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LES MARCHÉS ÉCONOMIQUES COMME DISPOSITIFS COLLECTIFS

DE CALCUL
Michel Callon et Fabian Muniesa

Lavoisier | « Réseaux »

2003/6 no 122 | pages 189 à 233


ISSN 0751-7971
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-reseaux1-2003-6-page-189.htm
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LES MARCHÉS ÉCONOMIQUES COMME
DISPOSITIFS COLLECTIFS DE CALCUL

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Michel CALLON
Fabian MUNIESA
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© Réseaux n° 122 – FT R&D / Hermès Science Publications – 2003


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L es marchés sont des dispositifs collectifs qui permettent d’atteindre
des compromis, non seulement sur la nature des biens à produire et
à distribuer, mais aussi sur la valeur à leur attribuer1. Le résultat

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obtenu est d’autant plus remarquable que les situations de départ sont
souvent ambiguës2, qu’elles impliquent fréquemment un grand nombre
d’agents aux conceptions et intérêts contradictoires et que la qualité et les
caractéristiques des biens sont généralement entourées de profondes
incertitudes. L’efficacité des marchés tient précisément au fait qu’ils rendent
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possibles des calculs compliqués qui produisent des solutions pratiques à des
problèmes qu’aucune modélisation théorique ne permettrait de résoudre3.

Ce dispositif de calcul est non seulement d’une grande complexité ; il


présente en outre une grande diversité de formes d’organisation. Parler du
marché en général est une simplification qui pose par conséquent plus de
questions qu’elle n’apporte de réponses. Le marché, comme référence
abstraite, ne dit rien sur la manière dont les biens sont qualifiés et rendus
comparables ou différents. Il passe sous silence les outils que les agents
utilisent quand ils calculent leurs choix ou leurs décisions. Il n’apporte que
peu d’information sur l’organisation de leur rencontre et sur les procédures
de détermination des prix. C’est une approche concrète des marchés (et non
pas du marché en tant que logique abstraite et unique) qui permet d’aborder
ces questions et d’avancer, ainsi, dans la compréhension des différentes
modalités de fonctionnement de ce computandi instrumentum. Une telle
démarche n’est pas totalement nouvelle et compte déjà d’intéressantes
contributions aussi bien en sciences économiques qu’en sociologie. Leontief

1. Nous remercions les nombreuses personnes qui ont réagi aux diverses versions de ce texte,
discuté notamment à l’occasion de la Distributed Collective Practices Conference (San
Diego, février 2002), de la New York Conference on the Social Studies of Finance (Université
de Columbia, mai 2002), et du Wokshop on Market(-ing) Practice in Shaping Markets
(Stockholm, juin 2003).
2. Ceci est particulièrement visible dans le cas des enchères : SMITH, 1989, p. 15-16.
3. En présentant les organisations économiques en général (et non seulement les marchés)
comme des « dispositifs de compromis » (compromising devices), Laurent Thévenot montre
comment des arrangements composites doivent faire face aux tensions critiques entre
différents ordres de valeur. Voir THEVENOT, 2001.
192 Réseaux n° 122

compare, par exemple, l’économie à « une gigantesque machine à calculer


qui cherche inlassablement des solutions à une interminable série de
problèmes quantitatifs4 ». Philip Mirowski, de son côté, a récemment montré
que la métaphore informatique est devenue centrale dans le développement
des sciences économiques ; il a proposé d’analyser les mécanismes
marchands comme des algorithmes5.

Si les marchés calculent, il devrait être possible de repérer l’entité ou les

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entités effectivement chargées du calcul pour répondre à cette simple
question : qui calcule (et comment) quand l’on dit que « le marché »
calcule ? Les réponses apportées oscillent entre deux positions extrêmes. La
première correspond à la solution retenue par la théorie économique néo-
classique : les agents calculent car ils sont calculateurs par nature6. La
seconde, privilégiée par la sociologie et l’anthropologie, s’attache à montrer
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que dans les comportements observables, le calcul, considéré comme un


ensemble de pratiques quantitatives, n’intervient qu’à la marge et au mieux
comme une rationalisation ex-post de choix qui obéissent à d’autres
logiques. L’une et l’autre réponse ne sont guère satisfaisantes. La première
ne rend pas justice à la diversité des pratiques observées et des formes de
calcul mises en œuvre dans les marchés. La seconde dénie toute spécificité
aux comportements économiques7. Il nous semble que ces difficultés
tiennent à l’absence de définition précise de la notion de calcul8.

Dans cet article, nous proposons un traitement de la notion de calcul qui rend
visibles les éléments et les mécanismes qui autorisent les marchés à se
comporter comme des dispositifs collectifs de calcul. Nous élaborons pour
cela, dans une première section, une définition du calcul qui dépasse
l’opposition entre quantitatif et qualitatif. Nous confrontons ensuite cette
définition aux catégories conventionnelles de l’activité du marché : biens
économiques, agents économiques et échanges économiques. Nous
examinons ainsi, dans une deuxième section, la question de la calculabilité
des marchandises : afin d’être calculés, les biens économiques doivent être
calculables. Dans la section suivante nous étudions le caractère distribué des

4. LEONTIEF, 1966, p. 237, cité dans MIROWSKI, SOMEFUN, 1998.


5. MIROWSKI, 2002, 2003.
6. Voir la critique de GUERRIEN, 1999.
7. Voir COCHOY, 2002, pour une discussion.
8. L’économie des conventions occupe une place intermédiaire : elle part de la diversité des
modalités de calcul, admet l’existence de prothèses calculatrices (normes, routines, règles),
mais conserve l’hypothèse du rôle central de l’agence individuelle calculatrice.
Dispositifs collectifs de calcul 193

agences calculatrices pour comprendre comment ces biens calculables sont


effectivement calculés. Finalement, nous considérons les règles et les
dispositifs matériels qui organisent la rencontre entre les agences
calculatrices et les biens calculables, c’est-à-dire les organisations
spécifiques qui rendent possible un échange calculé. Ces trois éléments
définissent les marchés concrets comme dispositifs collectifs organisés qui
calculent des compromis sur les valeurs des biens. Dans chacun de ces
éléments, nous rencontrons différentes versions de notre définition du calcul

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que nous illustrons avec quelques exemples empiriques empruntés,
notamment, aux domaines des marchés financiers et de la grande distribution
(et extraits de travaux disponibles dans la littérature ou de nos propres
recherches).
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LA NOTION DE CALCUL RÉÉXAMINÉE

Deux dangers doivent être évités lorsque nous définissons le calcul


marchand. Le premier est celui de retourner, tout simplement, à une vision
abstraite et formelle des marchés économiques : des marchés régis par des
lois impersonnelles (telles que la loi de la demande) et composés d’agents
économiques désincarnés et réduits à leurs préférences et à leurs
compétences de calcul. Le deuxième danger, plus subtil et courant en
sociologie, consiste à se débarrasser de cette notion encombrante en
dissolvant le problème du calcul dans le détail de la description
ethnographique. Pour beaucoup d’anthropologues, ce qui était censé être un
comportement calculateur s’avère être en fin de compte une question de pur
jugement ou de simple conjecture, ou bien, quand il peut être observé,
quelque chose qui trouve ses origines dans des institutions ou dans des
normes culturelles. Si les sciences économiques maintiennent l’idée d’une
réalité du calcul « pur », les autres sciences sociales essayent à l’inverse de
montrer que les pratiques réelles sont infiniment plus complexes et laissent
peu de place aux pratiques calculatrices en tant que telles. Qu’ils étudient des
supermarchés ou des salles de marché, les ethnographes aiment mettre en
scène des acteurs qui ne s’adonnent que rarement à des opérations
arithmétiques au sens propre et qui, en revanche, interprètent l’information
et prennent des décisions sur la base de critères hétérogènes qui ne sont pas
toujours bien définis9. En fin de compte (c’est la conséquence normale de
prendre le calcul dans son sens restrictif), personne ne calcule.

9. Par exemple, MILLER, 1998 ; KNORR CETINA, BRUEGGER, 2002.


194 Réseaux n° 122

Notre point de vue dans cet article est différent. Calculer ne signifie pas
nécessairement effectuer des opérations mathématiques ou même
numériques10. Le calcul commence en établissant des distinctions entre des
choses ou des états du monde, puis en imaginant des cours d’action associés
à ces choses ou à ces états, pour enfin évaluer conséquences. En partant
d’une telle définition (large, mais habituelle) de la notion de calcul nous
essayons d’éviter la distinction (conventionnelle, mais trop aiguë) entre
jugement et calcul.

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Le bien-fondé de cette position, qui brouille utilement la frontière entre le
pur jugement et le pur calcul, est confirmé par l’étymologie. Dans son
analyse du vocabulaire du compte et de l’estimation dans les sources latines,
Emile Benveniste précise qu’il existe un lien intime entre calculer et juger ou
estimer11. Il observe également une caractéristique remarquable de ce
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vocabulaire : la référence explicite à un mouvement matériel de détachement


(découper) et de réattachement12 (conduire à un résultat).

L’accent mis sur le déplacement matériel – que nous retrouvons dans la


notion de « centre de calcul » développée par Bruno Latour – nous aide à
esquisser une définition très générale du calcul, comme consistant en un
processus où trois étapes sont impliquées :

– Tout d’abord, afin d’être calculées, les entités prises en compte doivent
être détachées : un nombre fini d’entités sont déplacées et disposées dans un
espace unique13. Nous devons imaginer cet espace de calcul dans un sens
très large : c’est le « compte » lui-même mais également, par extension, la

10. LAVE, 1988.


11. BENVENISTE, 1993, t. I, p. 151-154.
12. Selon Benveniste, les deux racines latines essentielles du vocabulaire du « compte » sont
duco et puto (propres aux verbes ducere et putare, ce dernier présent dans la racine du verbe
anglais to compute). Le sens original de ducere est « tirer ». Rationem ducere signifie
conduire un compte à son total (summa), c’est-à-dire le « tirer vers le haut » (selon une
pratique traditionnelle d’addition du bas vers le haut). Dans un sens plus général (comme dans
« aliquid honori ducere »), ducere signifie « compter quelque chose à honneur », mais
toujours avec l’idée de « faire le total ». Putare était à l’origine un terme rural qui signifiait
« couper » : détacher les feuilles de la branche comme dans « tailler une vigne ». L’utilisation
métaphorique pour « compter » (rationem putare) peut s’interpréter selon le même sens
littéral : « en suivant (de bas en haut) le compte, détacher successivement tous les articles qui
ont été vérifiés », c’est-à-dire « vérifier de manière que, article par article, le compte soit
reconnu valable ».
13. LATOUR, 1995 ; BOWKER, STAR, 1999.
Dispositifs collectifs de calcul 195

surface où les entités à calculer sont déplacées (littéralement ou par


délégation) puis comparées et manipulées selon un principe opérationnel
commun. Il est important de retenir la variété de tels espaces de calcul. Une
facture, un échiquier, une usine, un écran de négociation, une salle de
marché, un tableur informatique, une chambre de compensation, une
mémoire d’ordinateur, un chariot de supermarché : tous ces espaces peuvent
être analysés en tant qu’espaces de calcul, mais tous fourniront des formes
de calcul différentes.

