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Répertoire de droit européen

Culture

Jean-Christophe BARBATO
Professeur agrégé de droit public
Jack LANG
Professeur agrégé de droit public
Ancien ministre de la Culture
septembre 2013
Table des matières

Généralités 1 - 8

Chap. 1 - Action culturelle de l'Union européenne 9 - 74

Sect. 1 - Fondements de l'action culturelle de l'Union européenne 10 - 27


Art. 1 - Article 167 du TFUE : la compétence culturelle de l'Union
européenne 11 - 18
Art. 2 - Autres fondements de l'action culturelle de l'Union européenne 19 - 25
Art. 3 - Choix de la base juridique 26 - 27
Sect. 2 - Contenu de l'action culturelle de l'Union européenne 28 - 74
Art. 1 - Cohérence de l'action culturelle de l'Union européenne 29 - 33
Art. 2 - Instruments fondés sur l'article 167 du TFUE 34 - 48
§ 1 - Programmes culturels de l'Union 36 - 41
§ 2 - Interventions complémentaires 42 - 48
Art. 3 - Instruments intégrant une dimension culturelle 49 - 53
Art. 4 - Action culturelle extérieure de l'Union européenne 54 - 74
§ 1 - Coopération culturelle extérieure 55 - 66
§ 2 - Négociations commerciales internationales 67 - 74
Chap. 2 - Culture et marché commun 75 - 176

Sect. 1 - Règles générales 76 - 93


Art. 1 - Inclusion de la culture dans le champ d'application ratione
materiae du droit du marché commun 77 - 85
Art. 2 - Application du droit du marché commun au secteur culturel 86
- 93
§ 1 - Soumission au droit commun 87 - 89
§ 2 - Règles spécifiques au secteur culturel 90 - 93
Sect. 2 - Application à des domaines particuliers 94 - 176
Art. 1 - Biens et patrimoine culturel 95 - 134
§ 1 - Biens culturels 96 - 124
§ 2 - Patrimoine culturel et musées 125 - 134
Art. 2 - Audiovisuel, cinéma, radiodiffusion et musique 135 - 159
§ 1 - Application de la libre circulation et de la libre concurrence 136
- 152
§ 2 - Harmonisations 153 - 159
Art. 3 - Artistes et personnels de la culture 160 - 165
Art. 4 - Défense des langues et des identités 166 - 176

Chap. 3 - Diversité culturelle 177 - 216

Sect. 1 - Fondements et définition de la diversité culturelle 179 - 190


Art. 1 - Fondements juridiques de la diversité culturelle au sein du droit
primaire 180 - 186
Art. 2 - Définition de la diversité culturelle 187 - 190
Sect. 2 - Modalités de mise en œuvre et implications de la diversité
culturelle 191 - 216
Art. 1 - Mise en œuvre de la diversité culturelle 192 - 206
§ 1 - Obligations juridiques attachées à la diversité culturelle 193 -
194
§ 2 - Respect de la diversité culturelle 195 - 201
§ 3 - Promotion de la diversité culturelle 202 - 206
Art. 2 - Implications de la diversité culturelle 207 - 216

Bibliographie

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Généralités

1. Au sortir de la Première Guerre Mondiale, les appels à une unité


européenne se multiplient. Pour de nombreux intellectuels et acteurs de la
vie politique, cette unité passe notamment par la culture. Il faut bâtir une
Europe de la culture en dotant d'institutions une communauté considérée
comme préexistante. Il faut également construire l'Europe par la culture,
cette dernière étant envisagée comme un instrument privilégié de concorde
entre les peuples. Ces deux objectifs sont au cœur de nombreuses initiatives.
En janvier 1922, le Conseil de la Société des Nations crée la Commission
internationale de coopération intellectuelle dont la direction est confiée à
Henri Bergson. Elle vise à promouvoir les échanges entre scientifiques,
universitaires, artistes et intellectuels. Malgré son intitulé, l'objectif principal
de cet organe reste le développement d'une collaboration au niveau
européen. Quatre années plus tard, « L'Europe nouvelle », une revue dirigée
par Louise Weiss et destinée aux élites dirigeantes, consacre une série
d'articles à la coopération culturelle et intellectuelle. La culture occupe
également une place prépondérante lors des débats sur « l'avenir de l'esprit
européen » organisés du 16 au 18 octobre 1933 par le Comité français de
coopération européenne. Présidé par Paul Valéry, ce dernier réunissait des
personnalités aussi prestigieuses qu'Haldous Huxley, Julien Benda, Jules
Romain ou encore Salvador de Madariaga.

2. Après la Seconde Guerre mondiale, c'est le Congrès de La Haye de 1948


qui prend la première initiative d'envergure sur les questions culturelles.
L'une des trois commissions instituées en son sein y est en effet consacrée.
La culture fait ainsi jeu égal avec le politique, l'économique et le social. Elle
est « considérée non comme un ornement mais comme une finalité »
(V. OBATON, La promotion de l'identité culturelle depuis 1946, 1997, Coll.
Euryopa études, Genève, éd. de l'Institut européen de Genève, p. 63). La
création d'un Centre européen de la Culture (ci-après « CEC ») est décidée
sur la base d'une résolution de cette Commission. Il voit le jour en octobre
1950, après la réunion d'une conférence européenne de la culture à
Lausanne du 8 au 12 décembre 1949. Localisé à Genève, sa direction est
confiée à Denis de Rougemont. Toujours en activité, le CEC a pour vocation
de promouvoir la culture, l'éducation et la citoyenneté européennes grâce au
dialogue interculturel. Le Conseil de l'Europe de son côté développe aussi
une action culturelle. Elle s'est orientée autour d'une sensibilisation des
Européens à leur culture commune et d'un développement de l'identité
européenne. Dans les deux cas, il s'agit de sauvegarder et de promouvoir le
patrimoine commun tout en en respectant la diversité et de renforcer la
compréhension mutuelle entre les peuples. Cette action s'est non seulement
concrétisée dans des expositions, des colloques, des déclarations mais
également dans une activité normative. Plusieurs conventions ont été
signées parmi lesquelles figurent entre autres : la convention culturelle
européenne du 19 décembre 1954, la convention pour la sauvegarde du
patrimoine culturel de l'Europe du 3 octobre 1985 ou encore la Convention
européenne sur la coproduction cinématographique du 2 octobre 1992.

3. Les Pères fondateurs ont, eux aussi, considéré la culture comme une
composante du projet européen. Ainsi, selon Robert Schuman, « l'Europe
avant d'être une alliance militaire ou une entité économique, doit être une
communauté culturelle dans le sens le plus élevé du terme ». De son côté,
Jean Monnet aurait affirmé : « Si c'était à refaire, je commencerais par la
culture ». La formule est apocryphe mais son succès témoigne de l'évidence
des liens unissant la culture à la construction européenne. Il faut pourtant
attendre 1992 et le Traité de Maastricht pour que la Communauté se voit
dotée d'une compétence culturelle. L'objet du Traité de Paris instituant la
CECA excluait, de fait, une action dans ce domaine. Le projet de
Communauté européenne de défense (CED), qui s'accompagnait de la mise
en place d'une organisation proprement politique, prévoyait en revanche une
telle action. Son échec qui entraîne le constat de l'impossibilité de passer
directement à une Europe politique conduit les promoteurs de la construction
européenne à privilégier la voie des réalisations économiques et techniques.
Ajouté à une réticence persistante de la part des États, ce retour au
fonctionnalisme contribue à expliquer le silence presque complet qui a régné
à propos d'une politique culturelle commune lors de la conférence de Messine
en juin 1955 et pendant la conférence intergouvernementale qui rédigea les
traités de Rome.

4. L'absence de compétence spécifique avant le début des années quatre-


vingt-dix ne signifie cependant pas que la culture ait été totalement exclue
du champ d'action communautaire entre le Traité fondant la CEE et celui à
l'origine de l'UE. Elle ne constitue pas un ensemble autarcique et entretient
de nombreux liens avec les domaines privilégiés d'intervention des
institutions européennes : l'économique et le social. C'est par ces biais que le
droit communautaire va la saisir et ce dès le Traité de 1957. La Commission
va d'ailleurs forger une terminologie spécifique. Il sera question de « secteur
culturel ». Cette expression désigne « l'ensemble socio-économique que
forment les personnes et les entreprises qui se consacrent à la production et
à la distribution des biens culturels et des prestations culturelles »
(Communication de la Commission du 22 nov. 1977, « L'action
communautaire dans le secteur culturel », Bull. CE, suppl. 6/77). Ce secteur
culturel est soumis de manière générale au droit du marché commun
os
(V. infra, n 75 s.) et fait l'objet de nombreuses mesures d'harmonisation
os
(V. infra, n 97 s. et 153 s.). La porosité entre la culture et d'autres
domaines explique également que certaines politiques communes aient pu
toucher des questions culturelles sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir
os
une compétence spécifique en la matière (V. infra, n 19 s.).

5. L'apparition d'une compétence culturelle communautaire avec le Traité de


Maastricht fait suite à un long processus de communautarisation. Dès le
début des années soixante, le Parlement européen et la Commission mènent
une politique en ce sens. Outre l'adoption de nombreuses résolutions,
l'Assemblée est à l'origine de plusieurs actions concrètes : création de
l'orchestre baroque de l'Union européenne ou encore participation à la
restauration de l'Acropole. Sur un plan plus institutionnel, elle met en place
en 1979 une commission parlementaire en charge de la jeunesse, de la
culture et de l'information. La Commission européenne pour sa part adopte,
de 1972 à 1992, une série de cinq textes importants prenant d'abord la
forme d'un mémorandum (Mémorandum « Pour une action communautaire
dans le domaine culturel »), puis de communications (Communication de la
Commission au Conseil du 22 nov. 1977, « L'action communautaire dans le
secteur culturel », Bull. CE, suppl. 6/77. – Communication de la Commission
au Parlement et au Conseil du 12 oct. 1982, « Le renforcement de l'action
communautaire dans le secteur culturel », Bull. CE, suppl. 6/82.
– Communication de la Commission transmise au Conseil et au Parlement
européen en décembre 1987, « Relance de l'action culturelle dans la
Communauté européenne », COM[87] 603 final. – Communication de la
Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et
social du 29 avr. 1992, « Nouvelles perspectives pour l'action de la
Communauté dans le domaine culturel », COM[92] 149 final). Les premiers
portent sur l'action communautaire dans le secteur culturel. À partir de 1987,
il est question d'action culturelle communautaire. Le changement de
terminologie n'est pas anodin. La première formulation traduit l'existence
d'une action davantage centrée sur l'économie, conformément à la définition
o
de la notion de secteur culturel (V. supra, n 4). La seconde montre
l'existence d'un glissement vers une perspective plus strictement culturelle.
Ces textes s'efforcent de donner une cohérence aux différentes actions
touchant le secteur culturel et, plus largement, la culture, et tracent les
lignes directrices de la compétence que la Commission et le Parlement
appellent de leurs vœux. Les États acceptent également de mener des
actions au niveau européen. Les ministres de la culture se rassemblent pour
la première fois mais de manière informelle à Athènes, le 28 novembre 1983.
À compter d'une réunion à Luxembourg en date du 22 janvier 1984, des
conseils culture se tiennent de manière régulière. Ils adoptent de
nombreuses résolutions. Ce mouvement débouche en 1992 sur l'inscription
d'une compétence culturelle au sein du droit primaire. Originellement placée
à l'article 128 du Traité CE, elle fait aujourd'hui l'objet de l'article 167 du
Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). La consécration
de cette compétence n'a toutefois pas eu pour conséquence de fédérer sous
une même bannière l'ensemble des actions existantes. Elle n'en constitue
qu'un aspect parmi d'autres. Cette compétence est venue s'ajouter à celles
relevant d'autres politiques ou d'autres domaines tels que le droit du marché
commun et qui permettaient déjà d'agir dans la culture. L'Union possède
donc une compétence culturelle mais également plusieurs autres titres
légitimes pour agir dans ce domaine.

6. Pour identifier le champ d'application ratione materiae de ces actions, il


faut tenter de préciser ce que recoupe le concept de culture. Toutefois,
comme le rappelle la Commission, « on considère généralement qu['il est]
difficile à définir » (Communication de la Commission du 10 mai 2007
relative à un agenda européen de la culture à l'ère de la mondialisation, COM
[2007] 242 final). En 1952, des chercheurs américains avaient tenté de
recenser le nombre possible de sens du terme. Ils étaient arrivés à dresser
une liste de plus de cent soixante significations. Au début des années quatre-
vingts, l'UNESCO a proposé une définition selon laquelle la culture « doit être
considérée comme l'ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels,
intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et
[…] elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de
vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances »
(concl. de la Conférence mondiale sur les politiques culturelles MONDIACULT,
Mexico, 1982). La perspective choisie est clairement anthropologique et donc
très englobante. Appliquée au droit de l'Union européenne, une telle
définition aboutit à considérer que l'ensemble de la construction européenne
relève du domaine de la culture. Cette portée trop large explique le refus de
la Commission de faire sienne cette conception (V. Communication de la
er
Commission du 17 avr. 1996, 1 rapport sur la prise en compte des aspects
culturels dans l'action de la Communauté européenne, COM [96] 160, p. 3).

7. L'Union européenne ne propose pas pour autant une définition qui lui
serait propre. La Commission a estimé « qu'il n'appartient pas à une
institution de définir le contenu du concept de culture » (idem). L'Union a
préféré favoriser une approche fonctionnelle. C'est-à-dire que son droit met
en avant l'existence de la dimension culturelle d'un objet ou d'une activité au
coup par coup. Autrement dit, pour l'Union, est culturel ce qu'elle désigne
comme tel en dehors de toute logique systémique revendiquée. Malgré
l'indétermination qu'elle semble impliquer, une telle approche pose peu de
problèmes pratiques. Les textes sont généralement très explicites et les
choix des institutions recoupent une certaine évidence intuitive. En outre, la
Commission a inventorié dans un document de travail joint à sa
communication du 10 mai 2007 l'ensemble de ses actions dans le champ
culturel (Communication du 10 mai 2007, préc., COM [2007] 242 final). Pour
l'essentiel, la pratique communautaire rejoint ce qui est généralement
considéré comme la définition française de la culture, à savoir le patrimoine,
la création, la connaissance et le savoir. Cet ensemble inclut bien entendu les
productions de l'industrie de contenu destinées au grand public tel que
l'audiovisuel et ce quel que soit son médium, télévisuel, internet… Les
langues sont également considérées comme relevant de la culture (V. not.
CJCE, 23 févr. 1999, Parlement c/ Conseil, aff. C-42/97 , Rec. 869,
pt 50. – CJCE, 5 mars 2009, UTECA, aff. C-222/07 , Rec. I. 1407, ou
o
encore Décis. n 1934/2000 du Parlement européen et du Conseil, 17 juill.
o
2000, JOCE, n L 232, 14 sept., établissant l'Année européenne des langues
o
2001). Si l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux (JOUE, n C 303,
14 déc. 2007) distingue le respect de la diversité culturelle de celui de la
diversité linguistique, cette séparation n'est qu'un hendiadyin. La question du
multilinguisme est cependant trop spécifique pour être traitée in extenso
dans cette rubrique (V. Langues [Eur.]). Elle ne sera pas abordée dans ses
aspects institutionnels mais seulement lorsqu'elle est liée au droit du marché
commun.

8. La culture fait l'objet d'un ensemble de mesures positives qui reposent sur
des fondements divers et qui forment l'action culturelle de l'Union
os
européenne (V. infra, n 9 s). Elle constitue également un élément du
marché commun et, à ce titre, se voit soumise au droit régissant celui-ci
os
(V. infra, n 75 s.). Dans l'un et l'autre cas, l'Union européenne assure le
respect et contribue à la promotion de la diversité culturelle (V. infra,
os
n 177 s.), véritable axe structurant de son action.

er
Chapitre 1 - Action culturelle de l'Union européenne

9. Elle s'articule autour de programmes directement fondés sur l'article 167


du TFUE et de dispositifs s'appuyant sur d'autres bases juridiques et
intervenant dans des domaines entretenant des liens avec le domaine de la
culture ou ayant une incidence forte sur celui-ci. Afin de maintenir la
cohérence de cette action malgré la variété des fondements juridiques
potentiels et des finalités spécifiques poursuivies par chacun, le quatrième
paragraphe de l'article 167 du TFUE comporte une clause de portée
os
horizontale (V. infra, n 11 s.). Cette dernière assigne des objectifs
communs à un ensemble qui pourrait sinon paraître bien hétéroclite, ce qui
os
amène à poser la question du choix de la base juridique (V. infra, n 26 s.).

re
Section 1 - Fondements de l'action culturelle de l'Union européenne

10. La compétence décrite à l'article 167 du TFUE constitue le principal


fondement de l'action culturelle. Toutefois, de très nombreuses politiques
touchent à la culture et permettent donc à l'Union d'agir également dans ce
domaine mais sur d'autres bases juridiques. L'inventaire dressé par la
Commission (Communication du 10 mai 2007, préc., COM [2007] 242 final)
s'avère particulièrement impressionnant : éducation, jeunesse,
multilinguisme, communication, cohésion économique et sociale, agriculture
et développement durable, emploi, affaires sociales et égalité des chances,
audiovisuel, société de l'information, recherche, politique maritime et
relations extérieures. En outre, il convient de rappeler que le droit du marché
commun s'applique à la culture. Il est évidemment exclu d'aborder
l'ensemble de ces politiques. Ne seront retenues ici que celles qui
entretiennent les liens les plus étroits avec l'objet de cette rubrique et elles
ne seront traitées que dans leurs aspects le concernant spécifiquement. On
se limitera donc à l'audiovisuel, à la politique régionale et aux relations
extérieures. Les interactions entre le marché commun et la culture font pour
os
leur part l'objet de développements spécifiques (V. infra, n 75 s.).

er
Art. 1 - Article 167 du TFUE : la compétence culturelle de l'Union
européenne

11. Comme l'indique l'article 6 du TFUE, la compétence culturelle de l'Union


appartient à la catégorie de celles qui permettent à l'Union de « mener des
actions pour appuyer, coordonner ou compléter l'action des États
membres ». Les pouvoirs de l'Union sont donc particulièrement limités et les
questions culturelles relèvent principalement du niveau national. Cela traduit
la très grande sensibilité des États pour tout ce qui touche à la culture. Ils
perçoivent celle-ci comme un domaine qui leur est réservé et s'avèrent
particulièrement méfiants à l'égard de toute intervention européenne. Cette
dernière est toujours plus ou moins soupçonnée de porter atteinte aux
identités culturelles nationales dont les États membres s'estiment être les
gardiens exclusifs.
12. Les objectifs assignés témoignent de la volonté de s'assurer que l'action
européenne ne puisse pas mettre à mal ces identités. Selon l'article 167,
er
paragraphe 1 , du TFUE, « l'Union contribue à l'épanouissement des cultures
des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale,
tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun ». Deux des trois
finalités de l'action européenne sont liées à la diversité : sa promotion par la
contribution aux cultures nationales et son respect de celles-ci et de leurs
composantes régionales. La troisième a trait à l'idée d'unité. La formulation
choisie enracine cette unité dans le passé sans la projeter dans le futur. Le
texte n'établit pas de hiérarchie explicite entre les trois objectifs. Il montre
cependant le caractère prioritaire des deux premiers. La mise en avant de
l'unité européenne n'intervient que conjointement à une action en faveur des
cultures des États et qui soit respectueuse de la diversité. La réalisation
concomitante de la promotion et du respect de la diversité et de la mise en
avant d'une forme d'unité semble à première vue bien improbable. L'Union
européenne a pourtant développé une stratégie permettant de résoudre
cette dialectique. La diversité y est pensée comme un instrument au service
o
de l'unité (V. infra, n 214).

13. L'article 167 du TFUE possède un champ d'application limité. Il ne


permet pas à l'Union d'intervenir dans l'ensemble des domaines liés à la
culture. Son action est circonscrite par le paragraphe 2. Il s'agit de :

– « l'amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture et de


l'histoire des peuples européens ;

– la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d'importance


européenne ;

– les échanges culturels non commerciaux ;

– la création artistique et littéraire, y compris dans le secteur de


l'audiovisuel ».

Cette énumération possède un caractère exhaustif qui, conformément à une


interprétation textuelle, se déduit de l'absence de l'adverbe « notamment ».
Cette limitation peut être appréciée de manière ambivalente : soit comme un
effort nécessaire et positif de définition, soit comme une volonté de
restreindre l'action européenne et donc comme une preuve supplémentaire
de la méfiance des États.

14. « L'amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture et de


l'histoire des peuples européens » occupe en pratique la place la plus
importante. Systématiquement cité par les programmes culturels, ce
domaine d'action a pour objectif de favoriser le dialogue interculturel grâce à
une meilleure connaissance commune des cultures et histoires, des identités
des peuples européens. Le deuxième élément se réfère plutôt à l'héritage
culturel commun : il s'agit d'œuvrer pour « la conservation et la sauvegarde
du patrimoine culturel d'importance européenne ». La mention relative aux
« échanges culturels non commerciaux » ne vise pas les échanges
totalement dépourvus de caractère économique mais plutôt ceux pour
lesquels le caractère lucratif n'est pas central. La mention relative à l'absence
de dimension commerciale résulte d'une demande de la délégation espagnole
désireuse d'éviter des interférences avec l'actuel article 36 du TFUE. Ce
dernier s'applique dans le cadre du marché commun. En pratique, l'action en
faveur de ces échanges se confond en grande partie avec le premier domaine
d'intervention. La création fait l'objet du dernier domaine d'action. Elle doit
être encouragée dans les domaines artistique et littéraire, y compris dans le
secteur de l'audiovisuel. La dimension économique de l'audiovisuel fait qu'il
relève également d'autres fondements juridiques : formation professionnelle,
industrie et libre prestation de services.

15. Le troisième paragraphe de l'article 167 du TFUE est consacré au volet


externe de la compétence culturelle. Il dispose que « l'Union et les États
membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations
internationales compétentes dans le domaine de la culture, et en particulier
avec le Conseil de l'Europe ». Cette disposition a été essentiellement utilisée
dans le cadre des programmes culturels pour inclure des dispositions
relatives à la participation des pays tiers et des organisations internationales.

16. Le quatrième paragraphe concerne les aspects culturels des actions de


l'Union qui ne sont pas fondées sur l'article 167 du TFUE. Il offre notamment
une dimension horizontale à la prise en compte de la diversité culturelle
os
(V. infra, n 28 s.).

17. Le dernier paragraphe se rapporte aux modalités de décisions et aux


actes susceptibles d'être adoptés sur le fondement de l'article 167 du TFUE.
Sur le premier point, le Traité de Lisbonne, à la suite du Traité établissant
une Constitution pour l'Europe (TECE), fait entrer la compétence culturelle
dans le droit commun. Pour les actions d'encouragement, le Parlement
européen et le Conseil statuent conformément à la procédure législative
ordinaire et, après consultation du Comité des régions. Lorsqu'il est question
de recommandation, c'est le Conseil qui décide sur proposition de la
Commission. Dans les deux cas, le Conseil vote à la majorité qualifiée. Cette
situation constitue un changement notable. Auparavant, il fallait recueillir
l'unanimité. La persistance de cette exigence du Traité de Maastricht
jusqu'au Traité de Lisbonne prenait au fil du temps un caractère tout à fait
exceptionnel. Elle constitue un témoignage supplémentaire de l'extrême
sensibilité des États sur les questions culturelles.

18. À l'instar des autres compétences autorisant seulement une action


d'appui, de complément et de coordination, l'éventail des actes susceptibles
d'être adoptés sur le fondement de l'article 167 du TFUE est limité. Son
cinquième paragraphe prévoit que toute harmonisation des dispositions
législatives et réglementaires est prohibée et que seuls sont autorisés les
actes d'encouragement et les recommandations. Si l'on se réfère à la
taxinomie établie par l'article 288 du TFUE ainsi qu'à la pratique des
institutions, les premiers entrent dans la catégorie des décisions. Celles qui
sont adoptées sur le fondement de l'article 167 du TFUE ne désignent aucun
destinataire précis et ont pour objet de mettre en place des programmes
culturels. Il peut également s'agir de règlements dans la mesure où ils
répondent aux critères posés. Ce n'est pas une simple hypothèse d'école
puisque pour la prochaine période de programmation de l'action culturelle, la
Commission a proposé l'adoption d'un règlement (Proposition de règlement
du Parlement européen et du Conseil établissant le programme « Europe
créative », SEC [2011] 1399/1400). Les recommandations constituent quant
à elles des actes dépourvus de valeur juridique contraignante (V. Actes
juridiques unilatéraux de l'Union européenne [Eur.]). Cette contrainte quant
aux catégories d'actes qui peuvent être édictés se retrouve dans plusieurs
des autres fondements de l'action culturelle de l'Union.

Art. 2 - Autres fondements de l'action culturelle de l'Union


européenne

19. Il sera ici uniquement question des bases juridiques qui permettent à
l'Union de mener des politiques positives et non de celles contribuant à la
mise en œuvre du marché commun. Rappelons également qu'il ne sera ici
question que des fondements dont la proximité avec le domaine de la culture
est maximale.

20. Les articles 166 et 173 du TFUE portant respectivement sur la formation
professionnelle et l'industrie ont été employés pour fonder les programmes
os
MEDIA (V. infra, n 39 s. et 50 s.) à partir de la seconde mouture de ces
derniers. Ce dispositif vise à aider le secteur de l'audiovisuel à la fois en
matière de développement et de distribution des œuvres mais aussi au
niveau des personnels. À l'instar de l'article 167 du TFUE, ces deux
dispositions relèvent de la catégorie des compétences d'appui, de
complément et de coordination, celles où les prérogatives de l'Union sont les
plus faibles.

21. La politique de cohésion économique, sociale et territoriale prévue aux


articles 174 et suivants du TFUE n'a en soi aucune finalité culturelle. Elle est
cependant fréquemment amenée à financer des projets dans ce domaine
os
(V. infra, n 52 s.). De fait, cette politique constitue la principale source de
financement européen pour la culture.

22. Les accords internationaux conclus par l'Union comportent fréquemment


os
des clauses culturelles (V. infra, n 54 s.). C'est à ce titre que les
dispositions consacrées à la coopération sont susceptibles d'être employées
pour fonder l'action culturelle extérieure. Peuvent ainsi être mobilisés, les
articles portant sur la coopération au développement (TFUE, art. 208 à 211),
la coopération économique, financière et technique avec les pays tiers (TFUE,
art. 212 et 213) ainsi que la coopération avec les organisations
internationales (TFUE, art. 220).

23. Les négociations du cycle de l'Uruguay en 1993 qui ont abouti à la


création de l'OMC (V. Négociations commerciales multilatérales : cycle de
l'Uruguay [Internat.]) ont popularisé la notion d'exception culturelle et ont
montré que les enjeux culturels, particulièrement dans le domaine
audiovisuel, pouvaient constituer une part importante de la politique
commerciale de l'Union. Celle-ci est conduite sur le fondement des articles
206 et 207 du TFUE. Depuis le Traité de Lisbonne, elle n'est plus seulement
définie par le Conseil mais également par le Parlement européen. Dans la
continuité des résultats obtenus par les Européens à l'issue de ces
os
négociations (V. infra, n 72 s.) et afin d'en assurer la pérennité, les
rédacteurs du Traité de 2007 ont inclus une disposition particulière pour la
négociation et la conclusion d'accords dans le domaine des services culturels
et audiovisuels. L'article 207, paragraphe 4, a), du TFUE prévoit que, par
dérogation aux règles de droit commun, le Conseil statue à l'unanimité
« lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et
linguistique de l'Union ». C'est là une traduction supplémentaire de la
sensibilité mais aussi de la méfiance des États à propos des questions
culturelles.

24. Les institutions ont également eu recours à l'article 352 du TFUE ou à


ses prédécesseurs. Rappelons que ce dernier permet à l'Union européenne
de pallier une absence de compétence spécifique lorsqu'il apparaît nécessaire
d'agir afin d'atteindre un des objectifs des traités. Les décisions se prennent
alors à l'unanimité au sein du Conseil après proposition de la Commission et
approbation du Parlement européen. Cette organisation permet aux États
d'éviter toute mesure avec laquelle ils seraient en désaccord. La première
version du programme MEDIA reposait sur ce fondement. Il a également été
employé conjointement avec l'article 167 du TFUE pour fonder le programme
o
« l'Europe pour les citoyens » (Décis. n 1904/2006 du Parlement européen
o
et du Conseil, 12 déc. 2006, JOUE, n L 378, 27 déc., établissant, pour la
période 2007-2013, le programme L'Europe pour les citoyens visant à
promouvoir la citoyenneté européenne active et rectificatif à la Décis.
o
n 1904/2006 du Parlement européen et du Conseil, 12 déc. 2006, JOUE,
o
n L 160, 21 juin, établissant, pour la période 2007-2013, le programme
L'Europe pour les citoyens visant à promouvoir la citoyenneté européenne
active) dont l'objectif consiste à renforcer l'adhésion de ces derniers à la
construction européenne.

25. La multiplicité des bases juridiques disponibles conduit nécessairement à


se poser la question des critères permettant d'opérer un choix entre elles.

Art. 3 - Choix de la base juridique

26. Le choix de la base juridique entre l'article 167 du TFUE et les autres
fondements possibles de l'action culturelle s'effectue selon les règles de droit
commun en la matière. Il doit donc reposer sur des critères objectifs, c'est-à-
dire se faire en fonction du but et du contenu de l'acte (CJCE, 11 juin 1991,
Commission c/ Conseil, aff. C-300/89 , Rec. I. 2867, affaire dite Dioxyde de
titane). S'appuyant sur ces éléments, la Cour utilise le critère du principal et
de l'accessoire pour retenir un fondement juridique. Des bases multiples sont
acceptées à titre exceptionnel si les différentes finalités et le contenu de
l'acte sont indissociablement liés à plusieurs fondements. Dans cette
hypothèse, il est cependant nécessaire que les processus décisionnels soient
identiques. Outre la théorie du principal et de l'accessoire, la Cour peut
également, selon une technique juridique bien connue, favoriser la lex
specialis sur la lex generalis (CJCE, 23 févr. 1988, Royaume-Uni c/ Conseil,
aff. 131/86, Rec. 905).

27. La Cour s'est prononcée à deux reprises sur le choix du fondement


pertinent pour des actes qui comportaient une dimension culturelle. Dans un
arrêt du 3 décembre 1996 (CJCE, 3 déc. 1996, Portugal c/ Conseil, aff. C-
268/84, Rec. I. 6177), le Portugal contestait la base juridique choisie pour
conclure un accord de coopération entre la Communauté et l'Inde. Celui-ci
comprenait, parmi d'autres dispositions, une clause relative à culture. Pour la
Cour, la présence d'une telle clause n'emporte pas de conséquence
particulière : « la seule inclusion de dispositions prévoyant une coopération
dans un domaine spécifique ne comporte pas nécessairement une habilitation
générale de nature à fonder une compétence pour entreprendre tout type
d'action de coopération dans ce domaine. Aussi ne préjuge-t-elle pas de la
répartition des compétences entre la Communauté et les États membres ni
de la base juridique des actes communautaires pour la mise en œuvre de la
coopération dans un tel domaine ». En l'espèce, elle applique la théorie du
principal et de l'accessoire et juge que la compétence culturelle n'est pas
appropriée. Dans un arrêt du 23 février 1999 (CJCE, 23 févr. 1999,
Parlement c/ Conseil, aff. C-42/97 , Rec. I. 969), le Parlement européen
demandait l'annulation d'une décision du Conseil relative à l'adoption d'un
programme pluriannuel pour promouvoir la diversité linguistique dans la
société de l'information. L'acte litigieux avait pour base unique la
compétence en matière d'industrie alors que pour l'Assemblée, la
compétence culturelle aurait dû également être employée. Il ressort de cette
jurisprudence que l'article 167 du TFUE ne constitue une base juridique
pertinente que si l'acte poursuit une finalité culturelle et que ses effets
concernent directement les domaines visés par les deuxième et troisième
paragraphes de cet article. En revanche, si l'acte envisagé ne produit que des
effets d'ordre culturel « indirects et accessoires », c'est le quatrième
paragraphe qui trouve à s'appliquer. Ce dernier offre une cohérence à
l'ensemble du contenu de l'action culturelle et permet de pallier les risques
d'éclatement qu'implique la variété des fondements utilisables.

