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Jacques Derrida évoque Artaud

Jacques Derrida
Entretien avec Jacques Derrida par Pierre Barbancey. Regards 27 - Septembre
1997

Philosophe, Jacques Derrida a écrit de nombreux textes sur


l’oeuvre écrite et graphique d’Antonin Artaud. Il a donné
une conférence à la Fondation Maeght, “La question du musée:
le coup d’Antonin Artaud”. L’occasion d’évoquer l’oeuvre
d’Artaud-Momo.

Lors de votre conférence, vous avez mis beaucoup de passion


dans la lecture des textes d’Artaud, il y avait presque
mimétisme. Par ailleurs, vous dites trouver dans son oeuvre
des idées détestables.comment construisez-vous cette dualité
?

Jacques Derrida: On a beaucoup cherché à imiter Artaud. J’essaie de ne pas le faire.


Par contre, quand je lis son texte, ses glossolalies, l’imitation est de rigueur. Je n’ai pas
suggéré que je haïssais Artaud mais que, si l’on pouvait isoler dans son oeuvre, dans son
discours, des contenus philosophiques ou idéologiques, je m’en méfierais. Il y a malgré
tout dans son oeuvre quelque chose que l’on peut déchiffrer comme une métaphysique de
la réappropriation, de l’identité à soi, du pur. Finalement une certaine sacralité de type
chrétien. Même dans son emportement contre le christianisme, il considère que celui-ci
lui a volé son corps, que la Trinité est une machine à exproprier la naissance et à lui
souffler la parole. Par conséquent, ce qui l’oppose à cette usurpation, c’est un désir de
réappropriation. Cela concerne aussi bien le christianisme que la technique, comme on
peut le voir avec le texte sur l’insémination artificielle à laquelle il oppose une certaine
naturalité. Ce sont des thèmes métaphysiques que j’ai essayé de mettre en question
ailleurs et dont je me méfie. Je reconnais qu’on n’a pas le droit de dissocier les deux. Il y
a chez lui un geste, une protestation, une révolte et donc un passage à la limite qui ne se
réduit pas à un contenu philosophique ou idéologique. Il y a un corps d’Artaud qu’il faut
voir et entendre dans son oeuvre théâtrale, poétique, graphique. Il ne faut pas oublier
qu’il a été très douloureusement le témoin d’une terrible violence sociale, politique,
juridique, médicale. Quand cela passe par un cri, un traitement de la langue aussi
puissant, je pense qu’il faut analyser.
Dans les premiers textes d’Artaud, on repère certains mots,
certaines phrases que l’on retrouve par la suite dans les
Cahiers de Rodez. Il y a donc une continuité dans la pensée
d’Artaud, il n’y a pas de césure...

Jacques Derrida: Mon intérêt de départ pour Artaud m’a porté vers ses premiers
textes, les lettres à Jacques Rivière, ces moments où il se plaignait de n’avoir rien à dire.
Ce désir d’écrire sur rien ou à partir de rien m’intéressait beaucoup. C’est peu à peu que
j’ai découvert ce qui suivait dont le texte sur le théâtre de la cruauté et assez tardivement
ses dessins et ses portraits. Vous avez raison de dire qu’il y a continuité avec la
thématique des premiers textes. Cette espèce d’expérience de vide, de dépossession, on
l’entend déjà dans les premiers textes. Cela n’empêche pas qu’à l’intérieur de cette
aventure continue, il y a eu une scansion très forte, qui a été aussi la scansion de son mal.
Il a souffert de maux psychiques et physiques dès son adolescence mais c’est aux
environs de la quarantaine, juste avant la guerre, qu’il y a eu des épisodes terriblement
durs où il a été psychiatrisé, mis en institution. C’est la période de Rodez et des
électrochocs qui a correspondu avec la période de grande création picturale et graphique.

Il y a ce tryptique “foudre, foutre, poudre” que l’on


retrouve dans ses textes. Il y a évidemment la dimension du
jeu avec les mots. Peut-on parler d’une dimension
psychanalytique?

