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Courrier international — no 1446 du 19 au 25 juillet 2018

Douce Provence, cher pays de mes vacances ... II

Pages
Le plan de sauvetage des villages isolés ... III
Nice, métropole de la Méditerranée ........... IV
La culture se fait une place au soleil ...... VI
SPÉCIALES
Le temple des esthètes ..................... VII

La Provence
Goûter aux délices de la “petite Jérusalem” . VIII

vue par
la presse
étrangère

En partenariat avec
II. PAGES SPÉCIALES Courrier international — no 1446 du 19 au 25 juillet 2018

Douce Provence, cher


pays de mes vacances
Un journaliste allemand revient dans la région où, adolescent,
il a découvert l’intensité des couleurs et où il s’est mis à apprécier
des aliments qu’il exécrait enfant.

—Die Zeit (extraits) Hambourg aujourd’hui – et nulle part autant qu’à Avignon.
Ce n’est pas un veau d’or qui trône au-dessus

L
e meilleur moment, c’est quand le soleil de la ville, mais c’est à cela que fait penser la
revient. J’arrive à Cassis sous une averse. L’eau statue de la Vierge (quatre tonnes sur la balance)
a transformé les ruelles escarpées en ruis- qui se dresse en surplomb du palais des Papes.
seaux. Elle se fraie un chemin en gargouillant Aux pieds de la Madone, les gens prennent du
à travers les vignes, jusqu’à la Méditerranée. bon temps : un manège à l’ancienne fait tour-
J’arpente la promenade à pas lourds, les pieds ner ses petits chevaux, un homme pianote sur
trempés. Des bateaux blancs ballottent placide- son accordéon, un restaurant étoilé sert huîtres
ment dans la baie. Ça sent le goémon et l’air lavé et foie gras à tour de bras.
de frais. En quelques minutes, la mer change de Arles est plus vénérable encore, truffée de ves-
couleur, passant du gris nuage au bleu, un bleu tiges antiques ; mais ce n’est pas pour cette raison
surnaturel. Bientôt, toute la ville ruisselante se que je m’y rends. C’est à cause de l’homme qui
met à luire telle une peinture à l’huile. ici a vu la lumière. Vincent Van Gogh est passé
L’espace d’un instant, c’est comme avant, lors par la ville en 1888 et y est resté plus d’un an.
de mon tout premier voyage en Provence. Mes L’amphithéâtre l’intéressait peu, il n’assista pas
premiers palmiers, mes premiers champs de même une seule fois aux fameuses corridas dans
coquelicots, mes premières robes légères flot- les arènes. Ce qui l’envoûtait, c’étaient les cou-
tant sur les jambes cuivrées des dames. J’étais leurs des petites choses du quotidien, qu’il s’est
un jeune Rhénan à l’époque ; je ne connaissais mis à peindre fiévreusement. Il a écrit à son frère
rien de tout ça. J’avais l’impression d’avoir porté ce qu’il voyait : des vignes rouges, des montagnes
des lunettes de soleil pendant treize ans et de mauves, le ciel outremer parsemé d’étoiles roses.
découvrir tout à coup la lumière. La Provence, vaste muse sur laquelle le peintre
Depuis, la Provence m’a montré bien d’autres projette ses désirs. Outre Van Gogh, Gauguin
couleurs : le lever du soleil à travers une toile de et Picasso feront également des séjours à Arles. qui se dressent dans le panorama. C’est à cause
tente sur la plage de Toulon ; l’imprimé camou- Mais on peut dire que l’inspiration a longtemps Les photos d’elle que le paysage, si fleuri soit-il, conserve
flage des troncs des platanes à Aix ; la rouille de fonctionné à sens unique, les autochtones s’éton- Les photographies un soupçon de rudesse.
la bouillabaisse dans les gargotes du Vieux-Port nant simplement de la manière dont le Hollandais de ce supplément On escalade les collines par les calades, la
de Marseille ; le mauve laiteux des champs de voyait leur pays. Peut-être cela vaut-il encore ont été réalisées pierre sous les semelles, au milieu des cerisiers
lavande, dans un village dont j’ai oublié le nom. aujourd’hui pour tous les Nordistes qui s’éba- par Eric Franceschi. en fleur, en humant les herbes aromatiques qui
Cette fois, je commence mon voyage là où un hissent devant les murailles et les bouquets de Il réside au Brusquet, embaument au bord du chemin, quand le mis-
enfant voudrait aller. lavande – notre manie de porter du lin nous fait dans la vallée de tral daigne ne pas souffler trop fort. À Oppède-
Et ça fait plaisir, après toutes ces années, de se reconnaître de loin. la Bléone. Depuis le-Vieux, une paix royale m’attend : le village
retrouver sur ce pont, celui où on y danse tout en mai 2017, il travaille est interdit aux voitures. Des murs millénaires,
rond*. Le pont Saint-Bénézet d’Avignon précède sur le territoire bordés de peupliers et de cyprès. Le lieu était à
de sept siècles le vieil air populaire. Et à la grande Ici, le faste catholique desservi par le train l’abandon quand des oiseaux de passage l’ont
époque, il a dû être une attraction : c’était le pont rencontre l’épicurisme des Pignes. Entre Saint- ramené à la vie – des artistes, encore une fois.
le plus long d’Occident. Aujourd’hui, il faut un peu
d’imagination. Le tronçon qui subsiste s’élance
à la française. André-les-Alpes
et Annot, il va
C’est dans une de ces maisons en pierre ocre
que vit Ridley Scott, le réalisateur vedette de
tel un tremplin de pierre au-dessus du Rhône. à la rencontre des Hollywood. Ici, il est “exploitant agricole”.
Soit dit en passant, on serait bien en peine d’y Avignon et Arles, Aix et Orange, Saint-Tropez habitants et des La Provence est pétrie de contradictions : le
donner un bal – le tablier est bien trop étroit. La et Cavaillon…, en Provence, tous les noms de paysages pour poser glamour et l’attachement au terroir, les palmiers
chanson n’en illustre pas moins une vérité géné- ville ou presque sont porteurs d’une promesse. son œil mi-amusé, et les cactus, la montagne et la mer. À Cassis, le
rale : Avignon était, et reste, une ville enjouée. La Mais c’est dans les villages dont personne n’en- mi-poétique sur dernier jour, un arc-en-ciel se dessine dans le
“Babylone d’Occident”, comme l’avait baptisée tend parler que l’on ressent mieux encore le cœur ce petit morceau ciel. Les gens sortent des maisons. Les boules
naguère l’austère Pétrarque. Le poète [florentin] de cette région. Ceux sur lesquels on tombe en de Haute-Provence. se remettent bientôt à rouler sur la terre encore
s’était installé en Provence à la suite des papes ita- arpentant les calades, ces sentiers pavés qui tra- Eric Franceschi  humide. Sur la place du village, je trouve sans
liens et s’était rendu compte avec horreur que le versent la moitié de la région. Le développement est distribué par mal une place à une terrasse. Au-dessus de l’en-
clergé s’y adonnait aux plaisirs profanes. de la Provence fut surtout une affaire d’épierre- Divergence Images. trée, la seule mention “Épicerie” laisse penser
En Provence, le faste catholique rencontre ment. Encore aujourd’hui, la pierre est partout, que le troquet n’a pas de nom. Le patron et la
l’épicurisme à la française. On le constate encore des blocs calcaires dans les vignes aux rochers patronne, des gens d’un certain âge, sont assis
Courrier international — no 1446 du 19 au 25 juillet 2018 LA PROVENCE. III