Section 2 - Contenu de l'action culturelle de l'Union européenne

28. Cette action se structure autour de programmes et d'interventions


fondés sur l'article 167 du TFUE et d'instruments intégrant une dimension
os
culturelle (V. infra, n 34 s.). L'Union a également développé une politique
os
culturelle extérieure (V. infra, n 54 s.). La cohérence de cette action est
assurée grâce à l'existence d'une clause horizontale s'appliquant à l'ensemble
os
des dispositifs quelle que soit leur base juridique (V. infra, n 29 s.). À cela,
il faut ajouter qu'un seul organe gère la plupart des dispositifs (V. infra,
o
n 33).

er
Art. 1 - Cohérence de l'action culturelle de l'Union européenne

29. La compétence culturelle de l'Union est très loin de couvrir l'ensemble


des interventions ayant trait à la culture. Nombreuses sont celles qui
possèdent une dimension culturelle tout en relevant d'autres chefs de
compétences. L'article 167 du TFUE contient cependant une disposition
horizontale qui trouve à s'appliquer à la totalité des fondements juridiques
mobilisables. Son quatrième paragraphe prévoit que « l'Union tient compte
des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions des traités
afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures ».
La prise en compte des aspects culturels et, plus spécifiquement, le respect
et la promotion de la diversité culturelle se voient ainsi dotés d'une portée
considérable. Elle peut potentiellement concerner l'ensemble de l'ordre
juridique de l'Union pour peu qu'une composante culturelle soit présente.
er
Contrairement aux dispositions de l'article 167, paragraphe 1 , du TFUE
o
(V. supra, n 12), la diversité culturelle ne semble pas être un passage obligé
comme l'indique la présence de l'adverbe « notamment ». Toutefois, parmi la
variété des possibilités de prise en compte des aspects culturels, c'est la
seule à être mentionnée. Il faut donc en déduire qu'elle possède un caractère
prioritaire. Cet adverbe implique également que l'objectif de mise en
évidence de l'héritage culturel commun puisse être pris en compte. L'Union
européenne estime que la promotion de la diversité constitue un moyen pour
o
valoriser cet héritage (V. infra, n 214).

30. La Cour accepte de se livrer à un contrôle des motifs d'un acte à l'aune
des dispositions de l'article 167, paragraphe 4, du TFUE. Comme elle
l'indique dans un arrêt du 23 février 1999 (CJCE, 23 févr. 1999, Parlement c/
Conseil, aff. C-42/97 , Rec. I. 869), il s'agit de vérifier que la prise en
compte des aspects culturels s'est bien matérialisée dans les motivations de
l'acte. En l'espèce, elle constate que « c'est donc à juste titre que le Conseil
en a tenu compte [des aspects culturels], conformément à l'article 128,
paragraphe 4, du traité, et a mentionné ces effets sur la culture dans
certains des considérants de la décision litigieuse ». La Cour se refuse à
juger l'opportunité de la mesure. Elle se contente d'un contrôle qui s'assimile
à celui de l'erreur manifeste d'appréciation. Ce contrôle peut cependant
s'avérer assez détaillé ainsi qu'en atteste un arrêt du 12 septembre 2006
o
portant sur la directive n 2001/29 harmonisant certains aspects du droit
d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (CJCE, 12 sept.
2006, Laserdisken, aff. C-479/04 , Rec. I. 8089). Le contrôle de la
motivation est identique pour la quasi-totalité des actes de l'Union. Il
er
s'applique donc aux programmes fondés sur l'article 167, paragraphe 1 , du
TFUE.

31. Dans le domaine spécifique du respect du multilinguisme, les obligations


qui pèsent sur les institutions sont également limitées. Les juridictions ont
refusé de consacrer l'existence d'un principe général offrant à chaque citoyen
le droit de voir rédiger dans sa langue tout acte susceptible d'affecter ses
intérêts (TPI, 12 juill. 2001, Kik c/ OHMI, aff. T-120/99, Rec. II. 2235,
pt 58. – CJCE, 9 sept. 2003, Kik c/ OHMI, aff. C-361/01 P, Rec. I. 8283,
pt 85). Il reste toutefois possible de s'appuyer sur les différents textes
relatifs au régime linguistique de l'Union et notamment sur le règlement
o o o
n 1/58 (Règl. n 1/58 du Conseil, 15 avr. 1958, JOCE, n 17, 6 oct. 1958,
portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique
européenne) et ses déclinaisons au sein de chaque institution (V. Langues
[Eur.]).

32. Si le contrôle effectué par la Cour s'avère assez faible, il faut cependant
constater qu'en pratique, les actes de l'Union ayant trait à la culture se
réfèrent de manière quasi-systématique aux dispositions de l'article 167,
paragraphe 4, du TFUE et s'efforcent de justifier que ces dernières soient
respectées.

33. La recherche de cohérence comporte également un versant


institutionnel. L'exécution et la mise en œuvre de la plupart de ces
programmes liés à la culture ont été confiées à l'agence exécutive pour
os
l'éducation, l'audiovisuel et la culture (EACEA) (V. infra, n 41 et 51) dont le
statut actuel se fonde sur une décision en date du 20 avril 2009 (Décis.
o o
n 2009/336 de la Commission, 20 avr. 2009, JOUE, n L 101, 21 avr.,
instituant l'Agence exécutive « Éducation, audiovisuel et culture » pour la
gestion de l'action communautaire dans les domaines de l'éducation, de
o
l'audiovisuel et de la culture, en application du règlement (CE) n 58/2003 du
Conseil). Cette instance a été créée par la Commission et elle est implantée à
Bruxelles. Les instruments fondés sur l'article 167 du TFUE relèvent bien
entendu de son champ de compétence.

Art. 2 - Instruments fondés sur l'article 167 du TFUE

34. Il s'agit des programmes culturels et d'un ensemble d'interventions


complémentaires.

35. Le budget consacré à l'action fondée sur la compétence culturelle se


caractérise par sa faiblesse même si, au fil des périodes de programmation, il
n'a cessé d'augmenter. Durant la première période (1996-2000), le montant
total des ressources sur quatre ans se montait à 77,8 millions d'euros. La
deuxième période (2000-2006) s'était vu consacrer la somme de
236,6 millions d'euros sur six ans. Culture 2007-2013 dispose d'un budget de
400 millions pour une durée équivalente. Si l'on ajoute les dotations
budgétaires de l'Europe pour les citoyens (215 millions) et de l'année du
dialogue interculturel, le total s'élève à 625 millions d'euros, soit seulement
environ 0,52 % du budget total de l'Union. Les ressources devraient encore
être en hausse pour la période 2014-2020. La proposition de règlement de la
Commission établissant le programme « Europe créative » (Proposition de
règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme
« Europe créative », SEC [2011] 1399/1400) prévoit une enveloppe
financière de 1,801 milliard d'euros. La hausse peut paraître
impressionnante. La comparaison avec les périodes précédentes n'est
cependant pas pertinente. Le nouveau programme en gestation réunit les
actuels programmes Culture 2007-2013, MEDIA et MEDIA Mundus (V. infra,
os
n 50 s.). Par rapport à l'ensemble de ces instruments, l'augmentation reste
toutefois significative : 37 % par rapport au niveau actuel des dépenses
selon la Commission.

er
§1 - Programmes culturels de l'Union

36. Durant la première période de programmation (1996-2000), les


institutions ont privilégié une approche sectorielle. Chaque domaine
possédait son programme spécifique : Kaléidoscope pour les activités
o
culturelles et artistiques (Décis. n 719/96 du Parlement européen et du
o
Conseil, 29 mars 1996, JOCE, n L 99, 20 avr., établissant un programme de
soutien aux activités artistiques et culturelles de dimension européenne
[Kaléidoscope]), Ariane pour les livres, l'histoire et la création littéraire et
o
théâtrale (Décis. n 2085/97 du Parlement européen et du Conseil, 6 oct.
o
1997, JOCE, n L 291, 24 oct., établissant un programme de soutien,
comprenant la traduction, dans le domaine du livre et de la lecture [Ariane])
o
et enfin Raphaël pour le patrimoine (Décis. n 2228/97 du Parlement
o
européen et du Conseil, 13 oct. 1997, JOUE, n L 305, 8 nov., établissant un
programme d'action communautaire dans le domaine du patrimoine culturel
– Programme Raphaël). Pour la deuxième période de programmation (2000 à
2006) conformément à la volonté exprimée par le Conseil, ces programmes
sont remplacés par un instrument unique : « Culture 2000 » (Décis.
o
n 508/2000 du Parlement européen et du Conseil, 14 févr. 2000, JOCE,
o
n L 63, 10 mars, établissant le programme « Culture 2000 »). La troisième
période qui débute en 2007 et se termine en 2013 reprend le principe d'un
seul programme, intitulé cette fois « Culture 2007-2013 » (Décis.
o
n 1855/2006 du Parlement européen et du Conseil, 12 déc. 2006, JOUE,
o
n L 372, 27 déc., établissant le programme Culture [2007-2013], mod. par
o
Décis. n 1352/2008 du Parlement européen et du Conseil, 16 déc. 2008,
o
JOUE, n L 348, 24 déc.).

37. Culture 2007-2013 poursuit trois objectifs : promouvoir la mobilité


transnationale des acteurs culturels ; encourager la circulation transnationale
des œuvres et des produits culturels et artistiques et favoriser le dialogue
interculturel. Trois catégories d'actions concourent à la réalisation de ces
objectifs généralistes. La première consiste à soutenir des opérations
culturelles mises en place par des acteurs provenant de plusieurs États
membres de l'Union. Elle mobilise la majeure partie du budget du
programme. Les projets susceptibles d'être aidés sont soit, des « actions de
coopération pluriannuelle d'envergure » ; soit des actions que le programme
qualifie de coopération, c'est-à-dire d'actions sectorielles ou transsectorielles
plus modestes que les précédentes par leur dimension mais aussi plus
innovantes et plus créatives, soit, enfin, des actions dites « spéciales »,
c'est-à-dire de grande ampleur et ayant une résonance significative auprès
des peuples d'Europe. Capitale européenne de la culture ou encore différents
prix décernés par l'Union européenne – par exemple le prix Europa Nostra
pour le patrimoine culturel, le prix européen de littérature ou encore
l'European borders breaker award qui récompense des artistes ou des
groupes de musique émergents qui ont trouvé un public en dehors de leur
pays d'origine – figurent au nombre de celles-ci. La deuxième catégorie
consiste à aider des organismes actifs au niveau européen dans le domaine
de la culture. La troisième soutient des travaux d'analyse, la collecte et la
diffusion des informations en matière de la coopération culturelle.

38. À l'instar de ses prédécesseurs, Culture 2007-2013 obéit au principe


d'additionnalité. Cela signifie que l'Union européenne ne peut financer seule
l'intégralité d'un projet. La limite imposée aux financements européens pour
chaque action est précisée dans l'annexe de la décision. Elle va de 50 à 80 %
du budget du projet. Seules les actions appartenant à la troisième catégorie
échappent à ce principe. Par ailleurs, les actions de coopération pluriannuelle
d'envergure et les actions de coopération doivent mobiliser des opérateurs
culturels d'un certain nombre d'États différents, six pour la première et trois
pour la seconde.

39. Si la proposition de la Commission est suivie, le programme culturel pour


la période 2014-2020 devrait s'intituler « Europe créative »
(V. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au
Comité économique et social européen et au comité des régions, Europe
créative – un nouveau programme-cadre pour les secteurs de la culture et de
la création [2014-2020] et proposition de règlement du Parlement européen
et du Conseil établissant le programme « Europe créative », SEC [2011]
1399/1400). L'optique choisie diffère des précédentes périodes. Il s'agit de
rassembler dans un même dispositif ce qui relevait auparavant de Culture
2007-2013 et des programmes MEDIA et MEDIA Mundus. En conséquence, la
base juridique proposée est multiple. Il s'agit non seulement de l'article 167
du TFUE mais également des articles 166 et 173 du TFUE relatifs à l'industrie
et à la formation professionnelle. La mise en place d'un programme cadre
global est motivée par le souci d'aider plus efficacement les opérateurs du
secteur de la culture et de la création à répondre aux enjeux soulevés par le
passage au numérique et à mieux profiter de la mondialisation. Sans doute
faut-il voir dans ce projet une réponse juridique à l'unification sur le plan des
techniques. Une telle optique tend cependant à réduire la culture aux
données susceptibles d'être véhiculées par les réseaux. La proposition met
particulièrement l'accent sur des considérations d'ordre économique, de
compétitivité et de stratégie. La culture est revendiquée comme un
important vecteur de croissance et un élément de la stratégie « Europe
2020 ». L'insertion des œuvres et des opérateurs européens au sein du
marché international constitue une priorité sur laquelle le programme insiste
plus que ses prédécesseurs. La Commission met également en avant la
dimension sociale de la culture comme élément d'éducation, « d'innovation
sociale » et de lutte contre l'exclusion.

40. La proposition assigne deux objectifs généraux à ce nouveau


programme. Il s'agit de « favoriser la sauvegarde et la promotion de la
diversité culturelle et linguistique européenne » et de « renforcer la
compétitivité des secteurs de la culture et de la création pour favoriser une
croissance intelligente, durable et inclusive ». Le texte s'organise autour de
trois éléments : un volet transsectoriel, un volet culture et un volet MEDIA.
Le premier prévoit notamment la mise en place d'un dispositif visant à
faciliter le financement des petites et moyennes entreprises ainsi que des
dispositions relatives à la coopération politique transnationale. Le volet
Culture pour sa part s'articule autour d'un ensemble de priorités relatives à
l'adaptation du secteur à la nouvelle donne numérique, à
l'internationalisation des opérateurs et à la circulation transnationale des
œuvres. Ces deux éléments figurent également parmi les priorités du volet
MEDIA. À cela viennent s'ajouter des considérations relatives à l'amélioration
de la capacité des opérateurs à concevoir des œuvres audiovisuelles dotées
d'un potentiel de diffusion, ce qui vient souligner là aussi le choix d'une
optique économique. Afin d'atteindre cet objectif, il est notamment préconisé
de favoriser les coproductions. Preuve de l'attention portée à la circulation
des films : le nombre d'entrées réalisées par les films européens en Europe
et dans le monde figure parmi les éléments d'évaluation. Le principe
o
d'additionnalité est conservé (V. supra, n 37).
o
41. Chaque année l'EACEA (V. supra, n 33) reçoit environ 850 demandes de
subvention. Elle en retient environ 310. L'agence commence par vérifier la
recevabilité de la demande. L'organisme demandeur ne doit pas être en
faillite, avoir subi une condamnation judiciaire, avoir des dettes fiscales ou
sociales et les risques de conflit d'intérêt doivent être absents. La proposition
d'action doit en outre répondre aux critères d'éligibilité définis par le
programme et notamment inclure des acteurs culturels en provenance d'un
nombre suffisant d'États. À l'issue de cette première phase, le candidat reçoit
une lettre officielle l'informant de la décision de l'agence. Le cas échéant, il
dispose de la possibilité de faire un recours gracieux. La seconde phase
permet de sélectionner les dossiers éligibles. Elle est confiée à des experts
indépendants. Leur choix tient compte notamment de la plus-value
européenne du projet, de son adéquation aux objectifs du programme, de
l'intérêt de la proposition et des retombées attendues. La durée moyenne de
l'ensemble du processus est de quatre à cinq mois. Les premiers versements
de fonds arrivent en moyenne un ou deux mois après la décision. Afin
d'informer les candidats et de les aider à remplir leurs dossiers, il existe des
« points de contacts culture » au sein de chaque État participant.

§ 2 - Interventions complémentaires

42. Parallèlement à l'adoption de Culture 2007-2013, les institutions ont mis


en place un programme spécifique intitulé « l'Europe pour les citoyens »
o
(Décis. n 1904/2006 du Parlement européen et du Conseil, 12 déc. 2006,
o
JOUE, n L 378, 27 déc., établissant, pour la période 2007-2013, le
programme L'Europe pour les citoyens visant à promouvoir la citoyenneté
européenne active). Contrairement à ce que laisse croire son intitulé, il s'agit
d'un programme qui concerne la culture. Il se base sur les anciens articles
151 et 308 du Traité CE (désormais art. 167 et 352 TFUE) et repose sur
l'idée que la culture constitue un vecteur d'intégration politique. La mise en
avant d'une culture et d'un patrimoine commun ainsi qu'une promotion du
dialogue interculturel sont envisagées comme des moyens pour renforcer le
sentiment d'appartenance des citoyens à la construction européenne et une
meilleure compréhension mutuelle. Une attention particulière est portée sur
les relations entre les nouveaux citoyens européens issus de l'élargissement
et ceux qui le sont depuis plus longtemps déjà. Il s'agit là aussi d'apporter un
soutien financier à des opérateurs et à des projets culturels. Pour être
éligibles, les projets doivent répondre à l'une des quatre catégories
identifiées et intitulées respectivement : « des citoyens actifs pour
l'Europe », « une société civile active en Europe », « tous ensemble pour
l'Europe » et « une mémoire active pour l'Europe ».
43. Les institutions de l'Union avaient fait de 2008 l'année du dialogue
o
interculturel (Décis. n 1983/2006 du Parlement européen et du Conseil,
o
18 déc. 2006, JOUE, n L 412, 30 déc., relative à l'Année européenne du
dialogue interculturel [2008]). Cet événement ponctuel se structurait autour
d'un certain nombre d'objectifs généraux tous liés à l'idée selon laquelle il
était nécessaire de promouvoir le dialogue interculturel. À cet objectif
général venait s'ajouter une série de cinq objectifs particuliers qui visaient
notamment les jeunes, l'éducation, le rôle des médias ou encore cherche à
promouvoir de nouvelles approches. Les mesures envisagées pour atteindre
ces objectifs consistaient principalement à mettre en place et à
subventionner des initiatives proposées par les opérateurs culturels.
L'initiative était dotée d'un budget de 10 millions d'euros.

44. « Capitale européenne de la culture » est mentionnée au sein du


programme Culture 2007-2013 parmi les actions dites « spéciales ». Il s'agit
de la manifestation la plus connue et probablement la plus populaire de
l'action culturelle de l'Union. Son origine remonte à une résolution du 13 juin
1985 prise par les ministres de la culture réunis au sein du Conseil. Cette
initiative résulte d'une conversation informelle entre les ministres grec et
français, Melina Mercouri et l'un des auteurs de cette rubrique alors qu'ils
attendaient leur avion à l'aéroport d'Athènes. Originellement intitulée « ville
européenne de la culture », l'action prend sa dénomination actuelle en 1999.
o
Elle se fonde sur une décision du 25 mai 1999 (Décis. n 1419/1999 du
o er
Parlement européen et du Conseil, 25 mai 1999, JOCE, n L 166, 1 juill.,
instituant une action communautaire en faveur de la manifestation « Capitale
européenne de la culture » pour les années 2005 à 2019). Selon ce texte, la
manifestation a pour objectif de mettre en valeur la diversité des cultures
européennes et leurs traits communs, d'améliorer la connaissance que les
citoyens européens ont les uns des autres et de favoriser un sentiment
d'appartenance commune. Concrètement, elle permet à une ville mais aussi
à une région, voire à un pays, de promouvoir, dans une perspective
européenne, son patrimoine et sa richesse culturelle grâce à l'organisation de
nombreuses créations pérennes ou ponctuelles : monuments, expositions,
concerts, festivals…

45. La procédure de désignation repose sur un système de rotation entre


États. Sa durée est de six ans à partir de l'appel à candidatures. Chaque
année deux villes sont sélectionnées, l'une en provenance d'un État ayant
adhéré avant 2004 et l'autre en provenance des États dont l'adhésion est la
plus récente. Une troisième ville en provenance d'un État tiers peut
également être désignée, comme ce fut le cas d'Istanbul en 2010. Un jury
composé d'experts indépendants est mis en place dans chacun des États
concernés. Après une phase de présélection, une ville est retenue. Le choix
est avalisé par l'État où se situe la lauréate puis par le Conseil. Les villes
désignées le sont pour une période d'un an, elles peuvent cependant opter
pour une durée plus courte. Les critères de sélection sont, d'une part, la
dimension européenne des programmes, ce qui inclut la mise en évidence de
la diversité mais aussi des éléments communs aux cultures européennes et,
d'autre part, la contribution au développement culturel et social à long terme
ainsi que la participation des citoyens. Les villes sont responsables de la mise
en œuvre de l'événement. Elles reçoivent un soutien financier de l'Union via
le programme Culture 2007-2013. Cet apport est toutefois particulièrement
réduit. Le principal intérêt pour les villes choisies ne réside donc pas dans le
montant des subsides européens mais dans la très grande visibilité dont jouit
ce label auprès du public. La manifestation est susceptible de générer
d'importantes retombées positives en termes d'image et d'économie,
particulièrement dans le secteur du tourisme. Depuis 1985, plus de quarante
villes, de Florence à Lille, de Lisbonne à Cracovie, de Madrid à Marseille, ont
bénéficié de cet événement qui constitue l'une des réussites les plus visibles
de l'action culturelle de l'Union.

46. En matière de patrimoine, la Commission et le Conseil de l'Europe ont


repris le concept de « journées portes ouvertes dans les monuments
historiques » initié en 1984 en France par l'un des auteurs de cette rubrique.
Il propose au Conseil de l'Europe de donner une dimension européenne à
cette manifestation et c'est ainsi qu'en 1991 ont eu lieu les premières
« journées européennes du patrimoine ». Elles permettent au public de
découvrir des sites souvent méconnus et qui sont exceptionnellement
ouverts. Depuis 1999, ces journées sont organisées conjointement par
l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Par ailleurs, les institutions de
o
l'Union ont développé un label du patrimoine européen (Décis. n 1194/2011
o
du Parlement européen et du Conseil, 16 nov. 2011, JOUE, n L 303,
22 nov., établissant une action de l'Union européenne pour le label du
patrimoine européen). Ce dispositif vise à valoriser des sites qui ont marqué
l'histoire ou la culture de l'Europe et/ou la construction européenne. Il doit
ainsi contribuer à renforcer le sentiment d'appartenance à l'Europe et la
compréhension mutuelle. Il s'agit ici clairement de mettre en avant les
éléments d'une culture commune et de les employer comme des instances
de construction d'une socialisation européenne. Le label est décerné par un
jury européen d'experts indépendants.

47. Depuis 2007 et en application de son agenda européen de la culture à


l'ère de la mondialisation (Communication du 10 mai 2007, préc., COM
[2007] 242 final), la Commission a favorisé le recours à la Méthode ouverte
de coordination (« MOC »). Cette dernière consiste à inciter les États à faire
converger leurs politiques ou leurs droits sans faire peser sur eux de
contrainte juridique. Les objectifs à atteindre sont déterminés par les
institutions, généralement par l'intermédiaire de groupes d'experts. Cette
coopération a été employée dans plusieurs domaines : la mobilité des
artistes et des collections muséales, les synergies entre l'éducation et la
culture, les industries de la culture et de la création (« ICC ») et l'élaboration
de méthodes statistiques harmonisées dans le domaine culturel. Par-delà les
doutes récurrents relatifs à l'efficacité de la MOC, on peut s'interroger sur la
légitimité du recours à cette méthode. Il semble en effet juridiquement
difficile à justifier. Le Traité contient des fondements juridiques pertinents et
adaptés pour agir et qui sont en outre susceptibles d'autoriser des
harmonisations. C'est le cas des dispositions relatives au rapprochement des
législations au sein du marché commun (TFUE, art. 114 et 115)
(V. Rapprochement des législations [Eur.]). On voit mal ce qui empêchait
d'employer ces dernières en matière de mobilité des artistes et des
collections muséales. L'Union s'est en quelque sorte mise elle-même en
dessous de sa propre compétence. Il s'agit à l'évidence d'un choix politique
visant à ménager les États. Il est cependant loin d'être acquis que cela
permette une action efficace et ne constitue pas un précédent regrettable.

48. La numérisation du patrimoine culturel et notamment des fonds des


bibliothèques constitue un enjeu particulièrement important en termes de
visibilité et d'accessibilité des savoirs et des cultures. La société Google a
entrepris un vaste programme de numérisation qui n'a pas été sans entraîner
des critiques et des oppositions. L'Union européenne a souhaité pouvoir
disposer de sa propre plateforme. La Commission a lancé en 2005 l'initiative
« bibliothèques numériques » dans le cadre de l'initiative i2010. Une société
de l'information pour la croissance et l'emploi (Communication de la
Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité économique et
social européen et au Comité des régions – « i2010 – Une société de
l'information pour la croissance et l'emploi », COM[2005]0229 final). Cette
initiative a reçu le soutien du Parlement européen et du Conseil. C'est dans
ce cadre qu'« Europeana » voit le jour le 20 novembre 2008. Son intitulé se
réfère à un mot d'origine gréco-latine signifiant « collection européenne ».
Contrairement à Google qui a choisi de centraliser l'ensemble des données
numérisées, « Europeana » se contente d'être un point d'accès commun vers
les différents fonds numérisés au travers de l'Europe. Ce portail est géré par
la Fondation pour la bibliothèque numérique européenne. Créée le
8 novembre 2007, elle réunit un ensemble d'institutions culturelles
européennes : des bibliothèques, centres d'archives et musées. Les
contributions des États membres au contenu de la plate-forme se font sur
une base volontaire. Il existe une grande disparité en la matière. En 2010, le
Parlement constatait que 47 % du contenu provenait de la France
(Résolution du Parlement européen, 5 mai 2010, sur « Europeana –
o
Prochaines étapes » [2009/2158(INI)], JOUE, n C 81 E, 15 mars 2011).

Art. 3 - Instruments intégrant une dimension culturelle

49. Comme précisé auparavant, il ne sera pas ici question de la totalité des
o
fondements listés par la Commission (V. supra, n 10). Rappelons que
l'ensemble des dispositifs intégrant une dimension culturelle est soumis au
os
respect de l'article 167, paragraphe 4, du TFUE (V. supra, n 29 s.). On se
concentrera sur ceux qui entretiennent les liens les plus étroits avec la
compétence culturelle : les programmes MEDIA et la politique de cohésion
économique et sociale, la plus importante pourvoyeuse de fonds pour la
culture.

50. Les programmes MEDIA sont des programmes de soutien au secteur


o
audiovisuel. La première mouture date de 1990 (Décis. n 90/685 du Conseil,
o
21 déc. 1990, JOCE, n L 380, 31 déc., concernant la mise en œuvre d'un
programme d'action pour encourager le développement de l'industrie
audiovisuelle européenne [MEDIA] [1991-1995]). En l'absence de
compétence spécifique, elle avait été adoptée sur le fondement de l'actuel
article 352 du TFUE. Le bilan ayant été considéré comme positif, les
institutions ont décidé de pérenniser cette initiative. MEDIA 2 est mis en
place à partir de 1995. À la différence de son prédécesseur, il se scinde en
deux volets. Le premier est consacré au développement et à la distribution
o
des œuvres européennes (Décis. n 95/563 du Conseil, 10 juill. 1995, JOCE,
o
n L 321, 30 déc., portant sur la mise en œuvre d'un programme
d'encouragement au développement et à la distribution des œuvres
audiovisuelles européennes). Le second se concentre sur la formation des
o
professionnels de l'industrie audiovisuelle européenne (Décis. n 95/564 du
o
Conseil, 22 déc. 1995, JOCE, n L 321, 30 déc., portant sur la mise en œuvre
d'un programme de formation pour les professionnels de l'industrie
européenne des programmes audiovisuels). Ses fondements juridiques
résident, à partir de cette période, à la fois dans la compétence relative à
l'industrie (l'actuel art. 173 TFUE) et dans celle portant sur la formation
professionnelle (l'actuel art. 166 TFUE). Cette formule sera maintenue lors de
o
la période suivante avec MEDIA Plus qui débute en 2000 (Décis. n 2000/821
o
du Conseil, 20 déc. 2000, JOCE, n L 336, 30 déc., portant sur la mise en
œuvre d'un programme d'encouragement au développement, à la
distribution et à la promotion des œuvres audiovisuelles
o
européennes. – Décis. n 163/2001 du Parlement européen et du Conseil,
o
19 janv. 2001, JOCE, n L 26, 27 janv., portant sur la mise en œuvre d'un
programme de formation pour les professionnels de l'industrie européenne
des programmes audiovisuels). Elle est abandonnée avec MEDIA 2007 qui
o
revient à un instrument unique (Décis. n 1718/2006 du Parlement européen
o
et du Conseil, 15 nov. 2006, JOUE, n L 327, 24 nov., portant sur la mise en
œuvre d'un programme de soutien au secteur audiovisuel européen). Les
institutions européennes ont complété leur action par l'adoption de MEDIA
Mundus le 21 octobre 2009 (Décis. n 1041/2009 du Parlement européen et
o
du Conseil, 21 oct. 2009, JOUE, n L 288, 4 nov., instituant un programme
de coopération audiovisuelle avec les professionnels des pays tiers). Les
propositions de la Commission modifient en profondeur l'architecture du
soutien européen à l'audiovisuel. Elle souhaite rassembler MEDIA 2007 et
Média Mundus avec Culture 2007-2013 afin de créer un programme-cadre
os
unique intitulé « Europe creative » (V. supra, n 39 s.).

ACTUALISATION
o
50. Le règlement n 1041/2009 est abrogé et remplacé par le règlement
établissant le programme « Europe créative » pour 2014-2020. Ce
règlement est en faveur des secteurs culturels et créatifs européens
o
(Règl. n 1295/2013 du Parlement européen et du Conseil, 11 déc. 2013,
o
JOUE, n L 347, 20 déc.).

51. Le soutien apporté vise à accroître la circulation et l'audience des œuvres


européennes tant au niveau intra qu'extra européen ainsi qu'à améliorer la
compétitivité de ce secteur. L'acquisition et le perfectionnement des
compétences des personnels, le renforcement de la structure du secteur – et
en particulier en ce qui concerne les PME –, l'adaptation aux évolutions du
marché, ainsi que la réduction des écarts entre les États à forte et à faible
production figurent également parmi les objectifs du programme. MEDIA
Mundus, pour sa part, cherche, principalement, à favoriser la compétitivité
de la production européenne et son rayonnement dans le monde. Pour
l'essentiel, l'aide de l'Union prend la forme d'une contribution financière
apportée aux opérateurs du secteur après sélection des projets qu'ils
proposent. Elle ne peut dépasser la moitié du coût définitif des opérations
retenues. Les fonds consacrés aux programmes MEDIA sont supérieurs à
ceux dédiés aux programmes culturels. Ils atteignent 754 950 000 euros
pour la période 2007-2013 auxquels il faut ajouter les 15 millions d'euros
dont bénéficie MEDIA Mundus pour la période 2011-2013. La diffusion des
informations relatives aux programmes au niveau national est assurée par un
réseau européen de MEDIA desks. La mise en œuvre du programme a été
o
confiée à l'EACEA (V. supra, n 33).

52. Comme l'indique son intitulé, la politique de cohésion économique et


sociale, également désignée comme la politique régionale, n'a aucune visée
liée directement à la culture. Pour la période 2007-2013, les finalités qui lui
sont assignées sont au nombre de trois : convergence, compétitivité
régionale et emploi et coopération territoriale. Pour autant, cette politique a
largement été employée dans le domaine de la culture. Ces interventions
s'expliquent facilement dans la mesure où la culture permet de répondre aux
objectifs qui viennent d'être évoqués. Elle constitue un véritable levier
économique pour les régions et les collectivités, notamment grâce au
tourisme. En renforçant l'image et l'attractivité d'un territoire, elle est un
facteur important pour la localisation des investissements. Elle peut
également être employée pour mener des actions de coopération ; par
exemple, lorsque plusieurs régions partagent un patrimoine culturel
commun : cultures celtiques, art nouveau, gothique… Enfin, la Commission
insiste sur la nécessité d'agir en faveur des industries de la création et
d'intégrer cette dimension dans les stratégies de développement régional ou
urbain. Dans le cadre de cette politique, le soutien de l'Union est là aussi
soumis au respect du principe d'additionnalité. Historiquement, les fonds
structurels ont fourni d'importants financements pour de nombreux projets.
Ils ont par exemple permis de contribuer à la rénovation du quartier
historique du Temple Bar à Dublin, à la protection et au développement de
l'héritage culturel grec ainsi qu'à la promotion de sa culture contemporaine,
et au développement de l'héritage culturel portugais et à l'amélioration de
son accessibilité.

53. De fait, la politique régionale constitue la plus importante source


financière pour l'action culturelle de l'Union, largement devant Culture 2007-
2013. Durant cette période, elle a été estimée par la Commission à
6 milliards d'euros (Rapp. de la Commission du 19 juill. 2007 au Parlement
européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des
régions sur la concrétisation de l'agenda européen de la culture, COM [2010]
390 final) dont 2,6 milliards ont été consacrés à la protection et la
préservation de l'héritage culturel et 1,8 milliard au développement des
infrastructures culturelles.

