● ŒUVRE DU MOIS ● EN 10 DISQUES ● CHRISTIAN TETZLAFF ● BANC D’ESSAI

SYMPHONIE NO 2 UN VOYAGE DANS LE VIOLONISTE QUI NE 12 PLATINES VINYLE

DE BRAHMS LA CANTATE FRANÇAISE MÂCHE PAS SES MOTS ! À PARTIR DE 299 €

JUAN DIEGO
FLOREZ RENCONTRE
AVEC UN TÉNOR
ENGAGÉ

Zelenka
Ce génie baroque
qu’on a failli oublier

N° 678 AVRIL 2019

L 12217 - 678 - F: 5,90 € - RD TOUT UN MOIS DE
PROGRAMMES SUR

DOM S : 6.50 € - BEL : 6.50 € - CH : 9 FS - ESP : 6.50€ - GR : 6.50 € - ITA : 6.50 € - PORT.CONT : 6.50 € - LUX : 6.50 € - CAN : 10.50 $ CAN - MAR : 73 DH - TUN : 14 DTU - TOM S : 850 CFP - TOM A : 1 350 CFP
 la dolce volta

Wilhem LATCHOUMIA
PROKOFIEV // Cendrillon
COWELL // Aeolian Harp,
The Tides of Manaunaun,
Banshee, The Fairy Bells

Geoffroy COUTEAU
Quatuor HERMÈS
BRAHMS // #1
Intégrale de la musique
de chambre avec piano
Quintette pour piano et cordes op.34
Klavierstücke op.76

Photos © William Beaucardet

Olivier LATRY
J. S. BACH
Grandes orgues Cavaillé-Coll
de Notre-Dame de Paris

estore.ladolcevolta.com
 sommaire n°678 AVRIL 2019

ACTUALITÉ
4 L’éditorial d’Emmanuel Dupuy ILS FONT
7 Coulisses
L’ACTUALITÉ
MAGAZINE
18 Rencontre
JUAN DIEGO FLOREZ
En scène et en vidéo
24 Histoire Paris attend le retour d’un des plus
LE MYSTÈRE ZELENKA grands ténors de la planète, pour une
34 Manon en concert qui confirme
Rencontre PAGES
CHRISTIAN TETZLAFF son tournant vers le répertoire
18 ET 108 français. En vidéo,
38 L’œuvre du mois JUAN DIEGO FLOREZ
SYMPHONIE NO 2 DE BRAHMS est aussi le héros d’un Orphée de
Gluck mis en danses – et en transe –
42 L’air du catalogue par le chorégraphe Hofesh Shechter.
LA CANTATE FRANÇAISE
44 Paroles de musiciens
LA FRANCE VUE PAR MOZART
46 La chronique d’Ivan A. Alexandre En disque
SPECTACLES La soprano MARTINA JANKOVA
et deux amis nous guident
47 A voir et à entendre sur les chemins d’Europe
PAGE 73

© MARKUS MÜHLHEIM \ GIORGIA BERTAZZI / GREGOR HOHENBERG-SONY CLASSICAL

centrale empruntés (ou rêvés)
52 Vu et entendu par Bohuslav Martinu.
Flânerie ô combien nostalgique,
63 LE DISQUE où chacun renoue avec ses racines.

LE SON
115 Nouveautés hi-fi
118 Banc d’essai En interview
12 PLATINES VINYLE
DE 299 À 5990 € Par deux fois en ce début de
printemps, CHRISTIAN TETZLAFF
LE GUIDE PAGE 34
est à l’affiche du Théâtre
des Champs-Elysées.
131 Programmes de France Musique Paroles d’un homme libre
qui a lâché ses cheveux mais ne
© COUVERTURE : GREGOR HOHENBERG-SONY CLASSICAL.

132 Télévision mâche toujours pas ses mots !

133 Jeux
134 Instruments
136 Livres
138 Les disques de ma vie RECEVEZ DIAPASON CHEZ VOUS !
LOUIS LANGRÉE Votre bulletin d’abonnement se trouve page 69.
Pour commander d’anciens numéros, rendez-vous sur
Un encart Abonnement Pellerin est jeté sur les exemplaires www.kiosquemag.com
de toute la diffusion abonnée France Métropolitaine. Vous pouvez aussi vous abonner par téléphone au 01 46 48 47 60
Un encart Festival Chopin /Nohant est jeté sur les
exemplaires d’une partie de la diffusion abonnée ou sur www.kiosquemag.com
France Métropolitaine.

I3
 L’éditorial
D’EMMANUEL DUPUY
Le V de la vindicte
« L e Boléro, Carmen, l’air des Bijoux...
désolé, j’ai abandonné. Tous les ans
les mêmes scies musicales, ça va
bien ! »
« Forcément : les mélomanes prennent la fuite et les autres
ne voient même pas de quoi on parle. »
« Quelle tristesse cette cérémonie! Mal filmée, prise de
son épouvantable… Ce n’est pas comme ça qu’on va attirer
du public vers la musique classique. »
« Va falloir revoir la formule… »
Ce n’est pas moi qui le dis, mais vous. Voilà en effet
quelques-uns des nombreux commentaires postés sur la
page Facebook de Diapason, au lendemain des dernières
Victoires de la musique. Un bide, à en juger par la teneur
de vos propos, comme par la modestie de l’audience.
1 148 000 téléspectateurs concernés par cette vingt-
sixième édition, c’est 140000 de moins qu’en 2018 – et un
million de moins qu’il y a dix ans.
Donc, je confirme : va falloir revoir la
formule. D’abord en cessant de s’obs-
_ Va falloir revoir
tiner – sans doute pour dissiper tout
soupçon d’élitisme – à faire entrer la la formule. _
musique classique dans un format
télévisuel bas de gamme. « Du niveau des émissions de
variétés de TF1 », note encore un fidèle internaute, « d’un
moment à l’autre on s’attend à voir surgir Michel Sardou,
Eddy Mitchell ou Mireille Mathieu! »
Cette année, les organisateurs n’avaient rien trouvé de
mieux que de loger la soirée là même où s’étaient dérou-
lées quelques jours plus tôt les Victoires de la pop. Soit la
grande salle de la Seine musicale à Boulogne-Billancourt,
sorte de zénith à l’acoustique fuyante, dans laquelle les
orchestres en présence (l’Insula de Laurence Equilbey
et le National d’Ile-de-France) ont plus d’une fois perdu
les pédales. Et la technique n’a pu accomplir de miracle :
la prise de son s’est en effet révélée calamiteuse.
Comme à l’accoutumée, les artistes invités en ont profité
pour faire leur promo, interprétant volontiers un extrait
de leur dernier album. Roberto Alagna, qui a le sens de la
famille, a encore une fois casé une daube composée par
son frangin. Toujours aussi peu de partitions du xxe siècle
(hormis quelques tubes usés jusqu’à la corde, tel le
Concerto d’Aranjuez), une seule page de musique baroque
(merci Philippe Jaroussky). Côté programmation, les
années se suivent et s’enlisent dans la monotonie.
4I
A la présentation, Judith Chaine avait la lourde tâche de
succéder à Frédéric Lodéon, apportant avec légèreté un
soupçon d’érudition bienvenu. Mais cette excellente pro-
ductrice à France Musique n’est pas une professionnelle
du petit écran. Il aurait donc fallu qu’elle fût secondée par
une personnalité qui fasse le show tout en maîtrisant un
minimum le sujet – rôle pour lequel Leila Kaddour n’est
manifestement pas taillée. Entre un Jean-François Zygel
ou un Rolando Villazon, on connaît pourtant des musi-
ciens charismatiques pour qui les plateaux télé n’ont plus
aucun secret. Ou, à l’inverse, quelques hommes ou femmes
issus de la société du spectacle, suffisamment mélomanes
pour ne pas paraître déplacés dans un tel contexte.
Reste la question du palmarès, escamoté en seconde par-
tie de soirée (il faut attendre 22h10 pour découvrir le nom
du premier vainqueur) et toujours aussi discutable – ceci
expliquant sans doute cela. Le mode de scrutin a beau avoir
évolué, on prend le pari que ses effets
pervers persisteront tant qu’un système
de présélection drastique n’empêchera
pas la surabondance des candidatures.
Tous les ans, les membres du collège
électoral reçoivent en effet un « aide-
mémoire » comportant pour chaque catégorie plusieurs
dizaines de noms (voire des centaines s’agissant des enre-
gistrements). Dans ces conditions, l’éparpillement des voix
est tel qu’il suffit parfois d’un tout petit score pour se qua-
lifier – biais dont quelques talentueux producteurs usent
avec un brio et une constance admirables; une fois encore,
Warner s’est taillé la part du lion, ses artistes ou réalisa-
tions raflant la moitié des trophées.
Et pourquoi seulement six Victoires, quand la pop en
décerne treize? Qu’ont fait de mal nos théâtres lyriques,
nos orchestres, nos ensembles indépendants et nos for-
mations chambristes pour être ainsi boudés? Le grand
public de la télévision ne verrait « même pas de quoi on
parle », comme le suggère une de nos amies Facebook?
C’est probable, tant que la musique classique continuera,
hors cette triste célébration, à briller par son absence sur
les chaînes généralistes.
Alors commençons par le commencement : plutôt que de
gaspiller son énergie dans un concours bidon et une soirée
flonflon, la profession ferait mieux de se battre pour être
visible cinquante-deux semaines par an. Ce jour-là, on
pourra crier victoire.
 • Retrouvez les “concours et auditions” sur notre site internet : www.diapasonmag.fr

INTERNATIONAL 31.07 – 07.08

COMPETITION 2019
for fortepiano Bruges
DIRECTEUR GÉNÉRAL : MAURICE XIBERRAS • DIRECTEUR MUSICAL : LAWRENCE FOSTER
La Ville de Marseille, 860 000 habitants (Bouches-du-Rhône),
capitale euroméditerranéenne, 2e ville de France, poursuit sa dynamique d’ouverture
et de progrès. Participer à son rayonnement, c’est devenir acteur d’un service public
local de qualité, au plus proche des administrés.
L’Opéra Municipal de Marseille recrute pour son Orchestre Philharmonique
CONTREBASSE RENSEIGNEMENTS
DEUXIÈME SOLISTE ET INSCRIPTIONS
Opéra de Marseille
2e catégorie
Administration de l’Orchestre,
Concours : Mercredi 5 juin 2019 à 10h 2, rue Molière,
Date limite d’inscription : Vendredi 24 mai 2019 13233 Marseille Cedex 20
Prise de poste : Jeudi 12 septembre 2019 achiche@marseille.fr
Rémunération Brute Mensuelle (Traitement de base + Tél. : + 33 (0)4 91 55 21 25
Indemnité de Résidence) : 3 146,94 €
opera.marseille.fr
VIOLONCELLE CO-SOLISTE
Johan Huys BE Piet Kuijken BE
JURY 1re catégorie LIEU DU CONCOURS
Keijko Shichijo JP Wolfgang Brunner AU Concours : Mercredi 12 juin 2019 à 10h Salle de répétition
Christine Schornsheim DE Bart van Oort NL Date limite d’inscription : Vendredi 31 mai 2019 de l’Orchestre
Prise de poste : Jeudi 12 septembre 2019 23, rue François Simon,
www.mafestivalcompetition.com Rémunération Brute Mensuelle (Traitement de base + Belle de Mai, 13003 Marseille
Indemnité de Résidence) : 3 426,88 €

PROCHAINS CONCOURS
Premier violon tutti - 3 postes
Vendredi 31 mai
et samedi 1er juin 2019
Clôture des inscriptions :
28 avril 2019

Contrebasse soliste remplaçant

022 807 00 00 (coordonné)
JONATHAN NOTT Lundi 3 et mardi 4 juin 2019
Directeur musical
et artistique Clôture des inscriptions:
28 avril 2019

Alto tutti
Jeudi 6 et vendredi 7 juin 2019
Clôture des inscriptions:
30 avril 2019

Inscription et programme
osr.ch

6I

Leur parole est d’or
Les disques du chef d’orchestre Michele Mariotti et de la violoniste Aisha Orazbayeva
en tandem avec le pianiste Mark Knoop ont été couronnés d’un Diapason d’or le mois dernier.
Vous voulez savoir comment furent conçus ces joyaux ? Les heureux élus lèvent un coin du voile.
Aisha Orazbayeva
et Mark Knoop
VIOLON ET PIANO
Feldman : For John Cage.
Aisha Orazbayeva (violon), Mark Knoop (piano). ATD.
« Après notre interprétation en concert de For John Cage,
nous savions que nous devions enregistrer cette œuvre
remarquable. Au cours des dix-huit mois qui ont suivi,
nous avons continué à travailler ensemble pour découvrir
la structure et les traits fins de la pièce. Nous avons
également étudié le manuscrit de Morton Feldman, afin
de clarifier certaines questions éditoriales. La réflexion
sur le phrasé et l’intonation a continué de façonner notre
approche du rythme et de la forme globale de l’exécution.
Nous visions à associer le plus grand calme à un geste
chargé en énergie, afin de transmettre et partager avec
© DR / ROCCO CASALUCI
l’auditeur l’extraordinaire intimité de cette partition.
Pour cela, il était très important de capturer un son qui,
à la fois, souligne les détails et fasse vivre la musique
dans l’espace acoustique, avec les instruments réagissant
l’un avec l’autre. La Sendesaal de Brême a fourni
l’environnement idéal pour y parvenir. »
ACTUALITÉS coulisses
PAR BENOÎT FAUCHET
Michele Mariotti
CHEF D’ORCHESTRE
Rossini : Ouvertures.
Orchestre du Théâtre communal de Bologne,
Michele Mariotti. Pentatone.
« Enregistrer les ouvertures des opéras de Rossini
est une étape importante pour tous les musiciens qui
y prennent part : cette musique ne mourra pas avec
la culture qui l’a créée, elle sera toujours très profondément
liée à notre temps, toujours très actuelle. C’est un arbre
à feuilles persistantes avec des racines qui plongent dans
le passé et des branches tournées vers l’avenir ! Elle exige
de la précision, une grande netteté technique et sonore,
mais surtout une large vision dramaturgique et théâtrale,
afin de comprendre et de montrer le sens profond qui
se cache sous une apparence de simplicité. L’Orchestre
du Théâtre communal de Bologne connaît très bien
le langage de Rossini ; cet album représente pour nous
tous une démonstration claire de notre familiarité avec
cet univers, en même temps qu’il marque la fin de mon
aventure avec l’institution bolognaise, longue de onze ans,
pleine d’expériences merveilleuses et passionnantes. »
I7
 ● coulisses

ENTRÉE DES ARTISTES

La pianiste Alice Sara Ott
a annoncé qu’elle avait
été diagnostiquée en janvier
de la sclérose en plaques,
mais s’est dite « confiante
1+1 = trop?
La Cour des comptes juge « minimales » les réformes
et optimiste », grâce aux
progrès de la médecine, opérées ces dernières années au sein de Radio France.
dans la possibilité de «
continuer à vivre (sa) vie – Et redemande une fusion de ses deux orchestres
voyager et jouer – comme avant ».
l n’est ni dans la vocation ni dans les glorieux homologues des radios de Berlin (64

Les Victoires de la musique

classique 2019 (lire aussi l’éditorial
d’Emmanuel Dupuy p. 4)
ont distingué le baryton
Stéphane Degout (artiste lyrique),
le pianiste Nicholas Angelich
(soliste instrumental),
Guillaume Connesson
(compositeur), Les Troyens
de Berlioz dirigés par John Nelson
chez Erato (enregistrement),
la mezzo Eléonore Pancrazi
(révélation artiste lyrique),
le guitariste Thibaut Garcia
(révélation soliste instrumental),
ainsi que la star du piano
Lang Lang (Victoire d’honneur).
La Philharmonie de Paris accueillera
© JONAS BECKER / JEAN-BAPTISTE MILLOT
«
I moyens de Radio France de conserver en
son sein deux orchestres sympho-
niques » : dans son rapport public annuel
2019 (lire aussi la chronique d’Ivan A. Alexandre,
p. 46), la Cour des comptes « réitère » sans
détours « sa position » quant à l’avenir du
National et du Philhar’, dont elle aimerait qu’ils
ne fassent plus qu’un. Ce qu’elle avait déjà dit
dans un rapport thématique de 2015...
Certes, note la haute juridiction financière, les
effectifs des deux orchestres et du chœur mai-
son « ont été réduits » : de 2015 à 2017, ils sont
passés de 347 à 325 personnes, soit une baisse
de 22 postes sur un total de 41 suppressions pré-
vues jusqu’en 2019. « Les formations musicales
de Radio France n’ont toutefois pas été rame-
nées au format standard des orchestres ou des
chœurs européens », tel que l’avait défini le
rapport Gehmacher en juillet 2015 : entre 90
et 110 musiciens pour les orchestres, pas plus
chanteurs) et bavaroise (50), sans parler de la
Radio suédoise avec son effectif chambriste
de 32 artistes.
Si l’Orchestre national de France est rentré
dans le rang en termes numériques (109 ETP),
le Philharmonique de Radio France (124) reste
loin des normes fixées. Quant au nouvel ac-
cord collectif dont bénéficient les musiciens,
il prévoit désormais la possibilité de rempla-
cements d’une phalange à l’autre, en contre-
partie d’une revalorisation des rémunérations.
Mais cette faculté de mutualisation « n’a ja-
mais été utilisée », notent les sages de la rue
Cambon. Pourtant « des marges existent »
puisque, « mis à part onze salariés, aucun mu-
sicien ne travaille les mille heures » annuelles
inscrites dans l’accord...
Quelques bons points tout de même : les forma-
tions musicales « jouent davantage », avec deux
fois plus de concerts proposés entre 2014-2015

en mars 2020, sous la codirection

de 70 artistes pour les chœurs radiophoniques. (ouverture de l’auditorium de Radio France) et
de son patron Laurent Bayle
Avec son gabarit « symphonique » et ses 92 la saison suivante. Et elles se produisent devant
et de Claire Gibault, directrice
musicale du Mozart Paris postes permanents en équivalent temps plein un public plus large (la fréquentation est passée
Orchestra, la première édition (ETP, chiffres au 31 décembre 2017), le Chœur dans le même temps de 70 000 à 130 000 spec-
d’un concours international de de Radio France fait figure d’exception. tateurs), avec une présence également accrue
cheffes d’orchestre destiné à lutter Et même d’anomalie par rapport à ses en dehors de Paris. B.F
contre la sous-représentation
des femmes à ce pupitre.
L’auditorium rond de
la maison ronde, demeure
Dirigé depuis 2012 par l’Espagnol de nos deux orchestres
Roberto Forés Veses, radiophoniques.
l’Orchestre d’Auvergne,
formation d’une vingtaine
de musiciens, a obtenu
le label « orchestre national
en région », nouvelle
© RADIO FRANCE-CHRISTOPHE ABRAMOWITZ

appellation décernée à
l’Orchestre de Picardie avant lui.

Il en était le chef principal

depuis 2014 : David Afkham
vient d’être promu chef permanent
et directeur artistique
de l’Orchestre national d’Espagne,
avec effet en septembre 2020.

8I
 LE
VOYAGE
DANS LA
LUNE
JACQUES OFFENBACH
NOUVELLE PRODUCTION
Décembre 2020
Printemps 2023
Nouvelle coproduction entre le Centre Français de Promotion
Lyrique, l’Opéra Grand Avignon, le Centre Lyrique Clermont-
Auvergne, le Théâtre impérial de Compiègne, l’Opéra de
Limoges, l’Opéra national de Lorraine, l’Opéra de Marseille,
l’Opéra de Massy, l’Opéra de Metz Métropole, l’Opéra national
de Montpellier Occitanie, l’Opéra de Reims, l’Opéra de Rouen
Normandie, l’Opéra de Toulon Provence Méditerranée, l’Opéra
de Tours, l’Opéra de Vichy, l’avant-scène opéra/ Neuchâtel et le
Palazzetto Bru Zane.

AVIS D’AUDITION
CHANTAL SANTON JEFFERY Calendrier des épreuves
JEAN-PAUL FOUCHÉCOURT Pré-sélection sur vidéo
FLORENCE MALGOIRE
FRANÇOIS JOUBERT-CAILLET Sélection 1 : 27, 28 et 29 mai 2019
MAHAN ESFAHANI Conservatoire de Puteaux
MARIE-GENEVIÈVE MASSÉ
Sélection finale : 25 et 26 juin 2019
19 - 24 AOÛT 2019 BRUNO BENNE
Conservatoire de Puteaux

Conditions de participation
L’audition est ouverte aux chanteurs
de toutes nationalités, sans limitation d’âge.
Pratique et compréhension
de la langue française indispensables.

DATE LIMITE DES INSCRIPTIONS

16 AVRIL 2019

Programme et inscriptions : www.cfpl.org

SABLÉ-SUR-SARTHE

Centre Français de Promotion Lyrique

WWW.ACADEMIEDESABLE.FR Tel : 01 53 96 92 98 / email : info@cfpl.org
 ● coulisses

ENTRÉE DES ARTISTES

La violoniste Anne-Sophie
Mutter est lauréate 2019
du fameux Polar Music
Prize, doté pour chaque
récipiendaire d’un million
de couronnes suédoises
(un peu moins
de cent mille euros).
A responsabilités et travail
comparables, elle était payée
25% de moins que son collègue
– un homme – hautbois solo :
Elizabeth Rowe, flûte solo
du Boston Symphony Orchestra,
a mis fin à son contentieux
pour discrimination salariale
avec son employeur, sans
que l’on sache combien elle
a obtenu en justice, alors qu’elle
réclamait plus de 200 000 dollars
(environ 175 000 euros) d’impayés.
Après Daniel Barenboim, Bernard
Haitink, Nikolaus Harnoncourt,
Seiji Ozawa et Mariss Jansons,
Zubin Mehta a été élevé
au rang de « membre
honoraire » du
Philharmonique de Berlin,
CRESCENDO
Il a vingt-six ans
et est le petit-fils
du compositeur
Edison Denisov (1929-1996) :
FEDOR RUDIN deviendra en septembre
l’un des quatre Konzertmeister
des Wiener Philharmoniker, et le restera
si tout va bien à l’issue d’une période
probatoire de deux ans. Titulaire
de la double nationalité française et russe,
né à Moscou mais Parisien depuis l’âge
de deux ans, ce violoniste et chef illustre
par cette nomination le succès
international de nos solistes dans
de grandes phalanges, particulièrement
en terre germanique. Phénomène
qui n’est pas neuf mais a connu de beaux
développements, avec par exemple
le recrutement de la hautboïste
Céline Moinet (Staatskapelle de Dresde),
de la bassoniste Sophie Dervaux
(Philharmonique de Vienne), de la flûtiste
Hélène Boulègue (SWR Stuttgart),
de la harpiste Anaëlle Tourret
DECRESCENDO
DANIEL BARENBOIM s’est-il rendu
coupable de harcèlement moral à l’encontre
de musiciens de sa Staatskapelle de Berlin ?
C’est ce qu’ont affirmé dans un article
de presse une douzaine de personnes,
actuels ou anciens instrumentistes
et employés du Staatsoper, dénonçant
intimidations et humiliations. « Je suis né
en Argentine, alors il y a un peu de sang latin
dans mon corps et je me fâche de temps
en temps », s’est défendu le maestro.
« Je ne suis pas un doux agneau – mais
je ne suis pas non plus un tyran », a-t-il assuré,
reconnaissant avoir « utilisé un ton dur »
dans « certains moments de tension »,
tout en s’interrogeant sur le timing de ces
accusations, en pleines négociations pour
le renouvellement de son contrat berlinois
de Generalmusikdirektor après 2022. Il aura
alors quatre-vingts ans : stop ou encore ?
« La question n’est pas personnelle, c’est
une question de gestion des orchestres
au XXIe siècle », a assuré le tromboniste

© DR
(NDR Elphilharmonie Hambourg)... Martin Reinhardt, l’un de ses accusateurs.
en reconnaissance d’une
collaboration artistique dont
la longévité (depuis 1961) est unique
dans l’histoire de l’orchestre.

Record de contre-ut au Metropolitan

Elle a dit
a soprano américaine d’origine
Opera : comme il en a pris l’habitude
dans d’autres théâtres mais à
rebours des usages new-yorkais,
le ténor mexicain Javier Camarena
a bissé en février et mars l’air de Tonio
de La Fille du régiment de Donizetti.
L cubaine Lisette Oropesa, Marguerite
remarquée dans Les Huguenots
cette saison à l’Opéra de Paris,
a vivement pris parti contre le plan
de Donald Trump de prolonger et achever
le mur existant à la frontière américaine
avec le Mexique, dans un entretien à un site
Transsexuel qui multiplie les rôles espagnol d’information culturelle :
© HARALD HOFFMANN-DG / DR

masculins dans des théâtres
allemands depuis une dizaine
d’années, « la » baryton
Lucia Lucas va faire en mai ses
débuts en Don Giovanni à l’Opéra
de Tulsa, dans l’Oklahoma.
Le ténor Ian Bostridge
est le Grand prix
du Prix France Musique
des muses 2019 pour
son livre Le Voyage d’hiver
de Schubert, anatomie
d’une obsession (Actes Sud).
« Ce mur est contre mon peuple. Construire un
mur pour protéger les blancs des latinos est évi-
demment raciste. Ma famille est venue aux
Etats-Unis par voie maritime. Nous étions des
réfugiés. Le racisme et les actions contre l’immi-
gration aux Etats-Unis et en Europe sont incom-
préhensibles. Je pense qu’il est important que
des immigrants se rendent dans les pays déve-
loppés ; dans de nombreux cas, ils représentent
l’avenir parce que, par leurs efforts et leurs im-
pôts, ils contribuent de manière cruciale à la
richesse des pays dans lesquels ils émigrent.
Ils sont la culture, les idées et la richesse. Fermer
les frontières comme ça, c’est dingue… »

10 I
CHÂTEAU DE VERSAILLES
© Didier Saulnier
Semaine Sainte
à la Chapelle Royale de Versailles
Charpentier
TE DEUM ET MESSE
À QUATRE CHŒURS
Ensemble Correspondances
SÉBASTIEN DAUCÉ, direction
31 mars 2019 – 16h
Bach
PASSION SELON
SAINT-JEAN
La Chapelle Harmonique
VALENTIN TOURNET, direction
6 avril 2019 – 20h
DES TÉNÈBRES
À LA LUMIERE
Ensemble Correspondances
SÉBASTIEN DAUCÉ, direction
12 avril 2019 – 20h
Bach Couperin
PASSION SELON LEÇON DE TÉNÈBRES
SAINT MATTHIEU Le Poème Harmonique
La Capella Reial de Catalunya, VINCENT DUMESTRE,
Le Concert des Nations théorbe et direction
JORDI SAVALL, direction 20 avril 2019 – 21h
17 avril 2019 – 20h
Lambert
Pergolèse LEÇONS DE TÉNÈBRES
STABAT MATER Marc Mauillon
Le Poème Harmonique Tribune des musiciens de
VINCENT DUMESTRE, direction la Chapelle Royale
19 avril 2019 – 20h30 20 avril 2019 – 22h30
INFORMATIONS – RÉSERVATIONS : 01 30 83 78 89
www.chateauversailles-spectacles.fr et points de vente habituels
@chateauversailles.spectacles @OperaRoyal
● coulisses

Un architecte
pour achever Bastille
ous savions que la décision avait été

N prise de réaliser la fameuse « salle

modulable » de l’Opéra Bastille –
elle devait être ouverte il y a trente
ans dans le prolongement du bâtiment prin-
cipal mais n’a jamais été aménagée, faute
d’argent –, et connaissions approximative-
ment l’horizon (2022-2023) d’ouverture du
nouveau lieu. En février, le monde lyrique a
appris le nom du cabinet désigné pour mener
à bien ce projet voulu par feu Pierre Boulez :
il s’agit d’Henning Larsen Architects, qui a
déjà à son actif l’Opéra de Copenhague et la
salle de concert de Reykjavik.
L’équipe danoise a devancé deux autres
projets – à noter que Carlos Ott, l’architecte
uruguayo-canadien de Bastille choisi à la
surprise générale sinon à la faveur d’un ma-
lentendu dans les années 1980, n’a pas
concouru. Le programme prévoit la
construction de nouveaux ateliers, rue
de Lyon, l’Opéra de Paris devant quitter
en 2020 ceux dont il dispose boulevard
Berthier, dans le XVIIe arrondissement.

Nouvelles formes
Comme son nom l’indique, la salle modu-
C’est le projet du cabinet lable, avec sa jauge estimée à huit cent vingt
Henning Larsen Architects places, doit permettre des « configurations
qui a été retenu pour variées » et accueillir de « nouvelles formes
la future salle modulable
de l’Opéra Bastille.
de spectacle plus légères » à des prix « très
accessibles », les activités jeune public de
l’Académie de l’Opéra, des répétitions ly-
riques et chorégraphiques... Autour de la
façade arrondie de la salle, des « espaces évé-
nementiels » et un nouveau restaurant per-
mettront de « générer des ressources
propres », assure la Grande Boutique.
Il reste que le projet est coûteux, singuliè-
rement pour les finances publiques,
puisque l’investissement sera principale-
ment couvert par une subvention d’Etat :
l’enveloppe totale a été initialement évaluée
à cinquante-neuf millions d’euros, dont au
moins quatre millions devront venir du mé-
© HENNING LARSEN

cénat. Date d’inauguration affinée, si tout

va bien : « premier semestre 2023 ». Mais
d’ici là l’Opéra aura changé de directeur, et
la France de gouvernement... B.F.

12 I

JEUNE TALENT
Nom: Perbost
Prénom : Marie
Née en : 1989
Profession : soprano
ère artiste lyrique, père multi-
M instrumentiste : une enfance
dans un grand bain musical, a
fortiori lors des sept années pas-
sées à la Maîtrise de Radio France, école
de chant choral fonctionnant en mi-temps
pédagogique. Sur le pupitre, des partitions
d’Aperghis, de Xenakis... « C’était raide »,
se souvient Marie Perbost. « J’ai appris à
travailler, et à aimer travailler six heures
par jour. »
L’étudiante prendra de la distance avec son
tropisme musicien, optant pour l’histoire
de l’art et l’archéologie. Le retour au chant
se fera dans un des conservatoires d’arron-
dissement parisiens (celui du XIIe, dans la
classe de Didier Henry), ces « passerelles »
vers l’enseignement supérieur « sans les-
quelles rien n’est possible ».
« J’avais besoin de retrouver la scène, la
prise de parole : ma vraie joie, c’était ça. »
Le temps de « se construire une voix
d’adulte », et la jeune femme est prête à
présenter le concours d’entrée au CNSM
de Paris. Elle y préparera un master en
cinq ans, perfectionnant son chant auprès
d’Isabelle Guillaud puis Alain Buet, béné-
ficiant des conseils d’Anne Le Bozec pour
la mélodie, quand d’autres élèves préfèrent
boucler le cursus en une année de moins.
Elle fera plus court à l’Académie de l’Opéra
de Paris : une saison et non deux, avant de
passer deux mois à l’Académie du Festival
© PIERGAB
de Salzbourg – « le paradis sur terre, mon
cœur y est encore. »
Ascension sans accroc ? Presque. Il y a un
an, alors qu’elle est une des trois nommées
aux Victoires de la musique classique dans
la catégorie « révélation artiste lyrique »,
elle doit déclarer forfait pour la soirée en-
registrée permettant au public de voter.
Pas de Victoires, donc. La faute à un
concert de trop sur une voix fragilisée par
un coup de froid. « Une bonne leçon : je ne
chanterai plus jamais malade ! Il vaut
mieux comprendre ça avant trente ans »,
s’amuse-t-elle.
Elle peut considérer l’incident avec d’autant
plus de philosophie qu’il n’a en rien nui au
décollage immédiat de sa carrière. Les en-
gagements sont là : Pamina à Tours en mars
dernier, opérette de Roussel (Le Testament
de la tante Caroline) à l’Athénée en juin, des
projets avec Hervé Niquet (la Folie dans
Platée au Capitole) et Emmanuelle Haïm
(baroque français)... Et voici qu’elle vient
de publier, dans la nouvelle collection
jeunes talents d’Harmonia Mundi, Une
jeunesse à Paris, florilège d’airs d’opérettes
et de mélodies où transparaît un amour à
la fois gourmand et raffiné des mots. Avec
tout cela, le collectif de chant et de mu-
sique électronique ensemble 101 qu’elle
coanimait avec Elsa Dreisig, jeune étoile
déjà au firmament, est en pause forcée.
Mais ces deux grandes amies rêvent d’un
opéra les associant dans le cadre de ce pro-
jet collaboratif, si leur succès mérité leur
en laisse le loisir. B.F.
Entrer : Marie Perbost
Ils nous ont
quittés
DOMINICK ARGENTO
Compositeur, né en 1927
« Je pense que la
musique est née comme
un langage émotionnel.
Pour moi, toute musique
commence là où la parole
s’arrête » : ainsi parlait
ce fils d’immigrés siciliens
en Pennsylvanie. Dans
une syntaxe volontiers
tonale qui a pu passer
pour passéiste, le compositeur
américain, fondateur en 1963 d’une
compagnie qui deviendra le Minnesota
Opera, s’est surtout illustré dans le genre
lyrique (The Aspern Papers en 1987
à Dallas, avec Elisabeth Söderström
et Frederica von Stade), les cycles
de mélodies (From the Diary of Virginia
Woolf, Prix Pulitzer 1975) et la musique
chorale. La soprano Carolyn Bailey,
décédée en 2006, fut la femme de sa vie
et sa muse. « Elle m’a beaucoup aidé
quand j’écrivais pour la voix. Ce que j’ai
appris venait d’elle », confiait-il. B.F.
SANFORD SYLVAN
Baryton, né en 1953
Son nom restera attaché à celui du
compositeur John Adams, dont il a été
© DR / WILLIAM CLIFT-NONESUCH RECORDS
le Chou En-lai dans Nixon in China
et interprété le rôle-titre de The Death of
Klinghoffer dans le film en décors réels de
Penny Woolcock. Peter Sellars l’a aussi mis
en scène dans Così fan tutte et Les Noces
de Figaro. Ce champion de la nouvelle
musique américaine (de Philip Glass
à Christopher Rouse) fut également
un professeur de chant recherché. B.F.
I 13
 ● coulisses

Ils nous ont quittés

André Previn
Compositeur et chef d’orchestre,
né en 1929
ndré Previn est mort à Manhattan

A à trente-huit jours de son quatre-

vingt-dixième anniversaire. Dès
l’annonce de son décès, dans de
nombreux médias, son nom a été principa-
lement associé aux Oscars qu’il avait glanés
dans ses jeunes années. Ultime clou sur le
cercueil, dernier camouflet à sa mémoire.
« Ma dernière musique de film remonte à
1968, il y a prescription ! », ne manquait-il
pas de rappeler, tout en avouant n’avoir ja-
mais eu qu’une seule ambition : devenir chef
d’orchestre. Pour cela il quitta, au faîte de sa
gloire, le paradis d’Hollywood, où « on ne se
tue pas au travail » et où « on gagne plein
d’argent », pour diriger dans des endroits
inimaginables et perfectionner un métier
appris auprès de Pierre Monteux, alors que,
naturalisé américain depuis 1943, il faisait
son armée à la tête de l’harmonie militaire l’époque en une suite d’orchestre. Le divorce a été : “On devrait faire la Symphonie de
basée à San Francisco. Sa fascination pour géographique avec Los Angeles et le début des Franck.” Je me suis souvent demandé com-
la direction d’orchestre remontait à sa plus activités de chef à la tête d’orchestres mé- ment ils étaient passés de Dutilleux à
tendre enfance, alors que Jakob Priwin, à diocres date de 1960. Previn engrange alors Franck ! », me confiait-il en 2004. Previn n’a
Berlin, emmenait son petit Andreas Ludwig une copieuse discographie de pianiste de jazz finalement gravé ni l’un ni l’autre, tout
aux concerts de Wilhelm Furtwängler. et d’accompagnateur. En 1967, c’est le grand comme il a été interrompu dans son élan
saut, avec sa nomination au Symphonique de haydnien par Philips. Chef prolixe, il nous
Trois bus après l’école Houston. L’année suivante, il devient chef laisse cependant une grande intégrale
La famille Priwin émigra aux Etats-Unis en principal du London Symphony Orchestra Vaughan Williams, des Walton de référence
1939, après un séjour d’un an à Paris où André (LSO), qu’il dirigera jusqu’en 1979. chez RCA, deux très belles 8e de Chostako-
(qui avait francisé son prénom), inscrit au vitch (Emi et DG), des Richard Strauss luxu-
Conservatoire, suivait en auditeur libre les L’envol londonien riants avec le Philharmonique de Vienne (DG)
classes d’improvisation de Marcel Dupré. A Le poste au LSO est un jackpot, qui ouvre à et, bien sûr, Rachmaninov et Gershwin à
Los Angeles, Jakob, devenu Jack Previn, un de nombreux enregistrements et des pro- Londres pour Emi.
avocat qui ne connaissait que le droit alle- grammes télévisés. Son disque le plus emblé- Previn s’était peu à peu éloigné du podium
mand, gagnait sa vie en donnant des leçons matique est la première gravure intégrale de pour composer à un rythme soutenu, après la
de piano. Son fils n’avait que quatorze ans la Symphonie no 2 de Rachmaninov, parue création de son opéra Un tramway nommé
lorsqu’il décrocha son premier job dans les chez Emi en 1973. Hélas ! la discographie désir en 1998. Son catalogue comprend sur-
studios – grâce à un oncle qui travaillait pour d’André Previn ne reflète pas ses ambitions. tout des œuvres concertantes, dont des
l’industrie du cinéma –, arrangeant et orches- En échange d’une Rhapsody in blue, en1960, concertos et doubles concertos pour violon
trant des partitions. Il s’y rendait après ses la Columbia le laissait certes enregistrer, pour inspirés par sa cinquième épouse (2002-2006)
heures d’école, en bus – le parcours incluait son premier récital de piano, la Sonate no 3 de Anne-Sophie Mutter. Le jour de sa dispari-
deux correspondances – et, avec l’argent ga- Hindemith, Four Excursions de Barber et le tion, cette dernière a déclaré : « Pendant plus
gné, prenait des cours de composition auprès Prélude no 7 de Frank Martin. Mais les diri- de soixante-dix ans, André Previn a illuminé
de Mario Castelnuovo-Tesdesco. André Previn geants de RCA, Emi, Philips ou DG n’étaient ce monde souvent si sombre par ses talents
se vit offrir d’écrire sa première musique de pas aussi généreux lorsqu’il leur proposait extraordinaires, sa superbe intelligence et son
© A. P. MUTTER

film à dix-huit ans, avant la carrière qu’on ne des programmes orchestraux. « Un jour j’ai esprit (…) Ses nombreuses partitions conti-
manque pas de nous rappeler – même s’il a dit : “J’aimerais enregistrer les deux sympho- nueront d’enrichir la vie des musiciens à tra-
toujours refusé d’arranger ses partitions de nies de Dutilleux.” Après réflexion, la réponse vers la planète. » Christophe Huss

14 I
 HILDE ZADEK
Soprano, née en 1917
L’intelligence de ses propos, son sourire,
illuminent un documentaire sur
Max Lorenz (Wagner’s Mastersinger)
mais sa vie a épousé les tragédies de
l’Europe. Née à Stetin (alors possession
de la Prusse) et juive, elle fuit l’Allemagne
en 1935 pour la Palestine. Infirmière
à Jérusalem, elle suit les leçons
de la légendaire Rose Pauly avant
d’étudier avec Ria Ginster à Zurich, puis
avec Elisabeth Höngen une fois arrivée
au Staatsoper de Vienne,
où elle débute à trente ans
en Aida. Pilier de la troupe
dans de grands emplois
(1947-1969), c’est la
Première Dame de
Zauberflöte qu’elle y aura
le plus chantée. Or son
rang fut tout sauf auxiliaire,
malgré le peu qu’on a
longtemps connu d’elle.
Sa Vitellia pionnière,
sa Donna Anna avec
Léopold Simoneau (pour Rudolf Moralt ROBERT DUMÉ
ou Otto Klemperer) n’ont pas l’aura Ténor, né en 1941
d’illustres titulaires, mais ce soprano
Né en Nice, formé
expansif, nuancé dans son foyer, à la fois
au Conservatoire
dense et avide de lumière, fructifie dans
de Paris, il a su
Strauss (Ariadne) et d’abord Verdi :
jouer les utilités
un Requiem sur le vif à Salzbourg avec
au palais Garnier
Karajan (1949, Audite) captive moins
sous l’ère
encore que la poésie immense d’une
Liebermann au
Aida à la Radio de Hambourg avec
cours des années
Hans Schmidt-Isserstedt,
1970 dans de très
Helge Rosvaenge, Elisabeth Höngen,
nombreux
Josef Metternich, tous phénoménaux
spectacles (notamment en Nathanaël
(1951, Walhall). Et la même
dans Les Contes d’Hoffmann mis en
année, quelle nostalgie
scène par Patrice Chéreau), avant de
musicale, quelles couleurs
tenir quelques rôles plus consistants
d’âme dans le Zigeunerbaron
sous le même toit la décennie suivante
de Clemens Krauss (Decca) !
(Laca dans Jenufa, le Prince de
Sa générosité, sa foi dans
L’Amour des trois oranges, Chouïski de
l’avenir l’ont conduite
Boris Godounov...). Fort de son vaste
à enseigner dès 1964, puis
répertoire, il avait été à partir de 1992
à fonder en 1988 un
un professeur de chant au CNSMDP
concours de chant qui porte
dont les élèves (Paul Gay, Julie Fuchs...)
son nom. Avec sa mort se
ont souvent salué, tel Jean Teitgen à
tourne une page d’histoire.
l’annonce de son décès, « la gentillesse
Jean-Philippe Grosperrin et la bienveillance ». B.F.

JEAN-CHRISTOPHE BENOÎT JEAN PÉRISSON

Baryton, né en 1925 Chef d’orchestre, né en 1924
La musique était Il n’a guère attiré la lumière et pourtant sa « vie de héraut » (titre
pour lui une passion de ses mémoires parus en 2014 chez L’Harmattan) fut riche,
de famille – mère et en partie internationale. Elève de Jean Fournet, 1er Prix
compositrice du Concours de Besançon en 1952, assistant d’Igor Markevitch
(Léontine Benoît- au Mozarteum de Salzbourg, il dirige brièvement l’Orchestre radio-
Granier), père symphonique de Strasbourg (1955-1956) avant un fructueux mandat
altiste (Henri Benoît, de directeur de la musique de la ville de Nice (1956-1965) où
membre du ses cycles Wagner, avec des chanteurs de Bayreuth, sont remarqués.
Quatuor Capet), Chef permanent à l’Opéra de Paris
sœur aînée pendant quatre ans (1965-1969),
comédienne il présente salle Favart
et chanteuse Katia Kabanova alors que Janacek
(Denise Benoît). est encore largement méconnu en
Jean-Christophe France. Mais c’est surtout à l’œuvre
Benoît a excellé de diffusion de la musique
en baryton d’opéra-comique, en particulier à Favart. française que Jean Périsson a
Il a été Torquemada de L’Heure espagnole associé son nom, de San Francisco
à La Scala, le Figaro de La Mère coupable de à Monte-Carlo, Ankara (Orchestre
Milhaud à Genève, Frédéric dans Lakmé par deux symphonique de la Présidence,
© BNF DANIEL CANDE / DR

fois au disque... Professeur d’art lyrique au 1972-1976) et Pékin, où il fait

Conservatoire entre 1970 et 1990, il a mis son sens connaître au public chinois Carmen
du verbe au service de la mélodie française et fait de Bizet en 1982. Il aura aussi
valoir ses talents de comédien dans d’innombrables été directeur musical de l’Opéra
émissions de radio et de télévision. B.F. de Nantes en 1990-1991. B.F.

I 15
 • coulisses

Rendons à Hector...
Dans notre numéro de mars, une erreur technique indépendante de notre volonté
nous a fait reproduire deux fois le premier paragraphe de notre dossier consacré à Berlioz
– qui se trouve de ce fait amputé de son dernier paragraphe. Avec toutes nos excuses,
vous trouverez ci-dessous la fin du texte de Gérard Condé.

Pour l’amour de l’art Dernier et la venue du Christ. Là encore, il cabrioles à l’ophicléide (qui reçoit la palme);
Au-delà de cette ambiguïté on trouverait s’agit de châtier les pervertis. La nouvelle dans La Damnation de Faust, une fugue dont
dans l’œuvre comme dans l’âme de Berlioz fantastique Euphonia (1844) est plus ex- l’arrogance contredit l’abnégation du mot
une vérification de la remarque d’Ernest trême, la population de la cité volante y « amen ». Si L’Enfance du Christ a la saveur
Renan selon laquelle la foi perdue continue étant éduquée au culte – et soumise à l’im- des proto-évangiles plutôt que des textes ca-
d’agir par son manque. C’est lors de sa Com- peccable exécution – de la musique gluc- noniques, son message profond est celui de
munion, à douze ans, qu’un cantique kiste. Le moindre manquement (une voca- l’humilité devant le mystère… de la musique.
(« Quand le Bien-Aimé reviendra ») adapté de lise) y est sévèrement puni ; les écarts Que dire de Béatrice et Bénédict où Berlioz se
Dalayrac lui révèle la toute-puissance mys- amoureux aussi puisque la perfide Nadira moque de Spontini, de lui-même, de l’Art et
térieuse de la musique. Perdue la foi de son périra étouffée dans un cylindre d’acier. de l’Amour? Sinon que le sacrilège est peut-
enfance, reste celle de l’Art. A Paris où les Jusque dans ses compositions, Berlioz ira être le stade ultime de la dévotion.
théâtres affectent des allures de temples, il combattre pour la religion du beau : dans Vous pouvez retrouver l’intégralité
communie en Gluck (Iphigénie en Tauride), Benvenuto Cellini, l’opposition entre une tou- du texte de ce dossier sur notre site Internet :
en Salieri (Les Danaïdes), en Sacchini chante cantilène au cor anglais et des www.diapasonmag.fr
(Œdipe à Colone), découvre La Mort d’Abel
de Kreutzer, Stratonice de Méhul, La Vestale
de Spontini, tandis que les dilletanti, passés
à l’étape suivante, n’ont plus d’oreille que
pour la sensualité rossiniste…
Alors, faute de pouvoir briser les idoles ou de
placer une bombe sous le théâtre, le nouveau
Polyeucte envoie au Corsaire des lettres ou-
vertes ravageuses. La première (1823)
conclut : « Eh! qui pourrait nier que tous les
opéras de Rossini pris ensemble ne sauraient
supporter la comparaison avec une ligne de
récitatifs de Gluck, trois mesures de chant de
Mozart ou de Spontini et le moindre chœur
de Lesueur! »
Le texte du monodrame, Lélio ou le Retour
à la vie (1832), débordera d’invectives contre
© AKG-IMAGES / DE AGOSTINI PICTURE LIB. / G. DAGLI ORTI

les profanateurs de l’Art qui corrigent les

maîtres, un point auquel Berlioz sera fidèle
(jusqu’à ce qu’il adapte l’Orphée de Gluck
pour Pauline Viardot en 1859) : les partitions
sont sacrées.
Rien de religieux dans la composition d’une
Messe solennelle où il saisit plutôt l’aubaine
d’une première exécution publique. Une par-
tie passera dans sa Grande Messe pour les
morts, mais ce requiem a une autre source :
un projet d’oratorio où une scène orgiaque,
narguant un sage et ses disciples, est inter-
rompue par les trompettes du Jugement

16 I
PASSION SELON
SAINT JEAN
AUDITORIUM DE LA SEINE MUSICALE
LES 17 ET 18 AVRIL 2019

Toute la puissance musicale du

chef-d’œuvre de Johann Sebastian Bach
avec accentus, Insula orchestra et Laurence Equilbey

25 mars —
23 juin 2019
Fabio Trümpy, Évangéliste
Thomas Dolié, Jésus
Victor Sicard, Pilate
Nuria Rial, soprano
Kristina Hammarström, alto
Jonathan Abernethy, ténor
André Morsch, basse

accentus
le jeune chœur de paris
Insula orchestra
Laurence Equilbey, direction
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Crédits photos : © Julien Benhamou, © Getty Images

 RENCONTRE
Juan Diego
Florez
La nouvelle voix du Sistema
Paris attend avec impatience le retour d’un des plus grands ténors de la planète,
pour une Manon en concert qui confirme son tournant vers le répertoire français.
Mais on sait moins, chez nous, que Juan Diego Florez est devenu l’un
des porte-étendards du Sistema, dans son pays et à travers le monde.
S e livrant dans nos colonnes,
il y a un peu plus d’un an, à
l’exercice des Disques de ma
vie 1, Juan Diego Florez nous
avait fascinés en évoquant le chemin l’ayant
conduit de la scène pop de Lima 2 aux grands
théâtres lyriques du monde. Né dans une fa-
mille de musiciens populaires (son père, gui-
tariste et chanteur émérite, était l’un des par-
tenaires préférés de l’immense Chabuca
Granda, reine de la chanson péruvienne), il
avait dû au flair d’un professeur de lycée de
pousser les portes du conservatoire, puis du
Chœur national où il avait découvert le réper-
toire classique, avant de partir se perfection-
ner aux Etats-Unis. Dans son pays natal, Juan
Diego est une idole comparable aux plus
grands footballeurs en Argentine et au Brésil.
En 2007, ses noces avec le top model austra-
lien Julia Trappe, en la cathédrale de Lima,
© GREGOR HOHENBERG SONY CLASSICAL
furent suivies par une foule en liesse, retrans-
mises en direct à la télévision, et parodiées
par les humoristes locaux 3 ! Mais depuis
quelques années, le ténor ne se contente pas
d’atterrir sur les bords du Pacifique pour
quelques récitals ou événements mondains.
Il a créé la fondation Sinfonia por el Peru,
adaptation du Sistema vénézuélien, prenant
part au formidable mouvement d’éducation
18 I
PAR VINCENT AGRECH
et d’inclusion sociale par la musique qui a
gagné toute l’Amérique latine, alors même
que l’original commençait à s’essouffler dans
un pays en pleine déliquescence. Et comme
Diapason suit particulièrement cette
aventure du Sistema, nous avons trouvé
Juan Diego ravi, lors d’une interview à
New York où il venait de triompher dans
Traviata, de différer les questions attendues
sur sa carrière, pour nous raconter d’abord
comment tout cela avait commencé…
Juan Diego Florez : En 2009, je me suis
rendu à Caracas pour un récital avec Gustavo
Dudamel et l’Orchestre du Bolivar 4.
Connaissant le Sistema de réputation, j’avais
bloqué quelques jours dans mon agenda pour
visiter, en compagnie de Gustavo et de José
Antonio Abreu [le fondateur du Sistema,
décédé en 2018, ndlr] les nucleos, ces écoles
de musique gratuites installées dans des quar-
tiers souvent défavorisés. J’ai immédiatement
décidé de faire la même chose au Pérou.
Une décision tel un coup de tonnerre,
ou qui cristallisait des réflexions plus
anciennes ?
J.D.F. : Les deux. La mise en ordre subite
d’une sensibilité. Grandir en Amérique latine,
c’est côtoyer sans cesse la pauvreté, et ses pre-
mières victimes, les enfants. Certains se
blindent. Pas moi. Cela n’a rien à voir avec
une quelconque forme de culpabilité, ni une
obligation de rendre au Pérou ce qu’il m’au-
rait donné – quoi, d’ailleurs? J’ai eu la chance
de naître dans une famille de la classe
moyenne, de faire les bonnes rencontres,
et surtout de partir étudier à l’étranger.
Simplement, que chacun ne puisse avoir les
mêmes opportunités reste une injustice que
je ne veux pas accepter. Encore moins au-
jourd’hui, en étant père.
Comment avez-vous démarré, n’ayant
aucune expérience en pédagogie
ni en gestion?
J.D.F. : D’abord en invitant Abreu à venir au
Pérou, trois mois après le concert de Caracas,
et en obtenant un entretien auprès du pré-
sident de la République. Pour être franc, l’ac-
cueil fut poli plutôt qu’enthousiaste. Voyant
ce qui s’est passé ensuite au Venezuela, je
prends aujourd’hui comme une chance de ne
pas dépendre du politique. Mais sur le coup,
il a fallu nous débrouiller avec les moyens du
bord. Sinfonia por el Peru est née deux ans
plus tard grâce à un tout petit groupe de pas-
sionnés, dont le journaliste Miguel Molinari
 1973
Naissance le 13 janvier à Lima.
1993
Après le conservatoire de Lima, poursuit
sa formation aux Etats-Unis grâce
à une bourse. Son compatriote,
le ténor Ernesto Palacio, le prend
en sous son aile et deviendra
dates son mentor.
1996
Diplômé du Curtis Institute de
Philadelphie, débuts professionnels
au Festival de Pesaro dans Matilde
di Shabran puis à la Scala la même année.
1999
Débuts à Vienne dans Almaviva du Barbier
dont il devient l’interprète moderne
le plus accompli . Ce sera aussi son
premier rôle au Met en 2002.
2001
Contrat d’exclusivité chez Decca.
2007
Premier chanteur à donner un bis
à la Scala en trois-quarts de siècle, dans
La Fille du régiment. Mariage royal à Lima
avec Julia Trappe, rencontrée trois ans
plus tôt et aujourd’hui mère de leurs
deux enfants.
2011
Fonde Sinfonia por el Peru.
2014
Crystal award du World Economic Forum
pour son action humanitaire et sociale.
2016
Premier Werther à Bologne. Buzz mondial
lors de son apparition en costume
de Grand Inca aux Proms de Londres.
2017
Contrat d’exclusivité chez Sony.
2018
Premier Alfredo de Traviata à New York.
 O Juan Diego Florez
qui est devenu son directeur exécutif, et ma
sœur Milagros qui supervise aujourd’hui
l’administration. Ensuite, nous a rejoint
notre directeur artistique Hugo Carrio. Ce
jeune chef espagnol a accepté de s’installer
au Pérou quand il a compris que je n’étais
pas juste une star qui s’achetait une bonne
conscience entre deux concerts, mais que
j’étais prêt à payer de ma personne et de
mon temps.
Où trouvez-vous ce temps, d’ailleurs, et
sur quels aspects vous concentrez-vous?
J.D.F. : Je n’ai d’abord plus la même envie,
à quarante-six ans, d’être sans arrêt sur les
routes. Vienne est mon foyer, car c’est la
ville idéale où élever mes enfants. Je ré-
serve au Staatsoper un grand nombre de
mes apparitions scéniques, ainsi qu’aux
théâtres facilement accessibles auxquels
me lie une longue histoire, la Scala, Covent
Garden, Munich, Pesaro et Zurich. Même
au Met, je viens moins souvent, parce que
je ne veux pas rester trop longtemps loin
de ma famille. Dans ces conditions, mon
rôle prioritaire est de faire connaître notre
projet, en trouver les financements, et acti-
ver mes réseaux pour amener à l’étranger
nos orchestres juvéniles.
son actualité
© SINFONÍA POR EL PERÚ
EN VIDEO EN SCÈNE
Gluck : Orphée et Massenet : Manon.
Eurydice. Belvedere Le 6 avril, Paris,
(DVD ou Blu-ray, Théâtre des Champs-
cf p. 108). Elysées.
20 I
Inspirée du Sistema vénézuélien,
Sinfonia por el Peru enseigne
la musique à huit mille enfants issus
de quartiers défavorisés.
Qui suivent les traces du Bolivar, déjà? et l’autre de jeunes de mêmes milieux n’y
J.D.F. : En moins de huit ans, nous avons ou- étant pas inscrits. Les différences en termes
vert plus de vingt nucleos de la côte pacifique de décrochage scolaire, de travail anticipé,
à la jungle amazonienne en passant par les de délinquance et de grossesses précoces
Andes, et accueillons aujourd’hui près de huit sont spectaculaires. La fidélité réside aussi
mille élèves. Contrairement à d’autres projets dans les méthodes, avec des nucleos qui sont
inspirés du Sistema en Amérique latine et des lieux de vie et de sécurité, tout en dis-
ailleurs, nous avons choisi de répliquer de pensant un enseignement musical intensif
façon littérale le modèle pédagogique conçu en orchestre et en chœur chaque après-midi.
par Abreu. Le travail social va de pair avec En revanche, la catastrophe qui a lieu au
un objectif d’excellence artistique. L’été der- Venezuela nous fait toucher du doigt l’im-
nier, notre orchestre juvénile avancé a donné portance d’être autonomes. Sur un budget
en concert à Lima une Symphonie n° 1 de annuel de 2,4 millions d’euros, les orga-
Mahler d’un bien meilleur niveau que celui nismes internationaux comme la Banque
dont l’Orchestre symphonique national du interaméricaine de développement et la Fon-
Pérou serait capable 5. Entre deux représen- dation Hilti sont nos principaux soutiens,
tations de Traviata à New York, j’ai conclu sa
première invitation au Carnegie Hall.
Vous visez une réplique fidèle
du Sistema vénézuélien, modèle
qui fait pourtant l’objet de critiques
récurrentes. Notamment pour
sa dépendance à l’égard d’un régime
dont on ne peut plus nier la réalité
dictatoriale.
J.D.F. : La fidélité est d’abord envers le mes-
sage philosophique d’Abreu, celui d’une
transformation sociale réalisée au travers
de l’éducation musicale. Substituer le violon
au pistolet comme objet d’estime de soi pour
un gamin, voilà la première victoire! Dès le
début de Sinfonia, le Groupe d’analyse pour
le développement, basé à Lima, a entamé
une étude d’impact sur deux ensembles té-
moins, l’un d’enfants suivant le programme,

_ La déconnexion du tout petit monde de
la musique entre professionnels avec la vraie
vie des gens finira par nous tuer.
les pouvoirs publics n’interviennent qu’en
appoint. Les politiques veulent du chiffre,
ce qui n’encourage pas à une croissance
maîtrisée. Je peux me porter garant de la
qualité du travail que nous faisons pour huit
mille enfants et adolescents, mais nous n’au-
rions pas encore les moyens de coordination
et de contrôle pour en former correctement
vingt mille.
Vous échangez fréquemment avec
Gustavo Dudamel?
J.D.F. : C’est surtout avec Abreu que je discu-
tais. Gustavo est un ami, nous parlons de nos
familles, de nos vies de musiciens. Abreu m’a
enseigné l’infinie ténacité, l’impératif de se
vouloir visionnaire et la nécessité du sens pra-
tique. Il a créé à Caracas ce gigantesque
Centre d’action sociale par la musique, qui est
à la fois une salle de concerts et un conserva-
toire, dont la monumentalité flattait le régime
vénézuélien. Au Pérou, nous structurons, au-
delà des nucleos, un orchestre-académie, plus
souple, mais qui permettra de professionna-
liser les meilleurs de nos élèves en leur déli-
vrant des diplômes reconnus par les univer-
sités. Le Conservatoire national, qui est
payant, compte deux classes de violon et une
de contrebasse, c’est dire qu’il ne suffit pas à
répondre aux besoins!
Werther, à Zurich, chéri par
la Charlotte d’Anna Stéphany,
dans un beau spectacle paru
en DVD (Accentus Music).
Adolescent, vous rêviez de composer,
pas de chanter, m’aviez-vous confié
lors de notre précédente rencontre.
Ce projet est aussi une façon
de dépasser la vie parfois étroite
du soliste…
J.D.F. : Bien sûr. La musique classique est
notre colonne vertébrale, mais nous com-
mandons aussi beaucoup d’arrangements
et quelques œuvres originales pour les or-
chestres, qui donnent aux jeunes l’occasion
de découvrir la composition sous un angle
concret et accessible. Nous faisons aussi
une grande place à la musique populaire
péruvienne qui m’est chère, dans son ex-
traordinaire diversité. Elle est à l’image du
pays : moins exubérante, moins spontané-
ment accueillante et facile que celle des
Caraïbes et du Brésil, plus austère et ren-
fermée en apparence, mais d’une force et
d’une subtilité inépuisables.
Et riche, comme partout en Amérique
latine, de ces voix de ténors placées
si haut, avec un passage d’une
extraordinaire facilité, telle la vôtre…
J.D.F. : Encore que nous ne soyons pas as-
sez nombreux à faire des carrières profes-
sionnelles, mais vous avez raison. Quelle
est la part de la génétique et des métissages,
et celle de la culture ? Au Pérou, on dirait
que toute la population masculine est ténor,
à l’exception du président de la République,
seule basse du pays ! Au Chili et en Argen-
tine, j’ai l’impression qu’ils sont tous haute-
contre. Est-ce le besoin de se faire entendre
à travers les cimes des Andes… ou dans des
tavernes très bruyantes, qui a favorisé des
larynx placés plus haut qu’ailleurs ? Je ne
me connais pas d’ascendance indienne.
Peut-être africaine, si l’on en croit mes che-
veux crépus ? Mais j’attends avec impa-
tience les résultats du test ADN que j’ai
commandé, grâce à ces petits kits dispo-
nibles partout !
Cette voix, qui vous a imposé dans
le bel canto romantique, vous ouvre
aujourd’hui les portes du répertoire
français.
J.D.F. : Celui d’Alfredo Kraus, surtout. Ce
n’était pas prémédité, mais en consultant
l’autre jour la liste de ses rôles, j’ai été frappé
par cette évidence. La grande différence
entre nous, c’est qu’il n’a pu chanter, dans ses
jeunes années, tous ces héros rossiniens
qu’on n’avait pas encore exhumés et où il au-
rait été prodigieux. Werther, Hoffmann, Des
Grieux sont des personnages d’une densité
théâtrale et poétique irrésistible, les trouver
sur mon chemin était inéluctable.
Mais la langue française est redoutable
pour les chanteurs hispanophones.
Aussi fantastiques qu’aient pu être
leurs prestations vocales et musicales,
Caballé, Domingo, Berganza ou Kraus
ne sont jamais parvenus à en maîtriser
la diction, tombant soit dans le flou,
soit dans l’affectation.
J.D.F. : J’en ai conscience. Au début, le résul-
tat était horrible, j’ai travaillé comme un
damné. Mes collègues français m’encoura-
geaient, et j’ai trouvé le chemin qui me
convenait en étudiant particulièrement la
phonation d’Alain Vanzo. Un français méri-
dional, ouvert, légèrement italianisant –
mais l’Italie belcantiste, pas les muscles ver-
diens. Tout en clarté, en voix mixte, qui
permet des nuances piano adaptées à la
langue. Essayez de chanter les mêmes
phrases de Don Carlos dans ses deux ver-
sions, la différence est saisissante.
Vous avez fait appel à des professeurs ?
J.D.F. : J’ai pris mon dernier cours de chant
à vingt-deux ans. Même à Philadelphie, j’ai
quasiment achevé seul mes études ! Mon tem-
pérament est profondément celui d’un auto-
didacte. J’ai travaillé avec des répétiteurs, et
écouté des heures d’enregistrements. Gedda
en plus de Vanzo, et beaucoup Alagna, qui est
aujourd’hui le maître absolu pour la diction
du français.
Il appréciera probablement ce salut
de votre part ! Vous arrive-t-il
de vous rencontrer, avec lui ou avec
Jonas Kaufmann, malgré des agendas
qui vous amènent rarement dans
les mêmes théâtres au même moment ?
J.D.F. : Bien sûr. Ce n’est pas si fréquent, en
© HERWIG PRAMMER
effet, mais je me souviens d’un déjeuner à
Vienne avec Kaufmann et Grigolo, où nous
avons dû faire fuir la moitié des clients du
restaurant tellement nous parlions fort !
Vittorio, c’est spécial, nous nous connaissons
I 21
O Juan Diego Florez
depuis ses débuts, et sommes vraiment des
amis proches. Jonas est venu à la maison.
Avec Roberto, nous avons dîné plusieurs fois
à New York après ses spectacles. Il a cette
personnalité entière, il dit ce qu’il pense, mais
aussi cette grande générosité, cet enthou-
siasme qu’il communique. Chaque fois que
je lui confiais mes doutes face à un nouveau
rôle, il a trouvé les mots pour me convaincre,
et je n’ai eu qu’à m’en féliciter.
Alors à quand les trois, ou plutôt les
quatre ténors, dont rêve toute la planète ?
J.D.F. : Vous ne pensez pas que ça sentirait
un peu le réchauffé ?
Avec un éventail de timbres aussi
différenciés que les vôtres ?
Quelle importance ? Jonas Kaufmann,
à la même question 6, se disait
quand même un peu inquiet
du choc des personnalités…
J.D.F. : On verra bien. Mais c’est certain, les
talents ne manquent pas aujourd’hui. Je suis
plus inquiet du renouvellement du public.
22 I
Au Met de New York,
le premier Alfredo
de Juan Diego Florez
triomphe face à la Traviata
de Diana Damrau.
Voyez les difficultés qu’a le Met à remplir, et
ces parterres de cheveux blancs dans les pays
germaniques…
Dans les théâtres de province français,
qui ont fait de gros efforts sur la
sensibilisation des jeunes et pratiquent
des tarifs abordables, les tranches d’âge
sont plus mélangées.
J.D.F. : Je les connais moins, c’est vrai. L’édu-
cation et le prix des billets sont évidemment
deux facteurs clés. Dans toutes les villes, les
jeunes devraient pouvoir aller à l’opéra pour
dix euros !
Outre les coûts fixes des théâtres, on
vous répondra que le cachet des stars
de votre catégorie n’y aide pas !
J.D.F. : A votre avis, c’est vraiment ça, le pro-
blème économique de l’opéra ? Prenez le bud-
get d’une production. Quelle part va aux chan-
teurs d’un côté, et de l’autre aux décors,
costumes et droits de mise en scène, pour bien
souvent… pondre une merde, pardon ! Des
spectacles qu’on voit courir vers le précipice
dès les premières répétitions, contre lesquels
ni les solistes, ni l’équipe de la maison n’osent
se révolter, et qu’on remisera en silence après
quelques représentations.
Nombre de lecteurs de Diapason auront
pour ces propos contre la tyrannie
des metteurs en scène les oreilles
de Chimène. Mais les directeurs
de théâtre diront qu’ils renouvellent
et rajeunissent grâce à eux le public.
J.D.F. : Mauvais calcul, et je serais curieux
de voir des chiffres à l’appui. Vous n’imaginez
pas le nombre de gens qui me disent avoir ri
ou pleuré après une version de concert, alors
qu’ils venaient entendre un opéra pour la pre-
mière fois. Le théâtre est dans la musique.
On peut faire des spectacles extraordinaire-
ment vivants avec très peu de moyens, des
décors et des costumes tout simples. Et du
bon sens, le respect de l’œuvre, une écoute de
ce que le chef et les chanteurs, qui la
connaissent, ont à en dire.
Vous lanceriez-vous dans
la mise en scène ?
J.D.F. : Je n’en ai ni l’envie, ni le temps, ni cer-
tainement le talent. Quand je ne chante pas,
je préfère enseigner, il me semble important
que les jeunes artistes puissent échanger avec
leurs aînés tant qu’ils sont en pleine carrière,
pas seulement retraités ! Et Sinfonia por el
Peru m’absorbe sans cesse davantage. C’est
là que je me sais le plus utile, vers là aussi que
les grandes maisons devraient regarder, pour
soutenir des initiatives de ce genre partout
où il s’en crée. Sinon, la déconnexion entre le
tout petit monde de la musique entre profes-
sionnels et la vraie vie des gens finira par
nous tuer, alors même que nous détenons
les clés de ce qui peut transformer l’huma-
nité. La diffusion et l’éducation ont beau
avoir chacune leur logique, elles doivent
se rencontrer, se régénérer mutuellement.
Je me suis juré qu’un jour, les enfants des
bidonvilles de Lima joueraient côte à côte
avec les musiciens du Philarmonique de
© MARTY SOHL / THE METROPOLITAN OPERA
Vienne au Musikverein. Et je le ferai. Q
1 - Diapason n° 662 de novembre 2017.
2 - Un petit plaisir sur Youtube : entrez « Juan Diego
Florez festival de La Paz 1989 » ; le jeune rival de Patrick
Bruel au costume trop large a seize ans…
3 - Sur Youtube encore : « Boda de Juan Diego Florez »
et « Especial del humor La boda Juan Diego Florez ».
4 - Dont la plupart des airs sont disponibles en entrant
« Florez + Dudamel + Bolivar ».
5 - Extrait sur Youtube : « Concierto Sinfonia por el Peru
“Los 7 primeros anos”.
6 - Cf. Diapason n° 638 de septembre 2015.
 Saison musicale
des Invalides

NAHASDZÁÁN
2018-2019

JEUDI 16 MAI, À 20H - CATHÉDRALE SAINT-LOUIS OU LE MONDE SCINTILLANT

Saison 2018-2019 — Licences d’entrepreneur de spectacles 1-1117545, 1-1108472, 2-1108470, 3-1108471 — Design graphique : Belleville — Photo © Christophe Urbain
T H I E R R Y P É C O U
Récital piano C R É AT I O N M O N D I A L E

JOAQUIN ACHÚCARRO Mise en scène et chorégraphie

Luc Petton
Compagnie Le Guetteur
Ensemble Variances

Ravel - Mompou - Granados - Falla

23 & 25 AVRIL
Joaquin Achucarro © Jean-Baptiste Millot
votre
z 1€ à t
Ajou
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Réservations Informations operaderouen.fr

saisonmusicale.musee-armee.fr 01 44 42 54 66 #OperaRouen
Musée de l’Armée - Hôtel national des Invalides Billets
129, rue de Grenelle - 75007 Paris de 4.5€ à 40€
HISTOIRE

Le mystère
Miracle sous un déluge de feu : en 1945, le bombardement de Dresde épargne
la plupart des partitions, essentiellement manuscrites, de Jan Dismas Zelenka,
qui expirait là deux siècles plus tôt. Obnubilée par Bach ou Telemann,
gloires autrement nationales, la musicologie germanique d’après-guerre s’entête
pourtant à qualifier le natif de Bohême de « Kleinmeister des Barok ».
Petit maître, ce compositeur dont aucun portrait ne nous est parvenu ?
Certainement pas. Mais génie d’autant plus difficile à cerner que sa biographie
reste constellée d’inconnues. Cherchons-le dans sa musique.
PAR NICOLAS DERNY
 Zelenka

© GOOGLE ART PROJECT

 O Zelenka

L
musicien n’y joue que d’un seul instrument. Ainsi la virtuo-
Double page
précédente :
sité y atteint-elle des sommets. Parmi les collègues de
Dresde bercée Zelenka au fil des ans, les violonistes Pisendel et Veracini,
e touriste en visite à Prague n’a aucune raison par les lumières les flûtistes Buffardin et Quantz ou le luthiste Weiss font,
de parcourir les quatre-vingts kilomètres qui de Canaletto, entre autres, le régal des oreilles de la cour. Cour qui, en
le séparent de Lounovice, bourgade voisine à l’époque où 1715, envoie une délégation diplomatique à Vienne, et per-
du mont Blanik. Ici reposent les fantômes des Zelenka y officie, met ainsi au Bohémien d’y parfaire son contrepoint sous
chevaliers qui défendront les contrées hussites en cas d’at- au service l’égide du pape de la discipline, Johann Joseph Fux.
d’Auguste II.
taque – une scène mythologique décrite par Smetana dans
le dernier volet de Ma Patrie. La stèle fichée à l’ombre de la Leçons des Ténèbres
petite église du village confirme que c’est bien là, où la Ci-dessous : Lorsque Zelenka débarque à Dresde, vers 1710, tout reste à
nation est censée ressusciter, que naît Jan Lukas (futur la bourgade construire en matière de répertoire religieux. Converti au
Dismas) Zelenka, premier fils du Kantor local. de Lounovice, catholicisme en 1697 pour se rendre éligible au trône de
Nous sommes en 1679. Depuis presque soixante ans que à quelque quatre- Pologne, Auguste II fait une bonne affaire en recrutant ce
la Ligue catholique a défait les protestants à la bataille de vingts kilomètres mystique provincial éduqué à la rhétorique latine et à la
de Prague, où
la Montagne Blanche, les Jésuites font la loi en terres le musicien voit
musique méridionale. Qui mieux que lui pouvait rassem-
tchèques. Ceux de Prague, capitale déclassée, accueillent le jour en 1679. bler un corpus de partitions pour l’église tout en en produi-
le jeune Zelenka, qui étudie au Collegium Clementinum et sant quantité d’originales ? Inlassable, il enrichit le fonds
chante dans le chœur de Saint Nicolas, édifice en pleine sacré en même temps que la cité protestante de Schütz se
transformation baroque dans le quartier de Mala Strana. Page de droite : mue en « Florence de l’Elbe ». Centre germanique de la
Si d’aucuns lui reconnaissent une assez belle voix de ténor, au cœur de la vivaldimania, elle s’enivrera plus tard d’opera seria, genre
on le trouve surtout au violone grosso (aïeul de notre contre- capitale tchèque, où brille Johann Adolf Hasse (1699-1783). Son style galant
la superbe
basse) de l’orchestre du baron Johann Hubert von Hartig, bibliothèque
contaminera les œuvres du Tchèque quinquagénaire.
mélomane éclairé fondu de musique italienne – celle du Collegium En attendant, Zelenka dédie à son protecteur la vaste Missa
d’Antonio Lotti en tête. L’apprenti compositeur tiendra Clementinum Sanctae Ceciliae ZWV 1 (1712). Sans doute faut-il mettre les
bientôt le même archet à Dresde, où le francophile Johann qu’il fréquenta homophonies chorales sur le compte d’une influence pra-
Christoph Schmidt règne alors en maître de chapelle. pendant goise plutôt que d’y voir un métier contrapuntique encore
Particularité de la Hofkapelle de l’Electeur de Saxe : chaque ses études. fragile – ou bien le Qui tollis peccata mundi ne se risquerait
© WIKIPEDIA COMMONS

26 I
pas à… une fugue à sept voix ! Après cette page dont l’or- basse, en alternance. Introduisant et articulant ses Leçons
chestre s’en tient à deux hautbois en plus des cordes et du par des ritournelles dont l’effectif revient à celui de la pre-
continuo, la Missa Judica me ZWV 2 (1714) invite trois Le prophète
mière messe, enchaînant récitatifs et ariosos enluminés de
trombones. Cuivres qui disparaissent le temps des Missa Jérémie se mélismes au long cours, le compositeur puise au registre
Corporis Domini ZWV 3 (1719) et Missa Fidei ZWV 6 (1725). lamente sous grave des instruments pour dégrader les ombres à l’infini.
En 1724, les timbales participent enfin à la célébration du le pinceau Surprise à l’heure de la crucifixion : les Lamentationes
Seigneur (Missa Sancti Spiritus ZWV 4), mais n’assurent de Rembrandt. pro die Veneris Sancto, où des flûtes (n° 1), basson et chalu-
leur place qu’à partir de la Missa Circumcisionis Domini Mais aussi sous meau (n° 2) remplacent les hautbois au sein d’un ensemble
Nostri Jesu Christi ZWV 9, écrite en 1727. les notes de instrumental ici quasi concertant, exhalent autre chose
Zelenka, qui
Si quelques pages de circonstance doivent sonner toutes consacre en 1722
trompettes dehors pour donner leur faste aux cérémonies à cet épisode
qu’elles accompagnent, la nature maussade du musicien biblique une
semble s’exprimer plus directement dans les Lamentations œuvre pour alto,
du Prophète Jérémie ZWV 53 de 1722, pour alto, ténor et ténor et basse.