Le plan de sauvetage
des villages isolés
Si la Haute-Provence est d’une beauté à couper le souffle,
elle a aussi perdu ses habitants. Heureusement, différents projets
entendent maintenir en vie les vieux villages provençaux.

—Tiroler Tageszeitung Innsbruck y compris le bois – fenêtres, portes, même les


poutres des toits.

J
ean-Luc Rouquet remonte ses lunettes sur À Agnielles, à deux étapes de marche de
le nez en souriant. Ce Français sexagénaire Rabioux, des touristes sont installés dans une
aux cheveux blancs comme la neige, vêtu ancienne ferme qui appartenait à une grande
de l’uniforme de l’Office national des forêts famille et savourent des cuisses de canard et
(ONF), se trouve avec un groupe de randon- une ratatouille, accompagnées d’un vin de pays
neurs devant la façade de pierre du gîte de et d’une infusion de tilleul. Ils sont arrivés par
Rabioux. Tout le monde contemple les imposantes le col du Lautaret, en passant par le hameau de
portes à deux battants et les volets de bois de ce La Cluse qui, malgré une vue époustouflante
refuge joliment restauré, perché à 1 300 mètres sur les montagnes, n’est habité que pendant
d’altitude au milieu de la Haute-Provence. Une les mois d’été. Ils ont admiré les lis et les col-
forêt de mélèzes brun sombre s’élève à droite chiques dans les prairies d’altitude et contem-
et à gauche. À côté, des ruines rappellent qu’il plé le spectaculaire massif de l’Aurouze aux
y a eu une école, une église. Une vie oubliée sommets couverts de neige.
depuis longtemps. Seuls les sommets majes-
tueux de la montagne d’Aurouze veillent encore
sur ce coin paisible de l’arrière-pays de la Côte Les gens du coin
d’Azur. “C’est la dernière maison qui reste du vil- ont tout vendu à
lage de Rabioux. Nous l’avons remise en état petit
à petit, équipée, raccordée à une turbine hydrau-
l’État et se sont retirés
lique et à des panneaux solaires. Maintenant elle dans des régions fertiles.
sert de refuge aux randonneurs qui font un beau
circuit”, explique Jean-Luc. “Nous”, c’est l’ONF, Jadis, les autochtones reniflaient de la lavande
devant la porte. Je commande un verre de rosé. ↑ À Annot dont le projet Retrouvance entend maintenir en sauvage, ils s’en mettaient derrière l’oreille gauche
Monsieur me pose une assiette avec des petites (Alpes- vie les vieux villages provençaux. “Il y a plus de pour se calmer pendant les périodes agitées. Il
choses à grignoter et me souhaite le plus sérieu- de-Haute- cent ans, il y avait toute une communauté qui vivait y a longtemps que c’est fini. Car depuis le début
sement du monde une “bonne dégustation*”. Provence). ici, avec une vue spectaculaire sur la vallée.” Jean- du projet Retrouvance en 1996, seuls deux cents
Ce qui me ramène encore une fois à mon Luc désigne le paysage magnifique, les forêts Provençaux retrouvent un emploi chaque année :
premier vrai voyage, voilà trente-cinq ans. À ←← Page I  : vertes qui s’étendent sur des kilomètres à flanc dans le transport de personnes, la restauration,
l’époque, je ne savais pas que la Provence était À Bandol, de montagne, la rivière qui porte le même nom en cuisine, dans la logistique. Comme Coralie,
réputée pour sa gastronomie. Je remarquais sim- direction que le village. Des aigles royaux se croisent dans une jeune Française qui transporte en voiture
plement que je commençais à y aimer ce qui me la mer. l’air. Avec de la chance, on peut voir un mouflon les bagages des randonneurs d’étape en étape
faisait horreur enfant : les olives, les anchois, le ou un cerf. Rabioux est l’un des innombrables et fait en sorte que le petit déjeuner soit sur la
fromage coulant, les herbes amères. Tout a tel- villages de montagne abandonnés de Provence. table le matin et qu’un dîner typique de trois
lement plus de goût que chez moi. Je félicite le Sans l’ONF et l’infatigable monsieur Rouquet, plats soit servi le soir.
