Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
Résumés
Français English
La construction par Platon du concept de psukhè paraît s’inscrire dans une polémique anti-
empédocléenne. Le Timée, le Phédon et le Phèdre fourmillent d’échos au poème de l’Agrigentin,
telles les références à la summetria harmonique des mélanges, au réseau de poroi ou conduits qui
parcourent le corps et aux effluves qui les traversent, ou encore les métaphores végétales
d’implantation, de germination, de croissance, d’enracinement et de déracinement. Or si Platon
emprunte à Empédocle, pour qui il n’y a pas d’âme, des modèles de dispositifs corporels et
physiques, c’est paradoxalement afin de récuser leur soubassement théorique immanentiste : car
« ce qui pense », qu’on lui donne ou non le nom d’âme, ne peut ni être matériel, ni être hétérogène
et procéder d’un mélange, ni s’identifier à la sensibilité.
Haut de page
Entrées d’index
Mots-clés :
âme, Empédocle, harmonie, sensation, démon, sang
Keywords :
soul, Empedocles, harmony, sensation, daemon, blood
Haut de page
Plan
I – Prolégomènes : origines de la fiction d’une « âme » empédocléenne
1. Les quatre éléments et leur mélange dans le sang, causes de la pensée humaine
2. La proportion harmonique du mélange des éléments, cause de la pensée dans le sang ?
3. Le δαίμων, une « âme » individuelle ?
4. Une incompatibilité manifeste avec l’âme platonicienne
II – La critique platonicienne du sang pensant : la pensée ne peut procéder d’un mélange matériel
hétérogène et périssable
1. L’âme ne saurait être un mélange matériel
2. L’âme intellective ne doit pas être confondue avec l’âme sensitive
3. L’âme ne saurait être une ἁρμονία : Phédon, 85e-95a
4. L’âme ne doit pas se confondre avec le corps : limites des analogies entre le Σφαῖρος
empédocléen et le corps et l’âme du monde dans le Timée (32b-34a)
III – Métempsychoses platoniciennes : des échos au μῦθος démonique d’Empédocle ? Phèdre, 246a
sq.
L’élaboration par Platon de sa conception de l’âme marque une rupture avec les doctrines de ses
prédécesseurs, qui rapportaient les processus psychiques à des mouvements physiques et ne
pouvaient les envisager indépendamment de la matière ou des corps. L’âme de Platon participe du
corps qu’elle anime mais ne se confond pas avec ce qui n’est que son substrat ; elle est le principe
éternel de tout mouvement, lui-même mû1, identique à soi, capable d’exercer des fonctions
d’intellection, comme la connaissance, qui ne relèvent pas de la sensation. Tout en étant une, l’âme
est protéiforme, se diffractant en espèces définies chacune par un genre d’élan ou de désir qui lui est
propre et qui définit sa fin spécifique2.
2Mais contester les physiologues n’exclut pas de recourir à certains de leurs procédés explicatifs,
serait-ce en les détournant de leur destination originelle. La construction par Platon de sa notion
d’âme semble ainsi trouver l’une de ses sources dans le rejet de thèses empédocléennes auxquelles
il fait subtilement allusion. Celles-ci transparaissent notamment, va-t-on s’efforcer de montrer, par
l’usage d’un champ sémantique empédocléen retourné contre son auteur pour mieux le combattre.
Or la corroboration de cette hypothèse se heurte inévitablement à des difficultés, sinon à des
apories.
• 3 Voir à ce titre Platon, source des présocratiques, M. Dixsaut et A. Brancacci (éd.), 2002.
• 4 Les références aux témoignages (A) et aux fragments présocratiques (B) suivent l’édition
Diels-Kran (...)
3Une première difficulté méthodologique, bien connue, est lié au caractère allusif des « sources
platoniciennes »3 : il est rare que Platon cite explicitement et nommément les auteurs ou doctrines
qu’il critique de façon sous-jacente. Il faut alors décrypter ses références, telle celle à « certaines
Muses d’Ionie et de Sicile » (Sophiste, 242c-d) évoquant Héraclite et Empédocle. De ce dernier, il
n’est fait qu’une seule mention explicite dans l’ensemble du corpus platonicien, en Ménon, 76c (31
A92 DK)4 ; son nom est cité à deux reprises dans le même court passage qui lui attribue la paternité
d’une certaine conception de la vision et de la couleur par émission et réception d’effluves, et
encastrement de « pores » et « denses » (sur laquelle nous reviendrons). À la lecture des dialogues
ou des traités platoniciens cependant, un lecteur d’Empédocle sera sensible à tout un réseau de
correspondances, en particulier dans les passages qui exposent la nature de l’âme, des parties du
corps auxquelles elle est attachée ou de ses pérégrinations. Il faudra donc, pour remonter les traces
empédocléennes implicitement présentes dans les écrits de Platon, en trouver des indices
significatifs, comme les convergences terminologiques.
4Mais l’objet même de notre investigation pose problème, puisqu’il s’agit ici d’interroger la
psychologie de Platon à l’aune de qui a pu être considéré comme celle de ses prédécesseurs. Or
c’est Platon lui-même qui constitue la ψυχή comme objet d’étude ; auparavant, ἡ ψυχή dénote
seulement ce qui caractérise un être vivant par distinction d’avec un cadavre, ce qui fait qu’il est un
organisme animé. Le terme demeure générique et ne donne pas lieu à une définition analytique
comme principe de mouvement ou entité unifiée douée de facultés ou de fonctions. Rechercher les
« théories de l’âme » présocratiques apparaît ainsi voué à l’échec, du fait que, stricto sensu, il n’y
en a pas, et que ce qui en tient lieu est issu de constructions, de reformulations et de
problématisations rétrospectives, d’abord dues à Platon puis surtout à Aristote. C’est à cette source
que puiseront les recueils doxographiques ultérieurs, pour lesquels la psychologie sera devenue un
champ d’études constitué, une distinction canonique commode à des fins de classification
systématique – et ce, jusqu’aux éditions des Vorsokratiker de Diels, qui regroupe à la suite les
fragments et témoignages présocratiques relatifs à l’« âme ». Or ces catégorisations
doxographiques, qui tendent à laisser croire que tous les auteurs, des premiers physiologues aux
écoles hellénistiques, se posaient en termes communs des questions similaires, non seulement
prêtent à confusion mais confinent à la déformation. L’objet que nous nous proposons ici, établir
une généalogie de l’âme platonicienne en remontant à ses éventuelles racines empédocléennes, ne
revient-il pas alors à enquêter sur une pure fiction, à se laisser abuser par une illusion rétrospective,
dénuée de réalité et de consistance ?
• 5 Sur l’inauthenticité de ce vers (χαλκῷ ἀπὸ τοῦ ψυχὴν ἀρύσας, « puiser la vie avec le
bronze », rapp (...)
• 6 Ce qui n’exclut pas leur éventuelle divinité : le Σφαῖρος est un dieu éphémère.
5On ne peut pas en effet parler d’« âme » dans la physique d’Empédocle. La seule occurrence, dans
les fragments, de ψυχή (B138), au sens homérique de « vie », est très certainement apocryphe,
comme l’a montré J.-C. Picot5. On ne voit pas non plus ce qui pourrait avoir la fonction particulière
de principe de vie, puisque les six réalités immortelles dont se compose l’univers d’Empédocle
participent toutes également du vivant, sans qu’aucune n’ait par nature de prééminence. Dans tous
les corps (et pas seulement vivants), ces six principes se combattent et s’allient : la multiplicité des
éléments (air, feu, eau et terre) y est en lutte, prise dans le jeu de deux forces contraires qui les font
s’attirer et se repousser. Φιλότης, l’Amour ou Amitié, pousse les éléments différents à s’accoler et à
s’unifier dans des mélanges, que Νεῖκος, la Haine ou Discorde, tend à détruire, en regroupant les
éléments selon des critères identitaires. Ces quatre éléments et les deux forces qui les meuvent sont
divins et immortels ; tout ce qu’engendrent leurs combinaisons n’est qu’agrégats temporaires6. Il ne
peut donc y avoir non plus d’âme immortelle des créatures, sauf à l’identifier avec l’un de ces
principes cosmiques, ce qu’aucun fragment ne permet d’attester. Mais puisque les successeurs
d’Empédocle ont néanmoins cherché à le « psychologiser », à identifier dans ses vers des
équivalents de l’âme ou de ses facultés, on ne peut faire l’économie d’un détour par cette relecture
afin de comprendre comment ont pu se construire des réactions critiques, dont celle de Platon, à une
pseudo-« âme » empédocléenne.
