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Volcans, charbon et éthique industrieuse :

présence du Gévaudan, des Causses et des


Cévennes dans l’œuvre de Chaptal

par Victor Chaptal de Chanteloup

Lors de la leçon inaugurale1 de son cours de Minéralogie et d’histoire


naturelle2, prononcée en novembre 1780 devant « Messeigneurs les
gens des trois états de la Province de Languedoc », Chaptal rappelle
les atouts de la Province :
Un commerce actif, des manufactures
nombreuses, une terre qui, par le contraste le plus
étonnant, offre à la fois des produits du midi et
ceux du nord ; des mines riches dans les Cévennes,
où la stérilité du sol rend leur exploitation
nécessaire ; une abondance de vin qui en permet la
distillation ; des salins que l’on peut multiplier à
son gré, etc.
Il ajoute :
la plupart de ces objets sont l’ouvrage de la
chimie, et tous en attendent leur perfection.
Les mines des Cévennes, notamment, réclament les secours de
cette science :

1
Publié comme Discours préliminaire de ses Mémoires de chimie, dont le permis
d’imprimer est daté du 19 novembre 1781. Dans ses Mémoires personnels (publiés
par son arrière-petit-fils, avec ses Souvenirs sur Napoléon, Plon, Paris 1893, p. 28),
Chaptal évoque avec modestie ce « petit volume de Mémoires, dans lequel je faisais
connaître quelques faits nouveaux », qui retint l’attention de Buffon.
2
Tel était en effet le titre de la chaire créée pour le jeune chimiste par les États du
Languedoc, en réponse au besoin de la Province.

Tiré-à-part d’un article paru en 2008 dans le n° 25 de la Revue du Gévaudan, des


Causses et des Cévennes, publiée par la Société des Lettres, Sciences et Arts de la
Lozère, BP 58, 3 Rue de l’Épine, 48002 Mende Cédex.
L’exploitation des mines, qui forme une richesse
presque inconnue dans la Province, est un des
objets dont nous devons nous occuper encore. Les
Cévennes, ce pays naturellement stérile, où l’on
admire et l’on plaint à la fois un Habitant
industrieux et pénible, occupé sans relâche à forcer
un sol ingrat de pourvoir à sa subsistance,
réclament depuis longtemps les secours de la
chimie ; la nature y a jeté d’une main libérale toute
sorte de minéraux ; ce sont des trésors enfouis dont
on commence à peine à soupçonner l’existence :
leur recherche a été longtemps combattue par le
préjugé, arrêtée par les dépenses inséparables des
premiers établissements, contrariée par la
difficulté des travaux ; mais l’homme de génie
passe par-dessus ces obstacles ; il voit le bien dans
l’avenir plutôt que dans le moment présent ; il sait
que les préjugés tombent sans jamais se relever, et
qu’il ne faut que du courage et de la constance
pour rompre des habitudes et détruire des
opinions. Les premiers établissements nous
annoncent déjà une révolution totale : chaque
entreprise a formé dans le voisinage une certaine
sphère de bonheur, par la consommation des
denrées, la vente des bois, l’exportation des
produits et l’ouverture des communications. Je me
propose de dresser un tableau analytique de la
nature et de la richesse des productions, des
moyens d’en tirer parti, des modifications dont les
travaux sont susceptibles dans chaque pays, afin
que le particulier ne confie plus à des épreuves
ruineuses sa fortune et son espoir.
Pour illustrer la mise en œuvre de ce programme, j’ai retenu trois
aspects intéressant la Lozère : la découverte d’un volcan éteint à
Sauveterre ; des prétendues mines de charbon, près de Mende ; l’esprit
industrieux des Habitants des Cévennes.

I. VOLCANS
Le randonneur qui traverse le hameau de Sauveterre se doute-il que
l’origine du pavement la mare de la place du village, signalée sur un

2
site internet grand public comme le « le cône d’un ancien volcan, actif
quand le Causse était recouvert par la mer Thétys » (sic) a été
découverte par un natif de Nojaret. Sa description, publiée en
novembre 1781 dans le tome XVIII du Journal de physique3, est la
première publication de Chaptal dans un organe d’audience
internationale4.
Les connaissances minéralogiques que suppose cette découverte la
situent après les études de chimie de Chaptal et sa première année
d’enseignement à Montpellier, donc très vraisemblablement au cours
de l’été 1781.

Contexte
Un rappel sur l’émergence de la « géologie »5, à la convergence de
trois axes, à savoir les progrès de la géographie physique et de la
volcanologie, la révolution industrielle du XVIIIe siècle, la naissance
de la cristallographie, aidera à faire parler ce texte.

3
Ce périodique, dont le titre complet était initialement « Observations et
mémoires sur la physique, sur l’histoire naturelle et sur les arts et métiers », a été
créé en 1771 par l’abbé Rozier (1734-1793), originaire de Bézier et ancien directeur
de l’école vétérinaire de Lyon. Son neveu l’abbé Mongez (connu pour sa traduction
de la minéralogie de Bergman), puis, après le départ de ce dernier avec La Pérouse,
le minéralogiste de La Métherie, lui succéderont à tête de la rédaction de cette revue,
qui avait à l’époque une notoriété comparable à celle dont jouit aujourd’hui la
Physical Review. Rozier est l’auteur du Cours d’agriculture, publié sous la forme
d’un journal, dont le tome X contient la première version de l’Art de faire de vin de
Chaptal, ainsi qu’un article Vigne, de la plume du rédacteur du dit Cours, exposant
un plan pour déterminer les différentes espèces de raisin, que Chaptal, lorsqu’il sera
ministre de l’intérieur, fera exécuter au Clos des Bernardins, qui jouxtait le Jardin du
Luxembourg.
4
Les Mémoires de Chimie en donnent une version plus courte, dont la rédaction,
certainement antérieure, a dû suivre l’exposé de Chaptal à la Société des sciences. Je
n’ai pas réussi a en retrouver le manuscrit, mais celui du premier de ces mémoires,
sur l’acide méphitique qui s’exhale des eaux du Boudilou, conservé aux archives
départementales de l’Hérault, montre une première rédaction, très rapide et de sa
main, complétée de nombreux ajouts et modifications. C’est également le cas
d’autres manuscrits de Chaptal. Le texte du Journal de physique est donc
certainement une version amendée et complétée.
5
Ce mot désignait les sciences de la Terre, au sens large, avant de se restreindre,
au début du XIXe siècle, au sens moderne, de « science qui a pour objet l’étude de la
structure et de l’évolution du globe terrestre » (Petit Robert). Utilisé entre autres par
Arduino, De Luc, De Saussure, Kirwan, le vocable géologie sera vraiment consacré
par Dolomieu en 1793.

3
a/ Dates-clés en géographie physique et volcanologie. En 1752,
Guettard6, accompagnant son ami Malesherbes7 qui se rendait aux
eaux de Vichy, constate la ressemblance de pierres originaires de
Volvic avec celles du Vésuve. Il observe le premier que les montagnes
d’Auvergne sont des volcans éteints, mais il écarte l’idée d’une
origine ignée des prismes de basalte. Sa découverte fait sensation en
Europe. En 1763, Desmarest voit le basalte prismé d’une coulée à
Pradelle et il affirme, en 1665, dans un mémoire à l’Académie des
sciences, que le basalte est une lave. Dans la seconde partie de ce
mémoire, publié en 1771, il précise que les « cantons volcanisés » qui
nous offrent de nombreuses masses de basalte, se situent dans les
provinces d’Auvergne et du Velay, dans le Vivarais, et dans le
Languedoc, aux environs de Pézenas et d’Adge 8. En 1776, de
Genssane, directeur des mines du Languedoc, présente à l’assemblée
publique de la Société royale des sciences de Montpellier, un mémoire
sur les cônes et coulées du Bas-Vivarais et les orgues du Puy-en-
Velay9, où il mentionne les observations de l’abbé Mortesagne, qui a
le premier reconnu les volcans des environs de Pradelles. En 1778,
Faujas de Saint-Fond publie son volumineux ouvrage sur le Velay et le
Vivarais10. Il y confirme les observations de Desmarest, mais il tente,
ce qui lui a été reproché, de contester la priorité de celui-ci et de
Guettard.
Dans le Languedoc, les découvertes de volcans éteints s’accélèrent.
Chaptal écrira « La Province de Languedoc nous présente partout ces
6
Après des études d’apothicaire, Jean-Étienne Guettard (1715-1786) est initié à
la botanique par son grand-père. Il développe dans cette discipline ses talents
d’observateur baconien, évitant la formulation de théories. Élève de Réaumur, admis
en 1743 à l’Académie des sciences comme botaniste, il se spécialise rapidement en
minéralogie. Le jeune Lavoisier l’aida dans son projet inachevé de cartographie
minéralogique intégrale de la France.
7
Ministre et dernier conseil de Louis XVI, Chrétien-Guillaume de Lamoignon de
Malsherbes (1721-1793) s’intéressait aux sciences naturelles. Il correspondit avec
Rousseau sur la botanique. Premier président de la cours des aides et directeur de la
librairie en 1750, il protège les philosophes et facilite la diffusion de l’Encyclopédie.
Membre du gouvernement Turgot, il démissionne lors du départ de celui-ci.
Promoteur de réformes profondes, il appelait à l’application du droit naturel, fondé
sur l’écoute de la nation.
8
Il ne mentionne pas le Gévaudan. Pasumot, qui l’accompagnait, expliquera
cette omission dans un mémoire concernant la « découverte » de Chaptal (cf. infra).
9
Cf. note biographique sur Genssane, à la section II, Charbon, du présent article.
10
Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay : avec un discours
sur les volcans brûlants, des mémoires analytiques sur les schorls, la zéolite, le
basalte, la pouzzolane, les laves & les différentes substances qui s’y trouvent
engagées (Grenoble, J. Cuchet ; Paris, Nyon, 1778).

4
altérations du feu. MM. Guettard, de Malsherbes, Desmarets, Montet,
Faujas, Genssane, de Joubert, Giraud de Soulavie, etc., nous y en ont
fait plus connaître en quelques années que nous n’en connaissions sur
le globe entier11 ». L’historien de la géologie Ellenberger12 mentionne :
Venel13 (1756, volcan près de Pézenas), Rouelle14 (nombreux volcans
méridionaux, mentionnés dans son cours de chimie en 1754-1758),
Montet15 (volcans de Montferrier, Gabian, St Thibéry, Agde, etc. en
1760 et 1763), de Genssane (volcan d’Adge, 1776), de Dietrich
(nature volcanique du basalte de St Thibéry, 1776), de Joubert16
11
Article Produits volcaniques, du Tableau analytique du cours de chimie,
J-F Picot, Montpellier, 1783, p. 91.
12
Jean-François Ellenberger, Histoire de la géologie, Lavoisier Tec & Doc, Paris
1988, t. 2, p. 231.
13
Gabriel-François Venel (1723-1775), natif de Pézenas, suivit à Paris le cours
de chimie de Rouelle. Il fut chargé en 1753 d’une mission d’étude des eaux
minérales de France. Élu en 1758 à la Société royale des sciences de Montpellier, il
fut nommé professeur à la faculté de médecine de cette ville en 1759, où il enseigna
l’hygiène. Chaptal assista à ce cours, mais rien ne permet d’affirmer qu’il ait suivi,
comme l’écrit Pigeire, celui de chimie, que donnait Venel à titre privé à l’intention
des médecins, dans l’officine de Montet, qui faisait fonction de préparateur.
14
Guillaume-François Rouelle (1703-1770) s’orienta d’abord vers la médecine,
mais un excès de sensibilité le détourna de cette discipline, qu’il abandonna pour les
sciences physiques et naturelles (une réorientation qui n’est sans rappeler celle de
Chaptal, telle qu’il la raconte dans ses Mémoires personnels). Nommé en 1742
démonstrateur de chimie au Jardin du Roi, il fut certainement l’un des meilleurs
professeurs de chimie du XVIII e siècle. Parmi ses élèves, on trouve, outre Venel :
Lavoisier, Desmarest, Saussure, Monnet, Macquer, d’Arcet, Bayen, Diderot,
d’Holbach, Rousseau, Malesherbes et Turgot, ainsi que Bucquet et Sage, dont
Chaptal fut l’élève. Le contenu géologique de son cours de chimie a été résumé par
Desmarest dans l’article Géographie physique de l’Encyclopédie. Rouelle y oppose
notamment la « Terre ancienne », composée de roche schisteuses et spathiques, et la
« Terre nouvelle » faite de strates horizontales formées par de lents dépôts marins ;
ainsi que la doctrine de Stahl, selon laquelle les minerais (les mines) ont été formés
dès l’origine du monde, et celle de Becher, qui prétend qu’ils se régénèrent en
permanence sous l’action d’un amas d’eau et d’un feu central, également
responsables de la genèse des volcans. (Cf. Jean Gaudant, Guillaume-François
Rouelle (1703-1770), précurseur d’un enseignement géologique en France, C. R.
Palevol 3 (2004), Paris, pp. 85-98).
15
Jacques Montet (1722-1782). Né dans l’Agoual, il acquiert à vingt ans, à
forces de privations et d’économie, la collection complète des mémoires de
l’Académie des sciences, où il puise sa vocation de chimiste. Apothicaire à
Montpellier et membre de la Société des sciences, il présente de nombreux
mémoires à l’Académie et contribue à l’Encyclopédie pour des articles de chimie
pratique, dans des domaines qui ont été développés par Chaptal.
16
Cité par Ellenberger in « Aux sources de la géologie française », guide de
voyage à l’usage des sciences de la terre sur l’itinéraire Paris-Auvergne-Marseille
(Histoire et nature, n° 15, Paris 1979). De Joubert, trésorier général des États de
Languedoc possédait un cabinet d’histoire naturelle passant pour l’un des plus beaux
d’Europe. Sa Description du petit volcan éteint dont le sommet est couvert par le
village du château de Montferrier à une lieue de Montpellier, a été bizarrement