patron pour son saucisson. Monsieur acquiesce : ils seraient depuis longtemps tombés dans l’ou- Si on ose faire revivre les villages d’antan,
“Je veille personnellement à la qualité.” Il se four- bli – comme toute la région. c’est peut-être grâce au reboisement effectué
nit chez un petit producteur pas loin d’ici. Car ce beau panorama est trompeur. La vie par l’ONF. “Aujourd’hui, chaque arbre est cata-
La place devant moi s’embrase sous le soleil dans ces contrées isolées était pénible et exi- logué par l’ONF, puis abattu et vendu au bout de
de midi – les platanes, la fontaine et le parc avec geante. Quand l’industrialisation a décollé, vingt ans”, explique Michaël Reboul, de l’ONF
son petit musée. Il ne manque qu’un peintre tous les arbres ont été abattus et vendus à des du Haut-Verdon. De fait, la France a commencé à
pour immortaliser la scène. Madame voit une fabricants de meubles, des constructeurs de réhabiliter ses sols épuisés dès la fin du xixe siècle
connaissance passer en voiture. “La vie est navires, des entreprises du bâtiment et aux – grâce à une loi de l’empereur Napoléon III. Des
douce ?” l’apostrophe-t-elle. L’homme descend chemins de fer. Ce commerce rentable a eu des ouvriers italiens construisirent des terrasses et
sa vitre à la manivelle et répond : “Oui, la vie est conséquences dramatiques pour la nature. Les plantèrent des millions de pins noirs d’Autriche
douce.” On ne saurait mieux dire. pauvres champs qui faisaient vivre les paysans – sous la supervision de l’Office des forêts. Des
—Michael Allmaier ont été détruits par l’érosion et les glissements pins de montagne et des pins d’Alep s’y sont
Publié le 8 juin de terrain. Les gens du coin ont tout vendu à ajoutés depuis et constituent des forêts intactes.
l’État et se sont retirés dans des régions fer- Ils sont omniprésents dans le Haut-Verdon, sur
* En français dans le texte. tiles. Ils ont emporté tout ce qu’ils pouvaient, l’étroit sentier de randonnée menant au → IV
IV. PAGES SPÉCIALES Courrier international — no 1446 du 19 au 25 juillet 2018

III ← gîte de Congerman, qui longe les parois


impressionnantes des gorges de Saint-Pierre,
comme sur le chemin de Peyresq.
À Peyresq, le plus beau des villages abandonnés
de Provence, le temps semble encore s’écouler
comme il y a cent ans. Les façades des maisons
se dressent sur un plateau rocheux sur fond de
montagnes, les balcons de bois invitent à s’at-
tarder, des chemins empierrés couverts d’herbe
serpentent au milieu des ruelles médiévales.
Le parfum du thym flotte dans l’air. Le village
a été pendant des siècles un poste frontière entre
la France et le duché de Savoie. Aujourd’hui,
professeurs, scientifiques et artistes du monde
entier viennent y échanger et étudier. Ce nou-
veau village ancien, piétonnier, appartient en
effet à l’université de Bruxelles [mais égale-

Le village de Peyresq
a été acheté par l’université
de Bruxelles.
ment à d’autres entités]. Si on veut marcher, ↑ Course de

Nice, métropole
on marche, si on ne veut que savourer le calme caisses à savon,
de la nature, on le fait, loin de la civilisation. au village du
L’endroit a l’air isolé, mais on y est très vite. Le Fugeret (Alpes-

de la Méditerranée
train des Pignes vous emmène de Nice la mon- de-Haute-
daine, sur la Côte d’Azur, jusque dans la mon- Provence).
tagne en deux heures. La voie étroite, bordée
d’anciennes stations dont certaines salles d’at-
tente sont devenues de beaux cafés, s’arrête
notamment à la gare de Thorame. Celle-ci se Comme a pu le constater ce journaliste espagnol, la ville
dresse, solitaire et abandonnée, comme un se transforme. Avec son projet d’Éco-Vallée, elle a pour ambition
décor de cinéma, et annonce tacitement : ici
commence un voyage dans le passé. de concurrencer Milan ou encore Barcelone.
—Martina Katz
Publié le 29 avril
—El Mundo Madrid Riviera appartiennent plus souvent aujourd’hui
à des cheikhs ou à des hommes d’affaires arabes.