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– Une fois mises ainsi à plat, les entités considérées (« prises en compte »)
sont associées entre elles. C’est-à-dire qu’elles sont sujettes à manipulations
et transformations, toujours dans un sens très matériel (des mouvements vers
la gauche ou la droite, vers le haut ou le bas, des superpositions ou des
juxtapositions). Appliquer une règle, dans un sens mathématique, ou utiliser
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un calculateur mécanique sont des cas où l’on peut facilement reconnaître ce


procédé : une économie de calcul est précisément une économie de
déplacements, comme celle qu’avait décrite Charles Babbage lors du célèbre
épisode de sa visite à la chambre de compensation bancaire de la City de
Londres14. Mais ces déplacements sont également à l’œuvre dans des
situations moins mécaniques. Un arbitragiste financier, par exemple, associe
matériellement deux entités (un indice et le produit dérivé correspondant, ou
une société et sa cible dans le cas d’une fusion possible) en disposant leur
évolution sur une même fenêtre d’écran15.

– Un troisième mouvement est nécessaire afin d’obtenir un calcul abouti : un


résultat doit être extrait. Une nouvelle entité doit être dégagée (une somme,
une liste ordonnée, une évaluation, un choix binaire, etc.), une entité qui
corresponde précisément aux manipulations effectuées dans l’espace de
calcul et qui, par conséquent, lie (elle récapitule ou, en anglais, summa-rizes)
les entités prises en compte. Cette entité résultante n’est pas nouvelle dans le
sens ou elle viendrait de nulle part : elle est préfigurée par les arrangements
décrits ci-dessus. Mais elle doit pouvoir quitter l’espace de calcul et circuler
ailleurs d’une façon acceptable (et sans transporter tout l’appareillage de
calcul avec elle).

L’un des principaux avantages de cette définition est que, en accentuant le


rôle crucial des dispositifs matériels sans lesquels aucun calcul ne serait

14. CAMPBELL-KELLY, ASPRAY, 1996, p. 15-20.


15. BEUNZA, STARK, 2003 ; GODECHOT, HASSOUN, MUNIESA, 2000.
196 Réseaux n° 122

possible, elle pointe inévitablement vers la diversité des configurations


possibles. Elle s’applique aussi bien à un supermarché qu’à une Bourse des
valeurs. Le carnet d’ordres d’une Bourse électronique est un espace de calcul
(littéralement, une mémoire d’ordinateur) où les ordres d’achat et de vente
sont ordonnés selon un ensemble de règles de priorité16. Les négociateurs
peuvent observer le carnet d’ordres à travers leurs écrans, explorer sa
profondeur et y intervenir de plusieurs manières. Le prix d’exécution est
calculé par un algorithme. Les résultats de ce dispositif particulier sont les

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prix eux-mêmes : le carnet d’ordres électronique est la « boîte noire » de ce
que les économistes appellent « découverte des prix ». Un supermarché peut
également être considéré comme un dispositif de calcul (dans ce cas, les prix
font partie du dispositif de calcul et ne constituent pas le résultat calculé en
tant que tel). Les produits présentés sont limités en nombre et ont été extraits
de leur contexte de production et distribution. Placés sur différents rayons,
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eux-mêmes situés dans différentes sections du magasin, ils sont associés,


groupés ou dispersés de diverses manières. Des références et marquages
(parmi lesquels on compte les prix) doivent permettre aux consommateurs de
classer les produits et de faire des choix, choix déjà (en partie) calculés par
l’intense activité des professionnels du marché17. Dire que le supermarché
est un espace de calcul unique ne signifie pas que cet espace soit homogène
ni que le calcul soit simple et net. Il s’agit, en effet, d’un espace où pullulent
d’autres dispositifs de calcul : emballages, listes des courses, chariots18,
caisses enregistreuses. Les dispositifs de calcul peuvent cohabiter, se
superposer les uns aux autres ou entrer en opposition.

Cette définition permet de pointer également vers une dimension politique


de la calculabilité. Une définition similaire du calcul a permis à Peter Miller,
par exemple, d’étudier les liens entre calculabilité et gouvernement à propos,
notamment, des pratiques comptables19. De plus, abstraire des objets de leur
contexte, les grouper dans un même cadre, établir des relations originales
entre eux, les classer et les résumer constituent des activités coûteuses.
L’accent mis sur les ressources de calcul ouvre l’analyse à la notion de

16. MUNIESA, 2000, 2003.


17. BARREY, COCHOY, DUBUISSON-QUELLIER, 2000.
18. En tant qu’espace de calcul, le chariot de supermarché est un objet intéressant. Il constitue
un parfait exemple de dispositif permettant le rangement des produits dans un espace unique,
rendant possible plusieurs formes de vérification et estimation. Normalement, les prix ne sont
pas admis dans cet espace (ils restent attachés aux rayons), ce qui oriente explicitement le
calcul du consommateur vers des modalités non arithmétiques.
19. MILLER, 1994, 2001.
Dispositifs collectifs de calcul 197

pouvoir de calcul. Un calcul sera d’autant plus puissant que la liste des
entités qu’il prend en compte est étendue (tout en demeurant finie) ; qu’il est
apte à traiter un grand nombre de relations (entre ces entités) et qu’il est en
outre capable de faire varier ces relations et leur configuration ; et qu’enfin il
fournit des outils de classement efficaces et flexibles. La puissance d’une
agence calculatrice dépend de la puissance des outils de calcul qu’elle
mobilise.

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Cette définition nous permet, par ailleurs, d’analyser les phénomènes de
calcul qui ne sont pas « purs ». Un défaut de calcul peut être lié à une
défaillance localisée dans une (ou plusieurs) des trois étapes du processus de
calcul. Par exemple : la liste d’entités à prendre en compte est trop longue,
aucun espace ne permet de les manipuler ensemble, les manipulations
requièrent des ressources non disponibles ou ne peuvent être effectuées dans
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le cadre temporel imposé. La diversité des formes d’opérations associées à


chacune des étapes explique pourquoi le calcul peut aussi bien répondre aux
exigences de la formulation mathématique ou algorithmique, que se
rapprocher de l’intuition, du jugement d’autorité, de la décision en situation
d’incertitude, ou, finalement, du désistement. Cette définition établit un
continuum entre jugement qualitatif et calcul quantitatif (ou numérique). Elle
s’applique, en particulier, à ce que Franck Cochoy appelle « qualcul » : des
situations intermédiaires où un client doit choisir certains objets placés, à
l’avance, dans le même cadre spatial et temporel20. Elle permet en outre de
comprendre comment des situations de non calcul peuvent être construites :
par exemple, en empêchant la clôture de la liste des entités à prendre en
compte, en facilitant la prolifération des relations entre ces entités, ou en
paralysant toute tentative de classement. On comprend aisément pourquoi
l’obtention de la non calculabilité (c’est-à-dire la production de situations
dans lesquelles le calcul est rendu impossible ou très complexe) exige de
coûteux investissements. Avec cette définition large du calcul, la ligne de
division la plus appropriée n’est plus entre le jugement et le calcul, mais
entre les arrangements qui permettent le calcul (soit quantitatif, soit
qualitatif) et ceux qui le rendent impossible.

Enfin, cette définition nous aide à analyser et à comparer, sans changer


d’outils d’analyse, un dispositif de calcul et les simulations et
expérimentations qui s’y rapportent. Au lieu de considérer les marchés de

20. COCHOY, 2002.


198 Réseaux n° 122

« laboratoire », tels que ceux étudiés en économie expérimentale, comme des


caricatures de vrais marchés, nous pouvons explorer comment un élément
calculateur particulier est simulé d’une manière particulière, et comment est
construite la relation entre la simulation du marché en laboratoire et le
marché « grandeur nature ». Dans son étude sur les enchères de licences
d’exploitation de l’espace hertzien aux Etats-Unis, Francesco Guala étudie
ainsi les correspondances réelles entre les différentes versions (de laboratoire
et de terrain) d’une machine économique censée résoudre un problème

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complexe21. Les capacités d’expérimentation des (ou sur les) marchés
transforment les conditions dans lesquelles est produite une connaissance sur
leur fonctionnement : la représentation (théorique) et l’intervention
(pratique) sont étroitement intriquées, comme dans le cas des sciences
naturelles analysé par Ian Hacking22.
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RENDRE LES BIENS CALCULABLES

Lors d’une transaction marchande, un bien change de mains. Un prix lui est
donné, qui constitue sa valeur monétaire. L’acheteur, en échange du prix
qu’il paye au vendeur, acquiert le droit reconnu et garanti d’employer le bien
d’une certaine manière et pendant une certaine période de temps. Une fois
que la transaction a été conclue, acheteur et vendeur sont quittes. Le bien est
détaché du monde du vendeur et rattaché à celui de l’acheteur. C’est
pourquoi la transaction marchande a été parfois qualifiée d’aliénation de
marchandises : les partenaires de la transaction sont transformés en étrangers
virtuels une fois qu’elle est conclue. Mais cette image est trompeuse et
devrait donc être évitée23. Etre quitte et être étranger ne sont pas exactement
la même chose. Les protagonistes de la transaction peuvent être quittes une
fois que le transfert de propriété a été conclu, sans pour autant renoncer à
tout contact l’un avec l’autre (c’est le thème de l’embeddedness dans le sens
de Granovetter).

21. GUALA, 2001. Les enchères de licences d’exploitation de l’espace hertzien posent des
problèmes complexes : la valeur attribuée à une fréquence hertzienne par un acheteur
potentiel varie, par exemple, en fonction de la probabilité d’obtenir la même fréquence pour
des zones géographiques limitrophes.
22. HACKING, 1983.
23. Voir sur ce point le débat proposé dans MILLER, 2002, et SLATER, 2002.
Dispositifs collectifs de calcul 199

Objectivation

Plusieurs commentaires s’imposent sur ce point. D’abord, le bien concerné


par la transaction n’est pas nécessairement un bien physiquement délimité et
tangible tel qu’une voiture ou un poisson. Un bien est une chose, dans le
même sens que Durkheim demande de considérer les faits sociaux comme
des choses. Ainsi, un service, même lorsqu’il n’a pas de réalité physique,
peut être néanmoins l’objet d’une transaction marchande s’il a d’abord été

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transformé en chose24. Une voiture dont on peut disposer pour un certain
usage, dans certaines conditions et pendant une certaine période (ce qui
définit des droits de propriété, dans le sens anglo-américain du terme),
constitue un bien au même titre qu’une voiture dont l’acheteur est le
propriétaire unique pendant une période indéfinie. Ces deux biens – la
voiture louée et la voiture achetée – sont également stabilisés, cadrés et
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définissables. Ils ont des propriétés objectives qui permettent l’application de


droits de propriété et leur transfert25. De même, il n’y a aucune différence de
matérialité entre un poisson vendu sur le marché de gros de Marseille et une
semaine de vacances en montagne achetée par un Anglais rêvant de neige et
de soleil. Dans les deux cas il s’agit de choses qui « tiennent ensemble » les
éléments qui les composent et qui peuvent être appropriées parce qu’elles
ont des propriétés objectivées26.