EN DATES
1679 1723
Naissance à Séjourne à Prague pour
Lounovice pod Blanikem. la composition et la création
du mélodrame Sub olea pacis.
1704 Hipocondrie à 7 concertanti.
Via laureata première œuvre
connue (perdue). Travaille 1729
© GOOGLA ART PROJECT / WIKIMEDIA COMMONS

et loge chez le baron Hartig Prend la direction du chœur

à Prague. d’enfants de la cour de Dresde.

Ca. 1710 1735

Entre au service d’Auguste II, Est nommé Kirchen-Compositeur
à Dresde. par Auguste III.

1715-1718 1740-1741
Missae ultimae.
Leçons de contrepoint avec Fux
à Vienne. Probables leçons avec 1743
Lotti à Venise. Mort à Dresde.

I 27
 O Zelenka
que des vapeurs d’encens. La musique traduit cette fois
l’émotion du Verbe en flirtant avec le théâtre. Est-ce pour
se faire pardonner d’avoir ouvert la porte de l’espace
sacré à cette expressivité nouvelle que Zelenka, grand
© WIKIMEDIA COMMONS
connaisseur de Palestrina, renoue bientôt avec le stile
antico le plus pur ? En 1724, un cahier de vingt-sept
Responsoria pro hebdomada sancta ZWV 55, pour chœur
a capella, décline les vertus d’un contrepoint bien or-
donné, dont le disciple de Fux sait qu’il reflète aussi les
lois de la nature voulues par le Créateur.
28 I
« A la manière d’un concerto »
Habitué à l’excellence, Zelenka ne bride jamais son ima-
gination lorsqu’il écrit pour formation purement instru-
mentale, au carrefour des grands courants européens.
Outre les caractères et les rythmes qui affichent leur pro-
venance, la langue des indications situe géographique-
ment la source d’inspiration. En 1717-1718, en plus de
nombreux Menuets, d’une Bourrée (ZVW 182) ou d’une
Gavotte (ZWV 183), ce sont bien de sautillantes gigues à
la française que l’on entend dans les Canaries des Capric-
cios n° 3 et 4, divertissements de cour débarrassés de toute
obligation formelle. En 1729, la cinquième et dernière
suite décoiffe plutôt à l’italienne dans « Il furribondo »,
presto assai que l’on dirait vénitien.
Seule exception remarquable dans le choix des termes,
malgré la noblesse quasi versaillaise de ses trois premiers
volets, l’extravagante « Folie » qui succède au Siciliano et
clôt l’Ouverture en fa majeur ZWV 188 est bien un clin d’œil
à la folia chère aux Méditerranéens. Le titre mystérieux
de l’Hipocondrie de 1723 renvoie-t-il quant à lui au Malade
imaginaire ? Disons seulement que Lully n’aurait pas renié
la structure tripartite de ces neuf minutes de musique
(Grave aux valeurs pointées – Allegro en imitation – Len-
tement). Mais rien de plus « zelenkien » que les crocs-en-
jambe des doubles croches nerveuses au pompeux sujet
du fugato central, ni que les télescopages brutaux entre
modes majeur et mineur.
Sommet vertigineux de ce pan de catalogue non-vocal,
les Six Sonates en trio ZWV 181 (1715-1716 ou 1721-1722)
s’articulent comme autant de Sonata da chiesa (lent-vif-
lent-vif) ; exception faite de la dernière, Allegro-Adagio-
Allegro. Qu’ils reflètent la flamboyance du jeu du Français
François Le Riche et de son élève Johann Christian Richter
alors actifs à la cour saxonne, ou l’habileté de Pavel
Vancura, au service du comte Morzin à Prague, les deux
hautbois repoussent les possibilités de l’instrument. Mais
la recherche d’inouï ne s’arrête pas là.
C’est que Zelenka traite volontiers le basson en véritable
soliste. Si Fasch, Heinichen, Lotti ou Telemann élargissent
aussi le rôle du continuo en confiant des thèmes au basso
obligato, ce souffleur-ci prend des risques insensés. Quel
vertige que ces traits périlleux, à découvert, avec leurs
rafales de doubles croches entendues dans la Troisième,
seule à convier un violon au festin ; et dans la Cinquième,
qui a de quoi donner des sueurs froides aux virtuoses les
plus dégourdis ! Chiqué ? Au contraire. Ni la panoplie des
artifices savants, dont un contrepoint particulièrement
foisonnant, ni la difficulté de la démonstration technique
n’amoindrissent le jaillissement apparemment spontané
du discours, aux déploiements d’une ampleur inédite.
Eternel second
A côté de ses prestations d’exécutant, l’hyperactif Zelenka
noircit donc des kilomètres de portées sacrées. Autant de
fresques impressionnantes dont la longueur jugée exces-
sive ne ravit pas toujours les princes, qui ne parviennent
cependant pas à brider l’inspiration d’un artiste peu
_ A côté de ses prestations
d’exécutant, l’hyperactif Zelenka noircit
des kilomètres de portées sacrées. _
enclin à la demi-mesure. Trois Requiem, d’innombrables
Miserere, Litanies, De Profundis, Magnificat, oratorios,
hymnes, motets et une messe par an entre 1723 et 1730 en
parallèle de trente-trois œuvres pour les vêpres (1725-
1728) servent autant la foi sincère que l’ambition person-
nelle du musicien. Sous les ordres du maître de chapelle
Johann David Heinichen, arrivé de Venise en 1716, il
lorgne légitimement sur la charge lorsque la santé de son
supérieur chancelle pour de bon.
Mais Heinichen dans la tombe, pas de jeu de chaise musi-
cale pour autant : si l’infatigable Zelenka travaille comme
Kapellmeister officieux pendant les quelques mois de va-
cance du poste, Johann Adolf Hasse lui dame le pion en
1731. La nouvelle mode favorise ainsi une plume aux anti-
podes de celle du contrapuntiste jésuite, qui a pourtant
montré sa maîtrise de l’aria di bravura et de l’aria parlante
dans Sub olea pacis et palma virtutis. Soit un opulent mé-
lodrame de Saint Wenceslas – comprenez : une allégorie
dont les chanteurs, danseurs et acteurs représentent le
triomphe par l’esprit et la foi du Patron de Bohême – qui,
en 1723, flatte en grande pompe Charles VI, venu à Prague
pour coiffer la « resplendissante couronne tchèque ».
Sans jamais se rejoindre, Hasse et Zelenka modifient tout
de même leur style : tandis que le premier peut désormais
se permettre de relever son théâtre de ritournelles plus
clinquantes (« per l’orchestra di Dresda »), le second
consent à parfois simplifier la trame de son écriture. Ce
n’est sans doute pas un hasard si, en 1733, le Christe eleison
de la Missa Eucharistica ZWV15 ressemble beaucoup aux
aria-minuetto à 3/8 comme on en trouve dans la Cleofide
de l’Allemand, créée en 1731. En 1735, les Litaniae Omnium
Sanctorum ZWV 153 alternent carrément chœurs à la
polyphonie dense et sections imprégnées d’éléments de
stile galante. Tous les ingrédients des derniers chefs-
d’œuvre sont désormais sur la table.
Le Bach tchèque ?
Si pratique soit l’étiquette, elle se discute. Fréquent visi-
teur de Dresde – il fait déjà le voyage de Weimar en 1717
pour affronter Louis Marchand dans une joute virtuose –,
on dit Johann Sebastian admirateur de Jan Dismas. Forkel,
premier biographe de l’auteur de l’Offrande musicale,
jure que celui-ci recopia un Magnificat de son confrère,
dont il possédait sans doute (au moins) deux messes au-
jourd’hui introuvables. Et probablement se sont-ils ren-
contrés à l’occasion des séjours du père Bach chez son
fils Wilhelm Friedmann, titulaire des orgues de la
Sophienkirche à partir de 1733. Le rapprochement s’ar-
Page de gauche :
converti au
rête là. Ou presque.
catholicisme Certes, Bach et Zelenka noircissent au même moment
pour se rendre des centaines de pages de papier réglé pour accompagner
éligible au trône l’année liturgique. Mais cette activité commune ne les
de Pologne, rapproche pas, malgré leur goût partagé pour un contre-
Auguste II point qui, dans la dernière partie de leur carrière, tend
de Saxe fait à les ringardiser aux oreilles de leurs contemporains.
une bonne affaire
en recrutant
Comme le souligne le chef d’orchestre Vaclav Luks,
Zelenka, « leurs esthétiques se veulent radicalement différentes.
mystique Tandis que l’œuvre de l’un s’inscrit fermement dans la
provincial éduqué tradition luthérienne de ses prédécesseurs allemands,
à la rhétorique l’autre nous apparaît comme un fervent catholique issu
latine et à la du milieu jésuite, dont le langage traduit une profonde
musique influence italienne. Tant dans la ligne mélodique et dans
méridionale.
la façon d’écrire pour les instruments que dans l’effet
émotionnel recherché. »
A chacun sa manière d’utiliser les figures rhétoriques en
vogue, mais si le Cantor de Leipzig ne va pas à la rencontre
de l’expressivité du Bohémien, Zelenka, lui, ne rechigne

INTERPRÉTER ZELENKA
Par Vaclav Luks, fondateur et directeur musical du Collegium 1704
«
O utre la virtuosité instrumentale et vocale exigée des interprètes – il dispose à Dresde
du plus exceptionnel des orchestres d’Europe et parvient à tirer le meilleur parti
de ses excellents chanteurs –, le défi particulier que nous pose Zelenka réside dans l’envergure
démesurée de ses partitions les plus hautement inspirées, qui excèdent largement le cadre des
œuvres liturgiques de son temps. Si l’on peut déjà identifier une esthétique très personnelle
dans les pages les plus anciennes que nous lui connaissons, composées à Prague avant 1710*,
il la développera singulièrement tout au long de ses années saxonnes. Bien sûr, on trouve dans
son écriture les traces du contrepoint appris de Fux, et des éléments empruntés à l’opéra italien
contemporain. Cependant, ce mélange inhabituellement détonant de moyens d’expressions très
modernes avec le stile antico inspiré de la Renaissance et du chant grégorien est absolument unique, spécialement
© PETRA HAJSKA

dans ses dernières créations. Stylisé et intégré à un langage qui n’appartient qu’à lui, le contraste entre opulence sonore
et sobriété archaïque, voire par endroits ascétique, forme une mosaïque musicale absolument fantastique. »
*Le discophile jugera à l’aune de l’une des versions de l’Immisit Dominus pestilentiam ZVW 58.

I 29
O Zelenka
pas toujours à tremper sa plume dans la même encre que
le protestant. Développé avec un autre texte, le premier
chœur du Miserere ZWV 57 (1738) ne pourrait-il pas ouvrir
une passion de Bach ? Pas le temps de répondre que le
numéro suivant parodie un ricercare des Fiori musicali
de Frescobaldi…
Les deux génies ont tout de même failli se retrouver col-
lègues. En juillet 1733, soit quelques semaines avant d’hé-
riter de la Saxe et d’emporter le trône de Pologne, le futur
Auguste III reçoit la première mouture (Kyrie et Gloria)
de ce que nous désignons comme la Messe en si. « J’offre
avec la plus profonde dévotion à Votre Royale Majesté le
présent exemple de la science que j’ai pu acquérir dans la
musique […] », indique l’auteur qui postule pour rejoindre
Dresde. Si la requête n’est pas suivie d’effet immédiat, elle
permet vraisemblablement à Zelenka d’avoir la partition
entre les mains avant de la classer dans les rayonnages de
la bibliothèque royale dont il s’occupe depuis la mort de
Heinichen. Ainsi peut-il éventuellement la comparer à son
propre acte de candidature implicite, à savoir la Missa
Divi Xaverii ZWV 12 de 1729, dont le pastoralisme de sec-
tions comme le Domine Deus II fait plus écho à celui de
la lumineuse Missa Nativitas Dominii ZWV 8 qu’il ne tente
d’impressionner son patron à tout prix.
Une fois couronné, le nouveau souverain campe sur ses
positions. Les planches du théâtre restent chasse gardée
_ Avec son penchant pour les couleurs
sombres, Zelenka se taille une réputation
de compositeur de condoléances. _
30 I
de Hasse, tandis que Bach et Zelenka poursuivent sur leur
voie respective, loin de la fosse. Le Tchèque assure néan-
moins l’intérim pendant les absences du maître de chapelle
officiel et, les vieux jours venus, se lance dans quelques
immenses dernières messes-cantates.
Ordinaires extraordinaires
Avec son penchant pour les couleurs sombres et son in-
comparable talent pour chanter la souffrance, l’ombra-
geux Zelenka se taille une réputation de compositeur de
condoléances – quelle fresque funéraire que l’Officium
defunctorium ZWV 47 qui accompagne Auguste II au
tombeau, quand les timbales et trompettes du Requiem
ZVW 46 le voient déjà ressusciter ! Le vent esthétique
nouveau le pousse néanmoins à faire davantage d’étin-
celles, quitte à rendre l’harmonie moins louvoyante ici,
et à assouplir le cadre polyphonique là. Difficile, face à
ces chefs-d’œuvre tardifs, de ne pas être éberlué par la
théâtralité mirifique avec laquelle le créateur loue désor-
mais le Tout-Puissant.
Si l’on ne connaît que trois des six Missae ultimae (ZWV
19-21) envisagées, elles figurent, avec les monumentales
Missa Sanctissimae Trinitatis ZVV 17 (1736) et Missa Votiva
ZVW 18 (1739), parmi les plus éblouissantes constructions
A partir des baroques connues à ce jour. Comme tous les musiciens
années 1730, sacrés alors influencés par l’Italie du Sud, Zelenka y mé-
l’écriture de lange les styles, et voue à l’antico les Kyrie Eleison II (sauf
Zelenka se laisse dans la Missa Dei Filii ZWV 19), Cum Santo Spiritu II,
contaminer par
le style galant de
Et vitam venturi et Dona nobis pacem. Mais rien de plus
Hasse (à gauche), moderne que les airs confiés aux solistes – inutile de s’inter-
qui règne sur dire quelque pirouette, dès lors que les plus beaux gosiers
l’opéra à Dresde péninsulaires engagés pour l’opéra peuvent être réquisi-
au début du XVIIIe tionnés par le temple. Solos ou trios vocaux généralement
siècle. plus longs qu’hier et ritournelles alla Vivaldi aux combinai-
sons instrumentales les plus variées figurent au menu des
Le Tchèque
catholique
Christe eleison et Quoniam tu solus Sanctus II, voire du
ne regigne pas Benedictus. Pourtant, si la conduite du cantabile, les
non plus à parfois chausse-trappes virtuoses et l’arsenal des ornements valent
tremper sa plume bien un voyage à Naples, l’artiste se refuse ici à l’aria da
dans la même capo, même lorsque la répétition d’éléments de l’introduc-
encre que le tion le fait croire, ou espérer.
protestant Bach, Dans ces dernières mises en musique de l’Ordinaire,
bien que leurs
esthétiques
Zelenka honore comme jamais la devise des Jésuites : Ad
restent majorem Dei gloriam. Pour la plus grande gloire de Dieu.
radicalement Cela dit, en même temps qu’il se plie aux nouvelles ten-
différentes. dances et nous fait voir trente-six chandelles (particuliè-
rement dans les Gloria in excelsis Deo effusifs, signés de
brusques voltefaces majeur/mineur), il n’en demeure pas
© WIKIMEDIA COMMONS / GETTY IMAGES
moins fidèle à lui-même. Et au Christ. Serti dans un Credo
aux vivace brillantissimes, l’Et incarnatus est de la Missa
Omnium Sanctorum ZVW 21 se drape par exemple dans la
même componction que les pages les plus recueillies. Le
Crucifixus, lui, souffre encore jusque dans sa chair. D’ail-
leurs, trève d’opératisation pour cette fois : sur les triolets
de doubles croches des violons, soprano et alto à l’unisson
entonnent un Benedictus comme un écho de plain-chant.
On ne se refait pas.
 Un festin discographique
iapason d’or le mois dernier pour
Frieder Bernius, bien inspiré
d’inviter Julia Lezhneva dans la
messe de 1732 pour saint Joseph.
On comprend mieux, en décou-
vrant ce foisonnement d’images sonores et
cet arc-en-ciel de styles, l’ampleur du Kyrie et
du Gloria envoyés par Bach à Dresde en 1733,
puis repris dans la Messe en si. Diapason d’or
l’an passé pour la bande praguoise de Vaclav
Luks dans les six sonates en trio, défi athlé-
tique et rhétorique prisé des hautboïstes.
Autre médaille en 2017, pour le deuxième
bouquet de psaumes glanés par Adam Vik-
tora et son Ensemble Inégal. Et 2016 encore,
pour Luks à nouveau, et l’exubérante messe
à saint François-Xavier…
Zelenka, depuis 1990, aura reçu plus de mé-
dailles que Handel, Purcell, Telemann ou
François Couperin ! N’allez pas penser que la
VACLAV LUKS
© COLLEGIUM 1704-IVAN KORC / DR
Missa dei Patris Missa Paschalis
Chœur et Orchestre Ensemble Inégal,
de chambre de Stuttgart, Adam Viktora.
Frieder Bernius. Carus. Niburu.
joie de voir le disque rendre enfin justice à un
compositeur aussi brillant nous pousse à l’in-
dulgence. Le prosélytisme n’y est pour rien.
Toutes ces récompenses, qui se sont relayées
sous des plumes aussi diverses que le regretté
Roger Tellart, Olivier Rouvière, Jean-Luc Ma-
cia, Sophie Roughol et votre serviteur, nous
disent autre chose : Zelenka flatte les inter-
prètes qui l’aiment et le prennent au sérieux,
et fait fuir ceux qui n’ont rien à lui offrir. Les
esthètes nombrilistes comme les formalistes
coincés l’ignorent ou le détestent.
« Totalement fou », ce Zelenka : sous la plume
de Reinhard Goebel, c’est un compliment. Il
n’hésite pas d’ailleurs à le hisser parmi les
cinq plus grands compositeurs de l’âge ba-
roque. Mais Goebel, hélas, n’a pas enregistré FRIEDER BERNIUS
une note de Zelenka dans le fabuleux cycle
dresdois de Musica Antiqua Köln. Ce n’est pas Ce Concerto a 8 concertanti pourrait être d’un
le seul rendez-vous manqué. Imaginez que Vivaldi capricieux et turbulent. Qui prendra
John Eliot Gardiner et son Monteverdi Choir enfin la relève de Sonnentheil dans les cinq
n’ont programmé aucune messe ! Aucune Capriccios, bien connus des cornistes pour
chez Nikolaus Harnoncourt, qui pourtant se quelques passages surhumains ?
régalait, dès 1977, des contorsions rhétoriques
du rondeau Hipocondrie – le terme, au temps Semaine sainte et funérailles
de Zelenka, vaut pour un dérèglement des Le cycle de Lamentations pour la semaine
humeurs propice à la mélancolie, dès les pre- sainte est, avec les six sonates, l’œuvre la plus
mières mesures dont le pas pompeux dérape enregistrée. Séduction sonore et dolorisme,
sur un curieux amollissement de l’harmonie ! propos théâtral mais formation légère : une
Versant orchestre, la discographie végète. aubaine en effet. Les deux leçons pour basse
A l’intégrale correcte de Jürgen Sonnentheil ont eu beaucoup de chance, départager Kurt
(3 CD CPO), le jeune Freiburger Barockor- Widmer (DHM), Max Van Egmond (Globe),
chester (DHM, 1994) oppose une palette Peter Harvey (Accord) et, plus près de nous,
splendide et des prises de parole fières dans le jeune Tomas Kral (Supraphon) ne va pas
tous les pupitres. Flûtes, hautbois, basson, de soi. Si Michael George nous touche moins,
violon solo, continuo… zélé : Zelenka aime l’album Hyperion vaut pour John Mark
que l’on joue des coudes dans son orchestre. Ainsley dans les leçons pour ténor. L’équipe
CINQ PREMIERS PAS
Lamentations Six sonates Hipocondrie,
René Jacobs, Guy de Mey, Collegium 1704, Concerto a 8
Kurt Widmer… Vaclav Luks. Freiburger Barockorchester.
DHM. Accent. DHM.
I 31
l Zelenka
la plus homogène réunissait, à Bâle, René
Jacobs, Guy de Mey et Kurt Widmer, tous
maîtres de leurs effets, et stimulés par des
instrumentistes moins soucieux de charmer
l’oreille que de faire « parler » leur ligne en
contrepartie du chant.
Pour la semaine sainte encore, les 27 Respon-
soria ont attendu longtemps qu’une gravure
intégrale donne la mesure de ce monument,
composé à la même époque que les six La-
mentations, mais dans un registre opposé.
Vaclav Luks (Accent) ne s’est pas laissé trom-
per par l’archaïsme apparent d’une écriture
où les instruments n’interviennent qu’en
doublure du chœur : il a su lire et traduire
l’extraordinaire narration polyphonique de
l’ancien élève de Fux, zébrée de dissonances et
d’exclamations. Un grand œuvre après lequel
l’Officium defunctorum ZWV 47 et le Requiem
ZWV 46, défendus par Luks également, sacri-
fient à des tableaux plus convenus et lisses.
L’album de Paul Dombrecht où figure l’autre
Requiem (do mineur ZWV 48) vaut davantage
pour le Miserere et le De profundis, dont les
ténèbres s’ouvrent sur un saisissant trio de
basses (Passacaille).
Miroirs de l’opéra
Comment le metteur en scène de messes
spectaculaires, dans une cour où florissait
l’opéra, a-t-il pu rester à l’écart des planches ?
Un esprit trop dévot ? Une plume estimant
trop l’expressivité du contrepoint pour l’assu-
jettir aux armures et aux… plumes ? Un re-
cueil de huit « arias italiennes » faisait néan-
moins acte de candidature, en 1733, auprès
du souverain. Récemment gravé, il montre
un Zelenka particulièrement volubile, maî-
trisant tous les nouveaux codes galants dans
des airs frôlant chacun dix minutes ! Les trois
chanteurs réunis par Petr Wagner (Accent)
les détaillent sans grand charisme et nous
laissent rêver aux champions du belcanto
jadis applaudis à Dresde auprès de Hasse et
de sa chère Faustina.
Marek Stryncl (Supraphon) devait également
composer avec une distribution sans éclat,
mais moins exposée par l’écriture et assortie
d’un orchestre épatant, dans le « mélodrame »
monté en grande pompe à Prague en 1723. Joli
titre pour ce théâtre allégorique autour du
saint patron de la Bohême, Wenceslas : Sous
l’olivier de la paix et le palmier de la vertu.
Nous touchons là le talon d’Achille de la dis-
cographie. Hormis les plateaux de Bernius
dans plusieurs messes, les plaisirs vocaux
restent modestes. Pensons qu’à Dresde, les
32 I
ENSEMBLE INÉGAL
divas de l’opéra roucoulaient aussi à l’église.
Une belle exception récente dans le florilège
« Musica sacra » de Jakub Orlinski (Erato),
avec un air lacrymal de l’oratorio Gesu al cal-
vario (Jésus contre-ténor ici comme dans
l’intégrale Hermann Max). Dans le même
genre, les suaves émois de Marie Madeleine,
en deux airs à rallonge des Penitenti al sepol-
cro del redentore, valent le détour (par Robert
Hugo chez Supraphon, avec une toute jeune
Magdalena Kozena, pudique).
La foi en grand-angle
La discographie des nombreuses messes
pourrait se contenter d’un conseil presto :
plongez-y les yeux fermés. Tout est bon à
prendre ou presque. L’invention de Zelenka,
qui s’ingénie à détourner les figures obligées
du texte mille fois chanté, ou à les pousser au
contraire jusqu’à la démesure, n’a jamais sus-
cité encore de disque terne. Les musiciens
praguois, qui connaissent comme leur poche
les églises de la ville et les perspectives insen-
sées de leurs fresques en clair-obscur, notam-
ment celle des Jésuites où chantait le jeune
Zelenka, ont en principe une longueur
d’avance sur ce terrain. Luks a fait des mer-
veilles dans la Missa Divi Xaverii (Accent) ;
moins connu mais aussi généreux, Adam Vik-
tora s’est distingué dans la Missa Paschalis, la
Missa Omnium Sanctorum, la Missa Purifi-
cationis beatae virginis Mariae et la Missa
Sanctissimae trinitatis (Niburu). Des trésors
dans chaque, la foi en festin.
Mais pour les trois messes tardives (1740-1741),
qui furent au vieux Zelenka ce que la Messe
en si fut à Bach à la même époque, cap sur
Stuttgart. En 1990, le premier album Zelenka
de Frieder Bernius avec son chœur de
chambre et son orchestre marquait un tour-
nant de la discographie : la Missa Dei Filii et
les Litaniae lauretanae (DHM), ainsi mises en
lumière et en voix (Argenta, Chance, Prégar-
dien !), raflaient des prix à peu près partout.
Bernius complétait le triptyque des dernières
messes avec la Missa Ultimarum Sexta (Sony,
1997) et la Missa Dei Patris (Carus, 1997), la
plus surprenante dans ses oscillations entre
le prie-Dieu et les Folies Bergère, les masses
et les détails instrumentaux, l’extase et le brio
conquérant. S’il fallait ne retenir qu’un disque
de Zelenka, ce serait cette messe. En regret-
tant les beautés que Bernius polissait dans la
Missa Votiva composée au sortir d’une mala-
die en 1739 (la plus longue de toutes, de
soixante-dix minutes, Carus) et bien sûr, la
Missa Sancti Josephi du mois dernier.
Rêvons maintenant de retrouver chez Zelenka
les champions de l’oratorio handélien, les
grands ramistes, qui se délecteraient d’un or-
chestre ainsi éclaté, les meilleurs vivaldiens,
qui savent que le brio s’épuise toujours si la
fantaisie ne l’épaule pas. Leur absence,
presque trente ans après le premier album de
Bernius, pose question. Une musique sacrée
appelant, sans complexe, tant de plaisirs se-
rait-elle taboue ? Voulons-nous donc admirer,
© DR
ou jouir ? Gaëtan Naulleau
EN VENTE ACTUELLEMENT CHEZ
VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
 RENCONTRE
Christian Tetzlaff
Hipster mordant
En récital, en concerto, et même sur le podium, un de nos plus passionnants
violonistes est ce mois-ci à l’affiche du Théâtre des Champs-Elysées. Paroles d’un
homme libre qui a lâché ses cheveux mais ne mâche toujours pas ses mots !
l l est l’un des violonistes au monde
les plus admirés pour la rigueur,
l’intransigeance, la profondeur et
l’engagement farouche de son ap-
proche musicale, ennemie de toute
facilité et de toute joliesse. Depuis
quelques saisons, un vent nouveau
paraît cependant souffler sur les
doigts et… dans les poils de Christian
Tetzlaff. La barbe et les cheveux ont
poussé, les lunettes ont disparu, la te-
nue se décontracte, même en scène.
On n’ose croire, chez un artiste de cette
trempe, que la façon de paraître face
à son auditoire n’ait aucun lien avec
son évolution musicale. Le jour se lève
sur Berlin, dans le loft bohème, sous
les toits, où il nous invite à partager le
café matinal. Et l’on ne résiste pas à
demander au hipster ce qu’est devenu
le garçon strict de Hambourg, avec sa
coupe en brosse de pasteur protestant
et ses binocles d’intellectuel…
Christian Tetzlaff : Mais c’est très
simple : il a perdu toute son intelli-
gence… Quant à la raison, vous la
voyez se glisser hors de la pièce sur la
pointe des pieds : l’amour. Georgia,
ma femme, a changé ma vie depuis
sept ans. C’est donc purement extra-
musical. Mais, cela ne peut avoir que
© GIORGIA BERTAZZI
des implications musicales. J’étais
prêt pour ce changement, car la ma-
nière de se présenter en scène dit en
effet beaucoup de soi. Sauf pour cet
34 I
PAR VINCENT AGRECH
aimable critique américain qui jugeait
il y a peu que maintenant que je joue
mal, je n’ai plus que mon look pour me
faire remarquer!
Il y a toujours des collègues
charmants. Etant pour ma part
très gentil, je serais surtout
curieux de savoir ce qui, d’un
point de vue musical, a perdu ou
à l’inverse acquis de l’importance
ces dernières années?
C.T. : Ce qui n’a pas changé : je me sens
toujours musicien, plutôt que violo-
niste. L’instrument n’est qu’un moyen
d’expression. Autre point intangible,
découlant du précédent : l’analyse du
texte musical, et de tout ce que l’inter-
prète peut apprendre du compositeur,
doit être sa priorité absolue. Je suis
parfaitement indifférent à la façon
dont Oïstrakh faisait telle ou telle ca-
dence, et un peu consterné de voir de
jeunes artistes passer du temps à les
étudier. Il serait beaucoup mieux em-
ployé à se plonger dans la correspon-
dance de Brahms et Joseph Joachim
[dédicataire, en autres, du Concerto
pour violon, ndlr] qui, elle, répond à
nombre de questions posées par les
partitions. Ou à en apprendre davan-
tage sur la vie de Beethoven, dont les
historiens nous ont, ces dernières an-
nées, révélé des affects tellement plus
nuancés que la vulgate du surhomme
encore de mise dans les années 1970.
Une vulnérabilité, une capacité à pas-
ser en quelques minutes de la jubila-
tion à la dépression; toute cette palette
d’émotions extrêmes que s’autori-
saient les romantiques, et dont nous
avons perdu le sens. Bien que brahm-
sien fervent, je suis en total désaccord
avec Eduard Hanslick [célèbre critique
viennois du XIXe siècle, ndlr] : dans son
effort salutaire pour émanciper la mu-
sique d’un sens figuratif au premier
degré, il est tombé dans l’excès inverse,
en faisant un langage abstrait détaché
son de toute expression psychologique ou
actualité biographique. Il m’importe, pour ma
EN SCÈNE part, de savoir à quel moment de la
Mozart, gestation du Concerto pour piano n° 1
Schönberg, ou du Requiem allemand en était
Haydn, Brahms à la mort de Schumann.
Mendelssohn.
Orchestre de
Chambre de Paris Cela, c’est donc ce qui n’a pas
(violon et perdu de son importance.
direction). Et les changements?
C.T. : Le rapport à la liberté, dans ce
Bach : Sonates
cadre qu’il faut inlassablement préci-
et partitas.
ser. Ne pas respecter les indications
Les 4 et 7 avril, métronomiques, c’est trahir le compo-
Paris, Théâtre des siteur, tant les proportions, les dyna-
Champs-Elysées. miques et les phrasés se voient alors
défigurés. En revanche, nulle audace
n’est à proscrire, pour peu que vous
y projetiez une sensibilité sincère et
nourrie de la culture des œuvres que
vous continuez d’acquérir sans re-
lâche, quand il s’agit de remplir les
blancs du texte – par le timbre, par
les couleurs, par le vibrato rendu à
sa nature d’élément expressif.

Walter Levin, avec qui vous avez

étudié aux Etats-Unis, est mort
l’an dernier. Mesure-t-on
aujourd’hui son héritage
à sa juste valeur ?
C.T. : Il fut un révolutionnaire par la
littéralité de son approche des parti-
tions, si rare à l’époque, notamment
sur ce point des indications métrono-
miques. Mais l’honnêteté oblige à re-
connaître que pour tout ce qui touche
aux attitudes du jeu, il était, à l’inverse,
terriblement conservateur. Il ne savait
pas se laisser emporter par la folie et
la flamme auxquelles ses propres ana-
lyses du texte le conduisaient. Je dois
donc beaucoup à mon professeur de
Lübeck, Uwe-Martin Haiberg, qui
m’avait auparavant montré comment
on peut se consumer en jouant sans
renoncer à la lecture la plus rigou-
reuse. Dans sa défense des nouvelles
esthétiques du XXe siècle, Levin s’est
aussi laissé enfermer dans une doxa
qui l’amenait à mépriser des pans fon-
damentaux du répertoire. Ni Sibelius
ni Dvorak ne trouvaient par exemple
grâce à ses yeux. Or, le second est, avec
Schubert, un des compositeurs les
plus mal compris de notre histoire.
On mésestime combien la mort de
Schubert nous a privés d’une révolu-
tion musicale peut-être plus profonde
que celle opérée par Beethoven, tant il
paraît sur le point, dans ses toutes der-
nières œuvres, de dévoiler des élans
visionnaires presque terrifiants. Et
l’on continue à ne pas se pencher suf-
fisamment sur la jeunesse de Dvorak,
habitée d’une liberté formelle, d’une
folie expérimentale sans équivalent.

Le récital et la musique
de chambre deviennent-ils vos
terrains d’expression privilégiés ?
Ou prenez-vous encore du plaisir
à jouer des concertos, malgré Né en 1966 à Hambourg, il se forme exigeant. Sa curiosité musicale
le cadre plus formaté et les en Allemagne puis aux Etats-Unis. le conduit aussi bien vers la création
Révélé à vingt-deux ans dans que les œuvres baroques, la musique
compromis qu’impose l’orchestre ?
C.T. : Je fais en sorte d’éviter les com-
bio ces deux pays dans le concerto slave et celle d’Europe du Nord.
promis ! Je ne me vois pas plus en express de Schönberg, il s’impose comme
l’un des interprètes majeurs
Il est aussi, depuis vingt-sept ans,
avec sa sœur Tanja, l’âme du quatuor
mâle dominant devant le troupeau du répertoire germanique le plus à cordes qui porte leur nom.
musical, qu’acceptant un chef qui
se prendrait pour un dompteur de

I 35
 x x
fauves. L’espèce est heureusement en
voie d’extinction, même s’il reste
quelques egos démesurés.
Nous sommes à Berlin, la ville
de Daniel Barenboim…
C.T. : La posture du dictateur a long-
temps tenu lieu de talent, voire de
sensibilité musicale. Mais une
époque extraordinaire est en train de
s’ouvrir. Hier, Robin Ticciati dirigeait
le Deutsches Symphonie-Orchester
dans la 1re de Brahms la plus libre, la
plus électrisante qu’il m’ait été donné
d’entendre. Voilà un chef incarnant
cette autorité sereine, ce nouveau
rapport entre les musiciens, qui est
celui de la jeune génération. Comme
Vladimir Jurowski, ou Lars Vogt,
à la fois formidable chef d’orchestre
et chambriste.
Mais au même moment,
la musique n’est-elle pas en
train de perdre en Allemagne
sa place privilégiée, notamment
dans l’éducation ?
C.T. : On tombe facilement dans le cli-
ché depuis l’étranger. Combien de
gens croient que les trains arrivent à
l’heure en Allemagne, alors que nous
avons l’un des réseaux les moins per-
formants des pays développés ? A
© GIORGIA BERTAZZI
votre avis, au siècle de Mozart ou
de Brahms, quel pourcentage de la
population entrait dans une salle
entendre un concert de musique
36 I
_ Je prévois d’aborder bientôt
le concerto de Thomas Adès, qui
me fascine depuis longtemps. _
classique ? J’ai six enfants, qui ont
presque vingt ans d’écart. L’enseigne-
ment général, du temps des aînés, ne
faisait pas à la musique une place plus
remarquable que pour les cadets. Ce
serait même plutôt l’inverse, car au-
jourd’hui les orchestres sont plus en-
gagés, les artistes plus concernés
– Lars a lancé, par exemple, le formi-
dable projet Rhapsody in school, qui
encourage tous les musiciens qui le
souhaitent à aller donner un concert
court dans les écoles des villes où ils
viennent se produire, et à échanger
avec les enfants.
La musique de notre temps
semble désormais moins présente
dans votre répertoire. Un hasard ?
Un regret ?
C.T. : J’ai créé une quinzaine de concer-
tos pour violon. Deux sont restés à mon
répertoire, ceux de Birtwistle et de
Widmann – c’est une proportion assez
cohérente, en fait. Parmi les œuvres
récentes composées pour d’autres, je
prévois d’aborder bientôt le concerto
de Thomas Adès, qui me fascine depuis
longtemps. Mais c’est vrai, je viens
de jouer le Beethoven pour la trois
cent trentième fois. Sans la moindre
lassitude, avec au contraire la certi-
tude d’accomplir à chaque fois une
mission sacrée. Donc aucun regret, et
il n’y a sans doute pas de hasard.
Vous êtes connu pour préférer les
instruments récents aux italiens
du XVIIIe, une position assez rare
parmi les grands solistes. N’êtes-
vous pas tenté cependant lorsque
vous jouez Bach, qui compte aussi
parmi vos missions sacrées ?
C.T. : Il m’arrive de mettre des cordes
en boyau, de changer d’archet, mais
je ne vois pas l’intérêt de ces vieilles
caisses qui ont été largement tripa-
touillées au fil du temps. Vous
connaissez, je suppose, l’expérience
en aveugle faite à Paris, qui a montré
qu’il est impossible de reconnaître un
Stradivarius d’un violon moderne ?
Si bien que nous en avons
longuement rendu compte
dans Diapason1. Mais sans doute
connaissez-vous le contre-
argument, que formulait très bien
l’altiste Antoine Tamestit. C’est
sur le long terme que ces anciens
instruments vont révéler toute
la richesse de leur personnalité,
entraîner l’artiste à se développer
en maîtrisant leur complexité.
Tamestit a lui-même passé un an
à lutter contre son Stradivarius
et songé à le rendre, avant d’en
trouver les clés…
C.T. : Tout ça est très gentil. Mais au-
rait-il passé un an à maîtriser un mo-
derne ? On ne perd son temps de cette
façon-là que quand il y a une grosse
somme d’argent en jeu. Sinon, on rend
l’instrument au bout de quelques jours
en disant qu’il est mauvais. Un de mes
élèves a fini par refuser un Guarnerius
désastreux qu’une fondation voulait
lui mettre dans les pattes, pour jouer
plutôt l’un des violons de Stefan-Peter
Greiner que je lui prête. Le pauvre a
perdu au passage une tournée de
concerts payée par cette fondation,
mais au moins peut-il progresser.
Quant à moi… je suis trop occupé à
faire de la musique et élever des en-
fants pour me battre avec des violons
afin d’en tirer un son ! Q
1 - cf. n° 637 de juillet-août 2015.
 LE GRAND RENDEZ-VOUS
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● l’œuvre du mois PAR CHRISTOPHE HUSS
Brahms
B rahms, qui avait peiné
pendant vingt et un ans
sur sa première sympho-
nie, jusqu’en 1876, met
seulement quatre mois pour accou-
cher, en 1877, de la deuxième. Il y tra-
vaille en un seul élan créatif, au bord
du Wörthersee en Carinthie, puis du
côté de Baden-Baden. Le reste de
l’année le montre prodigue dans le
domaine vocal (splendide moisson de
lieder et de chœurs). Il ébauche éga-
lement son concerto pour violon –
dont le ré majeur prolonge en quelque
sorte celui de la symphonie.
Soleil et nuit
Le soir de la création (30 décembre),
cet homme venu du Nord est une
figure emblématique de la capitale
autrichienne. Bruckner en est alors à
sa 3e, Dvorak à sa 5e et Tchaïkovski à
sa 4e. Et comment ne pas voir dans
cet Opus 73 – ses intervalles escarpés,
ses contrastes violents, sa structure
évolutive – un ferment qui mène à
Mahler (alors âgé de dix-sept ans) ?
Le début de la « Titan » (1888) est d’ail-
leurs inscrit dans le finale de la 2e de
Brahms (mes. 234 à 240, autour de
5’ 15’’ selon les versions).
Cette symphonie est-elle « aimable et
joyeuse  », comme le compositeur
l’écrit à Hanslick pendant l’été 1877 ?
L’idée est relayée par le surnom de
« Pastorale » qui a pu lui être attaché
en miroir de Beethoven, et par l’évo-
cation des «  mélodies qui naissent
simplement autour de soi ». Mais elle
se heurte à l’étonnante lettre adressée
38 I
HISTOIRE, INTERPRÉTATION
DISCOGRAPHIE COMPARÉE
Symphonie
le 22 novembre à Simrock, son édi-
teur : « la nouvelle symphonie est si
mélancolique que vous ne le suppor-
terez pas. Je n’ai jamais composé
quelque chose d’aussi triste. Il faut
que la partition soit reliée de noir. »
S’agit-il bien de la même œuvre  !?
Ladite lettre doit être prise avec des
pincettes. Esprit sarcastique, Brahms
aimait mener les gens en bateau.
Quand dit-il la vérité ? Les indices, il
les détruit, à l’image des esquisses qui
dévoileraient le processus d’élabora-
tion de son œuvre. Deux missives de
1879 à Vincenz Lachner, révélées en
1989 par le musicologue Reinhold
Brinkmann, contiennent cependant
une formule révélatrice sur « l’assom-
brissement nécessaire de la joyeuse
symphonie ».
Et si la Symphonie no 2 s’éclairait par
la relation de Brahms à l’inaccessible
Clara Schumann  ? Cela rentrerait
bien dans le cadre de la dimension de
« rêve secret » (Heimliche Schwär-
men) que Nietzsche décelait dans
cette musique. Le deuxième thème
du mouvement initial, où se profile
la berceuse Guten Abend, gut’ Nacht,
ouvre aussi des pistes – la nuit s’in-
vite ainsi au cœur de la symphonie
solaire. La grandeur singulière de la
2e repose sur des rythmes beaucoup
plus mouvants que la 1re, et sur un
timing très efficace des tonalités –
dès la longue pédale de dominante
posée au début de l’œuvre, sur la-
quelle planent de brefs motifs légers,
avant la première affirmation forte
de ré majeur, mesure 44.
no 2
1877
Liszt termine
Choix et enjeux
Brahms aimant multiplier les pistes,
une vision pastorale est toujours pos-
sible. Elle est privilégiée par des chefs
visant un équilibre cosmique, un
« ordre des choses » au sens grec, spi-
rituel et harmonique (Giulini), ou
ses Jeux d’eau orchestral, avec des couleurs euro-
à la Villa péennes (Haitink, Levine, Abbado)
d’Este, Wagner ou nord-américaines (Szell, Dohna-
s’attelle nyi). Les conflits intérieurs peuvent,
à Parsifal. à l’inverse, s’exprimer avec une vo-
O lonté d’en découdre ouvertement
Karl Marx avec soi-même (Carlos Kleiber, Schu-
publie richt) ou avec le monde (Furtwän-
L’Avenir social gler), dans un geste solaire (Kubelik)
de la Russie. ou angoissé (Fricsay).
O Il convient aussi de décider si on dé-
Monet peint ploie le singulier lyrisme du premier
La Gare mouvement sur une vingtaine de mi-
Saint-Lazare. nutes, en observant la reprise. Peu de
chefs le faisaient avant les années
O
1970 ; ils sont désormais majoritaires.
Samson
et Dalila de
Saint-Saëns
est créé
Discographie
à Munich, comparée
Le Lac des
cygnes de Dans cette discographie de plus de
Tchaïkovski 250 interprétations sur CD, le poids de
à Moscou. l’Histoire est majeur. Parmi les pion-
niers se distinguent Max Fiedler à
Berlin en 1931, et, outre-Atlantique,
Stokowski, en 1929, à Philadelphie.
Leurs homologues de la décennie sui-
vante sont Karl Böhm à Vienne, en
1942, et John Barbirolli à New York,
en 1940. La réécoute montre que
Klemperer ou Walter sont à leur
meilleur dans des concerts, en 1957 à
Berlin et 1951 à New York. Elle reva-
lorise Ormandy/1953 et Böhm/1956,
confirme la tenue magistrale de Szell,
Dohnanyi et Janowski, et invite à réé-
valuer quelques enregistrements a
priori marginaux (Krivine/Bamberg,
Sieghart/Arnhem, Saraste/WDR ou
Axelrod/Milan). Mais vouloir tout
commenter serait présomptueux : ces
quelques pages se concentreront sur
une quinzaine de versions qui nous
sont apparues essentielles, dans di-
verses options interprétatives.
Vienne et le poids de
l’Histoire
Deux concerts avec l’Orchestre phil-
harmonique de Vienne, en 1945 et
1952, montrent le premier grand
phare de la discographie, Wilhelm
Furtwängler. Maître de puissants
Synthèse
du lyrique et
contrastes, Furtwängler bouscule la
du démiurgique, partition avec une charge dramatique
Carlos Kleiber inouïe. Les questions posées d’emblée
marque la sont : qu’est-ce qu’un forte dans cette
discographie… œuvre, et où mène l’ambitus d’un cres-
avec une vidéo. cendo, d’autant que le chef y greffe un
accelerando  ?  La plus-value tech-
nique du live du 7 mai 1952 (Emi),
sans perte majeure d’intensité, en fait
le document prioritaire.
Un an plus tard, en juin 1953, une
tornade souffle au Musikverein de
Vienne : Carl Schuricht entre en scène
pour un enregistrement Decca qui
devrait être légendaire. A l’opposé des
indécisions de Karajan/Vienne en
1949 et des houles de Furtwängler, il
opte pour un lyrisme expansif et
féroce. Les foucades telluriques alla
Furtwängler deviennent rouleau com-
presseur, dans un cadre rythmique
strict marqué par une accumulation
permanente d’énergie. L’auditeur en
sort ébahi… et exténué.
Trois ans plus tard, même label et
même orchestre, mais cette fois un
miracle – et l’antithèse de Schuricht :
avec Rafael Kubelik, tout chante. Mûs
par un élan comparable, les Philhar-
moniker gagnent une profonde huma-
nité (les individualités ressortent),
dans une lecture où le détail s’épa-
nouit. Grâce à sa réédition chez
Eloquence, cet enregistrement sonne
enfin. On trouvera chez Kubelik l’une
des riches incarnations du finale.
I 39
● l’œuvre du mois

L’ŒUVRE PAS À PAS

I. Allegro non troppo, ré majeur, 3/4
Première mesure, première énigme. Pourquoi ces
trois notes de violoncelles et contrebasses avant
la phrase des cors ? Brahms installe l’idée d’ombre
et de lumière, mais aussi d’incertitude, et ce dès
la première note : temps fort ou levée ? Le motif
des cors migre immédiatement vers les bassons,
les clarinettes et les hautbois : la palette amplifie
le sentiment d’un début de mouvement lumineux
mais instable. Le second thème (altos et violoncelles)
paraphrase le lied Guten Abend, gut’ Nacht.
Brahms s’adresse-t-il à quelqu’un, avec cette idée
qui sera sans cesse déclinée et redessinée ?
Le parcours assez linéaire de ce vaste mouvement
(où revient sans cesse l’intervalle de quarte) sera
troublé par des oscillations et secousses internes,
à coup d’hémioles et de syncopes. Soudain, mes. 485,
la tempête se calme, in tempo, ma più tranquillo.
II. Adagio non troppo, si majeur, 4/4
Pourquoi ce choix, rare, de si majeur dans Propositions singulières susurrer à la vie : « Aime-moi ! » avant
ce mouvement d’une grande complexité
On peut chérir d’autres couleurs, plus de repartir dans un nouvel élan. Tout
(harmonie, contrepoint, rythmes, mutations),
fruitées, que les viennoises, non pas reste en suspension, y compris le troi-
à l’intérieur d’une forme tripartite ABA ? Le thème
tant en Russie qu’à Prague, avec An- sième mouvement, jusqu’à la décharge
exposé aux violoncelles, contient lui-même
cerl en 1967, comme avec Belohlavek vitale du finale, si forcée qu’elle paraît
trois idées mélodiques. Intéressant : le second
en 1989. On goûtera cependant les factice. Révélé en 1994 par DG, ce live
thème, mes. 33, « même tempo, mais gracieux »,
plus  somptueux vents à Dresde en est loin de la perfection, avec quelques
est marqué par un changement de métrique (12/8),
1971, avec la Staatskapelle et ses cors scories (cors !). Mais quel autre chef ose
une particularité par rapport à la Symphonie no 1.
uniques : Kurt Sanderling y défend, un propos aussi visionnaire ?
Le développement (à partir de mes. 49), comme
avec une rigueur identique à Schuricht Seul Joseph Keilberth, rayonnant
le traitement harmonique de la réexposition,
mais des tempos très mesurés, une dans une vision champêtre qui dé-
font remonter à la surface la mélancolie
lecture pensive et mélancolique, aux borde d’humanité, où le chant est le
profonde de l’œuvre.
teintes automnales. Le finale est, ici, maître mot, apporte un éclairage
III. Allegretto grazioso, quasi andantino, une défaite teintée d’espoir. d’une hauteur de vue et d’un niveau
sol majeur, 3/4 Carlo Maria Giulini, à Los Angeles en comparables à ce cataclysme. Le lumi-
Un exemple unique dans les symphonies de Brahms 1980, insuffle à l’œuvre une dimen- neux concert de décembre 1966 à la
de trois métriques : 3/4, 2/4 et 3/8 dans une forme sion qui faisait défaut à Sanderling : Radio bavaroise (Orfeo) suit de quatre
ABACA. Le thème A, sur fond de pizzicatos, alterne la mobilité dans un apparent immo- ans l’excellent disque de studio, plus
avec deux épisodes bondissants (presto ma non bilisme. Tout tombe au moment voulu, tendu, avec Berlin.
assai). Ce mouvement ludique, façon jeux d’enfants, avec la nuance et la couleur idoines.
renferme quelques ombres inattendues, fruit La lenteur ne pèse pas sur l’équilibre Une nouvelle orthodoxie ?
de modulations surprenantes, telle la réexposition des forces : c’est la tension renouvelée En matière d’interprétation « histori-
ultime de A, en fa dièse majeur. des harmonies brahmsiennes – plutôt quement informée », la première inter-
que l’expression mélodique ou l’éner- rogation a porté sur les effectifs (Mac-
IV. Allegro con spirito, ré majeur, 2/2 gie des accents – qui engendre un flux kerras, Berglund), les symphonies de
Exposition du thème à l’unisson sotto voce, avant musical idéal. Brahms ayant été souvent jouées de
une bruyante libération : voilà comment débute Cette sérénité solaire distingue Giu- son temps avec une cinquantaine de
le finale, coulé dans un moule assez traditionnel. lini de la version la plus désabusée de musiciens. L’argument se discute pour
Le thème, en germe dans le premier mouvement, l’œuvre, captée à Salzbourg en 1961 : les Symphonies nos  2 et 3 créées à
gagne en vigueur, tant et si bien que ce volet ultime Ferenc Fricsay dirige le Philharmo- Vienne, où l’orchestre était deux fois
semble balayer les trois autres. La fameuse coda nique de Vienne dans une conversa- plus étoffé qu’à Karlsruhe (1re) et Mei-
est entamée par les trois trombones et le tuba, tion permanente avec la musique, in- ningen (4e). Norrington et Gardiner
formule instrumentale inédite. Fuite en avant, croyable par sa science des transitions ont prolongé ce travail à l’épreuve des
triomphe réel ou défaite chargée d’espoir ? entre les idées thématiques, comme si instruments anciens. Mais ce qui a pu
le maestro en sursis s’attardait pour donner des résultats merveilleux chez

40 I
Beethoven ou Schumann n’a pour
l’heure abouti chez Brahms qu’à des
expériences assez froides. Le cocktail
détonant nous vaut désormais des re-
lectures (Ticciati, Dausgaard) avec
orchestre de chambre moderne
jouant, de manière bondissante et
sans vibrato, une musique dont on se
demande ce qu’elle exprime. Retour à
Charles Mackerras, agissant et chaleu-
reux à la tête du Scottish Chamber Or-
chestra, et au plus hiératique Berglund
pour entendre l’intérêt d’un Brahms
en habits légers.
Ces dernières décennies ont vu s’affir-
mer une tendance interprétative plus discographie, à la fois conquérante creusés. Vision idyllique, servie par un
vive, très bien incarnée par les plus (ardeur dans l’agogique) et généreuse orchestre frémissant et subtil.
opulents Vladimir Jurowski à Londres dans les phrasés. Dommage que la A l’accomplissement de Levine s’op-
ou Marek Janowski à Pittsburgh. La captation, réverbérée et dure, ne re- pose en tout le plus grand document
question des phrasés a nourri plu- Deux visions flète pas l’acoustique de la Philhar- vidéo, également viennois : l’extrapo-
sieurs éditions critiques parues ces extrêmes et monie de Berlin. lation personnelle de Carlos Kleiber,
dernières années. Le travail sur les magistrales Haitink, dans la première de ses trois en 1991. Son geste vif réalise la syn-
se répondent :
proportions orchestrales, l’économie versions, n’est en rien un chef neutre. thèse du lyrique et du démiurgique, et
celle de Ferenc
du vibrato, l’agogique, les tempos et Fricsay (à gauche), Sa générosité rappelle Keilberth, mais cultive une tension rythmique qui rap-
surtout leur flexibilité a guidé des mi- et celle de Carlo il s’en distingue par l’ardeur brûlante pelle Schuricht… en plus électrique
litants stériles, mais également Ric- Maria Giulini de son deuxième mouvement, très al- encore. Bousculée dès l’énoncé initial,
cardo Chailly à Leipzig et Paavo Järvi (ci-dessus). lant, loin de la mélancolie contrite. la Symphonie no 2 est en permanence
à Brême. A ce dernier, bourré d’idées Cette version comblera les oreilles ré- au bord du déséquilibre. Unique et ini-
mais inconstant, nous préférons fractaires aux hautbois viennois. mitable, Kleiber apporte un irrésis-
beaucoup le cycle Brahms de Chailly Sur le terrain de la grande tradition, tible regard pugnace.
au Gewandhaus de Leipzig. Le chef Haitink et Abbado s’inclinent toutefois Notre carré d’as rassemble ainsi le
mise sur la culture de l’orchestre devant James Levine, somptueuse- titanesque Kleiber, le solaire Giulini,
(beauté des bois) et y greffe une trans- ment enregistré. Comme pour la Sym- l’éperdu Fricsay et « la » version clas-
parence nouvelle. Il l’emporte nette- phonie no 1, le chef américain, a gravé sique modèle de Levine. L’alterna-
ment, sur les propositions compa- la version la plus typiquement vien- tive directe à ce dernier est Haitink
rables, par son élégance, l’intelligence noise, par ses couleurs et l’utilisation à Amsterdam. Le moyen terme entre
de sa pulsation et l’absence de raideur. du vibrato, qui délivre un chant à la Fricsay et Giulini se trouve dans
Avec lui, un espressivo ou un dolce beauté sans pareil. Davantage que le concert de Keilberth à Munich.
restent expressifs… Haitink, Levine focalise le discours Les grandes versions qui nous ont
polyphonique autour du dipôle amené là sont Furtwängler/1952,
Vers les cimes lumière/noirceur, avec des graves très Schuricht/1953 et Kubelik/1956.
Ivan Fischer en 2012, Ozawa en 2009,
Wand en 1996 et, surtout, l’étonnant
Otmar Suitner se retrouvent parmi les E QUATUOR GAGNANT
meilleurs, mais la lutte au sommet se
déroule entre Berlin, Vienne et Ams-
terdam. Et plus précisément entre Ab-
bado, Levine et Haitink.
A Berlin, la première version Abbado,
en 1971, dame le pion à Karajan/1978
et Rattle par l’intensité de son lyrisme
et la balance idéale qu’il confère
aux violoncelles, porteurs d’articu- Titanesque Solaire Eperdu Inattendu
lation et de couleurs. Abbado n’est Wiener Philharmoniker, Los Angeles Philh., Wiener Philharmoniker, Wiener Philharmoniker,
pas obsédé par la plasticité orches- Carlos Kleiber. Carlo Maria Giulini. Ferenc Fricsay. James Levine.
1991, DVD Philips. 1980, DG. 1961, DG. 1995, DG.
trale : le son sert une interprétation
sans grands équivalents dans la PLAGE 9 DE NOTRE CD

I 41
● l’air du catalogue
PAR LOÏC CHAHINE
La cantate française
E st-il pertinent de voir dans la
cantate française, qui foisonne
en miroir de la sonate dès les pre-
mières années du XVIIIe siècle, un
opéra miniature ? Les échos ne manquent pas
(tempêtes, sommeils, fureurs), et pourtant ses
auteurs ne la concevaient pas ainsi. Fondateur
littéraire du genre, Jean-Baptiste Rousseau
y voulait une réconciliation de la poésie et
de la musique, à la manière de l’ode antique.
Ses textes restent des modèles, comme sa
Circé mise en musique par Morin, Colin de
Blamont… et encore Cherubini (1789).
Les pièces les plus célèbres aujourd’hui
peignent les passions d’un personnage my-
thologique. Mais si Médée, sous la plume de
Clérambault, s’exclame « Dieux ! », le chan-
teur se fait également narrateur et ajoute en
incise « dit-elle ». Au reste, le répertoire ne
se limite pas aux héroïnes qui pourraient
être celles de la tragédie : fleurissent égale-
ment dans cet espace libre la pastorale
(La  Bergère, Montéclair), les caractères
(Les Femmes, Le Jaloux, Campra), la poésie
anacréontique (L’Amour piqué par une
abeille, Clérambault), l’histoire religieuse
EN 10 DISQUES, UNE INVITATION
AU VOYAGE DANS...
(Jacquet de La Guerre et Brossard) et même
la comédie (Racot de Granval).
La cantate dresse son propre théâtre, où l’au-
diteur jouit d’une connivence liée à l’intimité
du cadre d’exécution – un seul chanteur la
plupart du temps, plus continuo et parfois une
« symphonie », c’est-à-dire un ou deux instru-
ments « de dessus ». « Ecoutons », nous mur-
mure le narrateur de Pyrame et Thisbé, « ne
vous réveillez pas », souffle à Ariane celui de
la cantate éponyme. C’est dans ce contexte,
loin du grand opéra, qu’il faut apprécier
les galanteries de la morale finale.
Cette figure quasi obligée nous déroute quand
la soprano de Montéclair, après avoir fait
monter Didon sur le bûcher dans un récitatif
avec cordes, serine sur un « air gai » : « Qu’il
est dangereux de se rendre aux vœux d’un
objet volage ». Admettons la convention.
Convergences
C’est certainement dans l’entourage de
Philippe d’Orléans, fils de Monsieur, frère
de Louis XIV et de la princesse Palatine, que
s’invente la cantate française, inspirée d’un
modèle italien. Le futur Régent, lui-même
musicien, protège de nombreux composi-
teurs dont les uns sont des sectateurs de la
musique ultramontaine, comme Morin ou
Bernier, et d’autres sont d’authentiques Ita-
liens installés à Paris, tels Mascitti ou Stuck.
Qu’a donc d’italien la cantate française ?
D’abord, des coupures nettes entre les mou-
vements : alors que le récit d’une tragédie en
musique ou d’un opéra-ballet passe presque
insensiblement du récitatif au « petit air »,
la cantate détache les airs (trois, le plus sou-
vent) et prise la forme da capo. Ensuite, les
récitatifs : rompant avec le modèle lulliste
qui alterne plusieurs indications de mesure
pour coller le texte au plus près, il n’est pas
rare qu’ils soient tout entiers dans la même
métrique. Avec le temps, les deux langages
se rencontreront.
Si la cantate est d’abord destinée aux diver-
tissements domestiques et aux cercles pri-
vés, ce qui rend la connaissance de ses exé-
cutions particulièrement difficile à établir,
elle s’invite aussi dans les fastes du Concert
Spirituel, avec orchestre, et même sur la
scène de l’Académie royale de musique.
Autre point de convergence.
Concert dans le salon ovale
du château de Pierre Crozat
à Montmorency, sous le pinceau
de Pierre Lancret (ca. 1720)
 CLÉRAMBAULT
MÉDÉE.
BERNIER
MÉDÉE.
Stéphanie d’Oustrac, Amarillis.
Ambroisie, 2007.
Stéphanie d’Oustrac, du haut d’un timbre
somptueux, magnifie deux visages de Médée,
la magicienne outragée. Parmi les premiers
Français auteurs de cantates, Bernier reste
proche du modèle italien, en particulier dans
des développements où les motifs sont tournés
en tous sens. Clérambault regarde plus
nettement vers l’opéra : le récit se fait davantage
versatile, s’autorise l’arioso accompagné par
la « symphonie », enchaîne sur un petit air avec
continuo seul avant le grand air avec violon.
La texture de l’air tendre « L’Amour dans ses
fers me ramène » se concentre dans l’aigu,
comme certains passages de divertissements
d’opéra. L’invitation finale à « détruire ces lieux
pour jamais », où Amarillis fait doubler le violon
par un hautbois, rappelle l’Armide de Lully.

STUCK COURBOIS CAMPRA

L’impatience.
Jean-François Novelli,
Les Lunaisiens.
Alpha, 2006.
En 1706 paraissent simulta-
nément les deux premiers livres de cantates :
un de Morin, un de Stuck. L’Impatience
figure chez ce dernier et étonne d’abord
par son récitatif initial, accompagné d’un
tapis de violons en tenues. Cette texture en
trio pousse plus loin encore son italianisme
dans  l’air «  Pourquoi tardez-vous tant  »,
d’une irrésistible tendresse.
MONTÉCLAIR
Pyrame et Thisbé.
Monique Zanetti,
Jean-Paul Fouchécourt,
Jean-François Gardeil,
Les Arts Florissants.
Harmonia Mundi, 1988.
S’il est une cantate qui soit un opéra de
chambre, c’est celle-ci… mais à la manière
de Tancrède et Clorinde de Monteverdi, avec
un narrateur et deux personnages. « Que
d’alarmes, quel sort pour nos cœurs ! », avec
ses suspensions dramatiques et ses jeux
entre les voix, mérite de figurer au panthéon
des duos.
CLÉRAMBAULT
Le Soleil vainqueur
des nuages.
COLIN DE BLAMONT
Didon.
Mireille Delunsch,
Jennifer Smith, Les Musiciens du Louvre.
Archiv, 1996.
Les fastes de la cantate en grand effectif. Le
prélude du Soleil vainqueur des nuages
évoque les sinfonie romaines, le deuxième
air, sous son ciel tourmenté, renvoie bien à
© WIKIPEDIA COMMONS.
Ariane.
Agnès Mellon,
Ensemble Barcarole.
Alpha, 2005.
Le premier air d’Ariane
(1710) résume l’art subtil de Courbois : un
motif lancinant de flûte (extraordinaire
Amélie Michel) – quatre noires, trois liées,
une détachée – se répète, la voix entre avec
un autre motif, « Ne vous réveillez pas encore,
beaux yeux, vous ne verrez que trop tôt vos
malheurs »… Le timbre d’Agnès Mellon ac-
cuse les ans ? Il n’en est que plus touchant.
Et quelle musicienne ! Et quel continuo !
JACQUET
DE LA GUERRE
Le Passage
de la mer Rouge.
Luanda Siqueira,
Le Tendre Amour.
K617, 2009.
Pour évoquer un épisode biblique à grand
spectacle, Elisabeth Jacquet de La Guerre
redouble d’invention dans le traitement des
instruments. Les traits fusent au violon et
à la basse dans le récit initial pour peindre
avec science un apparent désordre  : les
vents, la mer qui s’ouvre, les troupes de
Pharaon qui approchent… La dramaturgie
s’avère d’une efficacité redoutable.
MONTÉCLAIR
Pan et Syrinx.
Judith Nelson,
Academy of Ancient Music.
L’Oiseau-Lyre, 1983.
Montéclair réunit ici tout
ce qu’il y a de charmant : un air de chasse
plus léger que veneur (avec vocalises), un le-
ver de soleil instrumental, et surtout « Restes
plaintifs de l’objet que j’adore » : pour raconter
Le Jaloux.
Hugo Oliveira,
Ludovice Ensemble.
Ramée, 2011.
«  Taisez-vous  !  » Et l’élé-
gante introduction instrumentale s’inter-
rompt. Le personnage principal, une voix de
basse, ne lâche pas la parole (pas de narra-
teur ici) et incarne les tourments d’un ja-
loux, entre recherche de paix et désir de ven-
geance. Les douceurs d’un sommeil ne
l’apaiseront pas – mais permettent à Campra
de régaler l’auditeur.
RAMEAU
Le Berger fidèle.
Karine Deshayes,
Les Musiciens
de Monsieur Croche.
Alpha, 2003.
Avant d’accéder à l’opéra, Rameau se fit la
main avec des cantates. Simple sujet pasto-
ral ici ? Il y est tout de même question d’un
sacrifice humain auquel l’amante échappe
grâce à l’amour du Berger fidèle (celui
du titre). Entre les raffinements de l’« air
plaintif » et les virevoltes vocalisantes de
« L’Amour qui règne », que de couleurs !
RACOT DE GRANDVAL
La Matrone d’Ephèse.
COURBOIS
Don Quichotte.
Dominique Visse, Café
Zimmermann. Alpha, 2008.
Le versant comique du genre, et une perle
discographique. Grandval reprend et ar-
range des airs célèbres à l’époque, d’« Ombre
de mon amant » de Lambert au populaire
« Pierre Bagnolet », dans sa désopilante Ma-
trone d’Ephèse – une veuve, pressée de périr
dans le tombeau de son époux, s’en détourne

tragédie, tout comme les récits accompa-
gnés des deux cantates. « Courez à la vic-
toire », dans Didon, fait penser à un Handel
à peine francisé, et on croirait l’ariette
finale sortie de Platée !
la naissance de la flûte, le continuo se tait,
laissant dialoguer une viole seule avec la
flûte traversière. Le collectif (Huggett, Coin,
Hogwood) pallie les limites de la soprano.
Qui prendra la relève ?
pour un soldat de passage. Autre style avec
le savant Courbois ; aux paroles délirantes
de Don Quichotte (signées par Fuzelier, et
parées d’une musique sophistiquée) répond
le terrien Sancho. Vis(se) comica !