E
ntre la mer, les Alpes et le cours tourmenté C’est précisément aux abords de l’aéroport
du Var, le nouveau Nice se construit. Ce n’est que ce nouveau Nice commence à sortir de
pas un simple écoquartier, mais toute une terre, avec pour porte d’accès le projet Grand
SourCE écovallée avec laquelle la métropole médi- Arénas. Josep Lluís Mateo avait déjà présenté
terranéenne a l’ambition de rivaliser avec il y a quinze ans un plan de rénovation du litto-
Tiroler TageszeiTung Barcelone ou Milan. Et une partie des amé- ral qui n’avait pas été retenu : “C’était un projet
Innsbruck nagements a été confiée à un architecte espagnol, très paysager, assez radical, avec une promenade
Quotidien Josep Lluís Mateo, dont le projet a remporté le un peu comme à Copacabana”, se souvient l’ar-
tt.com concours face à des adversaires de taille comme chitecte, qui s’inspire encore du Brésil dans son
Fondée le 21 juin 1945 par Rem Koolhaas et Norman Foster. ambitieux schéma directeur pour une zone de
les Américains, la Tiroler C’est à la fin du xixe siècle que Nice devient une 50 hectares. Le boulevard central, dans le pro-
Tageszeitung est le plus destination estivale grâce à la reine Victoria, qui longement de la promenade des Anglais, affiche
grand quotidien régional de la la met à la mode en Angleterre – la promenade des une modernité entre tropiques et Californie.
province autrichienne du Tyrol. Anglais doit de fait son nom à ces Britanniques “La nature occupe une grande place dans mon
Il se dit “attaché aux droits de indolents qui se pressaient alors pour goûter à projet. Pour définir le plan urbain, j’ai suivi les
l’homme, à la démocratie la douceur du farniente sur cette portion de axes géographiques, parallèlement à la mer, pour
parlementaire, à l’économie côte méditerranéenne. Mais la Côte d’Azur créer une trame organique et naturelle, moins abs-
de marché libre et sociale d’aujourd’hui entend rompre avec cette image traite que celle [du quartier] de l’Eixample ima-
et à la république d’Autriche surannée. Avec des vols directs pour Beyrouth giné par Cerdà à Barcelone. Nous avons mené de
avec sa structure fédéraliste”. ou les Émirats, les résidences secondaires de la nombreuses études techniques pour mieux orienter
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le meilleur de la presse internationale

Of
découfvre
les bâtiments par rapport au vent et au soleil; ils “C’est une stratégie nationale, une priorité pour la
6 mois, 2 ertoe
sont entourés de parcs et de places, avec beaucoup France. Mais c’est aussi une occasion à saisir pour
6n s
d’espace entre eux. On est loin d’avoir bétonné
partout! C’est d’ailleurs ce que Nice a de plus
beau, ses jardins de palmiers et de plantes tropi-
le sud de l’Europe de pouvoir commencer à rivaliser
avec le grand pôle d’activité économique du nord”,
revendique Estrosi. En France, on parle même
59 €
cales”, explique l’architecte espagnol qui, à cer- déjà de Sun Belt méditerranéenne, sur le modèle
tains égards, s’inscrit dans la lignée de Cerdà, de la “ceinture de soleil” qui traverse les États-
l’un des fondateurs de l’urbanisme moderne, Unis de la Californie à la Floride. “Ce projet est
une révolution économique, technologique et écolo-
gique que personne n’aurait pu imaginer il y a neuf
En France, on parle déjà ans. Mais s’il avait vu le jour plus tôt, quand [en
de “Sun Belt”, sur le modèle

+
2006] Cannes est devenue trop petite pour conti-
de la “ceinture de soleil” nuer à accueillir le 3GSM [devenu le Mobile World
Congress], c’est à Nice qu’il se serait installé, pas à
américaine. Barcelone”, renchérit le maire.
Pour Josep Lluís Mateo, le Grand Arénas ferait
et qui lui-même n’avait pas vu se concrétiser presque figure d’échauffement comparé à son
l’Eixample tel qu’il l’avait imaginé, ponctué de grand salto asiatique. Dans la ville chinoise de
jardins publics. Yiwu, immense marché de gros, il planche sur L’accès illimité à l’édition abonnés
Pour l’heure, le Grand Arénas est un quar- un quartier de 300 hectares, le Spanish Quarter. du site Internet
tier périphérique où le Var rend certaines zones “La ville compte aujourd’hui 2 millions d’habitants,
inondables. “En été, le fleuve est sec, mais à la fin mais elle devrait passer à 10 millions dans les dix et au Réveil Courrier
de l’hiver, il déborde, grossi par les eaux de fonte ans à venir”, précise l’architecte.
venues des Alpes”, explique Josep Lluís Mateo. Si Professeur émérite à l’université de Zurich (où
les travaux avancent selon le calendrier prévu, son bureau d’études a une succursale), Mateo
dans trois ans seulement Nice aura là un nou- envisage aussi de s’implanter à Paris. “J’ai davan- Bon d’abonnement
veau centre, à cinq minutes de l’aéroport et à tage travaillé en France qu’en Espagne”, constate-
quinze minutes du centre historique, fort d’un t-il avec une pointe de résignation. Il a offert à À retourner accompagné de votre règlement à :
pôle d’échanges multimodal intégrant tous les Barcelone, sa ville natale, de grandes réalisa- Courrier international - Service abonnements - A2100 - 62066 Arras
modes de transport : navette pour l’aéroport, tions comme la Cinémathèque de Catalogne,
TGV, autobus, tramway, vélos, etc. qui a beaucoup fait pour la réhabilitation du Oui, je m’abonne pour 59 €
Et le Grand Arénas n’est que le premier des quartier du Raval, mais c’est en France que se (6 mois, 26 numéros) au lieu de 101,40 €*, soit plus de
quartiers appelés à sortir de terre le long des trouvent ses projets les plus radicaux, dont un 41 % de remise par rapport au prix de vente au numéro.
berges du Var dans le cadre du projet Éco-Vallée. ensemble résidentiel à l’entrée de Bayonne ou des
Une gigantesque opération qui doit devenir la immeubles à Toulouse et Montpellier. Ailleurs
locomotive d’une nouvelle industrie dans cette en Europe, Josep Lluís Mateo est aussi l’archi- Mes coordonnées RCO18BA1446R
partie occidentale de la Méditerranée (IBM tecte du centre culturel de Castelo Branco [au
et d’autres se sont déjà installés). En 2008, le Portugal] et du nouvel accès de la Galerie natio- ❏ Madame ❏ Monsieur
maire de Nice, Christian Estrosi, alors ministre, nale de Prague. Aujourd’hui, c’est sur les quar- Nom : ..................................................................................................................
a obtenu pour elle le statut d’“opération d’in- tiers du futur qu’il planche.
térêt national”, qui en fait un projet sur trente —Vanessa Graell Prénom : ................................................................................................................
ans doté d’abondants financements de l’État. Publié le 28 décembre 2017 Adresse : ...............................................................................................................