5
(volcan de Montferrier, 1779), Pouget et Chaptal 17 (volcans d’Adge et
de St Thibéry, 1782)18.
À noter que tous les naturalistes du XVIII e siècle19 — qu’ils soient
partisans d’une origine ignée ou d’une formation aqueuse des basaltes
— attribuent le volcanisme à la combustion à faible profondeur de
charbon ou de schiste pyriteux. D’où l’emploi de termes tels
qu’embrasements, incendies, foyers, bouches de feu, matériaux brulés,
à propos des éruptions et de leurs produits, et l’idée qu’outre leurs
produits directs (laves basaltiques), indirects (aluns, résultant de
attribuée par Pigeire à Chaptal, bien qu’elle ait été publiée en 1782, sous la signature
de Joubert, comme mémoire de l’Académie des sciences — un texte important, car
il confirme l’antériorité des découvertes de Guettard, Desmarest et Montet.
17
Observations sur l’histoire naturelle des diocèses d’Agde et de Béziers en
Languedoc, par MM. Pouget et Chaptal, AD de l’Hérault, D 153. « Très bonne
description des cônes et coulées associées de Saint-Thibery », selon Ellenberger (op.
cit. p. 25). D’après Castelnau (Mémoires historiques et biographiques sur
l’Ancienne société royale des sciences de Montpellier, Boehm, Montpellier, 1858),
ce mémoire était destiné par la Société au Recueil de l’Académie des Sciences de
Paris, qui ne l’a pas retenu. J’ai transcrit la copie qui y a été conservée. Ce texte
décrit les volcans éteints d’Adges, de Saint-Thibery et de Gabian, les verreries
d’Hérépian, les sources thermales de Lamalou, les mines de houille de Grassenac et
du Bouquet d’Orb, la « fontaine de pétrole de Gabian », les cloutiers de la région de
Graissenac. Le coauteur, Joseph-Suzanne Pouget (1745-1792), lieutenant-général de
l’amirauté de Cette (aujourd’hui Sète), participa à d’autre travaux de Chaptal. Élu en
1784 comme chimiste à la Société des sciences de Montpellier, il y présenta
plusieurs mémoires, dont un sur les atterrissements des côtes du Languedoc, auquel
se réfère celui de Chaptal sur l’insalubrité de l’air des étangs et les moyens d’en
détruire la cause.
18
J’ai en outre relevé aux archives départementales de l’Hérault, sous la cote
D153 réunissant les mémoires de géologie présentés à la Société des sciences, une
lettre de Limbourg, médecin montpelliérain, datée de 1760, annonçant la découverte
d’une montagne (nom de lieu illisible) produisant des matières analogues à celle du
Vésuve — critiquée en marge par Chaptal, qui note : « ne donne rien de déterminé »
— ainsi qu’un mémoire de M. de Vaugelas, major du Brescou, daté du 17 janvier
1780, présentant des Observations sur le volcan éteint du Brescou, agrémentées
d’une longue citation des Métamorphoses d’Ovide.
19
Jusqu’à Dolomieu, qui, en 1790, écrira que « l’écorce consolidée du globe »
repose sur une « matière de tous temps pâteuse et visqueuse » qui a plus de densité
que la croute extérieure (cité par Gohau, op. cit. p. 223). Chaptal écrira pourtant,
dans les éditions successives de ses Éléments de chimie (1790, 1794, 1796, 1803) :
« L’embrasement de ces amas énormes de bitume déposés dans les entrailles de la
terre produit les volcans. Ce sont surtout les couches de charbon pyriteux qui leur
donnent naissance : la décomposition de l’eau sur les pyrites détermine la chaleur et
la production d’une grande quantité de gaz hydrogène, qui fait effort contre les
enveloppes qui le resserrent et finit par les briser et les rompre : c’est surtout cet
effet qui produit les tremblements de terre ; mais lorsque le concours de l’air facilite
la combustion du bitume et l’embrasement du gaz hydrogène, la flamme se
manifeste par les cheminées ou soupiraux, et c’est là ce qui occasionne les
volcans. » — mêlant ainsi la géologie de Descartes, la Physique souterraine de
Becher et la nouvelle chimie de Lavoisier !

6
l’action du « vitriol vomi par le cratère », sur l’argile) et de
décomposition (pouzzolanes), les volcans peuvent être associés à la
présence de produits connexes, capables d’entretenir le feu souterrain
(charbon, bitumes, etc.). À l’appui de cette thèse, certains imaginent
même des « volcans artificiels20 ».
b/ Contexte industriel et politique. La fin de la guerre de succession
d’Espagne (traité d’Utrecht, 1720) et de la politique belliqueuse de la
Suède (mort de Charles XII, 1718), marquent pour l’Europe le début
d’une expansion de l’industrie et notamment de la métallurgie. En
France l’exploitation des mines et la métallurgie représentent alors une
« industrie tombée21 », grevée par l’accumulation d’impôts, l’absence
d’ingénieurs et de techniciens formés, et l’épuisement des ressources
de bois de chauffage. Pour affranchir le pays de sa dépendance de
l’Allemagne, de la Suède et de l’Angleterre, le gouvernement prend
des mesures : il favorise et réglemente l’exploitation des mines, pour
lesquelles un régime de concession est institué en 1744, il encourage
la traduction en français22 des nombreux traités publiés en allemand ou
en anglais, il lance un inventaire des ressources minières du royaume
— entrepris en 1777 par Guettard, aidé bientôt de Lavoisier et de
Monnet. En 1778, est créée à la Monnaie, la chaire de minéralogie et
de métallurgie de Sage23, qui s’installe avec ses collections. Dès 1772,
le secrétaire d’État Bertin accorde des brevets d’inspecteur des
mines24. Les nouveaux concessionnaires, les aristocrates et les grands
20
Par exemple : Lémery, Rouelle, Sage : volcan chimique ; Montet : combustion
spontanée (par fermentation) des laines dans les Cévennes ; pyrophore de Homberg
(mélange de souffre et de matière fécale), cité par Démeste, qui le réalise avec une
combinaison de souffre, de charbon et de phosphore.
21
Selon la formule de James Gordon S. Floyd, in L’Industrie des mines et la
métallurgie en Franche-Comté au XVIII e siècle, Bulletin de la Société d’agriculture,
sciences et arts du département de la Haute-Saône, 3e série, n° 15, Vesoul, 1884,
p. 200.
22
Ainsi, le baron d’Holbach, à l’instigation de Malsherbes et des élèves de
Rouelle et encouragé par Bertin, traduit et annote huit ouvrages allemands et
suédois. À l’occasion de la traduction de la Minéralogie ou description générale des
substances du règne minéral de Wallerius (Paris, 1753), il accomplit un travail
apprécié de ses contemporains, en établissant, avec les conseils de Rouelle et de
Jussieu, une nomenclature en français des minéraux dont le nom figurait en grec et
en latin dans l’original (signalé par Daubenton, à l’article Cornaline de
l’Encyclopédie).
23
Balthasar-Georges Sage (1740-1824), apothicaire, fils de pharmacien, ouvrit en
1755 un cours gratuit de minéralogie docimastique, qu’il poursuivit rue du Dragon,
puis, en 1778, à la Monnaie, où Chaptal sera son élève. Sa chaire à la Monnaie est à
l’origine de la création en 1783 de l’École des Mines.
24
Henri Léonard Jean Baptiste Bertin (1720-1792), contrôleur général des
finances de 1759 à 1763, est ensuite chargé du département des mines. Après sa

7
bourgeois se constituent des collections de minéraux. Ces nombreux
cabinets minéralogiques favorisent la création de cours privés,
participent à une sociabilité et donnent lieu à un négoce nécessitant
l’établissement de catalogues.
Mais pour enseigner, rédiger des manuels, prospecter, évaluer,
ranger les collections et les cataloguer, il faut savoir nommer et classer
les minéraux.
c/ La naissance de la cristallographie. Trois noms dominent la
genèse de la science des cristaux : Linné, Romé de Lisle, Haüy.
Linné25, botaniste, explorateur, médecin et professeur de docimasie,
entend, dans son Systema naturæ (1735) montrer que l’univers est
régie par « une seule Économie divine26 ». Il applique à cette fin un
système de nomenclature uniforme (classes, ordres, genres, espèces et
variétés)27 aux trois règnes : minéral, végétal, animal. S’appuyant sur
la Physique souterraine de Becher28 et sur les travaux minéralogiques
démission, en 1781, la nomination des « inspecteurs des mines et minières » relèvera
du Conseil d’État, puis, en 1793, du comité de Salut Public.
25
Carl von Linné (1707-1778), surnommé « le prince des botanistes », fit des
études de médecine à Lund, puis à Uppsala. D’abord chargé d’un enseignement de
botanique dans cette ville, il fut ensuite nommé professeur de médecine, puis de
docimasie. Il conduisit des expéditions en Laponie et fit de nombreux voyages
d’étude en Europe, qui lui permirent de nouer des relations avec les principaux
savants de l’époque, avec lesquels il entretint une abondante correspondance. Il
rencontra notamment Boerhaave, Jussieu et Tournefort. Il rédigea une nosographie
sur le modèle de celle qu’avait établi son correspondant François Boissier de
Sauvage (1706-1767), professeur de médecine à Montpellier. Philipe Pinel, l’ami de
Chaptal, utilisera les nosographies de Sauvage et de Linnée dans sa célèbre
Nosographie philosophique.
26
Dans un texte d’inspiration très stoïcienne, l’Économie de la nature (1749),
Linné expose comment les êtres des trois règnes participent à des cycles de
propagation, conservation et destruction, assurant un ordre permanent, voulu par le
créateur, qu’il appartient à la taxinomie de révéler. Dans ce triple règne de la nature,
celui des minéraux joue un rôle fondamental. (Cf. C. Linné, L’équilibre de la nature,
traduit par Bernard Jasmin, avec une introduction et des notes de Camille Limoge,
Vrin, Paris 1972).
27
Appliqué pour la première fois en France par Antoine Gouan (1733-1821),
professeur à l’École de Médecine de Montpellier (il fit parti du jury de la thèse de
bachelier en médecine, que Chaptal soutint en 1756), à l’établissement du catalogue
des plantes du jardin botanique de Montpellier.
28
Médecin, métallurgiste et administrateur, Johann Joachim Becher (1635-1682)
fut le premier à tenter de créer une chimie scientifique. Considérant que tout doit
s’expliquer par une analogie avec les phénomènes de la vie, il interprète la Genèse
dans sa Physique souterraine (1667), en comparant le monde à un œuf divin dont la
terre serait le jaune, les eaux forment le blanc, l’air l’enveloppe membraneuse et le
ciel la coque. Il pose l’existence de trois terres, la terre vitrescible, la terre grasse et
la terre fluide et il invoque une analogie entre les phénomènes de formation, de
transformation et de combustion des minéraux et celui de la fermentation. Il offre

8
de ses compatriotes Bromell29 et Celsius30, il élabore au fil des éditions
successives de son Système une classification des minéraux fondée sur
quatre terres primaires et sur la forme des cristaux — sensée
correspondre à leur composition chimique. Les chimistes critiqueront
cette hypothèse31, mais la nomenclature binomiale de Linné restera
une référence pour les minéralogistes du XVIII e siècle, dont certains
se livreront à des transferts abusifs de modèles entre le règne
organique et le règne minéral32. En Suède, toujours, Wallerius publie
en 1747, une Minéralogie, d’une richesse exceptionnelle pour son
temps, donnant plus d’importance aux propriétés chimiques
essentielles, qu’à l’apparence extérieure. Ancien élève de Linné,
Bergman33, qui succède à Wallerius comme professeur de chimie,
ainsi une vue unifiée des phénomènes de la nature, fondée sur une circulation
perpétuelle et un principe actif, le feu, dont la forme la plus pure est la lumière. Sa
théorie est marquée par l’opposition entre matière active et matière passive,
caractéristique de la doctrine stoïcienne véhiculée par les alchimistes. La référence à
la chimie vitaliste et stoïcienne de Becher est particulièrement pertinente dans le
contexte du présent article, car elle renvoie, bien sûr, au stoïcisme vitaliste de
Chaptal, affirmé avec enthousiasme dans sa thèse de baccalauréat de médecine
(Conspectus physiologicus de differentiarum inter homines relative ad scientias,
soutenue en 1776 à Montpellier — dont la traduction en français par Odile Huber a
été éditée par mes soins, en 1990, sous le titre, Tableau physiologique des
différences entre les hommes, sous le point de vue scientifique), et appliqué à une
œuvre de progrès, dans les domaines de la chimie, de l’agriculture, de
l’enseignement, de l’industrie et de l’administration publique — mais aussi à la
surprenante théorie chimique de Genssane. Chaptal cite souvent Becher dans ses
Éléments de chimie.
29
Magnus von Bromell (1679-1731) étudia les sciences naturelles en Hollande et
en France, notamment auprès de Boerhaave et de Tournefort. Après un doctorat en
médecine à Reims, il exerce la médecine en Suède et y dirige le laboratoire de
l’administration des mines. Il est l’auteur d’une Mineralogia (1730) où il propose
une classification des minéraux en fonction de leur composition chimique.
30
Olof Celsius (1716-1794), éminent botaniste, cousin de l’astronome auteur de
la graduation thermométrique qui porte son nom.
31
Bien risquée, compte tenu de l’état de la chimie à l’époque !
32
Ainsi, Buffon, opposé à Linné et plus généralement à toute forme de
classification, généralisera aux trois règnes la notion de molécule organique, tandis
que de La Métherie s’acharnera à généraliser le mécanisme de la cristallisation à
tous les domaines des connaissances humaines
33
Mathématicien, physicien, chimiste, minéralogiste, entomologiste, astronome
et géographe, Torben Olof Bergman (1735-1784) correspondit avec tous les savants
d’Europe. Il a notamment perfectionné la table des affinités de Geoffroy et amorcé
une réforme de la nomenclature de la chimie — une tâche qu’il invita son ami
Guyton de Morveau à poursuivre, pour aboutir à la nouvelle nomenclature que celui-
ci établira avec Lavoisier. Son Traité des affinités électives inspira Goethe. Chaptal,
qui suivra d’assez prêt, dans la Lithologie de ses Éléments de chimie, les principes
de sa méthode de classification, le tenait en grande estime. « Cette sévérité dans les
résultats qu’une longue étude des mathématiques lui avait fait contracter » […]
servira « à jamais de guide aux âmes fortes qui entrent dans la carrière de la chimie,