I 43
● Paroles de musicien QUAND LES COMPOSITEURS
PRENNENT LA PLUME
PAR NICOLAS DERNY
La France vue par
Mozart
L’enfant prodige avait amusé Versailles. Mais lorsqu’il revient à Paris
en 1778, Mozart déchante. La lettre du 1er mai à Leopold en dit long sur
ce que lui inspirent les manières des sujets de Louis XVI. Bref, la France
– dont il n’aime déjà pas la musique ! – n’a rien pour plaire au divin Wolfgang.
J e suis allé chez Mme la duchesse
de Chabot avec une lettre de
M. Grimm, lequel la priait de me
recommander à Mme la duchesse de Bourbon
(alors au couvent). On m’a dit de venir dans
huit jours. J’ai été exact, mais il a fallu at-
tendre une bonne demi-heure dans un salon
énorme, sans feu, sans cheminée, et froid
comme la glace. La duchesse de Chabot entre
enfin, me reçoit avec une grande politesse et
me montre un clavecin, en me priant de m’en
contenter et de l’essayer, attendu que le sien
n’était pas prêt. – « Ce serait avec grand plai-
sir, lui répondis-je, mais j’ai tellement froid
aux doigts qu’il m’est impossible de jouer. »
– Je lui demande donc de me faire conduire
dans une pièce où il y aurait du feu pour ré-
chauffer mes doigts engourdis : « Oh oui,
Monsieur, vous avez raison. »
Gens grossiers
En disant cela, Mme de Chabot s’assit à une
table pour dessiner, entourée de beaux mes-
sieurs qui faisaient la conversation. Cela dura
ainsi près d’une heure dans le plus grand si-
lence, pendant ce temps je grelottais dans un
coin, ayant froid aux mains, aux pieds et dans
tout mon être. Sans M. Grimm, que je crai-
gnais de mécontenter, je m’en serais déjà allé.
Enfin, je pris bravement mon parti et je jouai
sur ce pauvre clavecin, mais personne ne s’en
© WIKIPEDIA COMMONS
aperçu. Excédé de fatigue et voyant que je
jouais pour les murs et les meubles, je perdis
patience et je hasardais encore quelques va-
riations de Fischer. Et ce ne n’est qu’alors
qu’on me fit force compliments. Je dis à la
44 I
maîtresse de maison qu’il me serait fort
agréable de jouer une autre fois sur un meil-
leur instrument, mais que pour le moment je
ne pouvais pas m’en faire honneur. Là-des-
sus, je voulais partir, mais Mme de Chabot
me pria d’attendre son mari. Une demi-heure
après, le duc vint et semblait m’écouter avec
plaisir. Alors j’oubliai ma migraine et je jouai
avec verve et avec plus d’entrain, étant sûr
d’être écouté et compris. Vous m’engagez,
mon père, à faire de nouvelles connaissances
et à renouveler les anciennes. Cela n’est ni
facile ni possible. D’abord, il n’y a pas moyen
d’aller à pied, les distances sont trop longues,
il y a de la boue partout et les voitures coûtent
cher. Il faut aussi se faire entendre dans les
soirées. On me prie de jouer, on m’admire
beaucoup, on s’étonne, mais cela ne rapporte
rien. J’ai dépensé ainsi beaucoup d’argent à
mon arrivée… Paris n’est plus la même, les
choses ont beaucoup changé. On ne retrouve
plus l’ancienne urbanité française d’il y a
quinze ans. On ne rencontre partout que des
gens grossiers et qui ont de l’orgueil.
A écouter
Mozart :
Symphonie n° 31
« Paris ».
Wiener
Philharmoniker,
Riccardo Muti.
Philips.
 En Pistes !
Toute l’actualité du disque
sur France Musique

Emilie Munera
et Rodolphe Bruneau-Boulmier
du lundi au vendredi
de 9h à 11h
© Photo : Ch. Abramowitz / Radio France

+ 7 webradios sur francemusique.fr

 La chronique
D’IVAN A. ALEXANDRE
A la Radio
M ercredi 6 février, la Cour des comptes
publiait son rapport annuel. Trois volumes
dont le deuxième fait une large place aux
aventures de Radio France.
D’abord les bonnes nouvelles. Depuis le rapport de 2015,
« l’entreprise a amélioré sa gestion, et l’audience de ses
antennes s’est renforcée » – notez : entreprise, non service
ou administration, Radio France étant une société
anonyme détenue par l’Etat et maintenue par les taxes.
En 2017, France Inter a « battu un record historique »
tandis que France Culture et France Musique retrou-
vaient des couleurs. Sous le nuage élitophobe qui arrose
le pays, gagner un dixième de point dans de telles disci-
plines relève de l’exploit. Bravo France Musique et pourvu
que ça dure.
Si « la situation financière de Radio France à la fin de
l’exercice 2018 s’avère à nouveau fragile », ce n’est donc
pas la faute aux ondes. C’est d’abord la faute aux murs.
Il avait suffi de cinq ans (1958-1963) pour construire la
maison ronde ; sa réfection commencée en 2005 a déjà
triplé délais et devis, excédant d’au moins 50 millions
d’euros le coût lui-même prohibitif de la Philharmonie.
Les travaux qui devaient finir il y a deux ans ne seront
achevés qu’en 2022 au plus tôt.
Mais le chantier n’est pas seul coupable. Les réformes
envisagées par la direction quand le déficit de la Radio
passait 20 millions d’euros échouèrent sur une longue
grève au printemps 2015. Il était alors question d’unir
l’Orchestre national et l’Orchestre philharmonique, jadis
complémentaires, à présent frères ennemis. Quatre ans
plus tard, « la décision de fusionner les orchestres n’a pas
été prise, en dépit de la recommandation de la Cour. »
Vingt-deux postes ont été supprimés, le nombre de
concerts a crû, les administrateurs ont accueilli les
écoliers, le cinéma, les « événements » parisiens ou
extérieurs, mais l’Orchestre national n’est pas devenu la
« formation Mozart » dont personne ne veut, et ses
musiciens ont refusé les excursions au Philharmonique
autorisées par un nouvel accord collectif.
Donc les Courtisans comptables insistent : « Il n’est ni
dans la vocation ni dans les moyens de Radio France de
conserver en son sein deux orchestres symphoniques. »
Comment leur donner tort ? Dès son inauguration,
la Philharmonie s’est voulue Symphonyland pour
l’Orchestre de Paris comme pour la myriade de pha-
langes prestigieuses que la planète nous envoie. Au
© YANNICK COUPANNEC
même moment, le National quittait le Théâtre des
Champs-Elysées et le Philharmonique la salle Pleyel
pour se retirer dans un Auditorium certes plus neuf
et plus accueillant, mais éclipsé par la Philharmonie
et mal adapté à leur répertoire. La Symphonie no 6 de
46 I
Bruckner que donnent le Philhar’ et son ancien
chef Myung-whun Chung ce 12 avril, comme le
Concerto pour orchestre de Bartok par le National et son
chef en exercice Emmanuel Krivine le 25, sonnerait
mieux porte de Pantin – ne parlons pas de la Turangalîla
de Messiaen fin mars, divine aberration.
Le plus mélomane des P-DG de Radio France,
Mathieu Gallet, inaugurant l’Auditorium fin 2014, obser-
vait d’ailleurs que la salle avait été conçue pour Rameau
et Mozart, pour les musiques enregistrées par d’autres sta-
tions que France Musique, pour l’image – le décor en bois
crève l’écran, et la Cour des comptes regrette à juste titre
que Radio France tienne toujours France Télévisions à
l’écart –, bref pour maints usages sauf pour Sibelius et
Mahler. Aussi le P-DG espérait-il voir l’Orchestre national
tisser des liens plus forts avec le Théâtre des Champs-
Elysées, et l’Auditorium de la maison ronde accueillir des
ensembles à sa taille : formations de chambre, orchestres
baroques, grands solistes. Ce qui eût en outre rappelé que
le premier rôle d’une radio est d’émettre, de diffuser plus
que de produire, de faire entendre la voix du pays plutôt
que de la fabriquer.
_ La Cour des comptes
enrage : « la décision
de fusionner les orchestres
n’a pas été prise. » _
Vaincu, Mathieu Gallet a dû quitter son joli bureau
début 2018 sans avoir résolu l’éternel problème de
l’« orchestre de trop ». Acquise aux intérêts du libéra-
lisme financier, la Cour des comptes plaide la cure
d’amaigrissement artistique, technique et budgétaire
sur le modèle de la « fusion-acquisition ». Réduire le
National et le Philharmonique à un seul orchestre sans
identité, rêve d’actionnaire au service de l’anti-service.
Or pardonnez ce radotage : s’il y a un orchestre de trop
à Radio France, il n’y a pas un orchestre de trop en
France. Nous manque au contraire un orchestre mobile
reçu dans les régions d’où l’art symphonique s’est retiré,
un orchestre école qui éveillerait et nourrirait les voca-
tions, un orchestre public que pourraient s’offrir salles
et festivals peu dotés, un orchestre… national. Libéré du
cocon radiophonique pour affronter un destin national.
L’Etat aura-t-il ce courage ? L’orchestre aura-t-il cette
force ? Au moins le nouveau-né apporterait-il une triple
réponse, à Radio France qui cherche une issue, à la Cour
qui cherche des sous, et au pays qui cherche son art.
 SPECTACLES à voir et à entendre
Du 31 mars au 19 mai

20 rendez-vous
à ne pas manquer
avec Lilya Zilberstein, pianiste
des plus robustes, ancienne star
de la Deutsche Grammophon.
Programmes enthousiasmants
et légèrement différents : aux
très belles Etudes en forme de
canon de Schumann (transcrites
par Debussy) et aux Danses
symphoniques de Rachmaninov,
se joignent une suite de
Casse-Noisette à Lyon (transcrite
par Nicolas Economou), ainsi
que le rare Concerto pathétique
de Liszt à Paris et Toulouse.
3 Armide de Lully
Le 1er
avril, Paris, Théâtre
des Champs-Elysées.
Le 3, Metz, Arsenal.
Le 8 mai, Bruxelles, Bozar.
Que reste-t-il de Lully dans
cette version d’Armide remaniée
en 1778 par Louis-Joseph
Francœur (et finalement jamais
représentée), sans doute pour
concurrencer celle de Gluck, qui
avait osé remettre en musique
le livret de Quinault. Nul mieux
qu’Hervé Niquet ne pouvait
donner vie à cet étrange objet,
mêlant le goût du XVIIIe finissant
à la nostalgie du Grand Siècle.
Drapée dans son velours de
tragédienne, Véronique Gens
s’abandonne aux sortilèges
du rôle-titre.

2 MARTHA ARGERICH ET LILYA ZILBERSTEIN 4 Passion selon saint Matthieu de Bach

1 Semaine sainte
à Versailles
Du 31 mars au 20 avril,
Versailles, Chapelle royale.
De la mi-carême à la veille
de Pâques, la Chapelle royale
de Versailles se métamorphose
en corne d’abondance musicale.
Coup d’envoi avec Sébastien
Daucé et son ensemble
Correspondances,
© MARK WOHLRAB / DAVID IGNASZEWSKI
Leçons de Ténèbres
de Couperin au Miserere
de Clérambault. Seul, enfin,
Marc Mauillon restitue d’autres
Leçons de Ténèbres, celles de
Michel Lambert, de sa voix à la
puissance expressive singulière.
2 Martha Argerich
et Lilya Zilberstein
Le 1er avril, Paris,
Les 2 et 3 avril, Paris, cathédrale Notre-Dame.
Le 17, Versailles, Chapelle royale. Le 18, Paris, Philharmonie.
Le 19, Paris, Théâtre des Champs-Elysées.
Avec la Semaine sainte revient le temps
des Passions de Bach. L’infatigable Jordi Savall
peut donner la saint Matthieu le mercredi,
sur le pavage de marbre de la Chapelle royale
du château de Versailles, puis le lendemain
dans l’immensité de la Philharmonie de Paris,
avec la certitude de jouer à chaque fois
guichets fermés. Certes moins spécialiste
de l’exercice, l’Orchestre national de France

qui s’attaquent au Te Deum
de Charpentier, avant de
célébrer un Office des Ténèbres
à l’orée de la Semaine Sainte.
À la tête du Poème Harmonique,
Vincent Dumestre mêle au
Stabat Mater de Pergolèse les
chants traditionnels napolitains
qui l’ont inspiré, puis couple les
Philharmonie. Les 3 et 4, met le monument à son agenda avenue
Lyon, salle Molière. Le 6, Montaigne, entre les mains expertes
Toulouse, Halle aux grains. de Vaklav Luks. Et dans la nef de Notre-Dame,
résonnera le chant de la maîtrise de la
Sur scène, Martha Argerich
cathédrale, accompagnée par des élèves
passe avec le plus grand plaisir
du Conservatoire de Paris et des étudiants
d’un (ou d’une) partenaire à
du Pôle supérieur de Boulogne : l’enfance
l’autre. Son duo avec Nelson
de l’art pour servir un chef-d’œuvre inaltérable. JORDI SAVALL
Freire semble en sommeil? On
peut se consoler en l’écoutant

I 47
 Oà voir et à entendre

8 Semele de Handel
Le 3 avril, Paris, Théâtre des Champs-Elysées.
Le 8, Paris, Philharmonie.
Heureux hasard du calendrier? La trop rare Semele de Handel, que Paris
n’avait pas entendue depuis plus de sept ans, y sera donnée par deux
équipes différentes en l’espace d’une semaine. Au Théâtre des Champs-
Elysées, on guettera surtout la Junon d’Elizabeth DeShong, qui marche
avec un aplomb phénoménal sur les traces de Marilyn Horne. A la
Philharmonie, John Eliot Gardiner remet sur le pupitre une partition qu’il
avait gravée voici plus de trente-cinq ans, en s’entourant d’une brillante
distribution, sur laquelle plane l’ombre abyssale de Lucile Richardot. ELIZABETH DESHONG

5 et Nicolas Courjal, de relever
Robert le Diable
de Meyerbeer
Les 2 et 5 avril, Bruxelles,
Palais des Beaux-Arts.
Après Les Huguenots à la
Bastille, le retour en grâce
du grand opéra à la française
se poursuit avec cette version
de concert de Robert le Diable.
C’est à la baguette véloce
d’Evelino Pido qu’il revient de
recréer les fastes de la légende
médiévale. Et à une distribution
de haut vol, menée par Dmitry
Korchak, Lisette Oropesa
© DARIO ACOSTA / ALEXEY MOLCHANOVSKY
le défi d’une écriture vocale
extravertie!
6 entièrement dédié
Mikhaïl Pletnev
Le 2 avril, Paris,
Philharmonie. Le 26,
Monte-Carlo, Opéra. Le 28,
Monte-Carlo, auditorium.
Aucune page de Rachmaninov
n’a de secrets pour Mikhaïl
Pletnev, qui a joué au piano
ou dirigé du pupitre la quasi-
totalité de ses œuvres.
De passage dans l’Hexagone,
il alternera les plaisirs en faisant
(à soixante ans passés!)
ses débuts en récital à Monaco
dans un programme
au compositeur russe, puis
en s’attaquant, à Paris,
au redoutable et exaltant
Concerto no 2, avec l’Orchestre
national de Russie et Alain
Altinoglu. Ces derniers laissent
la place quelques jours plus
tard au Philharmonique
de Monte-Carlo et à Vladimir
Fedoseiev, avec lesquels
le pianiste reprend cette fois
la Fantaisie de concert op. 56
de Tchaïkovski. Dans les deux
cas, la magistrale Symphonie n° 5
de Chostakovitch offre
un complément de choix.
7 pour ses débuts dans la fosse
Lady Macbeth
de Mzensk de
Chostakovitch
Du 2 au 25 avril,
Paris, Opéra Bastille.
Troisième production
de Lady Macbeth de Mzensk
du XXe siècle, saura guider
l’orchestre de l’Opéra dans
l’écriture implacable
de Chostakovitch. En tête
de distribution, on retrouve
Ausrine Stundyte, une des plus
impressionnantes titulaires
actuelles du rôle-titre.
9 Ariane et
Barbe-Bleue de Dukas
Du 4 au 14 avril, Toulouse,
Théâtre du Capitole.
On peine à le croire : Ariane
et Barbe-Bleue, chef-d’œuvre
lyrique français du XXe siècle
naissant, n’avait jamais été
donné sur la scène du Capitole.
C’est donc une entrée au
répertoire attendue que
va conduire Pascal Rophé
toulousaine, emplie des
sortilèges de timbres conçus
par Paul Dukas. Dans le château
du Barbe-Bleue de Vincent
Le Texier, l’omniprésente
héroïne sera revêtue du soprano
falcon de Sophie Koch,

à Bastille, depuis l’inauguration qui devrait idéalement déclamer

du bâtiment, il y a trente ans.
Bon courage à Krzysztof
Warlikowski, dont le spectacle
devra au moins égaler ceux
d’André Engel et de Martin
Kusej, qui ont profondément
marqué les esprits. Nul doute
qu’Ingo Metzmacher, maître
6 MIKHAÏL PLETNEV incontesté de la musique
les mots de Maeterlinck.
A ses côtés, Janina Baechle fera
entendre son mezzo généreux
en Nourrice. Des seconds rôles
féminins bien distribués
et l’artisanat bien rodé du
metteur en scène Stefano Poda
devraient parachever
ce triomphe annoncé.

48 I
10 Passion selon 11Manon
saint Jean de Bach de Massenet
Le 4 avril, Deauville, Du 5 au 14 avril,
salle Elie de Brignac. Bordeaux, Grand-Théâtre.
Le 6, Versailles, Chapelle
C’est Patricia Petibon qui
royale. Les 17 et 18, Boulogne-
a étrenné, à Genève, la Manon
Billancourt, Seine musicale.
de Massenet vue par Olivier Py.
Le 19, Paris, Philharmonie.
Lors de la reprise de cette
Le jeune chef et gambiste production en mai à l’Opéra-
Valentin Tournet (vingt-trois ans) Comique, la soprano française
remet sur le métier, à Versailles endossera à nouveau
puis à Deauville, la partition le rôle-titre. Mais auparavant,
qui l’a fait connaître : voici une le spectacle s’arrête à
Passion selon saint Jean mêlant Bordeaux, avec cette fois
artistes confirmés (la basse la craquante Nadine Sierra,
Stephan MacLeod) et jeunes dont le chant fruité et le joli
talents à suivre, telle la soprano minois feront chavirer le
Marie Perbost (lire son portrait Chevalier Des Grieux de
p. xx). Chez elle à la Seine Benjamin Bernheim, nouvel
musicale, Laurence Equilbey astre dans la galaxie des ténors
peut nimber la plus théâtrale français. A Paris comme
des Passions de Bach d’une sur les bords de Garonne,
création lumières, avec les deux Marc Minkowski, chef lyrique
ensembles vocaux qu’elle a qu’on ne présente plus, est
créés (Accentus et le Jeune au pupitre. Faites vos jeux!
chœur de Paris) sur le plateau.
Quant à William Christie, il est
12Quatuors
ici dans un des jardins baroques
au Louvre
qu’il affectionne, sans piège
Les 10, 11 et 17 avril,
ni pour ses Arts Florissants
Paris, auditorium du Louvre.
ni pour le plus lumineusement
éloquent des évangélistes, A cordes ou à clavier,
Reinoud Van Mechelen. les quatuors s’invitent
13 Festival de Pâques d’Aix-en-Provence
Du 13 au 28 avril, Théâtre du
Jeu de Paume et Grand Théâtre.
Une toile avec Renaud Capuçon,
ça vous dit ? Alors direction Aix,
où le violoniste ouvre « son » festival
avec les musiques de film qui étaient
déjà au programme du récent album
consacré à Morricone, Cosma
et consorts (Erato). A l’affiche de la
quinzaine, Teodor Currentzis devrait
décaper le Requiem de Verdi,
Sandrine Piau et Emmanuelle Haïm
enflammer Handel, Olga Peretyatko
et Alondra de la Parra conjuguer
Mozart au féminin, Nelson Freire
enjôler le cantabile du Concerto n° 2
NELSON FREIRE de Chopin. Et on en passe !
au Louvre. Dénominateur
commun des trois concerts
d’avril : Johannes Brahms.
Il suivra Haydn et Bartok
sous les archets des Arod
le 10, et répondra
le lendemain à une œuvre
pour piano, violon, violoncelle
et clarinette commandée
à l’Australien Brett Dean
par la Chamber Music Society
du Lincoln Center,
dont quelques membres
en résidence feront
spécialement le déplacement.
L’Opus 26 pour piano et cordes
de l’auteur du Requiem
allemand clôturera enfin
le programme que les sœurs
Skride (Lauma et Baiba),
Lise Berthaud et Harriet Krijgh
entameront avec Schubert
et Suk le 17.
14
Idil Biret
Le 16 avril,
Paris, salle Gaveau.
Enfant prodige – à onze ans
elle joue le Concerto pour
deux pianos de Mozart
à Paris avec Wilhelm Kempff
– Idil Biret a édifié une
gigantesque discographie,
comprenant notamment
les intégrales Chopin, Brahms
et Rachmaninov. Salle Gaveau,
dans la précieuse série des
Concerts de monsieur Croche,
elle interprète un programme
11 NADINE SIERRA
des plus consistants :
Bach, la Fantaisie op. 17
de Schumann, Prokofiev (Sonate
n° 2) et des Etudes
de Ligeti. Bienvenue
à cette artiste trop rare
sur les scènes françaises.
15 Der Freischütz
de Weber
Du 17 avril au 19 mai,
Strasbourg, Opéra,
Mulhouse, La Filature.
Depuis près de deux siècles
(1821), le Freischütz brille comme
un joyau fondateur de l’opéra
romantique allemand.
Très présent en France en
ce premier semestre, de Caen
à Aix-en-Provence, sous la
houlette de Laurence Equilbey,
le singspiel bénéficie en Alsace
d’une autre nouvelle production.
Que se cache-t-il derrière le
pacte diabolique signé par Max
pour gagner son concours de tir
comme le cœur d’Agathe?
C’est cet envers du décor
qu’explore le tandem de
régisseurs formé par Jossi
Wieler et Sergio Morabito.
Lenneke Ruiten glisse son
© MERRI CYR / BENJAMIN EALOVEGA
soprano mozartien dans les
grâces d’Agathe, le Finlandais
Jussi Myllys joue le franc-tireur,
et le jeune Patrick Lange
acclimate l’Orchestre
symphonique de Mulhouse
aux beautés embrumées
de la Gorge aux loups.
I 49
Oà voir et à entendre

et plusieurs générations
d’interprètes ayant grandi au fil
des éditions. Renaud Capuçon
et Bertrand Chamayou
s’encanailleront ainsi autour de
Milhaud, Poulenc et Hindemith,
quand Nicholas Angelich
et Adam Laloum se pencheront
une nouvelle fois sur leurs chers
Beethoven et Brahms. NIKOLAÏ LUGANSKY

17 ARCADI VOLODOS
16
Festival de Pâques
de Deauville
Du 20 avril au 4 mai,
salle Elie de Brignac.
Avec le lundi de Pâques,
les ponts de mai et les vacances
scolaires, c’est le bon moment
pour profiter de quelques jours
sur les plages normandes avec,
en prime, les belles affiches
promises par le vingt-troisième
festival de Deauville.
Au programme comme toujours,
chefs-d’œuvre et raretés
du répertoire chambriste,
17 Arcadi Volodos
Le 23 avril, Aix-en-Provence,
Grand Théâtre. Le 25, Paris,
Théâtre des Champs-Elysées.
Après plusieurs années
consacrées au répertoire
germanique, Arcadi Volodos
revient à ses premières amours :
la musique russe. C’est peu dire
qu’on attend avec impatience
d’entendre sonner Rachmaninov
et Scriabine sous les doigts
de cet incomparable sorcier du
son. Il n’abandonne cependant
pas son cher Schubert, dont il
joue en première partie les six
Moments musicaux. Ce pianiste
de l’intime saura sans aucun
doute en pénétrer les
mystérieux arcanes.
19 Week-end Rachmaninov
Les 27 et 28 avril, Paris, Philharmonie.
Le temps d’un week-end, l’Orchestre de Paris et la Philharmonie
se mettent à l’heure russe, avec une série de concerts
entièrement dédiés à Rachmaninov et à ses concertos pour
piano. Ils seront trois à se partager la tâche, Denis Matsuev
(3e et 4e), Nikolaï Lugansky (Rhapsodie sur un thème de Paganini
et 1er) et Behzod Abduraimov (2e). Avec, à chaque fois pour les
aider, Stanislav Kochanovsky à la tête de la phalange parisienne.
Bonne nouvelle, entre un spectacle jeune public ou la vaste
fresque chorale des Vêpres, cette célébration Rachmaninov
ne sera pas seulement une grande fête du piano!
Variances de Pécou donnent
18 Nahasdzaan
chair et couleurs à ce « monde
ou le monde scintillant scintillant ».
de Pécou
Les 23 et 25 avril,
20 Turandot
Rouen, Théâtre des arts.
Le 2 mai, Caen, Théâtre. de Puccini
Du 27 avril au 5 mai,
Thierry Pécou (né en 1965) s’est
Marseille, Opéra.
déjà inspiré des mythes des
Navajos dans le concerto pour Les murs de l’Opéra
trompette Soleil rouge de Marseille vont trembler,
et La Voie de la beauté, quand le soprano affûté
un concert-rituel. Le voici et supersonique de Ricarda
convoquant à nouveau les Merbeth soumettra aux
cérémonies de guérison de ces terribles énigmes de Turandot
tribus amérindiennes. Les voix le Calaf du ténor coréen
enregistrées, le livret de la Rudy Park. Expert du répertoire
poétesse navajo Laura Tohe, italien, Roberto Rizzi Brignoli
l’apparition de chouettes entraînera l’orchestre local dans
© MARCO BORGGREVE / DR / SONY CLASSICAL

lapones, d’un petit aigle les méandres de la partition

du Mexique, d’un vautour, d’un
loup, tout concourt à la création
d’un oratorio dansé à l’allure
de cérémonie chamanique,
que met en scène Luc Petton.
Un quatuor de chanteurs et
sept musiciens de l’Ensemble
la plus moderne de Puccini.
Nulle révolution à attendre du
spectacle de Charles Roubaud,
qui a déjà mis en scène
l’ouvrage à Orange, mais sans
doute de splendides tableaux
de la Chine éternelle.

Pages réalisées par Bertrand Boissard, Nicolas Derny, Benoît Fauchet,

20 RICARDA MERBETH Emmanuel Dupuy, Mehdi Mahdavi, Laurent Muraro.

50 I
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SPECTACLES vu et entendu

Fausse folie, mais

52 I

pur théâtre !
La mythique Finta Pazza passe pour être
le premier opéra joué en France. Elle renaît
en beauté à Dijon, grâce aux talents conjugués
de Leonardo Garcia Alarcon et du metteur
en scène Jean-Yves Ruf.
La Finta Pazza de Sacrati.
Dijon, Opéra, le 10 février.
A sa création, au Teatro Novissimo
de Venise en 1641, La Finta Pazza
remporta un extraordinaire
triomphe : on acclama le livret de
Strozzi, au dramatisme trépi-
dant, la musique de Sacrati, au lyrisme inédit,
mais aussi l’interprétation mémorable d’Anna
Renzi (la première diva de l’Histoire) et les dé-
cors stupéfiants conçus par Torelli (le fameux
« sorcier »). Ce dramma per musica narre un épi-
sode fameux de l’Iliade : les amours secrètes de
Deidamia et Achille (caché par sa mère, sous un
déguisement de femme, à la cour du Roi
Lycomède), contrariées par les stratagèmes
d’Ulysse et Diomède, venus convaincre le héros
de prendre part à la guerre de Troie.
Cet ouvrage fondateur de l’esthétique vénitienne
devint l’un des fleurons des troupes itinérantes
(les Febi armonici et les Discordati) qui le diffu-
sèrent à travers toute l’Italie, jusqu’à la cour de
France en décembre 1645. Sa partition ne fut
pourtant redécouverte qu’en octobre 1984. Res-
suscitée par Alan Curtis à la Fenice en juillet
1987, l’œuvre ne fut rejouée qu’une seule fois, en
© GILLES ABEGG-OPÉRA DE DIJON
2010, à l’université de Yale.
Cette troisième production moderne fera date :
outre qu’il s’agit d’une première en France, elle
révèle un pur chef-d’œuvre ! Grâce doit être ren-
due, d’abord, à l’éblouissante mise en scène de
Jean-Yves Ruf. Tout d’économie (décor minima-
liste mais idéalement évocateur) et d’efficacité
(revisitant les codes visuels de l’épique, du
nous
avons
aimé...
UN PEU
BEAUCOUP
PASSIONNEMENT
PAS DU TOUT
comique et du merveilleux), ce spectacle est
aussi élégant (superbes costumes de Claudia
Jenatsch) que rythmé, grâce à une direction
d’acteurs réglée au millimètre.
Mariana Flores (Deidamia) s’y montre à la fois
prodigieuse tragédienne et admirable chan-
teuse (en particulier dans sa mémorable « scène
de la folie »). Le ténor Marcel Beekman incarne
une Nourrice haute en couleurs, alliant idéale-
ment tendresse maternelle et drôlerie détonante.
Kacper Szelazek, falsettiste au chant large
et voluptueux, campe un savoureux Eunuque
(autre rôle à l’ambiguïté sexuelle typique-
ment vénitienne). Le trio héroïque, Achille,
Ulysse (deux magnifiques contre-ténors,
Filippo Mineccia et Carlo Vistoli) et Diomède
(l’agile ténor Valerio Contaldo), fait preuve d’une
vaillance et d’une profondeur lyrique toujours
convaincantes. Même les rôles secondaires sont
supérieurement traités : ne citons que l’impres-
sionnante prestation de la basse Scott Conner
en Vulcain fulminant.
Jusqu’au délire
Enfin, Leonardo Garcia Alarcon s’affirme
comme le maître incontesté de l’opéra baroque
vénitien. Sa démarche s’inscrit dans le droit
héritage de René Jacobs (comme lui, il dirige
chaque note de récitatif pour mieux laisser
s’épanouir l’émotion) et de Gabriel Garrido
(par son orchestration et son continuo foison-
nants jusqu’au délire). L’énergie débordante du
chef, l’intelligence du metteur en scène et l’ex-
cellence des interprètes ont rendu tout son éclat
à ce vrai joyau. Denis Morrier
I 53
 O vu et entendu
Magie nouvelle
Le Freischütz de Weber.
Caen, Théâtre, le 1er mars.
La Comédie-Française leur
avait confié Faust : le pacte
avec le diable, ça les connaît.
Et comme pour l’œuvre de
Goethe, Clément Debailleul et
Raphaël Navarro ont placé au cœur de ce
Freischütz « la magie nouvelle » dont leur
Compagnie 14.20 se veut le chantre : c’en est
fini de la panoplie du chasseur et de la cui-
sine du diable à la Gorge-aux-Loups. Le dé-
cor est noir et vide, traversé parfois de petites
lumières – on y verra seulement, à l’acte II,
un immense portrait de l’ancêtre.
Mais cette abstraction symbolique n’évacue
pas le romantisme allemand : elle le revi-
site, avec sa forêt, ses clairs-obscurs, ses
© JULIEN BENHAMOU / SILVIA DELMEDICO
fantasmes. Vidéo, hologrammes et lévita-
tion, vecteurs d’une esthétique et non plus
simples agréments, entretiennent l’oscilla-
tion perpétuelle entre le rêve et la réalité, la
transformation de la scène en espace men-
tal comptant plus que le jeu d’acteur pro-
prement dit. Une façon de ressusciter
l’opéra féerie, visuellement très séduisante
– une réussite, en tout cas. La direction de
Laurence Equilbey, en revanche, accuse des
54 I
En carence
En silence de Desplat.
Luxembourg, Grand Théâtre,
le 26 février.
Le silence règne au Grand
Théâtre de Luxembourg lors
de la création mondiale du
premier opéra d’Alexandre
Desplat et Solrey. C’est en effet
en couple et avec minimalisme que le com-
positeur couvert d’Oscars et sa compagne
investissent aujourd’hui le répertoire lyrique.
Basé sur une brève nouvelle de Yasunari
Kawabata, En silence fait appel à un effectif
de chambre composé d’un trio vocal et d’un
petit ensemble instrumental (flûtes, clari-
nettes, cordes et percussion) dont Desplat tire
admirablement parti.
Après l’introduction de l’acteur Sava Lolov
(assez inégal au gré des rôles qu’il endosse),
Mikhail Timoshenko incarne Mita (écri-
vain rendant visite au maître muet Akifusa),
d’abord par quelques notes périlleuses en fal-
setto. Il faudra attendre l’acte II pour que le
limites : attentive aux timbres et aux nuances, timbre s’arrondisse et que le baryton-basse
elle manque de souplesse et n’avance pas, explore avec souplesse toute l’étendue de sa
dépourvue de dimension narrative malgré tessiture. Camille Poul est Tomiko (fille aînée
une énergie en trompe-l’œil. Sans doute se
bonifiera-t-elle, comme les sonorités de
l’Insula Orchestra, au cours de la tournée qui
fera voyager la production en France et en
Europe – elle s’achèvera à l’automne aux
Champs-Elysées et à Rouen.
Descendant de Tamino
Composée de très belles voix, la distribution
est parfaite. Le stylé Tuomas Katajala fait
heureusement de Max un descendant de
Tamino, victime du Kaspar noir et mordant
de Vladimir Baykov, qui n’éructe jamais sa
haine. Même s’il lui manque parfois l’aura
frémissante d’Agathe, Johanni Van Oostrum
fuselle subtilement ses phrasés, avec une
homogénéité parfaite de la tessiture. Rien
moins que soubrette, légère mais charnue,
l’Ännchen délicieuse de Chiara Skerath en
est un peu le double – une future Agathe ? Les
rôles secondaires se signalent tout autant :
Kuno imposant de Thorsten Grümbel,
Ermite tutélaire de Christian Immler, Otto-
kar patricien de Samuel Hasselhorn, Kilian
plein de morgue d’Anas Séguin. Accentus
enfin est superbe. Didier Van Moere
d’Omiya Akifusa) et lui donne la réplique
d’une voix claire et bien placée. La soprano
s’accommode vaillamment des grands inter-
valles qui mettent pourtant à rude épreuve
l’intonation. Si Desplat ne maîtrise pas aussi
bien la prosodie que l’orchestration, son re-
noncement à la mélodie est regrettable. Par
chance, les membres de l’ensemble United
Instruments of Lucilin excellent à reproduire
les sonorités de gagaku.
Faire entendre l’invisible
Le scénographe Eric Soyer a divisé l’espace
en trois plans, séparés symboliquement par
deux panneaux coulissants et un rideau de
tulle qui se muent en écrans de projection.
Solrey signe la vidéo ainsi qu’une mise en
scène aussi épurée qu’efficace. Point faible
du spectacle, le livret (écrit à quatre mains)
offre peu d’intérêt sur le plan dramatur-
gique et accuse les limites d’une transposi-
tion trop littérale.
De silence, il aura finalement peu été ques-
tion, sauf à la fin du dernier acte. Quand il
apparaît, il est toujours « habité », confessait
Desplat. Comment traduire ce vide qu’a
cherché à exprimer Kawabata par l’écriture ?
Péter Eötvös, l’auteur de Lady Sarashina,
nous donne un indice : « rendre visible le
silence à nos yeux, faire entendre l’invisible
à nos oreilles. » Bertrand Hainaut
L’Olympe de la débauche
La Divisione del Mondo de Legrenzi.
Mulhouse, Théâtre de la Sinne,
le 3 mars.
L’opéra baroque vénitien a le
vent en poupe ! Alors que
Dijon vient de voir renaître
La Finta Pazza de Sacrati,
les Opéras du Rhin et de
Lorraine présentent La Divisione del Mondo
de Giovanni Legrenzi (1626-1690). Cet ou-
vrage en trois actes a été créé le 4 février 1675
au Teatro San Salvador de Venise : un
énorme succès, confirmé jusqu’en 1699 dans
toute l’Italie. Il ne fut pourtant ressuscité
qu’en 2000 au Festival de Schwetzingen, par
Thomas Hengelbrock.
L’œuvre est singulière : elle revêt un style « de
transition », entre le dramma per musica de
Cavalli et l’opera seria d’Alessandro Scarlatti.
La musique est d’une variété et d’une beauté
éblouissantes : les arie (déjà presque toutes
da capo), aux amples mélodies (dont l’orne-
mentation préfigure la vocalité du XVIIIe) sont
clairement alternées avec des récitatifs,
parfois secs, mais encore marqués du sceau
expressif du recitar cantando. L’orchestre
revêt une importance accrue, avec de larges
sinfonie et surtout d’amples accompagne-
ments. Toutefois, le livret de Giulio Cesare
Corradi manque singulièrement de théâtra-
lité : point d’action ni d’intrigue véritable. Les
seuls personnages sont les Olympiens qui,
après leur victoire sur les Titans, doivent se
diviser le monde. Tout n’est finalement
qu’affaire de sexe, d’adultère, voire d’inceste,
tandis que Vénus attise le désir des Dieux et
suscite la jalousie des Déesses.
La mise en scène de Jetske Mijnssen (dont on
avait adoré l’Orfeo de Luigi Rossi, créé à
Nancy en 2016) tente de donner vie et consis-
tance à ce vaudeville plus grotesque que divin.
Elle le transpose à l’époque moderne, dans
une riche demeure bourgeoise, où se côtoient
les quatre générations d’une famille déca-
dente. Son décor monumental écrase les per-
sonnages, souvent abandonnés à une simple
présence statique dès lors qu’ils ne s’expriment
plus : les sentiments et les actes paraissent peu
crédibles, les passions s’affadissent.
Pépites musicales
En revanche, la réalisation musicale de
Christophe Rousset (qui a repris la partition
établie par Hengelbrock) est des plus sédui-
santes. Avec son continuo profus et efficace
et son ensemble orchestral d’une admirable
cohésion, il restitue intelligemment la diver-
sité de couleurs d’une partition emplie de pé-
pites. Le plateau vocal séduit diversement, en
raison de sa disparité de timbres et de tech-
niques. On retiendra surtout l’incarnation
lumineuse de Sophie Junker, Vénus libidi-
© CLA RA BECK-OPÉRA DU RHIN
neuse et versatile à souhait, les emporte-
ments souvent comiques et parfois émou-
vants de Julie Boulianne en Junon, et la
radieuse Cintia de Soraya Mafi : sans doute
le personnage le plus touchant de cette pro-
duction troublante, entre splendeur sonore et
dramaturgie inaboutie. Denis Morrier
I 55
 O vu et entendu

L’opéra dans l’opéra

Ariane à Naxos de Strauss.
Toulouse, théâtre du Capitole,
le 1er mars.
David Belugou, le décora-
teur, a enchâssé un cadre
de scène à l’intérieur de
celui du Capitole. Le
théâtre est dans le théâtre,
ou plutôt l’opéra dans l’opéra, puisque tout
le Prologue se déroule au fond d’une fosse
d’orchestre. Le Compositeur, en livrée
écarlate et perruque, a de vrais airs de
Mozart, la troupe des comiques de vrais
habits de commedia dell’arte : si l’esprit et
la lettre du pastiche dix-huitièmiste sont
parfaitement respectés, les caractères fi-
nement croqués, osera-t-on avouer qu’on
s’attendait, de la part du metteur en scène
virtuose qu’est Michel Fau, à un peu plus
de fantaisie ? Avec sa voix qui déraille et
ses rictus hystériques, le Majordome haut
en couleur de Florian Carove met heureu-
sement son grain de sel.
Croulant sous le carton-pâte et maintes
déclinaisons du kitsch, l’Opéra se veut pa-
rodie de représentation lyrique. L’ironie,
certes, n’est jamais loin, mais une certaine
humilité du mouvement et des idées mine
sérieusement la force du propos.
Dans la fosse (la vraie), le camaïeux des
timbres de l’Orchestre du Capitole rend
dignement justice à la broderie straus-
sienne. Si la battue leste et toujours allante
d’Evan Rogister ignore les baisses de ten-
sion, elle gagnerait à se parer de-ci de-là
d’un soupçon d’abandon poétique.
Comme souvent à Toulouse, le plateau
évolue sur les cimes – grands et petits rôles
compris. N’étaient quelques stridences
sur les forte, l’Ariane de Catherine Hunold
s’impose par sa voix ample et la noble
sculpture de ses phrasés, assis sur des
graves puissants et couronnés de quelques
superbes aigus filés.
Sommet vocal
Par la vivacité du chant et du verbe, Anaïk
Morel triomphe, même si ce mezzo clair
n’a pas tout à fait le caractère androgyne
auquel les plus illustres interprètes du
Compositeur nous ont habitués. Orné
d’un charmant petit vibrato, le soprano
d’Elizabeth Sutphen virevolte avec grâce
dans les coloratures de Zerbinette –
l’expression cependant devra se délurer.
Victoire enfin pour Issachah Savage, dont
le timbre onctueux et le souffle infini font
de l’arrivée de Bacchus le sommet vocal
de la soirée. Emmanuel Dupuy

Hommage à Sibelius
Fabien Gabel et l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine.
Bordeaux, auditorium, le 15 février.
Composée en hommage à Sibelius et conçue pour
une formation plutôt allégée (bois par deux, pas
de cuivres graves), la pièce pour orchestre Matka
(« Voyage », 2015) marque sans doute un jalon
dans l’évolution d’Eric Tanguy (né en 1968).
© COSIMO MIRCO MAGLIOCCA / NIKOLAI SCHUKOFF
pas trop dans l’ironie et le néoclassicisme, mais savent au contraire
conférer au Concerto pour piano, trompette et cordes
de Chostakovitch toute sa rugosité, sa joyeuse et libre fantaisie,
entrecoupées de puissantes rêveries parfois plus douloureuses
qu’élégiaques. Les cordes de l’ONBA sont ici en symbiose avec
les deux excellents solistes. La Symphonie no 5 de Sibelius est
d’un autre monde. Sachant en rendre le paradoxal mais souverain
équilibre, Gabel ose des tempos inhabituellement larges, excepté

Sans la moindre imitation ni citation, ce parcours d’une douzaine
de minutes se révèle en effet assez « sibélien »
– une musique de trames, de textures,
de combinaisons d’harmonies-timbres.
Dans cette page, Fabien Gabel ▶ et l’Orchestre
national Bordeaux Aquitaine émerveillent
par la justesse de l’articulation, la générosité
de l’expression et la qualité des pupitres.
Brillants et tranchants comme l’acier,
le jeune pianiste coréen Seong-Jin Cho
et le trompettiste Laurent Dupéré ne versent
dans l’électrisante accélération de la fin du premier mouvement.
Il privilégie le profond sentiment d’attente,
comme les soudaines percées lumineuses
qui innervent cette symphonie atteignant
la pleine sérénité, mais cachant derrière
une veine héroïque une grande complexité
de structures, de formes et de tempos.
Le chef fait valoir ici son art du contre-chant
et la fluidité de son discours, mettant
à nu l’ambiguïté de cette œuvre à la fois rude
et chantante. Patrick Szersnovicz

56 I

Wolfgang Rihm
grandeur nature
Festival Présences.
Paris, Maison de la Radio,
du 12 au 17 février.
En apparence,
le festival Pré-
sences n’aura ja-
mais si mal porté
son nom : de sé-
rieux problèmes de santé ont
empêché Wolfgang Rihm ▼,
compositeur phare de l’édition
2019, de venir prendre la mesure
de l’intérêt qu’il suscite en
France. Et pourtant, on aura pu
ressentir à travers sa musique
une forte personnalité, un cha-
risme artistique palpable, bref,
une présence.
Il faut dire que Rihm a quelque
chose du démiurge prométhéen.
Le compositeur impressionne
par l’étendue de sa culture, par
l’originalité de sa pensée et par
sa prolixité. Parmi ses nom-
breuses et souvent longues par-
titions, on préfère à celles où la
matière abonde, torrentielle et
presque logorrhéique, celles qui
condensent l’énergie comme la
tension expressive. Là, au détri-
ment d’une musique vocale mise
en valeur de façon plutôt parci-
monieuse – la densité avec la-
quelle le Chœur de Radio France
dirigé par Martina Batic restitue
le De Profundis donne pourtant
envie d’explorer davantage ces
polyphonies –, c’est l’orchestre,
© CHRISTOPHE ABRAMOWITZ
petit ou grand, qui se taille la
part du lion. Rihm sait faire
sonner un ensemble instrumen-
tal, et celui de Blick aus Colchis,
qui favorise le médium et les
timbres doux, ose des textures
évidées, et ouvre par son audace
en matière de doublures un es-
pace respirant qui convient par-
faitement à l’Ensemble Court-
Circuit. Contre toute attente, on
peut entendre chez ce Rihm-là
un écho diffus du temps long de
Morton Feldman.
Perspective acoustique
Mais c’est peut-être avec In-
Schrift 2 que culmine cette édi-
tion 2019. L’œuvre cristallise la
puissance d’une musique dont
l’intensité ne repose pas tant sur
la masse ou la densité que sur la
conduite harmonique, l’imbri-
cation des textures et l’in-
croyable perspective acoustique
dégagée par la disposition de
clarinettes et de percussions au-
tour du public, dans les balcons.
Le choix payant d’un orchestre
très atypique (foison de bassons
et contrebassons, seize cuivres
dont six cors, pas de cordes ai-
guës) tendrait presque à donner
quelques rides au somptueux
Formazioni de Berio, pourtant
enlevé avec le même brio par
Alejo Pérez et le Philharmo-
nique de Radio France.
Pierre Rigaudière
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I 57
O vu et entendu
Bon filon
Créé en 2017 à San Francisco, le nouvel opéra de John Adams et Peter Sellars
a été donné en première européenne à Amsterdam, avant Venise.
Girls of the Golden West d’Adams.
Amsterdam, Opéra, le 28 février.
Le plus fécond des tandems de
la scène lyrique contempo-
raine nous parle encore de
l’Amérique. Comme toujours ?
Pas tout à fait : cette fois,
John Adams et Peter Sellars tournent le dos
à la chronique XXe siècle pour aller aux
sources du mythe américain, sur les traces
des chercheurs d’or au mitan du XIXe siècle,
dans leur Californie d’adoption. C’est une re-
cherche sur La fanciulla del West (1910) de
Puccini – adaptée de la pièce The Girl of the
58 I
Golden West (1905) de David Belasco – qui a
mis Sellars sur cette piste ; mais le librettiste
et metteur en scène a fait confiance aux lettres
de l’écrivain Louise Clappe (Dame Shirley sur
le plateau) et multiplié les sources (épisto-
laires, littéraires...). Si le propos est histori-
quement référencé, il permet à l’artiste engagé
de faire écho à des préoccupations finalement
très actuelles : violence de groupe, atteintes à
la dignité humaine, tensions ethniques,
sexisme, préservation de la nature...
John Adams n’est pas davantage prisonnier
du modèle puccinien, quand bien même il
ne renonce pas à un certain lyrisme de la
ligne vocale. Dès les premiers coups de
pioche sur scène, le maître post-minimaliste
nous régale d’une écriture pulsée raffolant
des syncopes et des ostinatos, admirable-
ment boisée et cuivrée, jusqu’à faire fleurir
quelques fanfares entêtantes. Le sympho-
niste brille aussi par les cordes tissées dont
il habille ses scènes intimistes ; le legato de
miel qu’y fait couler le luxueux Philharmo-
nique de Rotterdam est un baume. Le chœur
maison aussi est saisissant, peut-être parce
que le compositeur lui assigne un rôle très
direct, un phrasé efficacement simple sans
tomber dans la veine folk, où la répétition du
mot peut épouser celle de la note.
Diversité féminine
Le plateau, reconduit de San Francisco à
Amsterdam, donne tout son sens au « s »
ajouté par Sellars au Girl de la pièce, tant il
témoigne d’une belle diversité féminine.
Devenue une fidèle d’Adams, Julia Bullock
incarne la quasi-narratrice Shirley avec une
éloquence remarquable, armée d’un soprano
lyrique bien creusé dans le médium. Impres-
sionnante J’Nai Bridges (Josefa Segovia) à ses
côtés, bientôt une Carmen et une Dalila, déjà
un mezzo au timbre de bronze ; Hye Jung Lee
(Ah Sing) complète le trio du haut de son agi-
lité dans le colorature léger. Chez les hommes,
deux fortes incarnations : le Joe Cannon de
Paul Appleby, qui met ce qu’il faut de veulerie
dans son lumineux ténor mozartien, et
Davone Tines (Ned Peters), dont le baryton-
basse est aussi sensible que sombre.
Mais la proposition serait-elle trop distendue
(environ deux heures en demie de musique) ?
La direction musicale de Grant Gershon peine
à maintenir notre attention dans le Far West
stylisé par les décors de David Gropman.
Sellars, en orpailleur, cherche une épure qu’il
ne trouve pas complètement. Peu importe. Un
Adams moins percutant vaut mieux que tant
de créations sans lendemain présentées à
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l’Opéra de Paris : à quand Nixon in China ou
Doctor Atomic, voire ces Girls qui ne
manquent pas de charme, sur notre première
scène nationale ? Benoît Fauchet
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 LE DISQUE
64
66
LES DIAPASON D’OR
Les Indispensables
avril 2019
68 L’île déserte
70 Rééditions
73 L’événement
74 LES 160 CRITIQUES
80 En studio
106 Le coin du collectionneur
108 Les vidéos

PAGE 73

PAGE 106
© BARBORA HRDA – HILDE ZENKER – DR.

PAGE 70
PAGE 108
PAGE 66

I 63
• Le choix de la rédaction
DIAPASON D’OR
NOUVEAUTÉS
● CRITIQUE P. 73
MARTINU
Mélodies.
Martina Jankova, Tomas Kral,
Ivo Kahanek. Supraphon.
La soprano et deux amis
nous guident sur les chemins
d’Europe centrale empruntés
(ou rêvés) par Martinu. Flânerie
ô combien nostalgique, où
chacun renoue avec ses racines.
DÉCOUVERTE
● CRITIQUE P. 100 ● PLAGE 5
TITELOUZE
Deux messes.
Les Meslanges. Paraty.
On ne connaissait de lui
que deux recueils essentiels
pour orgue, auxquels s’ajoutent
désormais quatre messes
de 1626. Les Meslanges en
dévoilent deux, magistrales.
64 I
● CRITIQUE P. 76 ● PLAGE 1
BACH
Concertos pour orgue.
Bart Jacobs, Les Muffatti.
Ramée.
L’orgue de Bach parade
et caracole, dans plusieurs
cantates, devant l’orchestre.
Bart Jacobs part de ces
sinfonias pour élaborer quatre
concertos éblouissants.
RÉÉDITIONS
● CRITIQUE P. 71 ● PLAGE 6
ANDREAS STAIER
Scarlatti, Boccherini, Soler…
Erato.
Couplage évident : les deux
programmes espagnols
d’Andreas Staier pour Teldec
en 1996 et 1999, deux Diapason
d’or aussi brillants qu’au
premier jour.
Le choix de
● CRITIQUE P. 86 ● PLAGE 2
FRANCK
Prélude, choral et fugue.
Prélude, aria et finale…
Michel Dalberto. Aparté.
Si Franck et Dalberto
ont en commun la quête
intransigeante d’une forme
parfaite, c’est un souffle
sauvage qui soulève, en concert,
les deux triptyques.
Le choix de
● CRITIQUE P. 70 ● PLAGE 7
QUATUOR JUILLIARD
« The Complete RCA Recordings
1957-1960 ». Sony (11 CD).
De Mozart à Berg et de Carter
à Beethoven, la discographie
des Juilliard pour RCA, de 1957
à 1960, résume leur répertoire,
leur exigence et révèle
deux inédits.
Le choix de
● CRITIQUE P. 104 ● PLAGE 3
FRANCK, VIERNE
Sonates pour violon et piano.
Aline Ibragimova,
Cédric Tiberghien. Hyperion.
Peu de duos sont aussi soudés,
et aussi expérimentaux, que
la violoniste russe et le pianiste
français, retrouvant enfin
l’état de grâce de leur album
Szymanowski.
Le choix de
INDISPENSABLE
● RENDEZ-VOUS P. 66
VERDI
Requiem. Rysanek, Ludwig,
Zampieri, Siepi, Wiener Singeverein
& Philharmoniker, H. von Karajan.
Salzbourg 21 août 1958,
Manège des rochers, Karajan
dirige son Requiem de Verdi
le plus rapide, visionnaire
et transcendant.
CHAQUE MOIS, LE MEILLEUR DU DISQUE
CLASSIQUE, D’UN SEUL COUP D’ŒIL !
● CRITIQUE P. 90 ● PLAGE 4
JONES
Chamber Air’s for a violin
and a through bass.
The Beggar’s Ensemble. Flora.
Le goût du risque fédère
la jeune équipe d’un violoniste
exalté. Mieux qu’une rareté
précieuse, une plongée dans
l’atmosphère sulfureuse de
Londres au temps d’Hogarth.
VIDÉO
● CRITIQUE P. 108
GLUCK
Orphée et Eurydice (version Paris).
Juan Diego Florez, Christiane Karg…
Michele Mariotti/John Fulljames
& Hofesh Shechter. Belvedere.
L’Orphée de Juan Diego Florez
triomphe, dans un spectacle mis
en danses – et en transe – par le
chorégraphe Hofesh Shechter.
● CRITIQUE P. 83
CHOSTAKOVITCH
Quatuors nos 5 et 7. Quintette
avec piano. Elisabeth Leonskaja,
Quatuor Artemis. Erato.
Une relecture essentielle
du génial Quatuor no 5, dans
un triptyque idéal pour aborder
la musique de chambre de
Chostakovitch. Consécration
des nouveaux Artemis.
Le choix de
COLLECTIONNEUR
● CRITIQUE P. 106
WILHELM FURTWÄNGLER
« The Radio Recordings
1939-1945 ». BPM.
Aucun prodige en termes
de transferts dans ces 22 SACD
à la gloire de Furtwängler,
mais un superbe livret de 184
pages solidement documenté…
qui vaut ses 230 euros.
● CRITIQUE P. 98
Et bientôt
RACHMANINOV VOL. II
Après les symphonies et les
TIPPETT concertos de Rachmaninov
Symphonie no 3… (Volume XII), Gaëtan Naulleau
BBC Scottish Symphony Orchestra, et les critiques de Diapason
Martyn Brabbins. Hyperion. ont planché sur son piano
solo, sa musique de chambre,
Martyn Brabbins prend ses mélodies et… ses talents
le relais de Colin Davis dans d’interprète. Vous découvrirez
le brûlot de 1972. L’homme en mai les versions élues,
morderne peut-il encore clamer dans le Volume XV de notre
l’Ode à la joie ? Réponse en Discothèque idéale.
symphonie de Michael Tippett.
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I 65
● La collection des Indispensables
Votre CD
Des enregistrements rares ou légendaires sélectionnés par Gaëtan Naulleau.
113
n
o
VERDI : Messa da requiem.
Leonie Rysanek (soprano), Christa Ludwig
(contralto) Giuseppe Zampieri (ténor),
Cesare Siepi (baryton), Wiener Singverein,
Wiener Philharmoniker, Herbert von Karajan.
« Les Indispensables de Diapason »
no 113. Ø 1958. TT : 1 h 21’.
66 I
J
eune chef à Ulm ou à
Aix-la-Chapelle, Herbert
von Karajan dirigeait
déjà le  Requiem de
Verdi. En 1989, ce sera
la dernière œuvre qu’il donnera
à Berlin, quelques mois avant sa
mort, alors qu’il devait encore la
reprendre en août à Salzbourg.
Hormis le film légendaire de
Clouzot (1967), il attendit 1972
pour s’y mesurer en studio ; mais
ni cette gravure, ni celle de 1985
ne suscitent la même émotion
que les concerts, parfois moins
parfaits mais si inspirés.
A Salzbourg, il programma
l’œuvre huit fois (l’été, sans
compter le Festival de Pâques),
montrant une évolution dans la
continuité. En 1949, une vision
apocalyptique, d’une noir-
ceur panique, avec des lenteurs
hagardes. Le 21 août 1958, il
dirige plus vite, lorgne davantage
vers le théâtre mais atteint des
sommets de raffinement, fixant
pour plus d’une décennie ce que
sera son Requiem de Verdi. Les
années 1970 et 1980 proposeront
une approche d’une grandeur
plus esthétisante, plus contem-
plative, plus résignée.
Comme on eût aimé l’entendre
ce  Requiem de 1958  ! Le voir
aussi : il résonnait à la Felsenreit-
schule, les fanfares du Jugement
venaient des arcades de la galerie
supérieure ; le chœur viennois,
qui, du début à la fin, ne fit qu’un
avec Karajan, était installé sur
une haute estrade en gradins
devant les parois rocheuses. Le
critique Karl Heinz Ruppel
s’émerveillait alors de la « maî-
trise souveraine avec laquelle
[Karajan] assure la mise en scène
sonore de l’œuvre, et accorde son
imposant appareil orchestral et
choral à ce cadre monumental
[…]. Aussi ne réussit-il pas seule-
ment les effets tutta forza du Dies
irae et la double fugue du Sanc-
tus, mais également les accents
très doux et très délicats dans les
accompagnements, d’une trans-
parence digne de la musique de
chambre. »
Au-dessus du volcan
L’article de la Süddeutsche Zei-
tung louait ensuite les solistes
triés sur le volet et s’attardait
sur une Christa Ludwig à peine
trentenaire, déployant une ligne
d’une infinie noblesse, sans la
moindre concession à l’effet.
Giuseppe Zampieri ne s’interdit
pas moins tout écart de phrasé.
Cesare Siepi, dont ce même été
1958 consacre le Philippe II, allie
la splendeur du style à celle de la
voix. N’en faisons pas mystère :
Leonie Rysanek accuse une cer-
taine instabilité d’émission dans
son incarnation hallucinée,
exprimant son angoisse à tra-
vers des pianissimos aigus exta-
siés, délivrant ce chant au-dessus
du volcan qui n’appartient qu’à
elle, retrouvant, comme Ludwig,
une sorte d’âme d’enfant pour un
Recordare ou un Agnus Dei en
apesanteur – c’est Senta devant
l’Eternel.
Avec eux, Herbert von Karajan
restituait à la fois le cri de souf-
france du Dies irae, les gémisse-
ments du Lacrymosa, les extases
du Lux aeterna, l’éphémère jubi-
lation du Sanctus. Qui a su sus-
pendre ainsi le temps dans le
Hostias ou l’Agnus Dei ? Qui a
chargé d’un tel effroi les silences
hagards de la Séquence ?
Didier Van Moere
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• L’île déserte de PHILIPPE RAMIN

LES 100 DISQUES QUE TOUT MÉLOMANE DOIT CONNAÎTRE

o
n 86
Rameau
Pygmalion.
La Petite Bande, Gustav Leonhardt.
DHM, 1980.

E
ngagé avec Harnoncourt depuis 1970 dans une
intégrale des cantates de Bach, Gustav Leonhardt une forte individualité des registres), Leonhardt éclaire son
peaufine avec Sigiswald Kuijken son projet d’or- effet avec la curiosité amusée d’un Bergman filmant les cou-
chestre à la française, ce mélange détonant des lisses de sa Flûte enchantée. Dans ce laboratoire musical où
hautbois et des violons si proche d’un plein jeu les récits étirent une prosodie alambiquée, il trouve une
d’orgue façon Clicquot. Première réalisation d’envergure, manière de sensualité, dont l’artifice touche davantage qu’un
un Bourgeois gentilhomme de Lully réunit, aux basses d’ar- moderne naturel. Cette volupté réprimée, cet érotisme que
chet, Anner Bylsma, Jordi Savall, Richte Van der Meer et les soupirs des flûtes entretiennent avec insistance vont
Wieland Kuijken ! L’album, en 1973, jette un pavé dans la bientôt rompre leurs digues grâce à une merveilleuse mozar-
mare d’une esthétique pompeuse en usage depuis long- tienne entrée presque par hasard dans le tourbillon baroque :
temps, plus propice aux allocutions télévisuelles présiden- « Du pouvoir de l’Amour ce prodige est l’effet », et voici Rachel
tielles qu’à la noble fantaisie du Grand Siècle. Yakar qui volette au-dessus de deux pâles figures. Cet Amour
Quelques années passent, les ajustements de l’orchestre frémissant, aux vocalises du dernier chic, va guider les pas
ouvrent la voie à Rameau. L’art du « tremblement feint » et de la Statue (désormais muette, on la comprend) dans l’ap-
le profil du coup d’archet français n’ont plus de secret pour prentissage des danses en usage (tempos improbables mais
La Petite Bande quand elle s’aventure dans les tableaux d’Hip- séduction infinie). Elle stimulera même John Elwes, tout
polyte et Aricie (Suite d’orchestre, 1978). Enfin, Pygmalion ébahi d’un style vocal si peu orthodoxe en ces temps de voix
entre en scène. L’œuvre est courte mais substantielle. blanches. Depuis Le Magicien d’Oz on n’avait jamais vu de
Entendons-nous vraiment les « coups de ciseau du sculp- passage aussi réjouissant du noir et blanc à la couleur, des
teur » dans l’Ouverture ? Le projet de Rameau, et de Leon- ombres chinoises au théâtre.
hardt après lui, dépasse le simple descriptif en brossant à
d ’autres trésors
larges traits les couleurs du drame. La fresque sympho-
nique laisse rapidement place à des personnages dont la
stylisation vocale extrême fait penser à ces acteurs mas-
qués du théâtre nô. Qu’importe ces voyelles déformées
dans l’aigu (John Elwes) et ce français approximatif (Mieke
Van der Sluis), la « vaine tendresse » est d’abord celle de la
flûte, le violoncelle de Richte Van der Meer joue avec plus
de conviction l’étonnement que la Statue revenue à la vie.
Marionnettes en deux dimensions, ce Pygmalion et son
idole ne semblent guère plus animés que le bloc de marbre
qui attend son heure jusqu’à ce merveilleux accord de mi ● Lully : ● Rameau : ● Monteverdi :
majeur exposé du grave à l’aigu à « demi-jeu », suivi d’un Le Bourgeois Hippolyte et Aricie L’incoronazione
surprenant « silence d’un moment » : Leonhardt lui donne Gentilhomme. (Suite). di Poppea.
La Petite Bande, La Petite Bande, Nikolaus Harnoncourt,
une ampleur singulière, qui n’est pas sans évoquer un autre
Gustav Leonhardt. Sigiswald Kuijken. Jean-Pierre Ponnelle.
lever du soleil… au début du Zarathoustra de Strauss !
DHM, 1973. DHM, 1978. DVD DG, 1979.
En dévoilant le procédé instrumental (peu de fondu mais