En second lieu – et ce point est lié à la signification d’être « quitte » – la


transaction n’exclut pas que de nombreuses interactions aient lieu, d’abord
en amont de la transaction, pendant la conception et la qualification du bien,
ainsi qu’après, par exemple lorsque le vendeur (notion qui désigne un
collectif comprenant les concepteurs, les producteurs et les commerçants)
tâche de capter les réactions, les commentaires, les suggestions, les plaintes

24. C’est en ce sens que nous pouvons comprendre les récents travaux sur l’économie des
services : GADREY, 2000.
25. Cette similarité entre l’objet-chose et le service-chose est plus difficile à percevoir dans le
droit romain que dans le droit anglo-saxon. Pour les droits de propriété dans la tradition du
droit romain, les choses sont supposées être divisibles entre personnes, tandis que pour le
droit anglo-saxon (avec la notion de bundle of rights) les choses sont intrinsèquement
composites, ce qui produit, d’un point de vue anthropologique, deux formes différentes de
prolifération des choses et des personnes comme le montre STRATHERN, 1999, p. 194.
26. Matérialité et physicalité ne doivent pas être confondues. L’anthropologie des sciences a
déjà éclairci ce point quand elle a analysé les conditions d’individualisation et de circulation
des faits scientifiques. Une chose est une boîte noire composée d’un grand nombre d’éléments
hétérogènes qui ont été pliés, arrangés et reliés durablement les uns aux autres et qui, par
conséquent, objectivent la chose qu’ils constituent.
200 Réseaux n° 122

et les demandes du consommateur, afin d’en tenir compte. La transaction en


soi est alimentée par des interactions de plus en plus nombreuses et riches,
dès lors que les biens se confondent avec des prestations de service et
incluent les services après-vente. Plus l’économie devient une économie de
services, plus ces interactions deviennent denses et durables. Mais ceci
n’empêche pas le transfert du bien (qui est constitué de toutes ces
interactions) d’avoir lieu. La qualification du bien est enrichie et son
existence est déployée dans le temps sans que pour autant disparaisse son

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objectivité.

Troisièmement, cette chose qui se tient parce qu’elle est tenue par les
éléments (humains et non-humains) qu’elle comprend, est un bien si et
seulement si ses propriétés représentent une valeur pour l’acheteur. Cette
évaluation peut être exprimée en un prix ou une gamme de prix que
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l’acheteur est prêt à payer pour s’approprier la chose, c’est-à-dire pour être
attaché à elle, pour l’incorporer à son monde. Une fois qu’il a acquis ce bien,
l’acheteur en devient le propriétaire. La transformation est double : non
seulement le bien entre en sa possession mais il devient également un bien
qui lui appartient en propre, qui fait partie de son monde. Comme le
remarque Marilyn Strathern, en disant que A devient le propriétaire du
véhicule V nous nous référons à la réalisation d’une transaction marchande,
alors qu’en disant que V est un bien appartenant à A, nous soulignons le fait
qu’il a été incorporé au monde de A, dont il est devenu partie intégrante.

Singularisation

Comment pouvons-nous décrire le processus par lequel une chose se


transforme en bien auquel un agent économique attribue une valeur ? En
d’autres termes : comment pouvons-nous expliquer l’intégration au monde
de l’acheteur d’une chose conçue et produite en dehors de lui ?

Le premier mouvement consiste à se débarrasser de la conception


traditionnelle dans laquelle une coupure est postulée entre les agents
humains et les choses-biens qu’ils conçoivent, produisent, échangent et
consomment. La réalité est différente : elle met en évidence l’importance
croissante des processus d’ajustement mutuel entre les choses et les êtres
humains. Ce travail se compose d’itérations multiples et d’interactions qui
peuvent être analysées comme processus de coproduction de la demande, de
l’offre et des biens.
Dispositifs collectifs de calcul 201

Ce processus de coproduction conduit à une singularisation des biens, notion


suggérée il y a longtemps par Chamberlin et étrangement restée ignorée par
économistes et sociologues27. Pour Chamberlin, le produit est lui-même une
variable économique qui permet l’ajustement singulier entre ce que le
consommateur (ou une catégorie de consommateurs) veut et ce que le
vendeur offre. Le processus d’individualisation ou de singularisation
consiste en une définition progressive des propriétés du produit qui est
profilé de manière à pouvoir pénétrer dans le monde du consommateur pour

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s’attacher à lui. Tout au long de ce processus, la chose, qui est un produit en
phase de qualification, est progressivement transformée en bien28. Le
transfert peut alors avoir lieu. Le bien quitte le monde de l’offre, il s’en
sépare (ce qui est possible puisqu’il est objectivé), et entre dans un autre
monde, celui de l’acheteur, qui a été configuré pour le recevoir. Il se trouve
pris dans les réseaux de relations sociotechniques qui constituent le monde
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de l’acheteur.

Ce travail d’ajustement est la substance de n’importe quelle transaction


marchande ; seuls ses termes changent. L’observation essentielle de
Chamberlin est que, dans tous les cas, il ne peut y avoir transaction sans
individualisation du produit, c’est-à-dire sans la qualification et l’ajustement
impliqués par une telle individualisation. Cette position conduit Chamberlin
à un argument extrême : la publicité, le lieu de vente et jusqu’au sourire du
vendeur ne sont pas de simples ressources cosmétiques employées
superficiellement et artificiellement, en fin de processus, pour personnaliser
un bien autrement impersonnel29. La célèbre Ford T noire (pour laquelle le
client peut choisir la couleur à condition qu’elle soit noire !), n’est
aucunement une exception à la règle. Une Ford noire « en général », cela
n’existe pas : il n’y a que des Ford modèle T, qui sont certes noires, mais qui
ont été individualisées pour que les acheteurs décident de les transformer en
éléments constitutifs de leur propre monde.

La question qui se pose alors concerne les conditions et les modalités,


évidemment variées, de ce processus de singularisation des produits. Pour
comprendre cette diversité, il faut considérer la double contrainte qui pèse
sur un produit qui doit se transformer en bien : celle de l’objectivation (il

27. CHAMBERLIN, 1946.


28. CALLON, MEADEL, RABEHARISOA, 2000.
29. Cet argument est, bien entendu, facile à accepter de nos jours. Mais il était loin d’aller de
soi au moment où, en plein fordisme, Chamberlin l’écrivait.
202 Réseaux n° 122

doit être une chose) et celle de la singularisation (il doit être une chose dont
les propriétés ont été ajustées au monde de l’acheteur, au besoin en
transformant ce monde lui-même). Objectivation et singularisation sont
produites simultanément : les propriétés objectivées sont celles qui
permettent l’individualisation du bien.

Coproduction des propriétés

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Les propriétés qui définissent le bien en tant que bien individuel et
constituent son profil ou identité ne sont ni intrinsèques ni extrinsèques.
Deux erreurs symétriques doivent être évitées. La première consisterait à
dire que les caractéristiques du bien sont en quelque sorte constitutives de
son essence, indépendantes du monde dans lequel il circule. La seconde
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conduirait à assimiler le bien à un écran sur lequel des représentations


sociales sont projetées et à soutenir que ses propriétés, réduites à de simples
significations, lui sont données par les consommateurs ou la société. Dans le
premier cas, le bien est considéré comme objectivement descriptible, par
exemple, par une liste incontestable de caractéristiques. Dans le second cas,
toute possibilité d’objectivation du bien est niée, et la multiplicité des points
de vue est mise en avant. D’une part, Lancaster ; de l’autre, Baudrillard.
Mais, dès que l’on convient qu’il ne peut y avoir de transaction marchande
sans processus d’objectivation et de singularisation, l’opposition se dissout.
L’achat n’est pas le résultat d’une rencontre entre un sujet et un objet,
extérieurs l’un par rapport à l’autre, mais l’aboutissement d’un processus
d’attachement qui, de qualification en requalification du produit, mène à la
singularisation de ses propriétés. Ceci ne signifie pas que toutes les re-
qualifications sont possibles ou que toutes les stratégies d’attachement sont
également probables. Des propriétés sont coproduites, ce qui ne les empêche
pas d’être réelles et singulières.

La coproduction de propriétés singulières et objectivées demande


l’implication d’un grand nombre de « professionnels du marché »
(travailleurs du marketing, du packaging, du design, du linéaire, etc.) dont le
travail commence à être bien décrit par l’analyse sociologique30. Ce
processus d’ajustement implique, de plus, une longue et systématique
exploration des réseaux d’attachements qui constituent le monde de
l’acheteur (potentiel). L’une des exigences majeures à laquelle doivent se

30. COCHOY, DUBUISSON-QUELLIER, 2000.


Dispositifs collectifs de calcul 203

plier les concepteurs et les vendeurs est de pouvoir étudier les attachements
de l’acheteur pour être en mesure de lui en proposer de nouveaux. Ce travail
est particulièrement visible dans le cas du commerce en ligne sur Internet31.
Cependant, comme l’observe Daniel Miller, sur un marché traditionnel
comme celui de l’automobile, ce travail exploratoire qui permet la définition,
l’objectivation et l’individualisation du bien joue également un rôle
important32. Il n’y a donc aucune opposition irréductible entre les pratiques
qui fabriquent de l’enchevêtrement (entanglement) et la transaction

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marchande qui suppose, elle, la coupure33. Le paradoxe réside dans le fait
que, pour réaliser la transaction qui va rendre acheteur et vendeur quittes
l’un envers l’autre, des investissements de plus en plus lourds dans
l’exploration des attachements et dans leur reconfiguration sont nécessaires.
Bref, pour étendre le marché il est nécessaire d’expliciter et de produire de
plus en plus d’attachements. La prolifération des marchandises va de pair
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avec la prolifération d’attachements non marchands.

Singulariser un bien c’est le rendre calculable

En étant doté de propriétés, qui l’objectivent et le singularisent, un bien


devient évaluable par l’acquéreur qui a été enrôlé dans ce processus
d’objectivation-singularisation. Aucun calcul sur la valeur d’un bien n’est
possible si celui-ci n’a pas été singularisé : sa valeur n’est rien d’autre que
celle de la force de l’attachement de l’acheteur au bien. Notre définition du
calcul nous permet de montrer que le processus de singularisation consiste
en une série d’opérations qui ont comme résultat la calculabilité du bien. En
d’autres termes, profiler un produit pour le transformer en bien
commercialisable, c’est-à-dire pour l’attacher à son acheteur, revient à le
rendre calculable. Il est facile de montrer que ces opérations mobilisent en
effet les trois étapes de notre définition de calcul :

– La singularisation d’un produit, son profilage, passe par une première


étape « logique » qui consiste à établir un espace dans lequel il peut être
connecté et comparé à une liste finie d’autres produits. Dans un
supermarché, par exemple, il n’est pas demandé à l’acheteur de choisir un

31. Les techniques d’identification, de suivi et d’analyse des parcours des internautes (dans le
cas d’une stratégie de marketing ciblé, par exemple) en sont un clair exemple.
32. MILLER, 2002.
33. Miller ne le voit pas mais SLATER, 2002, en commentant MILLER, 2002, le souligne
correctement.
204 Réseaux n° 122

bien parmi une infinité de biens. Le magasin et son dispositif matériel


encadrent ce monde des choix possibles en établissant une frontière entre les
marchandises montrées (sur les linéaires) et celles qui ne sont pas prises en
compte. Les marchés financiers fournissent également un grand nombre
d’illustrations d’un tel encadrement. Yuval Millo a montré que la
délimitation de la frontière entre les biens inclus dans l’espace de calcul du
marché et ceux qui en étaient exclus au motif qu’ils étaient assimilables à de
simples paris, a constitué un enjeu central au moment de l’introduction des

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options sur indices dans les débuts des marchés de produits financiers
dérivés à Chicago34. Un bien devient singularisable et donc calculable
seulement après cette opération d’extraction, de traduction et de
(re)formatage.

