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DOI 10.1007/s11196-008-9083-3
Sophie Cacciaguidi-Fahy
Résumé L’édition spéciale que le lecteur tient entre ses mains est la toute pre-
mière édition de la Revue Internationale de Se´miotique Juridique en langue
française. Elle lui propose un éventail d’analyses représentatives des différentes
conceptions de la linguistique juridique ou jurilinguistique comme la dénomme nos
collègues canadiens. Elle est dédiée au Doyen Cornu, qui fut, comme l’indique le
Professeur Beauchard dans son hommage, une des personnalités juridiques les plus
reconnues en France pour ses travaux dans le domaine de la langue et du droit. Les
articles sélectionnés dégagent l’essentiel de la linguistique juridique: ils soulignent
certains aspects de recherches déjà avancées (Gémar, Goltzeberg) et d’autres débats
encore peu explorés (Mattila, Lenoble-Pinson), permettant ainsi au lecteur de situer
les enjeux actuels de la linguistique juridique tout en lui révélant les perspectives à
venir.
1 Introduction
S. Cacciaguidi-Fahy (&)
National University of Ireland, Galway, Ireland
e-mail: sofie.cacciaguidi@nuigalway.ie
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Pour présenter cette édition spéciale sur l’étude de la linguistique juridique, j’ai
choisi de dégager l’essentiel de la matière en soulignant certains aspects qui ont déjà
fait l’étude de recherches avancées (Gémar, Goltzeberg) et d’autres débats encore
peu explorés (Mattila, Lenoble-Pinson). Ces quatre études devraient permettre au
lecteur de situer les enjeux à partir desquels la problématique du langage du droit se
pose ou a évolué depuis la première édition de l’ouvrage du Doyen Cornu aux
éditions Montchrestiens, tout en lui révélant les perspectives à venir.
Le premier article, proposé par le Professeur Jean-Claude Gémar, un des
pionniers en matière de jurilinguistique se propose d’examiner l’idée que la
jurilinguistique est inhérente à la notion de sens, sur lequel l’interprétation du droit
prend appui. Gémar nous présente le droit comme un système culturel, mettant en
évidence que la multiplicité des langues et la pluralité des systèmes juridiques ont
une place centrale dans l’étude de la jurilinguistique. Le droit comme la langue sont
tous deux des produits de l’histoire d’une civilisation, l’aboutissement culturel de
l’évolution des coutumes linguistiques et juridiques d’un système ayant une
incidence sur le sens et son interprétation.
Le deuxième article, rédigé par la Professeure Michèle Lenoble-Pinson reprend
un des thèmes déjà exposés dans la Revue en 2006: la féminisation du langage
juridique. L’auteure aborde, ici, la question de la patriarchie du discours juridique
nous exposant que celui-ci n’est pas, non seulement, situationnel mais reflète aussi
le jeu des acteurs juridiques dans leur contexte socio-culturel en constante évolution
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(sur ce sujet voir aussi Archibald [1, pp. 81–92]). La féminisation du langage du
droit, qui pour certains reste à la périphérie du concept d’universalité du droit,
‘‘touche [pour l’auteure] aux traditions, au savoir-vivre, aux préjugés, au souci
d’égalité et surtout à l’identité de la personne [et] constitue un fait linguistique
remarquable’’.
La présence des femmes dans des professions juridiques qui étaient dans le passé
réservées aux hommes est désormais attestée par une dénomination qui est la leur: le
féminin. Elle s’est d’abord manifestée dans le langage juridique, en particulier dans
le langage administratif, par la féminisation des titres et des fonctions, et plus
récemment dans la de´sexisation du discours juridique, notamment dans le discours
législatif où la linguistique juridique joue d’ailleurs un rôle essentiel. Un argument
auparavant avancé par Picotte lors de la première parution du juridictionnaire:
Dans le but de favoriser d’une façon concrète l’égalité entre les femmes et les
hommes et d’éviter ambiguı̈tés et sexisme, il ne faut plus hésiter à s’attaquer à
l’usage grammatical de la rédaction juridique, notamment de la rédaction
législative. C’est à la jurilinguistique qu’il appartient de montrer la voie. Il
faut être inventif, et faire preuve de bonne volonté et d’ouverture d’esprit. Il
importe de trouver des formes d’expression satisfaisantes en matière de règles
de rédaction, de dire le droit d’une façon qui permette aux femmes de se
reconnaı̂tre, sans nuire à la clarté du texte et à sa concision […]. La
jurilinguistique se doit d’indiquer les solutions à adopter (notamment l’emploi
du masculin et du féminin tout au long, le recours au générique, à la tournure
neutre, et la reformulation de la phrase) pour nous amener à produire
dorénavant des textes juridiques désexisés [13, p. 9].