68 I
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O Rééditions
De Mozart à Berg et de Beethoven à Carter, la discographie du Quatuor Juilliard pour RCA,
de 1957 à 1960, résume leur répertoire, leur exigence et révèle deux gravures inédites.
U
ne belle photographie
de 1952 montre le
Quatuor Juilliard six
ans après ses débuts :
trois musiciens assis,
violon sous le bras, l’autre
debout, tous les regards rivés sur
les pupitres. Les instruments
muets mais les esprits vifs, inter-
rogeant les textes en dialogue.
L’époque du quatuor à cordes
comme divertissement collégial
serait-elle révolue  ? Dès leur
premier concert officiel, Robert
Mann et ses partenaires se mesu-
raient à la Suite lyrique de Berg,
cheval de bataille pendant des
décennies. A l’affiche également,
ce 23 décembre 1947 à New York,
l’Opus 130 de Beethoven, autre
trajectoire sinueuse, autre
emblème d’une quête spirituelle.
Le compositeur William Schu-
man, quand il prit la présidence
de la Juilliard School en 1945,
souhaitait y abriter « un quatuor
qui jouerait le répertoire établi
avec le sentiment d’excitation et
de découverte que procurent les
œuvres nouvelles… et les œuvres
nouvelles avec la vénération
habituellement réservée aux
classiques ». Il fut comblé.
En 1961, une autre photogra-
phie (cf. p. 63) duplique la pose
et le message avec deux nou-
veaux venus. La chevelure noire
de Robert Koff a fait place au
crâne lisse d’Isidore Cohen, celle
d’Arthur Winograd au casque
argenté de Claus Adam : dispo-
sition d’une décennie légendaire
et, Dieu merci, généreuse en stu-
dios. Un premier coffret Sony
rassemblait l’an dernier ses gra-
vures sous label Epic (du génial
cycle Mozart de 1962 au Haydn
de 1968, plus un essai de 1956, cf.
no 668) ; celui-ci remonte le temps
avec les onze LP RCA (1957-1960,
à cheval sur la mono et la stéréo).
Demain sans doute, un troisième
70 I
Carré d’art
reviendra à la source éblouis-
sante et proprement inouïe de
l’intégrale Bartok, premier opus,
en 1949, pour la Columbia.
On hésite, comme l’an passé,
entre applaudir l’éditeur qui
regroupe un ensemble essentiel,
joliment présenté et bien masté-
risé, et snober celui qui s’en est
fichu pendant trois décennies.
En CD, il a fallu attendre la série
Juilliard de Testament, publiée
sous licence, pour retrouver, par
exemple, la Suite lyrique de mai
1959. Elle trônait il y a deux ans
sur le podium d’une discogra-
phie comparée de Patrick Szers-
novicz, tandis que leur Quatuor
en sol mineur de Debussy cara-
colait en tête d’une Table d’écoute
rondement menée chez nos amis
de la RTBF. C’est encore à Testa-
ment que Sony reléguait «  La
Jeune Fille et la mort ». Antoine
Lederlin, le violoncelliste des
Belcea, n’en revenait pas quand
il l’a découverte, parmi la dizaine
de versions que je lui avais
envoyées pour qu’il sélectionne
celle de notre Discothèque idéale
de Diapason : « L’équilibre des
lignes et de la construction est
parfait de la première à la der-
nière note, et ils ne tombent pas
un instant dans le piège du
démonstratif. J’entends un
immense quatuor en ceci que
l’intensité des quatre musiciens
n’est jamais dominée par le pre-
mier violon. »
Jean-Michel Molkhou a fêté
chaque volume Testament par
une salve de superlatifs. N’en
rajoutons pas, même si la tenta-
tion est grande devant le déploie-
ment magistral de ces Beetho-
ven, captés dans une acoustique
mate et chambriste, mais claire-
ment pensés pour la salle de
concert. Nos plus jeunes qua-
tuors ne se retrouveront peut-
être pas dans cette manière
étrangère à la séduction et dans
ces vibratos partout vigoureux,
qui ne gagnent pas forcément
à être entendus de si près. Qu’ils
tendent pourtant l’oreille  ! Ils
(re)découvriront quel esprit
d’analyse fonde le geste expressif
et ramène le foisonnement bee-
thovénien à une trajectoire impa-
rable. Plutôt qu’aux autres qua-
tuors de l’époque, cette autorité
sans inertie fait écho à l’exigence
(également new-yorkaise) avec
laquelle Toscanini organise et
enflamme tout à la fois les neuf
symphonies. Comme l’auditeur
se sent «  conduit  » dans les
méandres de l’Opus 131 !
L’album Haydn de 1957 sera
pour beaucoup une surprise,
avec cet Opus 77 no 1 impres-
sionnant, atypique, terriblement
carré, historiquement passion-
nant par l’indépendance d’esprit
qu’affirmaient ainsi Robert
Mann et les siens.
Sans rancune, applaudissons le
coffret préfacé par Tully Potter,
plus complet que la série Testa-
ment, préférable par des trans-
ferts plus aérés et colorés (Testa-
ment filtrait souvent les bandes
à l’excès). Dire qu’ils sont opti-
maux serait mentir : les scènes
sonores ultra-latéralisées qu’af-
fectionnait RCA dans ses pre-
mières années de stéréo gagnent
à être resserrées, tout particuliè-
rement dans les gravures cham-
bristes captées si près des cordes.
Deux instrumentistes tout à
droite, deux tout à gauche, un
espace béant au milieu ont certes
l’avantage d’une clarté radicale !
Il n’est pas interdit de rapprocher
provisoirement vos enceintes
pour apprécier un quatuor à
cordes plutôt que deux duos.
Gaëtan Naulleau
« Juilliard String Quartet,
Complete RCA Recordings 1957-
1960 ». RCA, 11 CD. Diapason d’or
PLAGE 7 DE NOTRE CD
PÉPITES BAROQUES
Trois titres seulement dans la nouvelle fournée
« Veritas » d’Erato ? Trois réussites, à commen-
cer par la réunion des deux programmes espa-
gnols qu’Andreas Staier confiait à Teldec. Le
Scarlatti de 1996, après deux récitals pour
DHM, était toujours celui d’un orateur partout
lucide mais d’un virtuose expansif. Le modèle
allemand de Keith Hill tonne et galope, crépite
dans les basses comme dans l’aigu. Plus raf-
finé, le clavecin qui lui succédait en 1999 dans
les « Variaciones del fandango » s’embrasait
dans un Soler voluptueux et vertigineux, indis-
pensable (2 CD, Diapason d’or).
PLAGE 6 DE NOTRE CD
James Bowman confie
volontiers sa tendresse
pour son premier récital,
avec Robert Spencer, paru
en 1972 sous étiquette
« Eminence ». Sa réédition
(il était temps) vaut autant
pour le mélange inimitable
d’insolence et de noncha-
lance du contre-ténor que
pour la forte présence du
luthiste tout au long de ces
« Elizabethan Lute Songs »
(Dowland, Byrd, Johnson,
Morley, Pierce et quelques
contemporains italiens).
Couplage bien vu avec un
classique, le Purcell de
David Munrow en 1975 –
Bowman encore, avec
Brett, Burrowes et l’extra-
ordinaire Robert Lloyd
(2 CD, Y Y Y Y Y ).
Diapason d’or de l’année
2011, la deuxième inté-
grale des motets de Bach
par John Eliot Gardiner,
a-t-elle jeté aux oubliettes
celle d’Erato ? Par la prise
de son, la diversité de
l’accent et du rythme,
l’extension de la palette,
l’onctuosité des sopranos, elle la surpasse assu-
rément. Sa rhétorique hypersensible vous
agace ? Retour à la conception plus franche,
mais pas moins sentie, qui unifiait le Monteverdi
Choir de 1980. L’arche du Jesu meine Freude
est une perfection. Les désolations du motet
d’après Kuhnau et les fureurs de Nun ist das Heil
und die Kraft, écartés de plusieurs rééditions,
sont cette fois au rendez-vous, merci (2 CD,
Y Y Y Y Y ). Gaëtan Naulleau
Grand Robert
E
nfin  ! Voici réuni tout ce que pour violon et quatuor), Debussy, Ravel
Robert Casadesus (1899-1971) a (deux fois le Concerto pour la main
enregistré pour CBS entre 1940 gauche) ou Chopin (Ballades et Sonate
et 1969 aux Etats-Unis, en France no 3), Casadesus offre l’apparence de la
et aux Pays-Bas. Au hasard des simplicité, de la probité, de la vie. Le son
CD, on relève la présence de sa femme des Steinway américains enregistrés de
Gaby, du violoniste Zino Francescatti, du près n’est certes pas toujours valorisant,
baryton Pierre Bernac, des chefs Leonard mais comme dans les disques de Rudolf
Bernstein, Dimitri Mitropoulos, Eugene Serkin, sa crudité ne réussit pas à amoin-
Ormandy, Charles Munch, Artur Rod- drir l’art de Casadesus. L’intégrale du
zinski, Eduard Van Beinum, John Barbi- piano seul de Ravel est plus probléma-
rolli, George Szell… Ont été ajoutés les tique à cet égard, l’instrument manque
albums captés en public à Amsterdam, du rayonnement attendu dans Le
édités après sa mort par l’association qui Tombeau de Couperin et des résonances
portait son nom, un plein disque de Gaby fondues des Valses nobles…
jouant la musique de son mari et les Casadesus pratiquait la musique de
quelques LP gravés pour CBS par Jean, chambre avec une verve et un sérieux qui
leur fils. Il est dommage que Sony n’ait rendent les sonates de Beethoven, Fauré,
pas intégré les 78 tours réalisés à Paris Franck, Brahms et Debussy partagées
de 1928 à 1939 pour la Columbia britan- avec Zino Francescatti toujours passion-
nique, comme la major l’a fait pour l’inté- nantes. Disques célèbres comme le sont
grale Arthur Rubinstein. les concertos de Mozart avec Szell, car tou-
Ces 65 CD composent une somme peu jours maintenus au Catalogue. Deux rare-
familière au mélomane français, raison tés les complètent ici : le 27e avec Barbirolli
pour laquelle je donne les précisions ci- (1941) et le 21e avec Munch (1948). Les
dessus, qui en disent long sur le statut du Concertos nos 1 et 4 de Beethoven avec Van
plus international de nos pianistes avant Beinum, le 4e avec Ormandy, et un bou-
l’arrivée de Philippe Entremont, Jean- quet de sonates (dont les Opus 57, 81a, 101
Bernard Pommier puis Michel Béroff. La et 110) gagnent à être revisités. Et « L’Em-
branche française de CBS n’a pas exploité pereur » new-yorkais de 1955 avec Mitro-
de façon assidue les microsillons de Casa- poulos est un must. Alain Lompech
desus. Malgré sa belle édition de 2001,
quarante-trois œuvres connaissent ici leur « Robert Casadesus, Pianist of Elegance
– The Complete Columbia Album
premier report en CD. Les collectionneurs
Collection ». Sony, 65 CD. Y Y Y Y Y
apprécieront le soin éditorial apporté au
livret, dont l’index par compositeur leur
sera bien utile pour naviguer dans le
tracklist détaillé, sur 140 pages, des CD
rangés par ordre chronologique (avec
pochettes d’origine, suivant le principe de
la collection).
Robert Casadesus jouait-il avec son cœur,
comme l’écrit notre confrère Olivier Bel-
lamy dans son texte de présentation, ou
était-il ce pianiste sec vilipendé par
d’autres ? Il était à mon sens un artiste
moins porté sur les recherches de sono-
rité que sur le mouvement, l’équilibre, la
précision rythmique, l’expression juste,
chaleureuse mais tenue. Et sans cesse à
l’écoute des autres. Que la musique soit
de Scarlatti, Bartok (Sonate pour deux
pianos), Saint-Saëns (deux fois le
Concerto no  4), Chausson (Concert
O Rééditions
Pleins feux sur Pennario
A
près Fleisher, Janis, Cliburn,
Wild, Browning et Graffman,
c’est au tour de Leonard Pen-
nario (1924-2008) d’enrichir la
galerie de portraits consacrée
par Sony aux grands pianistes américains
– nés entre 1924 et 1934 à l’exception de
Wild (1915), ils sont d’une génération qui a
vu l’essor des carrières généreusement
relayé par celui du LP. Les rééditions nous
présentaient jusqu’ici ce natif de Buffalo
entre le violon de Heifetz et le violoncelle
de Piatigorsky : lourde tâche que de s’as-
seoir sur le siège d’Arthur Rubinstein dans
le « Million Dollar Trio ». La reproduction
des pochettes d’origine nous rappelle
cruellement que Pennario avait accepté de
voir son nom en petits caractères sous ceux
de ses partenaires.
La somme de ses gravures pour RCA, réu-
nie en 12 CD, le montre au sommet de ses
moyens, sur un laps de temps relativement
court (1963-1965). Elle dessine néanmoins
un portrait assez fidèle. Côté solo, il faut se
précipiter sur deux disques attachants et
complémentaires. D’un côté, un ravissant
bouquet savamment agencé de pièces
courtes ouvert par les humoresques de
Dvorak, Tchaïkovski et Rachmaninov. De
Un clavier entre deux mondes
B
rilliant Classics fait œuvre utile en
développant, en 20 CD, un portrait
sans précédent de Johann Nepomuk
Hummel (1778-1837). Protégé de Mozart
avant de succéder à Haydn chez les
Estherazy, il est souvent applaudi comme
le virtuose du clavier en son temps – celui
de Beethoven aussi, rival redoutable mais
ami, semble-t-il. Fleuron de la compilation,
72 I
l’autre, une démonstration pianistique de
haut vol avec Valse du Faust de Gounod et
Danse macabre de Saint-Saëns revues par
Liszt, et surtout une Valse de Ravel aussi
parfaite dans l’esprit que dans la construc-
tion. Pennario s’y affirme également en
arrangeur, dans une étourdissante Valse de
l’Empereur. Plus inégaux, les deux Livres
de Préludes de Debussy brossent cependant
quelques tableaux bien caractérisés – Ce
qu’a vu le vent d’Ouest, les pièces d’inspira-
tion espagnole et des Tierces alternées véri-
tablement endiablées.
Avec orchestre, on retrouve le formidable
interprète de Rachmaninov dans les Concer-
tos nos  1 et 4 avec André Previn, et surtout
des Variations Paganini sans temps mort
avec les Boston Pops d’Arthur Fiedler. On
reste sur notre faim, en revanche, devant
d’étranges concertos de Liszt aux arêtes
bien saillantes avec René Leibowitz et le
London Symphony, pour mieux se laisser
entraîner par la baguette du jeune Seiji
Ozawa à Boston, qui permet à Pennario de
rendre à la Burleske de Strauss à la fois son
humour et son pas décidé. Une des grandes
versions de l’œuvre.
Les trios avec Heifetz et Piatigorsky font
parfois rager avec une prise de son qui colle
les six sonates pour piano, auxquelles
Costantino Mastroprimiano donne vie sur
deux claviers très différents. Elles sonnent,
jusqu’à l’Opus 38, sur la solide copie
d’un Anton Walter de 1790 par Urbano
Petroselli ; puis sur un Erard de 1838
« en forme de clavecin », aux textures plus
duveteuses. Un Bösendorfer prend le relais
sous les mains de Madoka Inui et donne
une belle étoffe, malgré une captation
assez distante, à la Fantasina (sic) d’après
Les Noces de Figaro. La pianiste japonaise
fait souffler un agréable vent de fraîcheur
sur les pièces censées refléter les talents
d’improvisateur de leur auteur.
Didier Talpain, autre cheville ouvrière
du coffret, met sa baguette vigoureuse
au service du pianoforte d’Alessandro
Commellato, dont les marteaux ne
sont pas loin d’évoquer les mailloches
du cymbalum, et porte à bout de bras
la Missa solemnis, où il lui faut composer
avec les limites du chœur et se contenter
aux cordes et distancie le piano. Le Trio no 1
d’Arensky ou le no 2 de Brahms valent malgré
tout le détour. On s’en voudrait aussi de
passer à côté des dialogues mieux équilibrés
des sonates pour violoncelle de Strauss et
Mendelssohn, ou du quintette de Franck.
Cette somme attachante mériterait d’avoir
une suite, la majorité des disques de Pennario
(Chopin, Gershwin, Gottschalk…) ayant été
gravée pour une filiale américaine d’Emi
dans les années 1950. Laurent Muraro
« Leonard Pennario, The complete RCA
Album Collection ». Sony, 12 CD. Y Y Y Y Y
de solistes juste acceptables. Si le chef
a davantage de chance avec le plateau
de Mathilde de Guise, cet opéra de 1821
paraît hélas bien mal ficelé.
Côté chambriste, on préfère les trios
et quintettes rendus avec esprit, et les
septuors pleins de souffle, aux duos
inégaux. Malgré quelques scories, mieux
vaut l’alto au lyrisme généreux de Luigi
Bianchi et la jolie flûte de Lise Daoust
que le violoncelle asthénique de Marco
Testori, handicapé par une prise de son
médiocre. Il y a aussi à boire et à manger
dans les concertos, où basson, clarinette
et trompette solistes brillent davantage
que leurs orchestres. Les micros ne sont
pas seuls en faute : tout le monde dort
autour de la mandoline bien prudente
d’Edith Bauer-Slais. Une sélection plus
stricte n’aurait pas nui. Nicolas Derny
« Johann Nepomuk Hummel Edition ».
Brilliant Classics, 20 CD. Y Y Y Y
● L’événement
L’éveil des sources
La soprano Martina Jankova et deux amis nous guident sur les chemins d’Europe centrale empruntés
(ou rêvés) par Bohuslav Martinu. Flânerie ô combien nostalgique, où chacun renoue avec ses racines.
«
L
a Moravie forme une terre de
transition entre la Bohême et la
Slovaquie. Son folklore est une
manière de compromis entre le
folklore tchèque aux aimables
polkas et le folklore slave aux profondes
mélopées.  » Ainsi Martinu décrit-il en
février 1932 le substrat musical de l’école des
Smetana, Dvorak et Janacek. Contrairement
à ce dernier, ethnomusicologue avant l’heure,
l’auteur de Juliette ou la clef des songes, expa-
trié dès 1923, mena une seule campagne
de  collecte. Son terroir national ne cessa
pourtant jamais de l’inspirer.
Attention, danger  : plus le matériau est
authentiquement brut, plus les artistes
lyriques risquent de s’y heurter. Ceux-ci en
sont loin. Le timbre fruité de Martina Jan-
kova, dont la maturité vocale paraît plus épa-
nouie que jamais, la subtilité de Tomas Kral,
qui joue aussi bien des syncopes de la musique
que des accents toniques de la langue, et l’at-
tention inventive d’Ivo Kahanek, cheville
ouvrière de l’entreprise, font des miracles
dans toutes les miniatures du bouquet, dont
les parfums embaument chaque écoute.
Bonne idée d’encadrer le programme par les
pages les plus tardives, écrites pendant la
guerre. Au début de son exil américain, le
compositeur originaire de Policka s’y sou-
vient de son pays natal avec une nostalgie
que la soprano traduit avec tendresse (écou-
tez-la réchauffer le crépuscule de La Rosée
ou décrire Le Rêve de la Vierge).
Festin de couleurs et d’accents
Meilleure idée encore que d’inviter Jankova
et Kral à dialoguer dans les mélodies qui s’y
prêtent. Si Les Gars de Zvolen nous valent
le duo le plus irrésistible du disque, La Riche
Bien-Aimée gagne beaucoup à donner
également la parole au jeune homme désa-
busé. Le baryton soupire encore avec un
dépit idéalement senti dans L’Amoureux
abandonné et L’Amoureux triste.
Il fallait, pour que notre bonheur soit total,
que les interprètes placent les textes à la
fausse naïveté champêtre aussi haut que les
BOHUSLAV MARTINU
1890-1957
Chansons d’une page H 294.
Chansons de deux pages H 302.
Nouvelles Chansons slovaques H 126.
Nouveau Spalicek H 288.
Martina Jankova (soprano), Tomas Kral
(baryton), Ivo Kahanek (piano).
Supraphon. Ø 2017, 2018. TT : 1 h 22’.
TECHNIQUE : 3/5
Enregistré en juin 2017 au Martinu Hall
de l’Academie de Musique de Prague par
Ales Dvorak. Les timbres séduisants de
la soprano et du baryton sont malmenés
par des réflexions inopportunes.
L’acoustique de la salle en est sans doute
la cause. Le piano paraît comme privé
d’harmoniques.
© BARBORA HRDA.
notes, voire parfois au-dessus. C’est chose
faite avec une sensibilité de chaque instant
et une intelligence lumineuse, dans un festin
de couleurs et d’accents – par exemple Chez
maman, où Jankova s’amuse des élisions du
parler morave. Difficile d’imaginer plus
idiomatique.
Même ravissement dans les Nouvelles chan-
sons slovaques H 126, recueillies sur le ter-
rain en 1920. Tout juste trentenaire, Martinu
n’a pas encore simplifié son écriture pour
piano comme dans les chefs-d’œuvre ulté-
rieurs. J’ai une autre sœur flirte ainsi davan-
tage avec le lied de salon qu’avec le folklore
des campagnes. Qu’à cela ne tienne : Kaha-
nek démêle le tout avec un naturel parfait,
en stylisant sans les dénaturer les effets
recherchés (dont les imitations du cymba-
lum). En solo ou en duo, les chanteurs
mâtinent cette musique de la mélancolie qui
lui colle à la peau. Et le tact de Kral nous tire
des larmes dans Eh montagne ou Mon Dieu,
que dois-je faire. Bouleversant voyage.
Nicolas Derny
I 73
LES 160 CRITIQUES DU MOIS
LE BILLET DE GAËTAN NAULLEAU NOS COTATIONS

Petits fours EXCEPTIONNEL A acquérir les yeux fermés.

L’abondance des répertoires méconnus et l’exten- YYYY Y SUPERBE Osez-le!

sion sans fin des discographies, chez Brahms ou
YYY Y RECOMMANDABLE Ne déparera pas votre discothèque
Dufay, sont deux défis majeurs pour une critique musicale exi-
geante, je l’ai dit plus d’une fois dans ce billet. Mais elle doit aussi YY Y MOYEN Pour fanas avant tout.
composer avec un problème plus récent, qui mérite d’être consi- Y Y DÉCONSEILLÉ A quoi bon ce disque?
déré avec attention : pensons que les modes de « consommation EXÉCRABLE Évitez le piège!
Y
musicale » ont évolué avec les mutations de supports.
Il y a quarante ans, acheter un LP revenait à l’écouter dans sa
continuité, une face au moins. Imaginez une belle tarte pour NOTRE COUP DE FOUDRE Révélation d’une œuvre
huit, à prendre ou à laisser. Il y a trente ans, la révolution du inédite ou d’un talent à suivre.
découverte
CD (et l’appoint de la télécommande) ont permis d’aller en un
claquement de doigts à la plus jolie part. Puis la musique déma- JUAN CRISOSTOMO succède), voire Schubert (début si
térialisée nous a postés devant un vertigineux buffet de petits ARRIAGA poétique du finale). Les instruments
fours. Ecouter un album dans la cohérence de son parcours 1806-1826 modernes ajoutent une touche ros­
reste souvent souhaitable. Mais la possibilité de télécharger à Y Y Y Y Y Symphonie. Ouvertures. sinienne dans l’enchaînement dy­
la plage et les facilités du streaming payant ou gratuit invitent à Herminie*. Médée (Aria)*. namique des tutti, dans les acce­
butiner : faire connaissance presto avec un jeune talent, retrou- Berit Norbakken Solset (soprano)*, lerandos et dans les effets des bois
ver un passage adoré, découvrir une sonate inédite, filer direc- BBC Philharmonic, Juanjo Mena. ou les staccatos des violoncelles.
tement, dans une archive lyrique, à l’inébranlable rocher de Chandos. Ø 2018. TT : 1 h 08’. Mena dirige tout cela avec une flui­
Fiordiligi ou aux brames de Tristan. TECHNIQUE : 4,5/5 dité, un sens des relances et une
Par sa qualité, la verve qui se conjuguent à un réel
Pêcheurs de perles mu sique de raffinement sonore, là où Dombrecht
La critique musicale doit alors s’adapter. Devons-nous continuer l’étoile filante accusait plutôt des rugosités
à considérer des disques entiers, dont l’agencement n’est pas Arriaga, mort postbaroques.
toujours déterminant ? N’est-il pas plus judicieux, dans certains avant d’atteindre Cette intelligence des couleurs et
cas, de mettre l’accent sur une ou deux plages ? ses vingt et un des rythmes stimulants, qui empa­
ans, a suscité nombre de très beaux nache l’orchestre, transcende aussi
Le nouvel album d’Aedes, formation d’élite dans le paysage
disques. On se souvient de la Sym- les deux Ouvertures, dont l’Opus
choral français, est classé au Requiem de Fauré, son plat de
phonie à grand orchestre sublimée 20 écrit à quinze ans. Si Mena est
résistance a priori. Déception, à côté de laquelle François jadis par le Concerto Köln ou encore sans doute moins vindicatif que
Laurent signale toutefois un trésor : Figure humaine, le péril- par le CD consacré au compositeur Dombrecht, les touches délicates
leux cycle a cappella de Poulenc sur des visions d’Eluard (cf. espagnol par Jordi Savall. Plus ré­ qu’il instille dans le discours orches­
p. 85). Il est permis de porter aux nues le Prélude, choral et fugue cemment (en 2006), Paul Dombrecht tral ont d’autres vertus. Mais Savall
et le Prélude, aria et finale de Franck par Michel Dalberto, et enregistra un disque couvrant tout ici nous émerveille.
d’être un poil plus réservé sur le Quintette qui les suit (cf. p. 86). l’œuvre vocal d’Arriaga puis un se­ On voudrait être aussi laudateur
Renoncer pour autant au Diapason d’or serait absurde. Pensez cond dédié aux pages orchestrales pour la cantate Herminie, nourrie
aussi à ce récital Purcell, perfectionniste mais d’abord anodin, (cf. nos  540 et 546). Juanjo Mena d’un dramatisme intense alla Gluck
d’une jeune soprano galloise, où se cachent deux perles (cf. préfère mêler les genres en occul­ et bien articulée par le chef. Hélas !
p. 93). Dans deux registres d’ailleurs opposés. L’alchimie tant l’Ouverture op. 1 mais en ajou­ la soprano norvégienne noie les
tant la cantate Herminie et une aria paroles françaises dans un charabia
musicale ne se prévoit pas.
extraite de l’opéra Médée, restée pittoresque. Dombrecht reste, là,
Loin de nous l’idée de couper les cheveux en quatre, par plaisir
isolée. nettement préférable.
ou par cuistrerie, dans une prose à rallonge ! Il s’agit seulement Le BBC Philharmonic, même en ef­ Jean-Luc Macia
d’ouvrir grand les oreilles pour enrayer la paresse de plume fectif chambriste, apporte une autre
qui voudrait tout englober à peu de frais sous quelques superla- perspective à ces œuvres que le LOUIS AUBERT
tifs éculés ou des coups de massue, et de répondre avec patience Fondamento de Dombrecht. Jamais 1877-1968
et discernement à la seule question valable : quelles sont, s’il y en la Symphonie en ré mineur (ca. 1824) Y Y Y Y Y Sonate pour violon
a, les bonnes raisons d’écouter cette publication ? La notation n’a paru faire à ce point le pont entre et piano. Caprice. 2 Romances.
n’en rendra jamais compte. Vous n’avez plus qu’à nous lire ! Mozart et Beethoven (l’Adagio intro­ Aubade. Madrigal (arr. Moraly).
ductif puis l’élan du Vivace qui lui Sur deux noms (a). Sillages.

74 I

Lutins. Trois esquisses (b).
Stéphane Moraly (violon) (a),
Romain David (piano) (a, b).
Azur. Ø 2018. TT : 1 h 14’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Petit soprano ve-
dette à qui Fauré
confiait, en 1888
le Pie Jesu de
son Requiem,
Louis Aubert al-
lait devenir, à seize ans, son élève
au Conservatoire. Et privilégier,
comme compositeur, la musique
vocale, avec des mélodies, des chan-
sons pour le music-hall (Marie Du-
bas crée sa Mauvaise Prière), et un
« conte lyrique » qu’Albert Wolff
exporte au Met, La Forêt bleue
(1913). Au sein d’un maigre corpus
chambriste, le violon tient une place
à part : c’est le seul instrument au-
quel il a offert une sonate, dédiée
en 1926 à Fauré. Le souvenir du
maître imprègne le volet central,
tendre plutôt qu’élégiaque. Sté-
phane Moraly et Romain David (pre-
mier violon et pianiste de l’ensemble
Syntonia distingué en 2007 par un
Diapason découverte dans le quin-
tette de Franck) y sont autrement
souples et éloquents qu’Alessan-
dro Fagiuoli avec Jean-Pierre Ar-
mengaud (cf. no 643).
L’archet de la jeune femme élance
les mouvements extrêmes avec
flamme, et les deux partenaires
donnent de superbes couleurs (mo-
dales) aux horizons lointains du fi-
nale. Mention spéciale, dans cette
intégrale des pièces pour violon et
piano, au Caprice de 1925. Avec sa
conclusion alla ungarese, il adresse
un clin d’œil au camarade Ravel et
à son Tzigane (1924).
Romain David ajoute de brèves Es-
quisses (1900) pour piano, dont se
détache une Valse tout en ondoie-
ments, et surtout le triptyque Sil-
lages (1913). Le « désir d’ailleurs »
s’y colore d’harmonies troubles, où
perce l’inquiétude (Dans la nuit). So-
corry s’achemine vers une habanera
de plus en plus pressante… avant
de buter sur un soupir de désespoir.
Superbe. François Laurent
GEORGES AURIC
1899-1983
Y Y Y Y Y Imaginées.
Michèle Command (soprano),
Michel Debost (flûte),
Claude Desurmont (clarinette),
Frédéric Lodéon (violoncelle),
• Le dictionnaire des disques
Jacques Cazauran (contrebasse),
Jean-Philippe Collard (piano),
Quatuor Parrenin,
Alexandre Myrat.
Erato. Ø 1978. TT : 41’.
TECHNIQUE : 3/5
Une première en
CD et une vraie
redécouverte  :
fêtons l’unique
intégrale en CD
(enregistrée en
1978) du cycle chambriste composé
entre 1968 et 1976, un sommet dans
l’œuvre de Georges Auric. Quasi
septuagénaire, le musicien le plus
« officiel » des Six, devenu président
de la Sacem et membre de l’Insti-
tut, n’en reste pas moins le plus
« avancé » du groupe. Lorsqu’il en-
treprend ses Imaginées, conçues
comme des « invitations à la rêve-
rie », Auric prévoit d’y faire tour à
tour dialoguer le piano avec la flûte
(I), le violoncelle (II), la clarinette
(III) et l’alto (IV), puis de les réunir.
Il renonce finalement à l’alto au pro-
fit d’une voix de soprano, intègre
une pièce pour piano seul (V), et
étoffe l’instrumentation de la der-
nière pièce (VI) par un quatuor à
cordes et une contrebasse (au lieu
du seul violoncelle).
En jouant sans cesse sur les
contrastes (de dynamique, de durée,
de couleurs, d’atmosphères), cha-
cune des six Imaginées alterne des
épisodes fantasques, tout en sau-
tillements, et des bouffées de poé-
sie, plus ou moins sombre, qui se
dissolvent dans un pointillisme so-
nore proche de l’atonalité. Les inter-
prètes réunis autour du piano de
Jean-Philippe Collard donnent à
l’ensemble des contours très nets,
une intensité, une charge sensible
souvent saisissantes.
Ainsi la flûte de Michel Debost fait-
elle, en huit minutes, le tour d’un
tempérament tendre, grave, brillant,
capricieux, passionné, cruel – faut-
il y deviner celui de madame Auric
à qui la première Imaginée est dé-
diée ? Le violoncelle de Frédéric
Lodéon dose remarquablement la
véhémence de son entrée dans la
deuxième, et le soprano charnel et
souple de Michèle Command suc-
cède à la mélodie « doucement ap-
puyée » par laquelle la clarinette
de Claude Desurmont referme la
troisième.
Le point culminant du cycle est sa
conclusion. Alternant pour de brèves
apparitions entre de longues
phrases statiques des cordes, une
ironie acidulée (très Six) et des
plaintes de la soprano dessinent
les zébrures du Marcato molto final.
François Laurent
CARL PHILIPP EMANUEL
BACH
1714-1788
Y Y Y Y Concertos pour
violoncelle Wq 170, 171 et 172.
Christophe Coin (violoncelle
et direction), Orchestre baroque
de Séville.
Passacaille (CD + DVD).
Ø 2014. TT : 1 h 08’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Christophe Coin
aura attendu
longtemps avant
d’aborder Ema-
nuel Bach – et
l’éditeur quatre
ans, en prime, avant de présenter
le résultat de ce travail réalisé à Sé-
ville. L’album nous parvient, ainsi,
après deux parutions majeures ré-
compensées chacune par un Dia-
pason d’or, l’intégrale des cinq
concertos par Ophélie Gaillard
(Aparté) et, tout récemment, deux
concertos par Jean-Guihen Queyas
(HM). Coin leur répond en remar-
quable virtuose. On ne peut qu’ad-
mirer le brio de ses traits les plus
débridés, la variété de la pronon-
ciation, notamment dans les mou-
vements lents, et la somptuosité de
son Gagliano de 1720. Il a, sur Quey-
ras, l’avantage de proposer en sus
le Concerto Wq 171, et, sur ses deux
rivaux, celui d’ajouter un DVD avec
le même programme.
Deux atouts, contre deux bémols.
L’Orchestre de Séville sonne épais,
sans aération, avec une tendance
passagère à l’atonie malgré le talent
de Dmitry Sinkovsky au premier vio-
lon. C’est aussi que la direction du
violoncelliste français prend le parti
d’une modération préclassique, loin
des tensions exacerbées par Pulci-
nella (Gaillard) et surtout Resonanz
(Queyras), qui nous bluffait par son
théâtre calculé des timbres et des
détails. L’attaque du La mineur est
ici comme étouffée et le discours
qui suit sans relief, les volutes so-
listes n’y pouvant rien. Les mouve-
ments lents, en dépit de la diversité
du cantabile, se traînent un peu. En
tant que chef, Coin architecture les
structures sans cesse variées de la
partition sans trop recourir aux
oppositions dynamiques.
Le Concerto Wq 172 en la majeur
est plus réussi : une réelle tension,
un zeste de nervosité et un bario-
lage sonore plus séduisant nous
valent un Allegro enfin décapant.
Si le Largo s’étire un tantinet, le fi-
nale, dense et véhément, nous
console du reste. Les cadences sont
de grands moments.
Le DVD, platement réalisé, n’apporte
pas grand-chose, si ce n’est de voir
le chef-soliste à la peine (gestes dis-
crets, hochements de tête peu effi-
caces) pour stimuler l’orchestre. Byl-
sma, Gaillard et Queyras dominent
le podium. Jean-Luc Macia
JOHANN SEBASTIAN BACH
1685-1750
Y Y Y Y Y Cantates BWV 82
et 169. Chorals BWV 662 à 664.
Prélude et fugue BWV 543.
Damien Guillon (contre-ténor
et direction), Céline Scheen
(soprano), Nicholas Scott (ténor),
Beniut Arnould (basse),
Le Banquet Céleste.
Maud Gratton (orgue).
Alpha. Ø 2018. TT : 1 h 14’.
TECHNIQUE : 3/5
Damien Guillon
est un artiste for-
midable et multi-
carte, chanteur
et animateur de
son Banquet Cé-
leste – comme Gérard Lesne jadis
avec Il Seminario musicale. Il a at-
tendu sept ans, après l’album qui
réunissait les cantates BWV 170 et
35, pour se mesurer à la célébris-
sime BWV 82, plus souvent chantée
par les barytons. Bach l’a transcrite
pour soprano (la flûte remplaçant
le hautbois) et l’aurait confiée, une
fois au moins, à une voix d’alto. Bien
conduit, le programme prélude à
la partie d’orgue concertant de la
BWV 169 (dont deux mouvements
sont fondés sur le Concerto pour
clavecin BWV 1053) avec trois cho-
rals, et se conclut sur l’impression-
nant diptyque BWV  543 en la
mineur.
Guillon entame « Ich habe genug »
avec une voix somptueuse et sur un
rythme soutenu. A l’anxiété impa-
tiente mise en scène dans ce mou-
vement par Bejun Mehta l’an dernier
(cf. no 668), il préfère l’énergie d’une
détermination presque joyeuse,
quand le croyant se réjouit de
I 75
Bach / Bartok

Nouveauté
JOHANN SEBASTIAN BACH
1685-1750
« Concertos pour orgue et cordes »
arrangés par Bart Jacobs d’après
les BWV 169, 49, 146, 188, 1052,
35, 1055, 1041 et 1058.
Bart Jacobs (orgue), Les Muffatti.
Ramée. Ø 2018. TT : 1 h 20’.
TECHNIQUE : 5/5
Enregistré en mai 2018 par Rainer Arndt, à l’église
Notre-Dame et Sainte-Léogare de Bornem (Belgique).
L’orgue soliste, de taille moyenne, prend place
au centre des cordes sans hégémonie. Des plans
sonores peu marqués, mais sans préjudice pour
la lisibilité, profitent à la cohésion des timbres.
Basses somptueuses.
déduire de la Cantate 35 (plusieurs options
possibles pour le mouvement central). Un
troisième, en ré majeur, des Cantates 169 et 49.
Gageons que Bart Jacobs et Les Muffatti feront
cette fois des émules. Les micros de Rainer
Arndt ont également leur part dans une mise
en scène instrumentale aussi grisante que les
Quatre saisons de Podger, les Brandebourgeois
du Café Zimmermann et la Water Music
de Gardiner. Mais ceux qui prendront la relève
devront bien s’y préparer. L’exubérance du
tableau repose ici sur un travail extrêmement
cadré des timbres, des accents, du profil de
chaque mouvement. Alors tout tombe dans
les plis, malgré l’alliance notoirement délicate
d’un orgue et d’un orchestre.
A un petit label au nom de bon au-
gure, Dominique Merlet, depuis peu
octogénaire, confie un Clavier bien
tempéré à la virtuosité juvénile. En-
registré il y a plus de trois ans, le
Second Livre pourra de prime abord
dérouter par un toucher à la fran-
chise peu amène. Il faut les fugues
en mi bémol majeur et mi mineur,
puis le prélude en fa mineur pour
attirer l’oreille vers la sensationnelle
intelligence des motifs thématiques
et de leurs références, ainsi que de
la vie polyphonique.

L
a batterie de médailles qui accueillait Une telle qualité d’échange serait impossible C’est dans le Premier Livre que Merlet
en 1993 André Isoir et Le Parlement de avec un instrument de tribune : celui de la donne à cette vie toute sa liberté.
Musique n’a-t-elle pas suffi ? Leur album manufacture Thomas pour l’église de Bornem, L’édition Richault annotée par Cho-
pour Calliope (« Bach, l’œuvre pour en Belgique, est placé au sol mais d’une richesse pin (d’après Czerny) et récemment
orgue et orchestre ») est loin d’avoir fait école. de timbres et d’une ampleur bien en situation. restituée par Jean-Jacques Eigel-
Les violonistes, les hautboïstes, quelques Le toucher de Bart Jacobs y fait des merveilles, dinger, lui apporte ses accents et
altistes, une mandoline aussi (Avi Avital, le seize pieds donne au tutti une assise épatante basses octaviées, ses indications
bluffant) se sont régulièrement invités sur (un seul violoncelle, une seule contrebasse dynamiques et expressives. Tempos
le terrain des concertos « reconstruits », toujours pourtant). L’émulation qui unit des archets très parfois surprenants (à commencer
déserté par les organistes. Pourtant Bach dynamiques, conquérants, parfaitement assortis par le tout premier), art constant des
leur tend la main. Dans plusieurs cantates, sous l’œil de Ryo Terakado, et la déclamation de progressions et des ruptures : a-t-
il accueille en tribune des mouvements Bart Jacobs, très active mais émaillée de pointes elle été apprise chez Chopin, cette
de concertos pour clavecin, dont le plus nonchalantes, électrise les deux finales en ré diction qui nous donne l’impression
idiomatique : le premier allegro mineur (plages 6 et 12). Et la nouvelle d’un récit fait exprès pour
du BWV 1052 en ré mineur, suppression des hautbois est une le piano ? On retrouve en effet ce
avec ses ostinatos d’arpèges, excellente chose, qui rend les qui fait la force des Ballades de ce
ses trépignements de basses textures plus complémentaires. grand pédagogue (Mandala) : la
et ses cadences, sert de Sinfonia Bart Jacobs ajoute aux trois domination intellectuelle et expres-
à la Cantate 146. Puis son concertos gravés par Isoir un sive de « la manière dont les voix,
Adagio passe également dernier arrangement, d’après que les doigts ressentent comme
à l’orgue, où il s’étire sous une le BWV 1041 pour violon en individuelles et distinctes, sont en-
greffe chorale ! Le finale ? la mineur et son jumeau pour tendues au sein d’une indissociable
Recyclé dans la Cantate 188. clavecin BWV 1058. Prodiges de harmonie » (Charles Rosen).
Groupons les trois, ôtons toucher et modèle de retouches, On a rarement entendu les entre-
la greffe, emballons ce premier on en redemande. croisements de cette « polyphonie
concerto. Un autre peut se PLAGE 1 DE NOTRE CD Gaëtan Naulleau harmonique », que Stravinsky repré-
sentait à Robert Craft comme un
croisillon de lignes orthogonales,
quitter ce monde et de surmonter Dans la Sinfonia qui ouvre la Gratton enchaîne une lecture kaléi- aussi fermement dessinés qu’ici.
ainsi ce qui lui pèse. Les couleurs BWV 169, Guillon chef met en scène doscopique et irisée des trois cho- Mais le vrai tour de force, et surtout
variées du timbre et l’agilité de Guil- des tutti turbulents face à l’orgue rals, dont toutes les lignes et les plans dans le Premier Livre, est de laisser
lon trouvent leur contrepartie dans concertant (dont l’éclat, trop mis sont mis en valeur, puis impose une s’épanouir leurs complexités comme
la transparence d’un groupe de en avant par les micros, écrase hé- pulsation tendue et excitante au dip- une réinvention émerveillée, digne
cordes réduit à un archet par partie. las la perspective sonore). L’attaque tyque en la mineur qui conclut ce de la révélation qu’elles représen-
Certes, les fins de phrases s’éteignent très franche par Guillon du premier CD très réussi. Jean-Luc Macia tèrent pour un Beethoven ou un
parfois à bout de souffle dans le récitatif vous cloue sur place puis Chopin : au fil des diptyques, Domi-
premier air, et les vocalise manquent avec des accents lumineux, une ai- Le Clavier bien tempéré, nique Merlet « rend ce qui les fait
parfois de densité dans l’air ultime. sance rare dans les vocalises, il dé- Y Y Y Y Y Livre I. particulièrement beaux, puissants,
Mais entretemps, dans la fameuse montre que cette œuvre lui convient Y Y Y Y Y Livre II. étonnants, spirituels ou émouvants
aria du sommeil, Guillon dose idéa- idéalement. En voici l’une des plus Dominique Merlet (piano). […] en suivant la musique de près,
lement pauses et relances, sur un belles lectures depuis Fink et Scholl. Le Palais des dégustateurs en regardant, écoutant et, comme
tempo modéré. La qualité du travail Jouant à merveille des superbes (2 coffrets de 2CD). Ø 2016 dirait [Charles] Rosen, en sentant
de cordes a sa part aussi dans un possibilités sonores de l’église réfor- et 2017. TT : 1 h 49’, 2 h. comment les lignes mélodiques sont
mouvement en état de grâce. mée du Bouclier à Strasbourg, Maud TECHNIQUE : 3,5/5 façonnées et combinées, comment

76 I

les harmonies se déploient, com-
ment les périodes s’articulent » (Jo-
seph Kerman). Un art du temps et
de l’instant, où la fantaisie s’archi-
tecture comme sous le burin d’un
Piranèse. Paul de Louit
Le Clavier bien tempéré,
Livre I.
Y Y Y Y Ewa Poblocka (piano).
NIFC (2 CD). Ø 2018. TT : 1 h 54’
TECHNIQUE : 4/5
Y Y Y Chantal Stigliani (piano).
Calliope (2 CD). Ø 2017. TT : 1 h 44’.
TECHNIQUE : 3/5
Des réverbérations d’églises nimbent
les pianos de la Française Chantal
Stigliani et de la Polonaise Ewa Po-
blocka dans le Premier Livre du Cla-
vier bien tempéré. Celui de Chantal
Stigliani chante, chante, chante. Dans
les préludes, il chante comme un
soliste avec continuo : la voix supé-
rieure ressort avec la basse, le res-
tant de la polyphonie tenant du
remplissage harmonique. Dans les
fugues, il chante comme un défilé
de solistes qui ne font pas chœur :
notre oreille n’est attirée, l’une après
l’autre, que vers les entrées du sujet.
Ce Bach sent la fleur bleue.
Celui d’Ewa Poblocka décline toutes
les nuances de la « divine machine
à coudre » selon la définition de
Bach par Colette. Chaque pièce est
rangée dans une catégorie, avec le
jeu correspondant. La catégorie
« divin » invite à la pâmoison par un
toucher melliflu, force pianissimo
subito et de petits effets de rubato,
comme des frissons d’extase : au-
cun exemple (et il y en a) n’atteint
le taux de sucre du tout premier
prélude. La catégorie « machine »
nous projette dans le monde brutal
des Fonderies d’acier de Mossolov,
avec doigts et toucher du même
métal, tempo rapide et un uniforme,
fortissimo senza rubato : prenez les
préludes en ut mineur ou sol majeur.
La catégorie « machine à coudre »
y ajoute, dans les préludes en ré
majeur et si bémol majeur, un stac-
cato et des accents piquants qui
évoquent irrésistiblement la Singer
à pédale de votre grand-mère.
Tout cela avec des moyens digi-
taux de haut vol, la complicité
Clic !
Votre disquaire 100% classique
d’un grand piano Shigeru Kawai
très versatile et un spectaculaire
sens de la polyphonie qui, à tout
1 1 4
prendre, nous fera privilégier cet
11
album sur le précédent.
-
Paul de Louit
-
Y Y Y Y « Wachet auf ! ».
1
Fugues BWV 539, 733, C. aminade : usique pour piano L. ouperin : anses du anuscrit . . ussek : oncertos piano, op.
579. Sonate BWV 528. Mark Viner, piano Bauyn 3, 14, 49
Pavel Kolesnikov, piano Ulster Orchestra; Howard Shelley
Concerto BWV 593.
Chorals BWV 645-650.
Benjamin Alard (orgue Giroud
[1997] d’Arques-la-Bataille).
1 44
L’Autre Monde. Ø 2016. TT : 56’.
1
TECHNIQUE : 4,5/5
P - P
Son intégrale Bach
-
à peine entamée
1
(HM), Benjamin G. Frescobald : uvres pour orgue arl oldmark : oèmes sympho- I. olzbauer : La mort de idon
Alard nous pro- et motets niques, vol. 1. Piau; Fuggiss; Schäfer; Mohr;
La Divinia Armonia; Lorenzo Ghielmi Bamberger Symphoniker; Fabrice Bollon Frieder Bernius
pose un florilège
d’œuvres de…
Bach. Explication : Arques-la-Bataille,
près de Dieppe, est le siège d’une
Académie Bach dont le musicien,
-
4
1
originaire de la région, est un fami-
-
P - P
lier depuis son âge le plus tendre,
passant sans solution de continuité
1
du statut de bénévole transporteur Johann epomuk ummel F. achner : Catharina ornaro, opéra . artinu : adrigaux
de clavecins à celui de «  jeune Edition Kaiser; Kirch; Peter; Pauly; Tschelebiew; Martinu Voices; Lukas Vasilek
Münchner Rundfunkorchester; Ralf Weikert
talent », puis d’invité de marque.
Pour célébrer le vingtième anniver-
saire de l’orgue Giroud, l’enfant du
pays a réalisé en 2016 un enregis-
trement qui paraît seulement au-
1
jourd’hui, comme un hommage au
1
-
P - P
foyer musical auquel il doit en grande
-
partie sa bachomanie.
1
1
Le programme convient bien à la F. oulenc : oncertos pour piano et J. des rés : esses audeamus et S. achmaninov : udes-tableaux,
circonstance, avec notamment les pour orgue; Stabat Mater L’ami Baudichon op. 33
Chorals Schübler, recueil de trans- Tharaud; Royal; O’Donnell; Nézet-Séguin The Tallis Scholars; Peter Phillips Steven Osborne, piano
criptions de cantates qui devait être
pour les Leipzigois comme un album
1 1
de doux souvenirs musicaux. L’in-
terprète prête son concours à cette - FP
14
4
1
fête de l’amitié avec son aisance et
F
-
P - P
sa décontraction habituelles. Certes,
l’instrument ne saurait rivaliser avec
les orgues historiques que l’on at-
1
J.- . Rameau : Int grale de l œuvre . F eichard : Der esisterinsel . einberg : o pour violoncel e,
tend dans ce répertoire, mais Ben- pour clavier Staude; Lichtenstein; Schäfer; Rheinische op. 43; 24 Préludes, op. 100
jamin Alard le connaît comme sa Steven Devine, clavecin kantorei; Das Kleine Konzert; Hermann Max Marina Tarasova; Alexander Rudin
poche. Quant à la prise de son, elle
a su restituer la résonance ample
et pure qui circule comme un liquide
autour de cet orgue édifié au centre
1 4
d’un beau jubé Renaissance.
-
r-
Vincent Genvrin
BELA BARTOK
1
F. As ton : e ream; ymphonic G. uccini : adame ut erfly Birgit sson : A league of her own,
1881-1945 Variations; Marguerite et Armand Jaho; Puente; Hendricks; DeShong; Pappano film documentaire de Thomas Voigt et
Y Y Y Y Y 44 duos pour violons Royal Ballet; E. Plasson Wolfgang Wunderlich
Sz 98. VIVALDI : Sonate pour
deux violons RV 70. Pour retrouver l’ensemble des 25 000 références en
Enrico Onofri,
distribution exclusive chez DistrArt Musique
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Beethoven / Boccherini / Brahms / Bruckner
Lina Tur Bonet (violons).
Pan Classics. Ø 2018. TT : 1 h 01’.
TECHNIQUE : 3/5
Pourquoi diable
une prise de son
si réverbérée ?
Les duos s’en
trouvent comme
sacralisés, dé-
tournés de leur réalité chambriste,
et plus encore des chemins de terre,
des places de villages, des visages
de la paysannerie auxquels ils
rendent hommage. Ecoutez la fa-
meuse Danse des oreillers (plage
14) pour mesurer l’effet édulcorant
d’une telle option. Il faudra essayer
de s’y faire pour apprécier un enre-
gistrement remarquable.
Enrico Onofri, riche de ses expé-
riences baroques aussi poétiques
que fiévreuses (l’« ivrogne » et le
« chasseur » de référence chez Vi-
valdi), sait jongler entre ingrédients
impressionnistes et rhétoriques :
le kaléidoscope des Quarante-
quatre duos révèle alors d’innom-
brables aspects inattendus. Lina
Tur Bonet, admirée chez Vivaldi,
Corelli et Biber, lui répond par une
interprétation plus compacte et
« moderne ». Chacun des violo-
nistes se reconnaît facilement. Loin
de troubler l’équilibre général, cette
attitude élargit le panorama des-
criptif des pièces. Appréciez l’éva-
nouissement des sons dans le Conte
de fées (plage 19), les tourbillons
feutrés de la Danse du moustique
(plage 22) ou les élans tordus de
la Danse ruthène (plage 35).
Aux quarante-quatre duos de Bar-
tok s’en ajoute un de Vivaldi. Fallait-
il vraiment placer le deuxième violon
en « écho éloigné » dans le premier
mouvement, bâti sur un choc fron-
tal des deux instruments ? Un choix
d’autant plus maladroit que la mul-
titude des résonances accole au pre-
mier violon une sorte d’écho. Les
deux mouvements successifs, où la
fantaisie est naturelle, sont malgré
tout un délice. Espérons qu’un jour
les trois autres duos du compositeur
vénitien bénéficieront d’une telle
lecture. Olivier Fourés
LUDWIG VAN BEETHOVEN
1770-1827
Y Y Y Y Symphonie no 9.
Rie Miyake (soprano),
Mihoko Fujimura (mezzo),
Kei Fukui (ténor),
Markus Eiche (baryton),
78 I
Tokyo Opera Singers, Mito
Chamber Orchestra,
Seiji Ozawa.
Decca. Ø 2017. TT : 1 h 08’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Qu’il est intrigant
de voir Seiji
Ozawa, au soir
de sa vie, tourner
le dos au modèle
de Karajan dont
il fut le plus proche disciple ! Outre
qu’il utilise l’édition Jonathan Del
Mar, déjà retenue par Abbado, Zin-
man et Rattle, le chef japonais ose
un effectif à faire se retourner dans
sa tombe l’Empereur du legato : 7,
6, 4, 4, 3 pour le quintette à cordes,
là où Karajan campait sur un impa-
vide 18, 16, 14, 12, 10. Irrésistible
dans une récente Symphonie no 1
(cf. no 667), où sa pertinence stylis-
tique conférait au discours autant
de nerf que de flux, Ozawa a ici les
yeux plus gros que le ventre. Il est
vrai que le champ de la 9e est au-
trement plus vaste, tant sur le plan
de l’expression que de la syntaxe,
sans même parler de la dépense
d’énergie qu‘elle induit.
Le premier mouvement – le plus
hardi et multiple jamais composé
par Beethoven – avance droit, avec
une lisibilité et une logique sans
faille. Tout au plus pèche-t-il par
une dynamique parfois un peu tas-
sée, qui fait saillir la verticalité de
l’écriture au détriment du melos
et de la ligne.
Offrant bien moins d’embûches, le
Molto vivace devient inratable
lorsque la pulsation est aussi im-
peccablement réglée qu’ici, les ins-
trumentistes aussi affûtés que ceux
du Mito Chamber Orchestra. L’ébou-
riffant Radek Baborak (qui claqua
la porte des Berliner Philharmoni-
ker en 2011) figure d’ailleurs dans
le pupitre de cors…
L’Adagio, sans véritablement dé-
mériter, peine à décoller, notam-
ment dans les échanges en varia-
tion cordes/vents qui n’atteignent
pas – mais comment le pourraient-
ils avec des forces aussi restreintes
et des attaques aussi courtes ? –
l’ineffable concertato, l’appel d‘air
mystique des versions Fricsay, Ka-
rajan 1947 ou Böhm 1980.
Luttant contre un cancer depuis des
années, Ozawa montre dans le fi-
nale d’évidents signes de fatigue,
et ce dès l’exorde qui tombe un peu
à plat. De même, le dévorant fugato
des mesures 431-525 n’a plus tout
à fait la témérité de celui du pre-
mier mouvement. Le vrai point noir
de ce finale est cependant le chœur,
dont l’homogénéité se trouve sou-
vent mise à mal. Ses défaillances et
écarts de justesse ressortent de
manière d’autant plus crue qu’il ne
compte que trente-deux chanteurs.
C’est dommage car l’orchestre ne
lâche rien, arc-bouté pour soutenir
son samouraï de chef.
Hugues Mousseau
LUIGI BOCCHERINI
1743-1805
Y Y Y Y Y Stabat Mater G 532
(1re version). Concertos pour
violoncelle G 479 et 482.
Symphonie « La Casa del
Diavolo » G 506. Sonate pour
violoncelle et pianoforte G 2.
Quintette « La musica notturna
delle strade di Madrid » G 324.
Sandrine Piau (soprano),
Ophélie Gaillard (violoncelle),
Pulcinella Orchestra.
Aparté (2 CD). Ø 2018. TT : 1 h 57’.
TECHNIQUE : 4,5/5
Dix ans après leur
première ren-
contre discogra-
phie (Ambroisie,
cf. no 554), la pas-
sion de Pulcinella
pour Boccherini reste intacte, et
nourrie par une réflexion approfon-
die. Le double album, conçu comme
un tour d’horizon sans équivalent
au disque, s’impose avant tout pour
le Stabat Mater. Vécu comme un vrai
drame de la Passion, porté par la
soprano avec une autorité de tragé-
dienne, il tranche avec la vingtaine
de versions existantes, dont la pa-
lette s’étend de l’éthéré (Rial, Kar-
thäuser, Dieltiens) à l’opéra (Gasdia).
Sandrine Piau est bouleversante,
tour à tour cri palpitant (Quae more-
bat), supplication envoûtante (Eja
mater), appel impérieux et concen-
tré (Tui nati), jusqu’à l’abandon res-
pectueux aux volontés du Ciel
(Quando corpus morietur). Les ar-
chets empathiques de Pulcinella
restent un peu réservés, en deçà du
geste plus urgent et sculpté d’Archi-
dubelli par exemple (dans un enre-
gistrement de 2002… où Roberta
Invernizzi nous touchait beaucoup
moins). Et à quoi bon une contre-
basse à la place du violoncelle II ?
La désolation du Pro peccatis n’en
demande pas tant. Mais qu’importe.
Voici pour l’heure une référence.
Saluons dans les pages instrumen-
tales le pianoforte de Francesco
Corti, continuiste hors pair, osant
des camaïeux et des nuances d’arti-
culation fantastiques. Petit bémol,
la délicatesse un peu figée de son
instrument dessert la Sonate G 2,
qui mériterait des couleurs plus ty-
pées – comme en offrait le piano-
forte de Maude Gratton avec Coc-
set. L’archet élégant et joliment orné
d’Ophélie Gaillard feutre mal sa pa-
lette pour fusionner pleinement avec
lui. Avec ses lignes denses, celui de
Bylsma (1993), poignant et grave
dans l’Adagio, sensuel dans l’Alle-
gretto, en communion avec Kenneth
Slowik comme second violoncelle,
y reste incomparable.
Les concertos se savourent davan-
tage. Le célèbre G 482 en particu-
lier, dans sa version originale où
Christophe Coin (1993), à la fois élé-
gant et réservé, dominait jusqu’alors
une modeste discographie écrasée
par les innombrables lectures de la
chimère Grützmacher. Le bel or-
chestre, bien engagé dès l’Allegro
moderato, et le continuo subtil an-
noncent l’excellente entrée d’Ophé-
lie Gaillard. Le Goffriller chante et
se cabre sous les mains d’une vir-
tuose experte, qui nous captive dans
l’Andantino grazioso. Le vif Rondeau
final est marqué par une volonté
rythmique originale. Ophélie vire-
volte, s’octroyant même dans la ca-
dence une touche d’humour, avec
une allusion au Scherzo du quintette
de Schubert. Mais dans le G 479,
Pulcinella s’engonce dans des effets
rythmiques de guitare bien inutiles.
La ligne soliste, fixée sur les détails,
se dilue dans des agréments. On
regrette ici Bylsma, dans sa gravure
historique de 1965 avec le Concerto
Amsterdam.
Jolie « Casa del Diavolo », avec mise
en perpective des plans sonores
d’archets. Mais à quoi bon ces tim-
bales démonstratives ?
Les puristes réécouteront la Musica
notturna par le Quatuor Petersen
dans sa version originale. Pulcinella
ose un compromis entre l’extension
orchestrale (archets parfois doublés)
et les effets descriptifs (basson, clo-
chettes, timbales, tambourin). Cette
rêverie poétique des nuits madri-
lènes est pourtant une réussite. Il
rosario en particulier, méditation sur
le temps qui passe.
Roger-Claude Travers
JOHANNES BRAHMS
1833-1897
Y Y Y Y Symphonie no 4.
DVORAK : Symphonie no 9
« du Nouveau Monde ».
Bamberger Symphoniker,
Jakub Hrusa.
BR (2 CD). Ø 2017. TT : 1 h 26’.
TECHNIQUE : 4,5/5
Focale grand
angle et tempos
retenus : sous le
geste détaillé de
l’élégant Jakub
Hrusa, la Sym-
phonie no  4 de Brahms s’étend à
perte de vue. Un festin pour audio-
philes, qui se régaleront des splen-
deurs des Bamberger Symphoniker
magnifiées par les micros de Mar-
kus Spatz. Mais de quoi faire bouillir
les mélomanes au tempérament
moins posé que celui du chef
tchèque. Tête froide et pointe sèche,
il prend le temps de tout clarifier
et, en alchimiste épris de lisibilité,
sous-pèse la moindre intervention
des bois ou ponctuations des cuivres
au-dessus des cordes automnales
(Allegro ma non troppo).
Hrusa éclaire si minutieusement des
éléments de construction d’ordinaire
intégrés dans un flux sonore plus
emporté, qu’il chamboule parfois
la perspective en mettant à l’avant-
plan certaines figures rythmiques
d’accompagnement. Personne ne
le soupçonnera pour autant de nar-
cissisme. Ni, comme cela a pu arri-
ver par le passé, de pondérer le tout
avec l’application du bon élève. Le
disciple de Belohlavek propose une
lecture certes très analytique, mais
il évite la docte explication de texte.
Et l’engagement de chaque pupitre
garantit que rien ne se fige.
En cadrant les choses de manière
presque aussi cartésienne que chez
Brahms, Hrusa rend peut-être la
Symphonie « du Nouveau Monde »
moins épique qu’on la rêverait. Il y
révèle néanmoins des accents
conquérants qu’on ne lui connais-
sait pas chez Dvorak – voire nulle
part ailleurs –, et replace la Bohême
au centre de l’œuvre.
Au diable l’inspiration prétendument
peau-rouge : personne dans ce cas
ne croira entendre un chant amé-
rindien dans le mouvement lent,
d’une mélancolie sans pathos et en-
veloppé d’un sfumato travaillé. Pas
de mariage sioux non plus dans le
Molto vivace, mais des danses
parfaitement slaves. Seule manque
une palette plus idiomatique, comme
celle de la Philharmonie tchèque
d’antan. Ces couleurs-là, hélas,
n’existent même plus à Prague.
Nicolas Derny
ANTON BRUCKNER
1824-1896
Y Y Y Y Symphonie no 4
« Romantique ».
Orchestre Philharmonia de Zurich,
Fabio Luisi.
Philharmonia. Ø 2018. TT : 1 h 17’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Avec l’orchestre
de l’Opéra de
Zurich (rebaptisé
Philharmonia
lorsqu’il sort de
la fosse), Fabio
Luisi cultive dans la « Romantique »
une grandeur ouvertement inspirée
de Wagner. La majesté de cette lec-
ture, aux tempos étirés, intimide dès
la cathédrale sonore du premier mou-
STÉPHANIE D’OUSTRAC
vement. Les deux volets centraux
nous emmènent dans de profondes
forêts germaniques. Mais le finale
est traversé par des changements
de tempos et des emportements
qui nous éloignent de l’apothéose
aux dimensions cosmiques où triom-
PASCAL JOURDAN
phait Celibidache. Sans même évo-
quer les accents quasi schubertiens
de Volkmar Andreae, le charme vien-
nois que l’incomparable gravure de
Böhm laissait transparaître n’est pas
à l’ordre du jour, on l’aura compris.
L’orchestre zurichois épouse sans
difficulté cette solennité grandiose
et « wagnérienne », qui fait écho au
monumentalisme assez figé de Thie-
lemann à Munich (cf. no 582).
Jean-Claude Hulot
Photo © Jean-Baptiste Millot
Y Y Y Y Symphonie no 6.
Deutsches Symphonie-Orchester
Berlin, Robin Ticciati.
Linn. Ø 2018. TT : 51’.
TECHNIQUE : 3/5
Après une belle
Messe en fa avec CD HMM 902621
l’orchestre de
Bamberg et sur-
tout les chœurs
de la Radio bava-
Une nouvelle aventure
o 
roise (Tudor, cf. n 642), Robin Tic-
ciati attaque le massif des sympho- avec harmonia mundi
nies par la plus concentrée des
partitions de la maturité bruckné-
berlioz . liszt . wagner
rienne. Il décrit la 6e comme « sau-
vage, aventureuse et risquée », ce
qui éclaire bien son approche. La
harmoniamundi.com
Camerloher / Cavalli / Chausson

véhémence du geste dans l’allegro
le plus tendu rythmiquement de
tout l’œuvre de Bruckner impres-
sionne. Est-ce la rapidité des tem-
pos qui impose une telle brutalité
d’accents dont pâtit le thème chan-
tant, épisode caractéristique des
allegros brucknériens ? Cette vita-
lité ne se départira pas du reste de
la symphonie, avec un scherzo parmi
les plus vifs et cinglants de la dis-
cographie, mais aussi, revers de la
médaille, un Adagio dont le lyrisme
pudique, véritable illustration so-
nore du renoncement amoureux,
nous laisse froid. Günter Wand, dans
un tempo assez proche, savait don-
ner une tout autre densité au thème
en forme de marche funèbre, une
des inspirations les plus boulever-
santes du compositeur.
Cette gravure de Robin Ticciati au
pupitre de son orchestre berlinois
confirme la compréhension que le
chef britannique a de cet univers
sonore, sans présenter encore la
profondeur et l’humanité qui nous
captivent chez les brucknériens
confirmés. A trente-cinq ans, rien
ne presse. Jean-Claude Hulot
PLACIDUS
VON CAMERLOHER
1718-1782
Y Y Y Y Solo per la Gallichone I-IV.
Duetto. Trio en ut. Parthia en fa.
Christoph Eglhuber (gallichon),
Hans Brüderl (luth), Angelika
Fichter, Theona Gubba-Chkheidze,
(violon), Sabina Lehrmann
(violoncelle).
Oehms. Ø 2017. TT : 1 h 14’.
TECHNIQUE : 4/5
Dans la famille
des luths, je de-
mande le galli-
chon, également
connu sous le
nom de man-
dora (à ne pas confondre avec la
mandore du XVIIe siècle, luth aigu).
Notre gallichon, basse dotée de six
à neuf chœurs, très en vogue dans
l’Allemagne méridionale du XVIIIe
siècle, est très probablement un
dérivé du colascione, instrument
populaire dans la musique d’Italie
du Sud au XVIIe siècle qui, sous le
nom de colachon, avait atteint l’aire
germanique (Kuhnau et Telemann
l’employèrent).
Ces gallichons et mandoras, accor-
dés diversement, trouvent en Chris-
toph Eglhuber un élégant défen-
seur. Il explore une variété de
couleurs, souvent rondes, parfois
plus nasales, toujours raffinées, et
place le gallichon dans diverses
combinaisons : seul, en tête à tête
avec son jumeau (un violoncelle les
soutient parfois), ou en quatuor avec
deux violons et violoncelle. Ces
pièces jouent plutôt de la complé-
mentarité des instruments que de
leur dialogue, dans une manière de
sociabilité ultra-policée qui ne laisse
guère de place aux éclats de fan-
taisie. Tout au plus les violons s’au-
torisent-ils un peu de rugosité dans
le Paisan de la Parthia à quatre. La
musique de Placidus von Camerlo-
her, directeur de l’orchestre de cour
du Cardinal et Prince-Evêque Jo-
hann Theodor de Bavière à Freising
puis de ses successeurs, s’oublie
vite. Mais l’intérêt de l’instrument
à cordes pincées et la qualité du
jeu font passer un moment agréable.
Loïc Chahine
FRANCESCO CAVALLI
1602-1676
Y Y Y « Ombra mai fu ». Airs et
sinfonias de Xerse, Elena, Statira,
Calisto, Ercole amante, Erismena,
Eliogabalo, Gli amori d’Apollo e di
Dafne, Ormindo, Eritrea, Doriclea,
Orione, Giasone, La virtu de’
strali d’Amore, Pompeo Magno.
Philippe Jaroussky (contre-ténor),
Emöke Barath (soprano),
Marie-Nicole Lemieux (contralto),
Artaserse.
Erato. Ø 2017. TT : 1 h 05’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Tricoter un récital
Handel, Hasse
ou Vivaldi est
nettement plus
facile que de
d o nn e r u n e
trajectoire à un kaléidoscope glané
dans l’opéra vénitien : la forme émi-
nemment théâtrale du dramma per
musica, avec ses longs récits entre-
coupés de brèves sections d’airs,
n’est guère propice aux extraits.
Pourtant, il y a trois ans, Leonardo
Garcia Alarcon, avec deux magni-
fiques cantatrices, y trouvait son
compte – et notre bonheur (Ricer-
car, cf. no 640). L’album de Philippe
Jaroussky reste en retrait par son
programme (ces pages sont parmi
les mieux connues) comme par son
interprétation.
La voix du contre-ténor, que l’on a
tant aimée, arbore un vibrato de plus
en plus envahissant, comme le ré-
vèle d’emblée l’« Ombra mai fu »
de Xerse (un clin d’œil à la célèbre
aria de Handel construite sur le même
livret de Minato). Révélée (avec tout
l’opéra) par René Jacobs en 1985,
cette page lumineuse y perd son
rayonnement, alourdie par une or-
chestration bavarde. L’ensemble
Artaserse fédère une pléiade de vir-
tuoses : ils multiplient pourtant les
fautes de goûts. La conclusion su-
raiguë du cornet dans l’aria guer-
rière de Statira agresse plus qu’elle
n’impressionne ; les arpègements
du clavecin sont aussi pesants que
des roulements de tambour dans
Eliogabalo, tandis que le continuo
entier tente d’improbables virages
harmoniques dans Erismena.

en studio • Victor Julien-Laferrière

• Philippe Bianconi renouvellera-t-il,
dans les douze Etudes de Debussy,
le miracle de ses Préludes ? La Dolce
Volta annonce également les Goyescas
de Granados par Jean-Philippe Collard
et les Sonates nos 16 et 17 de Schubert
par Philippe Cassard.
• Les concertos pour violon de Bach
en un double album bien rempli ?
Car Isabelle Faust ajoute aux trois
classiques autant de reconstructions,
deux sonates en trio et
des sinfonias de cantates.
Avec l’Akademie für Alte
Musik berlinoise (HM).
Et le même orchestre,
mais chez Pentatone,
a gravé la première moitié
de l’Opus 6 handélien,
apothéose du concerto
grosso.
entre chez Alpha en compagnie
sa mère, de 1963
à 1984, dans les
de Jonas Vitaud, avec la sonate villages du Dorset.
pour violoncelle de Rachmaninov Le Monteverdi
et celle de Chostakovitch Choir y reçoit un
– couplage périlleux s’il en est. bouquet a cappella
Le même éditeur annonce les balayant cinq
Variations Paganini et la Sonate siècles (SDG).
op. 5 de Brahms par le grand • Christophe
Nelson Goerner, on s’impatiente.
Rousset, après
• Le plus assidu des berlioziens, Les Danaïdes et Les Horaces, complète
avec John Eliot Gardiner, poursuit une trilogie Salieri avec Tarare,
patiemment son grand œuvre : sur un livret de Beaumarchais. En tête
John Nelson s’apprête à d’une distribution luxueuse, Gens,
graver La Damnation de Faust, Dubois, Bou et Van Wanroij (Aparté).
à Strasbourg, dans la lignée • L’un des saints les plus populaires
de ses Troyens, avec Joyce au Moyen Age était… Bouddha ?
DiDonato, Michael Spyres Nouvelle enquête érudite de Katarina
et Nicolas Courjal (Erato). Livljanic et ses fidèles de Dialogos,
Tandis que Gardiner fait revivre mise en lumière dans un CD doublé
l’esprit des représentations d’un ebook multimédia. Pour Arcana.
pascales qu’il organisait avec Gaëtan Naulleau