– Singulariser un produit signifie aussi le mettre en rapport avec d’autres


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produits placés dans le même espace ou dans la même liste. Cette mise en
rapport est un processus de classification, de groupement et d’appariement
qui rend les produits à la fois comparables et différents. Le consommateur
peut faire des choix seulement si les marchandises ont été dotées de
propriétés qui produisent des distinctions35. Dans le vocabulaire des
professionnels de la qualification, ce travail a un nom : positionnement.
Comme l’indiquent les manuels de marketing, le positionnement définit des
consommateurs-cibles (singularisation) tout en définissant le champ de la
concurrence. Singulariser un bien signifie le doter de propriétés qui le
rendent comparable, mais non identique, à d’autres biens. La vie
économique est un enchaînement continu de requalifications ou
repositionnements, comme dans le cas du produit « diététique » qui se
repositionne en produit « santé » pour conquérir un marché plus large36. Ce
travail de mise en rapport implique, entre autres choses, l’établissement de
réseaux métrologiques qui mesurent et objectivent certaines propriétés,
comme les labels de qualité ou, plus largement, les standards de qualité37. Le
supermarché est un exemple remarquable de ce jeu d’assortiment et de
réassortiment. Il met également en évidence le fait que le travail de
singularisation n’est pas arbitraire et qu’il tient compte de la trajectoire des
produits et de leurs qualifications antérieures ainsi que des classifications
dominantes (comme c’est le cas pour l’association entre le vinaigre et l’huile

34. MILLO, 2003. Voir également MACKENZIE, MILLO, 2003.


35. COCHOY, 2002.
36. SLATER, 2002.
37. THEVENOT, 1985.
Dispositifs collectifs de calcul 205

et entre les pâtes et le riz). En finance également (domaine, avec la grande


distribution, où ce travail de mise en rapport est particulièrement explicite et
réflexif) nous rencontrons des acteurs qui examinent constamment la relation
entre produits. Comparabilité et substituabilité sont au cœur des méthodes de
tarification des produits dérivés ou des techniques d’arbitrage38. Plus un
produit est complexe et plus sa mise en marché pose de difficultés en termes
de singularisation39. Dans tous les cas, la singularisation passe par ce travail
d’association, de mise en relation et de positionnement des produits.

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– Le bien, requalifié, a été placé dans un cadre avec d’autres biens, et des
relations ont été établies entre eux, menant à de nouvelles classifications qui
autorisent des formes de comparaison : le bien peut enfin être calculé.
L’ensemble de ces opérations constitue la base matérielle de l’extraction
d’un résultat40 (un prix, un classement, un choix). Cette équivalence entre la
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singularisation du produit (il a été rendu comparable à d’autres produits afin


d’en être distingué) et sa calculabilité est particulièrement visible dans le cas
des produits dérivés complexes (ou « exotiques ») en finance. Le produit
complexe, un contrat élaboré par une banque pour un client institutionnel qui
veut être protégé contre des risques financiers particuliers, est ramené à une
formule mathématique employée pour le tarifier (pricing) en fonction de
l’évolution de divers produits simples sous-jacents. Le produit est ainsi
objectivé et singularisé : objectivé parce que les propriétés qui le qualifient
en le définissant ont été progressivement stabilisées ; et singularisé parce que
ces propriétés ont été déterminées de façon à s’ajuster aussi bien que
possible aux besoins du client. Cette formule mathématique produit en outre
un nombre qui peut être comparé à d’autres nombres. Elle est singulière et
comparable, et par conséquent calculable, mais d’une manière immédiate41.

38. BEUNZA, STARK, 2003 ; MACKENZIE, 2003.


39. Dans le cas de produits dérivés « exotiques », la qualification et par conséquent la
description du produit peuvent être fortement instables. Elles sont écartelées entre des espaces
de calculs qui se chevauchent et qui, parfois, s’opposent au sein d’un même établissement
financier. Un « même » produit est ainsi, d’un côté, packagé sous forme de stratégie sur
mesure pour un client donné (au niveau du desk de vente), puis, d’un autre côté, décomposé
en éléments négociables et associables à des stratégies de couverture (au niveau du desk de
trading) et, enfin, redécrit en termes comptables et en instructions de règlement-livraison (au
niveau du back-office) : il oscille entre forte singularisation (faible substituabilité) et forte
standardisation (forte substituabilité). Voir LEPINAY, 2003.
40. Ce résultat produit, à son tour, singularisation et attachement : la singularisation est à la
fois le résultat d’un calcul et la condition pour de nouveaux calculs.
41. LEPINAY, 2003.
206 Réseaux n° 122

Résumons : une transaction marchande réussie implique un processus de


singularisation qui en préparant l’attachement du bien à son acheteur le rend
calculable par ce dernier. Cette observation est valable pour n’importe quelle
transaction marchande. Mais elle est sans doute encore plus pertinente pour
des marchés contemporains où les investissements destinés à accentuer la
singularisation des produits ne font que croître. L’explication est sans doute
à chercher du côté d’une compétition accrue, compétition qui implique des
conflits entre stratégies de singularisation concurrentes42, ainsi que du côté

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du développement des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de
la communication), et des ressources de singularisation qu’elles amènent43.

LES AGENCES CALCULATRICES DISTRIBUÉES


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La calculabilité des biens implique, bien entendu, l’intervention de forces


actives : quand nous parlons d’agences calculatrices, nous avons en tête
toutes les opérations qui rendent les marchandises calculables, dans le sens
défini ci-dessus. Comme nous l’avons vu, ces opérations font participer des
humains et des non-humains. Nous nous éloignons donc des théories
standard de l’action, qui réservent l’agence aux seuls humains, pour
rejoindre la notion d’agence distribuée. Puisque ce concept est maintenant
assez connu44, nous ne le présenterons que très brièvement, en insistant sur
le fait que les capacités de calcul des agences sont liées à leur équipement et
que ce dernier est distribué. Cette caractérisation nous permettra ainsi
d’aborder la question des asymétries de calcul, centrale dans l’analyse des
luttes marchandes.

Distribution et équipement

Les agences calculatrices ne sont pas des individus humains mais des
collectifs hybrides, des « centres de calcul ». Ces agences sont équipées
d’instruments : le calcul n’a pas lieu seulement dans des cerveaux humains,
il est distribué entre humains et non-humains.

42. CALLON, MEADEL, RABEHARISOA, 2000.


43. Christian Licoppe et Charles Smith se rejoignent quand ils emploient le terme de
« marchés définitionnels » pour caractériser le commerce électronique : LICOPPE, 2001 ;
SMITH, 2003.
44. Pour une présentation en français, voir : CONEIN, DODIER, THEVENOT, 1993 ;
HUTCHINS, 1994 ; CONEIN, THEVENOT, 1997.
Dispositifs collectifs de calcul 207

La notion de « distribution » est cruciale. Elle ne signifie pas que les agents
humains en chair et en os, confrontés à des calculs difficiles, utilisent des
outils sans lesquels ils ne pourraient jamais accomplir leurs tâches. La thèse
célèbre de Max Weber sur le rôle de la comptabilité en partie double (CPD)
dans l’essor du capitalisme et les discussions auxquelles elle a donné lieu
fournissent une bonne illustration de ce type d’interprétation que nous
voulons éviter. Yamey45, critiquant la thèse de Weber (ou plutôt sa
reformulation par Sombart), affirmait par exemple que, sans le concours

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d’un esprit d’entreprise, un simple outil comptable n’aurait pu mener à
l’essor du capitalisme. Ce n’est pas la comptabilité en partie double qui
calcule, ajoute-t-il, mais l’agent humain, l’entrepreneur qui a décidé de
l’employer46. Ce point de vue qui réduit les outils calculateurs à leur
dimension instrumentale est courant en sciences économiques, y compris
dans des approches hétérodoxes (institutionnelle, évolutionniste). Pour
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Herbert Simon, c’est parce qu’ils sont confrontés à des tâches de


comptabilité compliquées que les agents, pour soulager leurs cerveaux et
augmenter leur efficacité, conçoivent des outils, créent des règles et des
routines ou mettent en place des organisations qui calculent pour eux. Il est
indéniable que, en faisant entrer ces nouvelles entités (routines, règles,
conventions) dans l’analyse, les économistes qui ont suivi Simon ont
accompli des progrès considérables : ils ont prolongé les capacités cognitives
des acteurs en redistribuant, au moins de façon implicite, leurs cerveaux. Les
travaux consacrés à la cognition et à l’action distribuées, ainsi que la
recherche en anthropologie des sciences et des techniques (et en particulier
celle qui se réclame de la théorie de l’acteur-réseau), ont prolongé cette
démarche en la rendant explicite : la connaissance et l’action ne sont jamais
individuelles ; elles mobilisent des entités, humaines et non-humaines, qui
participent à l’entreprise de connaissance ou à l’action. Cette participation
est active et ne peut être réduite qu’exceptionnellement à une dimension
simplement instrumentale.

Ainsi, dans le cas de la comptabilité en partie double, deux interprétations


extrêmes et opposées peuvent être exclues : pour la première, la CPD est un
outil de calcul particulièrement efficace (pour calculer des bénéfices) dans
les mains d’agents humains qui ont un contrôle total de leurs objectifs et de
leurs actions ; pour la seconde, la CPD est l’instrument de la rationalité
économique, qui, du fait de son simple usage, impose aux agents une

45. YAMEY, 1949. Voir aussi CARRUTHERS, ESPELAND, 1991.


46. Sur cette controverse, voir VOLLMER, 2003.
208 Réseaux n° 122

cohérence et une logique calculatrice qui est au-delà de leur portée (dans un
cas c’est l’outil qui est instrumentalisé, alors que dans l’autre c’est l’agent).
La notion d’agence calculatrice distribuée est plus exigeante que cette
alternative simplificatrice47. Elle permet d’échapper à ce dilemme.
L’entrepreneur, qui est censé calculer ses bénéfices, n’emploie pas la CPD
pour effectuer un calcul plus précis, plus rapide et exact, dont l’idée
préexistait à l’outil lui-même. C’est le couple constitué par l’entrepreneur et
la comptabilité en partie double qui conçoit ce calcul et le réalise. On

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pourrait même dire que la CPD, simplement par le fait d’être là, disponible,
propose le calcul à l’entrepreneur qui, en retour, accepte l’invitation et
demande à la CPD de faire le calcul48.

Les marchés financiers abondent en innovations, expériences et interventions


qui rendent visible cette grande variété d’agences calculatrices et qui
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facilitent par conséquent l’analyse de leur constitution et de leur


fonctionnement. Alex Preda a montré comment l’introduction du ticker a
changé l’équipement des courtiers et a engendré de nouvelles formes de
calcul des décisions sur les marchés financiers49. Les cours d’actions cotées
dans une ou plusieurs Bourses pouvaient être connus en temps réel en divers
endroits éloignés les uns des autres, ce qui encouragea le développement de
nouvelles pratiques d’arbitrage et de spéculation. La visualisation des cours
en continu rendait possible le développement de techniques d’analyse
graphique de leur évolution. Le ticker ne se limitait pas à fournir des
informations : il construisait des données qui, par leur format, ont produit
des effets spécifiques de cognition et d’action (comme l’a montré par ailleurs
Jack Goody à propos des listes et des tableaux). De même, la salle de marché
d’une banque d’investissement moderne produit des formes hétérogènes de
calcul, dépendantes des dispositifs sur lesquels comptent les traders pour
distribuer leurs activités de calcul : automates de négociation, téléphones,
outils d’analyse des cours, etc50.