« Car le sang, autour du cœur [περικάρδιον], est la pensée [νόημα] en l’homme. » (31
B105, 3)11.
9Par conséquent – et ces implications vont s’avérer cruciales pour la compréhension des critiques
émises par Platon – :
• 12 Aristote déclare que si certains « se prononcent pour le sang, c’est qu’ils estiment que le
fait de (...)
• 13 Cf. Aristote, De l’âme, III, 3, 427 a27-30 : Empédocle affirme que « penser est un
phénomène corpor (...)
1°/ La pensée (φρόνησις, νόημα ou μήτις), identifiée à la sensation12, relèverait pour Empédocle
du corporel, étant une propriété des quatre éléments eux-mêmes matériels, et plus spécialement de
leur mélange dans le sang13.
2°/ Le sang est un mélange hétérogène ; son existence est donc imputable à l’action de l’Amitié ou
Amour (Φιλότης), la force cosmique causant l’attraction, le mélange et la cohésion des éléments
dissemblables. Le fragment B98 le confirme, indiquant la présence des quatre éléments dans le
sang, en proportions identiques ou du moins similaires, cette composition harmonique étant due à
Φιλότης.
• 14 Conformément à un certain usage hésiodique et homérique (par ex. Iliade, I, 608), repris
par les tr (...)
3°/ La pensée humaine étant dans le sang, elle est donc un flux mobile, qui irrigue l’ensemble du
corps humain : car le sang et la chair sont formés de la même façon et des mêmes ingrédients
(B98) ; le sang « rejaillit » en « vagues » dans tout le corps (B105) ; il circule, affluant et refluant
dans des conduits allant de la surface de la peau aux profondeurs de l’organisme (B100). Les
organes où il se concentre sont ainsi bien davantage pensants et sentants que le reste du corps : ainsi
la région péricardique (περικάρδιον, B105) et le foie « gorgé de sang » (πολυαίματον, B150). On
note aussi un rapport privilégié entre une forme supérieure de pensée et le diaphragme (φρήν ou
πραπίδες), qui désigne souvent par métonymie « l’esprit » dans les fragments14.
II – La critique platonicienne du
sang pensant : la pensée ne peut procéder d’un
mélange matériel hétérogène et périssable
• 48 La connaissance étant fondée sur la réminiscence de la contemplation des formes
intelligibles, elle (...)
21Une allusion est faite à la théorie du sang pensant dans l’autobiographie intellectuelle de Socrate
(Phédon, 96b), quand il raconte s’être d’abord avidement intéressé aux doctrines des physiciens
pour comprendre l’univers, avant d’être amèrement déçu par l’absence de finalisme de leurs
explications. Parmi les questions qui le taraudaient : « quel est ce par quoi nous pensons, du sang,
de l’air ou du feu ? ». Les trois hypothèses, ultérieurement rejetées, se réfèrent respectivement aux
thèses d’Empédocle, de Diogène d’Apollonie (peut-être aussi d’Anaximène), et d’Héraclite. Ce
passage implique déjà que ces explications physiques de la pensée ne sont pas satisfaisantes pour
Platon ; outre qu’elles se passent de cause finale, qu’elles excluent qu’il y ait eu choix du meilleur,
elles doivent être réfutées pour leurs conséquences inacceptables : si l’âme était matérielle, elle ne
pourrait être immortelle (et donc ne pourrait penser)48 ; et si elle était issue d’un mélange constitué
d’éléments hétérogènes comme c’est le cas du sang, elle ne pourrait être pure et identique à soi.
« Elle qu’honorent les hommes, plantée dans leurs jointures (ἔμφυτος ἄρθροις) ;
Par elle, ils méditent l’amour (φίλα φρονέοθσι), ils accomplissent les œuvres qui
joignent (ἄρθμια ἔργα),
L’appelant de son nom de Joyeuse et d’Aphrodite » (31 B17, 22-24 DK)70
• 71 Κύπριδος ὁρμισθεῖσα τελείοις ἐν λιμνέσσιν (je souligne). Voir B35, 13 : Φιλότητος...
ἄμβροτος ὁρμή. (...)
38La comparaison faite par le Timée entre les liens retenant l’âme et des ancres marines (73d) est
déjà présente dans le poème empédocléen : c’est « en jetant l’ancre… dans les havres
d’accomplissement de Cypris » (B98, 371) que les quatre éléments s’arriment les uns aux autres et
sont maintenus en cohésion, qu’« un lien (ἄρθμια) les unit tous dans leurs parties » (Β22, 1) et leur
permet d’être « assimilés par Aphrodite » (ὁμοιωθέντ᾿ Ἀφροδίτῃ, Β22, 5) dans l’unité d’un corps.
• 72 Outre τοῦ βίου δεσμοί (73 b3, cité supra) et πάσης ψυχῆς δεσμοί (73d6), où ils sont
comparés à des (...)
39Or pour Platon le principe harmonique immatériel par lequel le démiurge ajuste les éléments les
uns aux autres et implante les âmes dans le corps, au moyen de nœuds dénouables72, ne peut
aucunement s’identifier à ce sur quoi il s’exerce, c’est-à-dire à des substances physiques étendues, il
ne peut être une partie du mélange : ce serait confondre forme et matière, agent et patient, intention
téléologique et efficience mécanique. D’où la nécessité pour Platon de distinguer conceptuellement
les rôles du démiurge et de la moelle.
« Quant au cœur, le nœud des veines et la source du sang qui circule à travers tous les
membres (τὴν δὲ καρδίαν ἅμμα τῶν φλεβῶν καὶ πηγὴν τοῦ περιφερομένου κατὰ
πάντα τὰ μέλη σφοδρῶς αἵματος)76, ils l’établirent au poste de garde, pour que, quand
la partie agressive bouillirait de colère, parce que la raison aurait signalé qu’une action
injuste se prépare du côté des membres à l’extérieur ou encore qu’une action injuste
trouve son origine dans les appétits à l’intérieur, aussitôt, à travers l’ensemble du réseau
de passages étroits (διὰ τῶν πάντων τῶν στενωπῶν)77, tout ce qui dans le corps est
capable de sensation, tout ce qui est susceptible de percevoir avertissements et menaces
devienne docile et suive en tout la partie la meilleure, lui permettant ainsi de dominer
sur tous les membres. » (Timée, 70a7-c1)
• 78 « Et tout inspire et expire : tous, ils ont d’exsangues / Canaux de chair (σαρκῶν
σύριγγες), tendus (...)
• 79 B105 : « la pensée circule » (νόημα... κικλήσκεται) « dans les vagues du sang fluant et
refluant » (...)
• 80 Cf. n. 67 supra.
43À nouveau, ces réseaux de cavités prolongées par d’étroits conduits ou canaux, par lesquels
Platon explique toutes les circulations de fluides élémentaires à travers le corps, ne sont
évidemment pas sans rappeler le schème empédocléen des πόροι parcourus d’effluves. Les passages
du Timée qui entrent dans le détail de leur constitution et des processus qui les animent (respiration,
circulation sanguine… cf. 77c-81b) semblent, sinon inspirés, du moins très proches des fragments
d’Empédocle. Dans les deux cas s’y produit un mouvement de substitution circulaire dans un
continuum plenum, les éléments occupant successivement une place précédemment occupée sans
qu’il y ait jamais de vide (79a-81c) ; les mouvements d’afflux et reflux de l’air et du sang, vers les
« entonnoirs » de la surface du corps puis irriguant ses profondeurs, s’apparentent aux processus
décrits par Empédocle dans son long fragment B10078. Dans les deux systèmes le sang circule à
travers le corps par l’impulsion du jeu de mouvements cosmiques contraires79. Platon fait
l’analogie entre ces types de mouvements oscillatoires et ce qui se produit dans les phénomènes
d’aimantation, comme avec la pierre d’Héraclée (80c-d), de même qu’Empédocle80.