80 I
Le contre-ténor aborde avec un
bonheur variable les divers rôles
d’un même opéra. Pour La Calisto,
c’est d’abord le Satirino, aux traits
comiques grossis à l’excès. Endi-
mion, au caractère élégiaque, s’en
sort mieux. Marie-Nicole Lemieux
revêt les atours facétieux de la
nymph(oman)e Linfea : un rôle plu-
tôt destiné à un ténor aigu (mémo-
rables Hugues Cuénod, Gilles Ra-
gon et Alexander Oliver). La
contralto s’y trouve en mauvaise
posture vocale, entre graves poi-
trinés, stridences parodiques et vi-
brato outré.
Jaroussky est indéniablement plus
à l’aise dans le pathétique que dans
le comique. Il sait nous bouleverser
dans le poignant lamento d’Apollo
e Dafne ou dans le sublime air de
Giasone : l’accompagnement rede-
vient discret, le chanteur ne force
plus ses effets. Enfin, le programme
recèle deux pépites : deux duos avec
Emöke Barath, qui reprend avec
bonheur son rôle fétiche d’Elena
puis s’empare d’une des plus belles
pages d’Eritrea. Denis Morrier
Y Y Y Y « Missa 1660 ».
Missa Concertata.
Galilei Consort, Benjamin Chénier.
Château de Versailles Spectacle.
Ø 2018. TT : 1 h 09’.
TECHNIQUE : 3/5
Titre aguicheur
mais trompeur.
Cette « Grande
messe vénitienne
pour la paix
f r a n co - e s p a -
gnole de Louis XIV » n’est autre que
la célèbre Missa Concertata à huit
voix en double chœur, avec due vio-
lini, violoncino, ripieni e altri instru-
menti si piace, bien connue des mé-
lomanes. Publiée dans les Musiche
sacre de 1656, elle fut enregistrée
une première fois en 1959 par Um-
berto Cattini à Milan (Charlin), reçut
une exécution mémorable, le 13 mai
1966 en l’abbaye de Westminster,
sous la direction de Raymond Lep-
pard, qui fit aussitôt imprimer sa
partition (Faber). Depuis, elle a sé-
duit Hans Ludwig Hirsch (Telefun-
ken, 1976), Carlo Rebeschini (Rivo
Alto, 1990), Peter Holman (Hyperion,
1997). Et donc Benjamin Chénier,
un jeune violiste qui voit loin.
Sa lecture se distingue plus par la
qualité de ses instrumentistes que
par un contexte interprétatif très
hypothétique. En janvier 1660, du-
rant trois jours, l’ambassadeur de
France à Venise fête la signature de
la Paix des Pyrénées. Sous la direc-
tion de Cavalli, un Te Deum et une
messe à double chœur (laquelle ?)
sont donnés avec fastes à San Gio-
vanni e Paolo. Benjamin Chénier
propose, plus qu’une reconstitution,
une évocation : la Missa de 1656 est
environnée de motets, fanfares et
roulements de tambours pour illus-
trer a minima les festivités ponctuées
de coups de canons en 1660. Le
Galilei Consort réunit quelques poin-
tures  : Odile Edouard au violon,
Adrien Mabire au cornet, Freddy
Eichelberger à l’orgue…
Face à cet ensemble instrumental
homogène et rutilant (voire trop,
cf. la stridente conclusion du Lau-
date Jerusalem Dominum, aux li-
mites du bon goût), les huit voix
solistes paraissent plus disparates.
Si les ténors impressionnent par
leur vaillance et leur agilité, les so-
pranos (au vibrato parfois excessif)
manquent de velours (disgracieux
Riccardo Minasi
solo du Domine Deus) et les altos
de présence. Les fugues du Gloria
soulignent cette hétérogénéité de
timbres, de puissances et de tech-
niques. Une cappella de huit autres
photo © Harrison Parrott
chanteurs permet de redoubler les
chœurs, mais le plenum demeure
en deçà des trente chantres men-
tionnés en 1660. De fait, les
contrastes de masses et de textures,
les angles rythmiques et les cou-
leurs vives sont peu sollicités par
la direction de Chénier. Pour l’évo-
cation d’une action de grâces his-
torique, on pouvait espérer plus de
ferveur ! Denis Morrier
ERNEST CHAUSSON
1855-1899
Y Y Y Y Poème de l’amour et de la
mer op. 19*. Symphonie op. 20.
CD HMM 902633
Véronique Gens (soprano)*,
Orchestre national de Lille,
Alexandre Bloch.
Alpha. Ø 2018. TT : 1 h 07’.
TECHNIQUE : 4/5 J O S E P H H AY D N
Sept paroles
« Avec une grande
intensité d’ex-
pression  », in-
du Christ en croix
dique Ernest
Chausson aux
violons, en tête
du mouvement Très lent de sa sym-
Version pour orchestre
phonie (1891). Cette intensité, qui
signe toute sa musique, est préci-
sément ce qui nous manque malgré
harmoniamundi.com
Chédeville / Chopin / Chostakovitch / Corelli / Couperin / Debussy
les belles couleurs et les textures
désépaissies de l’orchestre lillois.
On aime la mise en valeur les pu-
pitres de bois, malgré quelques sou-
cis de mise en place dans les at-
taques. On regrette davantage que
les phrasés courts donnent aux
thèmes de la symphonie, même les
plus hymniques, des relents de chan-
son ou de comédie musicale, tandis
que le refus du drame au profit d’une
constante légèreté laisse flotter un
curieux air de détachement sur les
tempos retenus du finale.
Le timbre de Véronique Gens a ga-
gné de l’étoffe au fur et à mesure
de ses rôles sur scène, sans s’alour-
dir de métal. Sa belle souplesse,
un peu monochrome, renforce dans
un Poème de l’amour et de la mer
chéri des grandes voix cette même
impression (pour ne rien dire de
l’oubli des liaisons entre des mots
comme « vers elle », tic de la langue
du journalisme et de la variété). Le
début de La Fleur des eaux, allant,
trouve des lumières de marines
impressionnistes qu’on goûtera de
nouveau au début du dernier volet.
Mais bientôt, et comme dans la
symphonie, les rapports de tempos
sont trahis par le chef ; son souci
d’allègement peine à s’inscrire dans
une conception globale de la forme.
Quant aux visions spectrales de La
Mort de l’amour, elles abandonnent
toute noirceur symboliste dans ce
Poème dont le tragique est finale-
ment ramené au niveau du roman
bourgeois. Paul de Louit
NICOLAS CHÉDEVILLE
1705-1782
Y Y Y Y Y Le Printems,
ou Les Saisons amusantes
(d’après Vivaldi).
Tobie Miller (vielle à roue
et direction), Ensemble Danguy.
Ricercar. Ø 2018. TT : 51’.
TECHNIQUE : 4/5
Dès la publication
des Quatre Sai-
sons en 1725, la
France voue un
véritable culte à
Vivaldi, ou du
moins à son Printemps, jusqu’au
début du XIXe siècle. Louis XV veut
l’entendre toutes les cinq minutes ;
Corette, Rameau et Rousseau le pa-
raphrasent  ; les violonistes du
Concert Spirituel, de Guignon à Ga-
viniès, passent avec lui leur épreuve
du feu. On ne cesse de louer les
82 I
oiseaux, danses et autres états d’âme
de ce tableau sonore, qui devient
une référence rhétorique.
Les Saisons amusantes (1739) s’ins-
crivent dans cette vague d’hom-
mages. Nicolas Chédeville retravaille
plusieurs concertos du Cimento
dell’armonia e dell’invenzione (re-
cueil dans lequel furent publiées les
Saisons), qu’il mélange et adapte à
la palette des musiciens de rue, où
prédomine la vielle à roue, très en
vogue. L’Ensemble Danguy fait cré-
piter cette kermesse vivaldienne et
donne un poids et une cruauté que
l’excellent Palladian Ensemble (Linn)
n’avait pas su lire entre les lignes.
Tobie Miller, à la vielle, est impres-
sionnante, dans un cahier qui semble
composé sur mesure.
Certes, les oreilles chauffent et sa-
turent dans une écoute continue
et prolongée. Une telle profusion
d’harmoniques fatigue à la longue.
Dégustez avec modération, et voyez
comment la fantaisie de Vivaldi
s’adapte, sans rechigner, aux délires
d’un Français aimant les banquets
à grand feu. Olivier Fourés
FRÉDÉRIC CHOPIN
1810-1849
Y Y Y Y Y Nocturnes op. 15 no 1,
op. 55 nos 1 et 2, op. 62 nos 1 et 2.
Scherzo op. 54. Mazurkas op. 7
no 3, op. 24 no 4, op. 59 no 2,
op. 30 no 4. Ballade op. 23.
Garrick Ohlsson
(piano Erard de 1849).
Y Y Y Y Y Idem.
Garrick Ohlsson
(piano Steinway & Sons).
NIFC (2 CD séparés).
Ø 2017. TT : 1 h 01’, 1 h 04’.
TECHNIQUE : 4,5/5
Noir et blanc : même programme
sur piano ancien et sur Steinway,
comme les Nocturnes par Dang Thai
Son en 2010, pour le même Institut
Chopin de Varsovie. J’avoue que je
n’aurais pas misé un zloty sur l’album
noir de Garrick Ohlsson (Premier
Prix à Varsovie en 1970, à Montréal
en 1968 et à Bolzano en 1966, peu
connu chez nous, célèbre aux Etats-
Unis). Il ne s’agissait pas d’un pré-
jugé à l’égard de cet artiste améri-
cain, mais il a des paluches énormes
et n’est pas réputé pour être un
adepte du jeu sur les pianos anciens.
Martha Argerich et Nelson Goerner
étaient bien passés par là, et avaient
démontré qu’un pianiste doté d’une
vraie technique peut apprivoiser un
instrument au clavier à l’enfonce-
ment plus réduit que celui d’un piano
moderne, moins résistant aussi, dont
la table d’harmonie vibre plus libre-
ment sous son cadre de barres
d’acier vissées que sous un cadre
de fonte monobloc. Je doutais que
Garrick Ohlsson y parvint… J’avais
tort ! Désormais mon cœur balance
entre deux albums.
Commençons par le vieil Erard de
1849, splendidement enregistré.
Ohlsson en tire un son riche et sub-
til, articulé avec précision et grâce,
et ne le force jamais, même dans la
coda de la Ballade no 1. L’œuvre est
finement conduite, avec un jeu sur
les fondus-enchaînés aussi libre d’ap-
parence que contrôlé. Lui répond
une lecture tout aussi captivante sur
le Steinway « neuf », où le pianiste
organise avec soin sa palette, et nous
bluffe par son cantabile comme par
les déchaînements de violence
passagère.
On retrouve ce grand Chopin dans
chacune des pièces, même si j’en-
tends un peu plus de rusticité dans
les mazurkas. Certes, deux tendances
coexistent dans des œuvres où le
« folklore » – totalement inventé –
est prétexte à une riche élaboration
harmonique, polyphonique et ryth-
mique. Il est à noter que le Erard
pousse Ohlsson à des tempos un
poil plus alertes dans les nocturnes
(mais les deux Scherzo no 4 font ri-
goureusement la même durée). Il est
ainsi passionnant d’écouter le Noc-
turne op. 62 no  1 en 7’ 46’’ et en
8’ 25’’.
Dilemme… Le jeu magnifiquement
conduit d’Ohlsson, associé à sa
connaissance intime de la musique
de Chopin qu’il a gravée intégra-
lement, rend difficile de privilégier
l’une ou l’autre de ces deux publi-
cations. Mais bon, lecteur, si tu re-
cules encore devant l’achat d’un
disque enregistré sur un piano an-
cien, saute le pas : le Erard est
somptueux… Alain Lompech
ARCANGELO CORELLI
1653-1713
Y Y Y Concertos grossos op. 6
nos 4, 8 et 9. Sonates op. 5
nos 4 et 7.
Sara Campobasso (flûte),
Marco Scorticati (flûte et direction),
Estro Cromatico.
Arcana. Ø 2016. TT : 57’.
TECHNIQUE : 3,5/5
La vogue de la
flûte à bec en
Angleterre à la
fin du XVIIe siècle
et l’énorme pro-
duction de mu-
sique à l’intention des amateurs
éclairés a coïncidé avec l’extraordi-
naire engouement pour Arcangelo
Corelli. L’histoire rocambolesque
des transcriptions de l’Opus 5 (vio-
lon et basse continue) et des concerti
grossi (Opus 6) vers les flûtes est
admirablement détaillée dans la
notice, ainsi que l’épineuse ques-
tion de l’ornementation (Opus 5),
pour laquelle chaque éditeur se ré-
clamait le plus proche des pratiques
de Corelli.
Le groupe de ripieno, dans les
concertos, est ici réduit à un riche
groupe de continuo, une option tout
à fait défendable, même si les cordes
de La Pastorella donnaient plus
d’étoffe à la flamboyante proposi-
tion de Frédéric de Roos et Natha-
lie Houtman aux flûtes en 2004 (Ri-
cercar, Diapason d’or). La réalisation
des deux claviers et du théorbe
fonctionne à merveille. Avec une
violoncelliste inspirée, ils soulignent
les traits stylistiques indispensables
à l’esprit de cette musique et
soignent un beau travail sur la dy-
namique. Leurs couleurs rendent
justice à l’alanguissement sensuel
des adagios comme à la ferveur so-
laire des vivaces.
Les flûtes nous inspirent plus de ré-
serves. Le manque de soutien pré-
judiciable à l’intonation, les notes
longues sans direction sont des dé-
fauts rédhibitoires, qu’une orne-
mentation ingénieuse aurait pu ra-
cheter. Sensibles dans le Concerto
no  4 ou dans la courante du no  9,
ces faiblesses plombent le célébris-
sime no 8 « Pour la nuit de Noël »
dès une introduction prosaïque.
Retour conseillé à La Pastorella, d’un
niveau technique renversant.
Philippe Ramin
FRANÇOIS COUPERIN
1668-1733
Y Y Y Y Y Concerts royaux.
Les Talents Lyriques :
Stéphanie-Marie Degand (violon),
Georges Barthel (flûte),
Patrick Beaugiraud (hautbois),
Atsushi Sakaï (viole), Christophe
Rousset (clavecin).
Aparté. Ø 2015. TT : 1 h 02’.
TECHNIQUE : 4/5
Bande originale
du crépuscule
de Louis XIV (ils
furent régulière-
ment joués lors
des soirées d’ap-
partement en 1714 et 1715, devant
un comité très restreint), les Concerts
royaux se plient volontiers à toutes
sortes de dispositifs sonores : au cla-
vecin seul (Christophe Rousset les
gravait ainsi en 1994), par un dessus
et le continuo (par exemple la flûte
de Barthold Kuijken, en 2004), ou
déployés dans une palette violon-
flûte-hautbois, tantôt à l’unisson,
tantôt alternés. Jordi Savall et Mar-
tin Gester empruntaient cette der-
nière voie (qui semble avoir été celle
des « petits concerts de chambre ») ;
Les Timbres l’élargissaient encore,
avec un continuo très étoffé, dans
une mise en scène poétique et mul-
ticolore, saluée l’an dernier par un
Diapason d’or (cf. no 670).
Christophe Rousset joue à son tour
la carte des trois dessus, mais avec
un continuo minimal. Il tient la partie
de clavecin, Atsushi Sakaï celle de
viole, sans renfort de théorbe, de
basson ou de violoncelle. Ce qui re-
vient à laisser à nu, où presque, les
unissons périlleux de trois instru-
ments à la déclamation si différente :
ils doivent fusionner sur le plan de
l’intonation et du phrasé ornemen-
tal, gageure remportée haut la main
dans le Prélude du Premier Concert
puis la Chaconne légère du Troisième,
où le violon de Stéphanie-Marie De-
gand et le hautbois de Patrick Beau-
giraud parviennent à unir leurs indi-
vidualités avec la souplesse d’un
couple de danseurs.
La viole toujours somptueuse de
Sakaï se révèle aussi expressive dans
le Prélude du Quatrième Concert
que dans la délicate contrepartie
glissée par Couperin dans le Troi-
sième. Le continuo de Rousset éclaire
chaque inflexion, guide et propose,
s’efface ou relance les caractères
d’un théâtre intime. Une vocalité
expressive arrondit le rythme pointé
(Allemande du Quatrième) et allège
avec élégance l’inégalité de la Cou-
rante à l’italienne.
On cite souvent un Couperin aimant
davantage « ce qui me touche que
Nouveauté
DIMITRI CHOSTAKOVITCH intériorisée à un point tel que la texture
1906-1975 en devient transparente – mais pas apaisée
Quatuors à cordes nos 5 et 7. pour autant.
Quintette avec piano*. Le parcours du Quintette op. 57 semble,
Quatuor Artemis, une fois n’est pas coutume, limpide.
Elisabeth Leonskaja (piano)*. A égale distance de la concentration unitaire
Erato. Ø 2018. TT : 1 h 17’. des Prazak face à Koroliov (Praga, Diapason
TECHNIQUE : 4/5
d’or de l’année 2010) et des sophistications
captivantes des Belcea avec Anderszewski
M
arqué par un nouveau changement (Alpha, cf. no 670), Elisabeth Leonskaja et ses
de pupitre, le Quatuor Artemis new complices défendent une conception sobre
look a retrouvé bon nombre de ses et dynamique, d’une éloquence propice
qualités spécifiques. Anthea Kreston, à l’introspection. L’abstraction néoclassique
Gregor Sigl (arrivés en 2016), Vineta Sareika n’est pas leur propos ? Fort bien. La constante
(2012) et Eckart Runge (violoncelliste, fidèle clarté d’énonciation du quatuor est relayée par
au poste depuis les premiers pas de l’ensemble un piano décanté mais rayonnant. Ce qu’on
en 1989) ouvrent l’album sur l’intransigeant perd en expression chaleureuse, on le gagne
Quatuor no 5 en si bémol majeur (1952, soit peu en intelligence et en mystère. Les tensions
avant la Symphonie no 10). Aussi fouillée que accumulées dans la fugue (Adagio) et dans
celle des nouveaux Borodine dans leur récente l’Intermezzo sont partiellement résolues dans
intégrale (Decca, cf. no 675), la lecture fortement un finale déconcertant d’ambivalence, dont
architecturée des Artemis force l’admiration par la réjouissance n’est que de façade.
l’efficacité subtile des transitions Le Quatuor no 7 en fa dièse
et le contrôle de la respiration. mineur clôt un album idéal pour
Dans l’Allegro, les zigzags entre découvrir la meilleure musique
sonorités âpres, gestes lyriques de chambre de Chostakovitch.
(deuxième thème) et rythmes En 1960, cette partition
forcenés investissent toutes les souvent énigmatique rendait
teintes d’une palette splendide. un hommage à la première
Les Artemis nous entraînent peu épouse du compositeur.
à peu (Andante) dans un univers Interrogatifs, implacables,
irréel, où la violence innerve la les Artemis en soulignent
douceur. La valse cinglante du l’étrangeté mais aussi le lyrisme.
Moderato final voit sa tension Patrick Szersnovicz
ce qui me surprend », nul doute que piano moderne, sans doute aussi instant de son jeu. Elle ose prendre
le riche médium du violon uni au sub- son clavier n’est-il pas aussi mal- la parole, tout en se tenant loin de
til traverso de Georges Barthel aurait léable que celui d’un instrument la révérence comme de la licence.
su lui tirer des larmes (Sarabande, neuf, mais quelle palette naturel- Elle est juste libre. Les Cloches à
très tendrement). Philippe Ramin lement charmeuse  ! Véronique travers les feuilles sonnent joliment
Bonnecaze n’est bien sûr pas pour et La Lune descend sur le temple
CLAUDE DEBUSSY rien dans la beauté sonore de ce qui fut est mystérieuse, atmosphé-
1862-1918 disque Debussy. Parfois d’ailleurs, rique et quasi angoissante. Ses Pois-
Y Y Y Y Clair de lune. Images, on pourrait lui reprocher de se lais- sons d’or n’ont, en revanche, pas
Livre II. Préludes, Livre I. L’Isle ser dominer par la nature enjôleuse tout à fait la cambrure nerveuse et
joyeuse. La plus que lente. de l’instrument. Son Clair de lune frémissante attendue.
Véronique Bonnecaze (piano est un brin sentimental, mais écou- Finement caractérisés, les Préludes
Bechstein 1900). tez-moi cette fin iridescente… L’Isle s’enchaînent avec naturel. Véronique
Paraty. Ø 2018. TT : 1 h 14’. Joyeuse part sur les chapeaux de Bonnecaze y privilégie l’hédonisme
TECHNIQUE : 3,5/5 roue sans trop respecter à la lettre sonore que le Bechstein lui souffle
Quel beau Bechs- les gradations dynamiques, mais dans l’oreille : il y a dans ce jeu une
tein aux graves avec un tel dynamisme interne, une gourmandise pianistique réjouis-
profonds, jamais telle volonté d’aller de l’avant et de sante. Rien que pour cela, ce disque
empâtés, au mé- chanter que l’on accepte le parti est attachant. Alain Lompech
dium chantant pris d’une interprète qui a les moyens
sans métal, aux de son projet. Commandez vos disques sur
aigus un peu couverts mais si
tendres. Sans doute ce modèle de
Dans le second Livre des Images,
Bonnecaze a ce don de capter l’at-
cd.com
voir pages ▸ 111-112
1900 n’a-t-il pas le coffre d’un grand tention, de la retenir en chaque
I 83
Dohnanyi / Donizetti / Erlebach / Fauré / Feldman
ERNÖ DOHNANYI
1877-1960
Y Y Y Y Six Etudes de concert
op. 28. Suite dans le style
ancien op. 24. Six pièces op. 41.
Passacaille op. 6. Rondo alla
zingarese d’après Brahms.
Martin Roscoe (piano).
Hyperion. Ø 2018. TT : 1 h 21’.
TECHNIQUE : 2,5/5
Martin Roscoe
ouvre le qua-
trième volume
de son intégrale
Dohnanyi sur
une démonstra-
tion de dextérité. Six exercices tech-
niques centrés sur des difficultés
précises, certes, mais beaucoup de
véritable musique dès la mise en
doigts qui ouvre le cahier. Si Ilona
Prunyi (Hungaroton) enlevait d’un
souffle plus léger l’Etude no  2
(Presto), le Britannique fait de jolis
ronds dans l’eau dès que l’indica-
tion legato vient coiffer les vagues
de doubles croches de la no  3. Il
donne ensuite son étoffe lisztienne
à l’écriture de la sombre no 4 (Poco
maestoso), qui finit par s’étaler sur
quatre portées, puis anime les ar-
pèges de la no 5 avec une authen-
tique poésie. Le Capriccio final pa-
raît en revanche bien sage comparé
à l’ouragan qu’y déchaîne le jeune
Horowitz (Naxos).
Changement de décor avec la Suite
dans le style ancien, dont Roscoe
fluidifie Prélude et Menuet. Il laisse
chanter l’Allemande avec beaucoup
de grâce, mais ne se sert pas des
accents décalés pour désarticuler
la Courante comme l’auteur (APR).
La Gigue, solide sur ses bases, ne
court pas le risque de se prendre
les pieds dans une enfilade de
croches trop intrépides.
Si le pianiste rend à l’Impromptu et
à la Canzonetta de l’Opus 41 leur
charme délicat, son Scherzino passe
pour moins dégourdi que celui de
Sofja Gülbadamova (Capriccio, Cinq
Diapason). Un bémol immédiate-
ment balayé par des Cascades
(presque) aussi cristallines que chez
sa rivale russe. La profonde intros-
pection des Cloches (1945) n’em-
pêche pas une conclusion héroïque,
fier hommage du compositeur à son
fils mort dans un camp de prison-
niers soviétique.
Si la transcription du Rondo alla
zingarese du cher Brahms manque
ici de folie, Roscoe bâtit une
84 I
Passacaille robuste mais jamais pe-
sante et, c’est là tout l’enjeu, tou-
jours expressive. Une version à clas-
ser à la hauteur de celle de Daniel
Röhm, superbement éloquente elle
aussi (CPO). Nicolas Derny
GAETANO DONIZETTI
1797-1848
Y Y Y Y Y Messa di Requiem.
Carmela Remigio (soprano),
Chiara Amaru (alto), Juan
Francisco Gatell (tenor), Andrea
Concetti, Omar Montanari
(basses), Chœur et Orchestre
Donizetti Opera, Corrado Rovaris.
Dynamic. Ø 2017. TT : 1 h 09’.
TECHNIQUE : 2,5/5
Donizetti a aussi
donné dans la
musique sacrée,
ce qui lui valut,
en 1842, son titre
de Hofkapell-
meister de la cour autrichienne. Sur
une centaine d’œuvres, on retient
avant tout la Missa di Requiem com-
posée en 1835 à la mémoire de Bel-
lini qui venait de mourir. Ambitieuse
et inachevée (plus d’une heure de
musique sans Sanctus ni Agnus Dei),
l’œuvre oscille entre la tradition na-
politaine, Mozart et une théâtralité
très attendue : le Requiem et le Kyrie
ressortissent à la musique d’église,
la Séquence du Dies irae nous rap-
proche de la scène. Révélant un
maître sûr de ses effets, avec les
timbales ou les cuivres obligés pour
le Jugement dernier, la musique
s’adapte en général à son objet,
comme dans les plaintes de l’Inge-
misco ou du Lacrymosa, mais devient
moins crédible pour le Judex ergo,
qu’on croirait un peu trop chanté
par deux personnages d’opéra – ou
l’Offertoire… qui sent la sérénade.
Il n’empêche  : l’ensemble a du
souffle et mérite une place au rayon
des curiosités.
Plusieurs fois enregistrée après sa
redécouverte par le musicologue
Vilmos Lesko (le disque de Gerhard
Fackler affiche même Luciano Pava-
rotti et Renato Bruson), la partition
est flattée ici par la direction à la
fois énergique et unitaire de Cor-
rado Rovaris, à la tête d’un orchestre
et d’un chœur enthousiastes. On
regrette seulement une prise de son
trop réverbérée – il s’agit d’un
concert capté à la basilique Santa
Maria Maggiore de Bergame, où fut
créé ce Requiem en 1870.
Parmi les cinq solistes, les hommes
(dont deux basses) se taillent la part
du lion. On n’en repère pas moins,
très vite, le vibrato de Carmela Re-
migio. Juan Francisco Gatell est très
stylé, Omar Montanari en impose
dans les solos de la première basse.
Didier Van Moere
PHILIPP HEINRICH
ERLEBACH
1657-1714
Y Y Y Y Six sonates pour violon,
viole de gambe et basse continue.
L’Achéron : Marie Rouquié
(violon), Yoann Moulin (orgue et
clavecin), Miguel Henry (archiluth),
Sarah Van Oudenhove (basse de
viole), François Joubert-Caillet
(basse de viole et direction).
Ricercar. Ø 2018. TT : 1 h 09’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Tragédie hélas
courante dans
l’histoire de la
musique, l’incen-
die de la biblio-
thèque de Ru-
dolstadt a détruit en 1735 la majeure
partie des opéras, cantates sacrées
et pièces chambristes de Philipp
Heinrich Erlebach, deux décennies
après sa disparition. C’est donc par
sa musique imprimée que nous pou-
vons lui rendre la parole : il publiait
en 1694 un cahier de six sonates
pour violon, viole et continuo – dis-
position très appréciée dans le nord
de l’Allemagne, illustrée la même
année par le génial Opus 1 de Bux-
tehude. Le dessin mélodique, sou-
vent nerveux et très détaillé dans
les courantes, invite aussi à des
échappées vers le rêve et l’intros-
pection (finale en la majeur ou l’Af-
fettuoso en ré). Erlebach exploite
les possibilités concertantes du vio-
lon face à la viole, et joue parfois
de leur fusion, comme dans la belle
sarabande variée en mi.
Le violon de Marie Rouquié assume
l’essentiel d’un discours que pro-
longe l’ingénieux Yoann Moulin aux
claviers. Curieusement, la viole de
François Joubert-Caillet demeure
en retrait, aussi bien en densité so-
nore que dans la direction du
phrasé. Cette prise de parole iné-
gale peine à dessiner les caractères
et les changements de couleurs
saisissants que la partition indique
sans ambiguïté. On trouvera davan-
tage d’éloquence, de sens drama-
tique et de magie dans les trois
sonates retenues par Stylus Phan-
tasticus (Alpha, 2001) et l’intégrale
de Rodolfo Richter (Linn, 2005).
Philippe Ramin
GABRIEL FAURÉ
1845-1924
Y Y Y Y Les treize nocturnes.
Eric Le Sage (piano).
Alpha. Ø 2018. TT : 1 h 12’.
TECHNIQUE : 3/5
Après une inté-
grale du Fauré
chambriste (cinq
CD enregistrés
entre 2010 et
2012 et réunis en
coffret, cf. no  642), Eric Le Sage
aborde l’œuvre pour piano solo par
le versant des Nocturnes. Ces treize
bijoux d’introspection, le compo-
siteur les a égrenés sur un demi-
siècle. L’interprète donne pourtant
le sentiment de les embrasser dans
un même geste, où l’élégance et la
retenue expressive souffrent peu
de compromis. Il rapproche de la
Ballade (1879) les trois premiers
(1875-1883), où il ne papillonne pas
comme Collard, et marque moins
l’empreinte de Chopin que Jean-
Michel Damase – l’intégrale de ce
dernier, gravée en 1956 et rééditée
par Accord, demeure un modèle
d’intensité poétique. Le Sage reste
timide dans l’épisode central du no4,
le privant d’une part de sa sensua-
lité ; quel contraste avec Damase,
qui y respire davantage, chante
« toutes voiles dehors » (précepte
énoncé par son professeur Margue-
rite Long) pour lui donner le carac-
tère d’un aveu plein de fièvre.
La « chanson bien douce » (Long)
qui traverse le no 6 est, elle, magni-
fiquement sentie. Dans la plainte
du no 7 (1898), Le Sage presse légè-
rement le pas ; sa dynamique res-
serrée (Damase, là encore, soulignait
davantage les f et ff de la partition)
le montre moins exalté que rêveur,
déterminé à chasser la tristesse qui
ombre la dernière partie et s’éva-
pore dans les ultimes gammes fu-
sées. En effleurant les « espressivo »
du tendre no  8 (1902), il prépare
l’épure du no 9, au relief finement
dessiné, et la résignation qui clôt
le no  10 (1908). L’élégiaque no  11
(1913) gagne la pâle douceur d’une
page de Satie, c’est très bien vu.
Le dernier des treize (1921) apparaît
ici davantage secoué par le doute
que par la souffrance dans son
passage central (allegro, plus tem-
pétueux chez Damase). Il se referme
pp, apaisé, tourné vers l’espérance.
François Laurent
Y Y Y Y Y Requiem (version
1893)*. POULENC : Figure
humaine. DEBUSSY : Trois
chansons de Charles d’Orléans.
Roxane Chalard (soprano)*,
Mathieu Dubroca (baryton)*,
Ensemble Aedes, Les Siècles*,
Mathieu Romano.
Aparté. Ø 2018. TT : 59’ .
TECHNIQUE : 3/5
Si le Requiem de
Fauré domine la
couverture de
ses larges carac-
tères, ce sont les
œuvres de Pou-
lenc et Debussy, deux compositeurs
de chevet de l’ensemble Aedes, qui
font en vérité le prix d’un triptyque
inégal. Enregistrée en studio (tan-
dis que Fauré a été capté live), la
cantate Figure humaine complète
les pièces de Poulenc égrenées dans
les quatre volumes de « Ludus Ver-
balis ». Elle baigne dans la clarté,
avec des palpitations (Riant du ciel
et des planètes) et des élans (Liberté)
soigneusement dessinés.
A la ferveur surréaliste d’Eluard ré-
pondent les vers ciselés par Charles
d’Orléans. Mathieu Romano avait
placé les Trois chansons de Debussy
en ouverture de son premier opus
discographique : celles qui refer-
ment le nouvel album s’appuient
non sur la partition éditée après ré-
vision (1908) mais sur une première
version manuscrite des deux volets
extrêmes (1898). Un inédit, qui
montre comment Debussy va étof-
fer sa polyphonie. Pas d’ornemen-
tation ici, par exemple, sur « belle »
au deuxième vers de Dieu qu’il la
fait bon regarder ! Et Romano rend
à un ténor la partie soliste de J’ai
ouy le tambourin – que le compo-
siteur confiera ensuite à une mezzo.
Là encore, le niveau du chœur fran-
çais impressionne par une fermeté
d’accents et de lignes… qui peine
à investir les vastes perspectives du
Requiem de Fauré, pourtant moins
exigeant à bien des égards.
Dans la notice, le chef signale trois
particularités de sa version, captée
en concert à l’abbatiale de Lessay.
Trois particularités qui la distinguent
de la gravure de Philippe Herre-
weghe en 1988, première illustration
de l’effectif léger de 1893 (violon
solo, six altos, quatre violoncelles,
deux contrebasses, deux cors et
trompettes, trois trombones, harpe,
timbales et orgue). Les trente voix
d’Aedes recourent à la prononcia-
tion du latin à la française (« sanc-
tusse », « séli movindi sonte », comme
dans le premier enregistrement en
1930), font sortir de leurs rangs les
deux voix solistes – simplicité oblige
– et invitent les instruments anciens
des Siècles.
Le chef, désireux de mettre l’accent
sur la « dramaturgie de l’œuvre »,
imprime un relief saisissant à l’Agnus
Dei. L’imploration et ses sursauts
d’inquiétude (cet effet loupe des
ténors sur « pius » !) encadrent un
superbe rai de lumière sur « lux ae-
terna ». Les instruments anciens
apportent du caractère : on goûte
le grain des cordes dans l’Offer-
toire (suppliantes dans le Domine,
elles s’apaiseront dans la prière de
l’Hostias), leurs sonorités d’harmo-
nium dans l’In Paradisum. Et le mor-
dant des cuivres, épousant les
contrastes de nuances du Libera
me, y prolongent habilement la
plainte du chœur. Mais les mots
gagneraient çà et là à plus de poids
et à des angles plus saillants – le
défaut pèse aussi sur la soprano
soliste, dépassée dans le Pie Jesu.
Retour à Debussy et Poulenc.
François Laurent
MORTON FELDMAN
1926-1987
Y Y Y Y Y String Quartett
& Orchestra. Oboe & orchestra.
Atlantis.
Han De Vries (hautbois),
Quatuor Pellegrini Quartett,
Orchestre symphonique de la
Radio de Francfort, Lucas Vis.
Hat Hut. Ø 1997. TT : 54’.
TECHNIQUE : 4/5
Parce qu’il est at-
tractif, le titre de
l’œuvre la plus
ancienne, Atlan-
tis (1959) a été
mis en exergue.
Il est vrai qu’elle sonne aussi déli-
cieusement que ces trois syllabes.
Mais, s’agissant d’une composition
graphique telle qu’il en fleurissait à
la fin des années 1950, où les inter-
prètes disposent d’une grande marge
de liberté dans le choix des hauteurs
et des durées pour réaliser les cou-
leurs sonores suggérées par l’auteur,
Franck / Gipps / Gorecki / Graupner

elle ne lui ressemble guère. Vite déçu
de voir fleurir des marguerites où il
attendait des œillets, Feldman revint
à la notation traditionnelle, en dépit
de son défaut inverse : indiquer ce
qu’il faut faire en laissant le résultat
à la merci d’exécutants de plus en
plus privés d’initiatives.
Tout aussi atypique, mais primor-
dial, Oboe & Orchestra (1976) frappe
par son agressivité imprévue et un
lyrisme exacerbé. Merveilleux
dans  l’orchestre, le timbre du haut-
bois perd de son pouvoir d’attrac-
tion quand il s’expose trop long-
temps au premier plan. Feldman
a choisi de caresser l’auditeur à
rebrousse-poil, privilégiant dès
l’abord le registre supérieur (jusqu’au
contre-si bémol) de plus en plus
tendu. Des attaques gémissantes
et des stridences, en contrepoint
d’un orchestre presque atone, créent
une sensation de vide abyssal. On
se risquera à y entendre l’expres-
sion d’une douleur qui n’éveille alen-
tour que de rares échos compatis-
sants  (?) sur fond d’indifférence
placide. Stupéfiante, la maîtrise
d’Han De Vries s‘efface derrière son
engagement.
Dans String Quartett & Orchestra
(1973) tout n’est, en comparaison,
que « luxe, calme et volupté », jeu
d’échange de tessitures, de textures, RUTH GIPPS
de grain, entre les sections ou les 1921-1999
solistes de l’orchestre et les membres Y Y Y Y Symphonies nos 2 et 4.
du quatuor à cordes, bref de la ma- Knight in Armour. Song for
gie à l’état pur que la direction ex- Orchestra.
perte de Lucas Vis fait jaillir dans Orchestre national de la BBC
un équilibre souverain. L’oreille ne du Pays de Galles, Rumon Gamba.
se lasse pas, une demi-heure durant, Chandos. Ø 2018. TT : 1 h 09’.
d’admirer ces moirures. TECHNIQUE : 4/5
De prime abord (c’est la plage 1) la Totalement incon-
conviction du chef-d’œuvre s’impose, nue en France,
reléguant au rang de curiosité as- oubliée dans son
tringente Oboe & Orchestra qui, au propre pays,
terme de plusieurs écoutes, se ré- Ruth Gipps fut
vèle pourtant la page maîtresse de une personnalité
l’album. Un sommet peut en cacher déroutante mais un modèle de la-
un autre. Gérard Condé beur et d’intégrité. Compositrice,
hautboïste, pianiste, pédagogue

Nouveauté et imprésario anglaise, cet ex-en-

CÉSAR FRANCK
1822-1890
Prélude, choral et fugue.
Prélude, aria et finale.
Quintette pour piano et cordes*.
Prélude, fugue et variations
(Prélude, transcr. Bauer-Dalberto).
Michel Dalberto (piano Bösendorfer),
Quatuor Novus*.
Aparté. Ø 2018. TT : 1 h 19’.
TECHNIQUE : 4,5/5
Enregistré en public à la Salle philharmonique de
Liège par Maximilien Ciup et Gaëtan Juge en octobre les géniaux Alfred Cortot et Blanche Selva,
2018. Très belle restitution des timbres et de la
dynamique pour ce Bösendorfer Vienna Concert 280.
Dans le quintette, l’image ample du piano s’oppose
avantageusement aux matières plus rugueuses du
quatuor à cordes, enregistré en grande proximité.
fant prodige, élève de Gordon Ja-
cob et de Ralph Vaughan Williams,
des contrebasses agiles. Ainsi la tension dut, sa vie durant, déployer tout
se renouvelle sans cesse. La puissance et une gamme d’activités pour s’affir-
l’indépendance des timbres, à la main gauche, mer, tant la discrimination à l’égard
sidèrent plus d’une fois : on la dirait alors jouée des femmes était alors criante dans
par un autre pianiste ! le domaine musical. Au dernier soir
La manière dont l’interprète, qui manie une des Proms 1942, la création par
dynamique grandiose, amène la superposition Henry Wood de son poème sym-
des thèmes à la fin de la Fugue, cette façon phonique Knight in Armour (1940)
qu’il a de prendre son temps pour faire tout assura d’un coup sa réputation, et
entendre, resteront dans les annales. L’autorité sa Symphonie no 2 en un seul mou-
avec laquelle il renouvelle notre écoute, après vement (1945) marqua les débuts
de son style de maturité.
après les merveilleux Stephen Hough D’abord influencée par Sibelius,
(Hyperion), Murray Perahia (Sony) et Bertrand Walton, Vaughan Williams et la tra-
Chamayou, transfigure également le redoutable dition pastorale anglaise, sa musique
Prélude, aria et finale : Dalberto fuit le ton se singularise par sa vitalité et une
épique et l’élévation religieuse pour se risquer utilisation remarquablement habile
dans des contrées étranges et farouches. des couleurs instrumentales. Certes,

C’
est moins à l’orgue qu’à un
orchestre imaginaire que l’on pense
en écoutant ce Prélude, choral
et fugue : lecture plus magistrale
que sulpicienne dans son premier volet, plus
terrassante qu’implorante dans le deuxième,
plus démiurge que chantant victorieusement
dans le dernier. Jamais je n’ai entendu ce
triptyque ainsi « dirigé » devant le clavier, jamais âpre, plus grand, quasi désespéré – et
la mise en espace des lignes enchevêtrées n’a
bénéficié d’une telle science de la polyphonie
et des couleurs.
N’hésitant pas à décaler parfois
les deux mains, voire à très
légèrement arpéger, Michel
Dalberto excelle à faire durer
le son en trompe-l’œil – et cela
sans complaisance hédoniste.
Quand il déclame les accords de
la main droite, c’est beaucoup
moins pour des raisons
expressives triviales que pour
relancer le discours, tandis
que la gauche l’appuie comme PLAGE 2 DE NOTRE CD
Un autre César Franck se profile ici.
Partagé avec les quatre Coréens, bardés
de prix, du jeune Quatuor Novus, le Quintette
prolonge ce style plus magistral qu’émouvant
au premier abord. Nous voici aux antipodes
des suavités séraphiques et des élans
chaleureux qui unissaient Catherine Collard
au Quatuor Orlando (Lyrinx), tout ici est plus
finalement apaisé par le premier volet de
Prélude, fugue et variations.
Un mot du piano, le nouveau
Bösendorfer de 2,80 m.
L’instrument ne retrouve ni
l’ineffable tendresse et le fondu
sonore que possédait le modèle
Impérial jusque dans les années
1970, ni la rondeur et le timbre
malléable d’un Steinway,
il sonne un peu « vieux »,
un peu sec aussi, mais avec
une profondeur de timbre
qui colle à l’art du pianiste.
Alain Lompech
son écriture s’avère moins auda-
cieuse que celle de bon nombre de
ses contemporains britanniques –
Gipps rejetait farouchement l’avant-
garde et la musique sérielle.
Rumon Gamba et le BBC National
Orchestra of Wales défendent éner-
giquement la Symphonie no 4 (1972),
une de ses meilleures œuvres. Ar-
thur Bliss, à qui elle est dédiée,
l’admirait profondément. A la fois
austère et foisonnante, la partition
est traversée par un frémissement
de vie qui, tout en s’exaltant et
s’exaspérant sans cesse, ménage
des séquences lyriques d’une rare
inspiration mélodique.
Knight in Armour et le bref Song
for Orchestra (1948) n’offrent ni la
même qualité de substance, ni la
même finesse dans la registration
des timbres, malgré des accents
cuivrés et de riches solos de bois.
En quelque vingt minutes, la Sym-
phonie no  2 reflétait, en 1945, la

86 I
victoire des forces alliées. Gamba
soigne autant l’héroïsme rutilant
des pages de circonstance que les
séquences élégiaques et les élans
romantiques plus personnels de
Gipps, jusqu’à l’optimiste conclu-
sion. Patrick Szersnovicz
HENRYK GORECKI
1933-2010
Y Y Y Y Quatuors à cordes
nos 1 « Already it is Dusk »
et 2 « Quasi una fantasia ».
Genesis I : Elementi.
Quatuor Tippett.
Naxos. Ø 2017. TT : 1 h 01’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Traduit avec une
vive acuité par le
Quatuor Kronos
en 1990 (None-
such), puis dans
un grand raffine-
ment par le Royal String Quartet
(Hyperion, cf. no  591), le Quatuor
no  1 reçoit une lecture limpide et
acérée sous les archets du Quatuor
Tippett. Ils lui offrent une belle ri-
gueur dynamique, en exact rapport
avec la nature de cette partition où
se reflète, en 1988, l’évolution d’un
compositeur moins préoccupé par
les spéculations sur la matière so-
nore qu’avide de tension émotion-
nelle. On a parlé de nihilisme à pro-
pos de ces quinze minutes d’un seul
tenant, sous-titrées «  Il fait déjà
sombre ». Elles semblent jouer seu-
lement sur deux registres alternés,
une phase lente, évanescente, néo-
modale, et une autre plus homo-
phone, rythmique, massive. Mais la
puissance indéniable de ces
contrastes extrêmes va de pair avec
une certaine sophistication (dans le
traitement polymodal dissonant du
canon des sections lentes). Sa fer-
veur un peu sauvage rappelle le
Gorecki des années 1960, icono-
claste, radical, postsériel, ultra-avant-
gardiste, proche de Xenakis et du
premier Penderecki.
Plus ample (trente-trois minutes), le
Quatuor no 2 (1991) retrouve le même
type de sonorités, de procédés et
d’ambiances, mais il est loin d’avoir
la même efficacité ou la même co-
hérence interne. Une musique pla-
nante, inspirée de l’ancienne liturgie
catholique polonaise, dialogue ici
avec une musique abrupte, plus ou
moins issue de chants populaires.
Malgré le soin et le raffinement ap-
portés par les interprètes aux
passages « religieux » et statiques,
d’une réelle beauté dans les pre-
mières mesures, il s’en faut de beau-
coup que cette œuvre monotone
possède le même attrait que le qua-
tuor précédent.
Entre les deux, le primarius, l’altiste
et le violoncelliste du Quatuor Tip-
pett donnent une vision à la fois
solaire et dépouillée de Genesis I :
Elementi (1966), douze minutes d’une
trajectoire pure, dure, incandes-
cente, qui enrichit sensiblement le
répertoire étroit du trio à cordes.
Patrick Szersnovicz
CHRISTOPH GRAUPNER
1683-1760
Y Y Y Y Y Ouvertures pour
traverso GWV 322 et deux
traversos GWV 470. Concertos
pour deux trompettes GWV 318
et pour deux hautbois GWV 342.
L’Arpa Festante, Rien Voskuilen.
Accent. Ø 2017. TT : 1 h 13’.
TECHNIQUE : 4/5
La discographie
de Graupner, ra-
chitique il y a
seulement vingt
ans, s’amplifie à
un rythme ré-
jouissant. Les années 2000 fêtaient
sur le compositeur pour clavecin
(cycle de Geneviève Soly, Analekta)
et levaient le voile sur ses musiques
pour orchestre (trois formidables
albums de Siegbert Rampe, MDG).
La cadence s’est accélérée depuis
2011, avec la redécouverte de sa
production vocale – confirmation
d’un contrapuntiste virtuose et d’un
rhétoricien ingénieux. Avec deux
Ouvertures à la française et deux
concertos à l’italienne, le programme
de Rien Voskuilen nous ramène à
l’orchestre, dans lequel une paire
de souffleurs (hautbois, flûtes ou
trompettes) a l’occasion de briller
face aux cordes. Mais une flûte suf-
fit dans la Suite en la mineur qui
ouvre l’album, et présente de trou-
blantes analogies avec la Suite
BWV 1067 de Bach.
L’un des défis de cette musique,
souvent flatteuse par ailleurs, est
de rendre justice à une écriture
jouant parfois sur la couleur sans
mouvement harmonique particulier,
ou au contraire sautant d’une idée
à l’autre et bousculant les conven-
tions. La virtuosité de L’Arpa Fes-
tante, notamment de ses cordes,
permet de réaliser des plans sonores
Handel / Hausegger / Haydn
judicieux. Le claveciniste finlandais
sait faire chanter une sarabande,
fût-elle de forme irrégulière (sara-
bande en écho en sol mineur). Les
gigues sont souples et fluides, le
souci du détail dans l’exécution ryth-
mique (Ouverture pointée) et la va-
riété des longueurs d’archet (fugato
de l’Ouverture en la) attestent un
travail de fond.
On se laisse alors volontiers séduire
par ce Contentement, où les piz-
zicatos entourent une flûte à l’élo-
quence raffinée dans le style ga-
lant  ; on apprécie la noblesse
ostentatoire du Concerto pour deux
trompettes, dont le mouvement lent
présente une originale transition
cadentielle. Les pièces secondaires
comme la Plaisanterie et la Réjouis-
sance sont traitées avec un sens
rhétorique remarquable, de même
que les étranges Menuets et Rigau-
don (dont les contours mélodiques
auraient sans doute séduit le Ra-
meau des Boréades) invitent à la
danse et à la fête. Philippe Ramin
GEORGE FRIDERIC HANDEL
1685-1759
Y Y Acis and Galatea.
Jeremy Budd (Acis), Grace
Davidson (Galatea), Stuart Young
(Polyphemus), Mark Dobell
(Damon), Simon Berridge (Coridon),
The Sixteen, Harry Christophers.
Coro (2 CD). Ø 2018. TT : 1 h 29’.
TECHNIQUE : 3/5
Comme Christian
Curnyn il y a six
mois (cf. no 671),
Harry Christo-
phers célèbre les
trois siècles
d’une pastorale anglaise longtemps
plus estimée que le meilleur opéra
italien. Même chef-d’œuvre, même
version originale à cinq voix (1718),
même limpidité. Les principales dif-
férences semblent tenir au nombre
d’instrumentistes (quinze là, neuf ici)
et au choix des solistes, handéliens
aguerris chez Curnyn, madrigalistes
anonymes chez son rival. Mais ce
qui distingue la version nouvelle est
en réalité son absence de tout ca-
ractère, presque un manifeste de
l’abstraction. Galatée chante sa joie
et sa peine sans s’émouvoir, comme
un treble boy réciterait le bénédi-
cité. Les trois ténors se confondent.
Le cyclope est aussi effrayant qu’un
professeur de pipeau.
Sans contrebasse ni basson, le
88 I
groupe instrumental ne joue pas
toujours juste, mais toujours mince.
Rien n’arrive, ni action ni contem-
plation. Platitude inouïe, observée
d’un bout à l’autre avec une rigueur
qui inspire le respect. Une nouveauté
cependant : la harpe rejoint la basse
continue, sans doute parce que Han-
del l’emploie dans Esther, masque
sacré contemporain de notre masque
profane et destiné au même (futur)
duc de Chandos. N’ayez pas peur,
on la remarque à peine vers la fin,
et ses doux accords sont exquis.
Ivan A. Alexandre
Y Y Y « Mio caro Händel ». Airs
de Rinaldo, Teseo, Amadigi, Giulio
Cesare, Rodelinda, Lotario, Serse,
Deidamia, Il trionfo del Tempo,
La resurrezione, Athalia, Saul,
The Triumph of Time and Truth.
Air allemand « Süsse Stille ».
Simone Kermes (soprano),
Amici Veneziani, Boris Begelman.
Sony. Ø 2018. TT : 1 h 19’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Dix ans après « La
Diva  » (Berlin
Classics), Simone
Kermes dédie un
second récital à
Handel, compo-
siteur qu’elle a tant servi seule, en
duo (avec Maite Beaumont, avec
Vivica Genaux) ou en compagnie
(Rodelinda, Lotario, Deidamia, plu-
sieurs oratorios). Il ne s’agit pas cette
fois d’un portrait (la prima donna
Cuzzoni en 2008) mais bien d’une
dédicace, d’une lettre adressée à
« mio caro Händel » dont elle est
« tombée amoureuse » à l’âge de
quatorze ans lorsqu’elle découvrit
à Leipzig son air allemand « Süsse
Stille », et devant qui « avec humi-
lité » elle s’« agenouille ». Lettre
d’amour doublée d’une autobiogra-
phie puisque la soprano saxonne a
déjà enregistré la plupart des œuvres
inscrites au programme du nouveau
florilège. Amour sincère que tra-
duisent de longues lignes sur le
souffle, des ornements généreux
(ce fameux contre-ré…), un choix
très large (cinquante ans séparent
le Trionfo romain du Triumph lon-
donien), et jusqu’à la fondation des
Amici Veneziani – poignée de so-
listes germano-latins, allegro furioso,
largo lentissimo, presque rien entre
les deux.
Toujours ces vocalises murmurées,
ce trille absent, cet italien vaporeux,
cet anglais exotique, ce micro collé
aux lèvres, et le paradoxe d’une voix
légère éblouie par l’inaccessible tra-
gédie. Pas plus de rage à cette Mé-
dée (Teseo) que de larmes à cette
Rodelinda (« Se’l mio duol non è si
forte »). Zerbinette ne sera jamais
Ariane, aujourd’hui comme hier ce
délicieux fil di voce se refuse aux
élans seria. Il n’en reste pas moins
à la fois précieux et cultivé, abso-
lument original. Et « Süsse Stille »
est un baume. Inutile de dire que
les fans ne se sentiront pas floués.
Ivan A. Alexandre
Y Y Y Y 6 Sonates pour flûte à bec
HWV 360, 362, 365, 367, 369
et 377.
Stefan Temmingh (flûtes),
Wiebke Weidanz (clavecin).
Accent. Ø 2018. TT : 1 h 03’.
TECHNIQUE : 4/5
Avant la Sonate
en fa, nos duet-
tistes impro-
visent un bref
Flourish – bou-
quet, arabesque,
fioriture. Mais l’album tout entier
devrait s’intituler « Flourish ». Orne-
ments à foison, trilles, gammes,
appuis, retards… l’artifice règne en
seigneur intraitable. On s’étonne,
dans le fiévreux échange qui sert
de notice, d’entendre le flûtiste as-
surer que « c’est justement dans la
“simplicité des sonates” que réside
leur virtuosité ». Car ces phrases
ingénieuses ne cherchent ni le
simple ni le naturel, mais le théâtre.
Théâtre confirmé par le clavecin
seul (sans théorbe ni archet), qui
instaure un dialogue constant avec
le soliste. Virtuosité, maîtrise à tous
les étages, jusque dans un Andante
(HWV 367) au jeu de luth « landows-
kien », sur les pointes et carrément
drôle. Ne comptez pas sur Stefan
Temmingh pour laisser chanter telle
sicilienne, tel adagio : il lui faut des
cascades, des obstacles. Des kaléi-
doscopes (concertos de Vivaldi,
Diapason d’or en février 2018) plu-
tôt que des paysages.
Pareil triomphe de la volonté sur
l’abandon devrait lasser. S’il nous
tient en haleine, c’est parce qu’à la
force et à la science, les compères
ajoutent un art délicieux. L’art du
son. Son franc et chaud des trois
flûtes (toutes trois d’après le facteur
français émigré à Londres Peter
Bressan), son vigoureux et fantasque
d’une copie de Taskin 1769. Curio-
sités musicales, les six sonates et
leurs préludes facétieux sont six
phénomènes sonores. Singuliers.
Ivan A. Alexandre
SIEGMUND
VON HAUSEGGER
1872-1948
Y Y Y Y Y Lieder.
Roman Trekel (baryton),
Cord Garben (piano).
CPO. Ø 2010. TT : 1 h 08’.
TECHNIQUE : 4/5
« Un mélange au-
thentiquement
allemand
d’âpreté et de
tendresse », écri-
vait en 1905 Her-
mann Bischoff à propos des lieder
de Hausegger. Longtemps occultée
par sa figure de chef défenseur de
Bruckner (il fut le maître d’Eugen
Jochum), sa production revit au-
jourd’hui grâce à CPO, notamment
l’étonnante Natursymphonie (cf.
no 559) et les Hymnes à la nuit pour
baryton et orchestre (cf. no  663).
Deux de ces derniers se retrouvent
dans le programme de lieder avec
piano parfaitement organisé par
Roman Trekel, et concentré sur la
période 1896-1900. Hormis Glaube
nur ou Ekstase (dédié à Ernestine
Schumann-Heink), on est loin du
lyrisme de Strauss, mais bien plutôt
entre Brahms et Pfitzner.
Profondément contemplative de la
nature et des éléments (les poètes
suisses Gottfried Keller et Conrad
Ferdinand Meyer y pourvoient à
merveille), cette musique se montre
d’une économie propice au mystère
(Siehst du den Stern) et d’une finesse
altière (harmonies, emplois de l’os-
tinato au clavier). Hausegger sait
aussi construire des arches d’une
violence contenue (Schwüle au bord
de l’effroi, Winter). Après la version
de Brahms, Über die Haide saisit
par le pas puissant de son déses-
poir, mais Hausegger cultive autant
la fraîcheur de ton du Volkslied, mâ-
tinée d’accidents (Genug). Séduc-
tion totale avec l’élégie semi-bur-
lesque sur la mort d’un petit cochon
(Mein Schweinchen) et plus encore
avec l’humour piquant de Der Teufel
ist fort, qui soutient la comparaison
avec Hugo Wolf.
L’interprétation sert exemplairement
l’expressivité et les caractères propres
à ces lieder. Le grain terrien, les
coloris mâles de Roman Trekel ne
seraient rien sans une fermeté de la
phrase et du contrôle dynamique
qui s’ajustent toujours la structure
et au climat des poèmes, avec une
éloquence sans ostentation. Même
vertu de rigueur chez Cord Garben,
qui sait combien ces fruits tardifs,
indemnes d’un wagnérisme déca-
dent, gagnent à être offerts sans
détours. On ne regrette pas la pro-
menade avec de tels guides.
Jean-Philippe Grosperrin
JOSEPH HAYDN
1732-1809
Y Y Y Y Sonates Hob XVI/20
et 48. Variations Hob XVII/6 et
Hob i 430. Partita Hob XVI/6.
Kristian Bezuidenhout
(pianoforte).
HM. Ø 2018. TT : 1 h 08’.
TECHNIQUE : 3/5
Refrain bien
connu : l’écriture
légère et rare-
ment virtuose
des sonates de
Haydn glisse
entre les doigts des meilleurs
mozartiens. Et vice versa. Si les
exceptions se trouvent sans cher-
cher bien loin (Brendel, Staier…),
la théorie se valide régulièrement,
aujourd’hui encore.
Curieux, tout de même. Le tact, le
charme et la connivence avec l’audi-
teur que Kristian Bezuidenhout sa-
vait mettre en scène dans son inté-
grale Mozart, couverte de médailles,
sont trois vertus essentielles pour
servir l’écriture plus économe de
Haydn. La franchise en est une autre,
dont ce travail de studio policé
manque terriblement. Les séduc-
tions de Bezuidenhout s’éparpillent
en surface de la Sonate en do mi-
neur. Les inflexions perpétuelles du
phrasé et du toucher, admirables
en soi, oublient d’affirmer les carac-
tères et les ombres du premier mou-
vement – le contraste avec la deu-
xième idée tombe à plat. L’exposé
de l’hymne autrichien, avant ses va-
riations, se poudre de désinences
rêveuses devant le beau miroir.
L’acoustique réverbérée accuse les
rondeurs fades du pianoforte (d’après
Walter 1805) construit par Paul Mc-
Nulty. Beaucoup plus sveltes, les
deux Schantz des années 1790 joués
par Paul Badura-Skoda (Astrée) et
Carole Cerasi (Metronome) dans la
Sonate no 58 déployaient, d’un re-
gistre et d’une nuance à l’autre, des
arcs-en-ciel, avec une qualité de
grain sonore et des fragilités beau-
coup plus attachantes que ce mé-
dium bedonnant et cet aigu pressé
de claironner. Le thème des Varia-
tions en fa mineur zigzague ainsi
entre clameur cuivrée et murmure
– la longue trajectoire du mouve-
ment sera néanmoins la grande
réussite de l’album.
La Partita en sol majeur ouvrait l’an
dernier, non pas au pianoforte mais
au clavecin, un album réjouissant :
la déclamation fantasque et fière de
Pierre Gallon (cf. no 669) n’est pas
du goût de son magistral collègue.
Devrions-nous, à un degré de réa-
lisation aussi élevé, aussi rare dans
le monde du pianoforte, rendre les
armes ? Nous avons trop souvent
chéri l’œil pétillant de Kristian
Bezuidenhout pour être dupe de ces
sourires vagues et de ces préve-
nances bourgeoises, ceux du maître
de maison qui accueille en chambre
d’hôte et glisse d’un air entendu
« Vous allez voir comme c’est char-
mant ici ». Gaëtan Naulleau
Y Y Y Y Trois quatuors op. 71.
Chants gaéliques (transcr.).
Quatuor Maxwell.
Linn. Ø 2018. TT : 1 h 13’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Malgré leur foi-
sonnement mé-
lodique, leur
éclat instrumen-
tal et l’inventivité
propre au Haydn
du début des années 1790, ces trois
quatuors sont peu enregistrés hors
intégrales. Leurs triples jumeaux (si
l’on peut dire) de l’Opus 74, conçus
en même temps mais édités sépa-
rément, sont mieux servis. Les
Maxwell ne craignent pas d’appuyer
un peu les contrastes. La vigueur
qu’ils prêtent aux accords fortissimo
ouvrant le Quatuor no 1 puis le
tempo soutenu qu’ils imposent en-
suite, sans jamais brouiller les lignes
polyphoniques, forcent l’admira-
tion. Les interventions du premier
violon à découvert ne sont pas
I 89
Henze / Jones / Karaïev / Liszt

musique qui sonne toujours avec

Nouveauté plénitude. Il est vrai que cette façon
d’alterner le clair et l’obscur, de lais-
ser l’auditeur perdre pied sans faire
RICHARD JONES exercice de style, fût-il italien. C’est un spectacle trop attendre la clef de l’énigme,
?-1744 d’illusionniste, une plongée dans l’atmosphère n’était pas au goût du jour.
« Airs de chambre pour violon sulfureuse de Londres au temps d’Hogarth. Par son refus de séparer tonalité et
et basse continue ». Ce jeune musicien formé au CNSM de Lyon atonalité, Henze est presque seul
Augustin Lusson (violon), et passionné par les musiques traditionnelles dans sa génération à avoir emprunté
The Beggar’s Ensemble. s’est entouré d’une équipe de haute volée la voie ouverte par le Schönberg
Flora. Ø 2017. TT : 1 h 10’. (viole extraordinaire de Mathias Ferré), où des dernières années. Ainsi la Sona-
TECHNIQUE : 4/5
chacun aime, à l’évidence, prendre des risques. tine, tirée de son « conte musical »
Enregistré à Poitiers par Vincent Mons en octobre
Il varie les ressources d’un jeu extraverti et libre Pollicino, commence, en substance,
2017. Cette prise de son en grande proximité sert
une image cohérente et définie. Belle restitution des
là où Kreeta-Maria Kantala adoptait une posture comme la Fantaisie op. 47. Pourquoi
timbres, avec des graves opulents. baroque au vocabulaire plus étroit. ne poursuit-il pas dans la même
La palette de timbres de Lusson, l’incarnation âpreté instrumentale ? Parce qu’il

D
epuis que Mitzi Meyerson a exhumé des volutes ornementales (Largo en la mineur), n’est pas un épigone et suit sa propre
les Suites pour clavecin (Glossa, 2010) la solidité des doubles cordes sont remarquables voie. Dans la Sonate de 1946, la ré-
et enregistré avec Kreeta-Maria Kentala en soi. Et l’intelligence du jeu collectif prolonge férence serait plutôt Stravinsky, autre
les « airs » ou sonates pour violon la folie du soliste funambule. La recherche figure tutélaire qu’il s’appropriera
(Glossa, 2012), Richard Jones n’est plus tout de textures produit des résultats fascinants fructueusement. Superbe interpré-
à fait un inconnu composant dans l’ombre (basses seules dans l’Adagio en si bémol tation par deux artistes familiers de
de Handel pour le théâtre populaire de Drury ou en pizzicato avec le clavecin sur la petite ce langage expressif et exigeant.
Lane. Son goût pour la pantomime, où cultures octave). L’assise rythmique, souvent truffée de Gérard Condé
aristocratique et populaire font bon ménage, contretemps, est mise en scène par un basson
donne quelques clefs pour saisir le relief et un clavecin tour à tour impérieux et suaves KARA KARAÏEV
du projet musical dont ses (largo en sol, gigue en si bémol). 1918-1982
partitions, assez simples à Un feu embrase les prestos Y Y Y Y Les Sept Beautés. Leyla
première vue, n’offrent qu’une (ré majeur) et fait danser des et Mejnun. Le Sentier du tonnerre
image schématisée. Acquis à la parodies handéliennes (largo en (Berceuse). Don Quichotte.
cause italienne (dont il emprunte sol). La multiplicité des archets Bournemouth Symphony
les formes à Corelli), Jones (viole de gambe, violoncelle, Orchestra, Kirill Karabits
cultive les fleurs extravagantes violon, basse de violon) n’est pas Chandos Ø 2017. TT : 1 h 13’.
d’un Veracini et fait écho, par de trop pour animer les entrées TECHNIQUE : 5/5
sa virtuosité violonistique, aux de ces drames en miniatures L’excellent chef
principes novateurs de Tartini. dont le Beggar’s Ensemble ukrainien Kirill
Conduisant du violon son flatte les noirceurs comme Karabits rend
Beggar’s Ensemble, Augustin l’expressivité la plus touchante. hommage à un
Lusson propose bien plus qu’un PLAGE 4 DE NOTRE CD Philippe Ramin compositeur
d’Azerbaïdjan,
Kara Abdoulfaz Ogly Karaïev, qui
toujours d’une sonorité agréable avec des effets de « fiddler ». Le les perspectives. Il pousse à croire régna sur la musique du petit état
mais cette âpreté rend d’autant plus pittoresque a son charme – décon- que les œuvres de la maturité dé- soviétique après la guerre. Né à Ba-
spectaculaires les audaces (sauts necté de celui de Haydn, et facile- coulent de celles de jeunesse, alors kou et disciple de Chostakovitch,
d’octaves, modulations) du Qua- ment esquivable avec une télécom- qu’on ne peut comprendre les pré- dont il suivit l’enseignement de 1942
tuor no 2, où les martèlements du mande. Jean-Luc Macia mices qu’à la lumière des fruits ul- à 1946, Karaïev reprend les princi-
violoncelle dans le Menuetto ren- térieurs. Telle est la leçon de ce flo- pales caractéristiques du langage
voient au jeune Beethoven. Le troi- HANS WERNER HENZE rilège qui place la Sonate pour violon de son maître. Il n’oublie pas Rimski-
sième est plus réussi encore. Les 1926-2012 et piano de 1946 au cœur d’un pro- Korsakov et Prokofiev pour autant,
Maxwell parviennent à équilibrer Y Y Y Y Sonatine pour violon. gramme qui débute et s’achève et donne à cet arsenal bien maîtrisé
sans acrobatie excessive les mul- Sonate pour violon seul. Sonate avec deux partitions de 1979, l’une une touche nettement folklorique,
tiples changements de tonalité et pour violon et piano. Peter Doll pour violon, l’autre pour alto. La nourrie de son riche patrimoine cau-
l’enharmonie de cette page remar- zum Abschied. Für Manfred. grande Sonate pour violon seul est casien – comment ne pas songer à
quable. On ne voit guère que les Sonate pour viole et piano. présentée dans sa version originale, Khatchaturian ? Pédagogue réputé,
Tatraï et les Auryn pour les surpas- Peter Sheppard-Skærved (violon), plus violente que la révision abrégée Karaïev introduisit le jazz dans les
ser dans ce triptyque solaire. Roderick Chadwick (piano). par l’auteur. programmes du Conservatoire
Les Maxwell, en purs Ecossais, ont Naxos. Ø 2016. TT : 1 h 09’. La fluidité de l’inspiration, l’élo- d’Etat de son pays, avant de termi-
eu l’idée de faire suivre chaque qua- TECHNIQUE : 3,5/5 quence naturelle d’un discours or- ner ses jours à Moscou pour soigner
tuor par des mélodies anciennes, Presque aussi ganique d’où semble exclue toute une santé déficiente – non sans avoir
plus ou moins folkloriques, souvent arbitraire que trace de recherche ont longtemps reçu tous les honneurs possibles
recueillies et éditées au début du l’alphabétique, porté préjudice à Henze. On ne lui dans la vie musicale soviétique.
XIXe siècle. Ils les ont donc retaillées l’ordre chrono- accordait de la facilité que pour lui Le programme de Karabits se
sur mesure et traduisent bien leurs logique peut refuser la possession d’un « métier » concentre sur les années 1947-1960.
caractères populaires ou dansants, parfois fausser dont témoigne pourtant une Inspiré de poèmes de Ganjavi

90 I
(auteur persan du XIIe siècle), la Suite
Les Sept Beautés (1949) brille par
une efficace simplicité et une sen-
sualité du plus bel effet – Karaïev
développera sa partition pour la
transformer en ballet, créé en 1952.
L’exubérant Don Quichotte (1960),
« gravures symphoniques » tirées
de la bande originale d’un film de
Kozintsev, exalte l’un des héros fa-
voris de la culture soviétique, non
sans émotion – l’Andante final, su-
blimé par les excellentes cordes
de Bournemouth.
Le poème symphonique Leyla et
Mejnun (1947), inspiré là encore de
Ganjavi, valut à son auteur le prix
Staline. C’est un « Roméo et Juliette
oriental  » où s’entremêlent les
thèmes du destin, de la lutte et de
l’amour. Enfin, la Berceuse du Sen-
tier du tonnerre, deuxième grand
ballet (1957), distille, dans une at-
mosphère intime les émois d’un
couple en butte à la ségrégation
raciale – Karaïev tire son sujet d’un
roman de Peter Abrahams situé en
Afrique du Sud.
Pour des œuvres plus substantielles,
on retournera aux symphonies (Ya-
blonsky chez Naxos, sans oublier
la 3e gravée par Barchaï chez Melo-
diya), auxquelles le nouvel album
apporte un agréable écho.
fameuse, cette troisième dont Ho-
rowitz faisait un poème céleste –
elle est ici remplacée par une page
sur laquelle plane l’esprit de la rhap-
sodie hongroise. Les pianistes de-
vraient s’emparer plus souvent de
ces pièces lyriques, et notamment
de la dernière, magnifiée par le jeu
fluide et lumineux de l’artiste croate.
La sérénité et la pureté qu’il met à
la première version de Sposalizio
valent aussi le détour.
Prolégomènes à la Divina comme-
dia n’est autre que la seconde mou-
ture, assez semblable, d’Après une
lecture du Dante. Elle en diffère seu-
lement par une coupure à la dixième
minute, quelques détails d’écriture
(tel ces curieux accords arpégés à
la treizième) et surtout par quelques
mesures inédites à l’approche de la
conclusion. Le plus surprenant reste
la fin de la première version de la
Ballade no 2, guillerette puis triom-
phale. On comprend que Liszt ait
voulu plus tard lui conférer davan-
tage de dignité et de mystère.
La révision de la Méphisto-Valse no 1
se signale par une simplification de
son passage central. Dans ces trois
œuvres exigeantes, Filipec fait
preuve d’aplomb et de panache.
Voilà un disque que les amateurs
de Liszt ne voudront pas rater.
(Appassionato), parasitée par
quelques fantaisies. Et l’accord final,
bizarrement allusif, semble plaqué.
Feux follets, précautionneux, n’étin-
celle guère. D’une fébrilité bien en
situation et animé par un superbe
crescendo, Chasse-Neige est le meil-
leur moment de l’album avec La leg-
gierezza, étonnante de liquidité. Belle
conclusion. Bertrand Boissard
Y Y Y Y Paraphrases,
réminiscences et transcriptions
de concert d’après Verdi
(Rigoletto, Simon Boccanegra,
Le Trouvère), Wagner (Parsifal,
Tristan et Isolde), Gounod
(Faust, La Reine de Saba).
Aurélien Pontier (piano).
Ilona. Ø 2018. TT : 1 h 01’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Avant que Clau-
dio Arrau ne
grave, en 1972,
son célèbre
disque consacré
à quelques para-
phrases composées par Liszt d’après
les opéras de Verdi (Philips/Decca),
ces œuvres étaient regardées de
travers par les mélomanes – et les
pianistes qui les traitaient avec mé-
pris quand ils n’arrivaient pas à les
jouer. De rares artistes osaient alors
toucher à ce répertoire – György
Cziffra, Michael Ponti, Jorge Bolet
étaient de ceux-là avec quelques
Russes dont Grigori Ginzburg –, mais
leurs quelques interprétations dis-
cographiques n’avaient pas marqué
les esprits. Arrau vint et montra l’in-
croyable beauté de ces œuvres, que
le public accepta enfin.
Récemment, Tanguy de Williencourt
(Mirare) a enregistré non pas les
pièces d’après Verdi, mais tous les
Liszt d’après Wagner. Très bon
double album (cf. no 663). Voici Au-
rélien Pontier, trente-huit ans, pre-
mier prix à Kiev du Concours Vla-
dimir Krainev dont il a reçu les
conseils, ainsi que ceux de Murray
Perahia et de Maria Joao Pirès, après
être passé par la classe de Jean-
François Heisser et de Rena She-
reshevskaya au Conservatoire de
Paris. Son récital associe Verdi, Wa-
gner et Gounod, transcrits ou para-
phrasés. Son assurance pianistique,
sa sonorité claire et dense, et la

D’une beauté inouïe

Michel Stockhem Bertrand Boissard

FRANZ LISZT Y Y Y Y Paraphrase de concert

1811-1886
Y Y Y Y Y L’œuvre pour piano,
Vol. LI : Consolations. Sposalizio.
Ballade no 2. Méphisto-Valse no 1.
Prolégomènes à la Divina
Commedia.
Goran Filipec (piano).
Naxos. Ø 2017. TT : 1 h 10’.
TECHNIQUE : 3,5/5
L’intégrale de la
musique pour
piano de Liszt se
poursuit chez
Naxos. Contrai-
rement à celle
édifiée par le seul Leslie Howard
pour Hyperion, elle met à contribu-
tion plusieurs pianistes, cette dilu-
tion amoindrissant son impact. On
aurait pourtant tort de la négliger.
Le cinquante et unième (!) volume
conjugue un programme alléchant
(des versions alternatives d’œuvres
célèbres) et une exécution de haut
vol. Goran Filipec joue les six Conso-
lations dans leur état originel, ce
qui explique l’absence de la plus
sur Rigoletto. Douze Etudes CHOPIN CONCERTOS NOS 1 & 2
d’exécution transcendante.
La leggierezza. Charles Richard-Hamelin
Lauréat de la médaille d’argent lors du 17e Concours
Boris Giltburg (piano).
International de Piano Frédéric Chopin
Naxos. Ø 2018. TT : 1 h 19’.
TECHNIQUE : 3/5 Orchestre Symphonique de Montréal
Après une Para-
phrase de con-
Kent Nagano
cert sur Rigoletto
d ’u n e b e ll e
clarté, le premier
prix du Concours
Reine Elisabeth 2013 ouvre les Etudes
d’exécution transcendante par un
Preludio curieusement fragmenté.
La suite ira souvent dans le même
sens : celui d’une interprétation par
trop préméditée. La main gauche
de Boris Giltburg est très recherchée
dans l’Etude suivante qui, ainsi char-
cutée, manque de souffle. Au moins
l’oreille se trouve-t-elle titillée par
une conception inhabituelle. Si le
panache est bien au rendez-vous de
Mazeppa, certaines variations
de tempo ne s’imposaient pas. Cela Enregistré en concert à la Maison symphonique de Montréal en oct. 2018
vaut aussi pour l’Etude no  10