Jacques Derrida: Ces chaînes s’analysent de deux façons. Il y a l’analyse sémantique,


c’est-à-dire passer de l’un à l’autre par le sens des mots. Il y a aussi une chaîne formelle
qui est la ressemblance phonique entre toutes ces syllabes. C’est à partir du souffle, des
poumons. Une phonation à la langue. Il le dit lui-même. Quand il parle de sa peinture, de
ses dessins, il les rappelle aux ordres du souffle. C’est une expérience du corps et de la
voix qui passe l’ordre de la langue et de la grammaire. Il essaie d’arracher son corps pour
le soustraire aux voleurs, mais il essaie d’arracher aux ordres linguistiques, grammaticaux
pour retrouver une autre langue qui soit la sienne et qui passe par la gorge. Lorsqu’on
entend ses textes, il faut laisser tomber le sens et écouter la nécessité des phonèmes qui
s’appellent les uns les autres. Quelquefois, il écrit un mot à cause du son, pas à cause du
sens. C’est aussi bien poétique que théâtral, que pictural. En regardant certain tableau, on
a l’impression que c’est la syllabe “ra” qui l’a engendré ou que “ra” s’espace dans le trait
ou dans la couleur. Mais on ne peut pas dissocier ces différents éléments.

C’est ce qui explique son intérêt pour le théâtre?


Jacques Derrida: Le théâtre a été la grande affaire de sa vie. Mais c’est aussi une
révolte contre le théâtre tel qu’il était. Ce qu’il appelait le théâtre de la cruauté supposait
une rupture, une destruction même de tout le théâtre de la représentation, de la parole, du
théâtre qui assujettit le corps au texte de l’auteur. Il ne voulait pas que l’acteur improvise
comme on lui a souvent fait dire. Artaud était pour une prescription très calculée de tous
les gestes sur la scène. Mais cette prescription ne signifiait pas que l’acteur obéissait à un
texte parlé préalable. Il a une grande cohérence entre le théâtre de la cruauté et la
peinture. Une de ses toiles s’intitule justement le Théâtre de la cruauté. C’est pour lui la
même expérience.

Vous dites que le musée représente une canonisation. Qu’en


pensait Artaud, lui qui, par ailleurs, lançait: “Ne vous
laissez jamais mettre au cercueil” ?

Jacques Derrida: Il n’a pas de grands textes sur les musées. Mais quand j’ai vu cette
célébration à New York où le MOMA, le plus grand musée du monde, le légitimait, le
célébrait, ça m’a saisi. Qu’est-ce qui se passe pour que, cinquante ans après sa mort, on le
canonise ? On peut imaginer ce qu’il aurait dit sur le musée, comme le lieu de
conservation, d’archivation, de momification, de sanctification. D’une certaine manière,
le musée est une chose de l’Occident chrétien. On peut imaginer qu’il n’aurait pas aimé le
musée ou le théâtre du musée. J’ai essayé d’imaginer la protestation d’Artaud contre la
machine dans laquelle un musée s’inscrit: l’Etat, le capital...

Votre conférence commence par une date inscrite sur un


tableau. C’est le 2 juillet 1947. Est-ce une date importante
?

Jacques Derrida: Sur ce tableau est inscrit une phrase: “Et qui aujourd’hui dira quoi?”
Ma question est: que signifie aujourd’hui le mot “aujourd’hui” ? On le lit et on le
comprend, cinquante ans après, c’est encore “aujourd’hui”. Que veut dire “aujourd’hui”?
Autrement dit, que veut dire la singularité de “ici/maintenant” quand elle s’inscrit dans
une archive, un tableau, dans un musée. C’est Artaud qui, un jour irremplaçable, le 2
juillet 1947, a dit: “Et aujourd’hui qui dira quoi?” C’est donc aussi la question du musée.
Qu’est-ce qui se passe quand, aujourd’hui, en 1997, on tombe sur cet “aujourd’hui”,
qu’on le lit, qu’on le déchiffre ? C’est un autre aujourd’hui et c’est encore, néanmoins, un
aujourd’hui. C’est la question de la mémoire du musée. J’ai écrit un texte où je tente de
lier la question de l’anniversaire, de la date et de la signature comme la même question en
quelque sorte. C’est ce que je voulais vous demander: qu’est-ce que c’est que la signature
d’Artaud?

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