• 81 Voir en ce sens les fragments sur l’interdit de la viande et des sacrifices sanglants (B136,
B137, (...)
• 82 Pseudo-Plutarque, Opinions des philosophes, IV, 9 : « Pour Empédocle, c’est suivant la
συμμετρία de (...)
• 83 Théophraste, Du Sens, 15.
44Mais si les correspondances physiques et physiologiques se multiplient, c’est pour mieux
souligner les écarts théoriques : car ce qui n’est pour Platon qu’un processus mécanique, produit par
échanges de chaud et de froid (79d-e), ne saurait par soi être un moyen de penser. Que la chair soit
particulièrement sujette à ces échauffements et refroidissements, provoquant ardeurs et excès,
qu’elle soit le réceptacle des sensations, en fait un obstacle à la pureté intellectuelle ; pour
Empédocle la chair est au contraire sacrée81, reproduisant, même imparfaitement, la divine
harmonie du Σφαῖρος qui jouit de la pensée la plus pure et parfaite. Non seulement toutes les parties
du corps constituées de chair ou irriguées de sang sentent et pensent, mais aussi toutes celles qui
sont connectées par le chevillage de leurs pores et « denses », puisque c’est également par
encastrement de ceux qui sont en συμμετρία réciproque qu’Empédocle expliquait la perception
sensible.82 Toute sensation étant donc un contact physique, une forme de toucher, de là toute
connaissance également83. C’est littéralement qu’il y a dans les membres (γυίων) « un passage
pour comprendre » (πόρος ἐστὶ νοῆσαι, B3, 13-14, je souligne).
45Dans le dispositif platonicien enfin, le diaphragme trace une frontière entre le cœur et la troisième
espèce d’âme, sise dans la zone qui descend jusqu’au nombril, « qui n’a aucune part pas plus à
l’opinion et au raisonnement qu’à l’intellect, mais qui éprouve des sensations de plaisir ou de peine,
qu’accompagnent des appétits » (77b). Les attributs de l’âme sensitive et plus encore « végétative »
différent essentiellement de ceux de l’âme intellective, tandis que dans le monde empédocléen
toutes ces fonctions se confondent : tous les animaux et même les plantes sentent, éprouvent des
appétits, et sont doués d’entendement et de pensée. C’est pour cette raison aussi que Platon procède,
à propos du diaphragme, à une disjonction similaire à celle qui concernait le sang ou la chair : dans
le corps humain, il est pour Platon toujours lié à la sensibilité, active dans la partie supérieure
(péricardique), passive dans la partie inférieure. Pour Empédocle en revanche, le diaphragme est un
organe privilégié où peut s’exprimer la toute-puissance de la pensée : ainsi est louée la clairvoyance
de l’homme capable de « prendre appui » (ἐρείσας, B110, 1) sur un diaphragme « ferme »,
« robuste » (ἁδινῇσιν... πραπίδεσσιν, B110, 1) ou « riche » (πραπίδων... πλοῦτον, B132, 1 et
B129, 2), par opposition à celui qui a « une opinion brumeuse » (σκοτόεσσα… δόξα, B132, 2) :
« engager toute la force de son diaphragme » (B129, 4) est la voie permettant d’accéder à la
sagesse, à la maîtrise de son corps et du réel (la μῆτις de B2, 10 et B106), et à une forme supérieure
de lucidité.
46Le rejet par Platon d’un sang pensant apparaît donc paradigmatique de tout ce qu’il refuse dans le
système d’Empédocle : celui-ci fait de la pensée une propriété de la matière alors qu’elle ne peut
être qu’immatérielle ; pis, il la rapporte à un mélange hétérogène alors qu’elle doit être définie par
son unité, sa pureté, une parfaite identité à soi. En ce sens au moins Anaxagore, même s’il est
critiqué dans le Phédon, a bien fait car son Νοῦς est ἀμιγής, pur et sans mélange, donc toujours et
partout identique à lui-même, ἀπαθής (impassible), et immortel. Empédocle a quant à lui indûment
confondu ce qui relève du périssable et de l’immortel en identifiant processus mentaux et corporels,
intellectifs et sensitifs. C’est pour ces mêmes raisons que la pensée ne peut non plus résulter de la
proportion harmonique du mélange, comme l’argumente le Phédon.
« Ainsi les hommes chez qui les éléments sont mélangés en des proportions égales ou
presque égales (…) pensent le mieux et possèdent les sens les plus précis et, par degrés,
ceux qui s’en approchent le plus ; les hommes d’une constitution contrariée sont les
moins intelligents.
Et ceux chez qui les éléments sont éloignés et rares dans leur distribution, sont lents et
prennent beaucoup de peine ; ceux, au contraire, chez qui les éléments sont drus et
divisés en partie menues, ces gens-là sont prompts et impulsifs ; entreprenant une foule
de choses, ils en achèvent peu à cause de la promptitude du mouvement de leur sang.
Ceux qui ont un mélange bien tempéré dans un seul membre, c’est de là qu’ils tirent
leur habileté ; ainsi les uns sont bons orateurs, les autres bons artisans, parce que les uns
ont le mélange dans les mains et les autres dans la langue ; il en est de même pour les
autres talents. » (Théophraste, Du Sens, 11)88.
53Or c’est de nouveau (comme l’objecte Platon) réduire le qualitatif au quantitatif, l’immatériel au
matériel.
54La dernière objection de Socrate (94b-95a) est fondée sur l’impossibilité d’identifier les
caractères passif du corps et actif de l’âme : ce qui dirige le corps (l’âme comme principe
hégémonique) ne peut être formé des mêmes éléments que lui, sans quoi on ne peut plus expliquer
qu’il soit susceptible de le diriger. Le corps en effet subit des « tensions, relâchements, vibrations et
autres états des éléments qui le composent » : si l’âme était de même nature que lui, elle devrait
aussi les subir sans pouvoir les contrer, et ne pourrait être que purement passive. Empédocle
échappe en partie à cette attaque, dans la mesure où il distingue (conceptuellement et
physiquement) les éléments des forces qui les meuvent (Νεῖκος et Φιλότης). Toutefois, ces
dernières entrant dans la composition des corps vivants et étant elles-mêmes corporelles, elles
tombent sous le coup du reproche platonicien ; d’autant qu’en un sens, nous subissons en effet, sans
pouvoir ultimement la contrer, la Nécessité cosmique de leur lutte – ainsi, dans le monde où le
pouvoir de Νεῖκος va croissant, nous sommes voués à nous disloquer en nos éléments primitifs.
Cependant, comme nous l’avons déjà dit à propos du diaphragme, il dépend de nous de faire croître
notre pouvoir sur nous-mêmes (cf. B110).
55L’harmonie la plus parfaite est réalisée, dans le cycle empédocléen, lors du Σφαῖρος : le tout (la
totalité des éléments irradiés du flux de Φιλότης à son intensité maximale) alors se sent et se pense
lui-même sans aucune perturbation de Νεῖκος, accédant à une forme suprême de pensée radieuse.
Dans le Timée, le récit de la production du corps et de l’âme du monde en emprunte certains traits ;
mais les analogies possibles semblent avoir pour fin de montrer, de nouveau, qu’il faut distinguer
corps et âme, contenant matériel et contenu intellectuel, substrat physique et qualités.
« Il a rendu tout le pourtour extérieur parfaitement lisse, et cela pour plusieurs raisons.
En effet, le monde n’avait nullement besoin d’yeux, car il ne restait rien à voir à
l’extérieur de lui ; ni d’oreilles, car il n’y avait non plus rien à entendre à l’extérieur de
lui. Et nul souffle ne l’entourait, qui attendît qu’on le respire.91 (…) Le dieu décida que,
comme ces instruments ne présenteraient aucune utilité, il devait se garder de lui adapter
des mains, qui lui permissent de saisir ou de repousser quelque chose (…). Et comme,
pour cette révolution [que le dieu a imprimée à la sphère], point n’était besoin de pieds,
il l’a fait naître sans jambes ni pieds. » (Timée, 33b7-34a1).