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qui couvre l’actualité de la région de Sanremo, dans le nord de l’Italie. * Prix de vente au numéro. Offre valable jusqu’au 31/12/2018. Pour l’étranger, nous consulter. RCS Paris 344
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de relations commerciales et industrielles”, rapportait Sanremonews.it en juin dernier.
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La culture se fait
une place au soleil
Marseille, Arles, Aix-en-Provence : les villes
provençales ont lancé des projets culturels
et architecturaux de grande envergure
qui font l’admiration de ce journaliste suisse.

—Neue Zürcher Zeitung (extraits) Zurich

L
es villas blanches s’égrènent le long de la
pente. En dessous, la plage resplendit au
soleil. Quelques îles ponctuent la vaste baie. → Statue du Christ
Marseille déploie son aspect enchanteur dans un oratoire
sur la route du littoral. Emmanuel Macron à Château-Garnier
y a passé une semaine de vacances avec sa (Alpes-de-Haute-
chérie l’été dernier. Le président a un faible pour Provence).
le sud de la France, mais le fait qu’il ait choisi
la métropole de la Méditerranée pour son tête-
à-tête au lieu de l’une des villes notoirement
fréquentées par les personnalités ou de l’ar-
rière-pays camarguais montre à qui en doutait
encore à quel point la ville est devenue branchée.
Les organisateurs de voyages se sont empres-
sés de réagir. La compagnie aérienne Swiss vient
d’instaurer un vol direct au départ de Zurich, et
la Lufthansa compte augmenter le rythme des
liaisons au départ de Francfort. D’accord, il y
a encore les zones industrielles et les quartiers
Nord avec leurs 50 % de chômeurs et leurs nom-
breux immigrés, mais le Marseille des polars
de Jean-Claude Izzo a cédé la place à une ville
moderne qui assume tranquillement sa “médi-
terranéité”. Sa désignation au rang de capitale
européenne de la culture en 2013 lui a fourni
l’occasion de restaurer et de rénover le centre.
Le vieux quartier du Panier est aujourd’hui un
quartier de bobos avec ses bars, ses restaurants,
ses petites entreprises et ses petits commerces.
La vieille ville est reliée au Mucem par des pas-
serelles en hauteur. Le musée des Civilisations Fondation Luma Arles [qu’elle a montée en 2013] bientôt être entourée d’un parc et d’un étang
SourCE
de l’Europe et de la Méditerranée érige la situa- a progressivement restauré les bâtiments qui ont et devrait ouvrir en 2020. Le Parc des Ateliers
tion géographique en conscience culturelle et Neue Zürcher immédiatement été mis en service. [Le Parc des confère à Arles un emblème tourné vers l’avenir.
présente la Méditerranée, de la Byzance antique ZeituNg Ateliers] propose concerts, spectacles de danse, Il n’est pas le seul. L’État construit en face un
à l’Algérie actuelle, comme un grand espace Zurich, Suisse performances et expositions. institut de photographie qui soutient le célèbre
riche en diversité. Quotidien La tour dessinée par Frank Gehry, dont les festival Les Rencontres de la photographie,
En redécouvrant son histoire, Marseille s’in- nzz.ch 56 mètres se dressent dans le ciel, est l’élément lequel se déroule chaque été dans des dizaines
téresse au présent. Elle a choisi de miser sur la Publié dans la capitale le plus visible du Parc des Ateliers. Le soleil qui de bâtiments privés et publics. Il y a quatre
culture, et la recette fait écho dans d’autres villes financière de la Suisse, se brise sur son enveloppe de boîtes métalliques ans, la Fondation Vincent Van Gogh a ouvert
du sud de la France. La Provence sort de son som- c’est un titre lui donne un aspect différent selon l’heure et sa propre maison et engagé Bice Curiger, l’an-
meil de Belle au bois dormant et gagne un nouvel de tradition la saison. Ses 1 500 m2 accueilleront des expo- cienne conservatrice de la Zürcher Kunsthaus,
optimisme grâce à ce lien entre passé et présent. et de référence, sitions. La recherche y aura aussi sa place. La pour la diriger. Ses milliers de mètres carrés pré-
Arles se révèle particulièrement courageuse à à tendance centriste photographe new-yorkaise Annie Leibovitz y a sentent deux fois par an des expositions inspi-
cet égard. Cet ancien centre administratif romain et libérale. En pointe apporté ses archives. La revue d’art [zurichoise] rées par l’esprit du lieu mais qui possèdent leur
connu pour ses arènes et ses corridas se trouve sur l’international, Parkett [qui a cessé la publication après son 100e propre couleur.
au cœur de la beauté austère de la Camargue. il est lu dans numéro] y a transporté ses archives. La tour va Van Gogh a vécu quinze mois à Arles, nombre
Arles a subi comme beaucoup d’autres le déclin l’ensemble des pays de ses meilleurs tableaux sont nés ici. La fonda-
de l’industrie. Les ateliers de la SNCF, un espace germanophones. tion ne donne cependant pas dans le culte des
immense situé non loin du centre-ville, étaient à À Arles, le Parc des Ateliers reliques mais met en contact les élans du peintre
l’abandon depuis leur fermeture en 1984. Jusqu’à
ce que Maja Hoffmann, l’héritière [des laboratoires
propose spectacles avec les créations actuelles. L’exposition “Soleil
chaud, soleil tardif”, qui se déroule actuelle-
pharmaceutiques suisses] Roche, qui a grandi à de danse, concerts ment [et jusqu’au 28 octobre] réunit ainsi Van
Arles, décide d’y réaliser un centre culturel. La et performances artistiques. Gogh, le Picasso tardif et d’autres artistes. Des
Courrier international — no 1446 du 19 au 25 juillet 2018 LA PROVENCE. VII