47. La notion de « pratiques de calcul » telle que proposée par Peter Miller permet aussi de
contourner cette vision instrumentaliste du calcul : voir MILLER, 2001. Celle « d’agence
calculatrice » a l’avantage, selon nous, de prendre en compte plus clairement la variété des
modalités d’actions auxquelles les pratiques donnent corps et en particulier la possibilité de
calculs opérés avec des visées stratégiques.
48. Cette idée d’invitation résonne avec la notion d’affordance (GIBSON, 1979), qu’il est en
effet possible de traduire en français par « promission » (promesse et permission).
49. PREDA, 2003.
50. Voir : GODECHOT, 2000, 2001 ; MARTIN, 2002 ; ZALOOM, 2003 ; BEUNZA,
STARK, 2003 ; KNORR CETINA, BRUEGGER, 2003.
Dispositifs collectifs de calcul 209

Asymétries

Les activités de conception, de production, de distribution et


commercialisation, de prospection, d’achat et de consommation impliquent
un grand nombre d’agences calculatrices qui peuvent coopérer, entrer en
concurrence ou encore être indépendantes les unes des autres. Des
asymétries sont formées, qui peuvent évoluer et changer au cours du temps.
Nous proposons d’analyser ces asymétries en fonction de deux critères : a)

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les agences calculatrices peuvent être caractérisées par leur puissance de
calcul et b) elles peuvent avoir des degrés différents d’autonomie.

La puissance de calcul
Comme nous l’avons indiqué précédemment, notre définition du calcul
implique directement celle de puissance calculatrice. Une agence calculatrice
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est d’autant plus puissante qu’elle est en mesure : a) d’établir une liste à la
fois finie, longue et diversifiée d’entités, b) d’autoriser des relations riches et
variées entre les entités ainsi sélectionnées, de manière à ce que l’espace des
classifications et re-classifications possibles soit ouvert, et c) de formaliser
des procédures et des algorithmes aptes à multiplier les hiérarchies et les
classements possibles entre ces entités.

Il est aisé de comprendre que, ainsi définie, la puissance de calcul soit


inégalement distribuée parmi les agences calculatrices. Considérons deux
explications de cette inégalité : le degré de complexité et de richesse des
dispositifs de calcul des agences et le réseau d’interconnexions existant entre
eux.

Richesse et complexité des dispositifs distribués


Le rapport entre offre et demande dans un supermarché, pour revenir à cet
exemple, implique (au moins) deux agences calculatrices. D’un côté le
consommateur qui comme on l’a vu n’est jamais seul, isolé51 : il est distribué
et ses évaluations font intervenir des références, des marques, et toutes sortes
d’informations préformatées et précalculées qui sont fournies par le
supermarché et ses arrangements. L’emballage, le rayonnage, les relations de
proximité entre les produits, les marques, labels, étiquettes, promotions : tout
cela constitue un système de cognition distribuée qui participe activement au

51. BARREY, 2001.


210 Réseaux n° 122

processus de qualification et de singularisation des produits52. Le


consommateur peut également réaliser des essais à la maison, avec les amis
et la famille, et en discuter les résultats. Il lit des magazines et des guides qui
l’orientent dans ses choix. Il est engagé dans des relations de prescription qui
démultiplient sa réflexion et son action. Il se rend au supermarché avec une
liste des courses, véritable prothèse cognitive. Des associations de
consommateurs organisent des essais comparatifs qui aboutissent à des
évaluations multicritères53.

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Mais, aussi forte soit-elle, l’agence calculatrice du consommateur qui évalue
l’attachement des biens à son propre monde demeure faible comparée à la
puissance calculatrice de l’offre qui est fortement équipée, au moins dans le
cas d’un supermarché. De la conception à l’assortiment des produits sur des
rayons, intervient une série de professionnels qui explorent le monde
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distribué du consommateur pour mieux y intégrer le produit en jouant


habilement sur sa qualification. En d’autres termes, et ce point est
maintenant bien documenté, la différence entre la capacité calculatrice d’un
enfant hésitant entre deux paquets de bonbons ou entre deux pokémons et
celle du directeur d’un supermarché ne se base pas (uniquement) sur leurs
propres compétences de calcul. Elles sont essentiellement la conséquence
d’une asymétrie d’équipement. Par exemple, comme Jean Lave l’a
clairement montré, le fait qu’un consommateur ne recoure pas explicitement
à l’arithmétique quand il fait ses courses ne signifie pas qu’il ne calcule
pas54. Mais, face à lui, il y a une multitude de professionnels armés
d’ordinateurs, qui étudient ses mouvements et qui calculent leurs marges au
centime et au gramme près.

A partir de cet exemple il ne faudrait pas pour autant conclure que les
asymétries se développent toujours dans la même direction (l’offre dominant
la demande) ou qu’elles soient définitives. Dans certains cas, c’est l’acheteur
ou le client qui est dans une position de calcul dominante, comme sur
certains marchés de sous-traitance ou dans certaines situations en finance55.

52. LAVE, MURTAUGH, DE LA ROCHA, 1984.


53. Voir, par exemple : MALLARD, 2000, 2002 ; KARPIK, 2000 ; COCHOY, 2002 ;
BARREY, 2002 ; CALLON, MEADEL, RABEHARISOA, 2000 ; TEIL, 2001.
54. LAVE, MURTAUGH, DE LA ROCHA, 1984.
55. Dans certains cas, un petit client institutionnel achetant un produit complexe à une banque
d’investissement (une stratégie d’optimisation fiscale ou un contrat pour couvrir des risques
de change) n’aura aucune visibilité sur la structure réelle du produit et sur la façon dont la
banque le tarifie et le couvre. Dans d’autres cas, au contraire, un grand client (le département
Dispositifs collectifs de calcul 211

Dans d’autres cas, une agence initialement en position inférieure acquiert


graduellement des outils lui permettant de changer l’équilibre des forces et
de devenir plus active en termes de qualification et de singularisation : la
lutte pour plus d’autonomie ou plus de reconnaissance passe souvent par des
efforts en équipement de calcul. Le rôle croissant des associations de
consommateurs ou d’usagers, l’obligation pour les entreprises de prendre en
compte des critères environnementaux dans leurs propres calculs, ou la
prolifération de logiciels libres sont des exemples d’une telle inversion. Pour

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inverser l’asymétrie entre les puissances calculatrices et retourner le rapport
de force qu’elle implique, des agences s’engagent dans l’acquisition de
nouveaux équipements de calcul. Cette géopolitique changeante des
puissances de calcul est, peut-être, plus visible en finance qu’ailleurs. L’une
des caractéristiques propres de la finance est, en effet, de rendre possibles
d’importants changements dans les tailles relatives des acteurs, des
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changements qui peuvent sembler surprenants si on les compare à d’autres


formes plus industrielles ou patrimoniales de capitalisme. Dès qu’elles
entrent dans le jeu de la haute finance, des formes stabilisées de capital
patrimonial peuvent être défiées par de nouveaux acteurs capables de
déployer des martingales calculatrices dont la portée est parfois dévastatrice
pour les intérêts établis56.

Connexions
Une autre source d’asymétrie entre les puissances de calcul réside dans les
connexions que les agences de calcul construisent entre elles dans le but, par
exemple, d’incorporer (de capitaliser sur) les résultats d’autres agences de
calcul. C’est le cas, en l’occurrence, de la société qui crée des centres de
profit décentralisés ou qui filialise des unités d’affaires et qui délègue ainsi
des fonctions de calcul à des agences distribuées. Elle se contente ensuite
d’intégrer et d’agréger les calculs effectués pour son compte par ces unités
différentes.

de trésorerie d’une multinationale) aura recours aux services de plusieurs banques (qu’elle
mettra en concurrence), sans leur laisser comprendre sa stratégie globale. Dans ces exemples,
les mots « petit » et « grand » ne correspondent pas uniquement à une question de volume
capitalistique, mais, plus exactement, à la puissance calculatrice du client (et, encore plus
spécifiquement, à la taille de sa propre salle de marché).
56. Nous songeons aux exemples, maintenant populaires, des golden boys qui ont renversé
l’ordre du jeu financier à Wall Street dans les années 1970 et 1980.
212 Réseaux n° 122

Dans les marchés de consommation, la portée de ce double mouvement de


distribution et d’intégration est variable. Mais il est généralement plus
développé du côté de l’offre que du côté de la demande. Le consommateur a
rarement la possibilité de mobiliser et contrôler une population importante
d’agences de calcul autonomes. Imaginons pour un instant ce que
deviendrait la grande distribution si le client placé en face d’un rayon dans
un supermarché pouvait accéder directement aux capacités calculatrices
d’une association de consommateurs ou aux résultats de tests de laboratoires

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réalisés à sa demande. On est loin de ce scénario, mais la configuration
marchande n’est pas pour autant figée. Il est de plus en plus courant
d’observer, par exemple, des usages du téléphone mobile en supermarché
qui vont dans ce sens (consulter l’avis d’un proche en temps réel, etc.).
Internet fournit également aux consommateurs la capacité de mobiliser
diverses agences calculatrices auxquelles ils n’avaient pas accès jusque là57.
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Cet argument se rapproche de ceux de l’analyse des réseaux sociaux (telle


que proposée par Burt) : plus les connexions d’une agence présentent un
profil en étoile, plus la capacité de calcul de cette dernière sera grande en
comparaison à celle des agences auxquelles elle est connectée (la connexion
signifiant, ici, la capacité d’utiliser les calculs des autres ou, au minimum,
d’accéder à leurs capacités de calcul). L’étude de ces connexions, de leur
nature et de leur forme, permet de poser la question de l’autonomie relative
des agences : une connexion peut résulter en pure dépendance si une agence
est en position de disposer sans entraves de la puissance de calcul d’une
autre agence.

Autonomie et hétéronomie
Revenons au supermarché et à la situation de confrontation qu’il organise
entre différentes agences calculatrices. D’un côté « le » client calcule un
attachement ; de l’autre côté « le » vendeur exécute une série de calculs afin
d’évaluer des stocks ou de mesurer des bénéfices ou des parts de marché. On
pourrait limiter l’analyse à ce constat et suivre les agences calculatrices dans
la confrontation qui les amène à mesurer leurs puissances de calcul et, pour
certaines, à imposer finalement leurs propres critères d’évaluation. Mais
l’extériorité ainsi supposée des agences calculatrices n’est qu’une
configuration possible qui, à l’évidence, ne rend pas compte de la situation
du supermarché. Dans ce cas, la configuration est celle, fréquente, dans

57. Pour une bonne illustration dans le cas des marchés financiers, voir LEPINAY,
ROUSSEAU, 2000. Voir également le cas des moteurs de recherche et automates d’enchère
commentés dans MIROWSKI, 2003.
Dispositifs collectifs de calcul 213

laquelle l’acheteur utilise des outils de calcul qui lui ont été, plus ou moins
explicitement, proposés voire imposés. Certes il continue à évaluer son
attachement à un bien qui a été ajusté à son monde, mais il le fait en
empruntant les outils conçus par l’offreur. En inspectant les rayons, en lisant
des étiquettes, guides ou manuels d’instruction, le consommateur poursuit un
calcul commencé et cadré par des professionnels de la qualification. A cet
égard il est approprié de rappeler l’utile distinction entre achat planifié et
achat impulsif58. Le premier correspond à une plus grande autonomie pour le
consommateur dont l’équipement, préparé à l’avance, dépend moins de celui

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fourni par le magasin. Le second correspond, en revanche, à une position
hétéronome : le consommateur, flânant sans intention spécifique, devient une
annexe du dispositif calculateur créé par les experts du marketing et de
l’assortiment59. Un exemple particulièrement frappant du passage d’une
position d’autonomie à une position d’hétéronomie est celui étudié par Pierre
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Bourdieu dans son analyse du marché de l’immobilier : la rencontre entre le


vendeur et l’acheteur potentiel se transforme en une épreuve de force dans
laquelle le premier cherche à imposer au second, souvent avec succès, ses
propres outils de calcul60. Dans ces face à face, qu’il s’agisse du
consommateur hésitant entre deux paquets de jambon fumé ou du couple qui
suit avec inquiétude les calculs du vendeur pour mesurer sa capacité
d’endettement, la confrontation met aux prises des valeurs et des univers
radicalement différents. Un consommateur particulier peut être attaché à un
bien qu’il trouve esthétiquement attrayant et accepter de payer un prix pour
cet attachement, alors que le vendeur enregistrera simplement un retour sur
investissement. Le compromis, lorsqu’il est trouvé, doit être interprété non
pas comme un compromis sur les valeurs mais comme un compromis sur les
instruments de calcul des valeurs.