• 92 En prenant « membres » au sens habituel de parties organiques différenciées. Mais les
vers d’Empédo (...)
62Le Σφαῖρος est lui aussi κυκλοτερής (Β27, Β28), « partout égal » à lui-même (πάντοθεν ἶσος,
B28) ; lui non plus n’a pas de membres92 différenciés (B27, B29, B134) :
• 93 οὐ γὰρ ἀπὸ νώτοιο δύο κλάδοι ἀίσσονται, / οὐ πόδες, οὐ θοὰ γοῦν᾿, οὐ
μήδεα γεννήεντα, / ἀλλὰ Σφαῖρο (...)
« Car son corps n’est pas paré d’une tête ni de membres d’homme,
Deux rameaux ne jaillissent pas de son dos,
Il n’a ni pieds, ni genoux rapides, ni sexe velu94,
Il n’est qu’une pensée sacrée et ineffable,
Dont les pensées rapides parcourent tout le cosmos » (DK 31 B134)95.
63Or bien que le Σφαῖρος n’ait pas d’organes sensoriels anthropomorphes, il est doué de pensée et
de sensibilité, du fait que tous ses composants le sont aussi et se perçoivent mutuellement (B109), et
que la proportion de leur mélange en est aussi productrice. Aussi se sent-il tout entier lui-même et,
pourrait-on dire, a conscience de soi. Il n’est donc en rien nécessaire d’introduire une quelconque
« âme » pour que le Σφαῖρος (se) pense ; mais on peut néanmoins voir des correspondances entre
l’âme du monde du Timée et Φιλότης. « Au centre de ce corps, il [le dieu] a placé une âme, il l’a
étendue à travers le corps tout entier et même au-delà et il l’en a enveloppé » (34 b), du milieu vers
la périphérie de l’univers (36e). Φιλότης, « égale en longueur et en largeur » (B17, 20) s’étend
partout continûment à travers le Σφαῖρος et l’irradie de ses effluves en rayonnant depuis le centre –
mais en revanche pas au-delà, limitée dans son pouvoir par la force adverse qui contre ses effets. La
lutte toujours gronde, qui fatalement adviendra.
64Les limites des analogies ne doivent donc pas être franchies ; ce qui, pour Platon, justifie la forme
du corps du monde, relève certes de la nécessité (toutes les autres figures, à savoir les polyèdres
parfaits modélisant les éléments, sont inscriptibles dans la sphère), mais d’une nécessité
conditionnelle, ultimement corrélée au choix du meilleur. Le dieu choisit la sphère car c’est « la
forme la plus parfaite et la plus semblable à elle-même » (donc la plus apte à recevoir l’âme du
monde), et qu’il considère « qu’il y a mille fois plus de beauté dans le semblable que dans le
dissemblable » (33b). Cette dimension téléologique n’apparaît nullement chez Empédocle, dont les
κόσμοι et le cycle n’ont pas de fin.
• 96 Nous reprenons ici les analyses menées in Therme 2010. Pour une analyse détaillée du
mythe du Phédo (...)
65Il resterait maintenant à examiner de plus près les parallèles possibles entre certains récits
platoniciens de la transmigration des âmes (tels ceux du Phédon 80e sq. et 107c sq., ou du Phèdre
246a sq.) et les vers empédocléens narrant l’exil et l’errance des δαίμονες. Une telle tâche serait ici
bien trop longue à entreprendre, aussi nous bornerons-nous, pour clore une investigation qui se veut
modeste, à relever quelques indices de correspondance avec l’allégorie des âmes tripartites du
Phèdre96.
Bibliographie
Des DOI (Digital Object Identifier) sont automatiquement ajoutés aux références par Bilbo, l'outil
d'annotation bibliographique d'OpenEdition.
Les utilisateurs des institutions abonnées à l'un des programmes freemium d'OpenEdition peuvent
télécharger les références bibliographiques pour lesquelles Bilbo a trouvé un DOI.
Barnes J., The Presocratic Philosophers, Routledge, London, 19791 (2 vol. ), 19822..
Bodéüs R., Aristote, De l’âme, traduction, présentation et notes, GF/Flammarion, Paris, 1993.
Bollack J., Empédocle, les origines, Editions de Minuit, Paris, 1965-19691 (3 vol. ), réimpr.
Gallimard/tel, Paris, 1992 (3 vol.).
Empédocle. Les Purifications. Un projet de paix universelle, Le Seuil/Points-Essais, Paris, 2003.
Brisson L., Platon, Œuvres complètes, Flammarion, Paris, éd. rev. 2011.
Cornford F. M., From Religion to Philosophy. A Study in the Origins of Western Speculation,
London, 1912.
Cornford F. M., « Mystery Religions and Pre-Socratic Philosophy » in The Cambridge Ancient
History, IV, J.B. Bury, S.A. Cooke, F.E. Adcock (eds.), Cambridge, 1926, p. 522-578.
Curd P., « A New Empedocles? Implications of the Strasburg Fragments for Presocratic
philosophy », in Proceedings of the Boston Area Colloquium in ancient Philosophy, vol. XVII,
2002, p. 27-59.
DOI : 10.1163/22134417-90000027
Delcomminette S., « Facultés et parties de l’âme chez Platon », Plato, 8 (2008) [En ligne, URL :
http://gramata.univ-paris1.fr/Plato/article83.html ].
Diels H. & Kranz W., Die Fragmente der Vorsokratiker, Weidmann, Zürich, 19516.
Dixsaut M., Platon, Phédon, traduction, introduction et notes, GF/Fammarion, Paris, 1991.
Dixsaut M. et Brancacci A. (éd.), Platon, source des présocratiques, Vrin, Paris, 2002.
Duminil, M.-P. – Jaulin, A., Aristote, Métaphysique, présentation et traduction, GF/Flammarion,
Paris, 2008.
Kahn C. H., « Religion and Natural Philosophy in Empedocles’ Doctrine of the Soul », in The Pre-
Socratics. A Collection of Critical Essays, A.P.D. Mourelatos (ed.), Garden City, 1974, p. 426-456.
DOI : 10.1515/agph.1960.42.1.3
Karfík F., « What the mortal parts of the soul really are », Rhizai, II.2 (2005), p. 197-217.
Kingsley P., Ancient Philosophy, Mystery, and Magic – Empedocles and Pythagorean Tradition,
Clarendon Press, Oxford, 1995.
Kingsley P., Reality, The Golden Sufi Center, Inverness, 20031, 20052.
Martin A. & Primavesi O., L’Empédocle de Strasbourg (P. Strasb. gr. Inv. 1665-1666). Introduction,
édition et commentaire, W. de Gruyter, Berlin-New York, 1999.
O’Brien D., Empedocles’ Cosmic Cycle. A reconstruction from the fragments and secondary
sources, Cambridge University Press, 1969.
O’Brien D., « Life beyond the stars: Aristotle, Plato, Empedocles », in Common to body and soul,
philosophical approaches to explaining living behaviour in Greco-Roman antiquity, R.A.H. King
(ed.), W. de Gruyter, Berlin-New York, 2006, p. 49-102
Picot J.-C., « Les cinq sources dont parle Empédocle », Revue des Etudes Grecques, 117 (2004/2),
p. 393-446.
DOI : 10.3406/reg.2004.4587
Picot J.-C., « Water and bronze in the hands of Empedocles’ Muse », Organon, 41 (2009), p. 65-84.
Picot J.-C., « Empedocles, fragment 115, 3. Can one of the blessed pollute his limbs with blood? »,
in Reading Ancient Texts, vol. 1: Presocratics and Plato. Essays in Honour of Denis O’Brien, S.
Stern-Gillet - K. Corrigan (eds), Leiden Boston, 2007, p. 41-55.
Pradeau, J.-F., « L’âme et la moelle. Les conditions psychiques et physiologiques de l’anthropologie
dans le Timée de Platon », Archives de Philosophie, 61/3 (1998), p. 489-518.
Primavesi O., « Empédocle : divinité physique et mythe allégorique », Philosophie Antique, 7
(2007), p. 49-88.