9
publie 1782, un Manuel du minéralogiste ou Sciagraphie du règne
minéral distribué d’après l’analyse chimique présentant une
classification fondée à la fois sur les formes extérieures et la
composition chimique. En France, la parution en 1772 de l’Essai de
cristallographie de Romé de Lisle34 marque une date dans l’histoire de
la minéralogie. Réalisant une synthèse magistrale des travaux de ses
prédécesseurs, Romé crée les mots cristallographie et dièdre et établit
que toutes les formes de cristaux peuvent s’obtenir par la troncature de
formes essentielles. Il fonde ainsi une classification géométrique
affranchie de la physique et de la chimie — permettant au praticien de
disposer simultanément de plusieurs registres pour déterminer la
nature de minéraux. Enfin, en 1782, Haüy 35, dans deux mémoires
présentés à l’Académie de sciences, critique Bergman qui fait dériver
diverses formes cristallines du spath calcaire d’une même forme
primitive, et montre par des expériences (clivage de cristaux), des
mesures et des calculs géométriques, que tous les cristaux d’une
même substance renferme un noyau dont dérivent des formes
secondaires. Il démontrera par la suite qu’il est possible de ramener les
formes si variées des cristaux, naturels et artificiels, à six formes qu’il
appelle primitives, caractérisées par la constance des angles, et que,
dans le groupement des formes diverses d’une même espèce, la
composition chimique de tous les cristaux, supposés purs, était définie
comme elle en écarteront les esprits faibles incapables de la parcourir. On trouve
dans les écrits de cet homme célèbre les grandes vues de l’homme de génie, à côté
des détails du plus minutieux observateur, » écrira-il en 1784 dans le Mémoire sur
une mine d’Alun, découverte par le M. le chevalier de Morlhon sur les frontières du
Languedoc et du Rouergue, le long de la rivière d’Alrance.
34
Fils de militaire, Jean-Baptiste Louis de Romé de l’Isle (1796-1790) espéra,
après des études classiques, faire carrière dans la marine. Au cours de voyages au
Brésil, en Inde et en Chine, il prend goût aux sciences naturelles et récolte des
minéraux. Élève de Sage en 1764, il établit les catalogues des collections de
plusieurs riches amateurs. Son Essai de cristallographie, passé relativement
inaperçu en France, est remarqué par Linné, qui le place au premier rang des
ouvrages produits dans ce domaine depuis le début du XVIII e siècle. Avec son élève
Carangeot, inventeur du goniomètre, il découvrit la constance des angles dans une
même espèce cristallographique ; il introduisit ainsi la mesure dans cette nouvelle
discipline, qu’il baptisa cristallographie — ouvrant ainsi la voie aux travaux d’Haüy.
35
Fils d’un modeste tisserand, l’abbé René-Juste Haüy (1743-1822) est d’abord
professeur de latin ; puis il s’intéresse à la botanique et à la minéralogie. Il fait ses
premières observations sur les cristaux en 1780, alors qu’il suit le cours de
Daubenton au Collège de France. Ses deux premiers mémoires, sur la structure des
cristaux de grenat, puis sur la structure des spaths calcaires, présentés à l’Académie
des Sciences en 1781, sont publiés dans le Journal de Physique en 1782. Son Essai
d’une théorie sur la structure des cristaux (1784) et son Traité de minéralogie
(1802) rendent compte des perfectionnements successifs de sa théorie
cristallographique.

10
et identique pour toutes les formes. Il fonde ainsi une cristallographie
véritablement scientifique — permettant de diagnostiquer des
minéraux connus et de prévoir l’existence d’espèces encore
inconnues36.

Texte
Description d’un volcan éteint, découvert à
Sauveterre en Gévaudan,
par M. Chaptal, docteur en médecine, membre de
la Société royale des sciences de Montpellier,
professeur d’histoire naturelle et de chimie
docimastique37
Messieurs MONTET, FAUGAS, DE GENSSANE38, nous
ont appris que nous habitons une terre presque
toute volcanisée. Le Peuple, qui ne voit guère au-
delà d’un siècle, parce que les relations, qui sont
ses guides, ne remontent guère plus haut, eu
d’abord quelque peine à se persuader que sa
chaumière était bâtie de basalte, et que son grain
germait dans de la lave pulvérisée. On est parvenu
néanmoins à lui persuader cette vérité ; on a fait
plus, on lui a appris à tirer le plus grand parti de
ces terres volcaniques : il paraît qu’il entre dans les
vues de bienfaisantes de la Nature, de renouveler,
par intervalles, la surface du globe, afin d’offrir aux
naturalistes de nouveaux objets de recherche, et de
présenter au peuple une terre vierge et plus
féconde. Il est donc avantageux de multiplier les
descriptions de ces ruines 39, que laissent après eux
36
Ce qui est le propre d’une théorie scientifique. « Le calcul relatif aux lois de la
structure sert à déterminer non seulement les formes connues, mais aussi celles qui
ne sont encore, à notre égard, que dans l’ordre des possible, » écrit Haüy dans un
Mémoire sur une espèce de loi particulière à laquelle est soumise la structure de
certains cristaux, appliquée à une nouvelle variété de carbonate calcaire (Journal
des Mines, n° XIV, brumaire an IV, p. 11).
37
Les Mémoires de Chimie mentionnent les titres : « professeur de chimie à la
Société Royale des Sciences de Montpellier, de la Société Royale de Médecine de
Paris, etc. ».
38
Le texte des Mémoires indique MM. Guettard, Desmarets, Faugas, Montet.
39
Le vocabulaire des minéralogistes du XVIII e siècle est riche en métaphores, en
général assez précises : monuments, annales, archives. Le terme ruine, plus rare, a
été utilisé par Fontenelle dans un mémoire à l’Académie des sciences Sur les

11
ces grands phénomènes ; elles deviennent
intéressantes pour le Naturaliste, et utiles au
Peuple.
Sauveterre40 est un village du Gévaudan, situé
entre Mende, capitale du diocèse, et Sainte-Énimie,
paroisse de ce village ; il est à deux lieues de
Mende, et à une lieue de Sainte-Énimie ; il est
placé à la partie la plus élevée d’un causse (1) qui
porte le nom du village, et situé entre deux côtes
assez rapides, dont l’une aboutit à Sainte-Énimie et
est arrosée par le Tarn ; tandis que l’autre, par une
pente aussi rapide, se prolonge jusqu’au village de
Bramounas, au pied duquel coule le Lot.
Sauveterre paraît être à deux mille toises 41 de
distance du bord de la rivière.
Le causse de Sauveterre n’est qu’un amas de
pierre calcaire, qui laisse apercevoir des couches
symétriques ; le sommet présente, par intervalles,
du spath à tête de clou ou à pyramides trièdres, du
spath pyramidal à pyramides assez longues,
hexaèdres pour la plupart ; j’en ai vu même où la
pyramide hexaèdre était terminée par une
pyramide trièdre. On y trouve encore du spath
prismatique hexaèdre, dont le prisme est
quelquefois tronqué, quelquefois surmonté d’une
pyramide à trois pans42.
Cette terre calcaire fait de la chaux excellente, et
on l’emploie à cet effet près du Choizal, où
quelques pieds de terre végétale, répandus sur les
couches de pierre calcaire, permettent aux sapins
d’y croître en assez grande abondance pour fournir
aux feux des fourneaux43, sans nuire aux usages
domestiques.
empreintes de plantes dans les pierres (1718).
40
L’orthographe et les noms de lieu ont été modernisés. Chaptal écrit : Sauve-
Terre, le Tard, le Lott, Bramounar, Valsuèges, pozzolanes.
(
1) Note de Chaptal : Causse, terme du Pays, qui signifie montagne de pierre
calcaire ; ce mot vient du latin calx.
41
La toise vaut environ deux mètres.
42
La même description, très précise, figure dans le Mémoire.

12
En montant44 sur le causse par Balsiège, on
trouve, à la plus haute élévation, des bois de pins,
garnis et vigoureux, des terres ensemencées, où le
froment croît en abondance ; mais, à mesure qu’on
s’approche de Sauveterre, la couche végétale
disparaît peu-à-peu, les arbres deviennent rares et
petits, et on ne trouve plus qu’une grande surface
stérile, qui ne présente, sur la longueur de deux
milles, que des pierres calcaires, et quelques pieds
de bruyère.
Au voisinage de Sauveterre, le causse redevient
stérile ; on retrouve des terres labourables : mais le
terrain est toujours dépourvu d’arbres, parce que
la terre n’y est point assez abondante pour qu’ils y
plongent librement leurs racines. Le village est
placé sur un monticule à l’extrémité occidentale du
causse ; il présente au nord-est, deux ou trois
rochers saillants de la hauteur de trois à quatre
toises : c’est aux environs de ces rochers que les
particuliers ont enclos quelques prés.
En montant pour aller au village, je m’aperçus de
quelques pierres éparses, noirâtres, confondues et
comme semées parmi les pierres calcaires. Le
contraste de la couleur me frappa ; en
m’approchant de la maison de M. Malafosse45, riche
bourgeois de ce pays, je vis que ces pierres noires
devenaient plus communes et reconnus bientôt les
approches d’un volcan : je m’aperçu, dès ce
moment, que le chemin était un large pavé de
basalte.
Vis-à-vis la maison de M. Malafosse, s’élève une
espèce de cône tronqué ; le contour de sa base
43
Les fours à chaux utilisaient du charbon de bois. Dans un des Mémoires de
chimie, l’Analyse de quelques pierres calcaires, Chaptal propose des moyens
d’améliorer qualitativement et quantitativement la production des fours à chaux.
44
La description, en suivant la montée, met en évidence les strates de terrain,
domaine dans lequel s’illustrera Giraud Soulavie. Elle n’est pas sans rappeler la
montée au Puy, décrite par l’abbé Mortesagne, dans une de ses lettres publiées par
Faujas. La géologie se découvre en marchant !
45
Cette précision pallie l’absence de carte : il ne convient pas d’y voir un détail
anecdotique, fustigé par Bachelard comme obstacle épistémologique.

13
paraît être de trente à quarante toises, la hauteur
de trois ou quatre, et le diamètre du sommet de
cinq à six46. Ce sommet forme un creux peu
profond, que je considère comme la bouche du
volcan.
À quinze ou vingt toises de là, on voit une mare,
où l’eau est retenue par un pavé de basalte bien
uni ; cette mare a douze toises de diamètre et sert
d’abreuvoir public. Entre la mare et le chemin, on
voit des rocs saillants de quelques pieds, qui,
quoique blancs à l’extérieur, sont de nature
basaltique. À droite de la mare, en suivant le
chemin, s’élève un mur formé de lave et de
basalte : cette lave est mêlée de pierre calcaire et
de pouzzolane47. Le pré laisse paraître, d’espace en
espace, la tête de quelques rochers de basalte ; et,
en suivant le chemin de Sainte-Énimie, le basalte
disparaît. Mais les pierres calcaires annoncent, par
leur altération, à deux cent toises de là, le
voisinage du volcan : elles sont plus ou moins
fiables et légères ; et ces masses de roche calcaire
que nous avons remarquées au nord-est, ont été
probablement soulevées par le feu48 du volcan.
J’ai observé dans le basalte de Sauveterre trois
espèces bien différentes.

46
Le mémoire mentionne un « monticule conique, qui m’a paru avoir deux toises
d’élévation, avec un sommet large de trois ».
47
La description détaillée des espèces de basalte, qui suit, ne figure pas dans le
Mémoire, qui mentionne simplement : « On trouve dans cet endroit de la lave roulée
avec de la pierre calcaire, qui a conservé toutes ses propriétés ; mais la lave ordinaire
à beaucoup de dureté ; elle est parsemée intérieurement de quelques géodes
calcaires, qui en font une lave à œil de perdrix. »
48
Pour Chaptal, comme pour ses contemporains, un volcan est un fourneau. La
métaphore est féconde, puisqu’elle lui inspirera un procédé utile : dans ses
Observations sur quelques avantages qu’on peut retirer des terres ocreuses, avec les
moyens de les convertir en brun rouge, et d’en former des pouzzolanes propres à
remplacer avec économie les étrangères et les nationales (imp. des États de
Languedoc, Paris, 1787), il décrit un four analogue à un « volcan en petit », destiné à
produire du ciment. (Rapprochement fait par Pierre Gourdin, note 16 de l’article
Savant et « artiste » : la docimasie, de l’ouvrage collectif dirigé par Michel
Peronnet, Chaptal, Privat, Toulouse, 1988, p. 56).

