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Hegel et la Grèce
Jean-Louis Vieillard-Baron
Vieillard-Baron Jean-Louis. Hegel et la Grèce. In: Le Romantisme et la Grèce. Actes du 4ème colloque de la Villa Kérylos à
Beaulieu-sur-Mer du 30 septembre au 3 octobre 1993. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1994. pp. 55-61.
(Cahiers de la Villa Kérylos, 4);
https://www.persee.fr/doc/keryl_1275-6229_1994_act_4_1_898
vons pas considérer les statues de la même façon que le faisaient les Grecs:
«Les statues sont maintenant des cadavres dont a fui l'âme vivifiante [...] un
destin amical nous en a fait l'offrande comme une jeune fille sait le faire de
ces fruits [...] Ainsi donc le destin ne nous donne pas en même temps que
ces œuvres le monde de cet art, le printemps et l'été de la vie soucieuse des
bonnes mœurs et de la coutume dans laquelle elles ont fleuri et mûri, mais
uniquement le souvenir voilé de cette effectivité»4.
On voit qu'en 1807 Hegel ne distingue pas encore l'art de la religion
d'une façon déterminée; l'art grec est donc pour lui essentiellement la
représentation des dieux dans la statuaire, connue en particulier par
l'intermédiaire de la Gôtterlehre de Karl-Philipp Moritz. La religion grecque montre
ses dieux sous la forme humaine la plus parfaite; ils sont des hommes
immortels et parfaits. Mais ils restent soumis au destin. Et il est impossible de
revivifier la mythologie qui vivifiait les statues du point de vue religieux, et
leur donnait un sens qui n'était pas exclusivement esthétique. Les cours
d'Esthétique vont apporter une vision globale de l'art grec, conçu comme
idéal de l'art classique, élargi au temple grec -qui donne lieu à de belles
pages. Tout d'abord, l'idéal classique est l'esprit grec, tel que l'art grec le
manifeste éminemment. C'est que, dans la conception de l'Esprit absolu que
développe Hegel dans Γ Encyclopédie des sciences philosophiques, l'art, la
religion et la philosophie expriment le même esprit sous des formes
différentes; autrement dit, ce n'est que dans l'art, dans la religion et dans la
philosophie que l'Esprit prend conscience de lui-même, mais il le fait selon une
forme plus ou moins appropriée; l'art est la forme sensible de l'Esprit
conscient de lui-même; la religion est la forme représentative; la philosophie a
la forme du concept, seule véritablement adéquate à l'Esprit qui se sait.
L'idéal grec se caractérise par l'anthropomorphisme, qui n'est pas un
défaut. Les dieux grecs sont des hommes parfaits. Le christianisme est plus
anthropomorphique que la religion grecque, dit Hegel à plusieurs reprises:
en lui, le Dieu transcendant s'est fait homme, c'est-à-dire a pris l'apparence
d'un homme particulier. C'est Γ anthropomorphisme qui fait émerger l'art
grec de l'art symbolique, gigantesque ou animal, de l'Egypte et d'Israël.
Hegel interprète ainsi l'histoire du Sphinx (il considère à tort le Sphinx
comme masculin) et d' Œdipe. L'interprétation est elle-même symbolique;
Hegel voit dans cette histoire le symbole de la fin de l'art symbolique et du
début de l'esprit grec et de l'art grec. Le Sphinx pose une énigme; l'art
symbolique devient une devinette, mais en même temps le caractère énigmati-
que est dans son essence, car le symbole renvoie à autre chose qu'à lui-
même, à un absolu infini et inaccessible. Face à cette énigme, Œdipe trouve
la solution extrêmement simple, en disant: «C'est l'homme», pour désigner
Jean-Louis Vieillard-Baron
(Poitiers)