I 91
Liszt / Mayr / Mendelssohn / Messiaen / Mozart / Orff / Paganini / Pépin / Purcell
franchise avec laquelle Aurélien Pon-
tier se lance dans ces pages sont
réjouissants, d’autant que la prise
de son laisse sonner le piano avec
plénitude (graves abyssaux et li-
sibles, médium plein).
D’où vient alors que je reste un peu
sur ma réserve ? Trop d’éclat ? Sans
doute par instants. Une propension
à oublier l’origine théâtrale des
pièces ? Vraisemblablement. A jouer
trop fort et à avoir des attaques du
clavier trop directes ? Oui encore
en nombre d’endroits, ce qui n’aide
pas à créer le mystère en travaillant
des couleurs et des articulations
variées. Parfois de façon un peu sys-
tématiquement trop planifiée ? Le
climax de La Mort d’Isolde apparaît
trop contrôlé, tandis que tous les
plans sonores sont éclairés vive-
ment… Néanmoins, un beau disque.
Alain Lompech
Y Y Y Via crucis (a).
Salve regina (b). Vater Unser (c).
Ave verum corpus (d).
Collegium Vocale Gent, Marnix
De Cat (orgue) (c, d), Reinbert
De Leeuw (piano et direction).
Alpha. Ø 2017. TT : 50’.
TECHNIQUE : 3/5
Œuvre tardive
(1879) et mal ai-
mée, la Via crucis
a attendu un
demi-siècle
avant d’être
créée, le vendredi saint 1929. Un
chemin de croix austère que l’abbé
Liszt, dans la ferveur de sa conver-
sion romaine définitive, a voulu af-
filier à une esthétique « cécilianiste »
lorgnant la monodie courbe du
chant grégorien. L’essentiel du par-
cours, en quatorze stations, revient
au clavier. C’est sa partie, radica-
lement dépouillée, souvent mono-
dique, que le chœur vient amplifier
ou ponctuer, et non l’inverse. Une
version de Liszt pour clavier seul
existe d’ailleurs (intégrale Shelley,
Hyperion).
Les murmures abstraits de Rein-
bert De Leeuw, champion du XXe
siècle et apôtre de la Via crucis dès
1986 (Philips), ne facilitent pas la
tâche aux seize voix du Collegium
Vocale de Gand, plus d’une fois
déstabilisées par la nudité de l’exer-
cice. Le piano s’installe et s’isole
dans un sfumato qui brouille les
repères et les dissonances (X). De
cet ensemble disparate – il l’est en
92 I
lui-même – se détachent un
« O Traurigkeit » (XII) dont les chan-
teurs gantois font une belle grisaille
de douleurs ressassées, et l’ultime
station (XIV), avec ses faux airs de
mouvement léger de Petite Messe
solennelle rossinienne.
Mais la longue Via crucis réclame,
au chœur comme au clavier, une
tension souterraine de la diction,
cette énergie lente du plain-chant,
que Reinbert De Leeuw néglige
dans son ascèse passive. Ses phra-
sés évasifs au piano, dont les dési-
nences flirtent sans cesse avec le
silence, réclament un effort d’at-
tention que Jean-Claude Pennetier,
également austère mais nettement
plus ferme, facilitait (avec l’extraor-
dinaire chœur Vox Clamantis, Dia-
pason d’or). Le chemin semble un
tunnel malgré des tempos allants.
Dans un tout autre registre, la prière
de Brigitte Engerer (avec Accentus)
rayonnait d’une aura bien plus spi-
rituelle que ces balbutiements. Les
beautés tendres d’un Salve regina
a cappella ne suffisent pas à sauver
l’album. Benoît Fauchet
RÉFÉRENCES : Veismanis (Hortus),
Vox Clamantis, Tulve (Mirare).
JOHANN SIMON MAYR
1763-1845
Y Y I Cherusci.
Markus Schäfer (Treuta),
Yvonne Prentki (Tusnelda),
Andrea Lauren Brown (Tamaro),
Andreas Mattersberger (Zarasto),
Katharina Konradi (Ercilda), Uwe
Gottswinter (Carilo), Harald Thum
(Dunclamo), Simon-Mayr Chorus,
Concerto de Bassus, Franz Hauk.
Naxos (2 CD). Ø 2016. TT : 2 h 33’.
TECHNIQUE : 3/5
Franz Hauk ne
ménage pas sa
peine pour re-
donner à Mayr
la place qu’il oc-
cupa jadis au
panthéon de l’opéra. Il doit se sentir
bien seul. Les tentatives de réani-
mation s’enchaînent : Saffo, Il sogno
di Partenope, Telemaco, Samuele,
Amor non soffre opposizioni, Jefte,
maintenant ces Cherusci de 1808.
L’Ouverture, joliment enlevée, par-
court en six minutes la distance entre
Mozart et les premiers essais de
Rossini. Les scènes chorales ne sont
pas mal non plus (façon Fidelio re-
gardant vers Titus). A défaut d’être
porté par la grâce, l’ensemble se
laisserait écouter sans déplaisir. Mais
quelle imagination il faut pour pas-
ser outre les faibles moyens ici mo-
bilisés ! Hauk réunit sa petite bande
de circonstance : un orchestre d’étu-
diants sur instruments d’époque,
crincrin compris, un chœur volon-
taire mais au souffle court. Les so-
listes sont tous dépassés par une
vocalité exigeante, Markus Schäfer
autant que les dames, mises à mal
par la première sollicitation venue.
Le méchant Zarasto (si, si !) ne fait
pas bien peur. Seul surnage Uwe
Gottswinter. Les Cherusci sont morts
à peine déterrés.
Maximilien Hondermarck
FELIX MENDELSSOHN
1809-1847
Y Y Y Y Y Les deux trios
avec piano.
Trio Metral.
Aparté. Ø 2018. TT : 57’.
TECHNIQUE : 4/5
Chez les Men-
delssohn, la mu-
sique était une
affaire de famille
qui réunissait Fé-
lix et Fanny ainsi,
notamment, que leur frère Paul, vio-
loncelliste amateur. Il en va de même
chez les Metral, jeune fratrie qui
signe ici ses débuts discographiques.
De bonnes fées se sont penchées
sur ce premier enregistrement qui
a bénéficié des conseils de Michel
Dalberto et du Quatuor Ebène. Cela
se sent. Au-delà des lieux communs
(pourtant tout à fait valables) sur
la cohésion et l’homogénéité de
musiciens habitués à jouer ensemble
depuis l’enfance, et sur l’intérêt
d’une fougue juvénile dans ces deux
partitions de Mendelssohn, leur
version séduit par sa clarté, ses
contrastes, son énergie canalisée,
bref, son caractère.
Enflammés (le violon de Joseph
Metral chante avec lyrisme sans ja-
mais s’appesantir) ou cajoleurs, les
interprètes réagissent aux moindres
inflexions du texte, avec des tem-
pos soutenus et une sonorité péné-
trante, même si elle manque parfois
un peu de puissance. Chaque phrasé
est bien pensé, sans pour autant
donner l’impression d’être appuyé.
On se prend à redécouvrir, dans
ces œuvres célèbres dont les enre-
gistrements réussis ne se comptent
plus, des détails oubliés, tel ce jeu
de pizzicato mis en valeur dans le
finale du Trio en ré mineur, ou la
modernité de l’écriture pianistique
du premier mouvement du Do
mineur.
Premier prix au Concours Haydn, à
Vienne, en 2017, le Trio Metral fait
ainsi une brillante entrée dans la
discographie. Jérôme Bastianelli
OLIVIER MESSIAEN
1908-1992
Y Y Y Y Y Verset pour la fête de la
Dédicace. Livre d’orgue. Tristan
et Yseult, Thème d’Amour.
Tom Winpenny (orgue Stahlhuth-
Jann de Dudelange, Luxembourg)
Naxos. Ø 2017. TT : 57’.
TECHNIQUE : 4,5/5
Tom Winpenny,
qui s’achemine
vers une inté-
grale Messiaen,
trouve dans ce
Livre d’orgue
une synthèse adroite entre la lisibi-
lité un peu clinique de sa Nativité
(cf. no 633) et l’engagement de ses
Corps glorieux (cf. no 660). Capté
par Christoph Martin Frommen, qui
connaît cette acoustique comme sa
poche, l’orgue de Dudelange a la
palette qu’il faut (pas un mince défi !)
et unit, lui aussi, la transparence des
registres et une certaine humanité
des timbres.
Ceux-ci sont souvent à nu dans
l’œuvre, et c’est là que le bât blesse
un peu : l’inégalité des attaques
d’anches occasionne de curieuses
perceptions d’inexactitudes ou de
décalages qui ne paraissent pas le
fait de l’interprète. En outre, dans
Les Mains de l’abîme et Les Yeux
dans les roues, ces mêmes jeux
d’anches, effacés derrière un para-
vent de mixtures, s’avèrent inca-
pables de former le tutti d’Apoca-
lypse qu’appellent ces deux visions
prophétiques.
Cela ne nous empêchera pas de
recommander cette version à qui
souhaiterait découvrir un cycle ardu,
fascinant dans son abstraction, et
pour lequel le choix d’un orgue est
de toute façon une quadrature du
cercle. La recommandation est d’au-
tant plus chaleureuse que le Livre
d’orgue s’accompagne d’un sédui-
sant Verset que Winpenny imprègne
de liberté grégorienne, et d’un Tris-
tan et Yseult, Thème d’amour (1945),
signature de cette période de Mes-
siaen, qui est une découverte.
Paul de Louit
WOLFGANG AMADEUS
MOZART
1756-1791
Y Y Y Y Y Les six quintettes
à cordes.
Quatuor Klenke,
Harald Schoneweg (alto).
Accentus (3 CD).
Ø 2016. TT : 2 h 45’.
TECHNIQUE : 4/5
Quatuor entière-
ment féminin,
les Klenke par-
tagent avec Ha-
rald Schoneweg
une somptueuse
lecture de ces six chefs-d’œuvre à
cinq archets. La sonorité généreuse
de cette formation installée à Ber-
lin depuis 1991 met en lumière les
nombreux entrelacs d’une écriture
riche en contrepoint, culminant dans
les Quintettes KV 515 et 516 – deux
sommets de toute la musique de
chambre occidentale. Mais les
Klenke témoignent autant d’égards
au juvénile KV 174. Ces dames l’em-
poignent ainsi avec une verdeur
de ton et une force expressive qui
soulignent la densité de pensée et
l’inventivité d’un Amadeus de dix-
sept ans. Les dialogues récurrents
entre premier violon et premier alto
sont admirablement mis en valeur,
de même que l’insouciance du Me-
nuetto pris à vive allure, comme lu
en accéléré.
Le premier CD passe ainsi sans hia-
tus à l’entrée fiévreuse du KV 515,
dont la mobilité rythmique et l’en-
chaînement des trois thèmes prin-
cipaux sont traduits avec une no-
blesse de conception rare. Si le
Menuetto est un peu lisse, la séré-
nité douloureuse de l’Adagio ma
non troppo gagne une simplicité
payante ; les Klenke et leur com-
père altiste sont attentifs à ména-
ger les pauses et les syncopes (la
partie en si bémol majeur) qui
concentrent tout le tragique de ce
mouvement.
Il est impossible de détailler les réus-
sites émaillant les autres quintettes.
Soulignons tout de même, dans le
KV 516, le décryptage de l’écriture
polyphonique de l’Allegro initial –
le violon aérien d’Annegret Klenke
et le violoncelle tranchant et incisif
de Ruth Kaltenhäuser y font mer-
veille. Et cette matière pulpeuse
émanant des archets dans le finale
roboratif du même KV 516 !
La transparence de la prise de son
sert les Klenke dans le KV 406, trans-
crit d’une Sérénade pour huit vents,
notamment ses nombreux passages
contrapuntiques (le Menuetto in ca-
none avant tout). Quelques reproches
mineurs (les altos parfois trop dis-
crets, le bouillonnement excessif du
finale du KV 593) posent ce coffret
splendide juste au pied du podium
sur lequel trônent les Amadeus, les
Griller et les Talich. Rude concurrence,
mais un album de tout premier ordre.
Jean-Luc Macia
CARL ORFF
1895-1982
Y Y Carmina burana.
TIANHUA : Nuit enchantée.
Aida Garifullina (soprano),
Toby Spence (ténor), Ludovic
Tézier (baryton), Wiener
Singakademie, Chœur d’enfants
et Orchestre symphonique
de Shanghai, Long Yu.
DG. Ø 2018. TT : 1 h 07’.
TECHNIQUE : 3/5
Enregistrés en
public dans la
Cité interdite de
Pékin, ces Car-
mina burana as-
sociant le Sym-
phonique de Shanghai et la Wiener
Singakademie nous jouent la fable
du rapprochement culturel, sur fond
d’enjeux géostratégiques et com-
merciaux. Le concert fut d’ailleurs
sponsorisé par Kuko (géant chinois
de l’emballage automatisé), Cho-
pard, Google, Volkswagen et You-
Tube. De petits joueurs.
Musicalement ? Tout y sonne de
manière à la fois doucereuse et ap-
pliquée. La santé de l’orchestre et
l’angélisme du chœur d’enfants nous
renvoient l’image édifiante d’une
nation industrieusement souriante.
Les percussions diffusent autant de
poésie que la plus new age des
boîtes à rythmes, les cordes du Dies,
nox et omnia ont le charme agreste
des synthétiseurs numériques. Le
chef est, lui, carrément transparent.
Ludovic Tézier peine à s’extirper de
cette guimauve hors-sol. Emoustillé
par la mention « live from the For-
bidden City », le chaland occidental
se retrouve face à un tigre de pa-
pier. Hugues Mousseau
NICCOLO PAGANINI
1782-1840
Y Vingt-quatre caprices op. 1
(orch. Skoryk).
Orchestre symphonique
international de Lviv ,
Alexander Zemtsov.
Toccata. Ø 2018. TT : 1 h 19’.
TECHNIQUE : 3/5
Le compositeur
ukrainien Myros-
lav Skoryk (né en
1938) s’inquiète
tant de faire en-
trer les pauvres
Caprices « dans le monde moderne »
qu’il verse dessus une sauce infecte.
Orchestration brouillée en perma-
nence par les percussions, rythmes
surajoutés de samba, de tango ou
de jazz, coloriés d’une main lourde
(ces glissandos de cuivres dans les
nos 19 et 24, on dirait Circus Polka
sans le génie ni l’humour de Stra-
vinsky…). Maquillés comme des ca-
mions volés, les Caprices hésitent
entre selfies d’éléphants et musique
de thé dansant. Un océan de vul-
garité dénature totalement ces bi-
joux d’invention et de finesse, dont
la réelle modernité (la libération du
geste soliste, l’invention des textures
au violon) disparaît à ce jeu. L’or-
chestre de Lviv, cité natale du « com-
positeur », hérite de cette débauche
de sonorités criardes. « Premier en-
registrement mondial » clame la
pochette. Et dernier, fatalement.
Jean-Claude Hulot
CAMILLE PÉPIN
NÉ EN 1990
Y Y Y Lyrae (a). Kono-Hana (b).
Chamber Music (c). Indra (d).
Luna (e).
Fiona McGown (mezzo) (c),
Raphaëlle Moreau (a, d), Louise
Salmona (a) (violon), Léa Hennino
(alto) (a), Natacha Colmez-Collard
(violoncelle) (a, b, d), Anaëlle
Tourret (harpe) (a), Thibault Lepri
(percussions) (a), Celia Oneto
Bensaïd (piano) (c, d), Ensemble
Polygones, Léo Margue (c, e).
NoMadMusic. Ø 2018. TT : 1 h 12’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Au cœur du pro-
gramme, les dix-
h u i t b r è ve s
pièces pour
mezzo-soprano,
ensemble de
cinq instruments et chef d’orchestre
qui constituent Chamber Music. On
s’attendrait à ce que la forte homo-
généité du texte poétique cimente
la musique – le James Joyce qui
s’exprime dans ce recueil de
jeunesse à l’aide d’images roman-
tiques n’est pas celui d’Ulysses. En
fait de ciment, c’est du béton armé
que nous sert Camille Pépin, avec
l’exploitation intensive d’un thème
que l’on dirait tout droit sorti de la
Musica ricercata VII de Ligeti. Les
transformations auxquelles il se prête
n’empêchent pas le discours de se
figer dans des juxtapositions sys-
tématiques de champs harmoniques
quelque peu stéréotypés.
En surface, on reconnaît nombre
de procédés empruntés à Steve
Reich, tandis que certains gimmicks
appuyés renvoient plutôt à la rhé-
torique hollywoodienne. Chaleureux
et riche de belles teintes, le mezzo
de Fiona McGown n’est pas flatté
par une écriture qui sollicite sou-
vent la voix parlée – mais sans lui
confier le propos d’un mélodrame.
Réactifs et précis, ses partenaires
tendent à bloc les ressorts d’une
musique dont la matière semble
revendiquer une nature orchestrale
plus que chambriste.
Quel que soit leur effectif, les pièces
qui complètent ce programme dé-
clinent le même schéma : modalité
statique, textures peu denses car
souvent privées de polyphonie, mou-
vement pendulaire entre inertie et
motorique. On aimerait voir les fins
musiciens réunis par Camille Pépin
pour cette aventure discographique
stimulés par une matière plus char-
nue et plus diversifiée.
Pierre Rigaudière
HENRY PURCELL
1659-1695
Y Y Y Y « The Cares of Lovers ».
16 Songs. Ground en do mineur.
Rowan Pierce (soprano),
Richard Egarr (clavecin),
William Carter (théorbe).
Linn. Ø 2018. TT : 1 h.
TECHNIQUE : 5/5
Première plage
et titre du pro-
gramme, The
Cares of Lovers
nous cueille à
froid malgré la
présence précise de chaque mot et
la prise de son claire comme l’eau
de roche signée Philip Hobbs – par-
fait équilibre entre le chant à fleur
de lèvres et les deux instruments à
cordes pincées. Plage 2, le récitatif
de Sweeter than roses se déploie
sans laisser flotter le « cool evening
breeze » dont Alfred Deller faisait
I 93
Rameau / Ries / Rovsing Olsen / Say
EUROPA ANTICA
par Denis Morrier
▸ La vihuela da mano était très prisée dans l’Espagne du XVIe
siècle. Si quelques rares exemplaires de cet hybride de luth
et de guitare ont survécu, peu d’œuvres composées
à son intention nous sont parvenues. Ariel Abramovitch
a donc élaboré un Cancionero imaginaire, adaptant
pour voix et vihuela quelques hits de la Renaissance
européenne. Maria Cristina Kiehr est à son côté dans
cette expérience intéressante, et finalement sans
surprise (« Imaginario », Arcana, Y Y Y Y ).
▸ Flamand installé à Naples, Giovanni de Macque (1548-1614) fut
un familier de Gesualdo. Son Sesto Libro de Madrigali
(1613) abonde plutôt en durezze qu’en stravaganze : les
cinq chanteurs, par trop inégaux, du Weser-Renaissance
sous-estiment les parodoxe de ce contrepoint, où la
modernité des dissonances se dissout dans une forme
académique. Cinq pièces pour clavier révèlent un
aspect plus visionnaire du compositeur (CPO, Y Y Y ).
▸ Chez Carus, le Volume XIX de l’intégrale Schütz réunit
ses madrigaux allemands et des musiques nuptiales.
L’intérêt de ces pages souvent méconnues est grevé par
des solistes peu impliqués, des violons étriqués et la
routine austère de Hans-Christoph Rademann
(« Madrigale und Hochzeitsmusiken », Carus, Y Y ).
▸Deux albums mettent le cap sur la Pologne. Les instrumentistes
bâlois de Musica Fiorita se sont alliés à un chœur de Gdansk
dans les cinquante-cinq motets d’Andreas Hakenberger
(ca. 1573-1627), un Poméranien catholique actif à
Varsovie et Cracovie. Jan Lukaszewski souligne avec
intelligence les contrastes de textures et de densité de
ces compositions polychorales, au contrepoint mâtiné
de stile concertato vénitien (Naxos, Y Y Y Y ).
▸ L’anthologie dirigée chez Claves par Stephan McLeod,
« 17th Century Sacred Music in Wroclaw » , est moins séduisante.
Des œuvres italiennes, allemandes et polonaises
brossent un panorama bigarré de la vie musicale à
Wroclaw (ex-Breslau) au XVIIe siècle. Les voix genevoises
de Gli Angeli se perdent hélas dans un discours
instrumental envahissant et peu raffiné, porté par un
Orchestre baroque de Wroclaw sans saveur et un
Concerto Palatino qu’on a connu mieux inspiré (Claves, Y Y Y ).
▸ Sergio Foresti fait preuve d’un vrai courage en exhumant,
avec trois continuistes, six cantates particulièrement
exigeantes d’Antonio Caldara. Si sa voix de basse
est ample et chaleureuse, l’expression paraît çà et là
emphatique. Et son impressionnante technique
est parfois malmenée (notes attaquées par dessous,
justesse d’intervalles), notamment lorsque Caldara
use d’une forme fleurie de canto di sbalzo et que ses sauts
sont emplis d’ornements (Pan Classics, Y Y Y Y ).
▸ Défricheur tenace des répertoires napolitains, Antonio Florio
ressuscite cette fois l’obscur maître de chapelle des
Girolamini, Donato Ricchezza (ca. 1650-1722). Relatant
le martyre de saint Just et saint Pasteur, cet oratorio
inédit des « saints enfants » revêt une écriture aussi
efficace que variée, associant grâce mélodique, vitalité
rythmique et virtuosité instrumentale. Sans être un
impérissable chef-d’œuvre, cette belle découverte est défendue
avec goût par une Cappella Neapolitana harmonieusement
constituée (« Los Santos Niños », Glossa, Y Y Y Y Y ).
94 I
jadis un trésor d’évocation volup-
tueuse. Mais le théâtre s’impose à
partir de « made me freeze », et le
continuo déchaîné aide Rowan Pierce
à décocher, avec un aplomb épa-
tant, les flèches du « victorious love »
(flèches assez tordues, avouons-le,
dans le carquois de Deller). Troisième
étape, From silent shades, cette
scène de folie où Purcell entasse
douze sections en quatre minutes
pour peindre « Mad Bess », prison-
nière d’un hospice mais « dans ses
pensées, aussi grande que le roi ».
Aucune déraison chez Rowan Pierce,
un ange agité.
Mais l’amateur de Purcell sait qu’il
est trop tôt pour décrocher, il a déjà
trouvé plus d’une perle dans des
récitals imparfaits. Le seul vice qui
promet de gâcher un bouquet de
songs entier est l’aveuglement des
chanteurs qui soumettent les élans
inventifs du mot aux tournures ba-
nales du beau chant. Anna Dennis
s’y laissait piéger le mois dernier
(Resonus), pas sa jeune collègue
galloise. Sans vouloir maquiller un
timbre monochrome (et divin tel
quel), elle cherche plutôt la variété
dans le dessin et les fins ressorts
de la prosodie. Cette ressource cru-
ciale chez Purcel, mais négligée par
la plupart de ses chanteurs au-
jourd’hui, nous tient en haleine dans
les strophes transparentes de « Re-
tired from any mortal’s sigh », et
donne tout son relief à If Music be
the food of love.
Mais la perle est ailleurs, inattendue.
Une musicienne s’exprimant sans
arrière-pensée, d’un timbre ingénu,
peut-elle habiter les steppes de
O solitude ? Les grandes versions
(celles qui ne s’épuisent pas une mi-
nute après l’exorde toujours poi-
gnant) se comptent sur les doigts
d’une main. La soprano prend congé
du Monde avec l’élégance simple
d’une jeune femme entrant dans les
ordres, le théorbe de William Car-
ter soutient seul sa confidence, mer-
veilleux de toucher, d’économie de
moyens, de conduite, dès son pré-
lude improvisé.
Dans un tout autre registre, l’autre
sommet de l’album profite à une
pièce mal servie au disque. Seule
Barbara Bonney (Decca) avait su faire
danser sans s’essouffler les mots du
She loves and she confesses too,
chaconne dont Rowan Pierce fait un
traité de malice. Retenons aussi d’un
parcours imprévisible, plutôt qu’un
Music for a while terre à terre (et si
compliqué sous les mains du clave-
ciniste...), le diptyque Morning hymn-
Evening hymn offert en conclusion,
porté avec une détermination lumi-
neuse et concentrée, sans l’ombre
d’un maniérisme. Le compliment
vaut pour l’album entier.
Gaëtan Naulleau
JEAN-PHILIPPE RAMEAU
1683-1764
Y Y Y Y Y Les Indes galantes.
Véronique Gens (Phani),
Chantal Santon-Jeffery (Hébé,
Zima), Katherine Watson (Emilie),
Reinoud Van Mechelen (Carlos,
Valère, Damon), Jean-Sébastien
Bou (Osman, Adario), Thomas
Dolié (Bellone, Huascar, Alvar),
Purcell Choir, Orfeo Orchestra,
György Vashegyi.
Glossa (2 CD). Ø 2018. TT : 2 h 03’.
TECHNIQUE : 3/5
Eh quoi, toujours
Les Indes ? Oui,
mais sans Amour
au prologue (Ra-
meau l’en avait
évincé dès 1735)
et réduites à trois actes. Car en vertu
de la géométrie variable de l’œuvre
au gré de ses représentations, celle
de l’été 1761 supprimait soit Le Turc
généreux, soit (comme ici) Les Fleurs
en commençant par Les Incas. Le-
quel acte inca renoue superbement
avec les usages de l’époque : la
princesse du sang y était confiée
de préférence à une tragédienne
et non à l’un de ces sopranos clai-
rets qui sont la plaie de tant de ver-
sions récentes.
On entend alors pour la première
fois l’affrontement de Phani avec le
prêtre Huascar pour ce qu’il est :
une clef de ce drame de l’impos-
ture, digne de Voltaire. Véronique
Gens, avec le coloris de sa maturité
magnifique, trouve à la fois l’inquié-
tude du personnage, sa royale indi-
gnation, l’érotisme profond d’un
« Viens, Hymen, enchaîne-moi » ar-
raché à une esthétique de vignette.
Quant à Thomas Dolié, son Huascar
retors mais de pleine noblesse, ca-
pable de noirceur comme d’éléva-
tion dévote (« Permettez, astre du
jour » !), fait sentir tous les méandres
du sentiment avec ceux du discours.
Deux incarnations majeures.
Différent de timbre, Jean-Sébastien
Bou offre à Osman mais non moins
à l’Adario des Sauvages leur exact
profil héroïque, et quelle beauté de
déclamation ! Dans un style mer-
veilleusement imaginatif, Reinoud
Van Mechelen parcourt comme per-
sonne l’échelle expressive de ses
rôles, se jouant des élancements
ardus de Damon avec une élégance
d’aristocrate. La main a été moins
heureuse avec une Emilie au visage
vague, inerte malgré sa souplesse,
au verbe parfois confus – bien loin
de la tragédienne (Mlle Chevalier)
distribuée en 1761. On goûte en
revanche le sourire et la volupté en-
veloppante de Chantal Santon en
Hébé, son esprit en Zima, en regret-
tant un aigu trop peu focalisé.
La forte impression que faisait le
concert de Budapest à l’origine de
l’enregistrement (cf. no 667) est di-
minuée par une prise de son qui
brouille l’élocution et la franchise du
chœur, ou impatronise les percus-
sions dans « Forêts paisibles ». De-
meure le geste ferme, altier, d’un
György Vashegyi soucieux de gran-
deur et de continuité, sachant aussi
accorder rythmes de danse et ten-
sions harmoniques. L’Adoration du
Soleil ou le cataclysme des Incas
révèlent par cette domination or-
chestrale une puissante étrangeté,
Les Sauvages sont traversés par une
vie jouissive. Sans être impeccable,
cette version est indispensable.
Jean-Philippe Grosperrin
FERDINAND RIES
1784-1838
Les quatuors à cordes.
Y Y Y Y Y Vol. II : op. 70 no 2 et
WoO 48.
Y Y Y Y Vol.I : WoO 37 et 10.
Y Y Y Y Vol. III : op. 70 no 1 et
op. 126 no 2. Quintette à cordes
op. 68*.
Quatuor Schuppanzigh,
Raquel Massades (alto)*.
CPO (3 CD séparés). Ø 2004 à
2016. TT : 1 h, 52’, 1 h 15’.
TECHNIQUE : 3/5
« Il m’imite trop ». La phrase assas-
sine de Beethoven, dont l’authen-
ticité reste discutée, poursuit à ja-
mais la musique de Ries. Pourtant
l’œuvre du disciple (qui joua les
concertos du maître avec ses propres
cadences, autorisées), secrétaire,
copiste et plus tard biographe de
Beethoven mérite mieux que l’oubli.
Son abondance impose aujourd’hui
d’établir des priorités dans un en-
semble d’une constante qualité
d’écriture. Qui lui reprocherait de
refléter l’admiration de Ries pour
son mentor ?
Après la superbe intégrale des sym-
phonies confiée à Howard Griffiths,
des pages isolées de musique de
chambre, des oratorios et de la mu-
sique lyrique, CPO s’attaque au vaste
massif des vingt-six quatuors : onze
furent publiés en quelques opus,
les autres demeurèrent dans les car-
tons du compositeur. La somme est
confiée au Quatuor Schuppanzigh,
dont le nom rend hommage à la
formation qui créa la plupart des
quatuors de Beethoven.
Les deux premiers albums, gravés
il y a quinze ans, nous valent de belles
surprises. Le Volume I permet d’ob-
server l’empreinte très forte des
Opus 18 et 59 de Beethoven sur Ries.
Certains thèmes du Quatuor Wo O37
sont décalqués du troisième des
« Razoumovsky », et l’entrée en ma-
tière par le violoncelle y évoque le
début du premier. Le choix d’un Air
russe pour le mouvement lent de
l’Opus 70 no  2 n’est pas non plus
anodin. Au delà de cette influence,
on admire la perfection d’écriture,
la clarté du propos, la fermeté d’un
trait toujours varié. C’est plus qu’as-
sez pour nous séduire et nous tenir
en haleine.
Sur instruments anciens, les Schup-
panzigh, qui glanaient en 2009 un
Diapason d’or avec un disque Haydn,
empoignent ces pages avec ferveur.
Sans s’encombrer de l’ombre du
maître, ils les jouent comme elles
doivent l’être, franchement et comme
des partitions belles par elles-même.
Le Volume II recèle un bijou, le Qua-
tuor WoO 48 de 1835, ultime com-
position de Ries pour cette forma-
tion. Cinq mouvements joués attaca,
une puissance d’inspiration et une
dramaturgie instrumentale qui ne
sont pas indignes de Mendelssohn
ou de Schubert, une originalité de
structure comparable aux derniers
opus de Beethoven : voilà un chef-
d’œuvre, qui mériterait de revenir
au répertoire.
Le troisième volet (2016) de l’inté-
grale montre que le renouvellement
du quatuor (le second violon et le vio-
loncelle ont changé) s’accompagne
d’une fragilité regrettable, dans la
justesse comme la cohésion. Glisser
un quintette à cordes dans le cycle
apporte un peu de variété, et son
savoureux Andante, sorte de séré-
nade sur fond de pizzicatos vous
ravira. Une découverte majeure glo-
balement, à placer au pinacle pour
le Quatuor WoO 48, étape impor-
tante dans la réévaluation de l’œuvre
de Ferdinand Ries.
Jean-Claude Hulot
POUL ROVSING OLSEN
1922-1982
Y Y Y Y A Dream in Violet (a).
The Planets (b). Rencontres (c).
Pour une viole d’amour (d).
Alapa-Tarana (e).
Signe Asmussen (mezzo) (b, e),
Ulla Miilmann (flûte) (b),
Helge Slaatto (violon) (a), Anette
Slaatto (alto, viole d’amour)
(a, b, d), Frederik Munk Larsen
(guitare) (b), Jonathan Slaatto
(violoncelle) (a, c), Christian
Martinez (percussion) (c, e).
Dacapo. Ø 2017. TT : 1 h 05’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Les amateurs de
musiques de tra-
dition orale au-
ront peut-être
déjà vu passer ce
nom, que les afi-
cionados du répertoire contempo-
rain ont de fortes chances de ne
pas connaître : Poul Rovsing Olsen,
compositeur danois, fut aussi un
ethnomusicologue, auquel on doit
un disque du label Ocora (« Pêcheurs
de perles et musiciens du golfe Per-
sique »). Cette fascination pour les
musiques des autres continents
transparaît dans un duo pour mezzo-
soprano et percussion de 1959, dont
le titre (Alapa-Tarana) se réfère sans
équivoque au râga indien. Rovsing
Olsen laisse toute latitude à la voix
pour s’épanouir dans une pseudo-
improvisation. Si le chant clair, souple
et aux teintes différenciées de Signe
Asmussen peut séduire, ce râga
occidental laisse perplexe. De son
modèle, il gomme les aspérités et
le sens de la micro-ornementation
essentiels.
Dans un cadre modal plus vague,
l’écriture de Pour une viole d’amour
(1969) favorise bourdons, jeu en
cordes multiples et résonance des
cordes sympathiques. Anette Slaatto
fait sonner son instrument avec une
magnifique plénitude. Encore plus
discrètes dans The Planets (1978)
pour mezzo, flûte, alto et guitare,
les couleurs modales se mêlent à
des effluves pentatoniques. Une
ambiance très française – Rovsing
Olsen a étudié avec Nadia Boulan-
ger et Messiaen – évoque aussi bien
la fluidité d’un Roussel que la clarté
d’un Boulez. Dernière œuvre du
compositeur, A Dream in Violet
(1982) est aussi la plus intense de
l’album. L’usage intensif des sour-
dines apporte une douce patine à
l’homogénéité du trio à cordes, et
le discours conserve en tout terrain
sa cohérence organique – modalité
orientale stylisée, lyrisme entre ex-
pressionnisme et hédonisme debus-
syste. L’auteur réussit à allier avec
une grande élégance des paysages
sonores teintés d’une très subtile
touche d’exotisme. Une belle dé-
couverte. Pierre Rigaudière
FAZIL SAY
NÉ EN 1970
Y Y Y Sonate « Troie ».
La Maison qui bouge. Sari Gelin.
Matin d’hiver à Istanbul.
Fazil Say (piano).
Warner. Ø 2016 et 2018.
TT : 1 h 02’.
TECHNIQUE : 4/5
Dix parties. La
Sonate « Troie »
en impose par
ses dimensions,
à la mesure du
statut, dans les
récits homériques, de cette Cité
aujourd’hui perdue, enfouie sur la
côte ouest de l’actuelle Turquie,
pays natal de Fazil Say. Toutefois
l’ébouriffant pianiste-compositeur
ne traîne pas en chemin : le décou-
page des mouvements est serré,
les leitmotivs densément distribués
pour habiter une musique à pro-
gramme sur laquelle soufflent les
vents égéens, et qui convoque les
héros troyens bien sûr, mais aussi
les figures d’Hélène et d’Achille,
jusqu’au fameux Cheval érigé pour
enfoncer les murs de la ville.
Fazil Say déploie un piano XXe siècle
éclectique, post-debussyste sur ses
grands arpèges aqueux, bartokien
en diable dans le martèlement ryth-
mique, flirtant avec le string piano
d’Henry Cowell quand il s’agit de
pincer les cordes directement à l’in-
térieur de l’instrument… La pédale
parfois généreuse ajoute à la réso-
nance et au mystère. Hélas, devant
Troie, et à l’heure de l’Epilogue, un
I 95
Scarlatti / Schreker / Schubert / Schumann / Strauss
Fazil Say ému s’égare dans un che-
min mélancolique que feu Michel
Legrand, nous semble-t-il, aurait
bien mieux aménagé.
Les compléments n’ajoutent ni ne
retranchent rien à l’album. Tous
témoignent de l’extraordinaire qua-
lité de doigts du pianiste ankariote,
dans la nuance comme dans la vé-
locité. Quant au compositeur, il y
fait entendre sa sensibilité propre,
son univers très personnel, à peine
piqueté de dissonances comme
d’orientalismes, en rendant hom-
mage à La Maison qui bouge
d’Atatürk, au chant folk caucasien
Sari Gelin et à un Matin d’hiver à
Istanbul. Benoît Fauchet
ALESSANDRO SCARLATTI
1660-1725
Y Y Y Y Y L’assunzione della
Beata Vergine.
Béatrice Gobin (Sposo), Aurora
Peña (Sposa), Mélodie Ruvio
(Amore), Matthieu Peyrègne
(Eternita et direction),
Ensemble baroque de Monaco.
Paraty. Ø 2017. TT : 1 h 03’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Composé sur un
livret allégorique
du cardinal Ot-
toboni (célèbre
mécène de Scar-
latti, Handel, Co-
relli…), cet oratorio romain de 1703
superposait les figures de la Vierge
Marie et de son fils avec celles de
l’Epouse et de l’Epoux mystiques.
Sa partition était conservée à Müns-
ter, en Allemagne : c’est là que
Matthieu Peyrègne, musicien niçois
au profil singulier, est patiemment
allé la recopier et la compléter.
Bénéficiant d’une double formation
de contre-ténor et de chef (il dirige
sa troupe monégasque depuis 2013),
il marche aujourd’hui sur les traces
de René Jacobs et de Damien
Guillon pour proposer sa recréation
« en première mondiale » !
L’Ensemble baroque de Monaco
comprend quatorze excellents ins-
trumentistes, dont de beaux violons,
solides, précis et bien timbrés. Les
accompagnements, parfois virtuoses
(réjouissantes volutes ornementales
du duo final, « Dolce nome ») sont
finement ciselés. On sait dès l’ébou-
riffante Sinfonia d’ouverture, com-
posée en douche écossaise (motifs
de sommeil et traits fulgurants al-
ternés), qu’un chef maître de ses
96 I
effets et de leur timing est à l’œuvre.
Les quatre chanteurs, s’ils ne démé-
ritent jamais, convainquent diver-
sement. La voix chaleureuse et déli-
catement vibrée d’Aurora Peña
s’avère très agile (ornementation
foisonnante au da capo de « Qual
colomba »), mais n’est pas exempte
de stridence dans l’aigu. Celle de
Béatrice Gobin est tout aussi bril-
lante, avec un vibrato serré qui
confine parfois au tremolo (« Mi dirai
tutte le pene  »). Enfin, le chaud
contralto de Mélodie Ruvio charme
et fait contraste (en particulier dans
le duo « Ecco gia ch’ella s’en viene »)
avec la voix plus désincarnée du
contre-ténor, à la vocalisation trop
modeste et retenue. Une réalisation
néanmoins ambitieuse et soignée.
Denis Morrier
FRANZ SCHREKER
1878-1934
Y Y Y Y Y Prélude à un drame.
L’Anniversaire de l’Infante
(Suite). Suite romantique op. 14.
Orchestre symphonique de la
Radio de Berlin, JoAnn Falletta.
Naxos. Ø 2017. TT : 1 h 04’.
TECHNIQUE : 4/5
Le Prélude à un
drame (1913)
emprunte son
matériau à
l’opéra Les Stig-
matisés (1911-
1918), dont il élargit l’Ouverture à
une vaste forme sonate d’une ving-
taine de minutes. Sous un vernis
plus sombre mais d’un pinceau pas
moins sensuel que celui du luxuriant
James Conlon à Cologne (Warner),
JoAnn Falletta travaille un magma
orchestral dont les éruptions fra-
cassantes submergent l’oreille. Les
déferlements de la bacchanale n’em-
pêchent ni les rêves caressants, ni
l’évocation parfaitement explicite
de certains personnages. Il faut dire
que la cheffe américaine négocie
les transitions et traduit chaque épi-
sode avec un sens de la narration
hors pair. Impressionnant.
L’Anniversaire de l’Infante (1923) s’ins-
pire du même conte d’Oscar Wilde
que Le Nain de Zemlinsky. Sous ses
faux airs d’inoffensif divertissement,
cette pantomime est typique du
dernier Schreker : rythmes irrégu-
liers et/ou exagérément accentués
(Menuet), cheminements harmo-
niques inattendus, juxtapositions
presque polytonales. La Suite pour
grand orchestre lui confère une opu-
lence qu’interdisait la formation de
chambre initiale.
Comme Lothar Zagrosek (Decca),
Falletta la met en scène avec autant
d’imagination que de caractère.
Nous admirons les merveilles de la
Ronde initiale avec les yeux du bam-
bin qui pousse la porte d’un maga-
sin de jouets. Encore présent lorsque
les chérubins jouent à la guerre en
se voyant plus grands qu’ils ne sont
(II), l’imaginaire enfantin s’absente
dès que la musique évoque le drame
du bouffon, cruellement moqué par
la fille du roi pour avoir pensé qu’elle
pouvait l’aimer.
Dans un autre style, la Suite roman-
tique (1903) ne manque pas non plus
d’atouts pour séduire. L’Idylle sonne
comme une aurore gagnée par une
passion qui embrase tout, et on ap-
précie la subtilité avec laquelle les
cordes expriment les soupirs de
l’Intermezzo. Seul bémol, ni le Sche-
rzo (dont les appels de chasse rap-
pellent Weber & Cie), ni la danse
finale ne marquent les rythmes aussi
nettement que Sinaisky à Manches-
ter (Chandos). Nicolas Derny
FRANZ SCHUBERT
1797-1828
Y Y « Heimweh ». 15 Lieder.
Anna Lucia Richter (soprano),
Matthias Schörn (clarinette),
Gerold Huber (piano).
Pentatone (SACD).
Ø 2018. TT : 1 h 20’.
TECHNIQUE : 4/5
TECHNIQUE SACD : 4,5/5
Heureux le jeune
artiste qui par-
tage les lieder
de Schuber t
avec le piano de
Gerold Huber !
Superbe d’allant et de maîtrise (An
mein Herz), de conduite évocatrice
(Der Zwerg), phrasant pur et sans
langueur (Ellens Gesänge), respirant
une qualité rare de silence (les trois
Mignon), il atteint dans la nudité du
thème inaugural de Viola une poé-
sie absolument entêtante. L’intro-
duction du Hirt auf dem Felsen, large
et mystérieuse, accueille l’attaque
extraordinaire de Matthias Schorn
à la clarinette, puis la voix entre, et
les choses se gâtent.
Dans un programme copieux et non
moins ambitieux, Anna Lucia Rich-
ter montre des qualités de langue
(Abschied von der Erde), de
sentiment çà et là, mais trop de li-
mites dans l’expression ou simple-
ment d’un point de vue technique.
L’étroitesse du coloris et la mono-
tonie de l’interprétation tiennent
d’abord aux difficultés de l’émis-
sion. S’étiolant dans le grave, pei-
nant à s’épanouir, la voix devient
vite grinçante ou miaulée dans l’aigu,
et le sol4 est déjà une épreuve dans
Heimweh. Des expédients erratiques
(ce Zwerg est à oublier) et un ton
de pâmoison, garni de notes sans
vibrato (Erster Verlust ou Raste, Krie-
ger en font les frais), ne compen-
seront pas un phrasé (souvent)
pauvre.
Ménagé par le pianiste, le chant se
crispe en quête de gravité dans To-
tengräbers Heimweh : peine per-
due, même en léchant la conclusion.
Sans remonter à la simplicité poi-
gnante de Rita Streich (Nur wer die
Sehnsucht kennt) ou de Lucia Popp
(An mein Herz), le programme voi-
sin de Carolyn Sampson (« Schuber-
tiade », cf. no 670) offrait une tout
autre maîtrise du dessin et de l’aigu.
Jean-Philippe Grosperrin
Y Y Y Quatuors à cordes nos 14
« La Jeune Fille et la mort » et 9.
Quatuor Chiaroscuro.
Bis (SACD). Ø 2017. TT : 1 h.
TECHNIQUE : 4/5
TECHNIQUE SACD : 4,5/5
Dans « La Jeune
Fille et la mort »,
les Chiaroscuro
convoquent le
tragique et l’an-
goisse par des
moyens radicaux, que d’aucuns ju-
geront aussi sophistiqués qu’artifi-
ciels. Ambitus dynamique exacerbé,
soufflets systématiques, précision
infinitésimale des nuances et de
l’articulation, phrasés parfois très
étudiés, déferlements d’énergie
sauvage : ce qui impressionne peut
aussi assommer. Notons que le Senza
vibrato constant est assumé, sur
cordes en boyau, avec un intona-
tion au laser.
Le grand Allegro laisse pantois. Cer-
tains s’enthousiasmeront devant un
tel torrent d’agressivité plutôt acide.
D’autres resteront de marbre, en
dépit de la parfaite maîtrise collec-
tive. L’engagement physique indis-
cutable des interprètes ne compense
pas la minceur d’une sonorité d’en-
semble décharnée. Une écoute at-
tentive de l’Andante à variations,
diaphane et glaçant, puis des deux
derniers mouvements, électriques
à souhait, suffit à peine à recon-
naître à cette course folle un tant
soit peu de densité expressive. Im-
peccable virtuose, la violoniste d’ori-
gine russe Alina Ibragimova nous
laisse froid, une fois de plus, avec
son quatuor – dont le travail, mal-
gré le choix de cordes en boyaux,
reste en marge des travaux « his-
toriquement informés ».
Le festival d’effets se poursuit dans
le Quatuor en sol mineur. Cette com-
position de 1815, encore assez mo-
zartienne, n’en demande pas tant
malgré la thématique vigoureuse
et contrastée de son premier mou-
vement et l’intensité de son Andan-
tino. Du moins les Chiaroscuro ap-
portent-ils un soin précieux au seul
élément unificateur de cette œuvre
de jeunesse, son rythme.
Patrick Szersnovicz
ROBERT SCHUMANN
1810-1856
Y Y Y Y Märchenbilder op. 113.
Romanze op. 94 (a).
Märchenerzählungen op. 132.
KURTAG : Signes, jeux et
messages. Hommage à R. Sch. (b).
Hélène Desaint (alto),
Ronald Van Spaendonck
(clarinette), Louis Lortie (a),
Nathanaël Gouin (b) (piano).
Fuga Libera. Ø 2018. TT : 1 h 48 ’.
TECHNIQUE : 4/5
C’est avec dou-
ceur mais assu-
rance, qu’Hélène
Desaint pénètre
dans l’univers des
contes de Schu-
mann, placés en miroir de Kurtag.
Au terme d’une résidence à la Cha-
pelle musicale Reine Elisabeth, l’al-
tiste française s’est entourée de par-
tenaires de choix pour son premier
disque, qui réunit des œuvres d’es-
sence poétique espacées dans le
temps. Dès les Märchenbilder, la voix
d’alto se veut nocturne et s‘aventure
à la limite du murmure (no 4). La belle
énergie émanant du duo avec Louis
Lortie est tempérée par des basses
trop discrètes au piano et des fins
de phrases systématiquement allé-
gées. La même esthétique préside
aux trois Romances op. 94 qui, en
l’absence des brusques ruptures exi-
gées par Schumann, sacrifient leur
ambivalence au confort d’écoute.
Les Signes, jeux et messages de
Kurtag, mêlés aux Romances, offrent
à mi-parcours une respiration bien-
venue. La prise de son « s’aère », en
profitant de la résonance naturelle
de la chapelle. Hélène Desaint fait
merveille dans ces pages de « poé-
sie pure », où chaque geste sonore
épouse le silence. Taillé pour la même
formation que les Märchenerzählun-
gen, l’Hommage à R. Sch. du com-
positeur hongrois est joué avec une
intensité quasi mystique. Celle-ci
atteint son apogée dans l’Adieu final
où l’articulation impeccable de Na-
thanaël Gouin et les nuances cré-
pusculaires de Ronald Van Spaen-
donck s’accordent aux minutieux
effets de timbre de l’alto.
Ces qualités demeurent dans
l’Opus  132, le souffle en moins,
comme si les interprètes avaient pré-
féré au flux de la parole une diction
exemplaire. Il en résulte des mou-
vements languides et des contrastes
assez faibles – Eusebius sans Flo-
restan. A moins que ce ne soit Kur-
tag qui, en digne maître Raro, équi-
libre finalement ce programme où
rien n’a été laissé au hasard.
Bertrand Hainaut
Y Y Y Y Y Sonate pour piano no 3.
Carnaval de Vienne op. 26.
3 Fantasiestücke op. 111.
Chants de l’aube op. 133.
Jean-Efflam Bavouzet (piano).
Chandos. Ø 2018. TT : 1 h 14’.
TECHNIQUE : 3/5
Un programme
s c humannien
peu commun.
Version révisée
du Concert sans
orchestre, la
Grande Sonate (no 3) est une œuvre
difficile à appréhender – on peut
se perdre autant dans ses états suc-
cessifs que dans son trop-plein de
passion. Le troisième mouvement,
son épicentre, consiste en des va-
riations sur un thème de Clara Wieck,
parfois présentées à part. Horowitz
s’en était entiché. Comme on le
comprend ! Jean-Efflam Bavouzet
se meut avec aisance dans ces pages
porteuses d’un doux poison. Vingt
ans après un premier enregistre-
ment pour Harmonic Records, le
pianiste français confère comme il
se doit l’allure d’une cavalcade ef-
frénée au Prestissimo possibile
conclusif, parsemé de furieux tré-
molos, et préserve partout une clarté
exemplaire. Superbe !
L’élan du Carnaval de Vienne est
bien au rendez-vous. Les tempos
sont particulièrement allants,
Bavouzet semblant se méfier de
toute lourdeur comme de la peste.
Son approche cohérente, d’une in-
tense vitalité, tend cependant à
gommer la robustesse qui fait le sel
de l’œuvre, à l’affadir quelque peu,
à la rendre en fin de compte trop
« normale ».
J’avoue avoir toujours eu un faible
pour le troisième des Fantasiestücke
op. 111, aux accents marqués si pleins
de caractère – Horowitz, encore lui,
nous y secouait davantage. Bavou-
zet, en conclusion, trouve le ton juste
des fuyants Chants de l’aube, mo-
ment de lucidité avant que le com-
positeur ne rejoigne les ténèbres,
et recueil précieux – ne serait-ce que
pour l’étreignante quatrième pièce.
Un Schumann d’une remarquable
facture. Bertrand Boissard
RICHARD STRAUSS
1864-1949
Y Y Y Y Y Concerto pour cor no 1*.
Sérénade op. 7. Sonatine no 1
« De l’atelier d’un invalide ».
Ana
Tél :
06 51 10 76 64
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sound. à notre showroom parisien pour
com une expérience 100% analogique
Métamorphoses.
Robert Langbein (cor)*,
Staatskapelle Dresde,
Christian Thielemann.
Profil Hänssler (2 CD).
Ø 2014. TT : 1 h 25’.
TECHNIQUE : 4/5
Le quarante-qua-
trième volume
de la monumen-
tale «  Edition
Staatskapelle
Dresden  »
montre une fois encore en Christian
Thielemann un homme soucieux de
l’histoire des institutions qu’il dirige.
Cette anthologie ajoute aux
Métamorphoses (1949) les première
(Sérénade) et dernière (Sonatine)
œuvres de Strauss créées à Dresde,
en 1882 et 1944. Ce compagnon-
nage d’une vie a fait de la Staatska-
pelle un orchestre straussien d’ex-
ception, créateur de huit opéras. Le
cycle enregistré par Rudolf Kempe
pour Emi-Electrola reste lui aussi
dans toutes les mémoires.
Quelques idiosyncrasies de Thiele-
mann titillent l’oreille dès le Concerto
pour cor no 1. Si Robert Langbein
Silver
I 97
Telemann / Tippett / Torri / Weber / Wiren

hédonisme sonore, ni la fluidité ul-

Nouveauté
MICHAEL TIPPETT
1905-1998
Symphonies nos 3 et 4.
Symphonie en si bémol.
Rachel Nicholls (soprano),
BBC Scottish Symphony Orchestra,
Martyn Brabbins.
Hyperion (2 CD). Ø 2018. TT : 2 h 01’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Enregistrement réalisé en février 2018 au City Hall
de Candleriggs, Glasgow, par Simon Eadon. L’image
sonore de l’orchestre s’inscrit dans une importante
profondeur. Certaines percussions paraissent
lointaines. Dans la Symphonie no 3, la proximité de
la soprano accentue par contraste cette profondeur.
Cette perspective tronquée n’empèche pas des
timbres et des contours instrumentaux bien définis.
time. Le plus frappant est l’intensité
du dialogue lyrique entre les diffé-
rentes sections jusqu’au fameux cli-
Martyn Brabbins, Rachel Nicholls et l’Orchestre max central. Cette interprétation
symphonique de la BBC d’Ecosse défendent forte d’un chef-d’œuvre pose le
une approche fervente, moins visionnaire sommet d’une anthologie emplie
et hiératique que celles de Colin Davis d’histoire(s). Rémy Louis
(Decca, 1973) et de Richard Hickox (Chandos),
mais tout aussi énergique. Les jeux d’ombre GEORG PHILIPP TELEMANN
et de lumière, rendus avec un soin plus 1681-1767
analytique, modifient sensiblement le propos : Y Y Y Y « La Solitude a deux,
le contrepoint parodique au texte de Schiller duos et fantaisies sans basse ».
laisse transparaître un espoir. Sonates TWV 40/101, 40/103
Rude, mobilisant une imposante formation, et 40/104. Fantaisies TWV 40/2,
la Symphonie no 4 (1977) frappe par la 40/4, 40/16 et 40/20.
concentration des idées. Un seul mouvement Matteo Gemolo (traverso),
(trente-cinq minutes) enchaîne sept sections, Patrizio Germone (violon).
dont trois violentes phases de développement. Arcana. Ø 2017. TT : 53’.
Tippett l’a conçue comme une trajectoire TECHNIQUE 3/5
« allant de la naissance à la mort », et il est Si les douze fan-

M
ichael Tippett, dans le finale explosif impossible de ne pas songer à la structure taisies pour flûte
de sa Symphonie no 3, fait chanter formelle de la Symphonie no 7 de Sibelius, seule (1732) et le
trois blues à la soprano, cite plusieurs malgré la différence des langages. Martyn cycle équivalent
fois la 9e de Beethoven et déforme Brabbins en livre une interprétation plus p ou r v iolon
sauvagement ces emprunts. L’idéalisme intériorisée que celle du créateur et dédicataire (1735) dévoilent
universel de l’Ode à la joie de Schiller n’est Georg Solti (Decca, 1979). Il plonge au plus un Telemann fantasque et audacieux,
plus de mise au siècle des camps de la mort profond de sa texture foisonnante, de sa nature les six duos sans basse sont em-
et du goulag. Un tel hymne n’est plus possible. tragique, et met en valeur les subtilités preints d’une italianité plus conven-
Fut-il un leurre ? harmoniques et rythmiques. Son orchestre tionnelle. L’édition de 1727 conseille
De dimensions quasi mahlériennes (près s’illustre dans des rugosités de toute beauté. d’employer deux instruments ju-
d’une heure), c’est l’une des partitions les plus Emaillée de digressions inattendues (dont une meaux, dont les jeux de miroirs per-
ambitieuses de Tippett. Le public londonien paraphrase aux cordes seules d’une fantaisie mettent de séduisants effets acous-
découvrait en 1972, sous la baguette de Colin de Gibbons), la dissolution dramatique de la fin tiques – tel n’est pas le cas de Matteo
Davis, cette fresque en deux gagne beaucoup d’intensité. Gemolo et Patrizio Germone, qui
parties, elles-mêmes subdivisées Le double album vaut aussi préfèrent mêler flûte et violon. Cer-
en deux : des blocs de plus pour un inédit, une symphonie tains mouvements trouvent leur ca-
en plus étendus de musique de jeunesse (1933) en si bémol. ractère (Dolce en ré majeur), mais
dynamique s’opposent à des Tippett la considérait comme la conception du rythme et des
sections statiques, dans immature et trop influencée thèmes fugués oppose clairement
un dense et nocturne Lento, par Sibelius, mais ce triptyque les deux musiciens : à la tranquille
puis un bref scherzo articule, plutôt lumineux et attrayant fluidité de l’un répond un jeu éner-
en kaléidoscope, des musiques vaut le détour, à condition de gique, constamment vibré, qui nuit
disparates. ne pas y chercher la promesse au timbre et à la variété du discours.
Pour ce second et dernier volet des chefs-d’œuvre à venir. Au moins le (bref) cycle est-il au com-
d’une intégrale (cf. no 665), Patrick Szersnovicz plet, une première au disque.
En solo dans les fantaisies pour vio-
survole la partie soliste avec pa- la seconde ajoute un cor de basset rayonnement sonore du finale est lon, Germone se distingue par une
nache, mêlant plénitude du son et et une clarinette basse. Telles que particulièrement convaincant. belle prise de parole. Le parcours
assurance technique – voilà bien un Thielemann les dirige, elles semblent Mais au fond, tout mène ici aux Mé- rhétorique est clairement tracé par
successeur de Peter Damm ! –, le partager une même et introspec- tamorphoses (1945), prises au début ce digne élève d’Enrico Onofri, et
chef demeure un rien prude et sé- tive mélancolie. Est-ce une impres- et à la fin dans un tempo assez lent. son archet déploie un vocabulaire
rieux pour cet opus de jeunesse : sion ? Un chef placé à la tête d’un Chargées de sens tragique, elles étendu. Autre complément, les fan-
temps forts appuyés, manque d’élas- ensemble de solistes comme celui- ne sont pas aussi « noires » que celles taisies pour flûte seule sont plus dé-
ticité des accents, en particulier dans ci tend souvent à retenir légèrement d’un Furtwängler ou d’un Klempe- rangeantes si l’on considère que
le premier mouvement. L’Andante le tempo, à détendre les phrasés rer, parce que les cordes de Dresde Matteo Gemolo a étudié auprès de
est traité comme un nocturne, quand que les musiciens seuls aborderaient font toujours coexister densité et Barthold Kuijken, donc a été nourri
le finale dispense l’énergie idoine, avec plus de spontanéité. Mais com- transparence – la polyphonie de- à une culture différente de celle de
toujours un peu bourrue côté ment résister à cette patine de vieil meure constamment lisible malgré la flûte « moderne ». La raideur des
orchestre. argent, où les hautbois diffèrent de la profondeur du son, notamment épisodes dansants est relayée dans
Une vie sépare la Sérénade et la So- ceux de Vienne, les clarinettes de dans la dernière section. Portées les autres par une surarticulation
natine pour vents, inspirées l’une et celles de Berlin ? Quant aux cors, par une exaltation et une vie ryth- monotone. Barthold Kuijken (Ac-
l’autre par Mozart. Elles recourent ils paraissent toujours revenir d’une mique croissantes, se déployant peu cent, 1978) et plus près de nous
au même effectif par deux, à quoi excursion en forêt avec Weber. Le à peu, elles ne visent pas le simple François Lazarevitch (Alpha, 2016)

98 I
investissaient avec beaucoup plus
d’art la polyphonie cachée et la grâce
de l’écriture. Philippe Ramin
PIETRO TORRI
CA 1660-1737
Y Y Y Y Y La Vanita del mondo.
Barbara Schlick (Piacere),
Ingrid Schmithüsen (Grazia),
Derek Lee Ragin (Anima),
Michael Schopper (Mondo), Musica
Antiqua Köln, Reinhard Goebel.
Musique en Wallonie (2 CD).
Ø 1988. TT : 1 h 31’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Il a fallu trente ans
pour que ce petit
bijou, capté par
la Radio suisse à
Fribourg, soit
édité par Mu-
sique en Wallonie – une région dans
laquelle Torri, né au bord du lac de
Garde, puis attaché à la cour de Ba-
vière, est resté quelques années.
Son maître, l’électeur Maximilien-
Emmanuel de Wittesbach, fut
nommé en 1691 gouverneur des
Pays-Bas espagnols, séjournant entre
autres à Lille, Liège ou Bruxelles –
où Torri crée plusieurs oratorios.
La Vanita del mondo (1706), n’est
pas un chef-d’œuvre mais un bon
exemple de façonnage d’oratorio
à l’italienne dans la lignée de Cavalli
ou Stradella, avec une petite in-
fluence de Charpentier. Le livret sil-
lonne les sentiers (moraux) battus :
l’Âme est tentée par le Plaisir, le
Monde et leurs bonheurs illusoires
mais, après bien des hésitations, elle
sera convaincue par la Grâce de choi-
sir la voie céleste vers Dieu. Une
bonne vingtaine d’arias plutôt
courtes, des récitatifs essentielle-
ment secco, deux brèves sinfonias
et trois chœurs balisent ce chemi-
nement dans un climat proche de
l’opéra. Les airs les plus accomplis
font intervenir un violon solo, voire
une violetta, sorte d’alto du XVIIe
siècle, traités de façon virtuoses.
L’Anima est, sous cet angle, la mieux
servie, avec comme point d’orgue
l’air (le plus long de l’œuvre, six mi-
nutes) qui achève la première par-
tie : torturée par son dilemme, elle
en appelle aux Cieux pour se déci-
der, soutenue par un violon exubé-
rant quoique dans une atmosphère
poignante.
Reinhard Goebel s’est lancé dans
cette aventure deux ans après ses
Brandebourgeois qui changèrent la
face du baroque. Il prend la parti-
tion à bras-le-corps avec un sens du
théâtre, un soin des détails instru-
mentaux et une connaissance du
style italien qui épatent. Mais encore,
il se partage les solos de violon avec
Manfredo Kraemer et Florian Deu-
ter (la notice oublie d’ailleurs de pré-
ciser qui joue quoi), c’est dire si nous
évoluons sur des sommets. La ver-
deur des tutti des cordes, l’alchimie
de leur fusion avec le hautbois et la
verve du continuo convergent dans
un théâtre saissant.
Chargé d’un rôle très lourd, qui plus
est capté en concert, Derek Lee
Ragin arbore une voix souvent
fluette, qui survole parfois les voca-
lises. Néanmoins il s’investit peu à
peu dans son personnage symbo-
lique et se montre troublant, proche
de l’extase, dans son grand air in-
terrogatif puis quand son choix est
fait. Il faut dire que la réverbération
de l’église rend tous les chanteurs
assez distants. On ne reconnaît pas
le grain habituel de Barbara Schlick,
mais bien sa tenue de chant ses
phrasés admirables. Présente-t-elle
la sensualité attendue du Plaisir ?
C’est une autre question.
A son meilleur, Michael Schopper
incarne un Monde inquiétant. Ses
graves mordants nous invitent avec
force à des péchés coupables. Il est
le seul à surmonter le handicap des
conditions sonores avec, bien sûr,
l’épatante Musica Antiqua Köln. Il y
a deux ans, Musique en Wallonie
avait déjà ressuscité un autre ora-
torio de Torri, Le Martyre des Mac-
chabées, mais cette Vanita méritait
encore plus la redécouverte. Peut-
être pas un diamant mais un bijou
assurément. Jean-Luc Macia
CAR MARIA VON WEBER
1786-1826
Y Y Y Y Sonate pour piano no 2.
SCHUBERT : Sonate D 575.
Paul Lewis (piano).
HM. Ø 2017. TT : 57’.
TECHNIQUE : 3/5
Félicitons Paul
Lewis pour ce
programme hors
des sentiers bat-
tus. Malgré l’ad-
mirable double
album de Michael Endres en 2004
(Oehms), la musique pour piano de
Weber, comme coincée entre Bee-
thoven et Schubert, n’est plus guère
jouée. Les quatre sonates ont
pourtant toutes eu leur champion : ni Richter, ni Dalberto n’y déploient
Magaloff pour la première, Cortot de telles richesses  : les accords
(puis son disciple Thierry de Brun- même paraissent différents tant il
hoff) pour la deuxième, Richter pour semble se passer mille choses en
la troisième, Ciani pour la dernière. quelques notes seulement. Et les
La deuxième (1814-1816) est une nuances de Brendel sont merveil-
œuvre brillante et chantante, dont leuses ! Lewis se révèle un peu lisse
les premières mesures s’élèvent sur en comparaison. Si Richter et Dal-
les brumes de trémolos. Le Rondo berto donnent, dans le succulent
final évoquera Beethoven. Scherzo, l’impression de marcher
Lestée par une main gauche quel- sur des œufs, le nouveau venu y dé-
quefois un peu engluée dans la pé- ploie une belle énergie, sans tou-
dale (I), sans doute trop royale de tefois oser faire feu de tout bois –
son (III) pour donner libre cours à la Brendel là encore ! Un album probe,
fantaisie légère de Weber (qui est musical, gouverné par la raison.
en cela parent de Mendelssohn), Bertrand Boissard
l’interprétation du pianiste anglais
reste en marge de la vitalité saisis- DAG WIREN
sante de Cortot, comme de la verve 1905-1986
et de la finesse de l’étonnant Thierry Y Y Y Y Quatuors à cordes
de Brunhoff (Emi). La placidité de nos 2, 3, 4 et 5.
Lewis surprend aussi dans tel pas- Quatuor Wiren.
sage noté con passione (IV). Naxos. Ø 2016. TT : 1 h 11’.
Le début de la Sonate D 575 en si TECHNIQUE : 3,5/5
majeur, une des œuvres les plus sa- Dag Wiren jugeait
voureuses et insouciantes de Schu- que son Quatuor
bert, est fort bien joué : c’est incisif, no 1 (1930) n’était
naturel, vivant, encore que le chant pas digne d’être
soit moins soutenu qu’avec Brendel, joué, accueillons
inégalable dans l’Andante. Ni Lewis, donc une
Un trio
mono
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perfidement
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I 99
Titelouze / Yun

intégrale par l’ensemble fondé en
1994 qui lui a emprunté son nom.
En trois et quatre mouvements de
forme classique, les Quatuors nos 2
(1935) et 3 (1941-1945) ressortissent
à une esthétique brillante et légère,
très marquée par certains courants
en vogue dans la musique française
de l’entre-deux-guerres (Wiren sé-
journa à Paris de 1932 à 1934). Le
no  3 a beau montrer davantage
d’achèvement dans la définition des
textures, la conduite des parties et
la maîtrise de la polyphonie, ces
deux partitions divertissantes, éva-
cuant tout le tragique de l’existence,
ont pris quelques rides.
Tel n’est pas le cas du Quatuor no 4
(1953). Bien que formé de cinq mou-
vements concis (deux à cinq minutes
chacun), il révèle un tout autre souffle
et demeure sans doute le chef-
d’œuvre de son auteur dans le do-
maine de la musique de chambre.
Wiren, dans un langage plus inventif
et moderne, découvre une nouvelle
sphère expressive ; l’hédonisme un
rien factice des quatuors précédents
est contrebalancé par une logique
rigoureuse et une ligne intérieure
d’une remarquable fermeté. Si le
propos, traversé de soudaines vi-
sions oppressantes et rudes, est le
plus souvent tendu, il est émaillé par
les échos d’un lyrisme mélancolique.
Les Wiren lui rendent justice avec
simplicité, précision, vigueur et un
souci d’émotion directe.
Ils sont également exemplaires dans
le Quatuor no 5 (1970), bref triptyque
(treize minutes) d’une portée légè-
rement moindre mais d’une égale
qualité de facture.
Patrick Szersnovicz
ISANG YUN
1917-1995
Y Y Y Y Y Fanfare & Memorial (a).
Concerto pour violoncelle (b).
Interludium A (c). Concerto pour
violon no 1 (d). Kontraste (e).
Gasa (f). Glissées (g).
Yumi Hwang-Williams (violon) (d-f),
Matt Haimovitz (violoncelle) (b, g),
Maki Namekawa (piano) (c),
Bruckner Orchester Linz,
Dennis Russell Davies (piano [f]
et direction [a, b, d]).
Pentatone (2 SACD). Ø 2017.
TT : 2 h 28’.
TECHNIQUE : 4,5/5
TECHNIQUE SACD : 4,5/5
Contrairement à
celle de son
élève Toshio Ho-
sokawa, la mu-
sique d’Isang
Yun trouve assez
peu d’écho en France. Coréen na-
turalisé allemand en 1971, il a pour-
tant réalisé une synthèse musicale
extrêmement féconde entre Asie
et Occident, qui n’a rien à envier à
celle de Takemitsu et n’a aucun autre
équivalent dans sa génération.
Difficile de rester de marbre devant
le Concerto pour violoncelle (1976),
habité avec une vitalité et une
présence électrisantes par Matt Hai-
movitz. L’usage fréquent de pizzi-
catos énergiques et de glissandos
ornementaux rapides (réminiscences
de cithare coréenne komun’go ?)
tonifie le discours sans verser dans
une couleur locale naïve. On est saisi
par l’intensité lyrique du deuxième
mouvement, à laquelle l’interprète
n’est évidemment pas étranger. Dans
le finale, animé par de puissantes
interventions des cuivres et percus-
sions, Haimovitz réussit à faire ou-
blier les contraintes de la virtuosité
à laquelle il est soumis.
Plus copieux encore – une quaran-
taine de minutes –, le Concerto pour
violon no  1 (1981) semble tirer sa
force expressive d’un paradoxe : s’il
s’inscrit ostensiblement dans l’héri-
tage romantique du genre (le com-
positeur y a intégré des éléments
de thématisme, chose inhabituelle
chez lui), il fuit tout académisme.
On passe sans préavis d’un orchestre
massif à une configuration en trio ;
les harmonies, les combinaisons de

Découverte timbres et de modes de jeu, les rup-

JEHAN TITELOUZE
CA 1563-1633
« Les Messes retrouvées ».
Missa Cantate. Missa In ecclesia.
Hymne, Magnificat et pièces d’orgue.
découverte Les Meslanges, Thomas Van Essen
& Volny Hostiou, François Ménissier
(orgue de Champcueil).
Paraty. Ø 2017. TT : 1 h 08’.
TECHNIQUE : 4/5
Enregistré en avril et octobre 2017 à l’église de
Champcueil par Thomas Collin et Etienne Graindorge.
Harmoniser l’énergie sonore des voix et des vents
anciens (sacqueboutes, serpent et cornet) est une
gageure : une belle réussite, dans un même espace et
au même plan. Un bon équilibre, également, dans les
deux pièces qui font alterner l’orgue et l’ensemble.
et le collectif de Thomas Van Essen les
déchiffrait aussitôt. En voici deux sur les quatre,
une dense Missa Cantate à six voix, au
contrepoint aussi riche que suave, et une plus
austère Missa In ecclesia à quatre voix.
On ne pouvait en espérer lecture historiquement
mieux informée. Les Meslanges ont sollicité
les conseils éclairés d’Olivier Bettens, qui fait
autorité en matière de prononciation restituée,
et de Jean-Yves Haymoz, expert du contrepoint
ancien et de ses modalités d’interprétation.
Meslanges ? Car Thomas Van Essen associe
volontiers voix et instruments : chaque chanteur
se voit doublé d’un cornet, d’un trombone
ou d’un serpent. Ces voix claires et vivement
projetées animent les polyphonies savantes de
Titelouze avec une grande souplesse dynamique,
tures du flux captivent en perma-
nence. Yumi Hwang-Williams, enre-
gistré live, se joue avec une aisance
confondante des difficultés tech-
niques si bien que, là encore, on
décolle, happé par le magnétisme
du discours. Piloté par Dennis Rus-
sell Davies, le Bruckner Orchester
fait des prouesses en matière de
clarté et de réactivité.
Le programme permet aussi d’en-
tendre les solistes à découvert dans
des pièces qui outrepassent ce qu’on
pourrait en attendre, au vu de leur
titre. Les quatre variations sur l’idée
de glissando alignées dans Glissées
(1970) sont plutôt des études sur la
concentration du geste et de l’éner-
gie, sur fond d’évocation de la vièle

D
eux publications (Hymnes de l’église
en 1623, Magnificat, ou cantique
de la Vierge en 1626) ont valu
au Rouennais Titelouze,
chanoine de la cathédrale
Notre-Dame, d’être statufié
en « fondateur de l’école
d’orgue française ».
La découverte fin novembre
2016 de quatre messes vient
d’enrichir significativement
son portrait. Laurent Guillo
les dénichait à l’Institut
catholique de Paris, dans un
recueil de vingt-six compositions
parues en 1626 chez Ballard,
et modèlent avec relief les parties intermédiaires.
Si Van Essen préfère éviter le recours à l’orgue
dans la polyphonie vocale, celui-ci surgit avec
splendeur pour l’hymne Pange
lingua (1623) et le Magnificat
secundi toni (1626), donnés
en alternatim. François Ménissier
touche avec délicatesse et
raffinement les versets impairs,
tandis que les pairs sont clamés
en faux-bourdon (d’après
les Octo cantica de Bournonville,
1614). Réjouissance de l’esprit
et envoûtement des sens sont
PLAGE 5 DE NOTRE CD
ainsi au rendez-vous.
Denis Morrier
haegum et de la cithare komun’go.
Les Kontraste (1987) auraient pu se
solder quant à eux par un duel entre
legato et pizzicatos, mais l’écriture
et l’aura du jeu violonistique de Yumi
Hwang-Williams transcendent toute
opposition binaire. Avec ses faux
airs d’improvisation alla zingara, la
partie centrale est somptueuse.
Pierre Rigaudière
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voir pages ▸ 111-112