14
I°. L’un, pesant et noir, d’un tissu très serré,
parsemé des géodes de feldspath et attirable à
l’aimant ; c’est celui qu’on y trouve en plus grande
quantité.
2°. L’autre, d’un tissu moins serré, également
attirable, plus facile à casser, où l’on trouve des
boules de spath calcaire de la nature de celui
d’Islande, avec des trous très fréquents, qui le
rendent comme cellulaire. Le fer qui y est à l’état
métallique, y a passé à l’état d’ocre en certains
endroits.
3°. Il est une troisième espèce de basalte ou de
lave roulée, qui renferme une très grande quantité
de noyaux de terre calcaire peu altérée : il est
également attirable.
4°. Il en est une quatrième espèce qui renferme
des noyaux de pouzzolane ou de cette substance,
qui, comme on le voit, n’est qu’un débris de basalte
ou de lave.
Ces quatre espèces de basalte se vitrifient sans
addition, et forment un émail noir ; elles sont
toutes attirables à l’aimant, et tout le fer est à l’état
métallique, puisqu’après avoir pulvérisé ce basalte,
et exposé à un feu suffisant avec de la poudre de
charbon, il n’en est pas devenu sensiblement plus
attirable.
Ce volcan me paraît très ancien, puisque les
deux rivières qui arrosent le pré du causse ont
creusé une profondeur de deux mille toises de part
et d’autre.
Du pied de la montagne, du côté de Sainte-
Énimie, sort une fontaine très abondante, dont
l’eau est presque toujours au même degré de
chaleur. Cette fontaine donne un cylindre d’eau de
trois pieds de diamètre et ne diminue presque
jamais. On observe que les sources sont très rares
sur les autres flancs de la montagne ; ce qui prouve
que toutes les eaux s’écoulent par cet endroit.

15
Commentaires
a/ Il s’agit bien d’un reste de volcan. Le site « Ligne Aubrac-Cap
d’Adge » du BRGM49, mentionne le volcanisme dispersé des Causses,
« édifices anciens qui recoupent les plateaux calcaires et qui ont été
dégagés par l’érosion », où ne sont visibles que les zones
d’alimentation des volcans : neck50 et pipes51 de Sauclières, de Roque
Nègre, d’Eglazines, de Sauveterre, de Palmas, d’Espalion — datés
entre 14 et 6 millions d’années. Le géologue Bernard Gèze (1913-
1996) souligne l’intérêt du « volcanisme modeste » des Causses, « qui
mérite d’être aussi classique que celui d’Écosse ou du Jura souabe »,
car il offre de très bonnes conditions d’observation pour l’étude des
problèmes d’« embryologie éruptive »52.
b/ Et c’est une découverte ! Les mémoires mentionnés plus haut
décrivent le volcanisme de la frange méridionale des Causses, mais
aucun ne mentionne celui de la zone des Gorges du Tarn. D’ailleurs,
cette région n’est pas montagneuse sur la carte du Languedoc insérée
à la fin des Mémoires pour l’histoire naturelle de la Province du
Languedoc, d’Astruc (1737)53.

49
Bureau de recherches géologiques et minières (carte accessible à :
http://www2.brgm.fr/volcan/ligne%20aubrac-cap%20d’agde.htm).
50
Piton de lave provenant d’une cheminée de volcan, demeuré en relief suite à
l’érosion du cône.
51
Cheminée cylindrique verticale remplie de lave.
52
B. Gèze, Le volcanisme des Causses et du Bas-Languedoc (France), Bulletin
volcanologique, t. 17, 1955, p. 73-89.
53
L’amas basaltique de Sauveterre est par contre bien visible (en bleu) sur la
carte géologique au 1/50 000 du BRGM, feuille n° 886, « Florac-Gorges du Tarn ».
La notice de B. Gèze et le guide de lecture, très clairs, sont une excellente
introduction à la géologie.

16
Fig. 1 — Extrait de la Carte moderne du Languedoc, dressée sur les nouvelles
observations, par I.B. Nolin, géographe (in Astruc, 1737).

Un mémoire de Pasumot54, publié dix mois après celui de Chaptal,


confirme la découverte et montre qu’elle n’est pas passée inaperçue.
En voici des extraits :

54
Journal de Physique, t. XX, part. II, septembre 1782, p. 217. François Pasumot
(1733-1804), professeur de physique et de mathématiques, minéralogiste et
ingénieur-géographe, avait, en 1760, collaboré avec Desmarest à l’étude des volcans
de l’Auvergne. Il se brouillera avec celui-ci, à la suite de la publication d’un
Mémoire sur le zéolite, dans les Recherches de Faujas, où il tentera de s’approprier
la découverte de ce minéral. Faujas et Pasumot avaient tendance à considérer le
volcanisme et ses produits comme leur chasse gardée.

17
MÉMOIRE
Sur la liaison des volcans d’Auvergne avec ceux du
Gévaudan, du Velay, du Vivarais,
du Forez, etc. ; par M. PASUMOT, Ingénieur du Roi,
etc. ;
AUX AUTEURS DU JOURNAL DE PHYSIQUE.
MESSIEURS,
Je suis très peu surpris que M. Chaptal ait
découvert un volcan éteint dans le Gévaudan. Si ce
Naturaliste eût fait quelques recherches, il en
aurait pu reconnaître peut-être deux cents. Il
ignorait sans doute que ceux de la Province
d’Auvergne se sont étendus dans le Gévaudan, le
Velay, le Vivarais, et qu’en se prolongeant du Velay
au nord, ils ont embrasé les montagnes du Forez.
En disant que ce sont les volcans d’Auvergne qui
se sont étendus, peut-être me trompais-je, et que
ce sont ceux du Vivarais, du Velay et du Gévaudan,
qui ont embrasé les montagnes d’Auvergne, et qui
se sont ensuite prolongés pour incendier une partie
du Limousin, de la Marche et du Bourbonnais. Mais
comme la masse principale des montagnes des
Cévennes que j’ai traversées n’a été aucunement
volcanisée, et que le système montueux le plus
considérable et les plus élevé est celui de la
Province d’Auvergne, voilà pourquoi j’admets, par
supposition seulement, que les volcans d’Auvergne
se sont étendus.
Je vais, Messieurs, vous rendre compte des
observations que j’ai faites en 1766 sur la suite non
interrompue de ces volcans jusqu’aux Cévennes, en
traversant le Velay, une partie du Vivarais et du
Gévaudan, pour pénétrer dans le Languedoc. […]
L’itinéraire dont Pasumot rend compte quitte l’Auvergne au village
de Luc, où il avait fixé « le terme des volcans » de cette province.
Après une description biaisée par l’hypothèse d’une propagation des

18
« feux souterrains » selon des bandes liées à l’orographie55, dépité, il
ajoute :
[…] Comme Sauveterre, où M. Chaptal a
découvert un volcan éteint, est à six lieues et demi
ou sept sud-ouest de Luc, dans la direction
volcanique, il est naturel de penser que ce volcan
de Sauveterre n’est point isolé, et qu’il doit être la
suite de beaucoup d’autres.
Le ton condescendant de ce mémoire ne pouvait pas laisser Chaptal
indifférent. Bien qu’elle nous écarte de la Lozère, la réponse mérite
d’être citée. Le 29 octobre suivant, il prend adroitement prétexte des
prétendus « restes d’un ancien volcan, dont on aperçoit encore
distinctement la bouche, et dont le foyer, quoique comblé, n’est point
encore entièrement éteint », situé près le Village de Vénéjan, dont
parle Genssane dans son Histoire naturelle du Languedoc56, pour
écrire à Buffon57, ami de Pasumot et de Faugas :
Comme l’histoire naturelle vous est redevable,
M. le Comte, d’une grande quantité de ses progrès,
les naturalistes vous sont très tributaires de leurs
découvertes ; veuillez accueillir celle-ci, que je
regarde moins comme un fait nouveau, que comme
la réfutation authentique d’une erreur accréditée,
ce qui est également profitable à l’avancement de
la science.
Suit, l’explication du phénomène, résultant d’observations de
physiciens de Bagnols : la lueur observée de loin est celle de feux de
chenevottes58, allumés pour éclairer le travail de fileuses, travaillant de
nuit à l’approche de la foire du Saint-Esprit où elles vendent leur soie.
Il conclut :

55
Alors que les montées du magma profond en sont beaucoup plus
indépendantes, comme le montre la figure 3, ci-après.
56
Tome I, Diocèse d’Uzés, p. 155.
57
Buffon lui avait récemment écrit, à propos des Mémoires de chimie, une
« lettre apologétique », dans laquelle il disait, entre autres choses : « Ce que vous
dites de mes ouvrages est ingénieusement vu, très bien senti, et présenté avec autant
d’esprit que de grâce : continuez, Monsieur, et je vous prédis que vous serez un jour
un des premiers écrivains de votre siècle, et un des savants les plus illustres, etc. »
(Mémoires personnels, p. 28).
58
Brins de chanvre dépouillés de l’écorce.

19
Les paysans renvoyèrent ces observateurs, qui
s’étaient annoncés avec fracas, avec une salve de
cailloux que des Don Quichottes de l’histoire
naturelle auraient pris certainement pour une
éruption volcanique.
Je vous prie, M. le Comte, de donner de la
publicité à cette observation, pour prévenir contre
la grande facilité de notre siècle à trouver des
volcans partout, et pour engager les Naturalistes
qui ont inclut celui-ci parmi ceux qui brûlent
encore, à le rayer de leurs tablettes.
Je suis, M. le Comte, avec votre plus profond
respect, votre très humble et très obéissant
serviteur,
CHAPTUZ59, Professeur de Chimie des États
Généraux de la Province de Languedoc.
c/ Chaptal se présente à Paris comme professeur d’histoire
naturelle et de chimie docimastique, car ces disciplines correspondent
aux qualifications d’un inspecteur des mines — une fonction qu’il
brigue. À Montpellier, où il occupe officiellement une chaire de
chimie docimastique, s’il se déclare professeur de chimie, ce n’est pas
par modestie, comme certains l’ont écrit, mais parce qu’il entend
affirmer la globalité de cette science, qu’il exprime avec des accents
très rousseauistes, en conclusion du Discours préliminaire des
Éléments de chimie : « Tout ce qui est compris entre nos premiers
besoins qui sont si bornés, et l’excès du luxe, doit être regardé comme
l’ouvrage de la Chimie ; elle remplit, par de nouvelles combinaisons,
le vide immense que la nature paraît avoir laissé dans la création ; car,
comme le luxe nous a fait de nouveaux besoins, la Nature n’a point
compris dans son plan primitif les moyens de les satisfaire, et la
Chimie commence son travail où finit le sien ».
d/ L’explication la plus simple de la disparition, entre le texte de
Montpellier et celui de Paris, de la mention de Guettard et de
Desmarets, et de l’apparition de celle de Genssane, est que Chaptal a
préféré, lors de la mise au point de la version définitive, se limiter aux
publications les plus récentes faisant le tour du sujet. Les Recherches
59
Sic. La lettre figure avec cette signature dans le Mercure de France du 7
décembre 1782. Chaptal insérera cette anecdote dans ses Éléments Chimie (tome 3,
note p. 211).

20
de Faujas ont été publiées en 1776, ainsi que le Mémoire sur les
volcans éteints du Velay et du Vivarais de Genssane. Les deux
premiers mémoires de Montet, le découvreur du volcanisme du
Languedoc, ont certes paru en 1762 et 1768 dans le Recueil de
l’Académie des Sciences, mais il y a publié deux autres mémoires de
minéralogie en 1780 et 1781. Enfin, Genssane signale dans le chapitre
consacré au diocèse de Mende de son Histoire naturelle de la
Province de Languedoc60, des « prétendus charbons qui n’étaient
qu’un amas considérable de laves, provenant d’un volcan » éteint, à
un quart de lieue de Langogne. D’après Buffon 61, Genssane aurait
observé, dans le seul bas Languedoc, « dix volcans éteints, dont les
bouches sont encore très visibles. »
e/ La qualité de la description du sédiment calcaire ne surprend pas.
À Paris, Chaptal a eu accès au cabinet minéralogique de Sage 62 et il a
beaucoup fréquenté Romé de Lisle63 qui possédait une importante
collection. Pour la préparation de son cours, il a lu et assimilé tous les
ouvrages ayant trait à la lithologie, publiés en Europe64. Il a également
constitué, à Montpellier, puis à Toulouse, un cabinet de minéralogie,
complément indispensable d’un cours orienté vers la pratique65. À
60
Page 260 du tome II. Le volcan de Bonjour, plus grand que celui de
Sauveterre, est mentionné dans les guides touristiques.
61
Histoire naturelle des Minéraux, t. II, p. 84
62
« L’étude des minéraux ne peut se faire que d’après les morceaux bien choisis,
bien caractérisés, auxquels l’analyse a assigné une véritable place, » écrit Sage en
avertissement de la Description méthodique du cabinet de l’École royale des Mines,
publiée en 1784. Y sont décrits les quelque 6 500 échantillons que Chaptal a pu
étudier. Enrichi au XVIIIe siècle des collections de Malsherbes, de Guettard, de De
Dietrich, de Lavoisier, du séminaire de Saint-Sulpice, de Joubert, etc., et de bien
d’autres ensuite, le musée de minéralogie l’École des mines de Paris continue de se
développer.
63
« Je cultivai beaucoup Romé de Lisle », écrit-il dans ses Mémoires personnels.
Esprit supérieur, doté d’une culture encyclopédique, Romé de Lisle était un homme
intéressant à fréquenter. Proche des Encyclopédistes, il ne ménageait pas ses
critiques à l’égard de Buffon et des membres de l’Académie. Comme de son aîné
Pinel auquel il se lia lors de ses études de médecine, Chaptal avait beaucoup à
apprendre de Romé.
64
La plupart ont été traduits en français ; pour les autres, il est aidé par sa
pratique du latin. En note, à la page 5 du tome II des Éléments de chimie, il renvoie à
vingt-sept auteurs, suivis d’un généreux « etc. ». Il les a parfaitement assimilés pour
établir sa méthode, fondée sur le concours « des caractères du naturaliste avec ceux
du chimiste », exposée dans l’introduction de la section Lithologie — relevant ainsi
le défi lancé par d’Holbach, qui doutait qu’on puisse jamais concilier ces deux
points de vue (article Minéraux de l’Encyclopédie).
65
« Je possède des échantillons de feldspath d’Auvergne, dont les prismes
tétraèdres aplatis sont terminés par un sommet dièdre. » (Éléments de chimie, t. II, p.
133). Lors de leur séance du 5 janvier 1782, les États de Languedoc mentionnent

21
noter le spath à tête de clou, auquel se réfère Haüy pour critiquer la
théorie cristallographique de Bergman66.