visiteurs venus de Paris ou Zurich devraient en


outre animer un panorama associatif.
Aix-en-Provence ne compte pas être en reste.
L’époque où elle était surnommée “la belle
Le temple des esthètes
endormie” est depuis longtemps révolue. Elle Un Irlandais passionné a fait du domaine du Château La Coste, au nord
compte désormais un vaste quartier culturel d’Aix-en-Provence, un écrin de culture en plein cœur de la Provence.
comprenant théâtres et écoles de danse. Celles-ci
accueillent 350 00 élèves, soit un quart de la
population de la ville, venant des pays les plus
divers. L’ambiance demeure malgré tout tran- —Le Temps (extraits) Lausanne accroupie de Louise Bourgeois accueille les visi-
quille sur le cours Mirabeau. On ne remarque teurs qui pourront voir, plus loin, des installa-

A
qu’à peine les plots de béton qui ont été instal- près avoir quitté l’autoroute du soleil, tions de Franz West, Liam Gillick, Tracey Emin
lés, comme dans tout le sud de la France, pour dépassé les routes nationales et dépar- ou encore Alexander Calder.
empêcher une répétition de la tragédie de Nice. tementales – bordées de stations-service En plus d’être un collectionneur averti et un
Les habitants de la ville appellent avec ironie abandonnées par manque d’activité – puis professionnel de l’hôtellerie accompli, Patrick
ce grand boulevard du centre bordé de platanes arpenté la route sinueuse menant au col McKillen est aussi un passionné de gastrono-
“les Champs-Élysées d’Aix”. Les rues adjacentes de la Cride, vous atteignez finalement mie. Ayant placé la barre très haut, il a fait en
abritent de petits palais. Le Centre d’art de l’hô- le Graal. Bienvenue au domaine du Château La sorte que les offres hôtelières et culinaires cor-
tel de Caumont vous invite à déjeuner dans son Coste, temple discret planté de vignes, d’oliviers respondent aux attentes des visiteurs désireux
jardin paisible et accessoirement à contempler et de pins parasols pour hédonistes aguerris, de faire le déplacement. Avec ses 28 suites tail-
des peintures de Nicolas de Staël. épicuriens curieux et esthètes en quête d’iné- lées à flanc de coteau, la Villa La Coste dévoile
Le cours Mirabeau compte également de nou- dit. Et où le temps n’a pas de prise. ses lignes modernes et intimistes au cœur des
veaux immeubles d’habitation aux grands balcons. Ce lieu extraordinaire, en parfaite harmo- vignes. Côté restauration, pas moins de 5 restau-
C’est aussi là que se dresse la maison du père de nie avec le paysage provençal, est l’œuvre de rants se fondent entre l’hôtel et le domaine. De
Paul Cézanne, qui avait débuté comme chapelier l’homme d’affaires irlandais Patrick McKillen, l’œuf bio parfait, duo d’asperges et crumble de
puis fait fortune dans la banque, ce qui a permis dit “Paddy”. Ce sexagénaire discret possède déjà parmesan, servi au lumineux restaurant Tadao
à son fils de s’adonner à la peinture sans soucis plusieurs hôtels prestigieux à Londres. Mais Ando, en passant par l’incontournable tarte à
financiers. Des clous de laiton posés sur le trottoir son implantation dans le sud de la France, il la l’oignon proposée à La Terrasse et jusqu’à la
évoquent la vie du célèbre peintre. Et on peut bien doit à sa sœur Mara, installée là depuis vingt- traditionnelle soupe au pistou du Salon, rien
sûr se rendre à l’atelier qu’il a installé en 1901 sur sept ans. C’est en lui rendant régulièrement n’est laissé au hasard.
la colline [des Lauves] et où il s’est rendu tous les visite que Paddy est tombé sous le charme de
matins à l’aube jusqu’à sa mort en 1906. Cette belle ce terroir d’exception et a décidé de l’acquérir.
maison aux grandes fenêtres, au jardin couvert de C’était en 2002. Patrick McKillen,