Art. 4 - Action culturelle extérieure de l'Union européenne


54. La Commission a identifié la promotion de la culture comme un
« élément indispensable dans les relations extérieures de l'Union »
(Communication du 10 mai 2007, préc., COM [2007] 242 final). Dans le
même ordre d'idées, la présidence slovène a érigé, au premier semestre
2008, la dimension extérieure de la culture en priorité. Tout cela est assez
logique compte tenu des vertus qui sont censées lui être attachées. Le
dialogue interculturel est considéré comme un facteur de pacification des
relations entre les peuples. La culture est également envisagée comme un
instrument de développement socio-économique. De fait, elle constitue un
aspect important de la politique de coopération de l'Union avec les États tiers
ainsi qu'avec les organisations internationales. En outre, les enjeux culturels
et économiques liés au secteur de l'audiovisuel ont placé celui-ci au cœur des
négociations commerciales internationales.

er
§1 - Coopération culturelle extérieure

55. Elle concerne à la fois les relations avec les États tiers (V. infra,
os os
n 56 s.) et celles avec les organisations internationales (V. infra, n 62 s.).

A - Coopération culturelle avec les États tiers

56. D'après les chiffres avancés par la Commission, près de 100 millions
d'euros ont été consacrés à la coopération culturelle (Rapp. de la
Commission du 19 juill. 2007, préc., COM [2010] 390 final). Elle s'articule
autour de nombreux dispositifs.

57. Elle se réalise tout d'abord sous les auspices des programmes Culture.
Culture 2007-2013 est ainsi ouvert non seulement aux États membres mais
également à ceux de l'Espace économique européen (Islande, Liechtenstein,
Norvège) ainsi qu'à plusieurs autres États tiers : l'ancienne République
yougoslave de Macédoine, la Turquie, la Serbie, le Monténégro, la Bosnie-
Herzégovine et l'Albanie. L'action Capitale européenne de la culture a pu
ponctuellement bénéficier à des villes situées en dehors de l'Union telles que
Reykjavik (2000) ou Istanbul (2010).

58. Les instruments d'aide à l'adhésion tels que les programmes PHARE
(initialement Pologne Hongrie aide à la reconstruction économique), CARDS
(assistance communautaire pour la reconstruction, le développement et la
stabilité dans les Balkans), l'IAP (Instrument d'aide à la pré-adhésion) ou
encore l'EIDHR (European Instrument for Democracy and Human Rights) ont
pu être employés à des fins culturelles pour peu que celles-ci coïncident avec
les objectifs assignés à ces dispositifs. À titre d'exemple, la Turquie a
bénéficié d'une aide de 2,5 millions d'euros pour mettre en place un
programme destiné à promouvoir les droits culturels et qui consiste
notamment à diffuser dans les médias les différentes langues et dialectes
employés dans cet État. En Bosnie-Herzégovine, la mise en place d'une
télévision publique qui réponde aux normes européennes a également fait
l'objet d'une aide de l'Union. En Serbie, l'EIHDR a apporté son soutien à la
mise en place d'un projet promouvant le multiculturalisme. Grâce à CARDS,
l'Union a aussi contribué à un projet relatif à la protection des archives
cinématographiques de Yougoslavie.

59. Dans les relations entre l'Union européenne et les États du pourtour
méditerranéen, la culture constituait l'un des domaines de partenariat
identifié par la déclaration de Barcelone qui est à l'origine du processus
éponyme. Elle est également présente dans le cadre de l'Union pour la
Méditerranée. L'Union européenne a ainsi financé un projet intitulé
« Euromed héritage » qui vise à valoriser le patrimoine culturel et qui, depuis
sa naissance, en 1998, a bénéficié d'une dotation de 57 millions d'euros. Elle
a également mis en place un programme « Euromed audiovisuel » doté de
11 millions d'euros. Les partenaires de l'Union pour la Méditerranée sont
aussi à l'origine de la fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh – du nom
de la ministre suédoise des affaires étrangères assassinée en 2003 – pour le
dialogue entre les cultures. Créée en 2005 et siégeant à Alexandrie, elle vise
à mettre en réseau des acteurs de la société civile œuvrant dans le sens du
dialogue interculturel et soutenir des projets et des programmes au service
de cette même fin.

60. Dans le cadre de la politique de voisinage, les accords peuvent inclure


une dimension culturelle. C'est notamment le cas de ceux conclus avec le
Liban et l'Ukraine. Une action spéciale du programme Culture 2007-2013 a
par ailleurs été consacrée aux États couverts par la politique européenne de
voisinage en 2009 et 2010. À cela, il faut ajouter la mise en place d'un
programme culturel au sein du partenariat oriental et qui concerne
l'Azerbaïdjan, l'Arménie, la Géorgie, la Moldavie, l'Ukraine et la Biélorussie.
Doté de 12 millions d'euros pour la période 2010-2013, il vise à soutenir les
politiques culturelles de ces États.

61. La culture est intégrée au sein des relations entre l'Union européenne et
des États tiers autres que ceux visés par les politiques précédentes. Elle fait
ainsi partie d'un des quatre axes, désignés comme étant des « espaces
communs », qui composent le partenariat avec la Russie. Dans le cadre des
relations avec les États industrialisés comme les États-Unis et le Japon, les
relations culturelles se concrétisent principalement dans un ensemble
d'initiatives telles que l'organisation de festivals destinés à promouvoir la
culture européenne sur ces territoires. Au sein du dialogue Asie-Europe
(ASEM), la culture est une composante du troisième pilier de coopération.
Cette coopération s'est concrétisée par de nombreuses actions telles que des
séminaires, des échanges de personnes. Par ailleurs, le sommet d'Hanoï en
2004 a adopté une déclaration sur le dialogue des cultures et des
civilisations. La culture est également au nombre des domaines de
coopération au sein des relations bilatérales avec la Chine et l'Inde. 2012 a
d'ailleurs été choisie comme l'année du dialogue interculturel entre l'Union
européenne et la Chine. Un fonds destiné à la coopération culturelle avec
l'Inde a été mis en place en 2007. La coopération culturelle existe également
avec l'Amérique latine. L'Union a notamment participé au financement d'un
forum culturel mondial à Sao Paulo en 2004. Elle a également mis en place
un programme conjoint sur la culture avec le Brésil et a adopté une
déclaration commune avec le Mexique le 11 juin 2009. Enfin, elle figure en
bonne place au sein des relations avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes,
Pacifique). L'article 27 de l'accord de Cotonou (Accord de partenariat
2000/483/CE entre les membres du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes
et du Pacifique, d'une part, et la Communauté européenne et ses États
membres, d'autre part, signé à Cotonou le 23 juin 2000 – Protocoles – Acte
o
final – Déclarations, JOUE, n L 317, 15 déc. 2000) intitulé développement
culturel lui est consacré. Il prescrit notamment d'intégrer la dimension
culturelle à tous les niveaux de la coopération au développement, d'œuvrer
en faveur des valeurs, des identités, du dialogue, du patrimoine et des
industries culturelles.

B - Coopération culturelle avec les organisations internationales

62. Historiquement, la culture constitue un élément fondamental de l'action


du Conseil de l'Europe. Cela explique sans doute que l'émergence
d'interventions communautaires en la matière ait suscité des inquiétudes.
L'institution strasbourgeoise craignait que son action ne fasse double emploi
avec celle de la Communauté qui, elle, bénéficiait de moyens nettement
supérieurs. Cela n'a cependant pas empêché une coopération entre les deux
organisations. Elle prit tout d'abord la forme de plusieurs échanges de lettres
qui ont notamment ouvert la possibilité de collaboration au niveau des
personnels, la participation aux travaux d'intérêts mutuels des comités et
des conférences des ministres spécialisés. La Communauté, et désormais
l'Union, dispose également depuis le 5 novembre 1996 d'un statut
d'observateur privilégié, ce qui lui permet d'être représentée au Comité des
ministres et à l'Assemblée parlementaire. Les deux organisations ont
développé une communauté de vue dans le domaine culturel et notamment
sur l'importance de la diversité, à laquelle le Comité des ministres a d'ailleurs
consacré une déclaration (déclaration sur la diversité culturelle, adoptée par
e
le Comité des ministres, le 7 décembre 2000, lors de la 733 réunion des
délégués des ministres), et sur la nécessité de promouvoir une identité
européenne. Originellement fondée sur ce qui constitue désormais l'article
220 du TFUE, la coopération culturelle avec le Conseil de l'Europe bénéficie
depuis l'apparition d'une compétence culturelle d'une assise juridique
spécifique avec l'actuel article 167, paragraphe 3, du TFUE dont le libellé
mentionne d'ailleurs explicitement cette organisation.

63. L'UNESCO est une agence spécialisée des Nations unies qui a été créée
le 16 novembre 1945. Elle est la principale organisation internationale
compétente en matière de culture. La Communauté y siège en tant
qu'observateur. Le 20 octobre 2005, la Conférence générale de cette
institution a adopté l'importante Convention sur la protection et la promotion
de la diversité des expressions culturelles. Elle est en vigueur depuis le
18 mars 2007 et a permis à la diversité culturelle d'entrer de plain-pied dans
la légalité internationale. La Communauté a pris une part active dans
l'élaboration et l'adoption de la convention. Elle avait été appelée de ses
vœux par les ministres de la culture de l'Union européenne réunis à
Thessalonique en mai 2003. Ils avaient estimé que la préservation et la
promotion de la diversité culturelle nécessitaient des bases légales
appropriées et qu'elles pourraient être exprimées au niveau international
sous l'égide de l'UNESCO et sous la forme d'une convention multilatérale
(Communication de la Commission du 27 août 2003 au Conseil et au
Parlement européen « Vers un instrument international sur la diversité
culturelle », COM [2003] 520 final). Ils ont également souligné que l'OMC ne
saurait être le principal forum pour les politiques culturelles. La position
défendue par l'Union européenne lors des négociations se retrouve très
largement dans le texte final, texte qui a fait l'objet d'un véritable plébiscite
au sein de l'assemblée générale de l'UNESCO.

64. Le Conseil a ratifié la convention dans une décision du 18 mai 2006


o o
(Décis. n 2006/515 du Conseil, 18 mai 2006, JOUE, n L 201, 25 juill.,
relative à la conclusion de la Convention sur la protection et la promotion de
la diversité des expressions culturelles). Depuis son adoption, elle est
mentionnée de manière systématique dans les différents instruments
européens directement relatifs à la culture. La jurisprudence s'y est
également référée dans son arrêt UTECA du 5 mars 2009 sans pour autant
que cela n'emporte de conséquence juridique particulière (CJCE, 5 mars
2009, UTECA, aff. C-222/07 , Rec. I. 1407). Dans les deux cas, il s'agit
pour l'Union de montrer que sa politique culturelle est conforme aux
conceptions défendues par l'accord et, notamment, sur le plan des rapports
entre la culture et l'économie.

65. Sur le fond, le texte réaffirme le lien entre, d'une part, la diversité
culturelle et, d'autre part, les droits fondamentaux, notamment la liberté
d'expression et la démocratie. Il évoque l'importance du dialogue
interculturel. Pour ce qui est des objectifs poursuivis, la Convention vise
notamment à « reconnaître la nature spécifique des biens, activités et
services culturels en tant que porteurs d'identité, de valeurs et de sens »
(art. 1-g), à « faciliter l'élaboration et l'adoption de politiques culturelles et
de mesures appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des
expressions culturelles » (art. 1-h) et à « encourager le dialogue entre les
cultures afin d'assurer des échanges culturels plus intenses et mieux
équilibrés dans le monde » (art. 1-c). Dans son article 4, le texte énonce un
ensemble de définitions des termes employés (diversité culturelle, contenu
culturel, expressions culturelles, activités, biens et services culturels…) qui
reposent, entre autres, sur le refus d'une réduction du culturel à
l'économique. Il est ainsi précisé que les activités, les biens et les services
culturels transmettent un sens symbolique distinct de toute valeur
commerciale qu'ils pourraient détenir. L'article 5 affirme le droit des États à
adopter des mesures destinées à protéger et promouvoir la diversité des
expressions culturelles sur leurs territoires, notamment les plus vulnérables
d'entre elles. Le texte donne des exemples : la plupart de ceux qui sont
envisagés contreviennent aux principes du libre-échangisme. Les États se
voient également imposer un ensemble d'obligations. Il est notamment
prévu qu'ils doivent offrir un cadre normatif favorable à l'expression
culturelle des individus ; promouvoir la sensibilisation et l'accès du public à la
culture et encourager la participation de la société civile. La mise en œuvre
de ces obligations s'accompagne d'une obligation d'information et de
transparence. Aux termes de l'article 12, les États s'engagent à favoriser une
coopération internationale en faveur du développement et de la protection de
la diversité culturelle afin d'atteindre un certain nombre d'objectifs énumérés
de manière non exhaustive. Enfin, la Convention insiste sur l'aide aux pays
en voie de développement, en transition ainsi qu'envers les pays les moins
avancés. Elle prévoit également l'établissement d'un observatoire de la
diversité culturelle.

66. La Convention n'est que faiblement contraignante pour ses signataires et


ses modalités de mise en œuvre restent imprécises. Dans ses interactions
avec d'autres traités, elle prévoit un principe de neutralité absolue. Aux
termes de son article 20, elle ne doit pas aboutir à modifier les droits et
obligations des parties issus d'autres instruments internationaux. Cette
disposition est en net retrait par rapport à une version précédente, qui certes
prévoyait également un principe de neutralité, mais énonçait cependant qu'il
pouvait être remis en cause en cas de sérieux dommages à la diversité
culturelle. Dans la version adoptée, la Convention ne peut avoir strictement
aucun impact juridique sur les règles de l'OMC. Or c'est toujours au sein de
cette dernière que se joue notamment l'avenir des services culturels, de
l'audiovisuel et du cinéma. Cela dit, les principes contenus dans le texte
constituent des leviers politiques et diplomatiques à même d'appuyer et de
légitimer la position de l'Union au sein des négociations commerciales
er
internationales. Qu'il soit cité à l'appui de la résolution du 1 décembre 2005
du Parlement européen sur le cycle de Doha (Résolution P6_TA(2005)0461
er
du Parlement européen, 1 déc. 2005, sur la préparation de la sixième
conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Hong
Kong) dans laquelle l'assemblée se prononçait pour l'exclusion de la
libéralisation des services audiovisuels ne doit rien au hasard.

§ 2 - Négociations commerciales internationales

67. Il a fallu attendre les débats relatifs à la soumission des services


audiovisuels aux règles de libéralisation contenues au sein du General
Agreement on Trade in Services (GATS) signé en 1994 pour que la question
culturelle occupe une place importante au sein des négociations
commerciales internationales. Cela ne signifie pas pour autant que les
considérations culturelles étaient absentes des règles énoncées en 1947 lors
de la conclusion du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT).

68. En dehors du cadre multilatéral, les questions culturelles peuvent


également être concernées par des accords commerciaux. L'exception fondée
sur l'article 207, paragraphe 4, a), du TFUE trouve alors à s'appliquer
o
(V. supra, n 23). Le texte doit également, depuis l'entrée en vigueur du
Traité de Lisbonne, recueillir l'approbation du Parlement européen.
L'ouverture des négociations de l'accord de libre-échange entre les États-
Unis et l'Europe lui a donné l'opportunité d'exprimer son attention à l'égard
de la préservation de la diversité dans le secteur des services culturels et
audiovisuels. Dans une résolution du 23 mai 2013 (Résolution P7_TA-
PROV[2013]0227 du Parlement européen, 23 mai 2013, sur les négociations
en vue d'un accord en matière de commerce et d'investissement entre
l'Union européenne et les États-Unis), le Parlement estime ainsi que l'accord
« ne devrait comporter aucun risque pour la diversité culturelle et
linguistique de l'Union, notamment dans le secteur des services culturels et
audiovisuels ». Il estime également « indispensable que l'Union et ses États
membres maintiennent la possibilité de préserver et de développer leurs
politiques culturelles et audiovisuelles ». Il en conclut à la nécessité d'exclure
du mandat de négociation ces services, y compris lorsqu'ils sont en ligne.

A - Le GATT

69. L'article XX de cet accord reconnaît aux parties contractantes la


possibilité de déroger aux règles relatives au démantèlement des barrières
tarifaires et à la transparence des politiques commerciales au nom d'une liste
de motifs énoncés exhaustivement. Les mesures adoptées sur ce fondement
ne doivent pas « constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou
injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une
restriction déguisée au commerce international ». Le paragraphe f) de cet
article prévoit que les mesures « imposées pour la protection de trésors
nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique » peuvent
justifier des dérogations. Le libellé de cet article sera en grande partie repris
par les auteurs du Traité instituant la CEE. Il se retrouve actuellement dans
o
l'article 36 du TFUE (V. infra, n 88). D'autres accords conclus par la
Communauté contiennent également des dispositions similaires. C'est
notamment le cas de l'article 13 de l'accord sur l'Espace économique
européen et de l'article 2 de l'annexe V de l'accord de Cotonou (préc.).

70. En 1947, les services ne représentaient qu'une part infime du commerce


mondial. C'est pourquoi, à quelques exceptions près, les dispositions du
e
GATT ne concernent que les biens. Le 7 art constitue une exception. Le film
est l'unique « transaction invisible », un service selon la terminologie de
l'époque, à être soumis aux règles de l'accord. Il l'est toujours. Ce n'est pas
le cas des autres modes de diffusion des films et plus généralement des
services audiovisuels qui relèvent des règles du GATS (Accord général sur le
commerce des services (V. Services [Internat.]). L'article IV du texte de
1947 offre aux États la possibilité d'instaurer des quotas de diffusion
nationale au niveau des écrans de cinéma. L'insertion de cette disposition
résulte d'une volonté des Britanniques, soutenus en ce sens par la France, la
Norvège et la Tchécoslovaquie. Elle était motivée par la prise en compte de
e
la spécificité culturelle du 7 art et de son importance dans la définition, le
maintien et la dynamique des identités nationales. Intitulée « dispositions
spéciales relatives aux films cinématographiques », elle prévoit que « si une
partie contractante établit ou maintient une réglementation quantitative
intérieure sur les films cinématographiques impressionnés, cette
réglementation prendra la forme de contingents à l'écran conformes aux
conditions suivantes : a) Les contingents à l'écran pourront comporter
l'obligation de projeter, pour une période déterminée d'au moins un an, des
films d'origine nationale pendant une fraction minimum du temps total de
projection effectivement utilisé pour la présentation commerciale des films
de toute origine ; ces contingents seront fixés d'après le temps annuel de
projection de chaque salle ou d'après son équivalent. b) Il ne pourra, ni en
droit, ni en fait, être opéré de répartition entre les productions de diverses
origines pour la partie du temps de projection qui n'a pas été réservée, en
vertu d'un contingent à l'écran, aux films d'origine nationale, ou qui, ayant
été réservée à ceux-ci, aurait été rendue disponible, par mesure
administrative ». Les États sont donc autorisés à imposer des quotas de
diffusion au bénéfice des films d'origine nationale, à la condition expresse de
ne pas instaurer de discrimination envers les films étrangers. Le dernier
paragraphe de l'article IV implique que la situation autorisée ne saurait être
que transitoire dans la mesure où il prévoit que « les contingents à l'écran
feront l'objet de négociations tendant à en limiter la portée, à les assouplir
ou à les supprimer ». Il importe cependant de noter qu'aucune limite
temporelle n'est expressément mentionnée, ce qui relativise grandement la
portée de cette réserve.

B - Le GATS

71. Lorsque les négociations du cycle de l'Uruguay débutèrent à Punta del


Este en 1986 (V. Négociations commerciales multilatérales : cycle de
l'Uruguay [Internat.]), les parties contractantes avaient décidé d'étendre les
règles du GATT au secteur des services, ce qui incluait notamment le secteur
audiovisuel. Au fil des négociations, il est clairement apparu que l'application
des règles du libre-échange à l'audiovisuel entraînerait une profonde remise
en cause des réglementations nationales et européennes. En premier lieu, au
nom du principe de libre accès au marché, elle impliquait l'abolition
immédiate de tous les quotas, nationaux ou européens, et plus précisément
celui résultant de la directive Télévision sans frontières (TSF), désormais
directive sur les Services de médias audiovisuels (SMA. – V. infra,
os
n 154 s.). En deuxième lieu, au nom du principe du traitement national,
tous les systèmes d'aides existants au sein de l'ordre juridique
communautaire auraient dû être, soit supprimés, soit étendus à l'ensemble
des entreprises étrangères. En troisième lieu, tous les accords préférentiels
avec des États tiers, comme par exemple les accords de coproductions
auraient également dû être étendus à tous les États au nom de la Clause de
la nation la plus favorisée. Après qu'un ensemble de divergences eut été
aplani, un mandat fut confié à la Commission par le Conseil. Il se conforme
aux objectifs définis à Mons les 4 et 5 octobre 1993 par les ministres
européens de la culture et de l'audiovisuel. Pour l'essentiel, la Commission
s'est vue chargée de défendre les acquis européens et nationaux dans le
domaine de l'audiovisuel, de préserver la liberté de la Communauté et des
États pour le réglementer et, enfin, d'éviter qu'il ne soit soumis au principe
de libéralisation progressive. Si à l'époque il a beaucoup été question
d'exception culturelle, la notion n'apparaît pas dans le texte du mandat. Par
la suite, c'est la notion de diversité culturelle qui sera mise en avant. Elle
présente l'avantage à la fois de masquer certains désaccords entre États
membres et d'offrir une connotation plus positive aux positions européennes.
Pour les États-Unis, le libre-échange doit à l'inverse s'appliquer pleinement
aux films et aux programmes audiovisuels. Étant en position dominante sur
le marché de l'audiovisuel et du cinéma, ils ont intérêt à lutter contre toute
limitation aux échanges dans ce domaine. Cet intérêt est d'autant plus fort
que l'audiovisuel représente le deuxième poste à l'exportation pour les États-
Unis. En outre, cette domination possède un aspect stratégique : elle
contribue à la propagation diffuse mais universelle de l'« americain way of
life », des valeurs et référents identitaires des États-Unis. Elle constitue une
des principales voies de diffusion du « soft power » américain dans le monde.

72. À l'issue de négociations particulièrement âpres, l'audiovisuel fait partie


des services soumis aux règles du GATS. C'est-à-dire, sur le fond, pour
l'essentiel, aux principes du traitement de la nation la plus favorisée, de
transparence et de bonne administration des réglementations intérieures et
de libéralisation progressive. S'agit-il pour autant d'une capitulation en rase
campagne des Européens ? Une telle conclusion serait hâtive. À défaut
d'exclure la culture du champ d'application ratione materiae du texte de
1994, ils ont employé les possibilités offertes par celui-ci pour obtenir une
exemption culturelle. Contrairement à son homologue de 1947, le GATS
repose sur une logique d'ouverture discrétionnaire de leurs marchés par
chaque partie contractante. En d'autres termes, nul n'est tenu d'ouvrir
chacun de ses secteurs et chacun peut maintenir les modalités, limitations et
conditions qu'il souhaite. Les Européens ont donc tout simplement refusé
d'ouvrir leur marché audiovisuel et n'ont pris aucun engagement de
libéralisation dans ce secteur.

73. Qualifiée de « ligne Maginot de la culture » (DERIEUX Droit européen et


international des médias, LGDJ, p. 820), la pérennité de cette exemption a
suscité des interrogations. Le principe de libéralisation progressive (art. XIX)
qui gouverne le GATS semble la condamner à terme. Ses membres se sont
en effet engagés au fil des négociations successives à « élever
progressivement le niveau de libéralisation ». Ces sombres perspectives
méritent cependant d'être nuancées. Tout d'abord, la mise en œuvre de ce
principe ne comporte aucun terme précis et contraignant. Ensuite, la volonté
des Européens paraît stable. Le mandat confié à la Commission lors du
Conseil du 26 octobre 1999, stipule en effet que l'Union « veillera, pendant
les prochaines négociations de l'OMC à garantir, comme dans le cycle
d'Uruguay, la possibilité pour la Communauté et ses États membres de
préserver et de développer leur capacité à définir et à mettre en œuvre leurs
politiques culturelles et audiovisuelles pour la préservation de leur diversité
culturelle ». Enfin, l'article 207, paragraphe 4, a), du TFUE offre aux États
membres une garantie à l'encontre de leurs pairs si la majorité d'entre eux
o
devenaient moins enclins à défendre l'acquis européen (V. supra, n 23).
Rappelons qu'il prévoit le recours à l'unanimité pour la conclusion d'accords
qui peuvent porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union.
Le Parlement européen peut également faire office de gardien de la diversité
culturelle puisque depuis le Traité de Lisbonne, il contribue à définir le cadre
dans lequel est mise en œuvre la politique commerciale commune. Il a
montré son attachement aux préoccupations culturelles à l'occasion des
futures négociations relatives à l'accord en matière de commerce et
d'investissement entre l'Union européenne et les États-Unis (V. supra,
o
n 68).

74. Comme le rappelle l'exemple des négociations commerciales


internationales et comme en convient la convention de l'UNESCO de 2005
sur la diversité des expressions culturelles, les biens et produits culturels
possèdent généralement une dimension économique. Historiquement, c'est
d'ailleurs grâce à celle-ci que les institutions européennes ont justifié leurs
interventions dans le domaine culturel alors même qu'elles ne disposaient
pas d'une compétence spécifique en la matière. La légitimité de leur action
résidait dans l'existence de cette dimension qui permettait l'inclusion de la
culture au sein du droit du marché commun.

Chapitre 2 - Culture et marché commun

75. Pour peu qu'un aspect économique soit présent, la culture entre dans le
champ d'application ratione materiae du marché commun. Le secteur culturel
os
est régi par des règles générales (V. infra, n 76 s.). Elles s'appliquent aux
différents domaines particuliers (biens culturels, audiovisuel…) qui
os
composent ce secteur (V. infra, n 94 s.).

re
Section 1 - Règles générales
os
76. Avant d'évoquer le contenu de ces règles (V. infra, n 86 s.), il est
nécessaire de déterminer leur champ d'application. En la matière, le droit de
l'Union n'opère aucune distinction en fonction de la présence ou non d'un
aspect culturel. Seule importe la correspondance entre le bien ou l'activité
concerné et les critères employés pour définir les notions économiques de
os
marchandise, de service, de travailleur ou d'entreprise (V. infra, n 77 s.)…

er
Art. 1 - Inclusion de la culture dans le champ d'application ratione
materiae du droit du marché commun

77. Dans son célèbre arrêt « œuvres d'art » du 10 décembre 1968 (CJCE,
10 déc. 1968, Commission c/ Italie, aff. 7/68, Rec. 617), la Cour a décidé
que les biens culturels étaient soumis à la libre circulation des marchandises.
La perception par l'Italie d'une taxe à l'exportation sur les objets présentant
un intérêt artistique, historique archéologique ou ethnographique est à
l'origine de cette affaire. La Commission, qui avait saisi la Cour, soutenait
que la taxe litigieuse était contraire à la libre circulation des marchandises
car elle constituait un droit de douane à l'exportation. L'Italie, pour sa part,
estimait que la notion de marchandises devait être entendue strictement et
ne concernait que les biens de consommation ou d'usage général et non les
œuvres d'art. Elle considérait donc que la taxe litigieuse n'entrait pas dans le
champ d'application de la libre circulation des marchandises. La Cour
tranchera en faveur de la Commission en définissant la notion de
marchandise comme « les produits appréciables en argent et susceptibles,
comme tels de former l'objet de transactions commerciales ». Concernant les
biens visés par la loi italienne, le juge communautaire prend soin de préciser
que les qualités qui les distinguent d'autres biens importent peu tant qu'ils
correspondent aux éléments de cette définition. Pierre Pescatore résume
ainsi la position de la Cour : « les œuvres d'art, en tant qu'elles ont une
valeur vénale et qu'elles font l'objet de transactions commerciales sont des
marchandises comme les autres » (PESCATORE, Le commerce de l'art et le
marché commun, RTD eur. 1985. 451 s.).

78. Conséquence logique de cet arrêt, les juges de Luxembourg affirment,


comme ils avaient pu le faire auparavant dans le domaine de l'éducation
(CJCE, 3 juill. 1974, Casagrande c/ Landeshauptstadt München, aff. 9/74,
Rec. 773), que l'absence de compétence culturelle communautaire
n'empêche pas le droit du marché commun de s'appliquer à l'exercice d'une
telle compétence par les États membres (CJCE, 27 sept. 1988, Matteucci
c/ Communauté française de Belgique, aff. 235/87, Rec. 5589). Autrement
dit, l'exercice de ces compétences nationales doit s'effectuer dans le respect
du droit communautaire.

79. Ce que l'on pourrait qualifier de principe d'indifférence à la dimension


culturelle et qui a été inauguré avec l'arrêt du 10 décembre 1968 en matière
d'œuvres d'art a fait l'objet d'applications multiples. Les biens culturels
reproductibles tels que, par exemple, les livres (CJCE, 10 janv. 1985, Leclerc
c/ Au blé vert [Prix unique du livre], aff. 229/83, Rec. 1) ou encore les
supports physiques d'œuvres audiovisuelles (CJCE, 11 juill. 1985, Cinéthèque
c/ Fédération nationale des cinémas français, aff. jointes 60 et 61/81,
Rec. 2605) ou sonores (CJCE, 20 janv. 1981, Musik-Vertrieb membran
c/ GEMA, aff. jointes 55 et 57/80, Rec. 147) à l'instar des DVD, Blue-Ray et
CD sont ainsi soumis aux règles de la libre circulation des marchandises
(V. Prestation de services [Eur.]).

80. Ce principe vaut évidemment pour les autres libertés de circulation. La


libre prestation de services s'applique à des activités susceptibles de
comporter une dimension culturelle si elles correspondent aux dispositions de
l'article 57 du TFUE. En pratique, la jurisprudence estime que les émissions
télévisuelles et les films entrent dans le champ d'application de cette liberté
(CJCE, 30 avr. 1974, Sacchi, aff. 155/73, Rec. 409). En l'absence de support
physique – les supports physiques relevant de la libre circulation des
marchandises –, les modalités de transmission importent peu :
télédistribution (CJCE, 18 mars 1980, Procureur du roi c/ Debauve
[Coditel I], aff. 52/79, Rec. 833), câble (CJCE, 10 sept. 1996, Commission
o
c/ Belgique, aff. C-11/95 , Rec. I. 4115) ou internet (V. Direct. n 2007/65
o
du Parlement européen et du Conseil, 11 déc. 2007, JOUE, n L 332, 18 déc.,
o
modifiant la directive n 89/552 du Conseil visant à la coordination de
certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des
États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle),
il sera toujours question de service (V. Audiovisuel [Eur.]). De la même
manière, le contenu de ce qui est transmis – publicité, retransmission d'une
messe, d'une manifestation sportive, cinéma ou télé-achat – est indifférent
au regard de la question du champ d'application du droit du marché
commun. Les musées ont pour leur part été qualifiés de prestataires de
services et leurs visiteurs de destinataires desdits services (CJCE, 16 janv.
2003, Commission c/ Italie, aff. C-388/01 , Rec. I. 721. – CJCE, 15 mars
1994, Commission c/ Espagne, aff. C-45/93 , Rec. I. 911). Les prestations
fournies par les guides touristiques relèvent elles aussi de cette liberté de
circulation (CJCE, 26 févr. 1991, Commission c/ Grèce, aff. C-198/89 , Rec.
I. 727. – CJCE, 26 févr. 1991, Commission c/ Italie, aff. C-180/89 , Rec.
I. 709. – CJCE, 26 févr. 1991, Commission c/ France, aff. C-154/89 , Rec.
I. 659). De manière plus générale, il en va de même pour les prestations
ponctuelles fournies par les individus ou les structures œuvrant dans le
domaine de la culture (CJCE, 15 juin 2006, Commission c/ France, aff. C-
255/04 , Rec. I. 5251).