Fig. 2 — Planche III, de l’Essai de cristallographie de Romé de l’Isle. Première édition,


Didot jeune, Paris 1772. Fonds numérisé de l’université de Strasbourg (SICD,
http://www-sicd.u-strasbg.fr ; droits de reproduction réservés et limités).

f/ Ce volcan est minuscule : 40 mètres de diamètre à la base,


12 mètres au sommet, 8 mètres de haut. Bernard Gèze précise, à
propos des manifestations volcaniques des Causses : « Les volcans
véritables, avec des cônes formés par l’accumulation de produits
une « somme de première mise […] pour former les cabinets et laboratoires » des
chaires de Montpellier et de Toulouse.
66
Extrait d’un mémoire sur la structure des spaths calcaires, approuvé par
l’Académie royale des Sciences le 22 décembre 1781, publié dans le Journal de
physique (t. XX, part. II, juillet 1782 p. 33), Haüy montre, d’après des mesures et
des calculs d’angles, qu’il n’est pas possible que tous les cristaux calcaires aient un
noyau rhomboïdal unique, comme le soutient Bergman, mais qu’ils dérivent d’un
petit nombre de formes naturelles simples.

22
pyroclastiques, se rencontrent un peu partout sauf dans la région
montpelliéraine. La majorité de ceux des Causses sont de petite taille,
de quelques mètres à rarement une dizaine de mètres de haut. Ce sont
seulement de petits puys qui n’ont dû avoir qu’une durée éphémère, la
lave arrivant on peut dire presque à bout de souffle au niveau de la
surface67 » (Fig. 3).

Fig. 3 — Schéma des types de volcanisme suivant un axe nord-sud allant des
Causses à la Méditerranée (Gèze, 1955).

g/ La mention de l’abondance des sapins, suffisante « pour fournir


aux feux des fourneaux, sans nuire aux usages domestiques » renvoie
à une préoccupation majeure des États du Languedoc. Dans un
mémoire ultérieur, relatif une mine d’alun, Chaptal est plus explicite :
dans un pays où le bois suffit à peine à fournir
aux besoins d’autres nécessités, il serait inhumain
d’en retrancher une partie pour les services d’une
manufacture ; ce serait violer les droits sacrés des
propriétaires que de jeter les fondements d’une
semblable exploitation sur la ruine de quelques
communautés68.
La référence au contexte socio-économique et à la nécessité de
respecter son équilibre « naturel » est une constante chez Chaptal, qui
développera cet aspect dans un passage bien connu du Discours
préliminaire de sa Chimie appliquée aux arts (1807).
h/ Telle que décrite, la mare est, bien sûr, une lavogne69 !
i/ La description par Chaptal des « espèces de basalte » observées à
Sauveterre est extrêmement intéressante :
67
Op. cit. p. 77.
68
Mémoire sur une mine d’Alun, découverte par le M. le chevalier de Morlhon…
(1784), déjà cité.
69
Lavogne ou lavagne : ce mot caussenard désigne une mare aménagée, dont
l’étanchéité est assurée par une couche d’argile ou un fond pavé (Guide vert
Michelin, Causses, Cévennes, Bas-Languedoc, Clermont-Ferrand 1982, p. 12).

23
– À noter d’abord que le mot « espèce », hérité des classifications
des être non minéraux, prête à confusion, car à l’époque on ne savait
pas ce qu’était une espèce minéralogique. Seuls les chimistes
pouvaient invoquer cette notion, en se fondant sur la composition
chimique des pierres ou roches, ce qui est insuffisant pour les classer.
Chaptal, préférera par la suite, dans ses enseignements de lithologie,
utiliser le mot « sorte », moins compromettant. Les basaltes décrits ici
sont des basaltes irréguliers contenant des corps étrangers, dont la
composition dépend du lieu et des circonstances de formation.
– Compte tenu de l’abondance des descriptions et collections de
basaltes, dont avait connaissance Chaptal — qui, on l’a vu, s’était
également constitué une collection 70 — il semble a priori vain de
tenter de rattacher cette description à une source particulière 71.
Néanmoins, certaines ressemblances s’imposent. Ainsi, la lave œil de
perdrix signalée dans la première version figure dans la Description
méthodique de la collection de Sage, mais avec des différences, car
celle de Sage (n° 15 du catalogue) est parsemée de grenats blancs et
opaques, alors que le basalte de Chaptal contient des géodes de
feldspath. Il renonce donc à cette désignation dans le texte du Journal
de Physique. Les trois espèces de basaltes décrites dans cette seconde
version, s’apparentent aux espèces de basalte du Vivarais, signalées
notamment dans la Description méthodique de Sage (n° 50 à n° 60) et
dans le Mémoire sur le basalte de Faujas. Le « spath calcaire de la
nature de celui d’Islande » contenue dans la deuxième espèce est du
zéolite, découvert aux îles Féroé par Cronsted, et décrit, entre autres,
par Bergman, Romé de l’Isle, Faujas et Buffon. Les échantillons que
décrit Faujas dans son Mémoire sur le zéolite ont également été offerts
à Sage, ce qui a permis à Chaptal de les étudier. Faujas, Malsherbes et
Pasumot ont observé des zéolites contenues dans des laves à Gergovie
et à Rochemaure, en Auvergne.
– La quatrième catégorie « renfermant des noyaux de pouzzolane »
renvoie directement aux Recherches sur les pouzzolanes de Faujas. À
l’époque, le meilleur ciment est encore le pouzzolane importé de
Pouzzoles, en Italie – dont le coût élevé conduit à rechercher d’autres
sources. Le ciment fabriqué avec les pouzollanes du Vivarais se
70
« Je possède des basaltes, en rhombes parfaits, en pyramides trièdres, etc. »
(Tableau analytique, p. 94).
71
On peut simplement supposer que le souvenir du cours de Sage, reçu avec un
esprit neuf, est resté vivace et que le Mémoire sur le Basalte de Faujas, faisant partie
des Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay lui a donné l’idée
d’affiner sa description.

24
révélera moins solide. Chaptal mettra donc au point un procédé de
fabrication de ciment à partir de terres ocreuses (contenant du fer) 72,
qui sont également des déchets de laves, donnant un mortier d’une
qualité comparable à celui utilisant les pouzzolanes importées. Ces
« pouzzolanes artificielles », dont la mise au point est un des résultats
qui lui ont mérité l’attribution de lettres de noblesse, sont à l’origine
des ciments modernes.
– Les essais mentionnés — vitrification, attraction par l’aimant,
essai de réduction par de la poudre de charbon — sont, avec
l’observation directe, nécessaires et suffisants, d’après les auteurs de
l’époque, pour caractériser le basalte73.
– La vitrescibilité du basalte sera mise à profit par Chaptal pour la
fabrication d’émaux et de verreries économiques 74 — autre résultat
invoqué par les États du Languedoc, pour demander son
anoblissement.
j/ L’observation sur l’ancienneté du volcan a été confirmée par les
études géologiques mentionnées plus haut.
k/ Cette description est effectivement « intéressante pour le
Naturaliste et utile au Peuple » :
– Bernard Gèze75 nous aide à préciser, a posteriori, son intérêt
« pour le Naturaliste » : ces édifices volcaniques (des Causses) sont
sans doute très modestes, mais leur modestie permet d’en « faire
aisément l’étude, alors qu’il est souvent impossible d’arriver à des

72
Observations sur quelques avantages qu’on peut tirer des terres ocreuses, etc.
(cf. supra). Sur cette question, cf. Pierre Gourdin : Savant et « artiste », la
docimasie (in Perronet, op. cit. pp. 48-57) et De Chaptal à James Parker ou la
naissance du ciment moderne (110e Congrès national des sociétés savantes,
Montpellier 1785, Histoire des sciences et des techniques, T. I., pp. 177-186)
73
Cf. la description relativement concise de Faujas : « Le basalte est une
véritable lave qui a incontestablement coulé ; cette matière qui n’a éprouvé qu’une
demi-vitrification se présente à nos yeux sous la forme d’une pierre plus ou moins
noire, dure, compacte, pesante, attirable à l’aimant, susceptible de recevoir le poli,
fusible par elle-même sans addition, donnant plus ou moins d’étincelles avec le
briquet, ne faisant aucune effervescence avec les acides. » (Minéralogie des volcans,
Cuchet, Paris, 1784, p. 1).
74
Dans son Mémoire sur le basalte (Recherches, note p. 156), Faujas signale que
les Suédois emploient le basalte dans la fabrication des bouteilles. Chaptal
perfectionnera le procédé : il ajoute de la soude, ce qui permet de réduire le feu,
donc d’économiser du combustible — tout en diminuant la consommation de soude
par rapport au procédé classique (Mémoire sur le moyen de diminuer la
consommation de soude dans les verreries, in Mémoires de chimie, p.91).
75
Op. cit.

25
certitudes dans le cas des grands appareils dont les produits masquent
toutes les relations avec les terrains environnants. »
– Dans ses Observations sur l’histoire naturelle des diocèses
d’Adge et de Bézier, Chaptal souligne l’utilité des volcans pour « le
Peuple ». Leur force, écrit-il :
…doit être considérée bien plus comme créatrice
que comme destructrice. C’est dans l’organisation
générale de la Terre un grand principe de
mouvement et de vie, et […] le ressort secret qui
remonte cette grande machine, lorsqu’elle
s’affaisse sur elle-même. Non seulement le feu des
volcans forme les îles, élève des montagnes et
rétablit ainsi à la surface du globe cette inégalité si
nécessaire à la circulation des eaux, et que cette
circulation tend toujours à détruire, mais encore il
enlève des substances cachées à d’immenses
profondeurs et qui auraient toujours été inutiles
pour nous et les répand sur cette surface sous la
forme de laves qui en se décomposant remplacent
cette portion des terres propres à la végétation que
les fleuves entraînent au fond des mers, ou qui sont
altérées et déguisées par leurs combinaisons avec
d’autres corps.
Il reviendra sur ce thème dans ses Éléments de chimie76, où il cite
Hamilton, qui :
considère les feux souterrains comme une grande
charrue dont la nature se sert pour retirer la terre
vierge des entrailles de la Terre et en réparer la
surface épuisée.
Chaptal prend cette métaphore très au sérieux. À un tel point qu’il
fait figurer les articles Du charbon de pierre et des bitumes et Des
volcans et de leurs produits, à la section cinquième, Des altérations
qu’éprouvent les végétaux morts, de la partie consacrée aux
Substances végétales de ses Éléments de chimie, et non dans celle
concernant les minéraux — ce qui sous-entend une conception
cyclique des rapports entre les trois règnes.

76
T III, p. 219

26
II. CHARBON
Les archives départementales de la Lozère conservent sous la cote
F1240, une série de lettres de Chaptal, adressées principalement à son
ami Lhermet77, syndic du Gévaudan, couvrant la période de 1785 à
1795. Témoignage précieux sur la personnalité de leur auteur et sur
ses relations avec ses « compatriotes » lozériens, ces lettres livrent une
chronique des événements révolutionnaires, vus par un observateur
détaché et ironique78 ; elles traitent aussi du thème qui nous intéresse
ici, à savoir une supposée mine de charbon, située au Villaret, à l’est
de Mende.

Contexte
L’industrie houillère du Languedoc relève aujourd’hui de
l’archéologie industrielle, après un lent déclin à partir des années
1960 ; mais elle remonte à des temps très anciens. Marcel Rouff cite,
dans son Étude des mines de charbon au XVIIIe siècle79, une légende
qui veut que les soldats de César, rencontrant dans le Forez des
hommes noirs de charbon, s’enfuirent épouvantés. Au cours des
temps, dans le Languedoc, comme ailleurs en France, les entreprises
minières se sont succédées, exploitées sans méthode, selon des
démarches opposant exploitants et mineurs, propriétaires du sol et
exploitants du sous-sol, sacrifiant la rentabilité durable au profit
immédiat, et sans tenir compte des répercussions de l’implantation
d’une nouvelle industrie sur les économies locales. Cette situation
chaotique, face au développement considérable, au XVIIIe siècle, de
l’industrie des étoffes, des peaux, des bougies, de la savonnerie, de la
papeterie, ainsi que de la métallurgie, confrontées à une véritable
disette du bois de chauffage, appelait une réglementation nouvelle : ce
fut l’objet de l’arrêt inspiré par Trudaine en 1744. Prenant la relève de
plusieurs législations — fondées d’abord sur la liberté complète
d’exploitation, puis sur la concession générale des mines accordée à
77
Né en 1725, Jean-Baptiste Bonicel de Lhermet, succède en 1754 à son père
dans les fonctions de greffier du diocèse de Mende. Nommé syndic en 1779, il voit
supprimer ses fonctions, en 1790, avec l’organisation moderne du département de la
Lozère. Emprisonné en 1792, il n’exerce aucune fonction publique durant la
Révolution. Il meurt à Mende en 1809 (d’après Remize, op. cit. infra).
78
Une transcription de la plupart de ces lettres a été publiée par l’abbé Remize,
in Chronique et mélanges, t. III, « B.L. 1923 », Société des Lettres, sciences et arts
de la Lozère, Mende, 1927, pp. 17-33.
79
F. Reider et Cie, Paris 1922. Un ouvrage de référence.