végétation et où l’on voit les outils du peintre rap- Dans un premier temps, Patrick McKillen le propriétaire, doit son
pelle une époque où la Provence donnait le ton.
Avec beaucoup de culture, comme aujourd’hui.
va s’occuper de la partie viticole du domaine
en réduisant de moitié la production initiale
installation dans le sud
—Gerhard Mack de 1,2 million de bouteilles par an et imposer de la France à sa sœur.
Publié le 2 juin une culture biodynamique de la vigne. Dans
un second temps, il va décider d’ouvrir le lieu Gérald Passedat, chef marseillais triplement
au public. “À tout niveau du domaine, Patrick étoilé, a eu carte blanche pour ouvrir un res-
McKillen souhaite partager ses émotions avec taurant au sein de l’hôtel Louison. Un inves-
Escapade ceux qui prennent la peine de nous rendre visite”, tissement payant puisqu’une première étoile
explique Nicolas Socquet, directeur de la partie au Guide Michelin est venue récompenser l’éta-
LE PHARE CULTUREL SOUTERRAIN DE PORQUEROLLES hôtelière de l’exploitation. Car au-delà de sa pas- blissement. Mais c’est Francis Mallmann qui
“Un phare culturel qui, au premier regard, n’a absolument rien sion œnologique, c’est l’architecture et l’art qui attise toutes les convoitises avec le restau-
d’un phare.” C’est ainsi qu’un journaliste de l’hebdomadaire allemand fascinent le propriétaire. rant qui porte son nom. Ce cuisinier argentin,
Die Zeit décrivait, au début de juin, la Fondation Carmignac, Inauguré lors des vendanges de 2008, le chai roi de la braise, s’est fait connaître du grand
sur l’île de Porquerolles. Le public peut y découvrir, sur les 2 000 m2 de Château La Coste est signé Jean Nouvel. public en participant à la première saison de
souterrains du musée, une collection d’œuvres éclectique, Ultramoderne et à la pointe de la technologie, l’émission culinaire Chef’s Table produite par
où Lichtenstein, Warhol et Botticelli se côtoient. “Mais plus le bâtiment spectaculaire suscite étonnement Netfl ix. Au programme de ce pèlerinage en
que la collection elle-même, c’est l’interaction entre art, architecture et curiosité. Mais c’est la collaboration de deux terre sud-américaine : polenta grillée, fro-
et nature qui attire à Porquerolles”, explique le journaliste. Le musée, architectes, le Japonais Tadao Ando pour le mage fondu, champignons, brocolis et salsa
complètement intégré au paysage du parc naturel, est dirigé centre d’art à ciel ouvert en 2011 et le Canado- verde servent d’introduction avant le passage
par Charles Carmignac. Le fils du milliardaire Édouard Carmignac, Américain Frank Gehry pour le pavillon de obligatoire par l’entrecôte lentement fumée
qui était aussi le guitariste du groupe Moriarty, a mis la musique musique en 2008, qui scelle l’orientation artis- au bout de son fi l, pomme de terre écrasée et
en pause. Pour lui, le parcours artistique proposé ici tique du château. Ainsi, plus d’une vingtaine sauce chimichurri. Et d’un coup, la Provence
“a un rythme particulier et s’apparente à une danse qui se déroule d’œuvres d’art contemporaines, parfaitement prend des airs de Patagonie.
au-dessus et en dessous de la surface du sol”. intégrées dans le paysage, déroulent une prome- —Édouard Amoiel
nade culturelle du domaine. À l’entrée, L’Araignée Publié le 11 mai
VIII. PAGES SPÉCIALES Courrier international — no 1446 du 19 au 25 juillet 2018

conditions strictes. À certaines périodes, “les


hommes juifs qui vivaient dans le carriero ne pou-
vaient être que marchands de chevaux, vendeurs
de vêtements d’occasion et de meubles, ou tail-
leurs”, raconte Gilberte Levy. “Carriero” signifie
“ghetto” en shuadit, un dialecte judéo-proven-
çal que très peu de personnes parlent encore.
Les hommes et femmes juifs devaient porter
un vêtement jaune en dehors du ghetto afin
que leur différence soit visible.