100 I

R ÉCI TA L S
BRUNO BORRALHINHO
VIOLONCELLE
CHRISTOPH BERNER
PIANO
Y Y Y Y STRAUSS : Sonate pour
violoncelle et piano. ZEMLINSKY :
Sonate pour violoncelle et piano.
MAHLER : Lieder eines fahrenden
Gesellen (transcr. Borralhinho).
Ars. Ø 2018. TT : 1 h 09’.
TECHNIQUE : 4/5
Bruno Borralhinho,
membre de la
Philharmonie de
la Dresde, par-
tage son pro-
gramme entre
trois pages de jeunesse écrites entre
1883 et 1892 par Richard Strauss,
Mahler et Zemlinsky. Son complice
Christoph Berner est bien connu en
France pour son partenariat avec
Werner Güra, dont témoignent plu-
sieurs réussites exceptionnelles chez
Harmonia Mundi. Du beau monde,
comme souvent chez Ars Produktion,
un des principaux découvreurs de
talents en Allemagne.
Une très grande honnêteté de l’ap-
proche ressort de ce disque enre-
gistré sans indulgence acoustique,
avec une large palette dynamique.
Le violoncelliste atteste un beau
sens de la ligne (on n’est pas le dis-
ciple de Truls Mørk pour rien) et
contrôle bien un vibrato assez par-
cimonieux. L’accompagnement de
Berner, par son soutien du chant et
un jeu très atmosphérique, fait mer-
veille dans l’univers des lieder du
Compagnon errant (dont Borral-
hinho signe la transcription).
Moins relevée que celle de la sonate
en fa majeur de Strauss, qu’une belle
lecture ne suffit pas à imposer, la
concurrence dans la sonate en la mi-
neur de Zemlinsky laisse davantage
de chances à cette nouvelle version.
Le compositeur avait vingt-deux ans
quand il écrivit cette pièce bien plus
que documentaire (elle fut éditée
en 2005 seulement par Anthony
Beaumont). Borralhinho et Berner
rejoignent, dans une interprétation
très raffinée, les réussites de Jo-
hannes Moser (Hänssler) et Raphael
Wallfisch (Nimbus) – dont la chaleur
exceptionnelle et l’implication (avec
John York au piano) gardent notre
préférence. Michel Stockhem
LOUIS-NOËL Soir d’hiver de Nadia Boulanger. secondes et des cumulus galoper
BESTION DE CAMBOULAS
ORGUE
Avec les quatre poèmes de Jean
de La Ville de Mirmont magnifiés
dans le ciel bleu. Le pianiste améri-
cain Jeremy Denk fait ainsi le pari
Y Y Y Y Y Œuvres de Debussy, par le dernier opus de Fauré, cette de couvrir près de sept siècles de
Fauré, N. Boulanger, Franck, mélodie, véritable révélation d’un musique en vingt-cinq étapes. Il faut
Liszt, Paladilhe, Reger, Wolf. talent de compositrice qui se sacri- moins de deux heures pour passer
Eugénie Lefebvre (soprano), fia à sa sœur et à ses élèves, ombre de la sobre poésie de Guillaume de
Etienne Bazola (baryton), Adrien un instant, de sa grandeur tragique, Machaut (Doulz amis) à L’Automne
La Marca (alto), Lucie Berthomier le charme souriant d’un programme à Varsovie, cette étude où Ligeti in-
(harpe). Orgue Cavaillé-Coll tout en nuances. Paul de Louit vite dans son piano les gestes de
de l’abbaye de Royaumont. Chopin. Entre les deux, chacun
HM. Ø 2018. TT : 1 h 08’. JEREMY DENK pourra évaluer la largeur (ou l’étroi-
TECHNIQUE : 3,5/5 PIANO tesse !) de la période chronologique
Avec les trans- Y Y Y Y Y « c. 1300–c. 2000 » qui lui est familière.
criptions qui Œuvres de Machaut, Binchois, Le jeu coloré, profond et subtil de
constituent l’es- Ockeghem, Dufay, Josquin, Byrd, Jeremy Denk transforme cette ex-
sentiel de ce Janequin, Gesualdo, Monteverdi, périence en une formidable dé-
disque, Louis- Purcell, Scarlatti, Bach, Mozart, monstration pianistique. Sa Mort
Noël Bestion de Beethoven, Schumann, Chopin, d’Isolde est un modèle du genre,
Camboulas nous rappelle un usage Wagner, Brahms, Schönberg, sensuelle, luxuriante, parfaitement
civil qui popularisa l’orgue dans la Debussy, Stockhausen, Glass, construite ; sur les courbures d’un
société bourgeoise du XIXe siècle Stravinsky et Ligeti. Andante mozartien (KV 545), il dis-
et jusqu’à la Première Guerre mon- Nonesuch (2 CD). Ø 2017. TT 1 h 41’. pose des ornementations person-
diale. En lisant, sur la pochette, TECHNIQUE : 3/5 nelles et gracieuses. La complainte
« orgue de salon Cavaillé-Coll », L’époque est aux Franc cuer gentil de Guillaume Du-
n’allez pas imaginer un mini-instru- «  time-lapse  », fay ou le premier Klavierstück de
ment de quelques jeux  ! Celui ces films en accé- Stockhausen trouvent autant d’ai-
construit en 1865 pour la villa Mar- léré où l’on voit sance et de verve ; en outre, sa
racci à Cologny, et qui orne au- un arbre grandir sonorité toujours très soignée per-
jourd’hui le réfectoire de Royaumont, en deux met d’éviter les discontinuités dans
a la taille et les possibilités d’un
orgue de concert ou de cathédrale.
Le programme le montre surtout
en dialogue avec instrumentistes
ou chanteurs, heureusement, car le
choix des solos ne nous convainc
pas entièrement : les anches sonnent
bizarrement rêches dans le Choral
no 3 de Franck, aucun tuyau ne rem-
placera jamais une harpe pour la
Sicilienne du Pelléas et Mélisande
de Fauré, et le Clair de lune de la
Suite bergamasque de Debussy est
un peu bas de plafond.
En l’occurrence, nous le préférerons
comme accompagnateur. Certes,
Etienne Bazola ne fera pas oublier
Charles Panzéra dans les élans (ici
un peu bridés) de L’Horizon chimé-
rique, et Eugénie Lefebvre nous ré-
vèle les deux mélodies de Nadia
Boulanger avec plus d’émotion que
de puissance. Mais après tout, ne
s’agit-il pas ici d’évoquer un salon ?
En ce cas, on félicite l’arrangeur-in-
terprète pour l’habileté avec laquelle
il fait d’un grand orgue un instru-
ment de chambre : il inclut l’alto
d’Adrien La Marcia (excellent) dans
un Orpheus de Liszt subtilement
adapté d’après la transcription
d’Alexander Gottschalg, et sollicite
la harpe de Lucie Berthomier pour
apporter l’ampleur que mérite le
I 101
Récitals
ce parcours à travers les siècles,
tout en ménageant quelques
contrastes saisissants.
En chemin, les bonnes surprises
sont nombreuses. On aimerait bien
passer un peu plus de temps avec
l’obsédante chaconne de Monte-
verdi (Zefiro torna, e di soavi accenti)
mais les entraînants contretemps
de Purcell (Ye Tuneful Muses) nous
appellent déjà ; au tournant du XXe
siècle, Debussy (Reflets dans l’eau)
s’enchaîne presque naturellement
à Schönberg (Klavierstück op. 11
no  1), comme si la profondeur de
champ qu’offre cette expérience
pianistique amoindrissait la distance
stylistique qui les sépare.
Jeremy Denk, après en avoir fini
avec le turbulent Automne à Var-
sovie, réenregistre le Triste Plaisir
de Binchois, la douce deuxième
pièce de son aventure. Pour nous
inviter à refaire ce voyage ? Pour
nous montrer qu’il ne s’agissait pas
d’une ligne droite, mais d’un cercle ?
Ou pour donner à l’histoire de la
musique une autre dimension que
celle des compositions : celle des
interprétations successives et tou-
jours différentes.
Jérôme Bastianelli
TASMIN LITTLE
VIOLON
Y Y Y Y C. SCHUMANN : Trois
romances op. 22. SMYTH :
Sonate op. 7. BEACH : Sonate
op. 34. Romance op. 23.
Invocation op. 55.
John Lenehan (piano).
Chandos. Ø 2018. TT : 1 h 11’.
TECHNIQUE : 4/5
Tasmin Little, qui
vient d’annoncer
son retrait de la
scène, consacre
son dernier  (?)
disque à des
compositrices. En 1853, l’année où
Clara Schumann fit la connaissance
de Brahms, les trois Romances mar-
quaient son retour à l’écriture. Dans
une esthétique romantique voisine
des romances pour hautbois et
piano, des Stücke im Volkston pour
violoncelle et piano et des Märchen-
bilder pour alto et piano de son
mari, elles sont habitées d’une douce
poésie qu’on jugea à l’époque « dé-
licate et parfumée ». Tasmin Little
en livre ici le charme avec émoi mais
charge sa lecture d’un trop-plein
d’intentions qui nous éloigne de la
102 I
naturelle simplicité de Lisa Batiash-
vili avec Alice Sara Ott (DG).
On découvre ensuite trois pages
peu fréquentées de l’Américaine
Amy Beach (1867-1944) : une tendre
Romance de jeunesse (déjà enten-
due sous l’archet de Midori), une
Invocation au lyrisme intense et sur-
tout la vaste Sonate op. 34. Tasmin
Little et John Lenehan font preuve
d’élans généreux tout au long de
ses quatre mouvements, démontrant
une filiation mélodique avec Brahms
et Schumann dans les deux volets
extrêmes, non sans espièglerie
(Scherzo) ni mystère (Largo).
Anglaise de naissance, Ethel Smyth
(1858-1944) étudia la composition
à Leipzig et, malgré les réticences
de son père, fut encouragée par
Clara Schumann mais aussi par
Brahms et Tchaïkovski. Cette femme
de caractère, qui deviendra un
membre actif du mouvement des
suffragettes, nous laisse plusieurs
opéras, des pages symphoniques
et quelques œuvres de musique
de chambre. L’engagement et le
panache des interprètes profitent
à la Sonate op. 7 (1887), partition
au langage rythmique incisif et aux
harmonies recherchées, sinon au-
dacieuses. Jean-Michel Molkhou
DANIEL OTTENSAMER
CLARINETTE
Y Y Y Y Y « La Vie en rose ».
Œuvres de Françaix, Debussy,
Saint-Saëns, Milhaud, Guglielmi
et Giraud.
Daniel Ottensamer (clarinette),
Stephan Koncz (violoncelle et
direction), Müncher Symphoniker.
Sony. Ø 2017. TT : 58’.
TECHNIQUE : 4,5/5
Première clari-
nette des Wie-
ner Philharmoni-
k e r, D a n i e l
Ottensamer voit
«  La Vie en
rose »… à Munich. Enregistrer un
programme de musique française
est-il une gageure pour un clarinet-
tiste autrichien jouant un instrument
de système allemand ? Peut-être
sur le papier, mais guère à l’écoute
de la Rhapsodie de Debussy, chef-
d’œuvre composé à l’orée du XXe
siècle. Ottensamer l’aborde avec la
douceur et la délicatesse requises,
inscrivant son interprétation dans
la tradition française qui consiste,
paradoxalement, à ne pas
respecter les indications de mou-
vement notées précisément par
l’auteur… Point de tradition dans
le redoutable concerto de Jean
Françaix, sinon la persistance de
nombreuses fausses notes dans la
partition. La gaîté de l’orchestre et
la volubilité du soliste se répondent
avec une habileté déconcertante :
quel aimable contraste entre le si
tendre Andantino et le finale Alle-
grissimo à l’humour « françaix » qui
fait pépier vents et cordes !
Les arrangements des chansons
d’Edith Piaf réalisés par Stephan
Koncz sont réussis, même s’ils em-
pruntent davantage à l’esthétique
d’Hollywood qu’à celle du Paris des
années 1930 (époque du Scara-
mouche de Milhaud). Ottensamer
y donne libre cours à sa fantaisie,
un brin jazzy-décontracté.
Clarinette et violoncelle unissent
leur force dans deux pages de Saint-
Saëns revisitées par Koncz : cette
Tarentelle (à l’origine pour flûte et
clarinette) et ces Deux cygnes n’ef-
fraieront pas les adeptes du mé-
lange des genres. Le Symphonique
de Munich excelle à restituer vir-
tuosité, clarté et brillance à un ré-
pertoire qui n’est facile qu’en ap-
parence. Jouant de toutes les
couleurs de son instrument, Daniel
Ottensamer semble, lui, avoir trou-
ver la voix juste de la clarinette
française : « celle, écrit Berlioz, de
l’héroïque amour ».
Bertrand Hainaut
STÉPHANIE D’OUSTRAC
MEZZO-SOPRANO
Y Y Y Y Y « Sirènes ». LISZT :
6 Lieder. BERLIOZ : Les Nuits
d’été. La Mort d’Ophélie.
WAGNER : Wesendonck-Lieder.
Pascal Jourdan (piano).
Harmonia Mundi.
Ø 2018. TT : 1 h 15’.
TECHNIQUE : 4/5
Passer le cap de
la maturité est le
défi qui attend
tout musicien cé-
lébré très jeune
par le public et
les médias. Par le travail et l’exi-
gence, Stéphanie d’Oustrac est par-
venue à cet accomplissement de
plein été. Le rayonnement physique
et vocal de ses débuts ne faisait
pas toujours oublier des sonorités
et une diction trop souvent engor-
gées. Sans malmener son
instrument, elle a su enrichir ses
couleurs et libérer les mots, même
si son expression reste foncière-
ment lyrique et n’aura sans doute
jamais le délié des diseuses à fleur
de lèvres. L’exercice du lied lui de-
meure donc particulièrement re-
doutable, et pas totalement abouti
dans Liszt ou certains Berlioz, sur-
tout si l’on se souvient des mêmes
œuvres par des devancières comme
von Otter ou Fassbaender.
A l’instar d’une Varady, dont l’élo-
cution ne fut jamais l’atout maître,
Stéphanie d’Oustrac réussit le tour
de force d’imposer une vision poé-
tique et de faire partager un drame
intérieur par la magie des accents,
du rubato, d’un timbre admirable-
ment varié. La plainte d’Absence
emporte dans son élan irrésistible.
Et les Wesendonck, où le déploie-
ment d’un chant habité prime sur
le ciselé de la syllabe, trouvent en
elle une interprète de premier ordre.
Le programme enthousiasme par
ses jeux de miroirs entre les œuvres
des décennies 1840-1850, compo-
sées de part et d’autre du Rhin par
trois maîtres qui passèrent leur vie
à le franchir sous le regard de la
Loreley autant qu’à s’observer, s’ad-
mirer, s’envier ou feindre de se mé-
priser. Les Nuits d’été comme les
Wesendonck ne sont d’ailleurs pas
si souvent enregistrés dans leur ha-
bit pianistique de naissance, qui
permet entre les deux partenaires
des échanges plus subtils qu’avec
l’orchestre, que Pascal Jourdan sait
parfaitement saisir ou stimuler.
Vincent Agrech
OLGA PERETYATKO
SOPRANO
Y Y Y Y « Mozart + ».
Airs de Traetta (Antigone),
Mozart (L’Enlèvement au sérail,
Les Noces de Figaro, Don
Giovanni, La Clémence de Titus,
airs complémentaires pour
Il burbero di buon cuore), Martin
y Soler (Il burbero di buon cuore),
Paisiello (Le Barbier de Séville).
Sinfonieorchester Basel,
Ivor Bolton.
Sony. Ø 2018. TT : 1 h.
TECHNIQUE : 3,5/5
L’ajout de conte-
nus audio sur le
site internet de
l’interprète ne
suffirait-il pas ?
Olga Peretyatko
mène à la scène une carrière glo- bémol majeur, transcrite par Mo- désespoir des Quatuors Beetho- s’arrange avec le développement,
rieuse et méritée, par la richesse zart, les interprètes soignent l’éga- ven, Borodine et Prazak. Moins en- et plus encore dans les sublimes
des moyens et la qualité de la pré- lité démocratique des voix dans la deuillée, leur lecture trouve sa force variations de l’Adagio, où nos mu-
sence. Un médium qui s’élargit sans progression polyphonique. L’enjeu dans l’interrogation. siciens, par leur style châtié et très
compromettre la franchise de l’aigu est différent dans le Quatuor en La polyphonie, la variation et de concentré, font bien ressentir l’évo-
(même si l’intonation n’a jamais été mi bémol mineur de Chostakovitch, fortes oppositions rythmiques do- lution de l’harmonie. Leur acuité
d’une précision absolue dans le haut où les passages polyphoniques se minent le parcours de l’Opus 127 sonore, leur densité implacable et
de la tessiture) ouvre désormais à font rares. Le compositeur réussit beethovénien. Dès les puissants leur approfondissement rendent
celle qui a commencé par des em- à donner à un même tempo lent accords du Maestoso initial, des- justice aussi bien aux spéculations
plois plus légers les portes du grand des inflexions très diverses, sur les- sinant une irrésistible ligne ascen- rythmiques du scherzo qu’à l’élan
seria virtuose. On l’y suivra certai- quelles plane un sentiment panique dante, le jeu des couleurs (extrê- et à la parfaite économie d’effets
nement avec beaucoup de plaisir. de mort. A la faveur d’une grande mement lisses et étudiées) et le du finale, peut-être le plus élégant
Mais une carte de visite pour les précision d’archet et d’une volonté sens de l’articulation des Danois et le plus convaincant de tous ceux
directeurs de théâtre ne fait pas d’introspec tion, les Danois ne compensent pas une certaine des quatuors de Beethoven.
un disque, surtout un récital essen- s’éloignent de l’insoutenable neutralité de l’expression. Tout Patrick Szersnovicz
tiellement mozartien où les réfé-
rences sont écrasantes. Il y faudrait,
sinon un propos nouveau, du moins
une profondeur, un appétit pour
chaque détail, chaque syllabe,
chaque accent.
Ici, les récitatifs témoignent plutôt
d’une indifférence, quand ils ne sont
pas carrément omis, même les ac-
compagnati d’Anna et de Vitellia !
Des ornements volubiles dans les
reprises ne sauraient non plus com-
penser le manque de variété du
phrasé et une diction tout en ron-
deur et en prudence, qu’un chef et
un orchestre propres ne semblent
guère titiller. Restent le drive du
souffle, la fière égalité du timbre
dans tous les registres, la facilité
de la vocalise ; vite, au plateau !
Vincent Agrech

QUATUOR DANOIS
Y Y Y Y Y « Prism 1 ». BACH/
MOZART : Fugue BWV 876.
CHOSTAKOVITCH : Quatuor
à cordes no 15. BEETHOVEN :
Quatuor à cordes no 12.
ECM. Ø 2016. TT : 1 h 18’.
TECHNIQUE : 4/5
« Prism 1 » inau-
gure une série
de cinq albums
associant Bach,
un des derniers
quatuors de Bee-
thoven et un autre chef-d’œuvre
taillé pour le même effectif. Louable
projet, mais, dans le cas précis, l’as-
sociation de l’ultime Opus 144 de
Chostakovitch, enchaînant six longs
adagios pénétrés d’une accablante
tristesse, avec le lumineux et pas-
sionné Opus 127 de Beethoven, le
plus lyrique et le plus homogène de
la série, est un étrange défi. Il faut
tout le talent du (nouveau) Quatuor
Danois pour le relever.
Dans la Fugue BWV  876 en mi

I 103
Récitals

du Paradis, incapable d’en rien dire

Nouveauté
ALINA IBRAGIMOVA
VIOLON
CÉDRIC TIBERGHIEN
PIANO
FRANCK : Sonate pour violon
et piano. YSAŸE : Poème élégiaque.
VIERNE : Sonate pour violon
et piano. BOULANGER : Nocturne.
Hyperion. Ø 2017. TT : 1 h 18’.
TECHNIQUE : 4/5
Enregistré en janvier 2018 au Henry Wood Hall de
Londres par Simon Eadon. Image très centrée avec
du relief. Piano et violon se superposent, font corps mécanisme de leur construction derrière une
l’un avec l’autre. Belle palette instrumentale.
par excès d’immersion – un profes-
seur d’analyse n’y verrait que l’effet
tout bête et lancinant des notes ré-
corde de sol semble renfermer d’infinies pétées (notes pédales).
réserves. Cédric Tiberghien sculpte les thèmes Les brefs Stati d’animo de Silvio Mix
au cœur d’une polyphonie dense mais à la clarté
constante, d’où les tensions ne percent que
sont oubliables. Mais, pour Mali-
piero et Casella, pour l’interprète
petit à petit. Ses basses sont dosées ainsi inspiré et la captation si naturelle
qu’un bon organiste registre ses jeux de pédale, du piano, le bruit d’une tirelire bri-
avec un sens aigu du climat et de la nuance. sée serait un juste hommage à
Car de la dynamique et de l’intonation comme Russolo. Gérard Condé
de la couleur, l’exactitude est de tous les instants :
écoutez la coda du deuxième mouvement LES ANGES MUSICIENS
(Allegro), puis le Récitativo-Fantasia. Les longues Y Y « Chants et instruments
phrases franckistes planent, faisant oublier le du Moyen Age ». Pièces d’Adam
de la Halle, Machaut, Delahayes,
éloquence jamais déclamatoire, qui sait prendre Dufay, Sermisy et anonymes.
son temps et nous chuchoter à l’oreille pour Ensemble Obsidienne,

A
ses débuts, le duo formé par mieux nous entraîner dans un finale (Allegretto Emmanuel Bonnardot.
Ibragimova et Tiberghien a essuyé dans poco mosso) à la progression inextinguible. Bayard. Ø 2019. TT : 1 h 06’.
nos colonnes une douche écossaise Les compléments sont à la hauteur. Il n’y a TECHNIQUE : 3/5
de Jean-Michel Molkhou. D’abord un qu’à laisser chanter le déchirant Nocturne de Lili Sacré et profane.
Diapason d’or pour son Szymanowski, où domine Boulanger ; mais il faut le raffinement d’un tel Polyphonique et
« un goût profond pour la couleur et le climat » dialogue pour gommer les longueurs du Poème monodique. Vo-
o 
(cf. n 571). Deux ans plus tard, une sonate élégiaque d’Ysaÿe. Quant à la magnifique cal et instrumen-
de Lekeu qui « manque à la fois sonate de Vierne, elle trouve tal. A chanter et
de puissance et de matière » enfin sa référence : la sécheresse à danser. Médié-
o 
(cf. n 597). Avant un Beethoven implacable des accords répétés val et Renaissance. Le vague pré-
« exaltant » (cf. no 613). à un tempo vertigineux, la pudeur texte des « anges musiciens » peine
Dans la sonate de Franck qui apparente le mouvement à unifier cette salade. Faut-il alors
comme dans son Szymanowski, lent au Concerto en sol de l’apprécier pour son étalage d’ins-
Alina Ibragimova « touche au Ravel, la précision d’horloger truments, quasi encyclopédique ?
plus imperceptible des de l’Intermezzo, le tragique Huit interprètes manient près d’une
pianissimos » dans une du finale nous marqueront pour quarantaine d’instruments. Vièles,
introduction étonnamment longtemps. Alors ? Comme flûtes, tambours, psaltérion, harpe,
étale, pour mieux déchaîner, s’exclamait l’ami Jean-Michel : chalumeau, cornemuse, orgue por-
dans le deuxième mouvement, « Exaltant, vous dis-je ! » tatif et bien d’autres s’allient aux
une vague d’énergie dont sa PLAGE 3 DE NOTRE CD Paul de Louit voix dans des sonorités chatoyantes
et toujours renouvelées – parfois
jusqu’à l’exagération, avec le xylo-
STEFFEN geste créateur. C’est oublier les ap- Balilla Pratella ne sont qu’une mise phone, le chant en scat ou les cla-
SCHLEIERMACHER pels à une guerre purificatrice cla- en bouche avant les quatre Preludi quements de mains. La plupart des
PIANO més un peu partout, à l’aube du pre- autunnali de Malipiero, dont la mé- combinaisons laissent vite place à
Y Y Y Y « Futurisme mier conflit mondial, par des artistes lancolie envoûtante laisse cepen- un autre effectif.
et avant-garde italienne ». qui n’auraient pas fait de mal à une dant passer la lumière, à la façon Les trente œuvres de l’album ne
BALILLA PRATELLA : La guerra mouche. Du plus extrême, Luigi Rus- de Séverac. Le toucher puissant, semblent là que pour promouvoir
(la battaglia). MALIPIERO : solo (qui classa selon leur valeur impalpable et profond tour à tour cette ostentation de timbres. Les
Preludi autunnali. SAVINIO : Les acoustique, mitrailleuses, explosions de Steffen Schleiermacher, y fait Cantigas de Santa Maria, longues
Chants de la mi-mort. CASELLA : d’obus, tirs d’artillerie !), on ne peut merveille. chansons mariales pouvant atteindre
La notte alta. MIX : Stati d’animo. citer que l’étonnant manifeste L’Art « Scènes dramatiques pour piano », la vingtaine de strophes, se trouvent
MDG. Ø 2018. TT : 1 h 04’. des bruits (1916), car ce qui subsiste Les Chants de la mi-mort d’Alberto réduites à de simples pastilles, dont
TECHNIQUE : 4,5/5 des machines à bruit et des parti- Savinio ne concrétisent pas les pro- les arrangements sombrent parfois
Le terme d’avant- tions qui réglaient leurs réunions en messes de leurs titres suggestifs, et dans la facilité ou le folklorisant
garde, passé orchestres permet juste de rêver. si ces cascades de formules gro- (Apostos miragres, Ben pod a señor).
dans le vocabu- Si ce florilège pour piano (1913-1923) tesques, où la musique se moque Et la basse danse du XVe siècle se
laire de la musi- témoigne bien du souci de rompre d’elle-même, empruntent à Satie, distingue à peine des monodies du
cologie pour avec ce qui, du bel canto au vérisme, elles ne lui rendent rien en échange. XIII e. Pourtant, avec quel talent,
désigner les avait assuré à la musique italienne Puis vient La notte alta d’Alfredo quelle ingéniosité et quel souci d’his-
compositeurs les plus soucieux du sa suprématie, aucun déferlement Casella, dont le mystère posé dès toricité le collectif bourguignon em-
renouvellement de l’esthétique et tellurique ne risque d’endommager les premiers contre-ré graves tient bellissait les mélodies de ce début
du langage, s’est vu reprocher une vos enceintes. La brutalité rythmique l’auditeur sous une emprise qui ne de Renaissance dans « Le Jardin des
connotation belliqueuse incompa- obsédante et les fausses notes tê- se relâche pas vingt-cinq minutes Délices » (rééd. Eloquentia, 2016) !
tible avec la noblesse pacifique du tues de La battaglia de Francesco durant. On en sort comme Dante Jacques Meegens

104 I
AU LONG DE LA LOIRE
Y Y Y Y « Portrait musical
du fleuve ». Polyphonies, odes
et chansons de Ockeghem,
Mouton, Janequin, Caietain,
Certon, Févin, Faugues…
Ensemble Jacques Moderne,
Joël Suhubiette.
Mirare. Ø 2018. TT : 58’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Fondé par Jean-
Pierre Ouvrard,
dirigé depuis un
quart de siècle
par Joël Suhu-
biet te, l’En-
semble Jacques Moderne est tou-
jours fermement amarré à son port
d’attache tourangeau. D’où il peut
dérouler un « portrait musical » de
la Loire en poussant la cohérence
jusqu’à l’enregistrer à l’église abba-
tiale de Saint-Florent-le-Vieil, entre
Angers et Nantes, sur la rive gauche
du grand fleuve. Avec l’aide du mu-
sicologue Marc Busnel, Joël Suhu-
biette a pu choisir assez de beautés
et de raretés dans les fonds musi-
caux de la Renaissance, champ d’ex-
pertise de son ensemble vocal, pour
ne pas s’aventurer loin de ses bases
et perdre son fil rouge – il eût été
tentant de pousser par exemple
jusqu’à quelque Chanson française
de Poulenc, autre amoureux du
« fleuve des rois ».
Le programme peut se lire comme
le livre d’une « messe » imaginaire
et itinérante, déambulant d’un Kyrie
de Jacques Ockeghem, trésorier de
l’abbaye Saint-Martin de Tours, à
un Agnus dû au moins connu Guil-
laume Faugues, maître des enfants
à la Sainte-Chapelle de Bourges.
Les onze chanteurs de Jacques Mo-
derne (deux sopranes seulement :
mince tandem) conjuguent simpli-
cité de l’expression et maîtrise de
la floraison polyphonique, jusque
dans l’Introït d’une Messe des dé-
funts d’Antoine de Févin tournant
en rond. C’est l’itinéraire bis de l’al-
bum, le profane, qui nous offre les
points de vue les plus pittoresques
en chantant la flore, la faune, le vin
et la vigne, atouts charmes de cette
vallée et de ces côteaux. On tente
de suivre Le Rossignol de Clément
Janequin de branche en branche ;
on goûte un Vignon, vignette de
Pierre Certon franchement pas
désagréable en bouche, si on veut
bien  accepter le dépôt d’acidité sur
les  voix. Au fil de l’eau et des
découvertes, la petite heure passe
sans lasser. Benoît Fauchet
CHACONNERIE
Y Y Y Œuvres de Storace, Handel,
Rossi, Scarlatti, Ligeti, Couperin,
Cabezon, J.S. et C.P.E. Bach,
Sierra.
Silvia Marquez (clavecin).
IBS. Ø 2017. TT : 55’.
TECHNIQUE : 3/5
Principe d’écri-
ture et source
d’improvisation,
l’ostinato (folia,
chaconnes, pas-
sacailles, etc.)
relie par un fil continu la Renaissance
au bel aujourd’hui. Silvia Marquez
répartit entre un instrument d’école
française et un allemand son pro-
gramme émaillé de tubes (Follia de
Carl Philipp Emanuel Bach, Ciaccona
de Storace, Chaconne BWV 1004
de Bach transcrite pour le clavier).
Une création, le Montuno en forma
da chacona (2017) de Roberto Sierra,
fait un écho évident au classique
Hungarian Rock de Ligeti.
Le plaisir est de courte durée en
dépit de variations de Storace ro-
boratives. Le toucher musclé de la
virtuose espagnole lui ferme la plu-
part du temps les portes de l’arti-
culation musicale et de la précision
rythmique. Des variations de C.P.E.
Bach mécaniques et parfois savon-
nées, une chaconne de Bach privée
de respiration, un Ligeti compact
pèchent par leur précipitation – la
musicalité n’a qu’à suivre. On espère
que le clavecin Klinkhamer aura sur-
vécu aux clusters de la pièce de
Sierra qui, par ailleurs, à l’air très
intéressante. Philippe Ramin
DESIRES
Y Y Y « A Song of Songs
collection ». Œuvres chorales
de Brumel, Clemens non Papa,
Jackson, Ceballos, White, Grier,
Gombert, Victoria, Dove, Barber,
Vivanco, Palestrina, Esquivel.
Ora Singers, Suzi Digby.
HM. Ø 2016. TT : 1 h 11’.
TECHNIQUE : 3,5/5
Comment se fait-
il que les dix-huit
voix d’Ora – c’est
la crème de la
crème anglaise,
les uns venus de
Gardiner, les autres de McCreesh,
le reste des Sixteen – sonnent dans
les pages Renaissance comme anes-
thésiées. La faute à la prise de son ?
Dans ce cas, le syndrome toucherait
également les pièces contempo-
raines… Rien de tel ici. C’est plutôt
le surmoi de sages maîtrisiens qui
s’exprime : la perfection des voix
évidemment, mais l’égalité des af-
fects, l’insignifiance de la consonne,
la timidité des nuances. Dans Gom-
bert ou Vivanco, il faudrait s’envoyer
la balle du contrepoint d’un air es-
piègle pour mieux la redonner à son
voisin ! Difficile quand Suzi Digby
veille à ce que rien ne dépasse – et
prend le risque de ne rien laisser
vivre sous l’épiderme harmonieux
du contrepoint. D’où cette mono-
chromie impersonnelle, malgré (ou
peut-être à cause de) l’allant des
tempos. Allez donc écouter l’ex-
traordinaire présence des Stile An-
tico dans leur disque de 2009 ou
dans un live de février 2019 au Wig-
more Hall (disponible sur YouTube) :
les Ora, qui ont repris l’essentiel
de leur sélection, s’exposent à une
comparaison cruelle.
Les quatre pièces de notre temps
jouissent d’un tout autre engage-
ment, dans le discours comme la
qualité des ambiances : création
vénéneuse de Jonathan Dove (Va-
dam et circuibo civitatem), grande
fresque à découvrir de Francis Grier
(Dilectus meus mihi).
Maximilien Hondermarck
L’OPÉRA DES OPÉRAS
Y Y Extraits d’opéras de Lully,
Charpentier, Marais, Gervais,
Campra, Bertin de La Doué, Colin
de Blamont, Rameau, Montéclair,
Mondonville, Stuck, Dauvergne,
Francœur et Rebel.
Katherine Watson (soprano),
Karine Deshayes (mezzo), Reinoud
Van Mechelen (haute-contre),
Le Concert Spirituel, Hervé Niquet.
Alpha. Ø 2017. TT : 1 h 14’.
TECHNIQUE : 3/5
Pasticcio d’Ancien
Régime, bis. Be-
noît Dratwicki
renchérit sur les
collages inatten-
dus de son
« Opéra pour trois rois » (cf. no 666) :
voici trente-quatre extraits (la tem-
pête d’Hippolyte & Aricie manque
au sommaire), parfois inférieurs à
la minute, pour une heure et quart
que couronne la grande passacaille
d’Armide de Lully. L’effet de
saturation menace (les trompettes
ont la gloire tenace au début), no-
tamment dans l’enchaînement de
numéros de haute intensité : lamento
et sorcellerie de Médée (Charpen-
tier), véhémence de Circé (Leclair),
tempête d’Alcyone, prison de Dar-
danus, fureur d’Althée (Les Muses
de Campra). Manque le Thésée de
Rameau pour ajouter : « Laisse-moi
respirer, implacable Furie ».
La mosaïque de luxe était certes
de bonne guerre pour célébrer en
concert les trente ans du Concert
Spirituel, mais l’écoute du disque
déçoit voire irrite. L’Ouverture (Titon
& l’Aurore de Mondonville) donne
le ton  : terne, hâtive, sans joie,
phrase peu articulée, rythmes en
peine de distinction. Une impres-
sion de survol s’installe durable-
ment, qui banalise l’expression par
le curieux parti de jouer lié (prélude
de l’acte IV de Scylla & Glaucus).
Dans « Lieux funestes », cette ma-
nière expéditive jusqu’au trivial met
à la gêne Reinoud Van Mechelen,
Dardanus admirable naguère pour
Raphaël Pichon.
L’orchestre et le chœur (vers confus,
piètres solos masculins dans Le
Temple de la Gloire) ne sont pas tou-
jours à la hauteur de leur réputation,
mais on entend surtout l’indifférence
d’Hervé Niquet. Ni grandeur rituelle
ni sensibilité dans la prière pressée
de Déjanire (Hercule mourant de
Dauvergne, bien loin de l’intégrale
de Christophe Rousset). Et à quoi
bon révéler le monologue alternatif
de Phèdre chez Rameau (« Espoir,
unique bien ») si c’est pour qu’il ne
nous dise rien ?
Karine Deshayes se taille la part du
lion dans cette intrigue forgée, où
une magicienne jalouse menace un
couple princier. Son chant global,
souvent inintelligible, étiolé dans le
grave, surexpose une inadéquation
à ce grand style : déclamation vague
(Médée !), expression superficielle
ignorant les reliefs (Althée !), manque
de mordant ou de brio (Scander-
berg, Les Fêtes d’Hébé). Katherine
Watson intéresse dans la découverte
d’un air Régence (Le Jugement de
Pâris de Bertin de La Doué) mais
dans le rondeau (abrégé) du Carna-
val de Venise elle succombe à une
comparaison avec Véronique Gens
(album « Tragédiennes I »). Des iné-
dits en petit nombre seront alors
de faibles appas.
Jean-Philippe Grosperrin
I 105
● Le coin du collectionneur
La légende noire
22 SACD pour une addition salée, 230 euros. Livre-disques luxueux s’il en est, à l’honneur de
Furtwängler, les « Radio Recordings 1939-1945 » ne gagnent aucun prodige dans les nouveaux
transferts ni aucun inédit déterminant, mais une documentation exemplaire.
C
onnus pour la plupart de longue
date, ces enregistrements multi-
réédités restent entourés d’une
aura maléfique. De fait, le cadre
historique qui les vit naître pèse
d’un poids tel que les évaluer sous un angle
purement musical n’est pas toujours chose
aisée. En schématisant un brin, on dira que
ces interprétations ont leur propre drama-
turgie – le mot est faible – et que Furtwän-
gler, davantage que dans ses témoignages
antérieurs ou ultérieurs, y soumet le texte à
© HEINRICH HOFFMANN/ULLSTEIN BILD/GETTY IMAGES
des distorsions qui peuvent laisser l’auditeur
d’aujourd’hui perplexe. La Symphonie no 9
de Beethoven et la « Grande » de Schubert,
hallucinées et survoltées, en sont les plus
saillants exemples.
Les vingt-deux SACD sont accompagnés d’un
ouvrage richement illustré de cent quatre-
vingt-quatre pages, en anglais et allemand.
A côté d’un essai de Richard Taruskin remet-
tant brillamment en perspective l’art de
Furtwängler, se trouvent détaillés les condi-
tions techniques difficiles de ces captations,
106 I
le contexte politique du Berlin de l’époque,
les exigences financières du chef et, bien
entendu, le destin chaotique des bandes de
la Reichs-Rundfunk-Gesellschaft. Saisies
puis transférées à Moscou par l’armée Rouge
en 1947-1948, celles-ci furent restituées à la
SFB (l’office radiophonique de Berlin-Ouest)
en 1987 puis 1991.
Les quelques inédits – des fragments de
Daphnis et Chloé de Ravel, du concerto pour
violoncelle de Schumann avec Pierre Four-
nier, de la 5e de Beethoven de 1939, de la 1re
de Brahms de janvier 1945, auxquels s’ajoute
une « Inachevée » de Schubert complète –
n’apportent rien de vraiment substantiel à
la discographie du chef.
Disons-le tout net : huit fois sur dix, les docu-
ments déjà connus n’offrent qu’une minime
plus-value par rapport aux meilleures réédi-
tions. Il est vrai que dans 60 % des cas, les
bandes d’origine ont été soit détruites soit per-
dues, remplacées au fil du temps par des
copies, voire des copies de copies. Parfois,
cependant, l’apport du travail de restauration
est notable. C’est le cas de la Symphonie no 4
de Beethoven, de la 4e de Brahms (diamant de
ce coffret avec l’Ouverture de Coriolan), du
Concerto pour piano de Schumann avec Gie-
seking, du 2e de Brahms avec Fischer, du 4e de
Beethoven avec Conrad Hansen, ou encore
des Sibelius (En Saga et Concerto pour violon
avec Georg Kulenkampff). Timbres et volumes
y gagnent alors en définition, l’image sonore
en profondeur. En revanche, et bien que pro-
venant de la même source, la 5e de Bruckner
semble manquer légèrement d’air par rapport
à celle publiée par Testament en 2011.
Si une telle somme se justifiait bien, elle
arrive un peu tard pour le collectionneur
familier du dédale des rééditions, possédant
déjà les meilleurs transferts parus depuis
plus de trente ans, et notamment les deux
coffrets « War Time Concerts » de DG. Mais
pour le mélomane qui, les connaissant mal,
souhaiterait explorer ces fuligineuses et
dérangeantes interprétations, elle sera une
aubaine s’il est prêt à débourser 230 euros.
Quitte à enchaîner avec les « Complete RIAS
Recordings » (1947-1954) réunis en 2009 par
Audite (cf. no 572). Hugues Mousseau
WILHELM FURTWÄNGLER
CHEF D’ORCHESTRE, 1886-1954
« The Radio Recordings 1939-1945 ».
Œuvres de Furtwängler, Handel,
Beethoven, Strauss, Wagner, Gluck,
Schumann, Bruckner, Brahms, Ravel,
Pepping, F. & H. Schubert, Sibelius.
Erna Berger, Tilla Briem (sopranos),
Elisabeth Höngen (contralto), Peter Anders,
Walter Ludwig (ténors), Rudolf Watzke
(basse), Georg Kulenkampff, Erich Röhn
(violons), Tibor de Machula, Pierre Fournier
(violoncelle), Edwin Fischer, Walter
Gieseking, Conrad Hansen, Adrian
Aeschbacher (pianos), Fritz Heitmann
(orgue), Bruno Kittel Chor, Berliner
Philharmoniker.
BPM (22 SACD). Ø 1939 à 1945. TT : N.C.
TECHNIQUE : A
HUGO WOLF
1860-1903
Y Y Y Y Y 22 Lieder.
Elisabeth Schwarzkopf (soprano),
Wilhelm Furtwängler (piano).
Warner. Ø 1953. TT : 1 h 05’.
TECHNIQUE : A
12 août 1953 :
premier concert
que Salzbourg
aura dévolu tout
entier à Hugo
Wolf pour le cin-
quantenaire de sa mort, première
des sept soirées Wolf qu’Elisabeth
Schwarzkopf offrira au festival
jusqu’en 1964, enfin archive légen-
daire, retrouvée tardivement et
souvent rééditée. La cantatrice
n’espérait pas, pour cette célébra-
tion, que le chef qui la dirigeait le
même été dans Les Noces et Don
Giovanni voudrait l’accompagner
en personne. Et Walter Legge de
louer dans le piano de Wilhelm Fur-
twängler sa « sonorité chaude, an-
crée dans les graves, profonde,
sans aucune dureté » – hélas sou-
vent saturée dans ce document
(gare au début de Wie glänzt der
helle Mond…).
Le jeu puissamment harmonique
de Furtwängler, l’ampleur de son
allure profitent à Herr, was trägt
der Boden hier, à Nachtzauber
(même pauvre en « coulant »), à
ce Wiegenlied im Sommer si dif-
férent de ce que Schwarzkopf réa-
lisait déjà avec Gerald Moore, ou
même à Die Bekehrte. Cependant
Im Frühling donne d’emblée le ton :
très lent, grave, mystique si l’on
veut, mais surtout en peine de
rendre le balancement organique
de l’écriture, avec des approxima-
tions rythmiques qui dépareront
notamment Anakreons Grab ou
Die Spröde, alors que la voix, co-
lorée et plastique comme rarement
à ce degré, est d’une précision
exceptionnelle.
Car Schwarzkopf, elle, plie ses
phrases, son rayonnement, aux
moindres variations dynamiques
de la partition, quand le pianiste
les considère d’assez loin
(Schlafendes Jesuskind, Mein Liebs-
ter hat zu Tische), ou en ignore car-
rément les dégradés pourtant es-
sentiels, non sans rajouter assez
conventionnellement du rallentando
(quand l’intensité s’amenuise) ou
du crescendo (quand l’harmonie
se charge).
Les lieder demandant mobilité et
netteté du trait (Elfenlied, Die Zi-
geunerin) accusent les limites tech-
niques de Furtwängler, dont la ten-
dance à l’emphase ne s’accompagne
pas toujours d’esprit (Wie lange
schon, In dem Schatten). Se creuse
ainsi un écart entre les entraves du
piano et les prodiges expressifs d’un
soprano en état de grâce (voix et
souffle glorieux, mais d’abord intel-
ligence de la nuance comme éma-
nation du corps verbal).
Ce témoignage fascine par le pou-
voir qu’a Schwarzkopf de s’adapter
à son partenaire – quitte à embras-
ser la gravité plutôt que l’ambiguïté
– et par la manière stupéfiante dont
elle ne perd jamais le dess(e)in mu-
sical du texte. Le génie de la can-
tatrice est celui d’une chambriste
autant que d’un poète.
Jean-Philippe Grosperrin
LEOPOLD STOKOWSKI
CHEF D’ORCHESTRE,
1882-1977
Y Y Y ENESCO : Rhapsodie
roumaine no 1. ARNOLD :
Beckus the Dandipratt (a).
GLIÈRE : Concerto pour
colorature (b). TCHAÏKOVSKI :
Symphonie no 5 (c).
Ilse Hollweg (soprano) (b),
BBC Symphony Orchestra (a, b),
International Festival Youth
Orchestra (c).
Cameo. Ø 1954, 1973. TT : 1 h 15’.
TECHNIQUE : B
Etiqueter « DDD »
des enregistre-
ments mono de
1954 et 1973
n’est pas a priori
un gage de sé-
rieux. Cela dit, les documents édi-
tés par cette sous-marque de Lyrita
puisent à des sources honorables :
la collection de Richard Itter (pour
Enesco, Arnold et Glière, tirés d’une
retransmission de la BBC de 1954)
et un enregistrement réalisé par
Cameo lors des Proms de 1973, où
un chef de quatre-vingt-onze prin-
temps guidait un orchestre de
jeunes dans la Symphonie no 5 de
Tchaïkovski.
Leopold Stokowski interprétait là
sa dernière 5e, quelques années
après la gravure de studio réalisée
en 1966 avec le New Philharmonia
(Decca) : une prise de son creusée
dans les graves mais diffuse dans
les tutti, face à laquelle les concerts
apportent tous quelque chose,
notamment celui, exalté de la NBC
en 1942, celui de la NDR en 1952
(Tahra, bien supérieur à la bande
de Stuttgart en 1955) et celui de
1967 avec l’American Symphony
(Music & Arts). Face à ces balises
de la discographie stokowskienne,
la soirée du 19 août 1973 ne s’im-
pose guère. Aux couleurs plutôt
grises et anodines de l’orchestre
s’ajoute un faible relief dynamique,
conséquence d’une captation dis-
tante. Même si certains ralentis et
certaines accélérations paraissent
aléatoires (par exemple la coda du
premier mouvement), on les retrouve
à l’identique d’un enregistrement
à l’autre. Ces gestes sont tout sim-
plement mieux exécutés, voire plus
audacieux, ailleurs.
En ce qui concerne les documents
monophoniques de 1954, la Rhap-
sodie d’Enesco, toujours savoureuse
avec Stokowski, reste assez compa-
rable, stéréophonie et qualité de
l’alto solo en moins, à l’enregistre-
ment RCA de 1960, réédité dans le
coffret « Masters ».
Ce qui peut donc attirer le collec-
tionneur est l’Ouverture joviale et
fort bien troussée de Malcolm Ar-
nold (pour ceux qui se posent la
question, un dandipratt est un our-
sin) et le Concerto pour colorature
de Glière, dans lequel Ilse Hollweg
s’applique à rendre justice à la par-
tition dans une lecture sobre et
prudente. Ce concert de 1954 est
la seule occurrence de ces deux
œuvres dans le répertoire de Sto-
kowski, et la seule raison d’être d’un
album destiné aux fans les plus
mordus. Christophe Huss
THE GOLDEN AGE
OF SHELLAC
Y Y Y Y Y Œuvres de Mascagni,
Chopin, Weber, Elgar, Verdi,
Bach, Dvorak, Rossini, Schubert,
Reger, Adam, Mozart, Hoppe,
Buday, Reutter, Larocca,
McHugh, Reutter…
Erna Berger, Tiana Lemnitz,
Maria Müller, Alda Noni,
Erna Sack (sopranos), Koloman
von Pataky, Julius Patzak (ténors),
Titta Ruffo, Heinrich Schlusnus
(barytons), Vasa Prihoda (violon),
Raoul Koczalski (piano), Helmut
Walcha (orgue), Pietro Mascagni,
Erich Kleiber (direction)…
DG. Ø 1912 à 1943. TT : 1 h 15’.
TECHNIQUE : A
Shellac, c’est-à-
dire la gomme-
laque qu’em-
ployait dès 1898
Deutsche Gram-
mophon pour
fabriquer ses disques. Hormis l’en-
trée magistrale du Barbier de Ros-
sini par Titta Ruffo (1912), le présent
pot-pourri rassemble surtout des
gravures réalisées entre la fin des
années 1920 et la guerre, avec une
forte dominante vocale, et même
un peu de chanson (Lale Andersen,
créatrice de Lili Marleen) ou de jazz
(Louis Armstrong en 1934 à Paris).
En dépit de la disparate de ces vingt
et un documents s’imposent par-
tout une pureté musicale saisissante
et l’aura d’un âge d’or du chant, en
effet, rendues plus vivantes par une
restauration sonore exemplaire.
Les splendeurs que sont le violon
quasi parlant de Vasa Prihoda (Elgar,
Humoreske de Dvorak) ou la
conduite du Nocturne op. 9 no 2 de
Chopin par Raoul Koczalski font na-
turellement écho au répertoire ly-
rique, également représenté par
deux extraits symphoniques de Mas-
cagni (Cavalleria, Le maschere) diri-
gés à Berlin par le compositeur.
Honneur donc aux voix. Face à Ju-
lius Patzak à son zénith dans le ca-
ractère héroïque de Don Ottavio,
Koloman von Pataky chante les cou-
plets du Postillon de Longjumeau
sans contre-ré mais dans un absolu
de clarté érotique, de distinction
musicale : un monument. Autre pu-
reté de timbre et de tournure avec
Alda Noni (Zerbinetta pour Böhm
mais exotique en Traviata), et sur-
tout dans la Berceuse de Reger, où
se perçoit comme rarement le génie
transcendant d’Erna Berger (1935).
Dans Fleurs de Nice (Dénes von Bu-
day) pour le film homonyme, le su-
raigu légendaire d’Erna Sack n’est
rien au regard de son médium et
de son phrasé pénétrant.
Plus admirable encore chez les so-
pranos, la seule partie rapide du
grand air d’Agathe impose, avec
Maria Müller, un autre modèle : la
discipline d’une wagnérienne capable
d’alléger tout en vibrant, songerie
incendiaire. Et Tiana Lemnitz dans
un Schubert (Am Grabe Anselmos)
tranquillement prodigieux, qui dé-
fie le commentaire. Alors écoutons,
et regrettons qu’Erich Kleiber soit
borné à une Danse slave de Dvorak.
Jean-Philippe Grosperrin
I 107
• Les vidéos
Ombres heureuses
Sur la terre comme aux enfers, l’Orphée de Juan Diego Florez triomphe, dans
un spectacle mis en danses – et en transe – par le chorégraphe Hofesh Shechter.
Q
uand ce spectacle fut créé à
Londres, en 2017, les English
Baroque Soloists de John Eliot
Gardiner faisaient déferler sur
Covent Garden leur irrésistible festin de cou-
leurs boisées, en symbiose avec un Monte-
verdi Choir phrasant comme un seul violon-
celle. Pour la reprise milanaise, objet de cette
vidéo, ce sont les troupes scaligères qui offi-
cient. On regrette un instant le feu d’artifice
que dispensaient les musiciens britanniques,
pour aussitôt apprécier l’excellente tenue
des italiens, soumis au mouvement perpétuel
d’une saine animation par la baguette de
Mariotti – sans la hauteur de vue, certes,
dont fait preuve Gardiner en ces contrées.
Peu importe, après tout, car l’astre de cette
108 I
Cette incarnation d’anthologie, Fulljames et
Shechter la sertissent en jouant la carte d’un
minimalisme salutaire, avec un décor de
trois fois rien dont la principale originalité
est un plateau qui monte et descend au gré de
l’action, et sur lequel est placé l’orchestre –
celui-ci se trouve donc tantôt parmi les chan-
teurs, tantôt les surplombe. La direction d’ac-
teurs va à l’essentiel, soulignée par un beau
travail sur la lumière qui suffit à assurer les
changements d’atmosphère. Les danses très
physiques, aux relents primitifs, que règle
Shechter peuvent d’abord décontenancer.
Mais pour les Furies, cette exultation des
corps révèle sa parfaite adéquation. Et lors
du grand ballet qui referme l’ouvrage, la ren-
contre entre ce modèle de clacissisme sonore
et une gestique tribale digne du Sacre du prin-
temps crée une alchimie aussi paradoxale que
jouissive.
Il n’est pourtant guère question de lieto finale
dans cette vision. Revenue des enfers, Eury-
dice disparaît derrière le décor, Orphée reste
seul, face à une effigie de l’objet de sa
flamme… qui s’enflamme.
Outre Florez, lauriers pour l’Eurydice de
Christiane Karg, taillée dans le plus noble
marbre, avec dans la voix des variations
d’ombres et d’intensités saisissantes. Et,
comme il se doit, l’Amour triomphe, puisqu’il
a le joli minois, le timbre fruité et le verbe
agile de Fatma Said. La version parisienne
d’Orphée attendait une référence en vidéo :
la voici enfin. Emmanuel Dupuy
production, pour qui elle a été conçue, c’est
bien évidemment Florez (le ténorissimo
n’avait auparavant chanté le rôle-titre qu’au
cours d’un concert madrilène, publié par
CHRISTOPH WILLIBALD
Decca). Et la victoire est sans appel, addition- GLUCK
1714-1787
nant une somme de qualités exceptionnelle :
Orphée et Eurydice
le français impeccable (tout juste de-ci de-là (version de Paris).
une légère pointe d’accent) ; la virtuosité à Juan Diego Florez (Orphée),
toute épreuve, qui lui permet d’affronter avec Christiane Karg (Eurydice),
un brio clouant les chausse-trappes du redou- Fatma Said (L’Amour), Chœur
table « L’espoir renaît dans mon âme » ; les et Orchestre de la Scala
aigus perchés tout là-haut, assis sur un de Milan, Michele Mariotti.
Mise en scène : John Fulljames
médium désormais enrichi, faisant merveille
& Hofesh Shechter.
dans les passages plus élégiaques  ; sans Belvedere (DVD ou blu-ray).
oublier l’irrésistible élégance du comédien, Ø 2018. TT : 2 h 09’.
promenant ses airs de poète pas tout à fait Son LPCM stéréo/DTS 5.1/HD.
sorti de l’adolescence.
JOSEPH HAYDN
1732-1809
Y Y Y Y La Création.
Mari Eriksmoen (Gabriel, Eve),
Daniel Schmutzhard (Raphël,
Adam), Martin Mitterrutzner
(Uriel), Accentus, Insula Orchestra,
Laurence Equilbey. Mise en scène :
Carlus Padrissa/La Fura dels Baus.
Naxos (DVD ou Blu-ray).
Ø 2017. TT : 2 h 18’. Son PCM
stéréo/DTS 5.1/HD.
L es éléments qui se déchaînent,
la lune et les étoiles, les bêtes
dans leur multitude, le premier amour
conjugal sous la rosée du petit ma-
tin : La Création est un grand livre
d’images saisissantes. Pas assez pour
Carlus Padrissa et La Fura dels Baus,
qui enveloppent l’oratorio dans une
débauche de lumières (projecteur
laser, leds, ballons, etc.) et plaquent
une histoire de réfugiés en errance…
munis de tablettes avec la fonction
torche activée. De ce méli-mélo high-
tech émergent quelques images
fortes : les corps des deux amants
immergés dans un grand aquarium
éclairé ; le visage de feu Gerard Mor-
tier, mentor du collectif catalan,
quand l’Homme apparaît au soir du
sixième jour. Ecce homo.
Laurence Equilbey n’avait pas besoin
de ce décorum pour réussir sa Créa-
tion, à la tête d’un Insula Orchestra
sur instruments anciens souples et
fruités, davantage flattés par la prise
de son que les chanteurs d’Accen-
tus. L’ange Gabriel de Mari Eriks-
moen est certes moins aigle que
colombe ou rossignol mais son Eve
est idéalement virginale, et ce so-
prano stylistiquement très affûté se
double d’une actrice attachante.
Martin Mitterrutzner verse les grâces
d’un Tamino sur les ailes d’Uriel,
quand Daniel Schmutzhard rayonne
moins en Raphaël, annonçant peut-
être, ce faisant, la fragile humanité
d’Adam. Benoît Fauchet
JEAN-PHILIPPE RAMEAU
1683-1764
Y Y Y Y Les Fêtes de l’Hymen
et de l’Amour.
Claire Debono (Orthésie, Orie),
Jeffrey Thompson (Osiris, Aruéris),
Ingrid Perruche (Myrrine,
Memphis), François Lis (Canope),
Kalanidhi Dance, Sean Curran
Company, New York Baroque
Dance Company, Opera Lafayette,
Ryan Brown. Mise en scène :
Catherine Turocy,
Anuradha Nehru,
Sean Curran.
Naxos (DVD).
Ø 2014. TT : 2 h 28’.
Son PCM stéréo.
L es célébrations de Rameau en
2014 ont produit le premier en-
registrement (Glossa) de ce « bal-
let héroïque » inspiré par les dieux
d’Egypte, mais aussi sa résurrection
scénique à Washington. Orchestre
en fond de scène, chœur au balcon,
scénographie quasi absente, cos-
tumes de peplum un peu cheap
(sauf pour les danseurs), lumières
sommaires… mais hors ses limites,
dommageables au grand spectacle
de Canope, l’atout de la représen-
tation est d’abord que la danse y
est réalisée, pour une fois !
Trois chorégraphes régissent cha-
cun un acte, mêlant leurs compa-
gnies respectives et leurs styles
propres. Osiris (Anuradha Nehru)
marie la danse baroque et le voca-
bulaire indien du kuchipudi : on
applaudit, comme à l’humour du
prologue, mais pas aux simagrées
ondoyantes de Canope (Sean Cur-
ran). Il y a plus d’invention dans
Aruéris (Catherine Turocy), ici donné
sans les coupures du disque.
La cohésion de l’orchestre peut flé-
chir, mais les délicatesses de Ryan
Brown, son souci de la respiration,
veillent à la poésie de la partition.
Les petits rôles vont du très honnête
au bon (William Sharp en Grand-
Prêtre). Si les acteurs de Canope
sont à l’abandon, la voix sonore de
François Lis peine dans la déclama-
tion, quand le métal éloquent d’In-
grid Perruche confère à Memphis
un grand caractère. En dépit de ses
inégalités (incipit d’Aruéris), Jeffrey
Thompson montre une présence,
une imagination, des nuances at-
tachantes. Et comme Orie, Claire
Debono « remporte le prix de la
voix » : vertu d’une artiste trop rare,
dont la tenue, l’intelligence expres-
sive, la sensualité fine servent autant
le drame que la veine rococo. L’en-
treprise était hardie, sa publication
a de quoi intéresser.
Jean-Philippe Grosperrin
GIUSEPPE VERDI
1813-1901
Y Y Y Giovanna d’Arco.
Luciano Ganci (Carlo VII),
Vittorio Vitelli (Giacomo),
Vittoria Yeo (Giovanna),
Gabriele Mangione (Delil),
Luciano Leoni (Talbot), Chœur
du Teatro Regio de Parme,
I Virtuosi Italiani, Ramon Tebar.
Mise en scène : Saskia Boddeke
& Peter Greenaway.
Cmajor (DVD ou Blu-ray).
Ø 2016. TT : 2 h 07’. Son PCM
stéréo/DTS 5.1/DTS 5.0 HD.
A vec sa forme en U, ses arcades
et ses gradins, le Théâtre Far-
nèse a de quoi inspirer un metteur
en scène. Pour la Pucelle verdienne,
Saskia Boddeke et Peter Greenaway
ont procédé à rebours : ils ont in-
versé la scène et la salle, concevant
surtout un grand spectacle avec ef-
fets visuels en tout genre. Ces images
de vierges saintes et d’enfants de
migrants, ces projections en gros
plan des personnages de l’opéra,
ces hologrammes de symboles reli-
gieux étouffent vite. Le message ?
Sommaire : l’Histoire se répète, on
opprime toujours au nom de Dieu,
la pauvre Jeanne n’est qu’une vic-
time parmi d’autres.
Nous aurait convaincu, peut-être,
une direction d’acteurs plus concen-
trée. Qu’apporte ici l’omniprésence
des deux doubles de Jeanne, l’un
guerrier et l’autre innocent, incar-
nés par des danseuses ? Le tandem
Caurier-Leiser avait, pour d’autres
raisons, raté sa Giovanna d’Arco sca-
ligère : voilà décidément un opéra
difficile à mettre en scène.
Plus scrupuleuse qu’inspirée, Vit-
toria Yeo, au timbre peu amène,
pas toujours stable, fait de jo-
lies nuances et offre en Giovanna
quelques moments de grâce. Voix
très latine, le Carlo VII de Luciano
Ganci, n’était un aigu qui a tendance
à se durcir, ne manque ni de vail-
lance ni de souplesse. Mais Vittorio
Vitelli, malgré d’excellentes inten-
tions, reste trop vert et trop appli-
qué en père castrateur. On aime
en revanche beaucoup la direction
de Ramon Tebar, un vrai chef de
théâtre, qui crée une urgence et
des climats, à la tête d’un chœur
et d’un orchestre impliqués.
Didier van Moere
ANDRIS NELSONS
CHEF D’ORCHESTRE
Y Y Y Y Y SCHLEIERMACHER :
Relief. BERG : Concerto pour
violon*. MENDELSSOHN :
Symphonie no 3 « Ecossaise ».
Baiba Skride (violon)*, Orchestre
du Gewandhaus de Leipzig.
Accentus (DVD ou Blu-ray).
Ø 2018. TT : 1 h 33’. Son PCM
stéréo DD 5.1/DTS 5.1/HD.
L e concert inaugural d’Andris Nel-
sons comme Chefdirigent de l’Or-
chestre du Gewandhaus de Leipzig,
s’ouvre sur une création de Schleier-
macher. Bien construite, sa pièce re-
cycle un vocabulaire et des formules
déjà entendus, avec de brefs échos
des minimalistes américains qu’il a
bien servis comme pianiste. Mais
le titre (Relief) ne ment pas, et elle
trouve ici un avocat très physique.
De dos, le chef letton a tout d’un
colosse ; de face, il est prodigue en
expressions qui ressortissent de la
joie enfantine de la musique, mais
aussi d’une écoute profonde.
Sous sa battue, le concerto de Berg
est plus sensuel que minéral, les va-
riations (parfois fulgurantes) de
masse, texture et d’intensité n’obé-
rant jamais la chaleur lyrique. Son
déroulement organique doit autant
au rayonnement sonore très contrôlé
de Skride qu’a l’habileté du chef.
Les couleurs entêtantes du Gewand-
haus accentuent la patine postro-
mantique de la musique – quelle
étoffe orchestrale somptueuse, et
transparente pourtant !
Mendelssohn est, à Leipzig, le réfé-
rent auquel doit naturellement se
mesurer tout Chefdirigent. La ca-
méra cerne la joie pure de Nelsons
au début du Vivace non troppo. Ses
gestes si ouverts, ses regards si inci-
tatifs engendrent une « Ecossaise »
tout en pleins et déliés, qui respire
large. S’il veille aux nuances dyna-
miques et cisèle les accents, Nelsons
met aussi en valeur les données ryth-
miques, sculpte physiquement le
phrasé… La splendeur de l’orchestre
fait le reste : les couleurs de chaque
pupitre sont une joie en soi.
Rémy Louis
I 109
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DIAPASON D’OR
Juilliard String Quartet : Complete RCA Recordings 1089479A 55,48 € p. 70 
Andreas Staier : Scarlatti / Soler / Boccherini 1090485A 13,54 € p. 71 
Martinu : Mélodies (Jankova / Kral / Kahanek) 1094485A 25,75 € p. 73  Haendel, Handel : Handel : « Mio caro Handel » (Kernes) 1092063A 29,57 € p. 88 
Bach : Concertos pour orgue (B. Jacobs) 1096241A 28,63 € p. 76  Haendel, Handel : Handel : Sonates pour flûte à bec (Temming 1091357A 28,63 € p. 88 
Chostakovitch : Quintette (Leonskaja / Quatuor Artémis) 1094492A 27,73 € p. 83  Von Hausegger, Sigmund : Hausegger : Lieder (Trekel) 1074473A 19,09 € p. 88 
Franck : Prélude, chorale et fugue (Dalberto / Quatuor Novus 1096343A 28,86 € p. 86  Haydn, Joseph : Haydn : Sonates (Bezuidenhout) 1090528A 28,86 € p. 89 
Jones : Airs pour violon (The Beggar's Ensemble) 1038162A 25,54 € p. 90  Haydn, Joseph : Haydn : Quatuors op. 71 (Quatuor Maxwell) 1095932A 28,63 € p. 89 
Tippett : Symph. no 3 et 4 (Brabbins) 1097810A 56,83 € p. 98  Froberger, Jones : Jones : Airs pour violon (The Beggar's 1038162A 25,54 € p. 90 
Alina Ibragimova / Cédric Tiberghien : Franck / Ysaÿe / Vier 1097809A 28,42 € p. 104  Henze, Hans-Werner : Henze : Oeuvres pour violon (Shep 1059562A 12,46 € p. 90 
Wilhelm Furtwängler : The Radio Recordings 1939-1945 Non dispo -------- € p. 106  Karayev, Kara : Karaïev : Les Sept beautés (Karabits) 1035526V 25,46 € p. 90 
Gluck : Orphée et Eurydice (Mariotti / Fulljames) - DVD 129656CN 43,65 € p. 108  Liszt, Franz : Liszt : L'Oeuvre pour piano, vol. 51 (Filipec) 1078265A 12,46 € p. 91 
Gluck : Orphée et Eurydice (Mariotti / Fulljames) - BluRay 129656CS 43,65 € p. 108  Liszt, Franz : Liszt : Douze études d'éxécution transcendante 1091920A 12,46 € p. 91 
LES INDISPENSABLES Liszt, Franz : Liszt : Paraphrases et transcriptions (Pontier) 1096225A 20,14 € p. 91 
Liszt, Franz : Liszt : Via Crucis (De Leeuw) 1095949A 28,63 € p. 92 
Verdi, Giuseppe : Verdi : Requiem (Karajan) 1098287A 9,26 € p. 66 
Mayr, Johann Simon : Mayr : I Cherusci (Hauk) 1094380A 24,91 € p. 92 
RÉÉDITIONS
Mendelssohn-Bartholdy, Félix : Mendelssohn : Trios (Trio 1093184A 28,86 € p. 92 
Juilliard String Quartet : Juilliard String Quartet : Complete RCA 1089479A 55,48 € p. 70  Messiaen, Olivier : Messiaen : Livre d'orgue (Winpenny) 1068615A 12,46 € p. 92 
Casadesus, Robert : Robert Casadesus : Complete 1094493A 277,48 € p. 71  Mozart, Mozart : Mozart : Quintettes (Quatuor Klenke / 1088595A 48,84 € p. 93 
Scarlatti, Domenico : Andreas Staier : Scarlatti / Soler / 1090485A 13,54 € p. 71  Orff, Carl : Orff : Carmina burana (Yu) 1091453A 27,73 € p. 93 
Bach, Jean-Sébastien : Bach : Motets (Gardiner) 1090483A 13,54 € p. 71  Skoryk, Myroslav : « Paganini by Arrangement » (Zemtsov) 1088608A 23,30 € p. 93 
Bowman, James : « Elizabethan Lute Songs » « Purcell Birthday 1090484A 13,54 € p. 71  Pépin, Camille : Pépin : Pièces pour mezzo-soprano (McGown) 1097277A 25,46 € p. 93 
Pennario, Leonard : Leonard Pennario : Complete RCA Collection 1092069A 73,97 € p. 72  Purcell, Henry : Purcell : « The Cares of Lovers « (Pierce / Egarr 1096207A 28,63 € p. 93 
Hummel, Johann Nepomuk : « Johann Nepomuk Hummel Edition » 1081806A 88,80 € p. 72  Rameau, Jean-Philippe : Rameau : Les Indes galantes 1094301A 31,06 € p. 94 
EVÈNEMENT Arcadelt, Jacques : « Imaginario » (Kiehr / Abramovitch) 1095952A 28,63 € p. 94 
Martinu, Bohuslav : Martinu : Mélodies (Jankova / Kral / 1094485A 25,75 € p. 73  Macque, Giovanni de : Macque : Sixième Livre (Cordes) 1086024A 28,42 € p. 94 
DICTIONNAIRE Schütz, Heinrich : Schütz : Intégrale de l'oeuvre, vol. 19 1092613A 28,42 € p. 94 
Arriaga, Juan Crisostomo de : Arriaga : Symphonie (Mena) 1098142A 25,46 € p. 74  Hakenberger, Andreas : Hakenberger : Motets (Lukaszewski) 1084342A 24,91 € p. 94 
Aubert, Louis : Aubert : Oeuvres pour violon et piano (Moraly 1091951A 20,42 € p. 74  Bollius, Daniel : «17th Century Sacred Music in Wroclaw » 1063024A 27,08 € p. 94 
Auric, Georges : Auric : Imaginées 1091275A 14,54 € p. 75  Caldara, Antonio : Caldara : Cantates pour basse (Foresti) 1084511A 28,63 € p. 94 
Bach, Carl Philipp Emanuel : C.P.E. Bach : Concertos (Coin) 1086163A 28,42 € p. 75  Ricchezza, Donato : « Los Santos Ninos » (Florio) 1050408A 28,86 € p. 94 
Bach, Jean-Sébastien : Bach : Cantates BWV 82 et 169 1095951A 28,63 € p. 75  Ries, Ferdinand : Ries : Quatuors, vol. II (Quatuor Schup 848375A 19,09 € p. 95 
Bach, Jean-Sébastien : Bach : Concertos pour orgue (B. 1096241A 28,63 € p. 76  Ries, Ferdinand : Ries : Quatuors, vol. I (Quatuor Schuppanzigh) 848098A 19,09 € p. 95 
Bach, Jean-Sébastien : Bach : Le Clavier bien tempéré, livr 1059883A 28,86 € p. 76  Ries, Ferdinand : Ries : Quatuors, vol. III (Quatuor Schup 1081697A 19,09 € p. 95 
Bach, Jean-Sébastien : Bach : Le Clavier bien tempéré, livr 1007064A 28,86 € p. 76  Olsen, Poul Rovsing : Rovsing Olsen : The Planets 1087468A 25,36 € p. 95 
Bach : Le Clavier bien tempéré, livre I (Poblocka) Non dispo -------- € p. 77  Say, Fazil : Say : Pièces pour piano (Say) 1092435A 27,73 € p. 95 
Bach, Jean-Sébastien : Bach : Le Clavier bien tempéré, 1088210A 33,50 € p. 77  Scarlatti, Alessandro : Scarlatti : L'assunzione della Beata 1089415A 25,46 € p. 96 
Bartok, Béla : Bartok : Duos (Onofri / Tur Bonet) 1096247A 28,63 € p. 77  Schreker, Franz : Schreker : L'Anniversaire de l'infante, suit 1084343A 12,46 € p. 96 
Beethoven, Ludwig Van : Beethoven : Sonates (Subdin) 1094446V 29,64 € p. 78  Schubert, Franz : Schubert : « Heimweh » (Richter) 1094393V 28,63 € p. 96 
Beethoven, Ludwig Van : Beethoven : Symph. no 9 (Ozawa) 1091451A 25,04 € p. 78  Schubert, Franz : Schubert : Quatuors no 9 et 14 (Quatuor 1084501V 29,64 € p. 96 
Boccherini, Luigi : Boccherini : Stabat Mater (Piau / Gaillard) 1093610A 31,06 € p. 78  Kurtag, György : Schumann : Pièces pour alto (Desaint / 1087597A 28,63 € p. 97 
Brahms, Johannes : Brahms : Symph. no 4. Dvorak : Symp 1093426V 31,08 € p. 78  Schumann, Robert : Schumann : Pièces pour piano (Lortie) 1091454A 25,46 € p. 97 
Bruckner, Anton : Bruckner : Symph. no 4 (Luisi) 1091958A 25,91 € p. 79  Strauss, Richard : Strauss : Oeuvres pour orchestre (Thiele 1094033A 44,18 € p. 97 
Bruckner, Anton : Bruckner : Symph. no 6 (Ticciait) 1095933A 28,63 € p. 79  Tippett, Michael : Tippett : Symph. no 3 et 4 (Brabbins) 1097810A 56,83 € p. 98 
Von Camerloher, Placidus : Camerloher : « Solo per la 1078325A 19,64 € p. 80  Telemann : « La Solitude à deux » (Gemolo / Germone) Non dispo -------- € p. 98 
Cavalli, Francesco : Cavalli : « Ombra mai fu » (Jaroussky) 1090686A 27,73 € p. 80  Torri, Pietro : Torri : La vanita del mondo (Goebel) 1087600A 29,64 € p. 99 
Cavalli, Francesco : Cavalli : Missa concertata (Chénier) 1096849A 28,63 € p. 81  Lewis, Paul : Weber : Sonate no 2 (Lewis) - Epuisé - -------- € p. 99 
Chausson, Ernest : Chausson : Poème de l'amour et de la mer. 1095950A 28,63 € p. 81  Wiren, Dag : Wiren : Quatuors no 2, 3, 4 et 5 (Quatuor 1087486A 12,46 € p. 99 
Chédeville, Nicolas : Chédeville : Les Saisons amusantes 1094439A 28,63 € p. 82  Titelouze, Jehan : Titelouze : « Les Messes retrouvées » 1090046A 25,46 € p. 100 
Chopin : Oeuvres pour piano (Ohlsson) Non dispo -------- € p. 82  Yun, Isang : Yun : Sunrise Falling (Russell Davies) 1084390V 42,13 € p. 100 
Chopin : Oeuvres pour piano (Ohlsson) Non dispo -------- € p. 82  RÉCITALS
Corelli, Arcangelo : Corelli : Concertos grossos (Estro 1091939A 15,54 € p. 82  Mahler, Gustav : Bruno Borralhinho : Strauss / Zemlinsky 1088370A 27,74 € p. 101 
Couperin, François : Couperin : Concerts royaux (Rousset) 1095860A 28,86 € p. 82  Boulanger, Nadia : Louis 1093581A 16,82 € p. 101 
Chostakovitch, Dimitri : Chostakovitch : Quintette (Leonskaja / 1094492A 27,73 € p. 83  Denk, Jeremy : Jeremy Denk : «c.1300–c.2000 » 1076615A 32,18 € p. 101 
Debussy, Claude : Debussy : Pièces pour piano (Bonnecaze) 1094249A 25,46 € p. 83  Schumann, Clara : Tasmin Little : C. Schumann / Smyth / Beach 1098141A 25,46 € p. 102 
Roscoe, Martin : Dohnanyi : Pièces pour piano, vol. IV 1097808A 28,42 € p. 84  Ottensamer, Daniel : Daniel Ottensamer : « La Vie en rose » 1092062A 25,88 € p. 102 
Donizetti, Gaetano : Donizetti : Requiem (Rovaris) 1084513A 26,64 € p. 84  Berlioz, Hector : Stéphanie d'Oustrac : « Sirènes » 1094232A 28,86 € p. 102 
Erlebach, Philipp Heinrich : Erlebach : Sonates (L'Achéron) 1091419A 28,63 € p. 84  Mozart, Wolfgang Amadeus : Olga Peretyatko : « Mozart + » 1092072A 29,57 € p. 102 
Fauré, Gabriel : Fauré : Nocturnes (Le Sage) 1097081A 28,63 € p. 84  Beethoven, Ludwig Van : Quatuor Danois : « Prism 1 » 1076089A 27,73 € p. 103 
Fauré, Gabriel : Fauré : Requiem (Romano) 1094263A 28,86 € p. 85  Boulanger, Lili : Alina Ibragimova / Cédric Tiberghien : 1097809A 28,42 € p. 104 
Feldman, Morton : Feldman : String Quartett and Orchestra 1078973A 28,63 € p. 85  Casella, Alfredo : Steffen Schleiermacher : « Futurisme 1094831V 27,19 € p. 104 
Franck, César : Franck : Prélude, chorale et fugue (Dalberto 1096343A 28,86 € p. 86  Ensemble Obsidienne : « Les Anges musiciens » 1094964A 25,46 € p. 104 
Gipps, Ruth : Gibbs : Symph. no 2 et 4 (Gamba) 1079717A 25,46 € p. 86  Janequin, Clément : « Au Long de la Loire » (Suhubiette) 1094246A 28,86 € p. 105 
Gorecki, Gorecki : Gorecki : Quatuors no 1 et 2 (Quatuor 1087489A 12,46 € p. 87  Cabezón, Antonio de : « Chaconnerie » (Marquez) 1088418A 24,42 € p. 105 
Graupner, Christoph : Graupner : Concertos et Ouvertures 1084441A 28,63 € p. 87  Ora Singers : « Desires » (Digby) 1098288A 28,86 € p. 105 
Handel : Acis and Galatea (Christophers) Non dispo -------- € p. 88  Watson, Katherine : « L'Opéra des opéras » (Niquet) 1091353A 28,63 € p. 105 
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LE COLLECTIONNEUR Haydn, Joseph : Haydn : La Création (Equilbey / Padrissa) 95235CS 38,25 € p. 109 
Wilhelm Furtwängler : The Radio Recordings 1939-1945 Non dispo -------- € p. 106  Haydn, Joseph : Haydn : La Création (Equilbey / Padrissa) 95235CN 38,25 € p. 109 
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Schwarzkopf, Elisabeth : Wolf : Lieder (Schwarzkopf / Furtwän 1091277A 14,54 € p. 107  Rameau, Jean-Philippe : Rameau : Les Fêtes de l'Hymen et de 129654CN 35,30 € p. 109 
Arnold, Malcolm : Leopold Stokowski : Enesco / Arnold / 1078063A 28,63 € p. 107  Verdi, Giuseppe : Verdi : Giovanna d'Arco (Tebar / Bodeke / 127374AN 40,40 € p. 109 
« The Golden Age of Shellac » 1090480A 18,47 € p. 107  Verdi, Giuseppe : Verdi : Giovanna d'Arco (Tebar / Bodeke / 127374AS 54,17 € p. 109 
DVD
Andris Nelsons : Schleiermacher / Berg / Mendelssohn - DVD 128296AN 36,72 € p. 109 
Gluck, Gluck : Gluck : Orphée et Eurydice (Mariotti / Full 129656CN 43,65 € p. 108 
Andris Nelsons : Schleiermacher / Berg / Mendelssohn - 128296AS 53,28 € p. 109 
Gluck, Gluck : Gluck : Orphée et Eurydice (Mariotti / Full 129656CS 43,65 € p. 108 

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 LE SON nouveautés
PAR THIERRY SOVEAUX

Dopés à l’IA
Caissons de grave Paradigm V10 et V12.
Prix indicatif : 669 € (V10), 779 € (V12).
Renseignements : Hamy Sound.
Tél : 01 47 88 47 02.