27
un seul concessionnaire et enfin sur une grande maîtrise chargée
d’accorder des concessions80 — dont aucune n’avait donné
satisfaction, cet arrêt instaura un régime de propriété régalienne du
sous-sol, assortie d’un système de concessions, réglant le problème
des conflits entre les propriétaires du sol et les exploitations et ouvrant
la voie au capitalisme moderne. Toutefois, le statut de propriétaire, de
l’État, lui imposait des responsabilités : vérifier la fiabilité financière
et les capacités techniques des postulants à une concession, s’assurer
de la valeur des gisements. Il fallait aussi former des administrateurs,
des ingénieurs et des inspecteurs.
Une difficulté supplémentaire résulte des préjugés, répandus en
France, sur l’emploi du charbon de terre.
Les États du Languedoc — province particulièrement pauvre en
bois — décidèrent de prendre des mesures. Genssane résume81 :
Les Seigneurs des États de cette Province,
toujours attentifs aux besoins des Peuples confiés à
leur administration, & à tout ce qui peut contribuer
à leur bien-être, ont senti combien il était
important de substituer l’usage du Charbon de
Terre à celui du Bois, dont on était à la veille de
80
Édictées successivement par Philippe le Long (1321), Henri II (1558) et Henri
IV (1601). Éléments tirés du livre de Rouff.
81
Discours préliminaire de son Histoire naturelle de la province de Languedoc,
partie minéralogique et géoponique, avec un règlement instructif sur la manière
d’exploiter les mines de charbon de terre (Rigaud, Pons et Cie, Montpellier, 1776,
version numérisée accessible à http://www.geolales.net/Gensanne.html), p. 10. Les
recherches minutieuses de Jean-Marie Schmitt (Aux origines de la révolution
industrielle en Alsace, Librairie Istra, Strasbourg, 1980) nous apprennent qu’Antoine
de Genssane (1708-1785) est né dans un hameau du Dauphiné portant le nom de sa
famille (devenu Genzana après le traité d’Utrecht). Il aurait fait des études de
mathématiques et de physique à Montpellier. À partir de 1733, il se forme sur le tas
aux techniques minières dans l’exploitation créée à Giromany par l’écossais Floyd
(arrière-grand-oncle de l’auteur cité page 6). Dès 1736, il présente à l’Académie des
sciences, dont il sera nommé correspondant en 1756, des mémoires ayant trait
d’abord à l’astronomie, puis, à partir de 1741, à l’exploitation des mines et à la
métallurgie. Portant le titre d’ingénieur du roi, il dirige et créée, de 1746 à 1760, de
nombreuses exploitations minières en Alsace et en Franche-Comté. Il visite et
inspecte des mines dans toute la France. D’abord concessionnaire de mines de
Franche-Comté, il est nommé, en 1765, directeur des mines du Languedoc et chargé
d’inspections dans la Province. En 1781, il se retire à Villefort, pour aider son fils à
exploiter des mines et des fonderies de plomb argentifère (appelées à connaître, avec
les mines de Vialas, un développement considérable au XIX e siècle). Ses
publications les plus connues sont : le Mémoire sur l’exploitation des mines
d’Alsace et du Comté de Bourgogne (1763), le Traité de la fonte des mines par le
feu du charbon de terre (1770-1776) et l’Histoire naturelle susmentionnée.

28
manquer ; mais pour parvenir, à un point de vue
aussi salutaire, il était indispensablement question
de deux opérations préliminaires ; la première était
de faire une exacte recherche des différents
endroits ou l’on pourrait extraire du Charbon de
Terre qui fut assez à portée des Villes principales,
pour que le prix des voitures n’excédât pas les
facultés du Peuple ; la seconde était d’apprendre au
Public la manière d’employer & de faire usage de
ce fossile dans tous les besoins qui exigent le
concours du feu, & ce qui était bien plus difficile
encore, de vaincre le préjuge général de la Nation
contre l’usage de ce même fossile ; préjugé dont on
devrait être enfin revenu, & qui consiste dans la
fausse idée que ce Charbon contient un souffre
préjudiciable à la santé, que son odeur est
désagréable & que ses vapeurs gâtent les meubles.
Les États décidèrent donc, lors de leur assemblée de 1772, « qu’il
serait dressé un corps d’instructions sur l’emploi du
charbon de terre dans tous les feux destinés aux
usages domestique et à différents actes; et que l’écrit
qui le contiendrait serait présenté aux états pendant
leur assemblée de l’année suivante, pour être, en cas
qu’il remplît leurs vues, publié et répandu sans délai
dans la Province », dont ils passèrent commande à Venel. La
mission d’« exacte recherche des différents endroits où l’on pourrait
extraire » le charbon de terre fut confiée à Genssane, qui reçut
également commande d’un Règlement instructif pour l’exploitation
des mines de charbon des Cévennes, et autres endroits de la Province
du Languedoc. Genssane et Venel82 s’accordaient sur le fait que
l’usage du charbon de terre, loin de nuire à la santé, lui est au contraire
favorable83 , mais ils étaient en désaccord sur l’emploi du mot
dessoufrer84. On assiste là à un différent, très instructif du point de vue
82
Son rapport remplit le cahier des charges de la mission confiée à son auteur,
comme l’indique le titre : Instruction sur l’usage de la houille, plus connue sous le
nom impropre de charbon de terre, pour faire du feu ; sur la manière de l’adapter à
toute sorte de feux ; et sur avantages, tant publics que privés, qui résulteront de cet
usage (Regnault, Avignon, 1775).
83
Op. cit. p. 15.
84
Le dessoufrage consistait à brûler le charbon minéral gras (bitumeux, écrivait-
on au XVIIIe siècle), selon un procédé semblable à celui de la fabrication du charbon

29
de l’histoire des idées scientifiques, entre deux tenants de l’ancienne
chimie, pour lesquels le carbone n’est pas un corps simple, mais un
mixte : combinaison « d’une terre et du principe inflammable », pour
Venel85 , qui n’exclut pas toutefois, l’origine végétale du charbon ;
« terre argileuse, mêlée d’assez de charbon et de soufre pour qu’elle
soit combustible86 », pour Genssane. Ce dernier s’est en effet forgé
une théorie physico-chimique originale, inspirée de la Physique
souterraine de Becher, étayée par ses observations et exposée dans les
longs Discours préliminaires des tomes I et II de son Histoire
Naturelle, selon laquelle la formation du charbon, du quartz et des
métaux résulterait de l’élévation vers la surface de la Terre, de la
chaleur issue d’un feu central87, produisant des vapeurs vitrioliques.
Cette théorie (fausse !) a, pour Genssane, deux conséquences
pratiques. La première est que la présence à la surface de terres
fauves, résultant de l’action sur les terres alumineuses des dites
vapeurs vitrioliques, est l’indice de l’existence de charbon de terre
dans le sous-sol. La seconde est que les mines de charbon peuvent en
quelques années se régénérer, et qu’il convient donc de remettre en
exploitation des travaux abandonnés — ce qui est conforme à sa
stratégie de reprise d’anciennes mines.
Les index des tomes I à IV récapitulent les « lieux où se trouvent
des mines de charbon ». Il est ainsi possible de dresser un état des
lieux à la fin des années 1770 : dans les dix-neuf diocèses que compte
la province du Languedoc, Genssane recense quatre-vingt-un sites,
dont quatre dans le diocèse de Mende (qui comprend une partie des
Cévennes), ce qui correspond exactement à la moyenne.
Le Règlement instructif, donné dans le Discours préliminaire du
tome I, très complet et témoignant d’une grande expérience pratique,

de bois, pour produire un combustible propre et efficace — le coaks des Anglais,


devenu coke, dont Genssane fut un pionnier de l’utilisation en métallurgie.
85
Le principe inflammable est le phlogistique de Stahl, dont le charbon se sépare
lors de la combustion, pour donner de la chaleur et une terre (pour nous un oxyde).
Cf. article Charbon de l’Encyclopédie.
86
Comme le résume Buffon dans son Histoire naturelle des minéraux, t. I,
p. 442.
87
Il s’appuie notamment sur l’observation qu’il a faite dans les mines d’Alsace,
que la chaleur augmente avec la profondeur des mines. Il fut l’un des premiers à
constater cette augmentation. Dortoux de Mairan (1678-1771) le cite dans l’édition
de 1749 de son Traité sur la glace. Genssane s’inscrit explicitement en faux contre
la théorie de Woodward et de Werner, également adoptée par Buffon, d’une origine
végétale du charbon de terre. Pour lui, le « charbon fossile » existe, certes, mais il
est très rare.

30
se conclut par un énoncé des compétences que doit posséder le
régisseur des travaux d’une mine. « L’art des mines est de tous arts
sans exception, celui qui demande les connaissances les plus
étendues », dont l’étude ne peut pas se faire « aux dépens de l’objet
même de l’étude ». Il faut, entre autres, connaître la minéralogie, la
géométrie souterraine, la mécanique, l’architecture hydraulique, et,
surtout être « au fait de la docimasie, c’est-à-dire de l’art des essais ».
Tel est précisément l’objet des enseignements de Chaptal, qui, de
son côté, ne chôme pas. En 1782, une seconde chaire — de chimie-
docimatique — est créée pour lui à Toulouse. En 1784, il lance une
usine de produits chimiques à La Paille, près de Montpellier. Il envoie
régulièrement des Observations au Journal de Physique. La Société
des sciences de Montpellier retient quatre fois de suite des mémoires
qu’il présente lors des séances publiques, pour le Recueil de
l’Académie des Sciences de Paris (et lui accorde à ce titre un prix,
créé par Montet). Ses cours à Montpellier et Toulouse connaissent un
grand succès. En 1780, il présente à la Société des Sciences un
Mémoire sur quelques établissements utiles à la Province du
Languedoc88, orienté vers l’exploitation des ressources
minéralogiques. La Société des sciences lui confie systématiquement
l’examen des mémoires qui lui sont soumis 89. Il profite de ses navettes
entre Montpellier et Toulouse et du peu de temps que lui laissent ses
multiples activités pour explorer la Province et il présente des rapports
sur ses ressources90 ; il est plusieurs fois choisi pour faire partie de
commissions chargées d’examiner de nouvelles techniques ou de
proposer des réformes91. Le Tableau analytique de son cours de
chimie, qui parait en 1784, mentionne son appartenance à l’Académie
de Médecine de Paris et son titre de membre associé de la Société
Patriotique de Milan92.

88
Mémoire sur les moyens simples et peu coûteux de faire : 1° du soufre et du
vitriol ; 2° du brun rouge ; 3° du verre sans le secours de la soude. Les pyrites du
Languedoc ; le bol jaune de Saint-Victor près Uzès et le Salicor dont ont retire la
soude. Le marbre blanc des Combes de Vallinière. Également publié dans le Journal
de Physique : Premier mémoire sur quelques établissements utiles à la Province de
Languedoc (t. XVII, part. I, mai 1781).
89
Nombre des manuscrits conservés aux Archives départementales de l’Hérault,
portent des annotations de sa plume, en général sévères.
90
Par exemple, Rapport sur les plantations de coton, Analyse de la mine de
plomb et argent de Saint-Sauveur, Observation sur l’histoire naturelle, déjà citées,
des diocèses d’Adge et de Bézier, puis d’Allais et d’Uzès, Mémoire sur une mine
d’alun découverte le long de la rivière d’Alrance, etc.
91
Henri Michel, Les chemins de la réussite (in Peronnet, op. cit., p. 21)

31
En même temps, il a soin de se faire connaître auprès de
personnalités influentes dans le domaine des mines, comme en
témoignent ses lettres à Buffon (citée plus haut) et à la Boullaye93.
Le 14 juin 1784, il est nommé inspecteur honoraire des mines 94 de
la Province du Languedoc. Et le 20 juin 1785, les États du Gévaudan,
lors de leur assemblée tenue à Mende, annoncent que :
M. Chaptal, Professeur de Chimie, dont les
talents et les connaissances supérieures lui ont
mérité, de la part du Gouvernement, le titre
flatteur, d’Inspecteur honoraire des Mines de cette
Province, doit se rendre au premier jour dans ce
Diocèse que son zèle pour le bien public et son
amour pour la patrie doivent faire espérer qu’il
voudra bien présider à ces recherches [de charbon], et
diriger ceux qui seront chargés de les faire95.
À la session du 10 juin 1787, le syndic (Lhermet) déclare :
que pour répondre au vœu du pays, annoncé
dans les délibérations de l’Assemblée, MM. les
Commissaires firent faire, l’année dernière, des
fouilles à Issenges, près Florac, pour la découverte
d’une mine de charbon de terre, qui leur avait été

92
Peronnet (op. cit. p. 295) précise qu’en 1787, il aura été reçu membre de neuf
sociétés savantes, dont celles de Toulouse, Dijon, Nîmes, Turin et Milan.
93
Cette lettre traite de la fabrication du verre et de la préparation de l’étain
(catalogue de l’exposition organisée en 1956 par les Archives départementales de la
Lozère, pour le bicentenaire de la naissance de Chaptal). Douet de la Boullaye eut la
responsabilité d’Intendant général des mines, minières et substances terrestres de
1782 à 1787. Il proposait au Conseil d’État les nominations des inspecteurs des
mines.
94
Les circonstances de la nomination de Chaptal à cette fonction et son activité à
ce titre méritent un complément d’étude. Il serait intéressant de savoir comment ses
activités s’articulèrent avec celles du fils de Genssane, qui succéda en 1781 à son
père, comme inspecteur des mines du Languedoc. L’assertion de Birembaut, selon
laquelle Chaptal se serait autoproclamé inspecteur honoraires des mines
(cf. L’enseignement de la minéralogie et des techniques minières, in Enseignement
et diffusion des sciences en France au XVIII e siècle, sous la direction de René Taton,
Hermann, Paris 1964, p. 383.), est infondée — comme le confirme l’extrait des
délibération des État du Gévaudan, qui suit. Quoi qu’il en soit, son action fut
fructueuse : Henri Michel indique que « grâce à la reprise d’anciennes mines et à la
découverte et à la mise en exploitation de nouvelles, il a réussi à faire passer le prix
du charbon vendu à Montpellier de 45 à 31 sols le quintal. »
95
États du Gévaudan. Délibérations, 1782-1785, Diocèse de Mende, p. 74, A.D.
Lozère C 807 (cité par Remize).