Carpentras était dans le


Comtat Venaissin, un État de
l’Église ouvert aux réfugiés.
En 1791, quand les juifs de France ont enfin
obtenu la citoyenneté française, la plupart de
ceux qui habitaient à Carpentras avaient démé-
nagé dans des villes, notamment à Avignon et à
Marseille. Mais pas les ancêtres de Gilberte Levy.
Nombre d’entre eux ont été rabbins à la syna-
gogue, et elle perpétue la tradition en étant his-
torienne et bénévole. Son arrière-grand-mère,
Noémie Cohen Bédaride, “est l’une des dernières
personnes qui ait fait cuire des coudoles dans le four
de la synagogue”, explique-t-elle en utilisant le mot

Goûter aux délices


shuadit pour désigner le pain azyme.
↑ La lavande La communauté a été décimée par la grippe en
en fleur 1918, puis par la Seconde Guerre mondiale. Les

de “la petite Jérusalem”


sur le plateau grands-parents de Gilberte Levy ont survécu
de Valensole. en se cachant des nazis dans le village voisin de
Bédoin, où ils ont été protégés par le maire, des
communistes et des membres de la Résistance.
Meyer Benzekrit, président de l’Association
The New York Times effectue une plongée dans la communauté cultuelle israélite de Carpentras, est convaincu
juive de Carpentras, qui tente de préserver des traditions et une cuisine que la synagogue redeviendra le cœur d’une
communauté juive indispensable. Derrière une
millénaires faisant partie intégrante de la culture provençale. façade sans prétention se trouvent un intérieur
baroque parfaitement préservé, le bain rituel
d’origine alimenté par l’eau d’un ruisseau souter-
—The New York Times New York elle sert une poitrine de veau farcie aux blettes. SourCE rain, un abattoir et les fours à pain. L’ensemble
Comme il n’y a plus de shohet à Carpentras fait l’objet de fouilles et de rénovations.

D
epuis l’époque romaine, une communauté pour abattre les bêtes conformément au rite The New York La plupart des plats traditionnels des juifs pro-
juive est installée à Carpentras, ville du juif, Gilberte Levy doit commander la viande à Times vençaux sont tombés dans l’oubli, mais quelques-
nord de la Provence qui se trouve sur un axe Marseille, située à 112 kilomètres. “Autrefois, le New York, États-Unis uns sont encore servis. Dans la région, quelques
commercial de l’Antiquité reliant Marseille shohet local abattait les poulets, l’agneau et les chèvres Quotidien boulangeries vendent des brassados, petits pains
à Bruges, en Belgique. Pour Pessah [la dans l’enceinte de la synagogue”, raconte-t-elle. nytimes.com en forme d’anneau qui sont bouillis puis cuits au
Pâque, une des trois fêtes de pèlerinage Carpentras est devenue un centre important Avec 1 300 journalistes, four. Légèrement sucrés et parfois relevés avec
du judaïsme], un séder [rituel qui célèbre l’ac- de la judaïté après 1306, l’une des nombreuses 13 bureaux à l’étranger de l’anis, de l’eau de fleur d’oranger ou du zeste
cession à la liberté du peuple juif] est organisé fois où les juifs ont été expulsés du royaume de et 125 prix Pulitzer, d’orange, ils ont été adoptés par les boulangers
pour une cinquantaine de personnes à la syna- France. Comme d’autres refuges alentour tels The New York Times chrétiens pour le carême et Pâques. Gilberte Levy
gogue de Carpentras, construite en 1367. C’est qu’Avignon et Cavaillon, Carpentras n’était pas en est de loin le premier prépare elle-même des brassados croustillants
l’une des plus anciennes en activité en Europe. La France, mais dans le Comtat Venaissin, un État quotidien du pays, avec de la farine de pain azyme. Pour commen-
congrégation compte actuellement une centaine de l’Église que le pape Jean XXII avait déclaré dans lequel on peut lire cer le séder, elle sert une soupe au poulet qui
de personnes, dont beaucoup sont originaires ouvert aux réfugiés. La population de 10 000 habi- “all the news that’s fit contient de l’œuf dur écrasé et du pain azyme en
d’Afrique du Nord : pour le rituel du séder, elles tants comptant plus de 1 000 Juifs, Carpentras to print” (“toute miettes. Vient ensuite le veau farci aux blettes,
préparent notamment un tajine au saumon et de a été surnommée “la petite Jérusalem” et un l’information digne un légume omniprésent en Provence. Elle voit
nombreuses salades de légumes. Mais Gilberte grand ghetto s’est formé autour de sa célèbre d’être publiée”). sa cuisine comme faisant partie intégrante des
Levy, dont la famille vit dans la région depuis le synagogue. traditions culinaires françaises.
xviie siècle, cuisine aussi des recettes casher que Le quartier comptait des bouchers et des épi- Dans cette petite enclave, précise-t-elle, il
les juifs de Provence dégustent depuis des siècles. ciers, et les habitants partageaient deux fours à la a toujours été admis que les plats juifs étaient
Le harosseth, pâte de fruits qui symbolise le synagogue : l’un utilisé au quotidien pour cuire le simplement dérivés de la gastronomie locale
mortier utilisé par les esclaves juifs dans l’An- pain et l’autre réservé au pain azyme de Pessah. et adaptés aux préceptes de la kashrout [code
cien Testament, est un indispensable du séder. Pendant plus de trois cents ans, au titre d’un alimentaire juif]. “On n’a jamais dû prouver ou
Gilberte Levy a une recette du xiiie siècle compo- décret pontifical, le ghetto a été fermé à clé la cacher quoi que ce soit, c’est pour ça qu’on se sent
sée d’abricots secs, de figues, de raisins secs et de nuit pour protéger les habitants et rouvert chaque chez nous à Carpentras.”
châtaignes, que l’on trouve sous le soleil de cette matin pour leur permettre de faire des achats, —Joan Nathan
région méditerranéenne. En plat de résistance, de se déplacer et de travailler dans le cadre de Publié le 20 mars

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