp
fortifié pour soutenir les attaques des indigènes. Et ce n'est que dans
Minorque qu'il peut rester :.à Majorque, les Carthaginois sont battus
(Tite Live, XXVIII, 37, 5 sqq. ; Zonare IX 10, io)*.
1. Quelques trésors semblables n'ont pas encore été publiés; ils proviennent de la
même partie de l'Espagne (information que M. Cazurro a bien voulu me donner). —
Pour n'oublier rien, je mentionne qu'il y a des tombeaux en forme de demi-cylindre
en Asturies (CIL, II 5G{)i) et à Barcelone (6178). Ces tombeaux sont fréquents en
Afrique, mais ces exemples espagnols ne remontent qu'à l'époque des empereurs, il
b'agit peut-être des Africains, habitant en Espagne, mais pas des Phéniciens de
l'époque des Barcides.
2. On n'a pas découvert d'objets puniques dans les Baléares, excepté des monnaies
d'Ebusus. « L'influence orientale » dans le style des tètes de taureaux de Costig (au
Musée de Madrid) est imaginaire.
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D'autre part, les Pithyuses étaient remplies des colons phéniciens.
Ici, les Sémites ne se bornaient pas à quelques établissements fortifiés,
mais se répandaient sur l'île entière. Le nombre des indigènes était,
sans doute, assez petit et le danger pour les colons beaucoup moindre
que sur les côtes du continent où l'on se trouvait en face du réservoir
énorme des grandes tribus ibériques.
Une active industrie phénicienne en résulta; un vase de la nécro
polede Puig d'en Valls en forme de candélabre rappelle une trouvaille
de Carthage (Román, Islas Pithyusas, pi. 1 1). Ereso nous a livré des
terres-cuites de style punique, dont la plupart pourraient provenir
des tombeaux de la capitale africaine : voir la déesse de Román, pl. a
et 3 r , les bustes des pl. 3, 7 et i3, une déesse mère avec sa fille
(mutilée) delapl. 5, une femme à disque (6, 1), déesses ornées comme
la Grande Mère d'Éphèse (7, 1 ; iA, 1; 20, 3). On a découvert des
lampes phéniciennes (3, i£), des colliers (57, 6), des masques en terre
cuite (1.0, 1), des amphores puniques (i4, a sqq.), etc. Les petites
trouvailles comprennent des scarabées, dont quelques-uns prouvent
une certaine influence grecque (10, 3 sqq.; 30, 3), des amulettes de
style égyptien (12, 1 sqq.), dont l'un est d'une forme intermédiaire
entre le symbole de Tanit et l'hiéroglyphe cnh (la vie), des anneaux
et des marques de fabrique puniques (3i, 7).
La nécropole de Purmany nous a fourni des objets puniques : des
colliers, des amulettes (pl. 12) et des tertres cuites (pl. 17, 1); Marina
de las Monjas et Formentera ne contenaient pas d'objets d'origine
punique certaine. Quelques têtes de terre cuite de Pueblo de San
Rafael (voir pl. 1 1 et 3a), des objets de verre (pl. 3o) ont au contraire
ce caractère. De Talemanca nous possédons une déesse de style oriental
(58, 1), des mains de terre cuite (5g, 1 sqq.), la figurine d'une femme
(60, 1), une lampe punique (61, 2), etc., pour ne pas donner une liste
des nombreuses petites trouvailles puniques de toutes les nécropoles
de l'île : bijoux, sceaux, ^amulettes, fragments de poteries et de tous
les objets, principalement des fragments de poteries que leur caractère
ou leur état de conservation ne permet pas d'appeler soit puniques,
soit ibériques.
Nous voyons une industrie florissante; l'élément grec est faible, plus
faible qu'à Carthage, il n'y a qu'un seul mot grec sur un sceau prove
nantd'Ereso (Román, pl. 3i, 8). Les trouvailles de style punique ou
égyptien ressemblent à celles de la capitale ; on ne sait pas, généra
lement, si les produits ont été faits dans les fabriques d'Ebusus ou
de Carthage. L'île a la même apparence qu'aurait eue Carthage, sans
l'infiltration de l'élément étranger. L'absence d'importation massaliote
prouve qu'Ebusus était livrée au monopole commercial maintenu par
Carthage. Cet élément ne manquerait pas, si le commerce était libre.
Les communications qui reliaient Ebusus au continent ibérique
Varietés 38 i
étaient sans doute très actives; une minorité de la population restait
toujours ibérique, et il est naturel qu'on y ait découvert une quantité
d'objets rappelant l'industrie ibérique de la péninsule (voir la tête
de Román, pi. i et 36, une autre tête, pi. 8, les vases, pi. 3i, 72, 76
et les estampes ibériques sur la poterie des pi. i5 et 58, n).
Ebusus était une colonie phénicienne, contenait une population
dense, en majorité punique, en minorité ibérique — nous l'apprenons
des auteurs anciens, et les fouilles l'ont confirmé. La ville d'Ebusus
formait le centre de l'élément punique. Le paysage, surtout sur la côte
ouest (la côte tournée vers le continent), était d'un caractère mêlé ou
purement ibérique. Le nombre d'habitants était, probablement, moins
grand qu'aujourd'hui (26.000), on peut l'imaginer de 18,000 à peu
près, dont 10,000 Phéniciens et 8.000 Ibères.
U. KAHRSTEDT. .