Afin de mettre en exergue la spécificité du droit comme système de signes
relationnels et communicationnels, le troisième article illustre une des particularités
du langage du droit: l’utilisation des abréviations juridiques dans les diverses
cultures juridiques et le besoin pressent de poursuivre des travaux de recherches
comparées plus poussés dans ce domaine. Comme le souligne le Professeur Mattila,
‘‘les abréviations juridiques produisent souvent des difficultés de compréhension et
de communication’’. Une étude approfondie et comparative de leur usage
favoriserait, non seulement, une meilleure compréhension de l’évolution du droit
et de son langage, mais contribuerait également au développement théorique et
pratique de la jurilinguistique.
La quatrième contribution propose d’étudier le fonctionnement de la polyphonie
dans le discours et l’argumentation juridiques. Stefan Goltzberg avance une théorie
bidimensionnelle de l’argumentation juridique face aux réductionnismes unidimen-
sionnels logiques ou topiques qu’il considère inadéquats car ils contraignent ‘‘le
langage et l’argumentation juridiques à s’accommoder à un modèle partiel de
raisonnement, qui oblitère une partie de la réalité linguistique’’.
La relation entre Gérard Cornu et la linguistique juridique se trouve dans
l’évaluation de la dernière édition de la Linguistique juridique (2005) que nous offre
Anne Wagner, éditrice de la Revue. Dans cet exposé, elle identifie l’évolution de
l’étude de la signification et de la place du langage juridique au sein de la
linguistique, illustrant que les spécificités du langage juridique comme ‘‘porteu[r]
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d’une dimension cachée que seule une analyse pourra mettre à jour’’. Cornu dans
cette dernière édition, nous explique-t-elle, ne s’est pas contenté d’approfondir son
étude du vocabulaire juridique, c’est-à-dire l’abstraction de la terminologie, sa
spécificité au sein du langage juridique, et sa charge juridique, permettant de
contextualiser et d’établir une classification en différents types de termes juridiques.
Il nous propose également une étude des éléments ‘‘iconographiques les plus
représentatifs’’ des divers discours du droit (législatif, juridictionnel, coutumier et
l’expression corporelle) ayant une incidence sur les rapports entre les différents
acteurs du droit. Il est évident, à la lecture de cet article, que le droit constitue pour
Cornu un acte de communication où la linguistique juridique joue un rôle essentiel
dans la compréhension et l’interprétation du droit, servant ainsi à éviter les conflits
communicationnels.
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‘‘l’application d’un traitement linguistique aux textes juridiques sous toutes leurs
formes’’ [7, p. 7], incluant ainsi tous les travaux de recherches lexicographique et
terminologique juridiques.
Le jurilinguiste, quant à lui, s’est implanté sur le devant de la scène juridique et
joue désormais un rôle primordial dans le décodage des discours du droit. Fernbach,
dès 1984, avançait que ‘‘le jurilinguiste s’attache au décodage du discours et dégage
des règles […] précieuses pour la traduction juridique canadienne […]’’ [4, p. 7].
Plus récemment, Picotte [14, p. 580] affirme que ‘‘la jurilinguistique semble être
[…] fondée sur le rôle du jurilinguiste comme médiateur ou facilitateur entre des
groupes linguistiques, des traditions juridiques et entre les disciplines constituées
par le droit et la linguistique’’.
Etant donné que la charge juridique d’un terme (le rapport entre mot et concept)
n’est pas la même dans toutes les langues juridiques, le/la jurilinguiste fait souvent
face à la question de l’équivalence et de l’intelligibilité du terme juridique dans les
divers systèmes juridiques. En situation de traduction juridique, il ou elle doit
prendre en considération les divers contextes à partir desquels le processus de
traduction s’opère: le contexte linguistique qui tient compte des significations, du
style, de la syntaxe; le contexte social et politique qui considère la régulation; et le
contexte systémique qui est aujourd’hui à la base des développements les plus
importants du droit comparé (voir Commission de terminologie et de néologie en
matière juridique du ministère de la Justice [16]).
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5 Conclusion
Références
1. Archibald, James. 2006. Discours juridique au féminin. Revue Internationale de Se´miotique Jurid-
ique 19/1: 81–92.
2. Cornu, Gérard. [2000: 2e édition] 2005. Linguistique juridique. 3e édition. Coll. Paris: Monchrestien,
Collection Domat.
3. Coulombe, Claude, et Robichaud, Benoı̂t. 2006. Adaptation d’un outil de langue simplifiée (Simplus)
aux textes juridiques. Dans Legal language and the search for clarity, dir. Anne Wagner et Sophie
Cacciaguidi-Fahy, 431–448. Bern, etc.: Peter Lang.
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