Primavesi O., « Empedocles: physical and mythical divinity » in The Oxford Handbook of
Presocratic Philosophy, P. Curd - D. W. Graham (eds), Oxford University Press, Oxford/New York,
2008, p. 250-283.
Primavesi O., « Empedokles Physica I : Eine Rekonstruktion des zentralen Gedankengangs »,
Archiv für Papyrusforschung und verwandte Gebiete, 22,.W. de Gruyter, Berlin-New York, 2008.
Primavesi O., « Empedokles - Texte und Übersetzungen », in Die Vorsokratiker : Griechisch /
Deutsch, ausgewählt, übersetzt und erläutert von J. Mansfeld - O. Primavesi, Philipp Reclam
jun., Stuttgart, 2011, p. 392-563.
Primavesi O., « Empedokles », in Grundriss der Geschichte der Philosophie. Die Philosophie der
Antike, I, Frühgriechische Philosophie, D. Bremer - H. Flashar - G. Rechenauer (eds.), Basel,
Schwabe, 2013, p. 667-739.
Rashed M., « La chronographie du système d’Empédocle : documents byzantins inédits », Aevum
Antiquum (2001), p. 237-259.
Rashed M., « Le proème des Catharmes d’Empédocle. Reconstitution et commentaire », Elenchos
29 fasc. 1 (2008), p. 7-37.
Rashed M., « La chronographie du système d’Empédocle : addenda et corrigenda », Les Études
philosophiques, 110 (2014/3), p. 315-342.
Santaniello C., « Il demone in Empedocle » in Potere e religion nel mondo indo-mediterraneo tra
ellenismo e tarda antichità, G. Sfameni Gasparro (ed.), Isiao, Roma, 2009, p. 329-361.
Therme A.-L., « Est-ce par un tourbillon que l’Amour empédocléen joint ? L’hypothèse de
l’aimantation. », Philosophie Antique, 7 (2007), p. 91-119.
Therme A.-L., Les principes du devenir cosmique chez Empédocle d’Agrigente et Anaxagore de
Clazomène à partir de leur critique aristotélicienne, thèse de Doctorat, Université Paris I –
Panthéon-Sorbonne, 2008.
Therme A.-L., « Une tragédie cosmique : l’exil amnésique des daimones d’Empédocle », Actes des
Journées Doctorales en Philosophie Ancienne sur la rationalité tragique (19-20 juin 2009), 2010
[En ligne, URL : http://www.zetesis.fr/actes].
Wright M.-R., Empedocles: the Extant Fragments, Bristol Classical Press, London, 19811, 19952.
Haut de page
Notes
1 Phèdre, 245c-246a.
2 Cf. Delcomminette (2008, §36) : « Les parties de l’âme ne sont pas des parties d’un corps, à la
manière des organes corporels, mais des structures qui définissent des espèces de mouvements
psychiques, une structure comportant essentiellement deux aspects : un mode de fonctionnement
spécifique et un objet de désir qui lui est propre. Quant aux facultés, du moins ces facultés
psychiques que sont la connaissance et la δόξα, elles sont elles aussi des mouvements psychiques,
ou plutôt la capacité d’effectuer un certain type de mouvements psychiques. Mais ces mouvements
se définissent moins par leur structure que par leur résultat, par ce qu’ils accomplissent, à savoir la
saisie de l’objet qui leur est assigné en propre. »
3 Voir à ce titre Platon, source des présocratiques, M. Dixsaut et A. Brancacci (éd.), 2002.
4 Les références aux témoignages (A) et aux fragments présocratiques (B) suivent l’édition Diels-
Kranz (DK) 19516.
5 Sur l’inauthenticité de ce vers (χαλκῷ ἀπὸ τοῦ ψυχὴν ἀρύσας, « puiser la vie avec le bronze »,
rapporté par Aristote), cf. Picot 2004 et 2009. Le fragment 138, faussement attribué à Empédocle
par Vahlen et Diels, serait d’un poète inconnu. La confusion serait due à un rapprochement avec le
fr. 143 tel qu’il était édité au début du XIXe siècle, sous une forme peu fiable.
6 Ce qui n’exclut pas leur éventuelle divinité : le Σφαῖρος est un dieu éphémère.
7 Cf. aussi 31A96 (Stobée et Aétius) : « Parménide, Empédocle et Démocrite disent que l’intellect
(νοῦς) est la même chose que l’âme (ψυχή) ».
8 Aristote, De l’âme, III, 3, 427 a21-25 ; Théophraste, Du Sens, 10 (« la pensée se confond avec la
sensation ou s’en rapproche beaucoup »).
9 B103 : « …tout pense » (πεφρόνηκεν ἅπαντα) ; B110, 10 : « Car sache que tous ont l’intelligence
(φρόνησις) et leur part de pensée (νώματος αἶσαν) ».
10 B109 (qu’Aristote cite à l’appui de sa classification) : « Car c’est par la terre que nous voyons la
terre, par l’eau l’eau, / par l’éther le divin éther, et par le feu le feu destructeur… ».
11 Théophraste, Du Sens, 10 : « on pense surtout par le sang, car c’est en lui que les éléments des
membres peuvent conserver le meilleur mélange » ; [Plutarque], Opinions des philosophes, IV, 5
(31 A97) : « Empédocle [situe l’hégémonique] dans la composition du sang » (ἐν τῇ τοῦ αἵματος
συστάσει).
12 Aristote déclare que si certains « se prononcent pour le sang, c’est qu’ils estiment que le fait de
sentir constitue la principale propriété de l’âme et que celle-ci est attribuable à la nature du sang »
(De l’âme, I, 2, 405 b6-8).
13 Cf. Aristote, De l’âme, III, 3, 427 a27-30 : Empédocle affirme que « penser est un phénomène
corporel, comme sentir ».
14 Conformément à un certain usage hésiodique et homérique (par ex. Iliade, I, 608), repris par les
tragiques tels Eschyle et Euripide. Cf. B5 (φρενός), B23 (φρένα) ; B110, B129, B132
(πραπίδεσσιν).
15 Traduction R. Bodéüs.
16 Il serait trop long de démontrer ici ce point. Mais contrairement à ce qu’affirme P. Curd (2013) il
est possible de comprendre sans contradiction les vers d’Empédocle en faisant de l’Amour et de la
Haine des entités corporelles – à condition de les concevoir non pas comme des particules
matérielles « calquées » sur le modèle des éléments, mais comme des forces physiques étendues
selon un paradigme de type magnétique ou ondulatoire (cf. Therme 2007 et 2008).
17 « Car la première philosophie semble balbutier sur tout, parce qu’elle est jeune et à ses débuts,
puisque même Empédocle affirme que l’os existe par la proportion ; et cela est « l’être ce que
c’est », c’est-à-dire la substance de la chose. (…) En effet, c’est par là que la chair, l’os et chacune
des autres parties existeront et non par la matière que ce philosophe appelle feu, terre, eau et air.
Mais alors qu’il aurait nécessairement reconnu cela si un autre l’avait énoncé, il ne l’a pas énoncé
clairement » (Métaphysique, A, 10, 993a15-24, traduction M.-P. Duminil et A. Jaulin, 2008).
18 Voir les contextes des citations des fragments B115, B119-122, B127. Les fragments 112-153a
ont été rapportés par Diels à un second poème, les Catharmes ou Purifications. Il excèderait la
portée du présent propos d’examiner la question polémique consistant à déterminer s’il y avait en
effet deux poèmes, l’un physique, l’autre « religieux » ou eschatologique, ni quel est le rapport
entre les deux.
19 B115, 13 ; B117, 1 ; B118 ; B139 ; Pap. Strsb. ens. d.
20 B119, Pap. Strsb. ens. d.
21 Peuvent-ils alors s’identifier aux « dieux à la longue vie » (δολιχαίωνες) du poème physique
(B21, 12 et B23, 8) ? D’autre part, notons qu’Empédocle se qualifie lui-même de « dieu immortel »
(ἄμβροτος θεός, B112, 4), ce qui pose une autre difficulté : est-ce à dire que son δαίμων l’est ?