32
indiquée par M. Chaptal, inspecteur honoraire des
mines de la Province ; qui semblaient annoncer le
minerai, mais, comme on ne pouvait être assuré de
l’abondance de la mine ni de sa bonne qualité, on
suspendit des ouvrages qui auraient engagé le pays
à de fortes dépenses, auxquelles on ne peut se
livrer que lorsqu’on est assuré du succès », que M.
Chaptal, qui fut consulté, fut d’avis qu’avant de
donner suite aux travaux commencés on sondât le
terrain, et, par une suite de son zèle et de l’intérêt
qu’il prend à ceux de ce pays, il offrit de faire faire
une sonde à Toulouse, à l’instar de celle de
Hollande ; mais l’ouvrier ayant été
malheureusement malade pendant longtemps n’a
pu y travailler ; ce retard en a mis dans les
nouvelles recherches ; qu’on les fera avec
économie lorsqu’on aura reçu cette sonde ; que si
le résultat en est avantageux, on pourrait continuer
cette activité, si l’assemblée l’autorisait à fournir à
cette dépense, sur les fonds que M. le Receveur
pourrait avancer.96
À la session suivante, il ajoute :
que, sur ses instances, M. de Puymaurin, syndic
général de la Province, a commandé une sonde à
un ouvrier de Toulouse, que son exécution a été
surveillée par M. de Saget, directeur des travaux
de la Province, et qu’elle coûtera 632 livres 6 sols,
non compris le port de Toulouse à Mende.

Extraits de lettres
8 mars 1785
Chaptal a l’honneur de présenter ses respects à
M. Davu97 et de lui envoyer sa réponse aux lettres

96
Bull. Loz. États 1787, p. 409, également cité par Remize.
97
Il s’agit d’un des fils, étudiant en médecine à Montpellier, de Noël Davu (qui
fut avec Cambacérès témoin du mariage de Chaptal), premier secrétaire de
l’Intendance des États du Languedoc — auprès desquels Chaptal avait sollicité une
prime pour compenser le prix élevé du salpêtre, dont il consommait une grande
quantité dans son usine de la Paille et qu’il était obligé d’acheter à la régie nationale.

33
et mémoires qu’il a eu la bonté de lui envoyer. Il
croit bien inutile de proposer un plan
d’exploitation. Ce serait mettre, comme on dit, la
charrette avant les bœufs ; il faut premièrement
constater la présence d’une mine et en second lieu
il faut connaître le local bien plus parfaitement que
sur une carte pour entreprendre l’exploitation la
plus avantageuse. Chaptal prie encore M. Davu de
rappeler à M. Blanquet l’affaire sur laquelle on lui a
écrit de Lyon, pour prendre des informations à
l’intendance.

Rapport joint à la lettre98


D’après le plan et les détails que m’a
communiqués M. Blanquet, il n’est pas douteux
qu’il existe des veines de charbon dans la
montagne dont il est question. Mais les annonces
sont-elles suffisantes pour décider une
exploitation ? C’est la question dont il importe de
donner une solution.
I° Cette montagne est presque toute calcaire : ce
qui donne des indices bien peu favorables pour
l’existence d’une mine de charbon dans l’intérieur.
2° Ce qu’on annonce pour une couche de schiste,
n° 5, me paraît suspect, parce qu’on trouve
immédiatement par-dessous, n° 7, des couches de
terre calcaire, et le véritable schiste servant de
gangue ou de matrice au charbon ne repose jamais
sur le calcaire. On peut s’en être laissé imposer par
la couleur, par la disposition des feuillets, qui
parfois imitent le schiste à s’y tromper. J’ai vu fort
souvent des roches calcaires imprégnées d’un
bitume noir ne faisant plus aucune effervescence
avec les acides.
98
Note de Remize : « M. Blanquet, propriétaire du domaine du Villaret à l’est de
Mende croyait avoir découvert une mine de charbon dans la montagne voisine. Il
dressa une carte des couches de terrain et l’envoya, avec des échantillons de minerai,
qui lui répondit en lui exposant ses doutes ». Les réserves de Chaptal sont justifiées :
on n’exploita jamais de mine de charbon au Villaret (à ne pas confondre avec le
village de même nom, situé dans les Alpes, où une importante exploitation a
fonctionné jusqu’en 1956).

34
Ainsi tel indice qui paraît sur la carte favoriser
l’idée de l’existence d’une mine ne me paraît pas
mériter beaucoup d’attention
3° L’échantillon de charbon qui m’a été remis est
encaissé entre deux couches de pierre calcaire ; il
est cloisonné intérieurement par des veines ou
infiltrations de spath calcaire qui en font une
mauvaise qualité.
Ainsi, l’inspection des lieux prise sur la carte qui
nous a été communiquée et la nature du charbon
qui nous a été remis ne nous permettent point de
conseiller l’exploitation de cette mine. Les indices
connus jusqu’ici sont trop faibles pour qu’un
homme prudent puisse, d’après eux, se former et
exécuter un plan d’exploitation.
Cependant, comme la découverte d’une mine de
charbon serait infiniment précieuse pour le
Gévaudan, et que M. Blanquet est tout aussi
fortement animé du bien public que de son intérêt
particulier, nous croyons pouvoir donner les
conseils suivants :
I° Il faut examiner si, dans le voisinage, le schiste
ou le grès ne se présente point sous le calcaire. Les
probabilités de l’existence du charbon
deviendraient alors bien plus fortes, et on pourrait
prudemment se livrer à un travail suivi.
2° On peut encore faire un puits ou une
excavation quelconque dans la partie la plus
fortement imprégnée de charbon, toujours dans la
direction de la couche charbonneuse, et on
s’assurera par là si le charbon gagne en qualité et
en quantité. Si les progrès de l’amélioration de la
mine étaient sensibles, on pourrait poursuivre, et
alors on s’occuperait de former un plan
d’exploitation raisonné.
3° Je me propose d’aller dans le Gévaudan au
mois de juillet prochain, et je me transporterai sur

35
les lieux, pour [me] prononcer sur le succès de
cette mine avec plus de certitude.
A. Chaptal, prof. de chimie et inspecteur des
mines du royaume.

1er avril 1785


Je ne désire pas moins que vous, Monsieur et
Cher Confrère99, l’existence d’une mine de charbon
dans votre terrain ; le bien public et votre intérêt
personnel sont deux motifs pour exciter nos désirs,
mais, pour agir prudemment, il faut tout au moins
consulter les circonstances locales avant de
prendre une décision, car ce sont là les seuls
symptômes que nous puissions consulter ; or
l’inspection de votre carte m’a paru fournir plus de
raisons contre que de raisons pour.
Je n’ai jamais disconvenu qu’on ne trouvât du
charbon sous les calcaires, mais dans les plans que
vous m’avez envoyés, vous avez encore marqué des
couches calcaires sous la veine de charbon, ce qui
change totalement les choses.
Je conviendrais même qu’on trouve du charbon
dans le calcaire, mais ce sont là des indices dont il
faut se méfier.
Je viens à ce moment d’inspecter une mine de
charbon entre Ganges et Lodève. Cette mine
s’annonce assez avantageuse, on trouve des masses
de charbon à la surface ; mais par malheur elle est
dans le calcaire et dans la profondeur on n’en a pas
plus trouvé qu’à la superficie du terrain, ce sont
toujours des blocs de charbon isolés, réunis
quelquefois par des veines minces et spathiques
quoique bitumeuses, de sorte qu’on ira aux
antipodes sans trouver un filon suivi.

99
Lettre sans mention du destinataire, mais vraisemblablement adressée à
Blanquet, dont un neveu s’appelait Bonnel. Cette hypothèse est confortée par le
« Cher confrère », que pourrait valoir à Blanquet son titre de correspondant de la
Société des sciences de Montpellier.

36
Si toutefois la nature du terrain se change ainsi,
Monsieur, on peut trouver de bonnes veines
dessous les calcaires, mais jamais dessus ni dans le
calcaire, voilà les résultats des observations de
tous les naturalistes.
Les terres bitumeuses fauves, indice presque
certain des charbons selon M. de Buffon, sont des
expressions vagues et qui ne tiennent à aucune
classe connue parce qu’elles appartiennent à
toutes ; dire qu’une terre est limoneuse et jaune, ce
n’est point en dire la nature ; la nomenclature de
M. de Buffon et plusieurs autres naturalistes a été
prise dans l’extérieur et les apparences ; très
rarement dans l’essence et la nature des objets ; ce
qui fait qu’il faut voir, même après eux, pour
caractériser et spécifier.
Ainsi, Monsieur, avec le plus sincère désir de
vous annoncer du charbon, je me vois forcé tout au
moins de suspendre ma décision jusqu’à ce que
j’aie vu. C’est alors que nous pourrons sur les lieux
convenir des mots, nous accorder sur les choses,
décider ou renoncer à l’exploitation, et éviter
autant qu’il sera en nous, d’encourir les risques
d’une entreprise imprudente et ruineuse.
J’aurais plus tôt répondu, Monsieur, à la lettre
que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, si mon
voyage ne m’avait tenu absent pendant 10 jours :
prévenez M. votre neveu Bonnel, Monsieur, que je
n’ai pu présenter sa requête à M. de Cambacérès
que ce matin et que je lui rendrai réponse le plus
tôt possible.
J’ai l’honneur d’être, avec mes sentiments les
plus distingués, Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
A. Chaptal, prof.

37
11 juillet 1789
Post-scriptum à une lettre par laquelle Chaptal rend compte à
Lhermet des récents événements politiques et augure de l’avenir avec
un certain détachement :
Vous trouverez dans l’Histoire naturelle du
Languedoc par Genssane la description et la
manière d’employer votre sonde.

Commentaires
Les réponses de Chaptal se caractérisent par une extrême prudence,
fondées sur la connaissance de tous les auteurs ayant publié sur le
sujet et sur ses observations personnelles. Dans ses expertises, il « fait
concourir les caractères du Naturaliste avec ceux du Chimiste 100 ».
Pour les questions techniques, il renvoie à Genssane.
À noter en particulier :
a/ Dans la description des couches de terrain, évoquée au point 2°
du rapport joint à la lettre du 8 mars 1785, Blanquet s’est
consciencieusement inspiré des tableaux établis par Genneté101 pour
les veines de la montagne de Saint-Gille, près de Liège, reproduits
intégralement par Buffon dans le tome I de son Histoire naturelle des
minéraux102
b/ Concernant le « terres bitumeuses fauves », Chaptal ne renvoie
pas à Genssane, mais à l’Histoire naturelle des minéraux de Buffon,
car c’est d’une part visiblement la source de Blanquet, et d’autre part
parce que Buffon y réfute l’hypothèse de Genssane mentionnée plus
haut, ainsi que celle de Genneté qui soutient que le « charbon de terre
est produit par un certain roc ou grès auquel il donne le nom d’agas.
103
». Mais l’hypothèse de Buffon, selon laquelle la terre végétale est la
matrice de tous les minéraux, y compris le charbon 104 — et que « la
terre limoneuse ayant été entraînée par les eaux courantes et déposées
au fond des mers, accompagne souvent les matières végétales qui se
sont converties en charbon de terre ; [et] indique par sa couleur les

100
Éléments de chimie, t. 2, p. 5.
101
Claude-Léopold Genneté (1706-1782), auteur de la première monographie
française sur les mines de charbon : Connaissance des veines de houille ou charbon
de terre, et leur exploitation dans la mine qui les contient (Nancy, 1774).
102
Pp. 461 à 470.
103
P. 438.
104
P. 409 à 416.

38
affleurements extérieurs des veines de charbon » — n’est guère plus
soutenable. Chaptal s’abstient de discuter les théories de ses
contemporains ; il s’en tient à l’observation105.
c/ La sonde et sa mise en œuvre sont, en effet, longuement décrites
par Genssane106. Il s’agit d’une grande tarière composée de tiges
pouvant être ajoutées au fur et à mesure que le forage s’enfonce, et
d’un manche mis en rotation par plusieurs hommes. Les noms très
parlants et bien français des diverses têtes de forage mentionnées par
Genssane — cuillère, langue de bœuf, queue d’aronde, bonnet de
prêtre, mouton — portent à croire que son emploi était répandu en
France, en non limité à l’Angleterre, comme l’écrit Genssane, ou à la
Hollande, comme le dit Lhermet. D’ailleurs, Bernard Palissy, cher à
Chaptal et à Faugas107, en recommande l’utilisation dans son Discours
admirable intitulé Pour trouver et connaître la terre nommée marne108
— ce qui indique cet appareil est très ancien. Blanquet, qui ne
disposait pas d’une sonde, a dressé son tableau d’après les
effleurements à flanc de montagne.

III. L’INDUSTRIE EST FILLE DU BESOIN


En 1790, dans un texte109 très éclairant sur son état d’esprit à
l’égard des changements politiques qui s’opèrent, Chaptal invite à
appliquer les sciences et les arts à l’agriculture des Cévennes :
« Nulle part les rapports des l’agriculture et de
la population ne sont plus marqués que dans les
Cévennes : le sol n’y produit rien de lui-même, des

105
Dans ses Éléments de Chimie (Lithologie, t. II, p. 6), il mentionne en des
termes assez diplomatiques la « minéralogie de M. le Comte de Buffon, où ce célèbre
écrivain a rassemblé des faits nombreux et précieux, dont le mérite est indépendant
de toute théorie ».
106
Discours préliminaire du tome I de son Histoire naturelle, pp. 41à 49.
107
Qui a produit une belle édition des Œuvres de Bernard Palissy (Ruault, Paris
1777).
108
P. 413 de l’édition de ses Œuvres publiée à Paris en 1880 par Anatole France
(réimpression Statkine Reprints, Genève 1969).
109
Observations générales sur l’agriculture, considérée dans ses rapports avec
la prospérité de la France, suivies de quelques réflexions sur les ouvrages d’Olivier
de Serres (Imprimerie de Jean-François Picot, Montpellier, 1790). Il écrit : « Ah !
n’en doutons point, si les savants dont les écrits ont préparé et forcé la révolution qui
s’opère sous nos yeux avaient communiqué avec l’agriculteur, ils lui auraient donné
des lumières, ils lui auraient inspiré de la fierté, ils l’auraient passionné pour la
liberté, et ces lumières, cette fierté, cette liberté n’eussent jamais été les esclaves du
despotisme. ».