81. Les travailleurs qui œuvrent dans le domaine de la culture sont, à l'instar
de n'importe quel travailleur soumis aux règles de la libre circulation des
travailleurs (V. Travailleur : régime [Eur.]) ou à la liberté d'établissement
s'ils correspondent aux définitions employées par le droit de l'Union
(V. Établissement [Eur.]). Par exemple, s'ils sont salariés, les restaurateurs
d'œuvres d'art (CJCE, 8 juill. 1999, Fernández de Bobadilla, aff. C-234/97 ,
Rec. I. 4773), les architectes (CJCE, 14 juill. 1988, Commission c/ Grèce, aff.
38/87, Rec. 4415) ou encore les artistes (CJCE, 15 juin 2006, Commission c/
France, aff. C-255/04 , préc.) peuvent bénéficier des règles des articles 45
et suivants du TFUE. S'ils sont indépendants, ils bénéficieront de la liberté
d'établissement, comme ce fut par exemple le cas d'un artiste-peintre
allemand travaillant à Biarritz (CJCE, 18 juin 1985, Steinhauser c/ Ville de
Biarritz, aff. 197/84, Rec. 1819). La liberté d'établissement s'applique aussi
aux commerçants qui œuvrent dans le domaine culturel, à l'instar des
exploitants de salle de cinéma ou encore aux industries culturelles.

82. La culture peut bénéficier de la libre circulation des capitaux prévue aux
articles 63 et suivants du TFUE (V. Capitaux [Eur.]). Les flux financiers
peuvent être investis dans ce secteur mais ce n'est pas l'hypothèse visée ici.
Il s'agit des prêts à titre gratuit. Ces prêts concernent pour l'essentiel des
œuvres d'art et ont lieu entre musées. Moins nombreux que ceux à titre
onéreux et qui relèvent à l'évidence de la libre circulation des marchandises,
ils restent assez fréquents et prennent souvent la forme d'échanges
temporaires. Ils permettent aux visiteurs de découvrir de nouvelles œuvres.
Dans un arrêt du 26 avril 2012 (CJUE, 26 avr. 2012, Van Putten E.A., aff.
jointes C-578/10 à C-580/10, non encore publié au recueil), la Cour estime
qu'un prêt de voiture à titre gratuit entre dans le cadre de la liberté de
circulation des capitaux car il constitue un avantage économique déterminé.
Or dans la mesure où les œuvres d'art prêtées font généralement l'objet
d'une exposition et à ce titre sont susceptibles de représenter un avantage
économique déterminé, il n'y a aucune raison de ne pas leur appliquer cette
jurisprudence. Les prêts d'œuvre touchent aussi indirectement la libre
prestation de services dans la mesure où ils peuvent faire l'objet de contrats
d'assurances.

83. En matière de droit de la concurrence, l'existence d'une activité culturelle


n'a également pas d'incidence. Il suffit qu'une entité réponde à la définition
de la notion européenne d'entreprise telle qu'elle résulte traditionnellement
de la jurisprudence Höfner du 23 avril 1991 (CJCE, 23 avr. 1991, Höfner et
Elser, aff. C-41/90 , Rec. I. 1979) (V. Entente [Eur.]). La définition donnée
par cet arrêt est particulièrement large et son critère pertinent est là aussi
d'ordre économique. Ainsi, selon la Cour, « dans le contexte du droit de la
concurrence, […] la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une
activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et
de son mode de financement » (pt 21). Les entreprises publiques et les
industries culturelles mais aussi la plupart des activités culturelles, quand
bien même elles s'exercent dans un cadre associatif ou individuel, sont donc
susceptibles de répondre à ces critères. À titre d'exemple, des chanteurs
d'opéra lorsqu'ils exploitent commercialement leurs prestations ont été
o
considérés comme des entreprises (Décis. n 78/516 de la Commission,
o
26 mai 1978, JOCE, n L 157, 15 juin, relative à une procédure d'application
de l'article 85 du Traité CEE [aff. IV/29.559-Rai/Unitel]). Les sociétés de
gestion collective des droits d'auteurs, à l'instar de la SACEM en France
reçoivent une qualification similaire (CJCE, 25 oct. 1979, Greenwich Film
Production c/ SACEM, aff. 22/79, Rec. 3275).

84. Dans le même ordre d'idée, une aide d'État qui répond aux éléments de
définition donnés par l'article 107 du TFUE est soumise aux dispositions de
celui-ci (V. Aides : notion [Eur.]). Il est donc nécessaire que la mesure
litigieuse affecte les échanges entre États membres, qu'elle soit accordée par
les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit et
qu'elle fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines
entreprises ou certaines productions. Cette définition a par la suite été
précisée par la jurisprudence et la pratique de la Commission. Au stade de la
qualification, il importe peu que la mesure litigieuse possède des visées
culturelles.

85. Enfin, les règles relatives aux compensations pour obligations de service
public qui découlent de l'article 106, paragraphe 2, du TFUE (V. Service
public [Eur.]) peuvent bénéficier aux services publics nationaux qui
possèdent une dimension culturelle, comme par exemple les services de
radiodiffusion (V. not. Comm. de la Commission concernant l'application aux
services publics de radiodiffusion des règles relatives aux aides d'État, JOCE,
o
n C 320, 15 nov. 2001).

Art. 2 - Application du droit du marché commun au secteur culturel

86. L'indifférence au caractère culturel des biens et activités dans la


détermination du champ d'application ratione materiae du droit du marché
commun se prolonge par une indifférenciation normative de principe
os
(V. infra, n 87 s.). L'alignement n'est cependant pas complet. Les aides
d'État destinées à la culture et au patrimoine ainsi que la politique
jurisprudentielle en matière de dérogations aux libertés de circulation
os
comportent des spécificités (V. infra, n 90 s.).

er
§1 - Soumission au droit commun

87. Les règles générales applicables au secteur culturel sont, en principe, les
mêmes que celles prévalant pour les autres secteurs. Les entraves aux
libertés de circulation dans le secteur culturel sont donc interdites et doivent
être éliminées. Les règles garantissant le maintien d'une concurrence libre et
non faussée s'appliqueront également au secteur culturel. Cela implique
aussi que les domaines couverts par le droit du marché commun puissent
faire l'objet de mesures d'harmonisation fondées sur les articles 114 et 115
du TFUE. Ce fut notamment le cas en matière de biens culturels ou encore
os
d'audiovisuel (V. infra, n 97 s. et 154 s.). Cela signifie enfin que les
dérogations à la prohibition des entraves peuvent profiter au secteur culturel.
Ces dernières appellent des développements spécifiques.

88. Le premier fondement de ces dérogations réside dans l'article 36 du


TFUE. Cette disposition s'applique à la libre circulation des marchandises et
autorise les États à adopter des mesures restrictives à condition qu'elles ne
constituent « ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction
déguisée dans le commerce entre les États membres » et qu'elles soient
justifiées par un des motifs énoncés par le texte. La Cour a affirmé
l'exhaustivité de ces justifications. C'était à l'occasion, d'une affaire relative
au système français de prix unique du livre que les autorités hexagonales
tentaient de légitimer au nom de la diversité culturelle. Dans un arrêt du
10 janvier 1985 (CJCE, 10 janv. 1985, Leclerc c/ Au blé vert [Prix unique du
livre], aff. 229/83, Rec. 1), les juges de l'Union ont considéré qu'« en tant
que dérogation à une règle fondamentale du traité, l'article 36 est
d'interprétation stricte et ne peut pas être étendu à des objectifs qui n'y sont
pas expressément énumérés. Ni la défense des intérêts des consommateurs,
ni la protection de la création et de la diversité culturelle dans le domaine du
livre ne figurent parmi les raisons citées dans cet article. Il s'ensuit que les
justifications invoquées par le gouvernement français ne sauraient être
retenues » (pt 30). Cette position sera réaffirmée par la suite (CJCE, 10 juill.
1986, Darras et Tostain, aff. 95/84, Rec. 2253). L'insertion de la notion de
diversité culturelle au sein du droit primaire n'a pas apporté de modification
sur ce point (CJCE, 30 avr. 2009, Fachverband der Buch- und
Medienwirtschaft, aff. C-531/07, Rec. I. 3717). Deux des motifs contenus
dans l'article 36 du TFUE sont liés à la culture : la protection des trésors
nationaux et celle des droits d'auteur. Dans la mesure où ils s'appliquent à
des domaines spécifiques, ils ne trouvent pas leur place au sein de propos
consacrés aux règles générales. Ils seront donc évoqués par la suite et en
os
détail pour le premier d'entre eux (V. infra, n 126-127). Il existe des
dispositifs similaires au sein des autres libertés de circulation. Toutefois le
nombre de motifs invocables est plus réduit que dans le cadre de l'article 36
du TFUE et se limite à l'ordre public, la sécurité publique et la santé publique.

89. La théorie des exigences impératives constitue le second fondement


possible pour les dérogations à l'interdiction des mesures restrictives. Elle a
été inaugurée par l'arrêt dit « Cassis de Dijon » (CJCE, 20 févr. 1979, Rewe
c/ Bundesmonopolverwaltung für Branntwein [Cassis de Dijon], aff. 120/78,
Rec. 649) (V. Restrictions quantitatives et mesures d'effet équivalent [Eur.]).
Cet arrêt ne concernait que la liberté de circulation des marchandises. La
théorie qu'il énonce a par la suite été étendue aux autres libertés de
circulation sous la dénomination de théorie des raisons impérieuses d'intérêt
général. Cette théorie permet aux États de justifier des mesures nationales
restrictives. Pour ce faire, il faut que la disposition litigieuse poursuive un
objectif d'intérêt général, à condition toutefois qu'il ne soit pas d'ordre
économique. Elle doit également respecter les principes de nécessité et de
proportionnalité, c'est-à-dire n'être pas plus restrictive que ne le requiert le
but visé. Elle doit enfin ne pas opérer de discrimination en fonction de la
nationalité et ne pas violer des dispositions de droit dérivé. Ces théories
présentent l'avantage de pouvoir prendre en compte des objectifs d'intérêt
général autres que ceux explicitement mentionnés par le Traité. Les motifs
susceptibles d'être avancés par les États ne sont pas limités a priori. À
l'exception de mesures aux motivations strictement économiques ou qui
contreviendraient aux valeurs de l'Union, les États bénéficient
potentiellement d'une très grande liberté. « Un examen systématique de la
jurisprudence afférente révèle que la Cour n'a jamais refusé d'ériger en
objectifs dignes de protection les intérêts mis en avant par les États
membres » (V. HATZOPOULOS, Exigences essentielles, impératives ou
impérieuses : une théorie, des théories ou pas de théorie du tout, RTD eur.
1998. 212). Les États ont abondamment employé ces théories dans le
domaine de la culture. La Cour a reconnu la légitimité de nombreux motifs
os
invoqués par les États (V. infra, n 105 s., 128 s., 137 s., 161 s., 170 s.).
Cette dernière a d'ailleurs eu l'occasion de rappeler que « selon une
jurisprudence constante […], une politique culturelle peut constituer une
raison impérieuse d'intérêt général justifiant une restriction » (CJCE, 13 déc.
2007, United Pan-Europe Communications Belgium E.A., aff. C-250/06, Rec.
I. 11135). Cela n'emporte pas pour autant la légalité de la mesure qui doit
également répondre aux différents critères qui viennent d'être énoncés.
§ 2 - Règles spécifiques au secteur culturel

os
90. Elles concernent la question des aides (V. infra, n 91 s.) et des
o
dérogations jurisprudentielles aux libertés de circulation (V. infra, n 93).

A - Aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du


patrimoine

91. Le troisième paragraphe de l'article 107 du TFUE prévoit que « peuvent


être considérées comme compatibles avec le marché intérieur : […] d) les
aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine,
quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence
dans l'Union dans une mesure contraire à l'intérêt commun ». Cette
disposition a été inscrite dans le traité de Maastricht à l'initiative des Pays-
Bas, appuyés par la Belgique, le Danemark et la France. Elle permet
d'articuler les considérations relatives à la concurrence avec celles relatives à
la culture. Dans la mesure où les secondes ne portent pas une atteinte trop
importante aux premières, les aides à la culture et au patrimoine sont
susceptibles d'être autorisées. À l'instar d'autres dispositions dérogeant à
l'interdiction des aides d'État, celle-ci contribue à montrer que la concurrence
libre et non faussée ne constitue pas une forme d'alpha et d'oméga
européen. La construction européenne prend en compte un ensemble
d'autres facteurs et intérêts au nombre desquels figurent la culture et la
conservation du patrimoine. C'est un équilibre bienvenu. Il n'est pas interdit
de considérer que cette dérogation constitue un écho de l'article 167,
os
paragraphe 4, du TFUE (V. supra, n 29 s.). Cette exception au bénéfice des
aides culturelles a trouvé à s'appliquer à de nombreux secteurs (V. infra,
os
n 118 s., 131 à 134 et 147 à 150). En France, elle a notamment profité à
l'aide aux exploitants de salle versée par le Centre national du cinéma et de
l'image animée ou encore à la carte musique. La Commission privilégie une
approche assez restrictive : elle exige que la subvention concernée vise
os
précisément et principalement un objectif culturel (V. égal. infra, n 118 s.,
131 s. et 147 s.).

92. Lorsqu'une aide en lien avec la culture n'entre pas dans le champ
d'application de l'article 107, paragraphe 3, d), du TFUE, elle peut cependant
toujours bénéficier des autres possibilités d'exemption offertes par le droit de
l'Union pour peu qu'elle réponde aux conditions posées. Un État pourra ainsi
se fonder sur les deuxième et troisième paragraphes de l'article 107 du
TFUE, sur le règlement général d'exemption par catégories (Règl.
o o
n 800/2008 de la Commission, 6 août 2008, JOUE, n L 214, 9 août,
déclarant certaines catégories d'aide compatibles avec le marché commun en
application des articles 87 et 88 du traité) ou encore sur le règlement dit de
o
minimis (Règl. n 1998/2006 de la Commission, 15 déc. 2006, JOUE,
o
n L 379, 28 déc., concernant l'application des articles 87 et 88 du traité aux
aides de minimis). En substance, ce dernier texte autorise les États à verser
des aides d'un montant inférieur à 200 000 euros sur une période de trois
ans. Il est donc particulièrement intéressant pour les aides en lien avec la
culture dans la mesure où elles sont fréquemment d'un faible niveau. Par
ailleurs, la France a plaidé pour l'intégration en bloc de la culture dans un
règlement général d'exemption mais sans succès à ce jour.

B - Spécificité de l'application des dérogations jurisprudentielles


appliquées à la culture

93. Elle n'est pas explicitement revendiquée. Pour autant, elle découle
clairement de la jurisprudence. Cette spécificité réside dans l'acceptation des
discriminations indirectes. Rappelons que dans son arrêt Sotgiu du 12 février
1974 (CJCE, 12 févr. 1974, Sotgiu c/ Deutsche Bundespost, aff. 152/73,
Rec. 153), la Cour juge que sont prohibées « non seulement les
discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes
formes dissimulées de discrimination qui par application d'autres critères de
distinction aboutissent en fait au même résultat ». La juridiction
communautaire censure ainsi les mesures nationales qui apparaissent
neutres mais qui, en réalité, touchent principalement les ressortissants des
autres États. Or, de ce point de vue, la culture semble bel et bien faire
exception. Les discriminations fondées sur des critères linguistiques sont en
effet généralement jugées conformes au droit du marché commun (V. infra,
os
n 169 s.), comme ce fut le cas dans les arrêts Groener (CJCE, 28 nov.
1989, Groener c/ Minister for Education and City of Dublin Vocational
Education Committee, aff. C-379/87 , Rec. 3967) et UTECA (CJCE, 5 mars
2009, UTECA, aff. C-222/07 , Rec. I. 1407). Pourtant, de telles mesures
sont, de fait, de nature à avantager les ressortissants de l'État en cause et ce
d'autant plus quand la langue concernée est peu répandue. Il semble
cependant difficile de condamner l'utilisation de tels critères. Cela
reviendrait, en matière culturelle et linguistique, à empêcher les États de
défendre leurs spécificités. Toutefois, la Cour continue à censurer des
mesures qui, pour défendre le ou les idiomes nationaux, exigent que le
locuteur ou l'œuvre possède la nationalité de l'État en question (CJCE, 4 mai
1993, Distribuidores Cinematogràficos, aff. C-17/92 , Rec. I. 2239).

Section 2 - Application à des domaines particuliers

94. Les règles qui viennent d'être étudiées s'appliquent aux différents
domaines composant le secteur culturel. Quatre grands ensembles peuvent
être identifiés. Il s'agit des biens et du patrimoine culturel (V. infra,
os os
n 95 s.), de l'audiovisuel et du cinéma (V. infra, n 135 s.) des artistes
os
(V. infra, n 160 s.) et, enfin, de la défense des identités (V. infra,
os
n 166 s.). La question des droits d'auteurs est particulièrement importante
à la fois pour les auteurs et les distributeurs. Toutefois, elle ne sera pas
traitée ici. Elle appelle en effet des développements dont l'ampleur dépasse
l'espace de ce document. Elle fait en outre l'objet d'une rubrique particulière
(V. Droit d'auteur [Eur.]).

er
Art. 1 - Biens et patrimoine culturel

95. D'après l'article L.1 du code français du patrimoine : « Le patrimoine


s'entend, au sens du présent code, de l'ensemble des biens, immobiliers ou
mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un
intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou
technique ». À ce patrimoine viennent s'ajouter de nombreux biens
culturels : livres, œuvres d'art… La distinction entre ces deux ensembles
n'est pas chose aisée. Quelle que soit la définition pertinente, elle dépend
finalement des autorités de chaque État membre. En revanche, il ne dépend
pas de celles-ci de soustraire les biens appartenant ou non au patrimoine
culturel du champ d'application de la libre circulation des marchandises s'ils
répondent à la définition qu'en a donné la Cour (CJCE, 10 déc. 1968,
o
Commission c/ Italie, aff. 7/68, Rec. 617. – V. supra, n 77).

er
§1 - Biens culturels

96. Le droit de l'Union s'est principalement intéressé à la lutte contre le trafic


os
des biens culturels (V. infra, n 97 s.), au secteur du livre (V. infra,
os os
n 105 s.) et à la fiscalité des biens culturels (V. infra, n 121 s.).
A - Lutte contre le trafic illicite des biens culturels

97. Le commerce illicite des biens culturels constitue l'un des grands trafics
mondiaux avec celui des armes et de la drogue. Il touche particulièrement
l'Union européenne et l'abolition des frontières internes a accru les
opportunités pour les délinquants. Par conséquent, les institutions ont adopté
des textes afin de renforcer la protection de ces biens.

98. Le premier concerne l'exportation des biens culturels en dehors du


territoire douanier de l'Union. Le règlement du 18 décembre 2008 (Règl.
o o
n 2009/116 du Conseil, 18 déc. 2008, JOUE, n L 39, 10 févr.) instaure un
système de licence d'exportation obligatoire. Son champ d'application
concerne à la fois les biens listés en annexe du texte et ceux appartenant au
patrimoine et considérés par les États comme des trésors nationaux ayant
une valeur artistique, historique ou archéologique au sens de l'article 36 du
os
TFUE (V. infra, n 126 s.). Selon l'article 2, l'autorisation est délivrée sur
demande de l'intéressé. Elle est donnée par une autorité compétente de
l'État sur le territoire duquel se trouvait le bien légalement et à titre définitif
er
avant le 1 janvier 1993. Après cette date, c'est l'autorité compétente de
l'État membre sur le territoire duquel il se trouve après envoi légal et définitif
en provenance d'un autre État qui peut délivrer l'autorisation.

99. Elle est valable dans toute l'Union et ne peut être refusée que pour les
os
biens relevant de l'article 36 du TFUE (V. infra, n 126 s.). Elle peut ne pas
être obligatoire pour les biens listés par les deux premiers tirets du point A.1
de l'annexe du règlement du 18 décembre 2008 lorsqu'ils offrent un intérêt
archéologique ou scientifique limité et à condition qu'ils ne soient pas le
produit direct de fouilles, de découvertes et de sites archéologiques dans un
État membre, et que leur présence sur le marché soit légale. Enfin, les États
doivent mettre en place des sanctions suffisantes en cas d'infraction au
texte.

100. Le second texte porte sur la restitution des biens culturels ayant quitté
o
illicitement le territoire d'un État membre. Il s'agit de la directive n 93/7 en
o
date du 15 mars 1993 (Direct. n 93/7 du Conseil, 15 mars 1993, JOCE,
o
n L 74, 27 mars, relative à la restitution de biens culturels ayant quitté
illicitement le territoire d'un État membre). Elle prévoit que l'ordre juridique
de chaque État doit inclure une procédure en restitution et elle encadre cette
procédure. Les États doivent également désigner une ou plusieurs autorités
chargées d'exercer les fonctions prévues par la directive.
101. Au sens de cette dernière, les biens culturels sont ceux relevant de
os
l'article 36 du TFUE (V. infra, n 126 s.), ceux mentionnés dans son annexe
et ceux appartenant à des collections publiques figurant sur les inventaires
des musées, archives et fonds des bibliothèques ainsi que ceux figurant sur
les inventaires des institutions ecclésiastiques. Il est cependant permis aux
États membres d'étendre les obligations de restitution qui pèsent sur eux à
d'autres catégories de biens culturels que ceux visés à l'annexe.

102. Les autorités désignées par les États sont, entre autres, chargées sur
demande d'un État requérant de rechercher un bien culturel déterminé ayant
quitté illicitement le territoire et l'identité du possesseur et/ou détenteur.
Elles doivent également notifier aux États membres concernés la découverte
de biens culturels sur leur territoire et les motifs raisonnables de présumer
que lesdits biens ont quitté illicitement le territoire d'un autre État membre.
Il leur appartient également, grâce à l'adoption de mesures conservatoires,
d'éviter que le bien concerné puisse être soustrait à la procédure de
restitution. Enfin, elles doivent coopérer entre elles.

103. Selon l'article 5, un État membre peut introduire, à l'encontre du


possesseur et, à défaut, à l'encontre du détenteur, une action en restitution
d'un bien culturel ayant quitté illicitement son territoire, auprès du tribunal
compétent de l'État membre requis. L'acte introductif doit être accompagné
d'un document décrivant le bien et déclarant que celui-ci est un bien culturel
ainsi que d'une déclaration des autorités de l'État requérant selon laquelle le
bien a quitté illicitement le territoire. L'action est prescrite dans un délai d'un
an à compter de la date à laquelle l'État membre requérant a eu
connaissance du lieu où se trouvait le bien culturel et de l'identité de son
possesseur ou détenteur. L'action est également prescrite mais cette fois
dans un délai de trente ans à compter de la date à laquelle le bien concerné
a quitté le territoire de l'État membre requérant. Pour les biens faisant partie
des collections publiques et des biens ecclésiastiques et dans l'hypothèse où
ces objets font l'objet d'une protection spéciale, la durée est étendue à
soixante-quinze ans. Pour ces objets, les États peuvent choisir de rendre
cette action imprescriptible. Il leur est également possible de conclure des
accords bilatéraux avec d'autres États membres afin de prévoir une durée
supérieure à soixante-quinze ans. L'action devient toutefois irrecevable si la
sortie du territoire de l'État membre requérant n'est plus illégale au moment
où l'action est introduite.

104. Si la restitution est ordonnée, le tribunal compétent de l'État membre


requis accorde au possesseur une indemnité qu'il estime équitable en
fonction des circonstances du cas d'espèce. Il est cependant nécessaire que
le possesseur ait exercé les diligences requises lors de l'acquisition. Le
paiement de l'indemnité équitable visée à l'article 9 et des dépenses visées à
l'article 10 ne porte pas atteinte au droit de l'État membre requérant de
réclamer le remboursement de ces montants aux personnes responsables de
la sortie illicite du bien culturel de son territoire.

B - Le livre

105. De manière générale, la protection du livre en tant que bien culturel est
qualifiée d'exigence impérative, ce qui est susceptible de justifier des
réglementations nationales qui, à l'instar de la loi Lang, instaurent un prix
unique du livre (CJCE, 30 avr. 2009, Fachverband der Buch- und
Medienwirtschaft, aff. C-531/07, Rec. I. 3717).

106. Dans un domaine connexe à celui du livre, la presse, la Cour a consacré


la préservation du pluralisme en tant qu'exigence impérative. En l'espèce,
l'Autriche avait interdit la vente de périodiques comportant des jeux dotés de
prix ou des concours. Les autorités nationales considéraient en effet que la
concurrence à la hausse du niveau des gains proposés conduisait à
l'élimination des petits éditeurs incapables d'offrir des primes élevées. Après
avoir constaté que la mesure litigieuse ne saurait être qualifiée de modalité
de vente car la suppression des concours entraîne une modification du
contenu des produits vendus, la juridiction communautaire relève que le
maintien du pluralisme est susceptible de constituer une exigence
impérative. En l'espèce, la proportionnalité de la mesure litigieuse est
considérée comme présente s'il est prouvé que la présence de jeux avec des
gains élevés provoque un déplacement de la demande. En outre,
l'interdiction édictée ne saurait s'appliquer aux journaux étrangers qui
réservent la participation à leurs concours à leurs seuls nationaux (CJCE,
26 juin 1997, Vereinigte Familiapress, aff. C-368/95 , Rec. I. 3689).

1° - Systèmes de prix unique du livre

107. Plusieurs États membres ont mis en place des systèmes de prix unique
du livre. Pour leurs partisans, ces mesures protègent les petits libraires et
permettent donc le maintien d'un réseau de distribution pluraliste. En outre,
elles permettent de favoriser la diffusion d'ouvrages exigeants et diversifiés,
ce que le libre jeu du marché paraît ne pouvoir faire que difficilement. La
liberté des États est cependant loin d'être complète.

108. Tout d'abord, comme l'a rappelé la Cour à plusieurs reprises, la


protection du livre ne saurait se fonder sur l'actuel article 36 du TFUE
o
(V. supra, n 88). L'actuel article 167 du TFUE ne peut pas non plus justifier
une telle mesure (CJCE, 30 avr. 2009, Fachverband der Buch- und
Medienwirtschaft, aff. C-531/07, Rec. I. 3717).

109. Ensuite, si les États peuvent employer la théorie des exigences


impératives, cela ne signifie pas que tous les dispositifs mis en place soient
conformes à la libre circulation des marchandises. Rendu sur conclusions
contraires, un arrêt du 10 janvier 1985 (CJCE, 10 janv. 1985, Leclerc c/ Au
blé vert [Prix unique du livre], aff. 229/83, Rec. 1) juge illégale sur deux
points la loi française du 10 août 1981 sur le prix unique du livre. Le premier
concerne le cas des ouvrages publiés dans un autre État membre puis
exportés en France. La Cour reproche à la législation française de faire
reposer sur l'importateur d'un livre chargé d'accomplir la formalité du dépôt
légal d'un exemplaire, le soin d'en fixer le prix au détail. Selon elle, une telle
disposition met tout autre importateur du même livre dans l'impossibilité de
pratiquer un autre prix de vente qu'il jugerait plus adéquat. De plus, la
responsabilité de la fixation du prix n'est pas située au niveau de l'éditeur,
comme c'est le cas pour les ouvrages français, mais au niveau du premier
importateur. La Cour constate donc l'existence d'un régime distinct en
fonction de l'origine du livre. Il est considéré comme défavorable aux
importateurs. C'est donc une discrimination interdite. Le second porte sur les
ouvrages publiés en France, exportés dans un autre État membre puis
réimportés dans l'Hexagone. Ces derniers doivent respecter le prix prévu en
France par l'éditeur. La juridiction a considéré que l'importateur se trouvait
alors dans l'impossibilité de répercuter sur le prix au détail un prix plus
favorable obtenu dans l'État membre d'exportation, ce qui était constitutif
d'une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative. Cette
qualification ne sera cependant pas retenue si l'importateur n'a agi qu'afin de
contourner le dispositif français.

110. Dans le même esprit, la Cour a également jugé contraire à l'article 34


du TFUE, une réglementation autrichienne qui interdit aux importateurs de
livres de fixer un prix inférieur au prix de vente au public arrêté ou conseillé
par l'éditeur dans l'État d'édition et qui, dans le même temps, permet à
l'éditeur national de fixer librement un prix minimal (CJCE, 30 avr. 2009,
Fachverband der Buch- und Medienwirtschaft, aff. C-531/07, Rec. I. 3717).
Elle constate que les importateurs et les éditeurs étrangers ne peuvent fixer
les prix minimaux selon les caractéristiques du marché d'importation, à la
différence des éditeurs locaux qui peuvent agir librement. La mesure
litigieuse conduit donc à une discrimination en fonction de l'origine nationale.

111. Les systèmes de prix unique du livre peuvent également entrer en


conflit avec le droit de la concurrence. Certains d'entre eux sont d'origine
privée et reposent sur un ou des accords contractuels entre différents
acteurs du secteur du livre. Ils peuvent donc être contraires à l'interdiction
des ententes qui découle de l'actuel article 101 du TFUE (V. Entente [Eur.]).

112. L'accord entre les éditeurs et libraires de Belgique et des Pays-Bas, dit
accord VBVB et VBBB a été le premier à voir examiner sa conformité avec cet
article. Il reposait sur deux piliers : un système d'exclusivité et un système
de prix imposé. Le premier comportait une interdiction d'acheter ou de
détenir des livres édités par un éditeur non agréé dans l'autre pays ou d'en
encourager la vente. Le second obligeait les éditeurs des deux États à fixer
un prix unique de vente au détail de leurs publications. Cet accord visait à
préserver et à promouvoir dans le secteur du livre une offre diversifiée tant
du point de vue des produits (les livres), des distributeurs (libraires) que des
producteurs (éditeurs). Ce n'est que 19 ans après la notification que la
Commission s'avisa qu'il pouvait y avoir une violation du droit de la
o
concurrence. Dans une décision du 25 novembre 1981 (Décis. n 82/123 de
o
la Commission, 25 nov. 1981, JOCE, n L 54, 25 févr. 1982, relative à une
procédure d'application de l'article 85 du Traité CEE [IV/428 - VBBB/VBVB]),
elle considéra que cet accord constituait une entente. Pour elle, la clause
d'exclusivité réduit la concurrence car les éditeurs agréés ne peuvent traiter
qu'entre eux. Quant à la clause de fixation des prix, la Commission estime
qu'elle réduit également la concurrence dans la mesure où elle exclut toute
compétition au niveau des prix entre les libraires. Par ailleurs, elle décide que
l'accord ne pouvait pas être racheté sur la base du paragraphe 3 de l'actuel
article 101 du TFUE. Pour la Commission, l'accord nuit à l'efficacité
économique du secteur du livre ainsi qu'aux intérêts des consommateurs. De
plus, selon elle, il ne se révèle pas indispensable afin d'atteindre les objectifs
poursuivis. Certes, « la Commission reconnaît […] le rôle important du livre
comme support culturel parmi d'autres, par exemple le théâtre, la musique,
le cinéma, la peinture. Elle partage l'opinion des parties qu'il faut éviter que
des livres présentant une valeur culturelle cessent d'être édités, mais elle est
d'avis que cela n'exige pas un système collectif de prix imposés pour toutes
les catégories de livres dans le commerce entre deux États membres. Il y a
d'autres solutions qui ne nuiraient pas au rôle du livre en tant que support
culturel, mais qui seraient plus conformes aux règles de concurrence du
traité CEE ». Si la Commission reconnaît la dimension culturelle des livres,
son analyse ne laisse pas apparaître une quelconque sensibilité aux
spécificités de ce marché. Il est tout simplement assimilé à n'importe quel
autre. C'est d'ailleurs ce que reprochèrent à la décision de la Commission les
associations à l'origine de l'accord. En conséquence, elles introduisirent
devant la Cour un recours à l'encontre de cette décision. Une démarche
vaine puisque, dans son arrêt du 17 janvier 1984, les juges se prononcèrent
également contre l'accord litigieux (CJCE, 17 janv. 1984, VBVB et VBBB
c/ Commission, aff. jointes 43 et 63/82, Rec. 19). En réponse à un argument
des parties, ils ajouteront que « le fait de soumettre la production et le
commerce de livres à des règles dont le seul objectif est d'assurer la liberté
des échanges entre États membres dans les conditions normales de
concurrence, n'est pas de nature à restreindre la liberté de publication ». Les
atteintes susceptibles d'être portées de fait au secteur de l'édition par une
libre concurrence sur les prix rendent discutable une telle conclusion.