22 Il peut s’agir d’un meurtre ou d’un crime de sang, lié peut-être à la dévoration. Les mss. de la
citation du vers 4 de B115 par Plutarque portent φόβωι, corrigé en φόνωι par la majorité des
éditeurs (suivant le vers transmis par Stephanus, 1572). Voir Wright 1995 p. 272 et Primavesi 2008
n. 97 p. 275. Le fait que l’on pense par le sang pourrait être l’une des raisons conditionnant le refus,
par Empédocle, des sacrifices sanglants (B136-137, Pap. Strsb. d5-6), ainsi que son adoption du
végétarisme (B139).
23 Cf. B115, 6 : ἀλάλησθαι et 13 : φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης.
24 B115, 5-9, B117, B127 et B146.
25 Pap. Strsb. d12, cf. d9 et B124.
26 θεοί, B146, 3 ; cf. μακάρων, B115, 6.
27 Bollack 1969, 2003, apparemment suivi par Santaniello 2009.
28 2008 (1) p. 252, je traduis.
29 Ibid., p. 260.
30 Primavesi propose de réserver le terme de « racines » (qui en fait des divinités) aux éléments
quand ils sont totalement séparés par la Discorde, et non quand ils sont pris dans une composition.
Ils ne recevraient l’appellation de δαίμονες que lors de leur exil (ibid., p. 261). On pourrait alors
expliquer pourquoi les démons jouissent seulement « d’une longue vie » alors même que les
éléments sont impérissables.
31 Selon Primavesi, le nom divin du Σφαῖρος serait Apollon (ibid., p. 261-262).
32 Ibid., p. 253-255 et 265 et (2011), p. 408-409 et p. 491 sq. pour l’édition des textes relatifs à
l’« horaire » du cycle cosmique (comprenant les scholies).Voir (2013) pour une analyse plus
détaillée de ce « Zeitplan » (p. 704-709) et de ce qu’il identifie comme un « rapport d’analogie »
« entre la théologie mythique et physique d’Empédocle » (p.717, je traduis, cf. p. 717-719).
33 « Il paraît donc aujourd’hui impossible de soutenir, comme nous l’avions fait dans notre premier
article sur les scholies, et comme Primavesi l’a fait depuis, qu’une phase d’acosmie totale, le Dînos,
durerait autant que le Sphairos. Si les scholies peuvent se prévaloir d’une certaine authenticité, il
faut les débarrasser d’une telle lecture » (p. 330). « Il faut donc postuler un écart entre la
chronologie des Catharmes et celle du poème Sur la nature. Alors que le cycle démonique des
réincarnations est de 10000 ans, ou de cent siècles « humains », le cycle cosmique est beaucoup (au
moins seize fois, d’ailleurs) plus étendu. Cette conclusion dissuade de chercher à assimiler les
30 000 saisons des Catharmes, soit 10000 ans, à l’un des segments temporels du Περὶ φύσεως.
Tant mieux, car une telle tentative mène à l’impasse » (p. 336).
34 Voir en ce sens B112, 10-12, B118, B124, B145 ou B154a.
35 Empédocle n’est pas seulement un physicien soucieux de comprendre la structure de l’univers,
mais un homme préoccupé du sort de ses prochains, qui cherche à améliorer leur condition – non
seulement comme médecin guérisseur, voire thaumaturge (B110, B112), mais en les aidant
concrètement. Les témoignages mettent en avant son ingéniosité philanthrope : il aurait sauvé
Agrigente de la peste en déviant les vents (A1 §60, A14), et assaini les marais de Sélinonte en
faisant confluer deux rivières (A1, §70). La violence et la véhémence des fr. B136-137 ne peuvent
pas non plus s’expliquer comme une injonction à respecter les éléments.
36 Wright 1981, Barnes 1982.
37 Curd 2002 et Osborne 1987 qui établit l’équation δαίμων =sang.
38 Première position de Cornford 1912, O’Brien 1969, Kahn 1974, Martin/Primavesi 1999.
39 Seconde position de Cornford 1926.
40 Kingsley 2003.
41 Cf. par exemple le mythe de la fin du Gorgias, 524 b-d, ou Phédon 83.
42 Cf. en particulier République, IV, 436-441, Phèdre, 246a et 253c, Timée 69 c-e. Cette tripartition
de l’âme n’est toutefois pas présupposée par tous les dialogues (cf. par ex. Phédon, infra, II, 1).
43 Platon s’inscrit ainsi dans une lignée remontant à Alcméon de Crotone (qui faisait du cerveau le
centre de la compréhension et de la saisie sensibles, 24 A10 et A17 DK, l’intellect étant réservé aux
hommes, 24 B1a), continuée par certains traités hippocratiques (Des Chairs ; De la maladie
sacrée).
44 Selon les Vies de Diogène Laërce, VIII, 64-66 et 72.
45 Ibid. et Plutarque, Contre Colotès, 31 A14.
46 Cf. Théophraste, Du Sens, 10-11.
47 Cf. Therme 2010. Nous nous attarderons ici davantage sur les critiques platoniciennes du sang
pensant et de l’« âme harmonie » que sur le δαίμων.
48 La connaissance étant fondée sur la réminiscence de la contemplation des formes intelligibles,
elle présuppose que l’âme soit susceptible de perdurer dans le temps.
49 Les traductions de Platon sont extraites de l’édition révisée dirigée par L. Brisson 2011 (L.
Brisson pour le Timée et le Phèdre, M. Dixsaut pour le Phédon).
50 αὑτὰ γὰρ ἔστιν ταῦτα, δι᾿ ἀλλήλων δὲ θέοντα / γίγνεται ἀλλοιωπά· τόσον διὰ κρῆσις
ἀμείβει (B21, 13-14) ; ᾗ δὲ τάδ᾿ ἀλλάσσοντα διαμπερὲς οὐδαμὰ λήγει, / ταύτῃ δ᾿ αἰὲν ἔασιν
ἀκίνητοι κατὰ κύκλον (B17, 12-13 et 34-35 = B26, 11-12).
51 Cf. les fragments B2 ; B3, 9-13 ; B8 ; B15 ; B17, 21-26 ; B23, 9-11 ; B110 ; B133 et Β134. –
Notons que si les éléments sont certes visibles (cf. B21, B38 et B71), on ne peut les percevoir dans
leur pureté (telle qu’elle se réalisera lors de la phase de victoire de la Discorde) : dans le monde
dans lequel nous vivons, ils sont toujours pris dans des mélanges.
52 On peut faire le parallèle avec les critiques émises par Aristote sur le mélange empédocléen, qui
à ses yeux n’est qu’une simple juxtaposition de particules, certes invisibles à l’œil nu mais qui
demeureraient perceptibles par « l’œil de Lyncée » (Génération et Corruption, I, 10, 327 b31 - 328
a17, et II, 7, 334 a18-b2) : il n’y a pas de réel mélange s’il n’est qu’illusion macroscopique. Si la
démonstration vise d’abord les atomistes, elle s’applique également à Empédocle : cf. Therme
2008 p. 375-386.
53 Bien que ce terme féminin désigne généralement l’épouse d’un artisan, nous nous conformons
ici à l’usage introduit par J. Bollack (op. cit. t. III, par ex. p. 70, 122 et 485) à propos de Φιλότης.
Voir en ce sens le fait que ce soit une fillette qui joue à la clepsydre en B100, 8-9.
54 Cf. aussi B75 : « Parmi eux, les uns, au fond, devinrent denses (πυκνά), les autres, au-dehors,
lâches (μανά), en se caillant (πέπηγε) / Pour avoir, dans les paumes de Cypris, trouvé cette
élasticité.» (Traduction J. Bollack modifiée), et le fr. Wright 152, qui décrit certainement
l’intrication arborescente des pores ou conduits qui traversent le corps et des « denses » par lesquels
la συμμετρία du mélange est possible : « Car parmi eux certains étant formés de racines plus denses
au fond / fleurissent en bourgeons plus rares [en haut] » (τῶν γὰρ ὅσα ῥιζαις μὲν
ἐπασσυτέραι[σιν] ἔνερθε / μανοτέροις [δ᾿ ὅρ]πηξιν ὑπέστη τηλε[θάοντα]).