La relation d’autonomie ou d’hétéronomie entre agences calculatrices est


sujette à variation. Une agence peut modifier ses équipements, monter en
puissance ou au contraire décider d’adopter les outils d’une autre agence.
Ces transformations sont d’autant plus coûteuses et rares que les
investissements déjà réalisés sont élevés. En revanche, lorsque les
équipements de calcul sont légers, les revirements sont plus fréquents et les

58. LAVE, 1988 ; LICOPPE, PHARABOD, ASSADI, 2002, p. 120.


59. Un même consommateur peut changer d’un type d’achat à un autre dans une même
séquence d’achat. Des recherches récentes sur le commerce électronique tendent à montrer
que l’internaute adopte plutôt le premier type de comportement : LICOPPE, PHARABOD,
ASSADI, 2002.
60. BOURDIEU, 2000, chapitre IV.
214 Réseaux n° 122

retournements de situation plus spectaculaires. Un cas intéressant, du point


de vue de l’analyse, est celui dans lequel un offreur change d’instruments de
calcul en cours de transaction, réalisant que les instruments utilisés ne sont
pas adaptés. De tels retournements sont évidemment rares dans les
supermarchés. Mais des situations comme les situations d’héritage seraient
intéressantes à étudier de ce point de vue, étant donné la variété des outils de
calcul qui peuvent être choisis et les hésitations des acteurs concernés sur le
choix de l’un d’entre eux (comment évaluer par exemple la valeur de

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meubles anciens que les héritiers doivent se partager : faut-il s’en remettre
au marché institué et consulter des catalogues ou des experts pour établir le
prix d’une commode Boulle ou explorer plutôt la nature et l’intensité des
attachements : « Je sais qu’elle ne vaut que cinq mille euros, mais j’y suis
plus profondément attaché que toi, car notre père m’avait dit qu’il l’avait
achetée en pensant à moi. »)
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Il est donc possible d’analyser les relations entre agences calculatrices en


prenant en compte deux dimensions : leurs puissances de calcul relatives
(faible, forte) et leur degré d’autonomie (ou hétéronomie) relative. Ceci
conduit à distinguer quatre configurations typiques qui opposent deux
situations types extrêmes : l’une où se confrontent deux agences
calculatrices autonomes qui calculent le même bien de manière entièrement
différente (en n’étant d’accord ni sur ce qui doit être pris en compte ni sur la
manière de le faire), et l’autre où une agence impose ses outils de calcul à
une autre agence.

De ce qui précède ressort une manière nouvelle d’envisager les rapports de


domination qui traversent et structurent les marchés, en considérant qu’ils
sont inscrits dans des rapports de calculs. Ce point de vue n’est pas
entièrement nouveau61. Il est cependant de plus en plus difficile de masquer
les épreuves de force derrière les transactions commerciales quand les
moyens de calcul utilisés deviennent l’objet d’expérimentation et parfois de
discussion, comme dans le cas des marchés financiers et de la distribution de
masse. Devenant objets d’expérimentation, d’analyse, d’interprétation et
d’évaluation, les asymétries de calcul y sont mises en évidence et peuvent
alimenter des débats argumentés62.

61. HIRSCHMAN, 1980, par exemple.


62. Il faudrait montrer comment les asymétries d’information peuvent être analysées comme
une conséquence des asymétries de calcul. Ceci implique notamment que la réduction des
asymétries d’information passe par une reconfiguration des puissances de calcul.
Dispositifs collectifs de calcul 215

RENCONTRES CALCULÉES

Si la notion même de marché est problématique c’est parce que, dans sa


définition générale, elle implique l’existence d’un espace abstrait dans lequel
demandes et offres agrégées se croisent et finissent, au terme d’ajustements
successifs, par définir ce qu’il est généralement convenu d’appeler le « prix
de marché ». Dans cette conception, le marché abstrait est une structure qui
formate (et explique) chaque transaction commerciale individuelle. Elle est

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en conformité avec la célèbre définition de Cournot : « On sait que les
économistes entendent par marché, non pas un lieu où se consomment les
achats et les ventes, mais tout un territoire dont les parties sont unies par des
rapports de libre commerce, en sorte que les prix s’y nivellent avec facilité et
promptitude63. »
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Cette conception abstraite du marché a longtemps occupé une position


privilégiée dans la théorie économique. Ceci explique pourquoi, comme
l’ont noté plusieurs auteurs, les marchés concrets ont été rendus invisibles et
sont restés par conséquent peu étudiés. Cette conception a également
introduit des difficultés logiques et théoriques, notamment lorsqu’il s’est agi
de rendre compte des mécanismes d’agrégation des offres et des demandes.
Le cas de l’équilibre walrassien illustre ces difficultés. Le problème n’est pas
seulement qu’un ensemble exceptionnel de conditions doit être vérifié afin
de produire un environnement de type walrassien64. Il tient également, et
surtout, au fait que Léon Walras pas plus que ses successeurs n’ont été
capables de fournir une description appropriée du mode de fonctionnement
de ce mécanisme d’agrégation auquel est donné le nom, évocateur mais peu
utile du point de vue analytique, de tâtonnement65.

Quand nous parlons de conceptions abstraites du marché, nous désignons


précisément ces démarches qui font référence à un principe explicatif
logique qui met entre parenthèses les procédures et dispositifs
sociotechniques concrets. Invoquer le marché dans de telles conditions c’est

63. COURNOT, 1838, p. 55.


64. GUERRIEN, 1999.
65. L’idée selon laquelle le tâtonnement walrassien était basé empiriquement sur une
observation de la Bourse de Paris est fausse : WALKER, 2001. Mais Walras ne prétendait en
aucun cas que sa théorie fût fondée sur la réalité. Le problème demeure au niveau de la pure
explication théorique : le mécanisme qui permet aux acteurs de calculer un prix exact de
manière non statique et sans effectuer de transactions à des « prix faux » est absent de la
construction théorique de Walras : voir, par exemple, TEIRA SERRANO, 2001.
216 Réseaux n° 122

en effet se priver de la clef explicative qui permet de décrire les mécanismes


de l’agrégation ainsi que leurs effets. Bien sûr, des marchés concrets peuvent
être conçus de manière à respecter certaines des caractéristiques des marchés
abstraits : nous pensons, par exemple, aux procédures d’enchère aveugle66.
Mais, sans compter le fait que de tels exemples sont toujours relativement
rares, ces marchés ne sont pas des marchés « abstraits » dans le sens où les
mécanismes d’agrégation auraient disparu : à l’inverse, pour que le
fonctionnement de ces marchés soit assuré, il convient que ces mécanismes

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soient méticuleusement explicités.

Pour surmonter cette opposition entre marchés abstraits et concrets, il


convient d’opérer un renversement de perspective et de prendre comme
point de départ la transaction elle-même, c’est-à-dire non pas la
macrostructure d’un marché abstrait hypothétique, mais sa
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« microstructure », un concept fort utile emprunté aux sciences


économiques67. Une des contributions les plus originales des travaux sur les
microstructures des marchés ainsi que des recherches en économie
expérimentale est d’avoir relevé le caractère central des mécanismes de
rencontre. Sans le travail d’explicitation mené par les chercheurs qui
analysent les microstructures marchandes ainsi que par tous ceux qui les
conçoivent et les construisent, ce troisième élément du calcul marchand
serait sans doute resté dans l’ombre. Ce travail d’explicitation a été stimulé,
comme le souligne Philip Mirowski68, par l’essor des nouvelles technologies
de marché. Ces technologies (commerce électronique, systèmes de
négociation automatisée dans les marchés financiers, etc.) ont mis les
microstructures des marchés à l’épreuve de la recherche et développement
(R&D) : des investigations et expérimentations systématiques ont été
conduites afin de les identifier et d’en comprendre les mécanismes. Elles
rendent explicites ce que nous appelons les configurations algorithmiques du

66. GARCIA, 1986 ; MUNIESA, 2000.


67. La notion de microstructure est une notion commode pour désigner un ensemble de
transactions entre un nombre limité d’agents dont les positions respectives et les relations sont
dépendantes d’une architecture d’échange particulière. En sciences économiques, elle a été
proposée explicitement comme outil pour étudier les mécanismes de fixation des prix et est
largement répandue dans l’analyse des marchés financiers. Mais elle ne se limite ni aux
marchés financiers ni aux processus de formation des prix. Voir : MADHAVAN, 2000 ;
SPULBER, 1999.
68. MIROWSKI, 2003.
Dispositifs collectifs de calcul 217

marché69. Cette notion permet en outre de comprendre comment sont


possibles des représentations abstraites du marché, qui permettent
d’intervenir dans les marchés concrets.

Configurations algorithmiques

L’usage d’ordinateurs dans la construction des marchés a changé notre


conception de ceux-ci. Selon Mirowski, la croissance rapide du e-commerce et

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de l’automatisation des marchés financiers a mis en évidence un fait qui est
bien connu mais rarement étudié : l’existence d’une multiplicité de modalités
pratiques de confrontation entre l’offre et la demande. Enchères doubles (où
l’on enchérit à la vente et à l’achat), enchères hollandaises, négociations
structurées bilatérales, offres à prix affiché, discussions bilatérales libres : cette
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liste, pourtant extrêmement réduite au regard de la variété existante, fournit


une bonne indication de la diversité des configurations envisageables70.
L’explicitation de cette diversité a mis en évidence la dimension calculatrice
des marchés et a simultanément montré que cette dimension était distincte de
la calculabilité des produits ou de la constitution des agences calculatrices. Par
exemple, une enchère double peut être décrite et analysée indépendamment
des marchandises auxquelles elle se rapporte et des capacités de calcul des
agents impliqués. De ce point de vue, les expérimentations de Gode et
Sunder71 avec des traders « à intelligence nulle » sont très importantes. Elles
suggèrent que la convergence des traders dans une enchère double vers des
prix et des quantités prévus se produira que les traders soient des sujets
humains ou des robots stupides. En d’autres termes, la formulation des règles
ou, plus exactement, des algorithmes permettant d’identifier les agents
autorisés à s’engager dans une transaction, de décrire l’ordre dans lequel offres
et demandes devront être prises en considération ainsi que la manière de les
apparier, sont des éléments essentiels dans l’établissement des prix (ce que les
économistes appellent « la découverte des prix »). De la même manière, et
cette fois-ci du côté des marchés réels, l’automatisation des marchés financiers
et l’organisation du e-commerce réclament une définition détaillée des
procédures ou, en d’autres termes, l’explicitation de ce que Mirowski propose

69. Nous reprenons et complétons ici l’argument présenté dans MIROWSKI, SOMEFUN,
1998, et MUNIESA, 2003.
70. Par exemple, pour la variété des configurations algorithmiques possibles de l’enchère
double voir : MUNIESA, 2003.
71. GODE, SUNDER, 1993.
218 Réseaux n° 122

d’appeler algorithme ou automate de marché72. La notion, plus générale, que


nous proposons est celle de configuration algorithmique. Elle tient compte du
fait que ces algorithmes ne peuvent être définis et décrits d’une manière
abstraite indépendamment des conditions et des limites matérielles de leur
exécution73.