113. Le deuxième système analysé à l'aune de l'interdiction des ententes fut


celui des accords NBA (« Net Book Agreements »). Ce système concernait le
Royaume-Uni et l'Irlande et s'avérait globalement comparable aux accords
VBVB/VBBB. Il s'en différenciait néanmoins car il ne concernait que les
éditeurs et que ces derniers restaient libres d'adhérer ou non au système de
prix fixe. En outre l'accord prévoyait des exceptions au prix fixe au bénéfice
de certains agents (les bibliothèques par exemple). La Commission, suivant
la même logique que dans sa décision du 25 novembre 1981 (V. supra,
o o
n 112), décide le 12 décembre 1988 (Décis. n 89/44 de la Commission,
o
12 déc. 1988, JOCE, n L 22, 26 janv. 1989, concernant une procédure
d'application de l'article 85 du Traité CEE [IV/27.393 et IV/27.394, Publishers
Association - Net Book Agreements]), que le NBA est incompatible avec les
dispositions de l'actuel article 101 du TFUE et ne peut être racheté au titre du
troisième paragraphe de ce même article. Un recours fut également intenté
contre cette décision. Les conclusions auxquelles aboutit le Tribunal de
première instance dans son arrêt en date du 9 juillet 1992 (TPI, 9 juill. 1992,
Publishers Association c/ Commission, aff. T-66/89, Rec. II. 1995) sont
similaires à celles formulées par la Cour dans son arrêt du 17 janvier 1984
o
(V. supra, n 112). Saisie d'un pourvoi, la Cour de justice va cependant
donner raison aux requérants dans un arrêt du 17 janvier 1995 (CJCE,
17 janv. 1995, Publishers Association c/ Commission, aff. C-360/92 P,
Rec. I. 23). Elle s'appuie toutefois sur des motifs de forme et non de fond. La
logique présidant aux décisions et jugements précédents n'est donc pas
remise en cause.

114. Le « Sammelrevers », une série d'accords verticaux conclus entre


libraires et éditeurs autrichiens et allemands et instaurés dans une zone
linguistique germanophone a été le dernier système de fixation des prix du
livre au détail à se voir confronté au droit de la concurrence. Suite à des
critiques de la Commission, les parties membres du « Sammelrevers » ont
communiqué à celle-ci une version modifiée du système. Elle éliminait la
dimension transfrontalière des prix imposés, l'accord n'étant valable qu'entre
les éditeurs et les libraires allemands d'une part et les éditeurs et libraires
autrichiens d'autre part. En cas de commerce transfrontalier, le prix fixe ne
s'imposait plus, y compris dans le cadre d'une vente par internet. Dans de
telles conditions, la Commission, dans une communication de juin 2000, a
signifié son intention de ne pas appliquer l'actuel article 101 du TFUE à
l'accord litigieux dans la mesure où il n'affecte plus le commerce entre États
membres (Communication en application de l'article 19, paragraphe 3, du
o
règlement n 17 du Conseil concernant une demande d'attestation négative
ou d'exemption au titre de l'article 81, paragraphe 3, du Traité CE (aff.
COMP/34.657 - Sammelrevers et COMP/35.245-35.251 - Einzelreverse),
o
JOCE, n C 162, 10 juin 2000). De nouvelles informations recueillies l'ont
toutefois incitée à revenir sur son avis en juillet 2001 et à rouvrir une
procédure. Dans un communiqué de presse, elle affirme que le système
« Sammelrevers » a été appliqué d'une manière telle qu'il continue à avoir
des effets sur les échanges entre États membres, mais également que les
refus de certains éditeurs et grossistes allemands de fournir les libraires
établis hors d'Allemagne étaient basés sur un accord ou une pratique
concertée et constituaient donc une collusion illicite. Finalement, suite à de
nouveaux engagements des parties notifiantes, la Commission a une
nouvelle fois renoncé à poursuivre les parties membres du
« Sammelrevers ». Cette renonciation ne semble pas impliquer une
modification de position de la part de la Commission. Elle refuse de
poursuivre non pas parce que l'entente serait conforme au droit européen de
la concurrence mais parce que, n'affectant pas les échanges entre États
membres, l'accord n'entre pas dans son champ d'application. Pour le droit
des ententes, le marché du livre est donc un secteur dont les spécificités ne
justifient pas une quelconque application dérogatoire. Cette affirmation se
vérifie également en matière de concentrations.

2° - Concentrations dans le secteur du livre

115. Elles ont été accueillies favorablement par la Commission puisqu'elles


n'aboutissaient généralement pas à créer ou à renforcer des positions
dominantes. Elles se conformaient ainsi aux dispositions du règlement du
o
20 janvier 2004 (Règl. n 139/2004 du Conseil, 20 janv. 2004, JOUE,
o
n L 24, 29 janv., relatif au contrôle des concentrations entre entreprises)
(V. Concentration [Eur.]). Ce fut par exemple le cas avec la création par les
sociétés Bertelsmann et Mondadori d'une nouvelle entité destinée à fusionner
leurs activités en matière de club du livre pour l'Italie (Décis. de la
Commission, 22 avr. 1999 déclarant la compatibilité avec le marché commun
d'une concentration [aff. N IV/M.1407 - BERTELSMANN/MONDADORI] sur
o o
base du règlement [CEE] n 4064/89 du Conseil, JOCE, n C 145, 26 mai
1999).

116. La Commission s'est montrée plus sourcilleuse à l'occasion du rachat


par le groupe Lagardère de Vivendi Universal Publishing (VUP) devenu Éditis.
Le projet a provoqué de réelles inquiétudes dans les milieux éditoriaux et
littéraires dans la mesure où VUP et Lagardère constituent les deux pôles les
plus importants dans le secteur du livre de langue française. Il plaçait le
groupe Lagardère dans une situation de domination inédite. La décision de la
o
Commission intervient le 7 janvier 2004 (Décis. n 2004/422 de la
o
Commission, 7 janv. 2004, JOUE, n L 125, 28 avr., déclarant une opération
de concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement
de l'accord sur l'Espace économique européen [aff. COMP/M.2978 —
Lagardère/Natexis/VUP]). Après avoir défini les marchés concernés par
l'opération, elle constate que l'acquisition de l'ensemble des actifs d'édition
par le groupe Lagardère dans l'Union européenne et en Amérique latine,
entraînerait la création d'une entreprise largement dominante sur le marché
avec un chiffre d'affaires sept fois plus important que celui de son concurrent
le plus immédiat. La Commission observe que cette domination s'exercerait à
différents niveaux. Tout d'abord, du point de vue des auteurs, la majorité de
ceux vendant le plus d'ouvrages se trouveraient sous contrat avec la
nouvelle entité. Ensuite, après l'acquisition d'Éditis, le groupe Lagardère se
retrouverait dans une position de « suprématie » dans des activités de
nature plus industrielle du secteur de l'édition : la diffusion, la distribution et
l'édition au format poche. Comme le résume la Commission dans son
communiqué de presse, l'opération envisagée aboutirait à la « création d'une
industrie à deux vitesses : d'une part des éditeurs marginalisés et
dépendants, n'ayant d'autre choix que de se consacrer à l'activité plus
risquée de prospection et de création et, d'autre part, un groupe industriel
intégré sur l'ensemble de la chaîne du livre et capable de s'accaparer les
auteurs, une fois leur succès assuré, et de monopoliser la plus grande partie
des rayonnages des détaillants » (la Commission autorise la reprise d'une
partie des actifs éditoriaux d'Éditis [ex-VUP] par Lagardère, 7 janv. 2004,
IP/04/15). Ces considérations l'amenèrent à émettre des objections quant au
projet d'acquisition de Lagardère. En réponse à celle-ci et afin d'obtenir
l'agrément de la Commission, ce groupe s'est engagé à ne conserver que
40 % des actifs du groupe Éditis. Ce rachat partiel permet de ne pas créer de
position dominante. Le projet est donc finalement accepté. Là aussi, la
Commission s'est contentée d'appliquer le droit commun.

117. Un tel choix prête le flanc à la critique. Qu'il soit appliqué au secteur de
l'édition ou, plus largement, aux industries culturelles et à la presse, le
contrôle des concentrations s'avère incapable de prendre en compte certains
risques pesant sur le maintien du pluralisme et la démocratie. Il repose sur la
détermination des marchés sur lesquels opèrent les acteurs économiques.
Par exemple et schématiquement, le marché de la presse quotidienne n'est
pas identique à celui des hebdomadaires qui lui-même diffère de l'édition
d'ouvrages à destination du grand public ou d'ouvrages plus exigeants. Ils ne
sont également pas comparables au marché de la production et de la
distribution audiovisuelle ou encore des émissions radiophoniques. Une
concentration ne doit pas créer ou renforcer de positions dominantes sur un
ou plusieurs marchés. Chaque marché est en principe examiné séparément.
Or, il est tout à fait envisageable qu'un faible nombre d'entités soit en
position oligopolistique sur l'ensemble de ces marchés sans en dominer un
seul. En l'état actuel, le système européen de contrôle des concentrations
s'avère donc juridiquement incapable de lutter contre un tel phénomène qui
aboutit à laisser des pans entiers de l'industrie médiatique entre les mains
d'un faible nombre d'acteurs. Pourtant une telle situation conduit à ce que les
informations reçues par le public proviennent majoritairement d'un très faible
nombre de sources, ce qui est pour le moins préoccupant.

3° - Aides d'État au secteur du livre

118. Dans une décision du 18 mai 1993 (Décis. de la Commission, 18 mai


o
1993, JOCE, n C 174, 25 juin), la Commission s'est prononcée sur une aide
française à la Coopérative d'exportation du livre français (CELF) qui était
destinée à favoriser la diffusion de la langue française, la coopération et les
échanges culturels. Elle a considéré que cette aide entre dans le champ
d'application de l'actuel article 107 du TFUE mais qu'elle est compatible avec
le marché intérieur dans la mesure où elle « contribue à la diffusion de la
langue française et au rayonnement de la littérature francophone ». La partie
de la décision relative à l'une des subventions, celle destinée à compenser le
surcoût de traitement des petites commandes de livres en langue française
passées par des libraires établis à l'étranger, sera cependant annulée pour
des raisons procédurales par le Tribunal de première instance (TPI, 18 sept.
1995, SIDE c/ Commission, aff. T-49/93, Rec. II. 2501). Dans une nouvelle
o
décision en date du 10 juin 1998 (Décis. n 1999/133 de la Commission,
o
10 juin 1998, JOCE, n L 44, 18 févr. 1999, relative à l'aide d'État en faveur
de la Coopérative d'exportation du livre français [CELF]), la Commission
valide l'aide aux petites commandes versées à la CELF. Elle retient
notamment ses visées culturelles et son caractère proportionné. S'en est
suivi un important contentieux portant, comme précédemment, sur des
motifs procéduraux. Schématiquement, il résulte de la succession des
jugements et des décisions que si l'aide versée à la CELF pour le traitement
des petites commandes des livres en français a été octroyée dans des
conditions illégales, l'aide en tant que telle est compatible avec le marché
intérieur au titre de l'actuel article 107, paragraphe 3, d), du TFUE (V. Décis.
o o
n 2005/262 de la Commission, 20 avr. 2004, JOUE, n L 85, 2 avr. 2005,
relative à l'aide mise à exécution par la France en faveur de la Coopérative
d'exportation du livre français [CELF]. – CJCE, 12 févr. 2008, CELF et
Ministre de la Culture et de la Communication, aff. C-199/06, Rec. I. 469).

119. La Commission s'est prononcée sur plusieurs autres systèmes d'aides


dans le secteur du livre. Ils ont été jugés compatibles parce qu'elle a
considéré qu'ils poursuivaient précisément et principalement un objectif
culturel, par-delà leur inévitable dimension économique. Ce fut le cas d'une
aide versée par l'Italie au bénéfice d'éditeurs opérant ou désireux de s'établir
en Sicile et qui publiaient des ouvrages liés à la culture locale. La
Commission a cependant précisé que l'aide ne devait bénéficier qu'à des
productions de qualité (Aide N 268/2002). Un système slovaque qui visait
notamment à soutenir un périodique consacré à la littérature a également
reçu un accueil favorable (Aide N 542/2005). Il en est allé de même d'une
aide slovène à la production, la distribution et la promotion de publications
culturelles (Aide N 1/2006). En revanche, une aide qui concerne le secteur
de l'édition mais qui ne vise pas principalement des publications culturelles
ou encore le soutien à une langue peut ne pas bénéficier de l'article 107,
paragraphe 3, d), du TFUE. C'était le cas d'une mesure italienne qui
prévoyait des aides sous forme de bonification d'intérêt et de crédit d'impôt
en faveur d'entreprises œuvrant dans l'édition. La Commission note que vu
l'ampleur des mesures examinées et compte tenu de la description
extrêmement générale des publications susceptibles d'être subventionnées,
les mesures en cause semblent essentiellement destinées à promouvoir la
diffusion des produits éditoriaux en italien et non pas à promouvoir la culture
o
et la langue italiennes (Décis. n 2006/320 de la Commission, 30 juin 2004,
o
JOUE, n L 118, 3 mai 2006, concernant les mesures notifiées par l'Italie en
faveur du secteur de l'édition). La dimension culturelle n'est donc pas
suffisamment présente. Pour entrer dans le champ d'application de l'article
107, paragraphe 3, d), du TFUE, l'aide doit donc viser directement des
produits à contenu culturel – une notion qui n'est d'ailleurs pas définie –, leur
réalisation, leur distribution ou leur promotion. La Commission retient donc
une approche restrictive du champ d'application de cet article, qui au
demeurant se trouve confirmée par sa politique en la matière dans les autres
os
secteurs de la culture (V. infra, n 131 s. et 147 s.).

120. Enfin, le secteur de l'édition peut également bénéficier d'un autre type
d'aide, qui ne revêt cependant pas la forme d'une aide d'État au sens de
l'article 107 du TFUE. La fourniture de livres peut en effet être assujettie à un
os
taux réduit de TVA (V. infra, n 121 s.). Cette question s'insère dans la
problématique plus générale de la fiscalité des biens culturels.
C - Fiscalité des biens culturels

121. La fiscalité peut constituer un instrument d'intervention dans le


domaine de la culture. Les taux de TVA appliqués aux biens et activités
culturels influencent le comportement des opérateurs économiques et celui
du public. Au niveau européen, les pratiques des États en la matière sont
actuellement encadrées par une directive du 28 novembre 2006 (Direct.
o o
n 2006/112 du Conseil, 28 nov. 2006, JOUE, n L 347, 11 déc., relative au
système commun de taxe sur la valeur ajoutée).

ACTUALISATION
121. TVA et égalité de traitement sur les ouvrages numériques. -
Le principe d'égalité de traitement ne s'oppose pas à ce que les livres,
les journaux et les périodiques numériques fournis par voie électronique
soient exclus de l'application d'un taux réduit de TVA (CJUE, 7 mars
2017, Rzecznik Praw Obywatelskich [RPO], aff. C-390/15).

TVA sur les publications papier. Le Conseil a modifié la directive


o
n 2006/112 en ce qui concerne les taux de TVA appliqués aux livres,
o
journaux et périodiques (Dir. n 2018/1713 du Conseil, 6 nov. 2018,
o
JOUE, n L 286, 14 nov.).
o
Mécanisme d'autoliquidation généralisé. La directive n 2006/112
est modifiée en ce qui concerne l'application temporaire d'un mécanisme
d'autoliquidation généralisé pour les livraisons de biens et prestations de
o
services dépassant un certain seuil (Dir. n 2018/2057 du Conseil,
o
20 déc. 2018, JOUE, n L 329, 27 déc.).

122. Son article 103 offre aux États membres la possibilité de mettre en
place des taux réduits pour les importations d'objets d'art, de collection ou
d'antiquité. Ces biens sont définis à l'annexe IX de la directive. Les taux
o
réduits peuvent être appliqués : 1 aux livraisons d'objets d'art effectuées
o
par leur auteur ou par ses ayants droit et 2 aux livraisons d'objets d'art
effectuées à titre occasionnel par un assujetti autre qu'un assujetti-
revendeur, lorsque les objets d'art ont été importés par cet assujetti lui-
même ou qu'ils lui ont été livrés par leur auteur ou par ses ayants droit ou
qu'ils lui ont ouvert droit à déduction totale de la TVA. Ces possibilités
permettent, d'une part, de favoriser la circulation des objets d'art et, d'autre
part, d'attirer plus facilement ceux en provenance des pays tiers dans un
État et, plus généralement, dans le marché européen des œuvres d'art. Le
dispositif vise à dynamiser le marché européen de l'art. Cet enjeu est
d'autant plus important que ce marché, qui était le premier au monde, a fini
par être supplanté par celui des États-Unis.

123. Lorsqu'elles sont effectuées par des organismes de droit public ou par
d'autres organismes culturels reconnus par l'État membre concerné, l'article
132 de la directive prévoit une exonération de la TVA au bénéfice de
certaines prestations de services culturels, ainsi que des livraisons de biens
qui leur sont étroitement liées. Il s'agit ici de favoriser des activités d'intérêt
général liées à la culture en n'ajoutant pas de charges supplémentaires pour
les entités concernées. Dans un arrêt du 7 mars 2002 (CJCE, 7 mars 2002,
Commission c/ Finlande, aff. C-169/00 , Rec. I. 2433), la Cour a précisé
que cette disposition, ou plus exactement son équivalent à l'époque de
l'affaire, était, comme toute dérogation, d'interprétation stricte.
Contrairement à ce qu'avait prévu la Finlande, cette exception ne pouvait
donc bénéficier à la vente d'un objet d'art réalisée par son auteur,
directement ou par l'intermédiaire d'un agent, ainsi que l'importation d'une
œuvre d'art par le propriétaire-auteur.

124. Par-delà le cas spécifique des objets d'art, de collection ou d'antiquité,


l'article 98 prévoit que les États peuvent décider d'appliquer des taux réduits
à certaines catégories de produits ou de services. Ces taux ne sauraient
cependant être inférieurs à 5 %. Un État peut au maximum choisir deux
catégories parmi celles listées à l'annexe III de la directive. Y figurent : la
fourniture de livres, y compris en location dans les bibliothèques, les
journaux et périodiques, à l'exclusion du matériel consacré entièrement ou
d'une manière prédominante à la publicité. Toujours dans le domaine culturel
et même si cela concerne d'autres éléments que les biens, l'annexe
mentionne également le droit d'admission aux spectacles, théâtres, cirques,
foires, parcs d'attractions, concerts, musées, zoos, cinémas, expositions,
manifestations et établissements culturels similaires ; les prestations de
services fournies par les écrivains, compositeurs et interprètes et les droits
d'auteur qui leur sont dus et la réception de services de radiodiffusion et de
télévision. L'utilisation de ces possibilités permet de faciliter l'accès des
consommateurs aux biens et services visés puisqu'ils deviennent meilleur
marché. Cela constitue également une aide pour les secteurs concernés qui
en principe voient leurs ventes augmenter.

§ 2 - Patrimoine culturel et musées

125. Le droit de l'Union permet aux États non seulement de préserver leurs
os
trésors nationaux (V. infra, n 126 s.) mais aussi, plus largement, de
os
protéger leur patrimoine (V. infra, n 128 s.) et d'apporter des aides
financières à sa conservation et notamment aux musées (V. infra,
os
n 131 s.). Cette action est encadrée par le droit de l'Union qui veille à ce
qu'elle ne remette pas en cause les objectifs liés à la construction d'un
espace commun.

A - Protection des trésors nationaux

126. La protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique,


historique ou archéologique figure parmi les motifs susceptibles d'être
invoqués dans le cadre de l'article 36 du TFUE afin d'autoriser un État à
adopter une mesure restreignant la libre circulation des marchandises
o
(V. supra, n 88). Si les conditions posées par cet article sont respectées
o
(V. supra, n 88), les autorités publiques peuvent donc s'opposer à toute
sortie du territoire d'objets particulièrement importants et symboliques pour
la communauté nationale. Il n'existe aucune définition commune de ce que
recouvre cette notion qualifiée d'« insaisissable Protée » (CONDAMNY,
o
Insaisissable Protée. La notion de trésor national, LPA 5 janv. 1996, n 3). En
conséquence et comme l'a confirmé la Commission, « il appartient à chaque
État membre de déterminer quels sont pour lui les critères permettant
d'identifier des biens culturels qui peuvent être considérés comme ayant le
rang de trésors nationaux » (Communication de la Commission au Conseil
relative à la protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique,
historique ou archéologique dans la perspective de la suppression des
frontières intérieures en 1992, COM [89] 594 final, p. 3). Toutefois, cette
compétence ne peut s'exercer de manière unilatérale et sans un contrôle de
la Communauté (ibid.). Jusqu'ici ce contrôle est resté à l'état de virtualité
puisque cette disposition n'a pas suscité de contentieux.

127. Le droit français a fait le choix d'une lecture ouverte de la notion. Selon
le commissaire du Gouvernement J. Khan, dans ses conclusions sous un
arrêt du Conseil d'État du 12 décembre 1969, Hélie de Talleyrand-Périgord
(CE, 12 déc. 1969, Hélie de Talleyrand-Périgord, Lebon 574 ; AJDA 1970. 34,
concl. Kahn ; JCP 1972. II. 17105, note Mesnard) : « ce qui fait l'intérêt
national d'un ouvrage ou d'une entreprise, c'est, bien plus que la nationalité
de son auteur, l'intérêt que lui porte ou qu'est supposé lui porter la nation.
Les deux choses certes, sont parfois liées… mais elles ne le sont pas d'une
manière assez étroite, assez rigide pour que l'origine de l'œuvre d'art soit
davantage qu'un simple élément de fait dans l'appréciation de l'intérêt qu'elle
présente pour le public ou pour la nation ». Ainsi, une jarre chinoise de
l'époque Yuan a pu être considérée comme un trésor national (CE, 7 oct.
os o
1987, Consorts Genty, req. n 69141 et 80451, Dr. adm. 1987, n 579 ;
AJDA 1987. 768, chron. Azibert et de Boisdeffre, p. 720 ; D. 1988. 269 ; LPA
18 déc. 1987, p. 4, note Moderne) de même qu'un tableau peint en France
par un artiste étranger qui n'était autre que Vincent Van Gogh (CE, 31 juill.
os
1992, Jacques Walter, req. n 111758 , 120276 et 120294, RFDA
1994. 259, note Poli ; JCP 1993. II. 22044, note Brichet).

B - Protection et accès au patrimoine et aux musées

128. À propos d'affaires relatives à la formation des guides touristiques, la


Cour a qualifié de motifs d'intérêt général, au sens de la théorie des raisons
impérieuses d'intérêt général, la conservation du patrimoine historique et
artistique national (CJCE, 26 févr. 1991, Commission c/ Italie, aff. C-
180/89 , Rec. I. 709) ainsi que la valorisation des richesses archéologiques,
historiques et artistiques et la meilleure diffusion possible des connaissances
relatives au patrimoine artistique et culturel (CJCE, 26 févr. 1991,
Commission c/ France, aff. C-154/89 , Rec. I. 659. – CJCE, 26 févr. 1991,
Commission c/ Grèce, aff. C-198/89 , Rec. I. 727). Il résulte cependant de
ces arrêts que ce motif ne permet d'imposer la possession d'une formation
particulière pour les guides que pour les visites dans des musées ou
monuments historiques qui requièrent un guide professionnel spécialisé.
L'exigence d'une telle qualification contrevient au principe de proportionnalité
lorsqu'elle s'applique pour l'ensemble des visites touristiques. La Cour a alors
considéré que la protection du consommateur et du patrimoine culturel est
suffisamment assurée par la présence de guides qui effectuent leurs
prestations dans un groupe fermé de touristes accomplissant un voyage
touristique au départ d'un autre État membre.

129. En matière d'accès aux musées, les États ne peuvent pratiquer des
tarifs différenciés en fonction de la nationalité ou de l'État de résidence des
visiteurs. La Cour a ainsi censuré une mesure italienne qui réservait des
avantages tarifaires aux seuls ressortissants italiens ou aux seuls résidents
âgés de plus de 60 ou 65 ans, et excluait de tels avantages les touristes
ressortissants des autres États membres ou les non-résidents de la même
tranche d'âge (CJCE, 16 janv. 2003, Commission c/ Italie, aff. C-388/01 ,
Rec. I. 721). Une mesure espagnole prévoyant la gratuité notamment pour
les ressortissants espagnols et les étrangers résidant dans le Royaume a
connu le même sort (CJCE, 15 mars 1994, Commission c/ Espagne, aff. C-
45/93 , Rec. I. 911).
130. Pour terminer sur cette question, rappelons que, sur le fondement de
o
l'article 98 de la directive du 28 novembre 2006 (Direct. n 2006/112 du
Conseil, 28 nov. 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur
ajoutée, préc.), les États peuvent instaurer des taux de TVA réduits sur les
droits d'admission aux musées et notamment aux établissements culturels
o
(V. supra, n 124).

C - Aides au patrimoine culturel et aux musées

131. Si le patrimoine peut bénéficier des programmes culturels de l'Union


os
(V. supra, n 36 s.), il peut également faire l'objet d'aides nationales. En
vertu des dispositions de l'article 107, paragraphe 3, d), du TFUE, elles
peuvent être déclarées compatibles avec le marché intérieur (V. supra,
os
n 91 s.).

132. La pratique de la Commission en la matière est tout à fait comparable à


celle qu'elle emploie dans le secteur du livre. Les aides au patrimoine culturel
peuvent bénéficier de l'exception prévue à leur intention dans la mesure où
leurs visées sont essentiellement d'ordre culturel. A ainsi été accepté un
programme d'aide britannique de restauration de monuments historiques ou
de parcs et jardins (Aide NN 95/2002).

133. La Commission a cependant précisé à plusieurs reprises que les


subventions destinées à des activités strictement muséales n'étaient pas des
aides d'État au sens de l'actuel article 107 du TFUE. Cette position résulte
d'une décision relative à une aide française versée à un écomusée consacré à
la culture alsacienne et qui était accompagné d'une structure d'accueil
touristique comprenant un hôtel, deux restaurants et des boutiques
touristiques. Il est apparu que les aides étaient consacrées à des activités
scientifiques dans un cadre muséal. En conséquence, la Commission a
constaté que la subvention intervenait dans un contexte non concurrentiel et
ne devait donc pas être qualifiée d'aide d'État. Si toutefois, elle intervenait
dans un tel contexte, la subvention pourrait toutefois bénéficier de l'actuel
article 107, paragraphe 3, d) (Aide NN 136a/2002).

134. Ce fut le cas avec une aide néerlandaise destinée à un « aviadrome »,


un parc à thème relatif à l'aviation. La mesure visait spécifiquement les
activités muséales qui étaient destinées à préserver l'héritage hollandais
dans le secteur de l'aviation. Toutefois, ces activités étaient envisagées
comme un tremplin pour les activités commerciales alentours. Dès lors, la
Commission, après avoir rappelé qu'un tel dispositif échappe en principe à
l'article 107 du TFUE, constate que dans ce contexte, l'aide concerne de fait
un secteur concurrentiel. Après analyse, elle la déclara cependant compatible
avec le marché intérieur sur le fondement du troisième paragraphe de cet
article au motif qu'elle était destinée à des activités muséales. Une aide
d'État donc mais une aide compatible car portant sur le patrimoine culturel
(Aide N 221/2003).

Art. 2 - Audiovisuel, cinéma, radiodiffusion et musique

135. En principe les émissions audiovisuelles ou radiophoniques quel que


soit leur médium, ainsi que les films cinématographiques relèvent de la libre
o
prestation de services (V. supra, n 80). La réalisation du marché commun
dans ces secteurs est passée à la fois par l'application de la libre circulation
os
et de la libre concurrence (V. infra, n 136 s.) et par une action
os
d'harmonisation (V. infra, n 153 s.).

er
§1 - Application de la libre circulation et de la libre concurrence

A - Libre circulation

136. La Cour a censuré ou encadré de nombreuses mesures jugées


contraires aux libertés de circulation. Elle a également reconnu la légitimité
de dispositifs nationaux justifiés par des raisons impérieuses d'intérêt
général.

137. Les États ne peuvent promouvoir leurs films nationaux au détriment de


ceux des autres États membres. A ainsi été considérée comme
discriminatoire une réglementation espagnole qui conditionnait l'octroi de
licence de doublage aux distributeurs à l'engagement de distribuer des films
ayant la nationalité espagnole (CJCE, 4 mai 1993, Distribuidores
Cinematográficos, aff. C-17/92 , Rec. I. 2239). À l'inverse, la Cour a
accepté un dispositif ultérieur qui apportait une aide aux œuvres
européennes dont la langue originale de production est une des langues
officielles du royaume d'Espagne (CJCE, 5 mars 2009, UTECA, aff. C-
222/07 , Rec. I. 1407). La mesure était justifiée par l'objectif de défendre
et de promouvoir l'une ou plusieurs des langues officielles de l'État membre.
Ce motif a été considéré comme une raison impérieuse d'intérêt général.
Autrement dit, le critère linguistique est accepté tandis que celui de la
nationalité ne l'avait pas été.

138. La préservation de la cinématographie a conduit la Cour à reconnaître


la légalité d'une mesure française prévoyant un échelonnement dans le
temps des modes de diffusion des œuvres (diffusion en salles, en vidéos et à
la télévision) (CJCE, 11 juill. 1985, Cinéthèque c/ Fédération nationale des
cinémas français, aff. jointes 60 et 61/84, Rec. 2605). Les juges ont accueilli
favorablement l'argumentaire de la France selon lequel la mesure litigieuse
retardant la diffusion par cassettes visait à protéger l'exploitation en salles
jugée essentielle pour la production cinématographique. Un dispositif
similaire avait d'ailleurs été instauré dans la première version de la directive
os
TSF (V. infra, n 154 s.). Il a disparu par la suite.

139. La Cour a jugé illégale une réglementation belge qui instaurait une taxe
sur les antennes paraboliques et qui ne pesait pas sur les émissions
transmises par câble. Elle en a conclu qu'une telle taxe est de nature à gêner
davantage les activités des opérateurs actifs dans le domaine de la
transmission télévisuelle établis dans d'autres États membres tandis qu'elle
assure un avantage aux activités internes à la Belgique (CJCE, 29 nov. 2001,
De Coster, aff. C-17/00 , Rec. I. 9445).

140. La Cour a aussi précisé que l'attribution des radiofréquences doit


s'effectuer sur la base de critères objectifs, transparents, non
discriminatoires et proportionnés (CJCE, 31 janv. 2008, Centro Europa 7, aff.
C-380/05, Rec. I. 349).

141. Les politiques culturelles qui visent à maintenir un régime de


radiodiffusion pluraliste et non commercial poursuivent un objectif d'intérêt
général (CJCE, 26 avr. 1988, Bond van Adverteerders, aff. 352/85,
Rec. 2085). La Cour considère d'ailleurs que de telles politiques sont liées à
la liberté d'expression (CJCE, 25 juill. 1991, Collectieve Antennevoorziening
Gouda, aff. C-288/89 , Rec. I. 4007). Un tel objectif peut donc justifier des
mesures nationales constitutives d'entrave.

142. Il n'autorise cependant pas toutes les pratiques. Une réglementation


néerlandaise cherchait à préserver les ressources de l'entité chargée de
veiller au respect de cet objectif d'intérêt général en interdisant la diffusion
de programmes en provenance d'autres États membres lorsque ces
programmes comportaient des messages publicitaires destinés au public
hollandais. Elle a été considérée comme une restriction interdite. La Cour a
constaté que la mesure litigieuse imposait des conditions discriminatoires au
détriment des diffuseurs installés dans d'autres États membres (CJCE,
26 avr. 1988, Bond van Adverteerders, préc.). Cette législation a été
modifiée par la suite mais de manière insuffisante pour satisfaire aux règles
de la libre prestation de services. Les émissions en provenance des autres
États membres ne sont plus prohibées mais la « Mediawet », selon la
dénomination de la nouvelle mesure, imposait des conditions très strictes en
matière de publicité portant sur la structure des organismes émetteurs et le
contenu des messages. Ces obligations pesaient à la fois sur les émetteurs
nationaux et communautaires. L'absence de discrimination n'a pas empêché
les juges de décider de l'illégalité de la mesure. S'ils reconnaissaient la
légitimité de l'objectif poursuivi, à savoir le pluralisme, ils ont estimé que les
mesures mises en œuvre ne présentaient aucun caractère de nécessité pour
atteindre celui-ci. La « Mediawet » ne pouvait donc être justifiée sur le
fondement de la théorie des raisons impérieuses d'intérêt général (CJCE,
25 juill. 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda, préc.). Une seconde
affaire jugée le même jour censura un autre aspect de la « Mediawet ». Il
s'agissait, toujours au nom de la défense du pluralisme, d'obliger les
organismes ayant obtenu du temps d'antenne sur le réseau national de
radiodiffusion à employer les moyens techniques d'une entité créée par les
Pays-Bas, le Bedrifj. Les ressources fournies à ce dernier devaient contribuer
à la défense du pluralisme. Toutefois, là aussi, la Cour constata l'absence
d'un lien de nécessité entre l'objectif poursuivi et le contenu de la mesure
(CJCE, 25 juill. 1991, Commission c/ Pays-Bas, aff. C-353/89 ,
Rec. I. 4069).