39
bois inaccessibles couvrent le sommet des
montagnes, des rochers arides en revêtent en
entier les collines, la pluie et les vents entraînent
dans les vallons et précipitent dans les rivières le
peu de terre qui se dépose, comme par hasard, sur
ces roches : que les soins de l’homme ne veillent
plus sur ce sol stérile, une seule famille de
Sauvages y périra de faim : mais que l’industrie de
l’homme se réveille, ces rochers arides seront
couverts de terre, leurs fentes recevront la racine
de mûrier et du châtaignier, le pampre de la vigne
suspendra ses fruits vermeils sur ces mêmes
précipices, et deux cent mille habitants y
trouveront leur subsistance. »
Dans le contexte montpelliérain, le thème du courage des habitants
des Cévennes et de la nécessité de développer les ressources de cette
contrée est un lieu commun, évoqué par les naturalistes — Astruc,
Genssane, Giraud Soulavie — et par les politiques 110. Les
Observations générales de Chaptal se caractérisent ici par un
enthousiasme frisant la grandiloquence révolutionnaire. Il convie les
divinités et héros des écrits de son cher Plutarque 111 — Isis, Osiris,
Cérès, Tripomène, Romulus, Numa, Ancus Marcius, Cincinnatus et
Attilius… qu’il fait suivre de Washington, de Lafayette et du duc de
Bedford ! Il loue les Romains d’avoir élevé un temple au Deus
Sterculus112, il glorifie l’Agriculteur qui « au titre de notre égal […]
joint celui d’homme utile et de père nourricier de la patrie », il

110
Le Mémoire que l’assemblée des États généraux de la province de Languedoc
a délibéré le 31 décembre 1779 de présenter au roi, sur l’article vingtième des
instructions de Sa Majesté à MM. ses commissaires aux dits États souligne la
nécessité d’encourager l’industrie des Cévennes et de prévoir un budget à cette fin.
111
Dans ses Mémoires personnels, Chaptal raconte que lors de ses études de
médecine à Montpellier, il s’était lié à Pinel qui lui conseilla de renoncer à l’étude
« des auteurs qui ne s’occupent que de théorie et d’explication, pour ne consulter
que trois auteurs, Hippocrate, Plutarque et Montaigne ». À force de les lire et de les
méditer, il en savait plusieurs chapitres par cœur. Sa conversion fut complète. Il prit
en horreur les hypothèses
112
Deus-Sterculus. Le tas de fumier est l’élément central du jardin décrit dans la
Recette véritable par laquelle tous les hommes de France pourront apprendre à
multiplier leurs trésors, de Bernard Palissy. Un des auteurs favoris de Chaptal, le
seul à avoir droit à une biographie, dans ses Éléments de chimie (note p. 82, t. II,
2e éd., Paris, an III) : un « grand homme » et un « génie original », pour qui « c’est
toujours la Pratique qui instruit la Théorique, écolière abondante en son sens,
indocile et ignorante ».

40
conspue l’homme des villes qui « n’est que l’artisan du luxe », alors
que « l’homme des champ est l’artisan de nos besoins » ; il se réjouit
enfin de « l’abolition de « cette loi fiscale113 qui s’opposait au droit si
naturel d’user de ce que la nature nous offre avec profusion » et qui
« fit plus de mal à l’agriculture que la grêle et la gelée ».
En 1798, après la tourmente, Chaptal a remis sur pied ses
établissements montpelliérains. Ayant « réparé sa fortune et reconquis
par là [son] indépendance114 », il monte à Paris pour s’y fixer. Il achète
des terrains à Neuilly et à Nanterre, pour y installer ses usines de
produits chimiques ; il est élu à l’Académie des sciences et il remplace
temporairement Berthollet comme professeur de chimie à l’École
polytechnique. Pressent-il qu’il sera un des principaux acteurs de la
reconstruction du pays115, lorsqu’il évoque sa Province, dans ce
mémoire lu à la Société d’Agriculture la Seine, le 20 juin 1798 ?
SUR LA MANIÈRE DONT ON FERTILISE LES MONTAGNES
DANS LES CÉVENNES.
L’INDUSTRIE est fille du besoin, et c’est d’après cet
axiome, dont la vérité est consacrée par
l’expérience de tous les pays et de tous les âges,
qu’on ne doit rechercher et trouver des prodiges en
Agriculture que dans ces lieux que la nature paraît
avoir voués à une stérilité presque absolue. Nulle
part cette vérité n’a reçue une confirmation plus
directe que dans cette chaîne de montagnes qu’on
appelle les Cévennes : des roches escarpées en
formaient originairement la presque totalité ; mais
la main de l’homme les a successivement
converties en terres fertiles ; et ce sol qui, jadis,
n’aurait pas fourni à la nourriture d’une famille de
sauvages, nourrit, en ce moment, deux ou trois cent
mille habitants ; là, tout est le produit de l’art, et
l’on peut y étudier d’autant mieux ce que peut
l’industrie, qu’elle a tout créé ; je vais dire par
quels moyens elle y est parvenue.

113
L’impôt sur le sel.
114
Mémoires personnels, p. 53.
115
Il sera nommé conseiller d’État en décembre 1799, puis ministre de l’Intérieur
en janvier 1801.

41
Je me bornerai pour le présent à porter
l’attention sur deux procédés qu’on y pratique
encore journellement, et dont l’adoption pourrait
devenir avantageuse à plusieurs autres cantons de
France.
Il est connu que les eaux qui coulent sur les
flancs d’une montagne, en entraînent les terres, et
y tracent des sillons plus ou moins profonds, selon
la dureté de la roche et la rapidité de la pente : ces
deux effets sont constants ; et, par une suite de ces
dégradations progressives, la roche la plus dure est
mise à nu ; il s’établit des ravins, qui, de plus en
plus, acquièrent de la profondeur, et nulle part la
montagne ne présente la moindre ressource à
l’Agriculture.
L’Habitant des Cévennes a trouvé le moyen de
corriger ce double effet des eaux, et de rendre à
l’Agriculture, par des procédés aussi simples
qu’ingénieux, les terres qu’elle avait perdues.
Je dirai d’abord de quelle manière il comble les
ravins et en fait des terres fertiles ; je décrirai
ensuite la méthode par laquelle il couvre de terre
végétale les flancs décharnés de la montagne.
Premier procédé.
Pour combler un ravin, il commence par élever
un mur à pierre sèche, au pied même de la
montagne, dans toute la largeur du ravin, et à la
hauteur, vers son milieu, de deux à quatre mètres
(six à douze pieds), selon la profondeur du ravin
lui-même. Ce mur forme une espèce de digue, qui
oppose son flanc au cours des eaux, et les laisse
filtrer au travers, tant elles sont limpides ; mais,
lorsqu’après l’orage, ou une forte pluie, elles sont
devenues troubles, par la terres ou les débris de
pierres qu’elles charrient, elles déposent contre le
mur presque toutes le matières qu’elles entraînent,
s’échappent presque pures à travers les joints de
pierres ; et, peu à peu, ce vide ou cet espace

42
triangulaire, dont le mur forme ses côtés se
remplit.
Dans l’angle rentrant, ou vers la pointe du ravin,
on élève un second mur parallèle au premier ; ce
mur qui, comme le premier, arrête et filtre les eaux,
détermine un second atterrissement ; on procède
successivement, de la même manière, jusqu’à ce
qu’on soit parvenu au sommet de la montagne. Par
suite de ce procédé ingénieux, se forment,
s’élèvent des atterrissements qui changent le ravin
en diverses couches de bonne terre, disposée par
échelons dans cavité du ravin lui-même. Alors les
eaux coulent sur les plans unis ; elles ne se
précipitent plus en torrents dévastateurs, du haut
des montagnes dans la plaine ; elles s’infiltrent
paisiblement dans la terre poreuse qu’elles ont
déposée contre les murs de soutènements ; et une
montagne, qui naguère présentait partout l’image
de la destruction, n’offre que des amphithéâtres de
terres végétales, sur lesquels peut s’établir la plus
riche culture.
Jusqu’ici, l’Agriculteur n’a travaillé qu’à vaincre
la nature ; il va s’occuper, dans ce moment, des
moyens de la faire produire ; et, après avoir excité
notre admiration, il va mériter notre
reconnaissance : il plante la vigne contre la partie
supérieure du mur, et la fait tomber sur la surface
extérieure pour qu’elle n’occupe pas inutilement un
terrain qui doit être employé à d’autres usages. Il
établit plusieurs pieds de mûriers sur chacun de
ces petits plateaux ; il y sème du maïs, des pommes
de terres, des légumes, des grains de toute espèce,
et y multiplie la culture avec d’autant plus
d’avantage, que le terrain en est vierge, bien
arrosé, et en général de nature très fertile : ces
vignes, ces arbres, ces légumes, raffermissent la
terre et brisent l’effort désormais impuissant des
eaux, de telle manière, qu’il est rare de voir
détruire, par des tempêtes, l’ouvrage du génie.

43
Deuxième procédé.
L’industrie de l’Habitant des Cévennes est au
moins aussi étonnante lorsqu’il s’occupe de
fertiliser le flanc d’une montagne calcaire : presque
partout, ces montagnes sont formées par des
couches de pierre d’environ un demi-mètre (un
pied et demi) d’épaisseur. Ces diverses assises
forment retrait l’une sur l’autre dans le sens de
l’inclinaison de la montagne ; mais l’Agriculteur
donne à tous ces échelons ou plateaux, une largeur
égale en brisant la pierre, dont il emploie les débris
à construire un petit mur sur le rebord du plateau
lui-même ; il remplit ensuite cet encaissement
d’une couche de terre végétale qu’il prend dans les
fentes de la roche, ou qu’il transporte sur son dos,
du pied même de la montagne où les eaux l’ont peu
à peu entraînée ; ainsi, après un travail opiniâtre, le
flanc de la montagne se trouve hérissé de petits
murs parallèles qui encaissent des couches de terre
végétale, d’un à trois mètres (trois à neuf pieds) de
largeur.
Il arrive souvent que les couches de terre sont
entraînées, et les murs renversés par suite d’un
vent violent ou d’une forte pluie ; alors on voit
l’Agriculteur réparer les dégâts avec courage. La
vie de l’Habitant des Cévennes ne présente qu’une
lutte soutenue entre lui et les éléments, qui
paraissent conjurés contre ses efforts. J’ai connu, à
Saint-Jean-de-Gardonenque, un homme industrieux,
agriculteur et médecin éclairé, le C. Pestre, qui,
muni d’un énorme chapeau de fer-blanc, qu’il fixait
à son corps par le moyen de courroies, vêtu d’un
long habit de toile cirée, se portait au milieu de sa
possession, à la première menace d’orage ; et là,
seul, une pioche à la main, conduisait l’eau au pied
des arbres, dirigeait et ramassait l’excédent dans
des bassins pratiqués dans le roc ; par ces moyens
pénibles, il prévenait constamment les inondations,
et se procurait de l’eau pour l’arrosage lorsque les

44
chaleurs brûlantes le rendaient nécessaire. Ses
voisins, qui selon l’usage, avaient commencé par
rire de ses sollicitudes, finirent par admirer son
industrie et envier ses récoltes ; je les ai vu
convenir que par ce travail, dont peu d’entre eux
étaient capables, il quadruplait le produit
accoutumé de son domaine.
Les exemples de ces prodiges d’Agriculture ne
sont pas rares dans les Cévennes ; mais je n’ai pour
but que de parler des méthodes générales, et il me
suffit, en ce moment, d’avoir indiqué la manière
ingénieuse par laquelle on fertilise une montagne.
On ne peut se défendre d’un sentiment
d’admiration mêlé d’un retour d’amour-propre,
lorsqu’on considère une de ces montagnes
arrachées par la main de l’homme à une stérilité
absolue, couverte, de la base au sommet, d’arbres,
de fruits, de grains et autres productions utiles.
S’il existait encore quelqu’un qui put révoquer en
doute ce que peuvent le travail et l’industrie sur
l’Agriculture, il suffirait de le conduire dans les
Cévennes.

IV. CONCLUSION
Trois idées-forces émanent de cette perspective lozérienne sur des
segments peu connus de l’itinéraire de l’illustre fils du Gévaudan :
– sur le plan scientifique (les volcans) : générosité de la nature,
capable de réparer d’elle-même la surface épuisée de la Terre ;
– sur le plan technique (le charbon) : nécessité d’une gestion avisée
des projets industriels, fondée sur une bonne étude de la situation
initiale, des ressources locales et du contexte socio-économique ;
– sur le plan éthique (les Cévennes) : l’industrie est fille du besoin.
Les deux dernières sont toujours d’actualité. La première doit être
actualisée en remplaçant une physico-chimie souterraine périmée par
une stratégie volontariste, aux échelles régionale, nationale et
mondiale, d’optimisation et d’économie de l’utilisation des ressources
naturelles, de recyclage, de développement durable, d’utilisation

45
judicieuse des biotechnologies et de préservation de l’environnement,
ainsi que d’enseignement des sciences de la nature.
La nature serait-elle moins généreuse qu’on le croyait au XVIII e
siècle ? Peut-être. Mais elle ne nous prend pas en traître et les
avertissements qu’elle nous lance, notamment par le biais des aléas
climatiques, méritent toute notre attention et nous invitent à suivre
l’exemple de l’« Habitant des Cévennes ».

46

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