Pour illustrer ce qu’est une configuration algorithmique concrète prenons le


cas de la Bourse de Paris et des différentes options qui ont été envisagées et

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discutées en vue de son automation74. Lors de l’introduction de la cotation
automatisée dans ce marché, les acteurs à l’œuvre ont été confrontés à une
multiplicité de stratégies possibles et à des controverses où les
préoccupations informatiques et politiques s’entremêlaient. Un choix
important consistait, par exemple, à opter pour un marché dirigé par les
ordres ou au contraire pour un marché dirigé par les prix (ces options
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engageaient le marché dans des voies technologiques et institutionnelles


différentes). La première option revenait à déléguer la confrontation des
ordres d’achat et de vente (et la formation du prix) à un protocole d’enchère
double ; pour la seconde option, c’est un agent en chair et en os, le market
maker (teneur de marché), qui devait établir la cotation d’un titre en
négociant pour son propre compte et en publiant sa propre fourchette des
prix. Ces deux choix, traduits en différentes configurations algorithmiques,
recomposaient différemment les rapports de force entre les banquiers et les
agents de change de la place parisienne. C’est la première solution qui fut,
dans un premier temps, favorisée avec l’introduction du système canadien
CATS (Computer Assisted Trading System). Mais les configurations
algorithmiques n’étaient pas transposables telles quelles (de la Bourse de
Toronto à celle de Paris, en l’occurrence), et elles demandèrent un réel
travail d’adaptation et d’ingénierie (sociotechnique) pour leur mise en place.

Un autre exemple d’explicitation, de définition et de réalisation de la


configuration algorithmique de la Bourse de Paris est celui de l’instauration
d’un fixing de clôture. Le dispositif choisi a été celui d’enchères non
continues pour la fixation des cours de clôture de la séance boursière. Nous
avons analysé ailleurs comment cette solution, qui a entraîné la mise en
place d’un complexe appareil technique, mettait en jeu un principe très

72. Pour des exemples d’explicitation de mécanismes d’enchère dans les marchés financiers
et sur Internet, voir DOMOWITZ, WANG, 1994, et LUCKING-REILEY, 2000.
73. MUNIESA, 2003.
74. Cet exemple est tiré de MUNIESA, 2003.
Dispositifs collectifs de calcul 219

particulier et concret de justesse et de légitimité dans la détermination des


prix75. D’ailleurs si d’autres Bourses, comme celle de Madrid, ont fait
d’autres choix algorithmiques, c’est au nom de raisons morales autant que
techniques.

La liste des éléments qui caractérisent les configurations algorithmiques,


explicitées puis mise en œuvre par la Bourse de Paris tout au long du
processus de son automatisation, est longue et change constamment :

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dispositifs de contournement du principe d’enchère pour les ordres à volume
élevé, conception de nouveaux types d’ordres, choix des priorités
d’allocation, degré d’anonymat variable, définition des seuils et des pas de
cotation, détermination des quotités à prendre en compte, etc. Cette liste
(non exhaustive) montre l’existence et le rôle crucial des solutions
algorithmiques. Elles encadrent non seulement l’expression de l’offre et de
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la demande mais déterminent également la manière dont les prix vont être
générés. Cette « découverte des prix » est une affaire compliquée parce
qu’elle doit tenir compte – mais comment ? – d’un grand nombre d’offres et
de demandes qui doivent être reliées – mais comment ? – entre elles. Au lieu
d’être réductibles à deux courbes agrégées qui se croisent en un point, au
lieu de compter sur un commissaire-priseur désincarné et « hors de portée de
tout contrôle », la Bourse de Paris combine différentes configurations
algorithmiques fondées sur des dispositifs matériels, à la fois techniques et
organisationnels, et sur des compétences incorporées. Ces configurations
algorithmiques sont de véritables agencements sociotechniques. « Le
marché » n’existe pas indépendamment de ces agencements76. Si les
analyses des marchés concrets et abstraits ont été longtemps dissociées, c’est
tout simplement parce que les mécanismes d’agrégation et de composition
des offres et des demandes, que ces agencements organisent, ont été ignorés
ou simplifiés à l’extrême.

Des configurations algorithmiques calculantes et calculées

Quelques commentaires sur la notion de configuration algorithmique


sociotechnique s’imposent :
– Les configurations algorithmiques constituent un dispositif de calcul au
sens que nous avons donné à ce terme. Pas construction : a) elles

75. MUNIESA, 2000.


76. Voir aussi sur ce point FAVEREAU, 1989, et ORLEAN, 1999, p. 31-44.
220 Réseaux n° 122

circonscrivent la population des agences calculatrices qui sont appelées à se


rencontrer en les rendant identifiables et énumérables ; b) elles organisent
leur rencontre, c’est-à-dire leur mise en relation et c) elles établissent des
règles ou des conventions fixant l’ordre dans lequel ces mises en relation
doivent être traitées et prises en compte (queues, etc.). Selon la manière dont
elles effectuent chacune de ces opérations, les configurations algorithmiques
calculent de façon différente les rencontres : à chaque marché concret
correspond donc une modalité particulière d’organisation (et de calcul) des

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mises en relation des offres et des demandes singulières. L’espace du
supermarché calcule des rencontres. Un centre commercial avec ses voies
d’accès, ses allées, la juxtaposition des magasins, les séries de vitrines, les
files d’attente qui se forment à certains points, constitue une configuration
algorithmique qui organise, à la manière d’un programme logique, la
rencontre des agences de calcul77. Le recours à des mailing lists couplé avec
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l’utilisation du téléphone et des annuaires pour contacter les clients


éventuels, sont des dispositifs qui peuvent être également analysés comme
des configurations algorithmiques sociotechniques78. Avec les NTIC, la
puissance et la diversité des technologies de rencontre sont amplifiées. Nigel
Thrift, qui emploie la notion de « technologies d’adresse » pour dénoter ces
configurations algorithmiques, parle à ce titre d’une véritable rupture
qualitative79. Les NTIC permettent à des entités physiquement distantes et
désynchronisées de se rencontrer et de constamment renouveler cette
rencontre (codes barre et cartes SIM sont parmi les exemples de Thrift) :
avec ces technologies les configurations deviennent des objets à part entière
qui font l’objet de recherches et d’expérimentations.
– Observons également que ces configurations de rencontres ne contribuent
pas toujours directement à la fixation des prix. Dans les supermarchés, par
exemple, les prix sont affichés et constituent un des éléments de la
qualification des biens proposés à la vente, même si dans certains cas,
comme à Osaka au Japon, le marchandage y est possible, voire encouragé.
Dans d’autres cas, comme les enchères, la configuration algorithmique joue
un rôle central dans le calcul des prix.
– La notion d’algorithme ne doit pas être entendue dans un sens uniquement
métaphorique. D’abord – et ceci est une leçon apprise de l’histoire et de la
sociologie de l’informatique – parce qu’un ordinateur constitue,

77. Dans ce cas les prix sont fixés et font donc partie de la qualification des biens.
78. MALLARD, 2002.
79. THRIFT, 2003.
Dispositifs collectifs de calcul 221

littéralement, et à l’instar du marché, un espace social organisé80. De plus,


parler d’algorithme rend justice à l’idée selon laquelle existent une ou des
« logiques » des marchés, voire du capitalisme. En, effet, un algorithme peut
être analysé comme un programme logique. En tant que programme, il
implique l’existence de plusieurs solutions qui peuvent être atteintes en
suivant un ensemble concret d’instructions qui sont contingentes à une
situation et/ou à une tâche spécifiques ; il peut être qualifié de logique dans
la mesure où il se déduit d’un principe d’action simple81. Il est bien adapté à

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la description de la multiplicité et de la matérialité des opérations, complexes
mais ordonnées, par lesquelles se croisent des demandes et des offres
singulières.
– Ces configurations algorithmiques de rencontres ne constituent pas des
structures déjà-là dans lesquelles les agences calculatrices se contenteraient
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de circuler et d’évoluer. Ces agences peuvent être, et sont souvent, engagées


à des degrés divers dans la conception et dans la négociation des
architectures qui organisent les rencontres marchandes. Une situation
extrême est celle où une agence calculatrice contrôle presque entièrement ce
travail de « design », comme dans le cas des plates-formes électroniques de
marché. Les marchés financiers offrent quant à eux un exemple de bataille
très intense entre concepteurs de technologies de marchés (envisagés comme
lieux de rencontre) : les architectures des configurations algorithmiques que
les différentes Bourses proposent pour absorber la liquidité potentielle des
marchés et en priver leurs concurrentes sont au centre de la concurrence
qu’elles se livrent82. Des phénomènes similaires concernent les sites de
commerce en ligne ou les zones de chalandise de la grande distribution.
Dans d’autres cas, les agences calculatrices ne peuvent modifier qu’à la
marge les configurations qui organisent leurs rencontres, aucune d’entre
elles n’étant en mesure d’imposer aux autres sa propre définition.

Des configurations algorithmiques aux marchés abstraits

L’identification et l’explicitation des configurations algorithmiques (que


nous pouvons également appeler microstructures à condition d’inclure dans
cette notion la dimension technique des dispositifs matériels) qui organisent
la rencontre entre des offres et des demandes à la fois distantes et

80. COLLINS, 1992 ; SCHAFFER, 1995.


81. KNUTH, 1996, p. 59.
82. LEE, 1998 ; MUNIESA, 2003.
222 Réseaux n° 122

désynchronisées, soulèvent deux types de questions. Le premier concerne le


rapport qui existe entre le choix de certaines formes d’organisation des
microstructures et les effets produits par ces choix sur le fonctionnement du
marché agrégé (et en particulier sur le calcul des prix). Le deuxième a trait
aux conditions de validité des modèles abstraits qui fournissent une
description synthétique et stylisée du fonctionnement des marchés en tant
que dispositifs de calcul. Dans les deux cas est posée la question de la
relation entre marchés réels et marchés abstraits.

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La diversité des options possibles pour organiser la rencontre des offres et
des demandes pose inévitablement la question des conséquences du choix
d’une option particulière sur le fonctionnement du marché dans son
ensemble. Les études empiriques en microstructure des marchés financiers
tendent à montrer que ces effets sont en grande partie indéterminés et, de
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toutes façons, difficiles à prévoir et à évaluer. Il n’y a, par exemple, aucune


méthode d’ouverture de la séance boursière qui puisse être considérée
comme la meilleure solution applicable à tous les marchés83. Le travail
exemplaire d’Alan Kirman sur un type très différent de marché, le marché de
poissons de Marseille, permet de pousser ce diagnostic encore plus loin84.
Cette étude prouve qu’il n’y a aucune bonne raison de penser que l’on peut
déduire – autrement que par l’analyse statistique, la simulation et
l’expérimentation – les effets produits par une certaine configuration
microstructurelle sur un marché agrégé. Dans le cas de Marseille, le marché
agrégé peut en effet être qualifié de concurrentiel alors que les
comportements des différents agents sont ouvertement non compétitifs.
Autrement dit, il y a bien quelque chose qui peut être décrit comme un
marché agrégé, mais sa structure, si nous nous en tenons à ce mot, est le
résultat obtenu par l’économiste lorsqu’il compose un grand nombre de
transactions marchandes singulières et non pas le cadre qui définit les règles
et le format de ces transactions. Un bref rappel de la démonstration proposée
par Kirman permet de montrer l’importance des configurations
algorithmiques dans la production du marché abstrait, ainsi que dans
l’analyse des liens entre marchés abstraits et marchés concrets.