143. L'appréciation portée sur la « Mediawet » n'a cependant pas été


entièrement négative puisque par le biais de deux arrêts, plusieurs des
moyens mis au service du pluralisme ont été validés par la Cour. Ce fut le
cas d'une mesure qui restreignait la liberté de prestation de services et la
libre circulation des capitaux. Cette législation empêchait les organismes
nationaux d'exercer des activités étrangères aux missions qui leur sont
assignées par la loi ou qui pourraient mettre en péril les objectifs de celle-ci.
Il s'agissait, plus précisément, de s'assurer notamment que les moyens
financiers dont disposaient ces organismes pour assurer le pluralisme dans le
secteur audiovisuel ne soient pas détournés de cette destination et utilisés à
des fins purement commerciales. Cette législation interdisait donc leur
participation au capital d'une société de radiodiffusion établie ou allant
s'établir dans un autre État membre, la fourniture à celle-ci d'une garantie
bancaire, l'élaboration d'un « businessplan » ou encore le fait de donner des
conseils juridiques à une société de télévision à créer dans un autre État
membre, lorsque ces activités sont orientées vers la création d'une station de
télévision commerciale destinée à atteindre en particulier le territoire
hollandais. Ces dispositions sont autorisées par la Cour dans la mesure où
elles s'avèrent nécessaires pour garantir le caractère pluraliste et non
commercial du système audiovisuel (CJCE, 3 févr. 1993, Veronica Omroep
Organisatie, aff. C-148/91 , Rec. I. 487). Dans un arrêt ultérieur, la Cour a
également estimé que le droit du marché commun ne s'opposait pas à ce que
la loi néerlandaise sur les médias assimile à un organisme de radiodiffusion
nationale, un organisme dont les activités sont entièrement et principalement
tournées vers le territoire de cet État (CJCE, 5 oct. 1994, TV10, aff. C-23/93,
Rec. I. 4795). Une telle assimilation permet d'éviter les fraudes et de
préserver les objectifs du législateur.

144. Les juges se sont également intéressés à une législation belge qui
imposait aux cablôdistributeurs actifs sur son territoire de diffuser certains
programmes émis par des organismes privés de radiodiffusion relevant des
pouvoirs publics nationaux. La mesure visait à préserver le caractère
pluraliste de l'offre des programmes de télévision dans la région bilingue de
Bruxelles-capitale. La Cour reconnaît là aussi la légitimité de l'objectif
poursuivi. Elle précise cependant que la mesure ne sera proportionnée que si
le choix des organismes qui vont produire les programmes bénéficiant d'une
obligation de diffusion repose sur une procédure transparente fondée sur des
critères objectifs, non discriminatoires et connus à l'avance. Elle cherche
ainsi à éviter que les autorités nationales ne puissent remettre en cause une
liberté communautaire, ici l'actuel article 56 du TFUE, de manière
discrétionnaire (CJCE, 13 déc. 2007, United Pan-Europe Communications
Belgium E.A., aff. C-250/06, Rec. I. 11135). Par la suite, la Cour a été
conduite à réexaminer la mesure litigieuse dans le cadre d'un recours en
manquement (CJUE, 3 mars 2011, Commission c/ Belgique, aff. C-134/10 ,
Rec. I. 1053). Elle a décidé que le texte ne répondait pas aux critères qu'elle
avait fixés et, qu'en outre, il contrevenait au principe de transparence au
er o
sens de l'article 31, paragraphe 1 , de la directive n 2002/22 (Direct.
o
n 2002/22 du Parlement européen et du Conseil, 7 mars 2002, JOCE,
o
n L 108, 24 avr., concernant le service universel et les droits des utilisateurs
au regard des réseaux et services de communications électroniques).

ACTUALISATION
144. Directive « service universel ». - Selon la directive
o
n 2002/22/CE, les États membres doivent assurer le raccordement, en
position déterminée, à un réseau de communications public. Cette
obligation exclut les services de communications mobiles ainsi que les
services d'abonnements internet fournis au moyen des services de
communication mobiles. La Cour juge que les termes « en position
déterminée » s'opposent au terme « mobile » (CJUE, 11 juin 2015, Base
Company NV et Mobistar NV c/ Ministerraad, aff. C-1/14, D. 2015.
1321 ; Dalloz actualité, 9 juill. 2015, obs. T. S.).
Initiative citoyenne européenne (ICE) Le Tribunal de l'Union, par un
arrêt rendu le 10 mai 2016, confirme le refus d'enregistrement d'une ICE
relative à la politique de cohésion en faveur des minorités nationales
(Trib. UE, 10 mai 2016, Balazs-Arpad Izsak et Attila Dabis c/
Commission, aff. T-529/13, Dalloz actualité, 2 juin 2016, obs. E. Autier).

145. Le droit de l'Union porte une attention particulière aux systèmes


o
nationaux de radiodiffusion publique. Le protocole n 29 annexé au Traité
leur est consacré. Il affirme que « la radiodiffusion de service public dans les
États membres est directement liée aux besoins démocratiques, sociaux et
culturels de chaque société ainsi qu'à la nécessité de préserver le pluralisme
dans les médias ». En conséquence, les États ont convenu d'un ensemble de
dispositions interprétatives : ils ont prévu que « les dispositions des traités
sont sans préjudice de la compétence des États membres de pourvoir au
financement du service public de radiodiffusion dans la mesure où ce
financement est accordé aux organismes de radiodiffusion aux fins de
l'accomplissement de la mission de service public telle qu'elle a été conférée,
définie et organisée par chaque État membre et dans la mesure où ce
financement n'altère pas les conditions des échanges et de la concurrence
dans l'Union dans une mesure qui serait contraire à l'intérêt commun, étant
entendu que la réalisation du mandat de ce service public doit être prise en
compte ». La portée du protocole est nécessairement limitée puisque,
contrairement à ce qu'implique en principe ce type de norme, il n'a pas de
valeur contraignante. Son caractère interprétatif implique une forme de
bienveillance de la part des institutions. Il ne les autorise pas pour autant à
contrevenir aux libertés de circulation ou aux règles de la concurrence.

146. Ainsi, le droit du marché commun ne s'oppose pas à l'attribution d'un


monopole dans le domaine de la télévision pour des considérations d'intérêt
public non économique. Toutefois, comme en a jugé la Cour à propos de
l'ERT (Elliniki Radiophonia Tiléorassi), « les modalités d'organisation et
l'exercice d'un tel monopole ne doivent pas porter atteinte aux dispositions
du traité en matière de libre circulation des marchandises et des services
ainsi qu'aux règles de concurrence ». L'existence d'effet discriminatoire à
l'encontre d'émissions en provenance d'autres États membres sera ainsi
prohibée (CJCE, 18 juin 1991, ERT, aff. C-260/89 , Rec. I. 2925).

B - Libre concurrence

1° - Aides
147. De nombreux États ont mis en place des systèmes d'aide à leur
cinématographie nationale ou à l'audiovisuel. En la matière, la France fait
d'ailleurs véritablement figure de paradigme. La Commission a tenu compte
des enjeux culturels et a adopté une attitude compréhensive à l'égard de ce
type d'aide. Dans une communication du 26 septembre 2001 consacrée à
cette catégorie d'aide (Communication de la Commission au Conseil et au
Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des
régions concernant certains aspects juridiques liés aux œuvres
cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles, 26 sept. 2001, COM
[2001] 534 final), elle reconnaît que « l'encouragement de la production
audiovisuelle [qui comprend ici le septième art] par les États membres joue
un rôle clé pour assurer que leur propre culture et leur capacité créatrice
puissent trouver à s'exprimer, reflétant ainsi la diversité et la richesse de la
culture européenne ». Puis le texte précise les lignes directrices présidant à
l'appréciation des aides. La Commission commence par examiner leur
conformité à la légalité générale de l'Union européenne. Les dispositifs
doivent respecter les principes du Traité, notamment l'interdiction des
discriminations. Elle vérifie ensuite si les critères qu'elle avait déjà énoncés
dans une décision du 3 juin 1998 relative au régime français d'aide
automatique (Décis. de la Commission, 3 juin 1998, telle que modifiée le
29 juillet 2008, relative au soutien français à la production
o
cinématographique, aide N 3/98, JOCE, n C 279, 8 sept.) sont remplis. Ils
o
s'organisent autour de quatre éléments : 1 le caractère culturel de l'œuvre,
o
déterminé selon des critères nationaux vérifiables ; 2 les conditions de
territorialisation ne doivent pas porter sur plus de 80 % du budget du film ;
o
3 l'intensité de l'aide doit en principe être limitée à 50 % du budget de
production afin de stimuler les incitations commerciales propres à une
économie de marché et d'éviter la surenchère entre États membres, les films
o
difficiles et à petit budget sont toutefois exemptés de cette limite ; 4 les
suppléments d'aide pour certaines activités spécifiques (la postproduction
par exemple) doivent être évités afin de garantir que l'aide ait un effet
neutre et par conséquent que l'effet de protection/d'attraction de ces
activités spécifiques soit évité. Ces critères laissent aux États une marge de
manœuvre appréciable et témoignent du souci de permettre la promotion
des industries audiovisuelles et cinématographiques nationales. S'il était
prévu de revenir sur ces critères à partir de 2007, ils restent cependant
inchangés à ce jour (V. Communication de la Commission concernant la
prolongation de la validité de la communication sur le suivi de la
communication de la Commission concernant certains aspects juridiques liés
aux œuvres cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles
o
[Communication cinéma] du 26 sept. 2001, JOUE, n C 134, 16 juin 2007 et
o
JOUE, n C 31, 7 févr. 2009).

148. En application des critères qui viennent d'être présentés, la


Commission a jugé que le régime français d'aide automatique était
compatible avec le marché commun. Elle s'est, entre autres, prononcée dans
le même sens pour les systèmes d'aide mis en place par l'Allemagne, tant en
ce qui concerne l'État fédéral (Décis. de la Commission, 21 avr. 1999, aide
o
N 4/98, JOCE, n C 272, 25 sept., p. 4, relative à l'Allemagne) que certains
Länder (Aide N 693/2001, Hambourg ; Aide N 782/2001, Baden-
Württemberg ; Aide N 733/2002 Schleszuig-Holstein et Aide N 44/200,
Nordrhein-Westfalen) ; l'Autriche (Aide N 513/2003) ; la Belgique (Aide
N 410/2002) et la Communauté flamande (Aide N 687/200) ; le Danemark
(Aide N 486/2001) ; Chypre (Aide N 580/2008) ; plusieurs régions
espagnoles (Aide N 325/2002, Andalousie et Aide N 698/2001,
Extremadura ; Aide N 108/2009, Valence) ; la Finlande (Aide N 777/2001) ;
l'Irlande (Décis. de la Commission relative au régime irlandais de prêt en
faveur des productions cinématographiques et télévisuelles, N 32/97 JOCE,
o
n C 111, 9 avr. 1998, p. 18) ; plusieurs régions italiennes (Aide
N 170/2010, Toscane, Aide N 60/2008, Sardaigne) ; la Lituanie
(N 170/2010) ; les Pays-Bas (Décis. de la Commission relative au soutien à
o
la production cinématographique par les Pays-Bas n 486/97, JOCE,
o er
n C 120, 1 mai 1999, p. 2) ; la Roumanie (N 303/2010) et le Royaume-Uni
pour le pays de Galles (Aide N 753/2002, pays de Galles).

149. Des systèmes d'aides peuvent également être instaurés pour soutenir
les services publics de radiodiffusion. La bienveillance est également de mise,
o os
elle est d'ailleurs prescrite par le protocole n 29 (V. supra, n 145 s.). La
Commission a systématisé sa pratique dans plusieurs communications dont
la plus récente date de 2009 (Communication de la Commission concernant
l'application aux services publics de radiodiffusion des règles relatives aux
o
aides d'État, JOUE, n C 257, 27 oct. 2009, p. 1-14). Ces aides peuvent
profiter des dispositions de l'actuel article 107, paragraphe 3, d) (V. supra,
os
n 91 s.). Il faut cependant qu'elles concernent une mission spécifiquement
culturelle (Aide NN 70/98). On retrouve une exigence similaire pour les
os
autres domaines culturels (V. supra, n 118 s. et 131 s.). La Commission a
précisé que la dérogation culturelle ne peut être appliquée que lorsque le
produit est clairement identifié ou identifiable (Aide NN 70/98). La notion de
culture doit être appliquée à la nature du produit en question et non au
support utilisé ou à sa distribution en elle-même (Aide N 458/2004). Les
besoins éducatifs et démocratiques des sociétés des États membres sont par
ailleurs considérés comme n'entrant pas dans le champ de cette dérogation
(Aide NN 70/98). Dans les faits, les aides en faveur des diffuseurs n'opèrent
que très rarement de distinction entre ces besoins et l'aspect strictement
culturel. Elles ne profitent donc généralement pas de cette dérogation.

150. En pratique toutefois, la légalité de ces subventions n'est que rarement


analysée à l'aune des dispositions de l'article 107 du TFUE. Si elles
correspondent à des compensations pour missions de service public, elles
sont examinées sur la base de leur conformité aux dispositions de l'article
106, paragraphe 2, du TFUE (V. Service public [Eur.]). Celui-ci permet de
considérer ce type de compensations comme conformes au marché commun.
La distinction avec une aide d'État s'effectue en fonction des critères énoncés
par le célèbre arrêt Altmark (CJCE, 24 juill. 2003, Altmark Trans et
Regierungspräsidium Magdeburg, aff. C-280/00 , Rec. I. 7747) et révisés
par le paquet Almunia applicable depuis le 31 janvier 2012. Si l'on ajoute à
ces critères les précisions apportées par la communication de 2009
o
(V. supra, n 149), les conditions suivantes doivent être remplies. Il faut tout
d'abord vérifier que le radiodiffuseur se soit bien vu confier une mission de
service public, qui vise, selon les termes du protocole, à répondre aux
« besoins démocratiques, sociaux et culturels de chaque société ». Sur ce
point, la Commission se limite à exercer un contrôle de l'erreur manifeste
d'appréciation sur le contenu de la mission. Elle a également précisé que ce
service public pouvait prendre la forme de service payant sur des
plateformes de diffusion à condition que l'élément payant ne porte pas
atteinte au caractère distinctif du service public. Elle exige aussi que les
radiodiffuseurs concernés n'exercent pas d'activités susceptibles d'entraîner
des distorsions de concurrence excessives qui ne sont pas nécessaires à
l'accomplissement de la mission de service public. Il est nécessaire que cette
mission soit fondée sur un acte officiel. Pour la Commission, il est
souhaitable qu'un organe de contrôle soit mis en place afin de vérifier la
bonne exécution des tâches imparties. Le mode de financement est laissé au
libre choix des États membres. Le montant des subventions doit se contenter
de couvrir les coûts supplémentaires générés par l'accomplissement de la
mission de service public. Ces subventions peuvent cependant être
légèrement plus élevées à condition que le dépassement n'excède pas 10 %
du total de ces coûts. Ce supplément est considéré comme nécessaire afin de
compenser les variations des charges et des recettes susceptibles
d'intervenir Les coûts générés par l'accomplissement des missions de service
public doivent être précisément définis et des comptes leur être
spécifiquement consacrés. Les États sont soumis en la matière à une
obligation de transparence.

2° - Concentrations
151. Une règle particulière s'applique aux concentrations touchant aux
o
médias. Le règlement relatif aux concentrations (Règl. n 139/2004 du
o
Conseil, 20 janv. 2004, JOUE, n L 24, 29 janv., relatif au contrôle des
concentrations entre entreprises) prévoit en la matière une réserve de
compétence au bénéfice des États. En principe, la Commission dispose de la
compétence exclusive pour arrêter les décisions concernant les
concentrations entrant dans le champ d'application du droit de l'Union.
Toutefois, l'article 21 prévoit que « les États membres peuvent prendre les
mesures appropriées pour assurer la protection d'intérêts légitimes autres
que ceux qui sont pris en considération par le présent règlement et
compatibles avec les principes généraux et les autres dispositions du droit
communautaire ». Parmi ces intérêts légitimes figure, entre autres, la
préservation de la pluralité des médias.

152. Pour autant, lorsqu'il revient à la Commission de contrôler des


concentrations dans le domaine des médias et de l'audiovisuel, elle leur
applique les règles générales. C'est ce que montre l'exemple du rachat par
Vivendi et sa filiale Canal + de la société Seagram spécialisée dans le
domaine des boissons, des films et de la musique. Lors de son enquête, la
Commission a déterminé que trois marchés étaient touchés par la transaction
prévue : télévision à péage, portail internet et distribution de musique en
ligne. La transaction envisagée renforçait la position dominante de Canal +
sur certains marchés nationaux de la télévision à péage en lui donnant un
accès quasi exclusif au catalogue détenu par Universal. L'accès à ce
catalogue était également susceptible de créer une position dominante au
profit de Vizzavi, le portail internet du groupe Vivendi en matière de
distribution musicale et audiovisuelle sur internet. En conséquence, la
Commission s'était dans un premier temps prononcée contre la
concentration. Cette opposition a été levée suite à des concessions
proposées par Vivendi. En premier lieu, en ce qui concerne l'accès « en
première fenêtre » aux droits des films d'Universal par Canal +, c'est-à-dire
la possibilité de réaliser la première diffusion télévisuelle de ces films,
Vivendi a proposé de limiter cet accès à 50 % des films pour les territoires où
Canal + est actif. En second lieu, en matière d'accès à un catalogue, Vivendi
a fait part de son intention de procéder à un désinvestissement de sa
participation dans la compagnie britannique BSkyB, qui possède un lien avec
le studio américain Fox. D'après la Commission, ces engagements
éliminaient, d'une part, les doutes sérieux quant au renforcement d'une
position dominante de Canal + après son intégration verticale avec Universal
et, d'autre part, réduisaient ses possibilités d'influence sur les autres studios
de production américains. En troisième lieu, pour la distribution par internet,
Vivendi proposait à tous un accès non discriminatoire, en termes de prix et
de conditions contractuelles, au catalogue Universal, sur la base d'un accord
de cinq ans renouvelable après trois ans. Cet engagement finit de dissiper les
doutes de la Commission. Dès lors, au vu des réserves proposées par
Vivendi, la Commission a accepté l'opération de concentration (Décis. de la
o
Commission, 13 oct. 2000, JOCE, n C 311, 31 oct., déclarant la compatibilité
avec le marché commun d'une concentration [aff. N IV/M.2050 - 3*
VIVENDI/CANAL+/SEAGRAM]). Cette décision, appliquant les principes
présidant au contrôle des concentrations, illustre la volonté de cette
institution de concilier des soucis de compétitivité et de maintien du
pluralisme des acteurs, deux préoccupations inhérentes au droit des
concentrations.

§ 2 - Harmonisations

153. Le septième art a été le premier secteur lié à l'audiovisuel à faire l'objet
d'une harmonisation. Quatre directives ont été adoptées entre 1963 et 1970.
Elles ont pour objectif d'accélérer l'intégration économique de ce secteur en
éliminant les entraves spécifiques au milieu du cinéma. La première directive
s'intéresse à l'application de la libre prestation de services aux films (Direct.
o o
n 63/607 du Conseil, 15 oct. 1963, JOCE, n 159, 2 nov. 1963, en vue de la
mise en œuvre des dispositions du Programme général pour la suppression
des restrictions à la libre prestation des services en matière de
cinématographie) et les suivantes à la suppression des restrictions à la
liberté d'établissement et à la libre prestation de services pour les personnes
o o
(Direct. n 65/264 du Conseil, 13 mai 1965, JOCE, n L 85, 19 mai 1965, en
vue de la mise en œuvre des dispositions des programmes généraux pour la
suppression des restrictions à la liberté d'établissement et à la libre
o
prestation des services en matière de cinématographie. – Direct. n 68/369
o
du Conseil, 15 oct. 1968, JOCE, n L 260, 22 oct., concernant la réalisation
de la liberté d'établissement pour les activités non salariées de distribution
o o
de films. – Direct. n 70/451 du Conseil, 29 sept. 1970, JOCE, n L 218,
3 oct., concernant la réalisation de la liberté d'établissement et de la libre
prestation des services pour les activités non salariées de production de
films). Ces directives ont été abrogées par les directives du 7 juin 1999
o
(Direct. n 1999/42 du Parlement européen et du Conseil, 7 juin 1999, JOCE,
o
n L 201, 31 juill., instituant un mécanisme de reconnaissance des diplômes
pour les activités professionnelles couvertes par les directives de
libéralisation et portant mesures transitoires, et complétant le système
général de reconnaissance des diplômes) et du 7 septembre 2005 (Direct.
o
n 2005/36 du Parlement européen et du Conseil, 7 sept. 2005, JOUE,
o
n L 255, 30 sept., relative à la reconnaissance des qualifications
professionnelles).

154. Par la suite, c'est le secteur de l'audiovisuel proprement dit qui a connu
une harmonisation avec les très importantes directives dites « TSF » (pour
Télévision sans frontières), puis « SMA » (pour Services de médias
o
audiovisuels). La première est adoptée en 1989 (Direct. n 89/552 du
o
Conseil, 3 oct. 1989, JOCE, n L 298, 17 oct., visant à la coordination de
certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des
États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle).
Il s'agit à la fois de supprimer les entraves et d'adopter des règles
communes dans le domaine de la radiodiffusion télévisuelle. Elle est modifiée
o
par une deuxième directive en date du 30 juin 1997 (Direct. n 97/36 du
o
Parlement européen et du Conseil, 30 juin 1997, JOCE, n L 202, 30 juill.
o
1997, modifiant la directive n 89/552 du Conseil visant à la coordination de
certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des
États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle).
Le 11 décembre 2007, les autorités communautaires édictent un nouveau
o
texte (Direct. n 2007/65 du Parlement européen et Conseil, 11 déc. 2007,
o o
JOUE, n L 332, 18 déc., modifiant la directive n 89/552 du Conseil visant à
la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et
administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de
radiodiffusion télévisuelle). Il est désormais question de directive « SMA »
(V. Audiovisuel [Eur.]). Ce changement terminologique traduit la volonté de
prendre en compte les transformations technologiques. Ces services sont
définis comme ceux qui relèvent « de la responsabilité éditoriale d'un
fournisseur de services de médias et dont l'objet principal est la fourniture de
programmes dans le but d'informer, de divertir ou d'éduquer le grand
public ». Il s'agit soit d'une émission télévisée, soit d'un service de médias
audiovisuels à la demande et/ou encore d'une communication commerciale
audiovisuelle. Le medium employé, câble, internet, satellite, etc., n'importe
pas.

155. Le premier objectif du dispositif consiste à éliminer les obstacles à la


libre circulation des émissions audiovisuelles. Pour ce faire, il instaure le
principe du pays d'origine qui fait peser sur l'État membre d'où provient la
transmission la responsabilité exclusive de vérifier la conformité de l'émission
à la réglementation. Une transmission relève d'un État membre si elle est
effectuée par un organisme établi sur son territoire ou si elle utilise une
liaison, une fréquence… accordée par les autorités nationales. L'État de
destination ne peut en principe s'opposer à la transmission et doit assurer la
liberté de réception. Ainsi, la mise en place ou le maintien d'un contrôle des
émissions par l'État d'accueil a-t-il été jugé contraire à l'article 2 de la
directive (CJCE, 10 sept. 1996, Commission c/ Belgique, aff. C-11/95 , Rec.
I. 4115. – CJCE, 29 mai 1997, Denuit, aff. C-14/96 , Rec. I. 2785).

156. Les États d'accueil ne sont cependant pas dépourvus de toute marge de
manœuvre. Ils peuvent en effet s'opposer à la transmission d'une émission à
condition de respecter le cadre énoncé aux paragraphes 4, 5 et 6 de l'article
2 bis de la directive du 11 décembre 2007 (préc.). Il faut tout d'abord que le
service visé porte atteinte ou présente un risque sérieux et grave d'atteinte à
l'un des objectifs énumérés par le texte : ordre public (en particulier la
prévention et les enquêtes et poursuites en matière d'infractions pénales,
notamment la protection des mineurs et la lutte contre l'incitation à la haine
fondée sur la race, le sexe, la religion ou la nationalité et contre les atteintes
à la dignité de la personne humaine), santé publique, sécurité publique et
protection des consommateurs. La mesure nationale doit également s'avérer
nécessaire et proportionnée. Sauf en cas d'urgence, l'État qui désire adopter
la mesure restrictive doit préalablement demander à l'État d'origine de
prendre des mesures contre le service litigieux. En l'absence de réaction
satisfaisante de ce dernier, l'État d'accueil peut alors adopter ses propres
mesures à condition qu'il en notifie préalablement le contenu à l'État
d'origine et à la Commission. Par ailleurs, les États restent libres d'imposer
des règles de diffusion plus strictes aux organismes nationaux ou aux
émissions exclusivement destinées à leur territoire, par exemple en
interdisant la publicité en faveur du secteur de la distribution (CJCE, 9 févr.
1995, Leclerc-Siplec, aff. C-412/93 , Rec. I. 179). Il a également été admis
qu'ils puissent prendre des mesures à l'encontre de la publicité trompeuse à
condition que cela n'empêche pas la retransmission sur leur territoire des
émissions en provenance des autres États (CJCE, 9 juill. 1997, De Agostini et
TV-Shop, aff. jointes C-34/95 et autres, Rec. I. 3843).

157. Les directives poursuivent également des objectifs d'intérêt général.


Tout d'abord, la diffusion des publicités est régulée afin de veiller à préserver
l'intégrité des programmes. Toutefois, cet objectif semble largement tenir du
vœu pieux tant la marge de manœuvre offerte aux réglementations
nationales est importante. Depuis la directive SMA, il n'existe plus de
limitation quotidienne à la durée des interruptions publicitaires, ni au nombre
de fenêtres de télé-achat. Il n'existe qu'une durée minimale entre chaque
coupure et qui est en principe de 30 minutes. Le placement de produits reste
en principe interdit. Cette prohibition souffre cependant de telles dérogations
qu'elle est peu effective. Sauf opposition d'un État, le placement est admis
pour les films, téléfilms, séries et les programmes sportifs et de
divertissement. De manière générale, le contenu de la publicité est encadré.
Sont notamment interdites les publicités comportant des discriminations ou
encore des encouragements à des comportements préjudiciables à la santé,
à la sécurité ou à l'environnement. Plus spécifiquement, les publicités
relatives au tabac et aux traitements médicaux sont prohibées et celles
portant sur l'alcool ou à destination des mineurs doivent répondre à certains
critères. L'existence de ces harmonisations substantielles interdit à un État
d'accueil d'adopter des mesures de protection générale puisque cela
reviendrait à instaurer un double contrôle (CJCE, 9 juill. 1997, De Agostini et
TV-Shop, aff. jointes C-34/95 et autres, Rec. I. 3843).

158. Les autorités de l'Union ont ensuite cherché à promouvoir ou à protéger


er
la production européenne. L'article 1 de la directive SMA (préc.) définit les
œuvres européennes comme celles qui sont originaires d'un État membre,
d'un État partie à la convention européenne sur la télévision transfrontière et
celles qui sont coproduites dans le cadre d'un accord passé entre la
Communauté et des États tiers. Pour les services linéaires, c'est-à-dire ceux
qui n'entrent pas dans la catégorie des services à la demande, la directive
prévoit, depuis sa première mouture, que les œuvres européennes
bénéficient d'un système de quota non contraignant. Ainsi, les États
« veillent, chaque fois que cela est réalisable, à ce qu'une part majoritaire du
temps de diffusion soit réservée à ces œuvres ». Parmi ces œuvres et selon
le même principe, au moins 10 % du temps d'antenne ou 10 % du budget de
programmation doivent être réservés aux productions indépendantes. La
directive prévoit également que les États membres veillent à ce que les
services non linéaires promeuvent la production et l'accès aux œuvres
européennes, lorsque cela est réalisable et par des moyens appropriés. Pour
ces services, il n'existe aucune disposition relative aux œuvres
indépendantes.

159. Enfin, la directive SMA octroie des droits au public. L'article 3 bis
prévoit que les fournisseurs de services puissent être facilement identifiés et
que leurs coordonnés soient accessibles. L'article 3 duodecies instaure
également un droit aux brefs reportages d'actualité pour les événements
d'un grand intérêt public. Il s'agit d'éviter que l'existence de droits exclusifs
n'entraîne une restriction trop grande du droit à l'information.

Art. 3 - Artistes et personnels de la culture

160. Suivant qu'ils soient ou non salariés, les artistes peuvent bénéficier de
la libre circulation des travailleurs ou de la liberté d'établissement (V. supra,
o
n 81). Leurs prestations ponctuelles relèvent de la libre prestation de
o
services (V. supra, n 80). Cela implique notamment que les États et bien
entendu leurs collectivités ne puissent réserver à leurs nationaux la
participation à des marchés publics liés à la culture, en l'espèce et
notamment la location d'un local pour vendre des œuvres (CJCE, 18 juin
1985, Steinhauser c/ Ville de Biarritz, aff. 197/84, Rec. 1819).

161. En droit français, les artistes bénéficient d'une présomption de salariat


difficilement réfragable (C. trav., art. L. 7121-3). Le droit de l'Union a
entraîné une remise en cause limitée de ce système. Si la protection sociale
des artistes est considérée comme un objectif légitime, la Cour a estimé en
revanche que dans le cadre d'une prestation de service dont la durée ne
dépassait pas douze mois et qui était effectuée par un artiste en provenance
d'un autre État membre, celui-ci devait pouvoir choisir entre un statut de
salarié ou d'indépendant ainsi que son assujettissement à un régime de
sécurité sociale donnée (CJCE, 30 mars 2000, Banks E.A., aff. C-178/97 ,
Rec. I. 2005. – CJCE, 15 juin 2006, Commission c/ France, aff. C-255/04 ,
Rec. I. 5251).

162. Les règles liées aux bureaux de placement ont également dû être
modifiées du fait du droit de l'Union. La France exige la possession d'une
licence pour ce type d'activité. Elle est le dernier État à avoir maintenu cette
pratique. Aux termes d'un arrêt du 18 janvier 1979 (CJCE, 18 janv. 1979,
Ministère public et autres c/ Van Wesemael, aff. jointes 110 et 111/78,
Rec. 35), la Cour a jugé que pour être légale, une telle réglementation ne
doit pas imposer aux bureaux originaires d'un autre État membre la
possession d'une licence nationale ou d'un titre national équivalent. Elle ne
doit pas non plus obliger ces bureaux à passer par un bureau national
titulaire d'une licence. Dans une jurisprudence ultérieure (CJCE, 15 juin
2006, Commission c/ France, préc.), les juges de Luxembourg ont estimé
que la disposition qui, en France, soumettait la délivrance d'une licence à la
nécessité de répondre aux besoins de placement des artistes sur le marché
du travail était une entrave illicite. Elle avait d'ailleurs été supprimée à titre
o
préventif (L. n 2005-32 du 18 janv. 2005, JO 19 janv.), peu après la saisine
de la Cour.

163. L'Allemagne percevait une taxe sur les entreprises qui exploitent des
maisons d'édition, de presse et autres ainsi que des agences de presse et
dont l'assiette reposait sur les rémunérations des artistes et journalistes
indépendants, que ceux-ci travaillent ou résident ou non en République
fédérale et qu'ils soient ou non couverts par son système social. Cette
contribution était destinée à couvrir une partie du financement du régime de
sécurité sociale de ces derniers. Dans la mesure où la taxe s'applique de
manière uniforme à l'ensemble des entreprises concernées et que la
localisation de l'artiste ou du journaliste n'emporte pas de conséquence sur
le niveau de contribution, la mesure litigieuse n'incite pas les entreprises
nationales à favoriser les personnes situées sur leur territoire et n'est donc
pas contraire aux exigences de la liberté d'établissement et de la libre
prestation de service (CJCE, 8 mars 2001, Commission c/ Allemagne, aff. C-
68/99 , Rec. I. 1865).