55 « Pour toutes ces substances [i.e. les os, les chairs etc.], le point de départ, c’est la moelle. En
effet, les liens de la vie [τοῦ βίου δεσμοί] sont, aussi longtemps que l’âme est enchaînée au corps,
fixés dans ce corps et servent de racines [κατερρίζουν] pour la race mortelle ».
56 Nestis est l’un des noms métaphoriquement donnés à l’eau, Héphaïstos au feu.
57 Traduction Bollack modifiée.
58 Cypris (l’un des noms d’Aphrodite « la Chypriote ») est encore un avatar de Φιλότης-῾Αρμονίη,
plus spécifiquement lorsqu’il s’agit de désigner son activité démiurgique.
59 Traduction Bollack.
60 Traduction Bollack modifiée.
61 Idem.
62 Le statut de la moelle dans son rapport à l’âme qu’elle véhicule n’est pas sans poser de
difficultés. Dans quelle mesure sa matière a-t-elle la spécificité de s’attacher des « nœuds » et des
mouvements psychiques immatériels ? Selon J.-F Pradeau (2008), sa conformation lui permet de
remplir les conditions nécessaires à l’exercice et au déploiement de toute la diversité des fonctions
de l’âme, qui n’en demeure pas moins une dans sa nature. Pour F. Karfík (2005), la moelle est la
« structure corporelle » (p. 213) dans laquelle les mouvements de l’âme peuvent circuler à travers le
corps – mouvement circulaire dans le crâne, et hélicoïdal le long de la colonne vertébrale. Par
« parties (ou espèces) mortelles de l’âme », il propose donc d’entendre « les mouvements
spécifiques de tissus spécifiques » (tels la moelle, le cœur ou le foie), mouvements qui « à la fois
proviennent de l’âme immortelle et agissent sur elle », ce qui le mène à réduire le dualisme âme-
corps : « il n’y a pas d’âme mortelle séparée du corps d’un être vivant, et elle n’a pas d’autre
substrat que les tissus corporels d’un organisme » (p.214, je traduis).
63 Voir en ce sens les nombreuses critiques, notamment aristotéliciennes, sur l’absence de finalisme
et le rôle dévolu au hasard dans la constitution des vivants : ainsi en Physique, II, 4, 196 a17-24, II,
8, 198 b10-199 b13, III, 2, 300 b25-30 ; Génération et corruption, II, 6, 333 b3-19, Parties des
animaux, I, 640 a19-641 a16.
64 Cf. les témoignages réunis en 31 A87 : Aristote, Génération et Corruption I, 8, 324 b26 sq. et ses
commentaires par Philopon ad loc. et le Ps.-Philopon, Commentaire de la Génération des Animaux
d’Aristote, 123, 13 sq.
65 Les corps (élémentaires ou composés) dont les pores et denses se trouvent dans ce rapport de
συμμετρία sont dits amis (ἄρθμια) : ainsi l’eau épouse (ἐνάρθμιον) le vin, mais pas l’huile (B91) ;
les mules sont stériles car leur semence ne peut entrer en συμμετρία avec une autre (ad B92).
66 Cf. ἔπηξεν B86, πέπηγε B75, 1, πεπήγασιν B107, 1, πάγεν B15, 4 et les témoignages de
Plutarque ad B33 (σύμπηξις) et ad B19 (καταπεπηγέναι).
67 Sur l’explication empédocléenne de l’aimantation, cf. Alexandre d’Aphrodise (31 A89), qui met
clairement en relation ἐναρμόζειν, συμμετρία des πόροι et ἀπόρροιαι, et son analyse in Therme
2007.
68 « SOCRATE : – Vous dites bien, suivant Empédocle, que les êtres émettent certains effluves
(ἀπορροάς), n’est-ce pas ? MÉNON : – Oui, certes. SOCRATE : – Et qu’ils « comportent des pores »,
où se portent ces effluves et par lesquels ils passent (…) Et que, parmi ces effluves, il en est certains
qui s’adaptent (ἁρμόττειν) à certains pores, tandis que les autres sont soit trop petits soit trop
gros. »
69 Cf. B17, 20 qui affirme que Φιλότης est dans les éléments (ἐν τοῖσιν) et leur est « égale en
longueur et en largeur » (ἴση μῆκός τε πλάτος τε), autrement dit a la même extension qu’eux ; voir
aussi Aristote, Métaphysique B, 1, 996 a7-8 (Empédocle fait de Φιλότης un substrat matériel des
êtres) et Λ, 10, 1075 b1-6 (Φιλότης « est principe à la fois comme moteur, puisqu’elle rassemble, et
comme matière puisqu’elle est partie du mélange »).
70 Traduction Bollack.
71 Κύπριδος ὁρμισθεῖσα τελείοις ἐν λιμνέσσιν (je souligne). Voir B35, 13 : Φιλότητος...
ἄμβροτος ὁρμή. Une des spécificités de l’âme platonicienne est d’être définie par ses élans
(ὁρμαί), motif analogue à ce qui caractérise la Φιλότης d’Empédocle.
72 Outre τοῦ βίου δεσμοί (73 b3, cité supra) et πάσης ψυχῆς δεσμοί (73d6), où ils sont comparés
à des cordes d’ancres tendues, voir 81d : « Et à la fin, quand les liens étroits qui unissent [οἱ
συναρμοσθέντες δεσμοί] les triangles de la moelle n’arrivent plus à tenir, distendus qu’ils sont par
la fatigue, ils laissent se relâcher à leur tour les liens de l’âme [τῆς ψυχῆς δεσμούς], et l’âme,
délivrée de façon naturelle, s’envole avec plaisir ». Sur l’implantation de l’âme dans un corps, voir
aussi Timée 42 a3 : ἐμφυτευθεῖεν.
73 F. Karfík 2005 p.210-211.
74 Odyssée, XX, 17-18, cité en République, III, 390d et IV, 441b ou encore dans le Phédon, 94c9-
e6 (contre l’âme harmonie, cf. infra).
75 Selon F. Karfík (ibid.), le cœur et les veines sont les médiateurs physiques de l’action du θύμος
sur les ἐπιθυμίαι, lui permettant de relayer les directives du λογιστικόν.
76 Faire le parallèle avec les vers terminant le fragment B100, qui montrent « le sang bouillonnant à
travers ses routes » (αἷμα κλαδασσόμενον δι᾿ ἀγυιῶν, v. 22, avec peut-être un jeu sur routes/
membres, γυῖα)
77 Cf. au fragment B2, 1 : « Des paumes étroites sont répandues sur les membres » (στεινωποὶ μὲν
γὰρ παλάμαι κατὰ γυῖα κέχυνται), les « paumes » renvoyant métaphoriquement, pour Empédocle,
aux pouvoirs sensoriels et intellectifs dont nous disposons (cf. B3, 9 et 13 : les « paumes » sont ce
par quoi toute chose nous devient claire ou manifeste, δῆλον). Les « paumes de Cypris » quant à
elles (B75, 2 et B95) désignent son pouvoir démiurgique de modelage.
78 « Et tout inspire et expire : tous, ils ont d’exsangues / Canaux de chair (σαρκῶν σύριγγες),
tendus sous la peau, partout sur le corps ; / Et partout, à leur embouchure, un réseau de fins sillons
creuse / La surface de la peau au-dehors. Le sang / S’y tapit, et l’éther s’est taillé au travers un facile
passage. / Quand, loin de la peau, le sang délicat s’enfuit en bondissant / L’éther bondit à s suite, en
bouillonnant en vagues furieuses ; / Mais quand le sang afflue à grands bonds, il s’exhale en
retour » / (B100, 1-7, traduction Bollack). Cf. Aristote ad B100 (De la Respiration, 13, 473b1 sq.)
et la critique dans le traité pseudo-aristotélicien Du souffle, 3, 482 a28 sq.
79 B105 : « la pensée circule » (νόημα... κικλήσκεται) « dans les vagues du sang fluant et refluant »
(αἵματος ἐν πελάγεσσι... ἀντιθορόντος) ; Timée, 81a-b : « les particules de sang finement
morcelées et enveloppées circulairement comme par un ciel en raison de la cohésion qui caractérise
chaque vivant sont forcées d’imiter le mouvement de l’univers. » (81 a-b).