IA comme intelligence artificielle, car

les nouveaux caissons V10 et V12, signés
Paradigm, disposent, en option, d’un système
de calibration acoustique « intelligent ».
Ce dernier opère à l’aide d’un micro, celui
du smartphone ou d’un modèle plus élaboré.
Le V10 est équipé d’un woofer de 250 mm
avec membrane en polypropylène renforcée
au carbone, pour une réponse dans le grave qui
s’étend à 26 Hz. Quant au V12, il dispose d’une
unité de 300 mm capable d’atteindre les 18 Hz
sans faillir. Les évents prennent place sous
le coffret. L’amplificateur intégré de 120 watts
travaille en Classe D.

Système orchestral La Boite concept LX et LX Platine.

Prix indicatif : 2 890 € (LX), 3 480 € (LX Platine).
Renseignements : La Boite concept. Tél : 05 64 11 54 15.

Comme à l’accoutumée avec La Boite concept, l’objet ne manque pas de

charme, délicieusement rétro chic grâce aux matériaux nobles agrémentés
d’une pointe de modernité. « Un orchestre live dans un volume modeste »,
tel est le propos de ce beau meuble, à la fois enceinte compacte
et connectée prenant en charge l’ensemble des appareils numériques
ou encore la platine vinyle pour la version haut de gamme. La connectique
répond à toutes les demandes. L’enceinte comprend cinq haut-parleurs dont
un woofer à grande excursion. Les cinq canaux totalisent une puissance
de 285 watts. Tableau de contrôle fort bien dessiné.

2 PRISES DE SON D’EXCEPTION sélectionnées et analysées par Isabelle Davy

ROSSINI : Ouvertures.
Orchestre du Théâtre communal de Bologne,
Michele Mariotti.
Pentatone (SACD).
Diapason d’or. Cf. n° 677
Erdo Groot et Jean-Marie Geijsen
proposent un espace sonore tout
en profondeur. Le mixage restitue
une largeur conséquente à la scène et situe l’orchestre
sur un vaste arc de cercle. L’acoustique peu réverbérée
de la bibliothèque du couvent San Domenico de Bologne (Italie)
autorise une localisation précise des pupitres et instruments
solo. L’énergie imposante des cuivres et percussions se déploie
sans rien masquer d’éléments sonores plus subtils.
SCHUBERT : Symphonie « Inachevée ». Lieder.
Florian Boesch, Concentus Musicus Wien,
Stefan Gottfried
Aparté.
Diapason d’or. Cf. n° 677
Voici une image orchestrale d’une
extrême largeur. La prise de son
en proximité de Nicolas Bartholomée
et Maximilien Ciup s’affranchit en partie de l’acoustique
généreuse de la grande salle du Musikverein de Vienne
(Autriche). Les lieder avec orchestre enthousiasment
par le splendide relief élaboré entre la voix du baryton
et le Concentus Musicus Wien. La symphonie captive par
ses sonorités incisives et ses contrastes dynamiques.

I 115
O nouveautés

Musique en apesanteur

Platine vinyle MAG-LEV Audio ML1.
Prix indicatif : 2 790 €.
Renseignements : Son-Video.Com.
Tél : 0826 960 290.
On connaissait la platine Verdier qui faisait
appel à deux aimants se repoussant
mutuellement pour la suspension,
mais pas encore le plateau flottant comme
par magie et qui repose en partie sur le
même principe : une première mondiale !
En effet, un champ magnétique puissant
permet de maintenir le plateau en
sustentation, assurant ainsi sa rotation
à l’abri de toute vibration indésirable.
Lorsqu’il n’est pas en lévitation, au-dessus
du châssis, il repose sur quatre supports
escamotables. Le bras de lecture Pro-Ject
9CC (9 pouces) au profil conique réduit
efficacement les ondes stationnaires.
Bloc d’alimentation séparé et livré avec
la cellule Ortofon OM10 (MM).

UN PIED Tour de France

C’EST TOUT « Mc’Intour ». Renseignements : EAD.
Tél : 03 86 33 01 09 ou www.mcintour.fr
ou par les réseaux sociaux avec le hashtag #McIntour.
Enceinte Q Acoustics Concept 300. Pour fêter les soixante-dix ans de McIntosh,
Prix indicatif : 3 749 € la paire (pieds inclus).
Renseignements : France Marketing.
l’importateur français Europe Audio Diffusion
Tél : 01 60 80 95 77. nous convie au « Mc’Intour » : dans toute la
France, une dizaine de rencontres seront
Petite sœur de l’excellente Q Acoustics Concept 500 proposées autour de cette marque mythique.
(Diapason d’or 2018), la Concept 300 propose L’occasion d’écouter les dernières nouveautés
une alternative plus logeable et un peu moins chez les revendeurs partenaires de l’événement :
coûteuse. Le grave est confié à un médium/grave platine vinyle, lecteur CD, ampli, préampli,
de 165 mm avec cône en papier imprégné. processeur, enceinte active... autant d’appareils
L’entourage en caoutchouc contribue à réduire qui donneront à entendre un savoir-faire
les résonances indésirables. Le tweeter de devenu légendaire.
28 mm est lui aussi découplé à l’aide d’un
joint en caoutchouc. Le coffret en bois fait
appel à une structure sandwich séparée
par du gel. Une attention toute particulière
a été portée aux pieds ; très innovants,
à la fois rigides et d’une grande stabilité,
ils contribuent à la réussite visuelle de
l’ensemble. Le rendement annoncé de
84 dB nécessite un ampli assez musclé.

116 I
Esprit de collection by

Planar 8,
nouvelle référence REGA P1

La nouvelle Planar 8 a été conçue

et développée pour résumer l'essence même
de la « Naiad », platine ultime de REGA,
P2
au design unique.

La nouvelle série Planar vous permet

d’entrer dans l’univers REGA et de découvrir
des produits d’une exceptionnelle musicalité,
grâce à plus de 40 ans de savoir-faire P3
dans la fabrication de platines vinyles.

P6

P8 N O U V E A U T É Handmade in England

REGA est distribué par Sound & Colors - GT Audio

Tél. : 01 45 72 77 20 - info@soundandcolors.com Since 1973
www.soundandcolors.com
LE SON comparatif hi-fi

12 platines vinyles
de 299 € à 5 990 €
Le vinyle est reparti pour… 33 tours ! Une mode qui donne l’occasion de rappeler
les véritables trésors que recèle la lecture analogique. Malheureusement, la plupart
des platines connectées d’entrée de gamme sont souvent équipées d’un préampli phono
médiocre. La très économique Teac TN-280BT échappe en partie à ce travers :
notée 5 étoiles en qualité musicale, elle se démarque en effet par sa grande honnêteté.
La Funk Firm Gett! et la Nad C 588, remarquables l’une et l’autre, brillent par leur
rapport qualité-prix imbattable. Tandis que la Clearaudio Concept Pack Statisfy Kardan
se distingue par sa sensualité naturelle. Et la Rega Planar 8, quasi parfaite, s’efface
derrière la musique de façon troublante. Plus élitistes, la Well Tempered Lab Amadeus
GTA MK II nous a bluffés par sa restitution de grande classe quand l’AVM Rotation R 5.3
dispense une écoute en très haute résolution.

NOS APPRÉCIATIONS
EQUILIBRE COHÉRENCE RAPPORT
TIMBRES DYNAMIQUE TRANSPARENCE DÉFINITION RELIEF QUALITÉ MUSICALE
SPECTRAL GÉNÉRALE QUALITÉ-PRIX
TEAC ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★
TN-280BT
DENON ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★★★★ ★★★★★ ★ ★ ★ ★
DP-400
THORENS ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★★★★ ★★★★★★ ★ ★ ★ ★
TD 202
YAMAHA ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★★★★ ★★★★★ ★ ★ ★ ★
VINYL 500
FUNK FIRM ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★
GETT!
NAD ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★
C 588
BLOCK AUDIO ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★★★★★ ★★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★
PS-100+
CLEARAUDIO
CONCEPT PACK ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★
SATISFY KARDAN
ROKSAN ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★ ★★★★★★ ★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★
RADIUS 7
REGA ★★★★★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★
PLANAR 8
WELL TEMPERED
LAB AMADEUS ★★★★★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★★★★★ ★★★★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★
GTA MK II
AVM ★★★★★★ ★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★★★★★★ ★★★★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★★★★★★ ★ ★ ★ ★ ★ ★
ROTATION R 5.3

118 I
 PRIX INDICATIF : 299 €
TEAC TN-280BT Type : Platine analogique
avec entraînement par courroie
Platine premier prix très compplete, la TN-280BT interne, préampli phono intégré
profite d’un plateau en alum minium et d’un et émetteur Bluetooth.
système antiskating. Grâce à l’émetteur Bras : droit de 223 mm.
Bluetooth et au préampli pho ono inté- Cellule : Teac MM.
gré débrayable, on pourra l’asssocier Dimensions :
à n’importe quels amplificateeur, 420 x 117 x 356 mm.
Origine : Japon.
encei nte s a mpl if iée s o u Distribution : Aqipa France.
casque sans fil. Vitesse 33 Tél : 01 82 88 15 08.
et 45 tours.
POINTS FORTS
L’écoute
Honnêteté musicale.
On ressent une légère com- Le prix.
pression spatiale et spectralee.
Mais, à ce prix, la restitution
n n’appelle guère POINT FAIBLE
la critique. L’ image stéréo o se déploie de façon Timbres légèrement
convaincante. Le charme du vinyle opère avec certitude, aseptisés.
sans créer de réelle frustratio
on. QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★ ★

DENON DP-400 PRIX INDICATIF : 499 €

Type : Platine analogique
Bien fabriquée, cette platine économique bé- TD 202. Mais, de la même manière, cela n’en- avec entraînement par courroie
néficie d’un régulateur automatique de la vi- tame pas un joli sens musical. interne et préampli
tesse pour une lecture précise des 33, 45 et phono intégré.
78 tours. Le châssis, très travaillé, amortit Bras : Denon, en S.
les résonances avec efficacité. Semi- Cellule : Denon MM.
automatique, le bras se soulève Dimensions :
414 x 342 x 132 mm.
donc en fin de piste. Il est Origine : Japon.
possible de désactiver Distribution : Sound United.
le préampli phono Tél : 01 41 38 32 38.
intégré.
POINT FORT
L’écoute Belle musicalité.
Une cer taine
opacité de la res- POINT FAIBLE
titution nuit à l’ im- Opacité de la restitution.
pression de clarté. La partie QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★

supérieure du spectre semble en effet légè-

rement sacrifiée. De ce point de vue, l’image
sonore révèle des similitudes avec la Thorens

PRIX INDICATIF : 599 €

Type : Platine analogique
THORENS TD 202 avec entraînement par courroie
La TD 202 dispose d’une sortie USB– affin interne, préampli phono
de numériser les vinyles à l’aide de l’ord di- et sortie USB.
Bras : Thorens en aluminium
nateur – et d’un préampli phono RIAA in ntégré de 223 mm.
débrayable. La vitesse de rotation permett l’écoute Cellule : Audio Technica AT95E.
des 33 et 45 tours. Le moteur à cour ant continu Dimensions :
entraîne un plateau en aluminium. Cellule C MM 420 x 355 x 121 mm.
à diamant elliptique. Origine : Allemagne.
L’écoute Distribution : DEA International.
Tél : 01 55 09 18 35.
Elle s’est faite avec le préampli intégré.
En effet, difficile de concevoir l’achat d’un POINTS FORTS
préampli additionnel qui serait à peu près Musicalité et possibilités.
aussi cher que la platine complète… POINTS FAIBLES
La restitution est agréable, vivante et a érée Légère opacité
malgré une légère opacité dans le haut du spectre. dans le haut du spectre.
Certes, le charme du vinyle persiste à sa a façon. Mais Aseptisation des timbres.
les timbres manquent de saveur, d’un certtain côté charnel.
QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★

I 119
● comparatif hi-fi

PRIX INDICATIF : 699 €

YAMAHA VINYL 500 Type : Platine analogique
Inscrite dans le réseau Yamaha MusicCast – un prin- connectée avec entraînement
cipe qui s’apparente au multi-room – cette platine par courroie interne et préampli
connectée peut donc diffuser la musique des phono intégré.
Bras : Yamaha de 223 mm.
disques vinyles partout dans la maison, par
Cellule : Yamaha MM.
le biais de tous les appareils de la marque Dimensions :
obéissant à ce principe : amplis, mini- 450 x 136 x 368 mm.
chaînes, enceintes actives ou barres de Origine : Japon.
son. Section réseau compatible Ethernet, Distribution :
wi-fi, Airplay et Bluetooth. Yamaha Music Europe.
Tél : 01 64 61 40 00.
L’écoute
La restitution semble un peu pâteuse, un POINT FORT
rien opulente en utilisant le préampli inté- Sens musical.
gré, toujours incontournable dans ce budget.
POINT FAIBLE
Cela nuit au sentiment de clarté, de limpidité dans Restitution pâteuse.
le haut du spectre notamment. Dommage, car la dyna-
mique fait preuve d’une belle réactivité. QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★

FUNK FIRM GETT! PRIX INDICATIF : 869 €

(avec cellule)
Séduisante et luxueuse en restant sous la barre des 1000 €. Type : Platine analogique
Cette première « vraie » platine vinyle
i l dud comparatif arbore avec entraînement par courroie.
des airs haut de gamme. L Le moteur 33/45 tours, Bras : F7 de 225 mm.
à courant continu, entraîn ne le plateau en Cellule :
acrylique haute précision. Trèès raffiné, Audio Technica VM 95 M L.
le bras obéit à une conceptiion Dimensions : 420 x 330 x 120 mm.
Origine : Angleterre.
filaire, sans frottement, Distribution :
parfaitement équilibré. Ana Mighty Sound.
Réglage de l’azimut pour Tél : 06 51 10 76 64.
une configuration précise.
POINTS FORTS
L’écoute Classe sonore
Beaucoup de clarté et de fran nchise, au prix pour moins de 1000€.
d’une infime dureté de timbress sur les voix féminines Qualités dynamiques.
en nuance forte. La cellule pourrait
p être en cause, mais
rien de rédhibitoire. Car l’étendue dynamique est remar- POINT FAIBLE
quable, à la mesure du spectree et de la scène stéréo en trois Guère.
dimensions. Rapport qualité-p prix exceptionnel. QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★ ★ ★

NAD C 588 PRIX INDICATIF : 899 €

Type : Platine analogique
D’aspect classique, la Nad C 588 repose sur L’ image stéréo se forme avec beaucoup de avec entraînement
des pointes de découplage en acier. Le moteur vraisemblance, assortie de beaux timbres. par courroie interne.
à courant alternatif, associé à un plateau en Dynamique constamment musicale. Excellent Bras : Nad de 223 mm.
verre de 10 mm, est contrôlé électronique- rapport qualité-prix. Cellule : Ortofon 2M Red.
ment. Le bras, en fibre de carbone,, comporte
p Dimensions :
une coquille porte-ceellule censée éliminer 435 x 340 x 125 mm.
Origine : Canada.
les vibrations. Angle ded suivi verti-
Distribution : France Marketing.
cal et azimut ajustablle. Tél : 01 60 80 95 77.
L’écoute
POINT FORT
Le niveau de sortiee
Musicalité.
semble assez élevé,
quels que soient les pré-- POINT FAIBLE
amplis phono utilisés : Niveau de sortie assez élevé.
Rega, Creek ou Clearaud dio. QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★ ★ ★

Mais cela ne nuit pas outre

mesure à l’homogénéitéé sonore.

120 I
Une
invitation...
L’équipe Audioquest
France vient à votre
rencontre afin de vous
faire vivre une expérience
unique à travers l’ensemble
de ses gammes de câbles !

Nous vous invitons pour

un moment chaleureux
et convivial à partager en
image et musique.

Retrouvez nous à partir

du 7 Mars chez nos
partenaires revendeurs :

Mars
7 Mars Tedd Connexion - Lyon (69)
8 Mars L’Odyssée Musicale - Clermont Ferrand (63)
14 Mars Club Hifi - Bordeaux (33)
15 Mars Play - Toulouse (31)
21 Mars L’auditorium - Nantes (44)
22 Mars L’espace de la Technologie - Amboise (37)
28 Mars Enceintes et Musique - Paris (75)
30 Mars Espace Cinema - Mouroux (77)

Avril
4 Avril Opus 51 - Reims (51)
5 Avril Les Artisans du Son - Mulhouse (68)
● comparatif hi-fi

BLOCK AUDIO PS-100+ PRIX INDICATIF : 1 399 €

Type : Platine analogique
Cette platine encore accessible possède les le registre aigu qui apparaît un peu éteint. avec entraînement
atouts de modèles plus ambitieux : un aspect Timbres de qualité. par courroie externe.
très cossu ainsi qu’un moteur extérieur
érieur assu-
assu Bras : Pro-Ject de 236 mm.
rant, en principe, une absence tota
ale de vibra- Cellule : Ortofon OM 5E.
tions. Le plateau en acrylique repoose Dimensions :
sur un axe en céramique de haute 450 x 190 x 375 mm.
Origine : Allemagne.
précision. Un stroboscope interne
Distribution : Conceptas.
avec capteur intégré ajuste la vi- Tél : 06 52 09 59 27.
tesse de rotation (33 et 45 tours)
avec une rigueur absolue. POINTS FORTS
Stabilité.
L’écoute Classe sonore.
A l’ image d’une platine haut de
gamme, la stabilité sonore est remarr- POINT FAIBLE
quable. La musique est bien posée, or- Manque de chatoiement
donnée, un atout non négligeable. dans le haut du spectre.
En revanche l’ équilibre spectral ssacrifie QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★ ★

CLEARAUDIO CONCEPT PACK SATISFY KARDAN PRIX INDICATIF : 1 849 €

Type : Platine analogique
Il s’agit d’un pack proposé par l’importateur. et une image stéréo très en relief. La dynamique avec entraînement
Simple à utiliser, cette platine s’adresse à des maîtrise avec talent le paradoxe de l’urgence et par courroie interne.
mélomanes audiophiles qui répugnent gnent aux de la douceur
douceur. Bras : Clearaudio
réglages complexes. En mesure d de lire les Satisfy Kardan de 223 mm.
disques 33, 45 et 78 tours, ce modèlle utilise Cellule :
un bras de lecture en aluminium avec Clearaudio Artist V2 (MM).
Dimensions :
pivot horizontal et vertical. Cellulle
420 x 140 x 350 mm.
haut de gamme MM avec boîtier en n Origine : Allemagne.
ébène. Distribution : Hamy Sound.
L’écoute Tél : 01 47 88 47 02.
Si on les compare aux modèles pré- POINTS FORTS
cédents – plutôt brillants –, les Très grande homogénéité.
nouvelles platines Clearaudio ont Timbres de haut vol.
gagné en sensualité et en soyeux.
C’est l’ homogénéité qui domine POINT FAIBLE
ici, avec de forts beaux timbres Aucun.
QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★ ★ ★

PRIX INDICATIF : 3 055 €

ROKSAN RADIUS 7 Type : Platine analogique
Séduisante en diable, la Radius 7 conjugue es- pects, mais encline à favoriser une certaine dureté avec entraînement
prit analogique et haute technologie. logie. En té-
té de timbres, sur les voix féminines par exemple. par courroie externe.
moigne le moteur numérique pour un contrôle Bras : Roksan Nima de 240 mm.
ultra-précis de la rotation et la commutation Cellule : Goldring 2400.
Dimensions :
électronique 33/45 tours. Le bras Nima
N unipivot
400 x 350 x 150 mm.
en aluminium bénéficie d’un câb blage in- Origine : Angleterre.
terne cuivre/plaqué argent. Platea au Distribution : France Marketing.
en acrylique avec système de pou-- Tél : 01 60 80 95 77.
lie en alliage d’aluminium.
POINTS FORTS
L’écoute Image précise et détaillée.
Grande précision, multitude de
détails et « présence » acoustique : POINT FAIBLE
la scène stéréo est des plus réaliste Légère brillance.
avec de jolis plans en profondeur. QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★ ★

Ceci étant, l’image sonore privilégie une

forme de brillance, séduisante parr certains as-

122 I
 N°1 de la platine vinyle

Un large choix de produits

Crédit photo : maPlatine.com

REGA PLANAR 6 parmi les plus grandes

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PRIX INDICATIF : 3 490 €

REGA PLANAR
P 8 Type : Platine analogique
avec entraînement
La Rega Planar 8 est composée d’un châssis
par courroie interne.
de type « skeletal » capable d’accueillir le cou u- Bras : Rega RB880 de 230 mm.
vercle de protection, technique développéée Cellule : Rega Apheta 2.
pour la Naiad, la toute nouvelle platine trèès Dimensions :
haut de gamme de la marque. Ce châssis qu ui 420 x 315 x 125 mm.
conjugue l’extrême rigidité au dépouillemen nt, Origine : Angleterre.
est constitué d’une mousse alvéolaire hautte Distribution :
densité prenant place entre deux couches d de Sound and Colors/GT Audio.
résine phénolique. Tél : 01 45 72 77 20.

L’écoute POINTS FORTS

Cette platine d’aspect « zen » montre une extrêm me Restitution de grande classe.
rigueur. Elle impressionne par sa tension musi- L’évidence des meilleurs
cale de tous les instants. Les détails se perçoiven
nt appareils.
avec une aisance rare, contribuant au réalism me POINT FAIBLE
quasi absolu de la restitution. La scène stérééo Aucun.
s’expose avec un naturel à peu près inégalé. QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★ ★ ★

WELL TEMPERED LAB AMADEUS GTA MKII PRIX INDICATIF : 5 650 €

Type : Platine analogique
L’originalité prend le pouvoir, avec un bras avec entraînement par courroie.
contenant du sable, suspendu par une balle Bras : LTD Symmetrex
de golf qui baigne dans du u silicone
ili pour un de 265 mm.
amortissement optimal. L Le châssis est réa- Cellule : Grado Gold 2.
lisé sur une base sandw wich aluminium/ Dimensions :
acrylique. Le moteur, asseervi pour une ab- 440 x 330 x 200 mm.
Origine : Etats-Unis.
sence totale de vibration eentraîne un Distribution :
plateau en acrylique, mobiilisé Europe Audio Diffusion.
par un fil souple et mince Tél : 03 86 33 01 09.
en polyester.
POINT FORT
L’écoute Restitution de grande classe.
Très stable, la Well Tempered
délivre une sonorité de gra ande POINT FAIBLE
classe, à la fois ordonnée et réactive Aucun.
aux moindres nuances. L’ écoute, fort QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★ ★ ★

bien spatialisée, possède la fra

aîcheur du direct,
à la faveur de belles voix vivees et charnelles.

AVM ROTATION R 5.3 PRIX INDICATIF : 5 990 €

Type : Platine analogique
Un modèle splendide, très travaillé, qui se en trois dimensions. Dynamique sans com- avec entraînement
distingue par un entraînement à courroie pression aucune. par courroie interne.
« elipso-centric » équilibrant la tension n sur Bras : AVM de 254 mm.
l’axe de rotation. Le bras, en aluminium, Cellule :
est monté sur cardan. Le châssis en H DF Audio Technica (MC) AT-ART9.
massif de 60 mm est également recouveert Dimensions :
d’une couche d’aluminium. Le moteur eest 390 x 470 x 175 mm.
Origine : Allemagne.
monté sur ressorts, vitesses 33/45 to ours Distribution : AVM.
à servocommande. Tél : 06 07 72 63 18.
L’écoute
POINTS FORTS
La précision et la rapidité impressionnen nt.
Clarté et rapidité.
On retrouve en effet cette urgence des Espace en trois dimensions.
platines haut de gamme qui veulent
débarrasser la restitution musicale de POINT FAIBLE
toute graisse inutile. L’ écoute est claire, Aucun.
limpide, dans un espace réellement QUALITÉ MUSICALE ★ ★ ★ ★ ★ ★

124 I
 LA RÉFÉRENCE DEPUIS 134 ANS
PLATINES VINYLE, PRÉAMPLIFICATEURS
CELLULES, BRAS, ACCESSOIRES

Série 900 NOUVEAUTÉ TD 903

TD 309 TD 2015 TD 550

Thorens est distribué par DEA international.

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130 I
 LE GUIDE radio et télévision

Vos rendez-vous sur France Musique

SEMAINE JOURNÉE SEMAINE SOIRÉE ET NUIT SAMEDI DIMANCHE
7H00, 8H00 ET 9H00 JOURNAL 19H00 JOURNAL 7H00 Sous la couverture 7H00 Le Bach du dimanche
Philipe Venturini Corinne Schneider
7H05 Musique matin 19H05 Banzzaï
Saskia De Ville Nathalie Piolé 8H00 JOURNAL 9H00 JOURNAL
9H03 En pistes ! 20H00 Le concert de 20 h 7H30 Génération France Musique 9H03 Au cœur de l’orchestre
Emilie Munera 22H00 Classic Club Jean-Baptiste Urbain Christian Merlin
et Rodolphe Bruneau-Boulmier Lionel Esparza 09H00 France Musique est à vous 11H00 Musique émoi
11H00 Allegretto 23H00 Lundi : L’expérimentale Gabrielle Oliveira-Guyon Elsa Boublil
Denisa Kerschova François Bonnet 11H00 Etonnez-moi Benoît 12H30 Tour de chant
Mardi : Le cri du patchwork Benoît Duteurtre
13H00 JOURNAL Martin Pénet
Clément Lebrun 12H30 Guitare, guitares S. Llinares
13H03 Les grands entretiens Mercredi : Le portrait 13H00 42e rue
Judith Chaîne 13H00 Ciné TempoThierry Jousse
contemporain Laurent Valière
13H30 Musicopolis Arnaud Merlin 14H00 Portraits de famille
14H00 Le meilleur des concerts
Anne-Charlotte Rémond Jeudi : A l’improviste Philippe Cassard de Radio France
13H55 Création mondiale Anne Montaron 16H00 Génération France Musique, le live Aurélie Moreau
Anne Montaron Vendredi : Tapage nocturne Clément Rochefort
Bruno Lefort 16H00 La tribune des critiques
14H00 Arabesques 18H00 Les légendes du jazz de disques
François-Xavier Szymczak 00H05 Les nuits de France Musique Jérôme Badini Jérémie Rousseau
16H00 Carrefour de Lodéon 19H00 Jazz club Yvan Amar 18H00 Les légendes du jazz
Frédéric Lodéon 20H00 Le concert de 20h O. Sambe de Ricaud Jérôme Badini
18H05 Open jazz 22H00 Ocora, Couleurs du monde 19H00 Repassez-moi l’standard
Alex Dutilh Françoise Degeorges Laurent Valéro
23H30 Création mondiale, l’intégrale 20H00 Dimanche à l’Opéra
Anne Montaron Judith Chaîne
00H00 Les nuits de France Musique 00H00 Les nuits de France Musique

Les concerts du 1er au 31 avril

LUNDI 1er
20 h Paris, Philharmonie,
17/02/19. Mahler.
Schneider, Wagner,
Mühlemann sopranos,
Mahnke, Magiera altos,
O’Neill ténor, Nagy baryton,
Nikitin basse, Orfeon
Donostiarra, Orch. philh. de
Munich, dir. Gergiev.
MARDI 2
20 h Paris, Maison de
la Radio, 18/02/2018. Bach.
Koroliov piano.
MERCREDI 3
20 h Paris, Maison de la Radio,
17/02/19. Rihm, Brahms,
Zuraj, Radulescu, Rihm.
Bestion de Camboulas orgue.
JEUDI 4
20 h En direct
de la Maison de la Radio.
Robin, Bruch, Chostakovitch.
Barati violon, Orch. national
de France, dir. Alsop.
VENDREDI 5
20 h Paris, Maison
de la Radio, 31/03/19.
Beethoven, Kagel. Frang
violon, Gabetta violoncelle,
Orch. philh. de Radio France,
piano et dir. Chamayou.
SAMEDI 6
20 h Paris, Théâtre des
Champs-Elysées, 19/09/18.
Lavandier, Britten, Ravel,
Mozart. Padmore, Way ténors,
D.Nemtanu violon, Orch. de
chambre de Paris, dir. Boyd.
LUNDI 8
20 h Paris, Maison de
la Radio, 07/10/18. Bartok,
Schubert. Quatuor Diotima.
MARDI 9
20 h Saint-Riquier, abbaye,
12/10/18. Hasse, Porpora,
Vivaldi. Maîtrise de Radio
France, Gaillard violoncelle,
Ens. Pulcinella, dir. Maerten.
MERCREDI 10
20 h Paris, Maison de la Radio,
17/02/19. Trybucki, Schoeller,
Trollet, Rihm. Pujuila clarinette,
Demarquette violoncelle,
Hamouy percussions,
Musicatreize, dir. Hayrabédian.
JEUDI 11
20 h Paris, Maison de la Radio,
06/03/19. Chostakovitch.
Korobeinikov piano, Paty
trompette, Orch. philh. de
Radio France, dir. Shokhakimov.
SAMEDI 13
20 h Francfort, 07/09/18.
Wagner, Strauss,
Chostakovitch.
Harteros soprano,
Orch. symph. de la Radio de
Francfort, dir. Orozco-Estrada.
DIMANCHE 14
20 h Lyon, Opéra, 15/03/19.
Tchaïkovski : L’Enchanteresse.
Abdulla, Vyaznikova,
Agadzhanyan, Micinski,
Sokolova, Budaratsky,
Guseva... Chœur et Orch.
de l’Opéra national de Lyon,
dir. Rustioni.
LUNDI 15
20 h Paris, Cité de la
musique, 14/10/18. Debussy,
Hosokawa. Kodama piano. SOL GABETTA
LE 5, 20 H
MARDI 16
Ensemble Court-Circuit,
20 h Vac, 30/06/18. dir. Deroyer.
Torelli, Kuhnau, Handel,
Bach, Vivaldi. Barath JEUDI 18
© MARCO BORGGREVE

VENDREDI 12 soprano, Orfeo Orchestra, 20 h Paris, Philharmonie,

20 h En direct de la Maison
de la Radio. Dutilleux,
Bruckner. Kavakos violon,
Orch. philh. de Radio France,
dir. Myung Whun Chung
QUATUOR DIOTIMA
LE 8, 20 H
Purcell Choir, dir. György.
MERCREDI 17
20 h Paris, CRR, 22/01/19.
Hervé, Sannicandro, Leroux.
11/03/2019.
Beethoven, Mahler.
Shaham violon, Harnisch
soprano, Orch. philh. de
Radio France, dir. Sanderling.
I 131
 ● radio
VÉRONIQUE GENS
LE 21, 20 H
VENDREDI 19
20 h En direct du Théâtre des
Champs-Elysées. Bach. Barath
soprano, Strazanac, Weisser
barytons, Schmitt, Adam ténors,
Harmsen alto, Chœur et
Maîtrise de Radio France, Orch.
national de France, dir. Luks.
SAMEDI 20
20 h En direct de la salle
Elie de Brignac, Deauville.
Schumann, Schubert, Wolf...
L’Archipel.
DIMANCHE 21
20 h Paris, Théâtre des
Champs-Elysées, 01/04/19.
Lully : Armide. Gens,
Van Mechelen, Christoyannis,
Santon-Jeffery, Watson,
Martin, Wilder. Le Concert
Spirituel, dir. Niquet
LUNDI 22
20 h Paris, Cité de la
musique, 01/04/19. Mozart.
Faust violon, Melnikov piano.
MARDI 23
20 h Paris, salle Cortot,
19/02/19. Clérambault,
Montéclair, Lefebvre…
Zaïcik mezzo-soprano,
Taylor clavecin, Le Consort.
MERCREDI 24
20 h Lille, Opéra, 06/03/19.
Pesson : Trois Contes.
De Villpitreys, Louledjian,
Merckx, De Hys, Mauillon.
Ensemble Ictus, dir. Octors.
© FRANCK JUERY ALPHA
JEUDI 25
20 h En direct de la Maison
de la Radio. Prokofiev,
Martin, Bartok. Orch. national
de France, dir. Krivine.
132 I
et télévision
VENDREDI 26
20 h Paris, Maison
de la Radio, 02/02/19.
Bach, Mozart, Handel.
Collerette violon, Gaugué, alto,
Orch. philh. de Radio France,
orgue et dir. Koopman.
SAMEDI 27
20 h Lyon, salle Molière,
09/11/18. Beethoven,
Prokofiev, Rachmaninov.
Mork violoncelle,
Abduraimov piano.
DIMANCHE 28
20 h Paris, Opéra-Comique,
05/04/19. Adam : Le Postillon
de Lonjumeau.
Spyres, Valiquette, Leguérinel,
Kubla, Fau, Ezziadi.
Accentus, Orch. de l’Opéra
de Rouen, dir. Rouland.
LUNDI 29
20 h Los Angeles,
Walt Disney Hall, 26/01/18.
Stravinsky, Pereira, Brahms.
Quatuor Artemis, Orch. philh.
de Los Angeles, dir. Dudamel.
MARDI 30
20 h Paris, Maison de la Radio,
21/02/19. Charpentier,
Hersant. Maîtrise de Radio
France, Les Pages, Chantres
et Symphonistes du Centre de
musique baroque de Versailles,
dir. Schneebeli et Jeannin.
MERCREDI 31
20 h Toulouse, Théâtre
Capitole, 04/04/19. Dukas :
Ariane et Barbe-Bleue.
Koch, Le Texier, Baechle,
Zaïcik, Garnier, Soare, Blondel.
Chœur et Orch. national
du Capitole, dir. Rophé.
JEUDI 4
Télévision
0 h Auber : Manon Lescaut.
Jo, Witholt, Casari, Joakim,
Conzen, Balidemaj, Delaere, Delcour. Chœur
et Orch. de l’Opéra royal de Wallonie,
dir. Englebert, Fourny mise en scène.
JEUDI 11
0 h « Les Clefs de l’orchestre de
Jean-François Zygel : Symphonie no 8 de
Schubert ».
JEUDI 18
0 h Bach : Passion selon Saint Matthieu.
J. Prégardien, Boden, Hobbs ténors, Immler,
Ancely, Buffière basses, Devieilhe,
Le Chenadec sopranos, Guillon, Richardot
altos. Ensemble Pygmalion, dir. Pichon.
JEUDI 25
0 h Poulenc : Dialogues des carmélites.
Petibon, Gens, Piau, Plowright, Lehtipuu,
Rouillon, Vavrille, Pondjiclis, Piolino...
Philharmonia Orchestra, dir. Rhorer,
Py mise en scène.
SAMEDI 6
0 h Verdi : La Traviata.
Jaho, Meli, Domingo. Orch.
national Bordeaux Aquitaine, dir. Rustioni,
Désiré mise en scène.
SAMEDI 13
0 h « Jonas Kaufmann chante l’Italie ».
SAMEDI 27
0 h Mozart : L’Enlèvement au sérail.
Archibald, Dubois, Laurenz, Wydorska,
Steffens, Lohmeyer. Orch. de l’Opéra
national de Lyon, dir. Montanari,
Mouawad mise en scène.
DIMANCHE 7
18 h 15 Dukas : L’Apprenti sorcier.
Ravel : Cto en sol. Boléro. Argerich piano,
Orch. de la Scala, dir. Chailly. »
23 h 30 « Traviata, vous méritez un avenir
meilleur ». Baffi, Bigourdan, Billy, Chauvin,
Chamla. Lazar mise en scène.
DIMANCHE 14
18 h 30 « Sabine Meyer et sa clarinette ».
DIMANCHE 21
17 h 20 Mozart, Beethoven, Williams.
Mutter violon, Lang piano, Orch. philh.
de Berlin.
01 h 45 Bach : Messe en si mineur.
Landshamer soprano, Vondung
mezzo-soprano, Schmitt ténor,
Wolf baryton-basse, Choeur de la Radio
bavaroise, Concerto Köln, dir. Dijkstra.
DIMANCHE 28
18 h 15 Vivaldi. Mead contre-ténor,
Les Accents, violon et dir. Noally.
0 h 05 « Monteverdi, aux sources
de l’opéra ».
VENDREDI 5
22 h 30 Berlioz : Requiem. Spyres ténor,
Chœur et Orch. Philharmonia, dir. Nelson.
DIMANCHE 7
20 h 30 Allegri, Talbot.
Chœur Tenebræ, dir. Short.
LUNDI 8.
20 h 30 Mozart, Haydn. Karthaüser
soprano, Chappuis alto, Schmitt ténor,
Weisser basse, RIAS Kammerchor, Freiburger
Barockorchester, dir. Jacobs.
22 h Vivaldi, Heinichen, Zelenka.
Orlinski contre-ténor, Il Pomo d’oro.
VENDREDI 12
20 h 30 Verdi : Requiem. Abaeva soprano,
May mezzo-soprano, Barbera ténor,
Nazmi basse. Musica Æterna, dir. Currentzis.
DIMANCHE 14
20 h 30 Handel : Le Messie.
Piau soprano, Pichanick mezzo-soprano,
Spicer ténor, Smiljanic baryton-basse.
Le Concert spirituel, dir. Niquet.
23 h 05 Mozart. Malfi soprano, Lo Monaco
mezzo-soprano, Behr ténor, De Donato
basse. Ensemble Matheus, dir. Spinosi.
LUNDI 15
20 h 30 Bach : Passion selon Saint Jean.
J. Prégardien, Irvin ténors, Bauer, Immler
basses, Kasper soprano, Richardot alto.
Ensemble Pygmalion, dir. Pichon.
MERCREDI 17
20 h Donizetti : Anna Bolena.
Peretyatko, Soloviy, Albelo, Mimica,
Ascioti, Montanaro, Melnik. Orch.
de l’Opéra royal de Wallonie, dir. Bisanti,
Mazzonis di Pralafera mise en scène.
JEUDI 18
16 h 30 Lully. Junker, Van Wanroij dessus,
Vidal, Auvity haute-contres, Lenaerts taille,
Chœur de chambre de Namur, Millenium
Orchestra, dir. García Alarcon.
DIMANCHE 21
20 h 30 Pärt. Traksmann violon,
Chœur de chambre de Talinn, Chœur
de chambre philh. estonien, dir. Kaljuste.
DIMANCHE 21
22 h Dvorak : Stabat Mater. Wall soprano,
Fujimura alto, Elsner ténor, Li basse, Chœur
et Orch. de la Radio bavaroise, dir. Jansons.
SAMEDI 30
20 h 30 Tchaïkovski : La Dame de Pique.
Maksakova, Churilova, Sulimsky, Aksenov,
Burdenko, Sergeyva. Orch. du Mariinsky,
dir. Gergiev, Stepanyuk mise en scène.
DIMANCHE 31
20 h 30 et 22 h 15 Tchaïkovski. Orch.
de l’Opéra national de Paris, dir. Jordan.
● jeux PAR BORIS COLISEI / motscroisesdiap@gmail.com

Les mots croisés de Diapason Grille

N° 85
HORIZONTALEMENT VERTICALEMENT
I L’Orphée de Berlioz. 1 L’Orphée de Bastille. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
II Pour qui le mâle est fait. 2 Ont les deux pieds dans
III Imaginaire – Bien laissé le ballon – Bout de temps. I
– Article étranger. 3 Renflement à l’oreille
IV Une affaire de règles – Partie du peuple. II
et de rapporteurs – Nom 4 Homme de Virginie
de code... et de la route. – Brille et s’envole III
V Fait pencher – Brille et se vole.
– Graisse antique. 5 Désir de conciliation IV
VI Béarnaise – Moment de convivialité.
– Rétablit l’usage normal. 6 Il a la cote à Dunkerque V
VII Voiture de luxe – Préposition
– Pronom – Vert à l’envers. – Pronom imprécis. VI
VIII Forme d’être – 7 Existes
Hygiéniste – Ténor bouffe – Qui cause du mal. VII
et course d’obstacles. 8 Un cadre qui travaille
IX L’égal de l’égo – Une à la chaîne – Possessif. VIII
classe qui en manque un 9 Où tomba Boulanger
peu – Belle Californienne. – Changent de voix.
X Mise en quarantaine 10 On y mange comme
IX
– Terminaison. un cochon – Infâmes
XI Il rime parfois avec frime quand elles sont publiques X
– Sortie à l’italienne. – Forme d’avoir.
XII Vient après l’Agnus 11 Ferme dans ses XI
– Morceau de Chopin décisions – Note
– Préposition. – Deux et trois. XII
XIII Bien plantés 12 Lettres de délation
– Coin de l’Aveyron. – Vis le jour – Non dit. XIII
XIV Tranquillisent. 13 Leste une fois doublé –
La condition du péquenot. XIV
14 Ils manipulent des souris
à des fins de prélèvement.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 84
HORIZONTALEMENT ▸ I Lorenzo da Ponte. II Urinoir – Lireup (Puéril). III Inélégance – Obi. IV Gêna – On – Iuo (Oui) – Es. V Im – Coûtons – Arc.
VI Céleri – Tael – Co. VII Hn – Selle – Serup (Pures). VIII Eté – Elise – Sala. IX Rave – Et – Tr – Sol. X Utiles – Jaén – Si. XI Biais – Soulagée. XII Ionesco – Inn.
XIII Nn – Ionisation. XIV Isochromatique.
VERTICALEMENT ▸ 1 Luigi Cherubini. 2 Ornementations. 3 Rien – Evian. 4 Enlacés – Elie. 5 Noé – Orée – Essih (Hisse). 6 Zigouilles – Cor. 7 Orant – Lit – Sono.
8 Otés – J.O. – Im. 9 Alcina – Etau – Sa. 10 Pieuses – Reliât. 11 Or – Les – Nanti. 12 Néo – Ras – Gniq (Qing). 13 Tuberculose – Ou. 14 Episcopalienne.

Rédacteur (actualités, web, iconographe) : PUBLICITÉ Actionnaire : Mondadori France SAS

Une publication du groupe
Président : Ernesto MAURI
REDACTION
8, rue François Ory, 92543 Montrouge Cedex
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Calendrier des concerts, guides :
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1er Maquettiste : Stephane GUENET [22 23]
Chef de rubrique – chroniqueur:
Ivan A. ALEXANDRE
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Paul CHEVALIER [57 36] Directeur de la publicité : Gilles CARDON [52 53] Imprimeur : Maury Imprimeur
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Secrétariat : Laetitia BONIS-DATCHY instruments : Etienne GANUCHAUD [53 46]
N° ISSN : 1292-0703
Directrice de clientèle hi-fi, Club hi-fi :
Ont collaboré à ce numéro : Commission paritaire : 0220 K 87093
Olivia MORENO [51 06]
Vincent Agrech, Jérôme Bastianelli, Dépôt légal : mars 2019
Assistante de publicité : Christine AUBRY [51 99]
Bertrand Boissard, Loïc Chahine, Boris Colisei, ABONNEMENTS
Gérard Condé, Isabelle Davy, Nicolas Derny, FABRICATION
Daniel ROUGIER [29 17] CS 90125 - 27091 Evreux Cedex 9
Benoît Fauchet, Olivier Fourés, Vincent Genvrin, Tél. : 01 46 48 47 60
Jean-Philippe Grosperrin, Bertrand Hainaut, PRE PRESSE Prix de l’abonnement France 1 an
Maximilien Hondermarck, Jean-Claude Hulot, Chef de service : Sylvain BOULARAND [29 88] (11 numéros) : 49,90€
Christophe Huss, Alain Lompech, Rémy Louis, Responsable Adjoint : Christophe GUERIN [49 19 Dom-Tom et étranger : nous consulter
Paul de Louit, Jean-Luc Macia, Mehdi Mahdavi, FINANCE MANAGER
Jacques Meegens, Jean-Michel Molkhou, Géraldine PELLERIN Affichage Environnemental
Denis Morrier, Hugues Mousseau, Laurent Muraro, Origine du papier Allemagne
DIFFUSION Taux de fibres recyclées 0%
Philippe Ramin, Pierre Rigaudière, Claude Samuel, www.vendezplus.com
Michel Stockhem, Patrick Szersnovicz, Certification PEFC
Responsable diffusion : Béatrice THOMAS
Roger-Claude Travers, Didier Van Moere. Impact sur l’eau Ptot 0,016kg/tonne
Responsable diffusion marché : Siham DAASSA
DIRECTION-EDITION EDITEUR
Directeur exécutif : Carole FAGOT Mondadori Magazines France
Directeur délégué : Sébastien PETIT Siège social : 8, rue François Ory,
92543 Montrouge Cedex.
MARKETING
Président et Directeur de la publication :
Chef de produit : Caroline Di Roberto
Carmine PERNA
● instrumentsPAR BERTRAND BOISSARD

A la croisée des claviers Yamaha dévoile son nouveau

u piano hybride N1X.
N1X

A vec son piano hybride

Ava ntGra nd N1X,
Yamaha poursuit sa
course vers un monde
où réel et virtuel semblent de plus en
plus difficiles à distinguer. Épuré, il
révèle un design similaire à son pré-
décesseur, le N1, tout en proposant
simple échantillonnage, la techn
virtual résonance modeling (VRM

fonction des notes jouées ou de

l’utilisation des pédales, de ma

résonances naturelles et repro

duire les sensations physiques
nologie
M) ana-
lyse et calcule l’état des cordes en
d
e

a-
nière à restituer en temps réel lees
o-

une nouvelle qualité sonore, grâce à d’un pédalier de piano à queue – la

ses échantillons du piano de concert
CFX (fleuron de la gamme Yamaha
connu pour ses aigus brillants et ses
basses profondes) et du viennois
Bösendorfer Impérial. Moins puis-
sant, ce dernier se caractérise par un
son chaleureux offrant une alternative
intéressante, notamment dans le ré-
pertoire romantique.
Afin de saisir les nuances du jeu et de
l’expression musicale, Yamaha utilise
des capteurs optiques : un premier sous
chaque note, mesurant en permanence
la vitesse et la profondeur à laquelle elle
est enfoncée, un second situé sur le
marteau. Plus sophistiquée que le
résistance varie en fonction de
l’appui. Grâce à la technologiee AvantGrand N1X.
Prix public indicatif :
d’échantillonnage binaural, lee
8 550 €.
son retranscrit au casque tend à
la fidélité et au réalisme, si natu
u-
rel et enveloppant qu’il en fait ou
u-
blier le port des écouteurs.
Profitant des dernières innov ations à la prise USB,
technologiques, le N1X dispo ose de d’amplifier la so-
nouvelles fonctionnalités, com mme la norité grâce à des
connexion Bluetooth Audio ou la câbles audio, d’utiliser cer-
compatibilité avec l ’appliccation taines applications iOS direc-
Smart Pianist. Le panneau dee com- tement via le wi-fi, et de
mande est simple, mais la co onnec- contrôler les fonctionnalités
tique abondante. Il est par exxemple p du N1X à l’aide d’un iPhone ou
possible de raccorder un ordinateur d’un iPad.

A PETITE HISTOIRE DE LA 4X
qui ajoutait néanmoins :
« elle m’impressionne, elle est
stupéfiante, je la trouve très
musicale. » Outil informatique
créé à l’Ircam, la station
de travail musicale 4X permettait
au musicien ou au chercheur
de manipuler numériquement
le son. Sa capacité à synthétiser
de nouveaux timbres et
à modifier en temps réel le son
issu d’instruments traditionnels a
connu son résultat le plus fameux
dans Répons de Pierre Boulez,
l’existence de l’institution, la 4X
offre un bilan artistique bien
mince. Répons, œuvre
passablement bavarde
– un comble pour un tenant
de la concision –, vieillit mal,
contrairement à d’autres pages
de Boulez, comme Eclat, ` Manoury : La Partition
Notations pour orchestre, du ciel et de l’enfer.
ou Rituel. L’épigone Philippe Boulez. Musidisc.
Manoury s’appropriera à son tour
la 4X pour sa Partition du ciel
et de l’enfer. Commercialisée
en 1984 par la société Sogitec,
© PHILIPPE GONTIER

partition qui inaugure la 4X la station prend désormais

« Il n’y a qu’en France qu’on peut en 1981. Triomphe technologique la poussière au musée de la
construire une machine pareille », et mondain du maître de musique à Paris, pas loin du
commentait un Frank Zappa Montbrison, emblème même de tambour de poitrine nfunkula et ` Boulez : Répons.
quelque peu goguenard, l’Ircam semblant justifier à lui seul de l’accordéon bissonore. B.B. Boulez. DG.

134 I
SOS ENFANTS
Aider sans assister
Haïti, Népal, Burkina Faso,
Cameroun, Congo,
Madagascar, Rwanda,
offrons aux enfants
l’espoir d’un avenir meilleur.

✓ Le parrainage
donne aux enfants
les moyens de construire
leur avenir.
✓ Parrainer un enfant
ou un groupe d’enfants
à partir de 10 € par mois.
✓ Participer à la construction
d’infrastructures,
écoles, hôpitaux et
centres de formation.

Association reconnue d’Utilité Publique

créée en 1982
8, rue du Château des Rentiers 75013 Paris
Tél : 01 45 83 75 56
sos.enfants@wanadoo.fr
http://www.sosenfants.org
O livres

Féminin pluriel
Compositrices, l’égalité en acte sous la direction de Laure Marcel-Berlioz,
Omer Corlaix et Bastien Gallet. CDMC / Editions MF, 488 p., 21 €.

Ce riche ouvrage collectif est une contribu-
tion du Centre de documentation de la mu-
sique contemporaine (CDMC) à la lutte pour
l’égalité entre les femmes et les hommes,
« grande cause nationale » du quinquennat
– le livre est d’ailleurs préfacé par Françoise
Nyssen, ministre de la Culture avant de devoir
laisser son poste… à un homme.
Le constat est implacable : au XXIe siècle, la
composition musicale reste très majoritaire-
ment une affaire masculine, moins de 11 %
du millier de compositeurs vivants recensés
au catalogue du CDMC étant des femmes.
Comment l’expliquer ? L’ouvrage coordonné
par Laure Marcel-Berlioz, Omer Corlaix et
Bastien Gallet fait appel à une trentaine d’au-
teurs, musicologues, sociologues, historiens
et critiques musicaux pour y voir plus clair.
Jacques Amblard note que beaucoup de celles
qui ont pu graver leur nom dans l’Histoire le
doivent à des « protections » – l’Eglise pour
Hildegard de Bingen, le Roi pour Elisabeth
Jacquet de La Guerre, le prix de Rome pour
Lili Boulanger… – et constate qu’aujourd’hui
« la concurrence croissante entre composi-
teurs innombrables, dans un monde globa-
lisé, n’encourage pas ces messieurs à céder
“leurs” places à leurs consœurs ».
Histoire mensongère
Paradoxalement, c’était mieux avant, selon
Florence Launay, qui pointe la « relative flo-
raison des compositrices au XIXe siècle »
(Louise Farrenc, Marie Jaëll, Cécile Chami-
nade, Augusta Holmès…), dans une France
où le Conservatoire a été mixte dès sa créa-
tion en 1795, et où les femmes ont pu ap-
prendre la composition à partir de 1850. Le
XX e siècle s’est montré moins favorable : le
salon musical a disparu, l’Opéra-Comique a
boudé les commandes passées aux femmes,
et il a fallu attendre 2005 pour voir une com-
positrice (Edith Canat de Chizy) entrer à
l’Académie des beaux-arts. C’est que la musi-
cologie a péché par « omission » : ainsi de
l’ouvrage Musiciens de notre temps depuis
1945 qui mentionne, parmi cent noms, une
seule femme (Betsy Jolas). Une « histoire
mensongère », relève Florence Launay, qui a
privé bien des compositrices de modèles et
entravé leurs carrières.
Il y eut quelques clairières, cependant, pour
trouver la lumière : le domaine de l’élec-
troacoustique, choisi par Eliane Radigue
ou Beatriz Ferreyra ; l’écriture pour le jeune
public, dans laquelle Isabelle Aboulker, mais
aussi Coralie Fayolle et Graciane Finzi se sont
investies chacune dans son style. L’ouvrage
guide le lecteur jusque dans des contrées in-
soupçonnées, telle la tradition musicale fémi-
nine des « Sutartines » en Lituanie. Et s’aven-
ture sur des terrains plus meubles, comme
cette étude affirmant péremptoirement que
la représentation des compositrices contem-
poraines, ici Kaija Saariaho, serait entachée
d’un « sexisme aigu » dans la presse française
comme allemande.
Les cinquante-trois portraits consacrés à au-
tant de compositrices (de Sofia Goubaïdoulina
et Michèle Reverdy aux jeunes Julia Blondeau
et Camille Pépin) ne constituent pas la part
la plus négligeable de cet ensemble : ils contri-
buent à l’impérieux travail de « visibilité »
autour de créatrices qui sortent aujourd’hui
de l’ombre, sans doute trop lentement mais
sûrement. Benoît Fauchet

La belle rencontre
Lisa Della Casa, Evocation par Christophe Capacci. L’Avant-Scène Opéra, 192 p., 32 €.
Le lecteur de L’Avant-Scène Opéra n’aura pas oublié
les entretiens majeurs avec Lisa Della Casa que Christophe
Capacci y avait publiés à propos d’Arabella et de la Comtesse
des Noces. Ils nourrissent désormais cette monographie,
la première en français, qui réunit documentation rigoureuse
d’une carrière (avec discographie, répertoire, photos souvent
rares), précieuse remise en contexte (l’Opéra de Zurich,
Vienne après-guerre, Keilberth) et d’abord évocation de cette
relation mystérieuse entre un auditeur et une voix, devenue
« confidente chimérique d’une vie ». Cette rencontre
(par le disque ou l’image, par la conversation effective
avec la femme et son époux-mentor Dragan Debeljevic)
encadre et inspire une suite bien pensée de chapitres
qui, sans s’asservir à une chronologie linéaire, éclairent
en profondeur un sens du théâtre et un art où la tentation
du retrait ne fut jamais retrait de la vie.
L’attrait du livre tient à une sensibilité
individuelle (musicale, littéraire, sans
narcissisme) qui se garde cependant
des ornières du lyrisme
hagiographique. Des réserves
s’expriment sans détour (Fiordiligi,
le Capriccio de 1964, tel lied de Wolf)
avec la même exactitude pénétrante
qu’est caractérisé, cas après cas, le génie d’une cantatrice
paradoxale, qui sut prendre comme nulle autre de la galaxie
viennoise « le risque d’approcher le silence ». Et nul
sans doute n’a mieux cerné le secret (vocal mais non moins
moral) de Lisa Della Casa, avec autant de distance lucide
que d’amour. Jean-Philippe Grosperrin

136 I
Les mots de Ravel
Maurice Ravel, l’intégrale : correspondance, écrits et entretiens.
Le Passeur éditeur, 1776 p., 45 €.
Voici enfin, sur papier bible, l’« édition la
plus complète possible » – la plus rigou-
reuse aussi – des écrits de Ravel, à com-
mencer par sa correspondance. Très fin
connaisseur de l’univers ravélien, long-
temps la cheville ouvrière des Cahiers
Maurice Ravel, Manuel Cornejo peut être
fier de la tâche accomplie. Son épais vo-
lume, fruit de longues années de re-
cherches, impressionne par sa rigueur édi-
toriale et son érudition. L’introduction
dresse la chronologie des « grands en-
sembles » de lettres parvenus jusqu’à nous,
et pointe des manques déroutants : rien,
par exemple, des échanges avec Pierre
Monteux, Vlado Perlemuter, Manuel
Rosenthal, Louis Aubert, Claire Croiza,
Jacques Thibaud, tous éminents inter-
prètes et amis. Dans les quelque mille huit cents pièces réunies (certaines repro-
duites en illustration), nous charment le ton « popu » de Ravel, ses attentions
envers les uns et les autres, sa modestie, sa bonne humeur. Nous suivons l’avan-
cement de ses travaux, sourions de ses taquineries sur le nez de Stravinsky, des
expressions fleuries dont l’abreuve en juin 1916 son lieutenant. Etc.
Informations précieuses
Cornejo enrichit le propos de confidences entre tiers sur le musicien ; si les
appréciations de Satie nous étaient connues (« Ravel va écrire Le Tombeau du
Soldat inconnu… C’est sa spécialité à cet homme », note-t-il en 1921), le ressen-
timent d’Inghelbrecht (en 1926) contre « ce petit salaud de Maurice » étonne.
Les démarches de l’Association française d’expansion et d’échanges artistiques
(le « Comité » comme dit Ravel) éclairent les incessants voyages du « maître ».
Le procédé élargit aussi le point de vue sur la réception de ses œuvres. Faisant
ainsi écho au rapport détaillé de Roland-Manuel (à Ravel) sur la création de
L’Enfant et les sortilèges à l’Opéra-Comique, Albert Wolff peste, auprès de
Toscanini, contre « notre direction qui […] a laissé présenter cette œuvre de
haute et vivante fantaisie dans des décors […] sérieux et ternes ».
Après 1933, lorsque Ravel prendra de moins en moins la plume, son entourage
livre de précieuses informations, désolé de voir les capacités créatrices du cher
ami se réduire à peau de chagrin. « Il m’a fredonné des airs pour Morgiane et
m’a parlé de la mise en scène qu’il souhaitait », écrit Léon Leyritz en mars 1935
– l’éditeur place en regard une esquisse de 1932-1933, les « dernières notes de
musique » tracées par Ravel.
Un sixième du volume est dévolu à la foultitude des articles, textes de confé-
rences, propos recueillis lors de cours d’interprétation (une mine pour les inter-
prètes d’aujourd’hui), entretiens, réponses à des enquêtes, etc. Là encore, le
scrupuleux Cornejo a corrigé des traductions fautives, retranché les textes apo-
cryphes ou d’une fidélité douteuse, et signalé l’existence de ceux qu’il n’a pu
localiser. Il ajoute, en annexe, papiers d’état-civil, contrats, comptes rendus
médicaux… Ainsi que le discours du ministre Jean Zay lors des obsèques, et
un texte de Prokofiev accolant en 1938 des souvenirs personnels d’un « petit
homme » aux traits « aigus, nettement dessinés », au « visage bronzé et aux
cheveux grisonnants ». Passionnant de bout en bout. François Laurent
L’invitation du 5 mars
Mozart 1941 – La semaine Mozart du Reich
allemand et ses invités français par Marie-Hélène
Benoit-Otis et Cécile Quesney. PUR, 254 p., 22 €.
C’est une manifestation bien spéciale que relatent
ici, avec force détails, Marie-Hélène Benoit-Otis
et Cécile Quesney dans leur Mozart 1941 publié
aux Presses universitaires de Rennes : le cent
cinquantième anniversaire de la mort du génie
salzbourgeois, une célébration que le régime nazi
mit en scène à Vienne, ville qui, depuis l’Anschluss,
faisait alors partie du Reich allemand. Pendant
un semaine, furent interprétés successivement
L’Enlèvement au sérail, Così fan tutte, La Flûte
enchantée, Les Noces de Figaro, Idoménée,
le Requiem et diverses pièces de musique
instrumentale. Point culminant, le 5 décembre,
date, on le sait, où Wolfgang Amadeus quitta
notre monde. Quelques hauts dignitaires nazis
(Goebbels, mais pas Hitler, retenu à Berlin…)
se déplacèrent pour procéder à l’aryanisation
de notre célèbre frère maçon. Discours et accueil
de personnalités internationales et, le dernier jour,
réception mondaine chez le vieux Richard Strauss,
récupéré bien malgré lui, semble-t-il.
L’événement devant faire date, on y associa des
musiciens (juifs exceptés), caution de ce tournant
d’une Europe en quête de nouveaux repères…
La liste des vingt-deux
Français qui s’empressèrent
d’accepter l’invitation
du 5 mars est éloquente
avec, au premier rang,
Arthur Honegger et Marcel
Delannoy. Ce dernier, heureux
de se faufiler au milieu de
diverses célébrités, Honegger
qui se cache derrière son petit
doigt : « Aller dans le camp
ennemi ne suppose pas
obligatoirement l’adhésion
à sa cause »… C’est Manuel
Rosenthal qui, après plusieurs
décennies, réouvrira la marmite sur France
Musique : « Accepter une invitation à un festival
musical dans l’Allemagne de 1941 ne revenait-il
pas à participer à la collaboration, ou du moins
à la cautionner implicitement ? » Pascale Honegger,
la fille de l’auteur de Pacific 231, décidera de laver
l’honneur de son père – procès en diffamation
contre Rosenthal. Mais on ne réécrit pas l’Histoire :
Honegger, en compagnie de Florent Schmitt,
de Gustave Samazeuilh, du musicologue Adolphe
Boschot et autres célébrités, était bien à Vienne
le 5 décembre 1941… Claude Samuel
I 137
 les disques de ma vie
PAR VINCENT AGRECH

Louis Langrée
chef d’orchestre bio
express
Le plus américain des chefs français ne se considère
pas comme discophile… mais puise dans la musique Né en 1961
enregistrée une source inépuisable d’inspiration à Mulhouse
et d’enseignements. dans une famille
de musiciens,
il se forme au
conservatoire

«
L a discophilie, et par-dessus tout l’audiophilie
m’ont toujours été étrangères. J’écoute de la
musique sur mon téléphone ou sur mon ordi-
nateur. Pour y chercher des informations, pas des émo-
tions. Savoir si tel chef fait toutes les reprises dans telle
symphonie, comment il organise la structure, les équi-
réalisation. A chaque instant, on imagine les autres choix
qu’aurait pu faire Cortot, mais la décision qu’il prend sonne
comme une évidence parfaite. Ecoutez aussi ses cours d’in-
terprétation sur Chopin publiés par Sony, et les trios avec
Casals et Thibaud, ceux de Beethoven et Schubert, surtout.
On entend le chef d’orchestre qu’était aussi Cortot, celui qui
de Strasbourg.
A trente-deux
ans, il prend
la direction
musicale de
l’Orchestre de
Picardie, puis de
l’Orchestre de
libres, les points d’appui. Pour apprendre plutôt que pour organise, mais laisse jouer. l’Opéra de Lyon,
tout en étant
admirer. Fidelio par Harnoncourt, qui n’est pas un très bon Je pourrais aussi vous parler pendant des heures de ma pas- régulièrement
disque, m’a énormément fait réfléchir sur l’œuvre. Parfois, sion pour Miles Davis, dont l’album Kind of Blue est une des invité à
l’enregistrement dissipe l’enchantement du concert. Du grandes révélations de ma vie d’adulte. Avant de m’installer l’étranger.
jour où j’ai assisté – que dis-je, participé – à la célébration aux Etats-Unis, j’étais plutôt ignare en matière de jazz. Son succès
sacrée de la 7e de Bruckner par Celibidache avec Munich à L’amitié des frères Marsalis, avec lesquels j’ai beaucoup joué, aux Etats-Unis
la Bastille, je n’ai eu de cesse de courir l’entendre chaque m’a permis de combler cette lacune. Branford m’a carrément l’amène
fois que je le pouvais. Si j’en réécoute aujourd’hui une cap- fait des listes d’enregistrements historiques à écouter. à la direction
artistique du
tation, cela me paraît surtout terriblement lent – et je ne Mais comme on s’étonnerait peut-être de me voir citer si Mostly Mozart
renie rien des transes dans lesquelles il m’a plongé. La mu- peu de disques d’orchestre, je me dois de revenir à un autre Festival à New
sique, dans mon enfance, se pratiquait, se vivait. choc d’adolescence, la Salomé de Karajan avec Behrens et York en 2003,
Et pourtant… J’ai encore le réflexe de changer de face Van Dam. Il s’y déploie une telle science des couleurs qu’on poste qu’il
quand je dirige la Symphonie pour orgue de Saint-Saëns, croirait respirer des parfums. Cette rencontre avec une occupe toujours
que j’écoutais en boucle, petit garçon, dans la version de inconcevable richesse sonore se retrouve avec le Sacre du aujourd’hui,
Coppola sur les 78 tours de ma grand-mère. Ou de pousser printemps, dont la deuxième version rappelle également puis en 2013
à la direction
le diamant par-dessus la rayure dans le Concerto n° 1 pour quel rythmicien prodigieux était Karajan. Et ses enregis- musicale de
piano de Tchaïkovski, découvert sous les doigts de Ciccolini, trements de la seconde école de Vienne, qui sont peut-être l’Orchestre
toujours étonné que les musiciens poursuivent sous ma les plus beaux de toute la discographie… Ah, mais j’ou- symphonique
battue, plutôt que de reprendre la mesure en boucle ! Inef- bliais : je ne suis pas un discophile. » ■ de Cincinnati.
façables images sonores de la première jeunesse…

Dialogue instrumental SES PRÉFÉRENCES

Si un disque, plus que tout autre, a nourri ma sensibilité et
mes choix, ce serait l’intégrale de la musique de chambre
de Brahms, à laquelle participaient le Quatuor Amadeus,
Christoph Eschenbach, Karl Leister… Jamais je n’oublierai
l’émerveillement ressenti à entendre, pour la première fois
de ma vie, le début du Quintette pour clarinette et cordes.
L’impression d’une miraculeuse alliance entre la simplicité
et la profondeur, le sentiment d’une grâce absolue. J’avais
une quinzaine d’années, j’étais déjà fasciné par l’orchestre.
Mais le sens du dialogue instrumental brahmsien m’a pro- BRAHMS : Intégrale R. STRAUSS : Salomé. CHOPIN :
© BENOIT LINERO

fondément influencé. Dans la même voie que les enregis- de la musique de chambre. Hildegard Behrens, Œuvres pour piano.
trements de Cortot, abordés peu de temps après avec les Quatuor Amadeus, José Van Dam, Agnes Baltsa, Alfred Cortot.
Christoph Eschenbach, Philharmonique de Vienne, Emi/Naxos.
Préludes de Chopin. La clarté de la pensée n’y entraîne pas
Karl Leister… DG. Herbert von Karajan. Warner.
l’obsession de la maîtrise, mais une liberté absolue de la

138 I
LA PREMIÈRE PLATINE AVEC PLATEAU EXCLUSIVITÉ
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