164. À l'inverse, a été considérée comme partiellement illégale une mesure


allemande qui opérait certaines discriminations entre résidents et non-
résidents en matière d'imposition des revenus perçus au titre de prestations
artistiques, sportives ou similaires sur le territoire national ou au titre de
l'exploitation de ces prestations sur ce même territoire. Les revenus des
premiers étaient soumis à un barème progressif incluant une tranche de base
non imposable et il était possible de déduire des frais professionnels des
revenus imposables. Les seconds, quant à eux, voyaient leurs revenus
prélevés à la source selon un taux fixe de 25 %. Il leur était impossible de
déduire leurs frais professionnels. Dans son arrêt du 12 juin 2003 (CJCE,
12 juin 2003, Gerritse, aff. C-234/01 , Rec. I. 5933), la Cour commence
par rappeler que les discriminations fiscales entre résidents et non-résidents
sont acceptables dans la mesure où il existe des différences objectives de
situation entre les deux. En l'espèce, la Cour estime que la discrimination en
matière de déductibilité n'est pas justifiée. En revanche, elle décide que la
distinction de taux est acceptable. Elle précise toutefois que le taux de 25 %
ne doit pas être supérieur à celui qui serait effectivement appliqué à un non-
résident, selon le barème progressif, aux revenus nets majorés du montant
correspondant à la tranche de base non imposable.

165. Enfin, la Cour s'est attachée à réaliser la libre circulation des personnes
dans le domaine des formations artistiques. Les États ne peuvent réserver le
bénéfice d'une bourse d'études aux ressortissants d'un nombre limité d'États
membres et doivent l'étendre à tous (CJCE, 27 sept. 1988, Matteucci
c/ Communauté française de Belgique, aff. 235/87, Rec. 5589).

Art. 4 - Défense des langues et des identités

166. La multiplicité des langues et des cultures présentes sur le continent


peut être perçue comme un obstacle à l'intégration économique. Cette
singularité constitue cependant une richesse pour l'Europe et un vivier pour
sa créativité. Les institutions ont pour mission de promouvoir et de respecter
cette diversité (V. Langues [Eur.]). De nombreuses dispositions vont en ce
os
sens (V. infra, n 178 s.) et les plus significatives sont certainement l'article
167, paragraphe 4, du TFUE qui implique que l'Union tienne compte des
aspects culturels dans l'ensemble de son action afin, notamment, de
respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures, et l'article 22 de la
o
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (JOUE, n C 303,
14 déc. 2007) qui est consacré au respect de la diversité culturelle. L'Union
doit en outre, selon l'article 4, paragraphe 2, du TUE, respecter les identités
nationales de ses États membres.

167. Lorsqu'il est question d'identité, il ne s'agit pas nécessairement de se


référer à une conception défensive et essentialiste de l'identité qui aboutit à
une logique de repli et « d'hystérie identitaire ». Comme le démontre Jean
Tardif (Les enjeux de la mondialisation culturelle, Le bord de l'eau, p. 40-47),
les identités peuvent également être appréhendées en termes de projet
construit par les acteurs sociaux sur la base des matériaux culturels dont ils
disposent. Elles peuvent également provenir d'acteurs institutionnels afin de
contribuer à légitimer leur action et à créer une société civile ou à renforcer
sa cohésion. Dans cette perspective, la défense des identités consiste à
préserver les capacités d'action des acteurs sociaux et institutionnels leur
permettant de garder une forme de maîtrise sur leurs identités. Le contenu
des identités est multiple et propre à chacun de sorte qu'il est vain de tenter
d'en dresser un inventaire. Toutefois, il est généralement admis que les
identités nationales incluent les langues. Pour reprendre la terminologie de
er
l'article 1 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française
o
(L. n 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, JO
5 août), la langue constitue un élément fondamental de la personnalité et du
patrimoine de chaque nation. Dans le cadre du droit du marché commun, la
défense des langues et des identités constitue un motif d'intérêt général
susceptible de justifier une entrave aux libertés de circulation. En la matière,
la jurisprudence est tout à fait particulière puisqu'elle tend généralement à
accepter ce qui apparaît à bien des égards comme des discriminations
indirectes. Les discriminations directes restent bien entendu prohibées.

168. Le respect de l'identité nationale a été consacré en tant que raison


impérieuse d'intérêt général dans un arrêt du 2 juillet 1996 (CJCE, 2 juill.
1996, Commission c/ Luxembourg, aff. C-473/93 , Rec. I. 3207). Toutefois
si le motif est accepté, la mesure nationale prise à son soutien ne l'est pas.
En l'espèce, le Luxembourg réservait aux individus possédant la nationalité
du pays l'accès à certains secteurs de l'emploi public au nombre desquels
figurait notamment celui de l'enseignement. Le Grand-Duché arguait que
cette nationalité est nécessaire pour assurer la transmission des valeurs
traditionnelles compte tenu de sa superficie et de sa démographie. Si la
juridiction a reconnu que les États pouvaient légitimement adopter des
mesures restreignant les libertés communautaires au nom de la défense de
leur identité nationale, elle n'a pas pour autant validé la mesure litigieuse qui
reposait sur un critère de nationalité.

169. La jurisprudence accepte que les États mettent en place des dispositifs
pour défendre leurs langues au nom de motifs liés à la défense de l'identité
culturelle. Ainsi, l'Irlande a été autorisée à maintenir une mesure qui
réservait des postes d'enseignant aux locuteurs du gaëlique alors même que
les postes concernés n'étaient pas exclusivement ceux de professeurs de
langue. La réglementation litigieuse s'inscrivait dans une politique visant à
promouvoir l'usage de cette langue comme moyen d'expression de l'identité
et de la culture nationale, un objectif considéré comme d'intérêt général
(CJCE, 28 nov. 1989, Groener c/ Minister for Education and City of Dublin
Vocational Education Committee, aff. C-379/87 , Rec. 3967). Toujours pour
défendre les idiomes nationaux, la Cour a accepté une mesure espagnole qui
imposait aux opérateurs télévisés d'apporter un financement de films
européens dont la langue est l'une des langues officielles du Royaume (CJCE,
5 mars 2009, UTECA, aff. C-222/07 , Rec. I. 1407).

170. La liberté des États n'est pas sans borne. Une réglementation adoptée
par le Parlement de la communauté flamande en Belgique prévoyait que les
contrats de travail passés par tout employeur ayant son siège au sein de la
région de langue néerlandaise devaient être rédigés dans cette langue faute
de nullité relevée d'office par le juge. Il s'agissait, entre autres, de
promouvoir et de stimuler l'emploi du néerlandais. La Cour a estimé dans un
arrêt du 16 avril 2013 (CJUE, 16 avr. 2013, Las, aff. C-202/11, non encore
publié) qu'en matière de contrat de travail transfrontalier, une telle mesure
constituait une entrave disproportionnée à la libre circulation des travailleurs.
Selon la juridiction de l'Union, elle est de nature à empêcher la formation
d'un consentement libre et éclairé car les parties ne maîtrisent pas
nécessairement la langue concernée. Pour la Cour, la Belgique aurait dû
prévoir la possibilité d'établir dans une langue autre que le néerlandais une
version du contrat faisant foi pour que la disposition litigieuse remplisse
l'exigence de proportionnalité. Cette jurisprudence fait exception à
l'habituelle tolérance de la Cour à l'égard des dispositifs nationaux relatifs à
la défense des langues.

171. Les mesures nationales qui comportent des discriminations directes


restent interdites. Rappelons qu'une mesure du royaume d'Espagne qui
favorisait les films ayant la nationalité espagnole avait été censurée par la
juridiction communautaire (CJCE, 4 mai 1993, Distribuidores
o
Cinematogràficos, aff. C-17/92 , Rec. I. 2239) (V. supra, n 137). Dans un
arrêt du 24 mai 2011 (CJUE, 24 mai 2011, Commission c/ Luxembourg, aff.
C-51/08, Rec. I. 4231), le Grand-Duché avait tenté de faire valoir que
l'emploi de la langue luxembourgeoise étant nécessaire dans l'exercice des
activités de notaires cela impliquait que ces derniers possèdent la nationalité
du pays. Les autorités nationales avançaient que ces conditions étaient
indispensables pour assurer le respect de l'histoire, de la culture, de la
tradition et de l'identité nationale. Cet argumentaire n'a pas été accepté par
la Cour qui a estimé la mesure contraire au droit de l'Union. L'ajout de
facteurs linguistiques et culturels ne permet pas de contrebalancer la
présence d'un critère lié à la nationalité. Ce dernier reste dirimant. On peut
trouver paradoxal que la Cour refuse que, dans le droit du marché commun,
la protection de l'identité nationale puisse être liée à une condition de
nationalité. Cela s'explique pourtant assez simplement si l'on veut considérer
que ce que cherche à protéger la Cour est une expression culturelle et
linguistique attachée à une nation et non directement les nationaux eux-
mêmes. Conformément à l'une des idées qui gouverne la construction
européenne, le droit de l'Union défend une conception ouverte des identités.
Elles n'appartiennent pas exclusivement à tel ou tel mais constituent un
os
élément inséré au sein d'un espace culturel commun (V. infra, n 211 s.).

172. Les mesures visant à protéger les langues minoritaires sont encadrées
de manière similaire. La Cour a ainsi estimé que des mesures nationales qui
réservaient l'usage d'une langue minoritaire dans des procédures
juridictionnelles à des individus ressortissants de l'État membre concerné
constituaient une discrimination directe interdite. Pour se prononcer sur ces
mesures, les juges se sont tout d'abord placés sur un terrain économique et
social en les qualifiant d'avantage social (CJCE, 11 juill. 1985, Ministère
public c/ Mutsch, aff. 137/84, Rec. 2681). Par la suite, ils ont choisi de se
fonder sur la défense de l'identité « ethnico-culturelle » des minorités (CJCE,
24 nov. 1998, Bickel et Franz, aff. C-274/96 , Rec. I. 7637). Pour être
légales, ces règles à destination des minorités doivent être étendues à
l'ensemble des locuteurs de cette langue pour peu qu'ils possèdent la
nationalité d'un État membre. Cela permet d'éviter la discrimination directe.

173. L'existence de plusieurs alphabets (latin, cyrillique et grec) au sein de


l'Union européenne et les exigences de transcription de l'un à l'autre que
peuvent imposer les États ont suscité des litiges. Ces questions revêtent une
grande importance symbolique et, de fait, sont considérées comme touchant
à l'identité nationale. La sensibilité des autorités nationales s'est, par
exemple, exprimée à propos de l'existence d'une terminologie unique pour
l'euro. Plusieurs États membres ont demandé une adaptation à leurs
spécificités grammaticales mais également alphabétiques. La jurisprudence
s'est efforcée de trouver un équilibre entre les légitimes préoccupations des
États et la nécessité d'éviter que les obligations de transcription n'entravent
trop considérablement les libertés de circulation. Elle estime que l'obligation
de transcrire en caractères latins un nom hellénique ne peut être considérée
comme incompatible avec le droit du marché commun que si elle crée pour
un ressortissant grec une gêne telle qu'elle porte, en pratique, une atteinte à
son droit d'établissement en créant, par exemple, un risque de confusion de
personne auprès de sa clientèle potentielle (CJCE, 30 mars 1993,
Konstantinidis, aff. C-168/91 , Rec. I. 1191). De manière plus générale, le
droit de l'Union, au nom du respect de la diversité et de l'identité nationale,
autorise les États à transcrire les noms et prénoms d'une personne sous une
forme qui respecte la graphie nationale et à s'opposer à une demande de
modification des actes d'état civil qui vont à l'encontre de ces règles. La
juridiction a cependant précisé que cela ne doit pas provoquer pour les
citoyens de l'Union de « sérieux inconvénients d'ordre administratif,
professionnel et privé » (CJUE, 12 mai 2011, Runevic-Vardyn et Wardyn, aff.
C-391/09 , Rec. I. 3787). Pour des raisons similaires et au nom d'un
principe d'égalité entre citoyens, la Cour a affirmé que le refus de l'Autriche
de reconnaître un titre de noblesse acquis par un de ses ressortissants dans
un autre État membre suite à l'adoption à l'âge adulte de cette personne ne
contrevenait pas au droit à la libre circulation et au libre séjour des citoyens
de l'Union (CJUE, 22 déc. 2010, Sayn-Wittgenstein, aff. C-208/09,
Rec. I. 13693).

174. Par-delà les questions d'identité mais tout en restant sur le terrain
linguistique, la possibilité pour les États d'exiger des connaissances
linguistiques nécessaires à l'exercice professionnel est reconnue par le droit
o
dérivé (V. Direct. n 2005/36 du Parlement européen et du Conseil, 7 sept.
o
2005, JOUE, n L 255, 30 sept., art. 53, relative à la reconnaissance des
qualifications professionnelles). L'exigence de maîtrise d'une langue officielle
par un État afin d'exercer certaines professions devient cependant
discriminatoire et donc interdite si elle s'accompagne de l'obligation de
présenter un certificat de bilinguisme délivré exclusivement par une autorité
locale (CJCE, 6 juin 2000, Angonese, aff. C-281/98 , Rec. I. 4139).

175. Enfin, ce que la Cour désigne comme les particularités socioculturelles


d'un État peuvent également faire l'objet d'une protection sur le fondement
de la théorie des exigences impératives et des raisons impérieuses d'intérêt
général. Cette jurisprudence a permis à la France (CJCE, 28 févr. 1991,
Conforama [Travail du dimanche], aff. C-312/89, Rec. I. 997. – CJCE,
28 févr. 1991, Marchandise, aff. C-332/89, Rec. I. 1027) et la Grande-
Bretagne (CJCE, 23 nov. 1989, Torfaen Borough Council c/ B et Q plc., aff.
C-145/88 , Rec. I. 3851) de maintenir les interdictions de travailler ou
d'exercer des activités commerciales durant certains jours et certaines
heures. Dans le même ordre d'idées, la juridiction de l'Union a estimé que les
choix nationaux en matière de réglementation des jeux de hasard procèdent
notamment de considérations culturelles (CJCE, 24 mars 1994, Schindler,
aff. C-275/92 , Rec. I. 1039).

176. Les possibilités offertes aux États d'opposer la défense de leurs


identités aux exigences des libertés de circulation contribuent au respect de
la diversité culturelle. Cette exigence est particulièrement présente au sein
de l'ordre juridique de l'Union.

Chapitre 3 - Diversité culturelle

177. La notion de diversité culturelle s'est largement diffusée ces dernières


années et ce dans de nombreuses sphères : politique, juridique,
journalistique, entrepreneuriale et économique. Son succès est tel qu'elle a
été qualifiée d'« idée à la mode » (V. La diversité, une idée à la mode,
o
Politique, revue de débats, Bruxelles, n 56, oct. 2008). Lorsque le droit s'est
saisi de la notion, elle y a également prospéré. C'est notamment le cas au
niveau européen et international. Le comité des ministres du Conseil de
l'Europe lui a consacré une déclaration le 7 décembre 2000 et elle apparaît
régulièrement dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme depuis quelques années (V. par ex. : CEDH, 15 mars 2012,
Sitaropoulos et Giakoumopoulos c/ Grèce). Sujet de débats lors de la réunion
du G8 à Okinawa en 2000, elle s'est également, à l'initiative de l'Union
européenne, invitée au sein de l'OMC lors des négociations relatives aux
o
services audiovisuels (V. supra, n 71). L'Organisation internationale de la
francophonie en a fait l'un des axes majeurs de son action depuis le début
des années 2000. Employée très tôt dans le cadre de l'UNESCO, entre autres
dans un rapport de septembre 1946 (V. UNESCO, L'UNESCO et la question
de la diversité culturelle : bilan et stratégies, 1946-2003, p. 3), elle a
notamment fait l'objet d'une Convention sur la protection et la promotion de
la diversité des expressions culturelles qui a été adoptée le 20 octobre 2005
os
(V. supra, n 63 s.). Elle constitue désormais l'un des éléments, l'une des
normes et des valeurs composant un droit commun et global en voie de
constitution. Elle serait même devenue « l'idéologie de la mondialisation »,
selon Frédéric Martel (Mainstream. Enquête sur la guerre globale de la
culture et des médias, 2010, coll. Champs actuel, Flammarion, p. 10).

178. Dans le droit de l'Union, la diversité culturelle s'est imposée comme


l'élément central et structurant de l'action culturelle. Elle a trouvé dans la
construction européenne un terrain particulièrement favorable puisqu'elle
répond à l'une de ses idées fondatrices qui se trouve résumée dans sa
devise : « l'unité dans la diversité ». La recherche de l'unité économique
puis, à terme, politique ne saurait se faire au détriment de la multiplicité des
cultures et des identités présentes sur le continent. Contrairement à Bossuet
qui considérait que « le propre de l'unité est d'exclure », l'Union s'efforce de
lier l'intégration avec le respect de l'altérité et de la différence afin d'aboutir
à un équilibre délicat, fruit d'un travail permanent de conciliation entre des
visées parfois contradictoires. La diversité culturelle est particulièrement
présente au sein du droit primaire. Toutefois ce dernier offre peu
os
d'indications quant à la signification de la notion (V. infra, n 179 s.), à ses
os
modalités de mise en œuvre et à ses implications (V. infra, n 191 s.),
autant d'éléments qui méritent donc d'être précisés.

re
Section 1 - Fondements et définition de la diversité culturelle

179. De nombreuses dispositions du droit primaire se réfèrent à la diversité


culturelle. Toutefois, il ne comporte pas de définition de la notion.

er
Art. 1 - Fondements juridiques de la diversité culturelle au sein du
droit primaire

180. La notion apparaît de manière explicite au sein du droit primaire avec le


Traité de Maastricht et, plus précisément dans ses articles 126 et 128 du
Traité CE. En outre, son préambule mentionne que, les chefs d'État
s'affirment « désireux d'approfondir la solidarité entre leurs peuples dans le
respect de leur histoire, de leur culture ». La diversité culturelle était
cependant déjà présente auparavant au sein du droit dérivé. Elle est
mentionnée pour la première fois dans un acte officiel grâce à une résolution
du Parlement européen en date du 24 juin 1963 (Résolution du Parlement
o
européen, 24 juin 1963, JOCE, n 64, 12 juill., relative à la coopération
culturelle entre les États membres de la Communauté européenne). Environ
dix ans plus tard, les membres de la Communauté, dans leur déclaration de
Copenhague du 20 novembre 1973 sur l'identité culturelle européenne
(Déclaration de Copenhague sur l'identité culturelle européenne du 20 nov.
1973, Bull. CE 12-1973, p. 126), constatent « la riche variété de leurs
cultures nationales ». La diversité sera évoquée à de nombreuses reprises
par la suite comme ligne de conduite de l'action culturelle, notamment dans
le rapport Tindemans de 1975 (Rapport TINDEMANS, Bull. CE, suppl. 1/76,
p. 11) ainsi que dans celui consacré à l'Europe des citoyens en 1985
(L'Europe des citoyens, Rapp. du comité ad hoc, Bull. CE, suppl. 7/85, p. 8).
181. Depuis le Traité de Maastricht en 1992, la présence de la diversité
culturelle au sein du droit primaire s'est sans cesse renforcée. Elle est
actuellement mentionnée dans de nombreuses dispositions. L'article 3,
dernier alinéa, du TUE dispose notamment que « l'Union respecte la richesse
de sa diversité culturelle et linguistique ». Le quatrième paragraphe de
l'article 167 du TFUE prévoit que « l'Union tient compte des aspects culturels
dans son action au titre d'autres dispositions des traités, afin notamment de
respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures ». Elle figure
également au nombre des droits fondamentaux. Selon l'article 22 de la
Charte des droits fondamentaux « l'Union respecte la diversité culturelle,
religieuse et linguistique ». La diversité culturelle est aussi explicitement
mentionnée dans de nombreuses dispositions spécifiques : articles 13 du
TFUE portant notamment sur le bien-être des animaux, 165 du TFUE sur
l'éducation et 207 du TFUE sur la politique commerciale commune. Elle
constitue enfin le but principal de l'action culturelle fondée sur l'article 167
du TFUE.

182. Deux autres dispositions spécifiques du Traité sont implicitement liées à


la diversité culturelle en ce qu'elles offrent aux États une marge de
manœuvre leur permettant, sur des points précis, de protéger et de valoriser
leurs cultures. Il s'agit tout d'abord de l'article 36 du TFUE qui permet
notamment aux États de justifier des mesures d'effet équivalant à des
restrictions quantitatives (MEERQ) au nom de la protection des trésors
nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique (V. supra,
os
n 126 s.). Il s'agit ensuite des dispositions de l'article 107, paragraphe 3,
d), du TFUE qui considère que « les aides destinées à promouvoir la culture
et la conservation du patrimoine » peuvent être considérées comme
compatibles avec le marché intérieur « quand elles n'altèrent pas les
conditions des échanges et de la concurrence dans l'Union dans une mesure
os
contraire à l'intérêt commun » (V. supra, n 91 s.).

183. Les dispositions relatives au respect de l'identité nationale concourent


également à celui de la diversité culturelle. L'article 4, paragraphe 2, TUE
prévoit que « l'Union respecte […] l'identité nationale [des États membres] ».
Or, si elle ne saurait bien entendu se réduire à cela, l'identité nationale
comprend une dimension culturelle. Cette évidence intuitive se trouve
confirmée par de nombreuses définitions contemporaines de la nation
(V. not. MAUSS, Œuvres t. 3, Cohésion sociale et division de la sociologie,
Les Éditions de Minuit, p. 578 et GELLNER, Nations et nationalisme, Payot,
p. 19). Elle l'est aussi par l'intégration de dispositions culturelles dans la
majorité des constitutions des États membres, que ces dispositions
concernent la langue ou le patrimoine. Le droit de l'Union reprend à son
compte l'idée d'une dimension culturelle dans l'identité nationale, comme le
montre l'arrêt Groener du 28 novembre 1989 (CJCE, 28 nov. 1989, Groener
c/ Minister for Education and City of Dublin Vocational Education Committee,
aff. C-379/87 , Rec. 3967) dans lequel la Cour valide une mesure
linguistique visant à défendre l'identité culturelle nationale. Dans ses
conclusions sous l'affaire C-566/10 (concl. 21 juin 2012, Italie c/
Commission, aff. C-566/10), l'avocat général Kokott écrit que « le principe
du multilinguisme fait partie de la diversité culturelle et de l'identité nationale
des États membres ». Un constat similaire avait déjà été effectué par son
collègue Poiares Maduro dans ses conclusions sous l'affaire Royaume
d'Espagne c/ Eurojust (CJCE, 15 mars 2005, Espagne c/ Eurojust, aff. C-
160/03 , Rec. I. 2077, concl. pt 24). Enfin, les explications relatives à
l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux, article qui prévoit que
l'Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique précisent que
cette disposition trouve notamment son origine dans le respect de l'identité
o
nationale (JOUE, n C 303, 14 déc. 2007, p. 17).

184. La diversité culturelle ne se contente pas d'apparaître dans des articles


portant sur des questions particulières. Rappelons qu'elle possède également
une dimension horizontale. C'est ce qu'indique le préambule depuis le Traité
de Maastricht dans lequel les chefs d'État s'affirment « désireux
d'approfondir la solidarité entre leurs peuples dans le respect de leur histoire,
de leur culture ». Par-delà cette position de principe, rappelons que le
quatrième paragraphe de l'article 167 du TFUE implique que l'Union
européenne tienne compte de diversité culturelle dans l'ensemble de son
action pour peu qu'une dimension culturelle soit présente (V. supra,
os
n 29 s.).

185. Cet aspect de la notion se manifeste également par son insertion au


sein de l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux. Il est prévu que
« l'Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ». Cet
article 22 fait suite à un débat relatif à la protection des minorités nationales.
Offrir à ces populations une reconnaissance et des droits au niveau européen
pouvait apparaître aux yeux de certains comme un gage de stabilité et
particulièrement dans la perspective de l'élargissement à l'Est. Une telle idée
était conforme à la culture politique prévalant dans plusieurs États membres
du nord et du centre de l'Europe. Cette conception était cependant loin d'être
partagée par l'ensemble des États et notamment par la France et l'Espagne.
Ces deux États sont traditionnellement opposés à la mise en place d'un
statut particulier pour les minorités qui, selon eux, conduit à légitimer et
accélérer des tendances irrédentistes. Le recours à la notion de respect de la
diversité culturelle, religieuse et linguistique a permis de faire émerger un
consensus. En pratique, on se situe cependant très loin de l'objectif initial. Le
respect de la diversité professé par l'article 22 ne s'adresse pas
principalement aux minorités. Il consacre avant tout un droit des États à voir
leurs choix en matière culturelle, linguistique et religieuse respectés par
os
l'Union (V. infra, n 195 s. et 210).

186. Si le Traité évoque à de nombreuses reprises la diversité culturelle, le


droit de l'Union européenne ne la définit pas de manière systématique.

Art. 2 - Définition de la diversité culturelle

187. La diversité culturelle est une notion imprécise. Elle peut être
interprétée de multiples manières et, dans le domaine du droit, ne débouche
pas sur l'adoption d'une ou plusieurs réglementations données. Elle joue sur
le triple registre de la préservation des identités, de la promotion du
pluralisme et du refus des discriminations, ce qui a peu de chance de
déplaire. En quelque sorte, elle engage peu, si ce n'est à paraître
sympathique. Toutefois, par-delà la variété des textes et des modalités de sa
mise en œuvre, il est possible de dégager un ensemble d'éléments communs
caractérisant la diversité culturelle.

188. La Convention de l'UNESCO sur la diversité des expressions culturelles


os
(V. supra, n 63 s.) considère, dans son article 4, que la notion « renvoie à
la multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des
sociétés trouvent leur expression. Ces expressions se transmettent au sein
des groupes et des sociétés et entre eux. La diversité culturelle se manifeste
non seulement dans les formes variées à travers lesquelles le patrimoine
culturel de l'humanité est exprimé, enrichi et transmis grâce à la variété des
expressions culturelles, mais aussi à travers divers modes de création
artistique, de production, de diffusion, de distribution et de jouissance des
expressions culturelles, quels que soient les moyens et les technologies
utilisés ». Cette définition est générale et se centre plutôt sur la diversité en
tant que fait et non pas en tant que norme.

189. Il est possible de dégager des éléments complémentaires communs


caractérisant la diversité dans les différents ordres juridiques où elle est
présente. Tout d'abord, sa préservation est fréquemment considérée comme
la transposition dans le domaine culturel de celle de la biodiversité.
Deuxièmement, son champ d'application concerne l'ensemble des
expressions culturelles, qu'elles soient patrimoniales ou qu'elles relèvent de
la création. Les possibilités de diffusion de ces différentes expressions
doivent également être garanties. Troisièmement et s'il n'est jamais question
de dénier tout aspect économique aux expressions culturelles, l'irréductibilité
de ces dernières à une logique strictement commerciale est constamment
affirmée. Quatrièmement, la diversité culturelle peut être intégrée à la
catégorie des droits fondamentaux. C'est le cas au sein du droit de l'Union
puisque – comme on le sait – l'article 22 de la Charte des droits
fondamentaux lui est consacré. Quand elle ne l'est pas, elle leur est en tout
cas étroitement liée. Le respect de ces droits et notamment celui de la liberté
d'expression est considéré comme une condition de l'épanouissement de la
diversité, tout comme d'ailleurs l'existence d'une société démocratique et
tolérante. L'invocation de la diversité ne saurait aboutir à une remise en
cause des droits. Elle ne doit pas servir d'argument en faveur d'un
relativisme permettant à des expressions culturelles de s'affranchir des droits
de l'homme. Enfin, pour éviter une logique de renfermement sur soi, les
différents textes ou la pratique font ressortir l'importance du dialogue
interculturel et du respect mutuel entre les peuples et les cultures.

190. La diversité culturelle s'incarne dans un ensemble de normes au sein


du droit de l'Union. Les modalités de sa mise en œuvre lui donnent sa
os
consistance (V. infra, n 192 s.) et permettent de prendre la mesure de ses
os
implications (V. infra, n 207 s.).

Section 2 - Modalités de mise en œuvre et implications de la diversité


culturelle

191. Le nombre de dispositions que lui consacre le droit primaire ainsi que
sa portée considérable attestent de l'importance de la notion. Il contraste
avec le peu de précisions sur les modalités de mise en œuvre de la notion
os
(V. infra, n 192 s.). L'importance de celle-ci se manifeste également dans
os
ses implications (V. infra, n 207 s.).

er
Art. 1 - Mise en œuvre de la diversité culturelle

192. La Charte des droits fondamentaux n'évoque que le respect de la


diversité, les Traités eux se réfèrent également à sa promotion. En dehors de
ces indications, les textes restent muets quant aux modalités concrètes de
mise en œuvre de la notion. Selon le dictionnaire Larousse, le respect se
définit notamment comme le fait de « ne pas porter atteinte à quelque
chose ». La traduction juridique de la notion de respect se rapporte
généralement à des dispositions qui encadrent, qui brident l'action d'un sujet
de droit afin d'assurer la préservation de certaines prérogatives, de certaines
caractéristiques d'un autre sujet de droit ou encore la protection d'une
situation objective. Le respect de la diversité constitue donc une limite à
os
l'action de l'Union (V. infra, n 195 s.). Il ne s'agit pas pour celle-ci d'agir
activement en faveur de la diversité mais bien de ne pas la remettre en
cause ou de préserver les prérogatives des acteurs de cette diversité. À
l'inverse, le terme de promotion implique une action positive en vue de
favoriser le développement d'une chose, d'un concept ou d'une idée. Comme
on le verra, la mise en œuvre du respect de la diversité peut s'opposer aux
os
mesures prises en faveur de sa promotion (V. infra, n 202 s.). Pour autant,
ce n'est pas tant une contradiction dont il est question que d'une recherche
d'équilibre. Avant d'aller plus loin, il convient cependant de préciser les
os
obligations juridiques attachées à la diversité culturelle (V. infra, n 193 s.).

er
§1 - Obligations juridiques attachées à la diversité culturelle

193. Si la diversité culturelle constitue un élément important de l'ordre


juridique de l'Union et un vaste champ d'application, sa portée juridique
immédiate est en revanche particulièrement réduite. En l'état actuel du droit,
la Cour de justice se contente d'opérer un contrôle de la motivation des
mesures positives qui mettent en œuvre ou qui prennent en compte la
diversité culturelle. Ce contrôle est limité : il s'assimile à celui de l'erreur
os
manifeste d'appréciation (V. supra, n 30 s.).

194. Le faible niveau de contrainte découlant de la diversité culturelle


s'explique par la nature de la notion. Elle appartient en effet à la catégorie
des principes, c'est-à-dire des « règles juridiques établies en termes assez
généraux destinés à inspirer diverses applications et s'imposant avec une
autorité supérieure » (CORNU, Vocabulaire juridique, PUF) mais qui,
classiquement, ne suscitent que des obligations juridiques restreintes, voire
inexistantes. La diversité culturelle a donc vocation à s'incarner dans un
ensemble de normes ou d'actions positives. Ces différentes traductions
peuvent, à l'inverse de la notion qu'elles contribuent à mettre en œuvre,
susciter des niveaux d'obligations élevés.

§ 2 - Respect de la diversité culturelle

195. Il joue principalement dans les relations entre l'Union et les États. Ces
derniers estiment être les gardiens des identités nationales et des cultures
présentes sur leurs territoires et donc in fine de la diversité européenne.
Suivant leur organisation, les compétences culturelles relèveront
principalement de l'État central ou des collectivités décentralisées. Il n'en
reste pas moins que la culture est considérée comme une affaire d'État. Dès
lors, les mesures de respect de la diversité culturelle vont principalement
consister à préserver leurs prérogatives vis-à-vis de l'Union.

196. Du point de vue de la répartition des compétences, cela se traduit par


le maintien des compétences au niveau national. Celle fondée sur l'article
o
167 du TFUE reste ainsi tout à fait subsidiaire (V. supra, n 11).

197. Du point de vue de l'organisation des compétences, deux éléments


peuvent être liés au respect de la diversité culturelle. Le premier est relatif
aux modalités de décisions. Avant l'adoption du Traité de Lisbonne, la
compétence culturelle faisait partie des rares domaines pour lesquels
l'unanimité était encore exigée au sein du Conseil. Obstacle à l'adoption
d'actes ambitieux, elle garantit en revanche aux États un contrôle sur l'action
européenne en offrant à chacun la certitude de pouvoir s'opposer à toute
décision avec laquelle il serait en désaccord. Avec l'article 207, paragraphe 4,
du TFUE, elle reste encore présente en matière de négociation internationale
o
lorsque la diversité culturelle risque d'être mise à mal (V. supra, n 23). Le
second consiste à limiter le type d'actes susceptibles d'être adoptés
o
(V. supra, n 18). L'article 167 du TFUE interdit les mesures d'harmonisation.
Cette limitation ne touche cependant pas uniquement l'exercice des
compétences ayant trait à la culture.