80 Cf. n. 67 supra.
81 Voir en ce sens les fragments sur l’interdit de la viande et des sacrifices sanglants (B136, B137,
B139, Pap. Strsb. d5-6), et les commentaires ad B135 (Aristote, Cicéron, Jamblique) et ad B136
(Sextus Empiricus).
82 Pseudo-Plutarque, Opinions des philosophes, IV, 9 : « Pour Empédocle, c’est suivant la
συμμετρία des pores que se font les sensations, en s’ajustant à chacun des sensibles apparentés
(παρὰ τὰς συμμετρίας τῶν πόρων τὰς κατὰ μέρος αἰσθήσεις γίνεσθαι, τοῦ οἰκείου τῶν
αἰσθητῶν ἑκάστῃ ἁρμόζοντος). Théophraste, Du Sens, 7 : « Empédocle prétend que la sensation
se produit par l’adaptation aux pores propres à chaque sens (φησι τῷ ἐναρμόττειν εἰς τοὺς πόρους
τοῦς ἑκάστης αἰσθάνεσθαι) ; aussi l’un ne peut-il reconnaître ce qui appartient à l’autre, puisque
les pores, selon qu’ils sont larges ou étroits, touchent d’autres choses selon l’objet à percevoir, si
bien que les uns traversent sans toucher et que d’autres ne peuvent pas pénétrer du tout. »
83 Théophraste, Du Sens, 15.
84 Cf. 61d qui présente Simmias et Cébès comme des « disciples de Philolaos » cependant pas bien
renseignés sur ses thèses.
85 Diogène Laërce, Vies, VIII, 54-55 (31 A1) ; cf. 31 A7 et A11.
86 Les traductions du Phédon sont de M. Dixsaut.
87 Cf. 101a : la grandeur est identique à elle-même bien qu’il y ait des choses plus ou moins
grandes et petites.
88 Traduction Bollack.
89 Cf. la description qu’en donne Ps.-Aristote, Mélissos, Xénophane, Gorgias, III-IV, 977a-979a
(DK 21 A28).
90 La présence d’une enveloppe de Haine à la périphérie du Σφαῖρος est déductible de B27a
(« nulle Discorde en ses membres ») et de B35 qui narre comment la Haine a été peu à peu
repoussée au-dehors, vers les « lointaines limites » du tout.
91 Cette précision semble dirigée contre le πνεῦμα des pythagoriciens.
92 En prenant « membres » au sens habituel de parties organiques différenciées. Mais les vers
d’Empédocle témoignent d’un usage spécifique de ce terme en désignant par là les quatre éléments
eux-mêmes ; voir par exemple B27a, B30 et B31 (où « les membres du dieu », γυῖα θεοῖο, désigne
les éléments conjugués dans le Σφαῖρος).
93 οὐ γὰρ ἀπὸ νώτοιο δύο κλάδοι ἀίσσονται, / οὐ πόδες, οὐ θοὰ γοῦν᾿, οὐ μήδεα γεννήεντα, /
ἀλλὰ Σφαῖρος ἔην καὶ ἶσος ἐστὶν αὐτῷ. (Traduction Bollack modifiée).
94 La mention de l’absence d’organes génitaux peut se référer à l’acosmie du Σφαῖρος.
95 οὐδὲ γὰρ ἀνδρομέῃ κεφαλῇ κατὰ γυῖα κέκασται, / οὐ μὲν ἀπαὶ νώτοιο δύο κλάδοι
ἀίσσονται, / οὐ πόδες, οὐ θοὰ γοῦν᾿, οὐ μήδεα λαχνήεντα, / ἀλλὰ φρὴν ἱερὴ καὶ ἀθέσφατος
ἔπλετο μοῦνον, / φροντίσι κόσμον ἅπαντα καταΐσσουσα θοῇσιν. (Traduction Bollack modifiée)
96 Nous reprenons ici les analyses menées in Therme 2010. Pour une analyse détaillée du mythe du
Phédon, dans sa corrélation à Empédocle et aux Pythagoriciens, cf. Kingsley 1995 p.79-194.
97 Ce qui a d’ailleurs été, sans doute, l’une des sources principales de la contamination
d’Empédocle par l’interprétation néoplatonicienne qui substitue aux δαίμονες des « âmes ».
98 A mettre en parallèle avec les âmes pures et bienheureuses du Phédon, 80d-81a.
99 L’expression se trouve en B 121, 4, et conjecturée dans le Pap. Strsb., d17. ῎Ατη est la Fatalité,
personnification de tous les fléaux, calamités et malédictions divines qui peuvent s’abattre sur les
mortels pour les faire expier leurs fautes ; mais c’est aussi plus particulièrement ce qui mène à
l’égarement, l’aveuglement.
100 Ou : dans son effroi, son épouvante (φόβῳ).
101 M. Rashed insère ici, dans sa reconstruction du proème des Catharmes (2008), les deux vers du
fragment B113 : « mais pourquoi m’appesantir là-dessus comme si je faisais quelque chose de
grand / en surpassant des hommes mortels, sujets à tant de destructions ? »
102 Traduction M. Rashed 2008. Notons que ce fragment pose de grandes difficultés d’édition, sur
lesquelles nous n’entrerons pas ici. Sur le vers 3 en particulier, voir Picot 2007.
103 Nous suivons ici la reconstruction de M. Rashed 2008.
104 Remarquons aussi que la loi d’Adrastée est pour Platon ce qui n’admet aucun parjure : cf.
République, V, 451a, où Socrate place son discours sous le sceau de la vérité en se « prostern[ant]
devant Adrastée ».
105 « Car moi, je fus déjà un jour garçon et fille, / Et plante et oiseau et poisson, qui trouve son
chemin hors de la mer. » (B117)
106 Mais chez Platon, nulle trace de faute qui soit en lien avec un meurtre chez Platon. Rien
n’atteste que le lien chez Empédocle soit causal ; la faute elle-même peut être d’une autre nature.
107 Si les bienheureux sont « attablés » n’est-ce pas, peut-être, qu’ils se nourrissent (cf. le fragment
B128 sur l’âge du règne de Κύπρις) à l’instar des bienheureux dans la prairie de la vérité
platonicienne ?
108 Traduction Bollack 2003.
109 Cf. B118, B119, B120 (« Nous sommes venus sous le toit de cette caverne… »), et l’ensemble
d du Pap. Strsb.
110 « Croître » signifie en fait « s’assembler » pour les éléments, comme l’explique B8. Cf. les
occurrences de la forme verbale en B26, 8, B35, 14 et B61, 1, et du substantif en B8, 1 et 4, B61, 1
et B63.
111 Remarquons que le décret, bien qu’éternel, fixe un châtiment d’une durée limitée. Cela pourrait
arguer en faveur de la lecture d’O. Primavesi d’une correspondance analogique entre les durées des
cycles cosmique et mythique – mais peut aussi impliquer que le δαίμων ayant subi sa malédiction a
la responsabilité de son retour parmi les Bienheureux.
112 « Parmi les bêtes, ils deviennent des lions gîte-montagne,/ Dormant à terre, et parmi les arbres,
des lauriers à la belle chevelure » (B127, traduction Bollack).
113 B89, B101, B102.
114 Cf. B87, B95, B96, B98. C’est l’interprétation que nous défendons dans Therme 2008.
115 Cf. Therme 2008 p.398-400.
116 Cf. aussi κλάδοι, « les rameaux » (B29, 1 et B134, 2), pour désigner des membres (en
l’occurrence absents : dans les deux fragments Empédocle, en niant que le Σφαῖρος ait des
membres, veut dire qu’il est indifférencié et acosmique, qu’aucune forme nouvelle n’y est
engendrée).
117 90a5-b1 ; cf. 41d8-42b1.
118 Cf. B57, B59 à B61, et les témoignages réunis en A72.
119 ἐμφυτευθεῖεν Timée 42 a3 , ἐφύτευσεν 70e1, φυθεύων 73c4, φυτεῦσαι Phèdre 248d1.
Haut de page
Auteur
Anne-Laure Therme
Docteur et agrégée de philosophie
Haut de page
Droits d’auteur
© Société d’Études platoniciennes