Comme le remarque Kirman, les marchés de poissons constituent un sujet


classique pour les sciences économiques, notamment « parce que
l’organisation de ces marchés est très variable selon les lieux et les époques.

83. DOMOWITZ, MADHAVAN, 2001.


84. KIRMAN, 2001.
Dispositifs collectifs de calcul 223

En Islande, par exemple, il existe trente deux ventes aux enchères, parmi
lesquelles dix-huit sont anglaises (croissantes) et quatorze sont hollandaises
(décroissantes). A Lorient, en France, le poisson est vendu par une
combinaison de marché de gré à gré et enchère, tandis qu’à Sète il est vendu
par enchère hollandaise et près de Marseille de gré à gré85 ». Kirman ajoute :
« La comparaison des différents résultats produits par différentes formes
d’organisation est un objet de recherche pertinent qui n’a pourtant pas reçu
grande attention jusqu’à présent86. » De ce point de vue, le marché de

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Marseille est intéressant pour plusieurs raisons :
– Premièrement, parce qu’il existe des données très détaillées sur les
transactions. Kirman dispose, pour son analyse, des informations relatives à
chaque transaction individuelle (au total, 237 162) sur une période de trois
ans : identité de l’acheteur et du vendeur, catégorie de poisson, poids du lot,
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prix de vente, et position temporelle de la transaction dans la série


journalière des transactions réalisées par chaque vendeur.

– Deuxièmement, parce que son organisation est originale. Sur le marché de


poissons en gros de Marseille, à Saumaty, plus de cinq cents acheteurs et
quarante cinq vendeurs se réunissent, bien qu’ils ne soient pas tous présents
chaque jour87. Plus de cent trente types de poissons y sont commercialisés.
Les prix ne sont pas affichés préalablement et les stocks totaux ne sont pas
de connaissance commune au début de la séance. Toutes les transactions se
font de gré à gré (c’est-à-dire de manière bilatérale ou over the counter, dans
les termes des marchés financiers). Il y a peu de négociation, peu de
marchandage, et les prix donnés par chaque vendeur peuvent
raisonnablement être considérés comme « à prendre ou à laisser ». L’analyse
des données prouve qu’une proportion élevée d’acheteurs est fidèle à leurs
vendeurs. Par ailleurs, dans une même journée, un vendeur peut proposer
différents prix pour différents clients. Les prix changent parfois
considérablement : « Les prix facturés de manière consécutive pour un
même type de poisson à différents acheteurs peuvent varier de trente pour
cent88. » La distribution est stable d’un jour à l’autre et, contrairement à ce
que l’on pourrait prévoir, les prix ne décroissent pas au long d’une journée
de marché. De plus, paradoxalement, les clients les plus fidèles se voient
consentir systématiquement les prix les plus élevés.

85. KIRMAN, 2001, p. 157.


86. KIRMAN, 2001, p. 157.
87. Lors de l’étude, le marché était ouvert tous les jours de 2 heures à 6 heures du matin.
88. KIRMAN, 2001, p. 163.
224 Réseaux n° 122

– Troisièmement, parce que la distance entre le marché « réel » et le marché


« abstrait » est maximale. Sur le marché réel, les différents comportements
ne correspondent pas du tout à ce que l’on pourrait attendre d’un marché
compétitif. Pourtant, le calcul du marché agrégé effectué par l’économiste
prouve qu’il suit parfaitement la loi de la demande : quand la demande
(agrégée) augmente, les prix (agrégés) augmentent et inversement.

Cet exemple confirme l’importance des dispositifs qui organisent l’expression

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de l’offre et de la demande ainsi que leur rencontre. Il ne suffit pas de dire que
les produits sont calculables (et ils le sont en effet puisque, comme le montre
la fidélité des acheteurs à leurs vendeurs, la singularisation des biens, en dépit
de leur apparente standardisation, est très grande). Il ne suffit pas, non plus, de
dire que les agents ici présents sont des agences calculatrices équipées d’outils
de calcul (ils le sont clairement puisque les acheteurs sont à leur tour des
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vendeurs qui doivent équilibrer leurs comptes). Pour décrire la réalisation des
transactions, il est nécessaire d’ajouter – c’est ici la contribution de Kirman –
que les transactions ont lieu dans un cadre spatial et temporel défini, qu’il
s’agit de transactions de gré à gré, avec des prix non publiés et non négociés,
que les prix consentis pour une même catégorie de poisson par un même
vendeur à différents clients sont fortement variables et que les rencontres entre
vendeurs et acheteurs sont réglées par de puissants réseaux de fidélité. C’est en
prenant en compte, dans les simulations qu’il effectue, les caractéristiques
particulières de la configuration algorithmique du marché aux poissons de
Marseille que Kirman parvient à expliquer pourquoi et comment la
composition des différentes microtransactions résulte en la constitution d’un
marché agrégé compétitif. La simulation réussie par Kirman montre
(notamment) deux choses. Premièrement, les marchés abstraits existent mais
leur production nécessite un travail d’abstraction, dans ce cas réalisé par un
économiste. Deuxièmement, la description du marché abstrait qui résume un
marché concret donné passe par l’explicitation des configurations
algorithmiques mises en œuvre par ce marché concret ainsi que par l’analyse
des calculs qu’elles effectuent : si l’économiste est en droit de parler des
« marchés » (abstraits) c’est parce que les marchés peuvent être considérés
comme des algorithmes sociotechniques dont il analyse la forme et les
propriétés. L’argument controversé de Philip Mirowski selon lequel les objets
d’étude légitimes des sciences économiques seraient des machines
économiques et non pas des êtres humains89 retrouve alors tout son sens si

89. MIROWSKI, SOMEFUN, 1998 ; MIROWSKI, 2002, 2003.


Dispositifs collectifs de calcul 225

l’on considère les « machines économiques » non pas comme des fictions
scolastiques mais comme des dispositifs collectifs de calcul, des
configurations sociotechniques réelles.

CONCLUSION

Le but de cet article était de rendre théoriquement moins controversé et


empiriquement plus réaliste le caractère calculateur des marchés. Pour ce

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faire, nous avons été obligés de réviser la notion de calcul, sans pour autant
l’éliminer. Le calcul économique n’est pas une fiction anthropologique
précisément parce que ce n’est pas une compétence mécanique et mentale
pure des individus humains : il est distribué entre êtres humains et dispositifs
matériels. Comme le montre cet article, ceci s’applique aux marchés. Un
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marché réel peut être décrit (du moins partiellement) comme un dispositif
pour l’évaluation de biens qui font l’objet de transactions. Ce calcul est
possible seulement si les biens sont calculables par des agences calculatrices,
dont la rencontre est organisée par une configuration algorithmique plus ou
moins stabilisée.

Cette approche met en évidence la diversité des formes possibles


d’organisation des marchés considérés comme dispositifs pour calculer des
valeurs. Un bien peut être rendu calculable, c’est-à-dire individualisé et
objectivé, d’une multitude de manières différentes. Les agences de calcul
sont aussi nombreuses et diverses que les outils qu’elles utilisent et les
collectifs hybrides dont ces outils sont parties prenantes. Les configurations
algorithmiques sont également multiples et diversifiées. Ces trois éléments
(biens, agents et échanges) constituent trois points d’entrée possibles pour
explorer les marchés en tant que dispositifs calculateurs complexes. La
grande distribution (parce qu’elle est obsédée par la singularisation des
produits) et les marchés financiers (parce qu’ils sont obsédés par les
processus de détermination des prix, par la configuration des agences
calculatrices ainsi que par l’organisation de leurs rencontres) sont de bons
candidats pour étudier ces trois manifestations du calcul économique et les
modalités de leur combinaison.

Le cadre interprétatif développé dans cet article est loin d’être exhaustif,
mais nous pensons qu’il ouvre de nombreuses pistes de recherche. Nous
souhaitons conclure sur l’une de ses potentialités principales qui est, selon
nous, sa capacité à renouveler les interrogations politiques et les critiques
226 Réseaux n° 122

auxquelles donnent lieu les marchés économiques. Une des questions qui
revient le plus souvent concerne la capacité du marché à se saisir de
questions qui touchent à la justice et à l’équité mais également sa propension
à détruire toute forme de relation personnelle. Derrière la variété des formes
de calcul, qui constitue le résultat principal de notre analyse, n’y a-t-il pas
une seule et même logique implacable, qui devient hégémonique, celle du
calcul comme unique possibilité d’action ? Notre approche permet
d’introduire certaines subtilités et nuances dans les réponses apportées. En

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premier lieu, elle met en évidence le fait qu’il y a plusieurs manières de
calculer des valeurs et d’atteindre des compromis ; en second lieu, elle rend
empiriquement observable et théoriquement analysable le fait que certaines
agences sont déchargées (ou empêchées, selon le point de vue) de calcul,
tandis que d’autres concentrent en leurs mains les outils de calcul les plus
puissants ; et, troisièmement, elle suggère que des discussions ouvertes et
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même des débats publics sur la manière d’organiser les calculs (ou sur la
manière d’exclure certaines modalités de calcul) sont possibles. En un mot
elle restitue aux marchés la dimension politique qui est la leur et constitue
leur organisation en objet de débats et d’interrogations90.

Nous avons par ailleurs évoqué brièvement sous quels rapports des liens
peuvent se tisser entre marchés abstraits et marchés concrets. Ceci pourrait
expliquer le rôle croissant de la R&D et des expérimentations dans la
conception des marchés ou dans le réglage des interventions sur leurs
modalités de fonctionnement91. De plus en plus d’acteurs sont impliqués (ou
seraient susceptibles de l’être) dans ce travail expérimental et dans cette
activité d’investigation. Nous pouvons imaginer que non seulement les
sciences sociales et l’informatique mais également d’autres parties
intéressées puissent y prendre part. Il faut d’ailleurs préciser que l’ensemble
des pratiques qui sont désignées par le terme d’expérimentation recouvre un
large spectre d’activités. Il inclut bien entendu les travaux conduits en
laboratoires (par exemple dans le cadre de l’économie expérimentale ou dans
le but explicite de mettre au point et de tester des configurations
algorithmiques) mais également des simulations à grande échelle (comme
lorsqu’une Bourse décide de tester un dispositif informatique pour apprécier

90. Le caractère controversé et essentiellement politique de la façon dont un marché est


construit tient en grande partie à la complexité et à la variété des méthodes d’agrégation à
l’œuvre. Voir DESROSIERES, 1993, et DIDIER, 2002, pour l’aspect intrinsèquement
politique de tout essai d’agrégation.
91. Ce point a déjà été abordé dans CALLON, 1998.
Dispositifs collectifs de calcul 227

ses capacités à traiter les offres et les demandes) ; l’organisation de focus


groups ou de tests de consommateurs ; la mise en circulation de versions
tests de manière à adapter la calculabilité des produits. Dans tous les cas, et à
des degrés divers, des épreuves sont organisées pour expliciter le
fonctionnement du marché et intervenir sur son organisation. Par
conséquent, tout ce qui est dit sur la démocratie technique, sur la discussion
publique et sur la participation de groupes intéressés dans des controverses
techniques, s’applique aux sciences économiques dès qu’elles deviennent

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une véritable science expérimentale92.
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92. CALLON, LASCOUMES, BARTHE, 2001 ; BARRY, 2001.


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