198. Au niveau international, le respect de la diversité culturelle s'incarne


dans les efforts menés par les institutions européennes pour préserver non
seulement leur marge de manœuvre dans le domaine culturel mais
également celle des États. Concrètement, dans le cadre de l'OMC, cela a
consisté à refuser d'ouvrir le marché européen de l'audiovisuel ainsi que le
os
permettent les règles du GATS (V. supra, n 71 s.), ou encore à faire de
même lors de l'ouverture des négociations de l'accord de libre-échange entre
o
l'Union et les États-Unis (V. supra, n 68). L'action européenne extérieure se
traduit également dans les actions diplomatiques visant à faire de la diversité
culturelle un élément du droit international et justifiant que les États
sauvegardent leurs prérogatives culturelles. L'action en faveur de la
Convention de l'UNESCO du 20 octobre 2005 sur la diversité des expressions
culturelles est certainement le meilleur exemple en la matière (V. supra,
os
n 63 s.).
199. En matière de libertés de circulation, le respect de la diversité culturelle
se manifeste dans des mesures permettant aux États de déroger aux
différentes interdictions qui s'imposent normalement à eux. Ils disposent
ainsi d'une marge de manœuvre au nom de considérations culturelles.
L'article 36 du TFUE leur permet de justifier une entrave à la libre circulation
des marchandises au nom de la protection des trésors nationaux (V. supra,
os
n 126 s.) ou encore en vertu de la protection de la propriété industrielle et
commerciale, protection qui inclut les droits d'auteur (CJCE, 20 janv. 1981,
Musik-Vertrieb membran c/ GEMA, aff. jointes 55 et 57/80, Rec. 147). La
diversité culturelle ou des motifs qui lui sont liés peuvent être invoqués
comme des objectifs légitimes justifiant une mesure restrictive sur le
fondement des théories des exigences impératives et des raisons
os
impérieuses d'intérêt général (V. supra, n 105 et 108 s.). C'est une
os
possibilité que les États ne se privent pas d'employer (V. supra, n 105 s.,
128 s., 137 s., 161, 170 s.). Les justifications culturelles qu'ils avancent pour
faire accepter des entraves constituent autant de manières de préserver
leurs prérogatives et in fine le respect de la diversité.

200. Le droit de la concurrence contient deux dispositions principales qui


contribuent à préserver ces prérogatives. Grâce à l'article 107, paragraphe 3,
d), du TFUE, les aides à la culture bénéficient d'un régime dérogatoire
o
(V. supra. n 91 s.). L'article 21 du règlement relatif aux concentrations
o o
(Règl. n 139/2004 du Conseil, 20 janv. 2004, JOUE, n L 24, 29 janv. relatif
au contrôle des concentrations entre entreprises) autorise les États à adopter
les mesures appropriées lorsque, notamment, la pluralité des médias est
mise en question quand bien même l'affaire relève en principe du champ de
o
compétence de l'Union (V. supra, n 151).

201. Le respect de la diversité culturelle ne vise cependant pas


exclusivement les États. Il existe des mesures qui s'attachent à préserver la
diversité dans le fonctionnement institutionnel de l'Union. Elles sont
susceptibles de toucher directement les individus. C'est le cas des règles
relatives aux régimes linguistiques des institutions (V. not. : BARBATO, Le
régime linguistique de l'Union européenne, J.-Cl. Europe, fasc. 2390, 2011.
– V. Langues [Eur.]). Il faut tout de même souligner à propos de ce dernier
que le respect du multilinguisme est loin d'être intégral, notamment dans le
droit de la fonction publique. Par exemple, les avis de vacance de postes
peuvent légalement n'être publiés que dans un nombre limité de langues,
généralement, l'anglais, le français et l'allemand (V. par ex. : TPI, 13 sept.
2010, Espagne c/ Commission, aff. jointes T-156/07 et T-232/07,
Rec. II. 191*, pt 52). En outre, les langues minoritaires ne peuvent pas être
utilisées dans le fonctionnement des institutions. Seules sont autorisées les
langues officielles de l'Union.

§ 3 - Promotion de la diversité culturelle

202. La promotion de la diversité culturelle va s'exercer par le biais des


programmes culturels et, plus largement, de l'ensemble des interventions
culturelles de l'Union. Les modalités de cette promotion sont multiples. En
pratique, elle consiste principalement à œuvrer en faveur de la diffusion, de
la circulation des œuvres et des hommes et donc du dialogue interculturel.
Le Conseil estime ainsi que « la promotion de la mobilité des personnes et de
la circulation des œuvres dans le domaine de la culture sont […] des outils
importants pour faire connaître la diversité des cultures en Europe et
renforcer la coopération culturelle » (Résolution du Conseil, 19 déc. 2002,
mettant en œuvre le plan de travail en matière de coopération européenne
dans le domaine de la culture : valeur ajoutée européenne et mobilité des
personnes et circulation des œuvres dans le domaine de la culture, JOCE,
o
n C 13, 18 janv. 2003, p. 5-7). L'action des programmes Culture et MEDIA
est centrée en grande partie sur ces priorités.

203. Les institutions insistent particulièrement sur la nécessité de renforcer


la compétitivité des industries culturelles européennes. Cela peut être
compris comme un moyen d'assurer la promotion de la diversité en
accroissant la diffusion des expressions culturelles européennes. Il est
cependant légitimement permis de craindre que cela ne profite
principalement qu'à quelques-unes d'entre elles.

204. La réalisation du marché commun constitue pour les institutions une


modalité de mise en œuvre de la promotion de la diversité. En premier lieu,
elles estiment que les libertés de circulation ouvrent un marché plus
important que les marchés nationaux et offrent des opportunités de
développement aux artistes et aux industries de contenu. Les entraves dans
le secteur culturel « vont […] à l'encontre des intérêts des créateurs et des
commerçants » (Communication de la Commission au Parlement et au
Conseil du 12 oct. 1982, « Le renforcement de l'action communautaire dans
le secteur culturel », Bull. CE, suppl. 6/82, p. 8). De même, « La liberté de
circulation des artistes du spectacle à l'intérieur comme à l'extérieur des
frontières de la Communauté est une condition essentielle au développement
de leur carrière » (Résolution du Conseil et des ministres de la culture réunis
au sein du Conseil, 7 juin 1991, sur l'accès temporaire des artistes issus de
la Communauté européenne au territoire des États-Unis d'Amérique, JOCE,
o
n C 188, 19 juill. 1991, p. 2). En second lieu, les libertés de circulation
doivent également permettre une plus grande diffusion des différentes
expressions culturelles et contribuer ainsi à favoriser le dialogue interculturel.
En effet, selon la Commission, les entraves nuisent « au rayonnement de la
culture de chaque pays » (Communication de la Commission au Parlement et
au Conseil, 12 oct. 1982, préc.).

205. La mise en œuvre du droit de la concurrence est également considérée


comme un moyen œuvrant en faveur de la promotion de la diversité. De
manière générale, un marché concurrentiel est censé permettre le
développement et le dynamisme économique des industries culturelles. En
outre, le droit de la concurrence est de nature à préserver la pluralité des
acteurs. Or, comme l'indique le Parlement européen dans un rapport du
15 décembre 2003, « une concentration excessive des médias constitue une
menace pour le pluralisme culturel » (Rapport du Parlement européen du
15 déc. 2003, « sur la préservation et la promotion de la diversité culturelle :
le rôle des régions européennes et d'organisations internationales telles que
l'UNESCO et le Conseil de l'Europe », [2002/2269(INI)], FINAL, A5-
0477/2003, pt G, p. 8).

206. L'utilisation des libertés de circulation et du droit de la concurrence


comme instruments de promotion de la diversité appelle des critiques. La
première qui peut lui être adressée concerne sa relative artificialité. Lorsqu'il
a été question de valoriser la diversité, les institutions se sont
opportunément aperçues qu'elles avaient revêtu depuis longtemps les habits
de M. Jourdain et faisaient depuis longtemps de la diversité culturelle sans le
savoir. L'exigence d'une prise en compte généralisée des aspects culturels
n'a donc pas rendu nécessaire une révision en profondeur des règles du
marché commun applicables au secteur culturel. Les deux suivantes portent
sur l'efficacité du dispositif. Tout d'abord, dans le domaine des industries de
contenu, les principales œuvres qui circulent sur le territoire européen sont
originaires des États-Unis. À quelques exceptions près, les créations des
États membres restent cantonnées au niveau national. Ensuite, favoriser la
circulation des cultures est certes nécessaire mais ce n'est pas suffisant
lorsqu'il n'y a pas d'attention portée au contenu. L'application de la liberté de
circulation et de la libre concurrence ne permet qu'à la marge de s'interroger
sur celui-ci. Or, la circulation de toutes les expressions culturelles en libre
pratique dans l'Union n'implique pas une diffusion équilibrée au service de la
diversité. Elle peut au contraire, comme c'est actuellement le cas, renforcer
la domination d'une expression culturelle donnée.
Art. 2 - Implications de la diversité culturelle

207. La construction européenne est difficilement concevable sans l'idée


même de diversité et, entre autres, de diversité culturelle. Les États
membres et leurs populations ne sont aucunement prêts à sacrifier leurs
cultures nationales au nom de l'unité européenne. Ils s'opposent à ce que
l'entreprise européenne, dont ils sont les créateurs, puisse déboucher sur la
dissolution des nations au sein d'un ensemble plus vaste. Penser l'Europe
unie, c'est aussi penser l'Europe multiple. L'unité ne se confond pas avec
l'homogénéité. L'affirmation de la diversité culturelle par l'ordre juridique de
o
l'Union répond à cette exigence. Véritable valeur (V. infra, n 208), la
os
diversité culturelle protège les cultures et les nations (V. infra, n 209 s.).
Elle contribue également à la construction d'une Europe politique (V. infra,
os
n 213 s.). L'existence de ce double mouvement oriente l'analyse de la
o
nature de la construction. européenne (V. infra, n 215).

208. La diversité culturelle peut être qualifiée de valeur de l'Union. Elle n'est
certes pas directement citée par l'article 2 du TUE qui est consacré aux
valeurs. Toutefois, ce dernier mentionne les droits de l'homme. Or l'adoption
de la Charte des droits fondamentaux a confirmé qu'en droit de l'Union, la
diversité culturelle appartenait bien à cette catégorie. Elle est également
évoquée dans la devise de l'Union : « l'unité dans la diversité ». Elle irrigue
enfin de nombreuses dispositions, actions et discours des institutions
européennes. Cette position qui fait de la diversité culturelle une valeur
fondamentale est d'ailleurs défendue par la doctrine, notamment sous la
plume de Jean-Paul JACQUÉ (Droit institutionnel de l'Union européenne,
Dalloz) ainsi que sous celle d'un des coauteurs de cette rubrique (BARBATO,
La diversité culturelle en droit communautaire. Contribution à l'analyse de la
spécificité de la construction européenne, PUAM).

209. Le lien qui unit la culture et la politique dans la figure de la nation


donne à la diversité une très grande importance. La nation repose sur la
congruence d'une unité politique et d'une unité culturelle (GELLNER, Nations
et nationalisme, Payot, p.11). Ce second élément se voit protégé par la
diversité culturelle. L'ordre juridique de l'Union contribue ainsi à offrir aux
États une garantie de la persistance des nations et donc in fine d'eux-mêmes
dans le processus d'intégration. L'entreprise européenne ne vise pas la
création d'un peuple européen unique mais cherche au contraire à ce que la
pluralité des peuples européens soit préservée au sein d'une unité politique
en construction.

210. La protection des identités culturelles des nations prend une forme
juridique. À ce titre, elle dévoile une des spécificités du projet européen qui
consiste à assurer la protection de ses États membres par le biais du droit.
Elle tend ainsi à confirmer l'émergence de droits fondamentaux au bénéfice
des États. La théorie contemporaine des droits fondamentaux des États
trouve son origine dans des développements d'une partie de la doctrine
(V. not. BARBATO et MOUTON [sous la dir.], Vers la reconnaissance de droits
fondamentaux aux États membres de l'Union ? Réflexions à partir des
notions d'identité et de solidarité, Bruylant). Elle repose sur l'idée de
transposer au bénéfice des États les droits fondamentaux reconnus aux
individus, avec les réserves qu'implique la différence de nature entre ces
deux sujets de droit. Les droits fondamentaux peuvent être définis comme
des droits subjectifs qui se caractérisent à la fois par la proximité ontologique
qu'ils entretiennent avec le sujet et par l'existence d'un régime de protection
juridique venant garantir la sphère d'autodétermination a priori qu'ils
autorisent. Comme cela a déjà été mentionné, le respect de la diversité
culturelle consiste principalement à garantir aux États que leurs capacités
d'intervention dans le domaine culturel seront préservées par le droit de
os
l'Union européenne (V. supra, n 195 s.). Le caractère fondamental de
l'identité culturelle pour les États nations apparaît assez évident. L'existence
d'espaces d'autonomie ménagés par l'Union au bénéfice des États l'est aussi.
Il s'agit de l'ensemble des dispositions reposant sur des motifs culturels qu'ils
peuvent employer pour préserver leur liberté d'action face aux exigences de
la libre circulation et de la libre concurrence. Pour autant la correspondance
avec un droit fondamental n'est pas totale. Parmi les réserves qui peuvent
être formulées, on en retiendra deux. Premièrement, il n'y a pas un droit
mais un ensemble de dispositifs concourant au même objectif.
Deuxièmement, il ne peut être question de droit a priori dont il faudrait
exiger le respect uniquement en cas de violation. Ce qui permet aux États de
défendre leur identité culturelle, ce sont un ensemble de dérogations. Ce
n'est pas à la Communauté ou à l'Union de justifier une violation de l'identité
culturelle, c'est aux États de justifier une violation du régime des libertés
communautaires ou de la libre concurrence au nom de leur identité
culturelle. Finalement, s'il peut être légitimement question d'un droit
fondamental des États au respect de leur identité, c'est sous une forme qui
reste inachevée.

211. Le droit de l'Union offre aux États une protection dans le domaine
culturel mais il modifie cependant le lien entre nationalité et culture. La
e
logique nationale telle qu'elle s'est pleinement déployée à partir du XVIII et
e
plus encore du xix siècle repose en définitive sur l'octroi ou le refus de
certains droits en fonction d'une frontière tracée par la notion juridique de
nationalité. La dimension culturelle est perçue comme offrant une
substantialité et donc aussi une objectivation à ce critère. Cela explique que
dans la continuité de la logique de clôture inhérente à l'idée nationale, les
politiques culturelles s'adressent prioritairement aux nationaux et ce de deux
manières complémentaires : d'une part, mieux faire connaître, mieux
diffuser ce qui est considéré comme des marqueurs identitaires nationaux et,
d'autre part, façonner une identité nationale, donner à une communauté
politique sa consistance culturelle. Compte tenu de l'importance des enjeux,
les questions culturelles ont été et continuent d'être envisagées comme des
affaires d'État, comme un « domaine réservé » (BROSSAT, La culture
européenne, définitions et enjeux, Bruylant, p. 257). Or, si le droit de l'Union
respecte l'identité culturelle, la manière dont il procède tend à modifier la
logique qui vient d'être décrite. L'interdiction des discriminations constitue le
pivot de cette remise en cause. En effet, sur un plan conceptuel, elle réalise
une césure entre les cultures nationales et leurs destinataires ou leurs
titulaires en quelque sorte naturels, c'est-à-dire ceux que le droit d'un pays
désigne en tant que nationaux. La titularité ou encore « la garde » des
expressions culturelles nationales ne saurait être réservée aux individus ou
encore aux œuvres qui, juridiquement, peuvent être qualifiées de nationales.
Ainsi dans l'arrêt Groener (CJCE, 28 nov. 1989, Groener c/ Minister for
Education and City of Dublin Vocational Education Committee, aff. C-
379/87 , Rec. 3967), un ou une enseignante de n'importe quelle nationalité
doit être considéré comme à même de diffuser la culture, la langue nationale
o
(V. supra, n 169). Dans l'arrêt UTECA (CJCE, 5 mars 2009, UTECA, aff. C-
222/07 , Rec. I. 1407), la politique de promotion des langues officielles du
royaume d'Espagne peut, en principe, être amenée à soutenir des films
o
originaires d'autres États membres (V. supra, n 169). Il y a donc une
désolidarisation entre, d'une part, les cultures et les identités nationales et,
d'autre part, les personnes ou les objets qui sont juridiquement qualifiés de
nationaux. Il est donc permis d'évoquer une dénationalisation des cultures
européennes. Ce phénomène s'accompagne, et c'est le revers d'une même
médaille, d'un processus d'européanisation des cultures.

212. Il semble que, pour la Cour, les cultures nationales ne doivent plus être
perçues de manière isolée mais plutôt comme une partie d'un tout. Elles
appartiennent à un ensemble culturel commun qui n'est autre bien entendu
que la culture européenne. L'idée d'une culture commune est d'ailleurs
présente sous de nombreuses formes dans les textes communautaires,
notamment lorsque l'article 167 du TFUE se réfère à un « héritage culturel
commun ». Cette conception paraît partagée par les autres institutions
lorsque, par exemple, une décision du Conseil et du Parlement évoque une
o
« culture commune aux citoyens européens » (Décis. n 1904/2006 du
o
Parlement européen et du Conseil, 12 déc. 2006, JOUE, n L 378, 27 déc.,
établissant, pour la période 2007-2013, le programme L'Europe pour les
citoyens visant à promouvoir la citoyenneté européenne active, préc.). Il est
logique que les personnes, les œuvres relevant de cet ensemble commun
puissent se saisir des différents éléments le composant. Autrement dit,
qu'elles puissent se saisir de cette diversité précisément parce qu'elle fait
partie d'une unité à laquelle ils appartiennent par-delà leur rattachement
immédiat à telle ou telle partie de cette unité.

213. La diversité culturelle ne constitue pas uniquement un instrument au


service du maintien des cultures. Elle contribue également et de manière
assez paradoxale à créer et à maintenir l'union politique de l'Europe. Pour le
comprendre, il faut tout d'abord rappeler que les institutions européennes
reconnaissent un rôle politique à la culture. Pourvoyeuse de sens par
excellence, elle participe à la création d'un « nous » commun, d'une
communauté consciente d'elle-même. Elle est un vecteur pour l'unité
européenne. Comme l'écrit Jacques Derrida, « il n'est pas d'ambition
politique qui ne soit précédée d'une conquête des esprits : c'est à la culture
qu'il revient d'imposer le sentiment d'une unité, d'une solidarité
européenne » (DERRIDA, L'autre cap, 1991, Éd. de Minuit). Cette idée est
largement présente au sein des programmes culturels. Ainsi, la culture
constitue « un élément essentiel de l'intégration européenne » (Décis.
o
n 508/2000 du Parlement européen et du Conseil, 14 févr. 2000, JOCE,
o
n L 63, 10 mars, établissant le programme « Culture 2000 », préc.). « La
pleine adhésion et la pleine participation des citoyens à l'intégration
européenne supposent que l'on mette davantage en évidence leurs valeurs et
o
leurs racines culturelles communes » (Décis. n 1855/2006 du Parlement
o
européen et du Conseil, 12 déc. 2006, JOUE, n L 372, 27 déc., établissant le
programme Culture [2007-2013], préc.).

214. La diversité culturelle favorise l'unité politique de plusieurs façons. Tout


o
d'abord, elle constitue l'une des valeurs communes (V. supra, n 208) et à ce
titre, elle est un des socles d'une adhésion citoyenne à la construction
européenne. Ensuite, l'article 167 du TFUE oblige l'Union à prendre en
compte simultanément la diversité culturelle et la mise en évidence de
l'héritage culturel commun pour les textes auxquels il sert de base juridique
o
(V. supra, n 12). Par ailleurs, la présence de l'adverbe « notamment » dans
o
la formulation de l'article 167, paragraphe 4, du TFUE (V. supra, n 29)
implique que ce second objectif puisse être poursuivi dans l'ensemble de
l'action culturelle. Sur le fondement du premier paragraphe et dans une
moindre mesure sur celui du quatrième paragraphe de l'article 167 TFUE,
l'Union doit donc s'efforcer de mettre en avant l'unité tout en valorisant et en
préservant la diversité, ce qui à première vue relève de la quadrature du
cercle. C'est, en pratique, une dialectique que les politiques conduites se sont
efforcées de résoudre. Pour ce faire, le schéma retenu tel qu'il peut être
déduit des différents textes pertinents est le suivant. La circulation
transnationale des opérateurs de la culture et des œuvres constitue la voie
privilégiée pour faire de l'espace culturel commun une réalité aux yeux des
Européens. Cette diffusion des expressions culturelles européennes sur son
territoire, qui est aussi le mode principal de promotion de la diversité, est
considérée comme permettant aux Européens de prendre connaissance des
traits communs qui existent entre les cultures européennes et de valoriser
les patrimoines. Cette prise de conscience est censée contribuer à renforcer
le sentiment d'appartenance à un même ensemble et donc l'unité et la
cohésion de celui-ci. Il est difficile de savoir quelle est l'efficacité réelle de ce
dispositif. Du point de vue de la pensée, il est en tout cas novateur et
constitue une rupture par rapport à la logique nationaliste. Il s'agit en effet
de partir de la diversité pour créer une unité qui ne se réalise pas au
détriment de ce dont elle est issue et qui reste protégée.

215. La diversité culturelle vise à préserver à la fois les nations et donc la


politique au niveau des États tout en concourant à l'émergence d'une unité
politique européenne. Elle contribue ainsi à conduire l'Union vers le modèle
de la fédération. Ce dernier se différencie de l'État fédéral et de la
confédération. Au sein du premier, la souveraineté est située au centre et les
entités fédérées ne possèdent plus de caractère véritablement politique.
Dans le second, la perspective est strictement inverse. Dans le modèle de la
fédération, les États conservent leur caractère politique mais il est également
acquis par l'entité créée au-dessus d'eux. En résumé, il s'agit donc d'une
« unité ayant sa réalité propre et regroupant des unités ayant leur réalité
propre » (cité par BEAUD, Fédéralisme et souveraineté. Notes pour une
théorie constitutionnelle de la Fédération, RD publ. 1998. 83-122).

216. La relative désaffection dont souffre la construction européenne rend


toutefois urgent et fondamental d'insister plus fortement qu'auparavant sur
la mise en avant d'éléments communs en matière d'histoire, de culture et
d'identité afin de renforcer une affectio societatis qui fait trop défaut.
L'Europe doit se bâtir sur des valeurs communes mais elle ne saurait
exclusivement reposer sur de telles bases. Sans préjuger du futur,
l'expérience montre qu'en l'état actuel des choses, ces valeurs ne sont pas
suffisantes pour susciter un véritable attachement. Contrairement à ce que
semblent penser les tenants du patriotisme constitutionnel et d'une logique
postnationale, la culture et l'identité ne constituent pas des fondements à
rejeter. Sauf à ne retenir qu'une vision étriquée et réductrice elles ne
débouchent pas automatiquement sur des logiques de crispation identitaire,
de rejet et d'essentialisation. C'est là confondre le pathologique et le normal.
Vouloir ignorer ces questions contribue en revanche à favoriser les replis et
les régressions identitaires. L'identité et la culture sont aussi projets,
mouvements et synonymes d'ouverture. Elles peuvent tout à fait se rattacher
à une logique du multiple. C'est précisément ce que l'action culturelle de
l'Union cherche à faire : préserver les identités tout en les ouvrant les unes
aux autres, offrir à chacun la possibilité de se saisir des cultures européennes
et permettre aux citoyens de prendre conscience de leur appartenance à un
ensemble culturel commun qui reste ouvert sur le monde.

Index alphabétique

■Accord de Cotonou 61, 69

■Accords de partenariat 61

■Accords internationaux 22

■ACP (Afrique-Caraïbe-Pacifique) 61

■Action communautaire dans le secteur culturel 5

■Action culturelle communautaire 5

■Action culturelle de l'Union européenne 9 s.



contenu 28 s.

cohérence 29 s.

extérieure 54 s.
V. Action culturelle extérieure de l’Union européenne

instruments 34 s.

fondements 10 s.

base juridique, choix 26 s.

droit primaire 11 s.

■Action culturelle extérieure de l'Union européenne 54 s.



coopération culturelle extérieure 55 s.

avec les États tiers 56 s.

avec les organisations internationales 62 s.

négociations commerciales internationales 67 s.

GATS 71 s.

GATT 69 s.

■Additionnalité (principe) 38

■Adhésion 58

■Agence exécutive pour l'éducation, l'audiovisuel et la culture (EACEA) 33

■Agenda européen de la culture à l'ère de la mondialisation 47

■Aides 84, 91 s., 91 s., 147 s., 182, 200



au patrimoine culturel et aux musées 131 s.

dans le secteur du livre 118 s.

de minimis 92

■Alphabet 173

■Année du dialogue interculturel 43

■Ariane (Programme) 36

■Artistes 160 s.

formation 165

salariés 161 s.

■Audiovisuel 13, 71 s., 80, 135 s.



aides 147 s.

harmonisation des législations 153 s.

■Base juridique 26 s.

■Bibliothèque numérique 48

■Biens culturels 77 s., 95 s.



fiscalité 121 s.

restitution 100 s.

trafic illicite, lutte 97 s.

■Bilinguisme

certificat 174

■Budget 35

■Bureau de placement 162

■Câble 139, 144

■Capitale européenne de la culture 44 s.

■Capitaux 82

■CARDS (Programme) 58

■Centre européen de la Culture 2

■Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne 166, 181 s., 192

■Chronologie des medias 138

■Cinéma 135 s.

aides 147 s.

■Cohésion économique et sociale 52 s.

■Cohésion économique, sociale et territoriale 21

■Comité des régions 17


■Commission 4 s.

■Communauté européenne de défense 3

■Compétence communautaire 5, 10 s., 195 s.

■Compétence de l'Union européenne 10 s.

■Concentrations 115 s., 151 s., 200



médias 151 s.

■Congrès de La Haye 2

■Conseil 17

■Conseil de l'Europe 62 s., 177

■Convention sur la protection et la promotion de la diversité des


expressions culturelles (20 oct. 2005) 63 s., 188 s., 198

■Coopération au développement 21

■Coopération économique, financière et technique avec les pays tiers 22

■Création artistique et littéraire 13

■Culture 2000 36

■Culture 2007-2013 36 s.

■Cycle de l'Uruguay 23, 73

■Décision 18

■Déclaration de Copenhague 180

■Défense des langues et des identités 166 s.



alphabet 173

applications 167 s.

limites 170 s.

minorités 172
■Dialogue Asie-Europe (ASEM) 61

■Directive Services de médias audiovisuels 154 s.

■Directives 153 s.

■Directive Télévision sans frontières 154 s.

■Diversité culturelle 29 s., 63 s., 177 s.



fondements juridiques 180 s.

implications 207 s.

mise en œuvre 192 s.

notion 177 s., 187 s.

obligations juridiques 193 s.

promotion 202 s.

respect 195 s.

■Doublage 137

■Droit d'auteur 199

■Droits fondamentaux 210 s.

■Échanges culturels non commerciaux 13

■EIDHR (Programme) 58

■Ententes 111 s.

■Établissement 81, 153 s.

■Euromed 59

■Europe créative (Programme) 39, 50

■Europe pour les citoyens (Programme) 42


■Europeana 48

■Exception culturelle 71 s.

■Exigences impératives 89

■Fédération 215

■Fiscalité

artistes et personnels de culture 163 s.

biens culturels 121 s.

■Formation professionnelle 20, 50

■GATS 71 s.

■GATT 69 s.

■Guide touristique 128 s.

■Harmonisation des législations 153 s.



audiovisuel 153 s.

■Histoire des peuples européens 13 s.

■Historique 1 s.

■Industrie 20, 50

■Industries culturelles 203 s.

■Jeux de hasard 175

■Journées du patrimoine 46

■Kaléidoscope (Programme) 36

■Langue 7, 93, 118 s., 201


V. Défense des langues et des identités

■Liberté d'expression 142

■Libre circulation des capitaux 82


■Libre circulation des marchandises 77 s., 88 s.

audiovisuel, cinéma, radiodiffusion et musique 135 s.

■Libre circulation des travailleurs 81

■Libre concurrence 83, 87



audiovisuel, cinéma, radiodiffusion et musique 135 s.

■Libre prestation de services 80, 142, 153 s.

■Livre 79, 88, 105 s.



aides 118 s.

concentrations dans le secteur du livre 115 s.

prix unique 107 s.

■Marché commun 75 s.

application du droit du marché commun au secteur culturel 86 s.

règles spécifiques au secteur culturel 90 s.

soumission au droit commun 87 s.

inclusion de la culture dans le champ d’application ratione materiae 77 s.

■MEDIA (Programme)
V. Programme MEDIA

■Mémorandum 5

■Méthode ouverte de coordination (MOC) 47

■Monopole 146

■Multilinguisme 31

■Musées 125 s.

accès 128 s.

aides 131 s.

■Musique 135 s.

■Nationalité 93, 129, 211

■Négociations commerciales internationales 67 s.

■Notion 6 s.

■Numérisation 48

■OMC 23, 198

■Ordre public 88

■Organisations internationales

coopération culturelle 22, 62 s.

■Parlement européen 17, 180

■Patrimoine 95 s., 128 s.



accès 128 s.

aides 131 s.

■Patrimoine culturel d'importance européenne 13 s.

■Patrimoine européen (label) 46

■PHARE (Programme) 58

■Position dominante 115 s.

■Presse 106

■Prix du livre
V. Livre

■Programme MEDIA 20, 24, 39, 50 s.


■Programmes culturels 36 s., 56 s., 202 s.

■Radiodiffusion 135 s.

pluralisme 141 s.

publique 145

■Radiofréquences

attribution 140

■Raphaël (Programme) 36

■Rapprochement des législations 47

■Régions 52 s.

■Règlement 18

■Santé publique 88

■Secteur culturel 4 s.

■Sécurité publique 88

■Service public 85, 149 s.

■Services 70 s., 80 s.

■Société des Nations 1

■Taxe sur la valeur ajoutée 121 s., 130

■Traité 3 s.

CECA 3

CEE 4 s.

de Lisbonne 17

Maastricht 3 s., 180 s.

sur l'Union européenne 181

sur le fonctionnement de l'UE 5, 181 s.

■Transaction invisible 70

■Travailleurs 81

■Trésors nationaux

protection 126 s., 182, 199

■UNESCO 63, 177

■Valeur de l'Union 208

■Voisinage (Politique) 60

■Vote 17
Actualisation

o
50. Le règlement n 1041/2009 est abrogé et remplacé par le règlement
établissant le programme « Europe créative » pour 2014-2020. Ce règlement
est en faveur des secteurs culturels et créatifs européens (Règl.
o
n 1295/2013 du Parlement européen et du Conseil, 11 déc. 2013, JOUE,
o
n L 347, 20 déc.).

121. TVA et égalité de traitement sur les ouvrages numériques. - Le


principe d'égalité de traitement ne s'oppose pas à ce que les livres, les
journaux et les périodiques numériques fournis par voie électronique soient
exclus de l'application d'un taux réduit de TVA (CJUE, 7 mars 2017, Rzecznik
Praw Obywatelskich [RPO], aff. C-390/15).

TVA sur les publications papier. Le Conseil a modifié la directive


o
n 2006/112 en ce qui concerne les taux de TVA appliqués aux livres,
o
journaux et périodiques (Dir. n 2018/1713 du Conseil, 6 nov. 2018, JOUE,
o
n L 286, 14 nov.).
o
Mécanisme d'autoliquidation généralisé. La directive n 2006/112 est
modifiée en ce qui concerne l'application temporaire d'un mécanisme
d'autoliquidation généralisé pour les livraisons de biens et prestations de
o
services dépassant un certain seuil (Dir. n 2018/2057 du Conseil, 20 déc.
o
2018, JOUE, n L 329, 27 déc.).
o
144. Directive « service universel ». - Selon la directive n 2002/22/CE,
les États membres doivent assurer le raccordement, en position déterminée,
à un réseau de communications public. Cette obligation exclut les services de
communications mobiles ainsi que les services d'abonnements internet
fournis au moyen des services de communication mobiles. La Cour juge que
les termes « en position déterminée » s'opposent au terme « mobile »
(CJUE, 11 juin 2015, Base Company NV et Mobistar NV c/ Ministerraad, aff.
C-1/14, D. 2015. 1321 ; Dalloz actualité, 9 juill. 2015, obs. T. S.).

Initiative citoyenne européenne (ICE) Le Tribunal de l'Union, par un


arrêt rendu le 10 mai 2016, confirme le refus d'enregistrement d'une ICE
relative à la politique de cohésion en faveur des minorités nationales (Trib.
UE, 10 mai 2016, Balazs-Arpad Izsak et Attila Dabis c/ Commission, aff. T-
529/13, Dalloz actualité, 2 juin 2016, obs. E. Autier).

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principes démocratiques”.

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