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LA NOTION D’ESPACE INSTITUTIONNEL

THE NOTION OF INSTITUTIONAL SPACE

Par
B. KHERDJEMIL
Maître de Conférences

Université du Littoral Côte d’Opale


Département Economie-Gestion
21, rue Saint-Louis
F- 62321 BOULOGNE CEDEX

Mots-clés : Contrat, droits de propriété, espace économique, espace


institutionnel, force dynamique de structuration, habitus,
homo institutus, rationalité.

Key-words : Contract, property rights, economic space, institutional space,


dynamic force of structuring, habitus, homo institutus, rationality.

Classification JEL : K11, K12, L22, R10, R15.


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-INTRODUCTION -

L’objectif de ce papier est de tenter d’apporter un éclairage sur le



processus de l’institutionnalisation de l’espace (1) . Celui-ci pourrait aider à
une compréhension plus extensive de la dynamique de structuration spatiale. Il
est vrai que cette thématique n’est pas nouvelle (DELFAUD, LAJUGIE,
LACOUR,1979, p.9 à 66 ) (2). Une littérature de haute facture intellectuelle
s’est déjà penché sur la question. S’appuyant sur la théorie de la régulation, Jean
Pierre GILLY et Isabelle LEROUX (1999) ont su, d’une manière fort
judicieuse, dégager « un dispositif de régulation territorial », susceptible
d’éclairer le processus de dynamique de structuration spatiale. Pour notre part,
nous souhaiterions revisiter celle-ci en utilisant un autre éclairage conceptuel
complémentaire dont les sources tissent un lien très étroit avec, à la fois, les
apports de la théorie des conventions et ceux des institutionnalistes. L’entrée
méthodologique par les conventions a, déjà, été mise en œuvre par des auteurs
comme FAVEREAU(1995), CREVOISIER et GIGON (2000) ainsi que par
PECQUEUR, LACROIX et MOLLARD (2000). L’aspect institutionnaliste
dans l’appréhension des dynamiques des territoires a, également, fait l’objet
d’une mobilisation par des auteurs comme ABDLELMALKI et alii (1996) ,
DUFOURT (1993) et KIRAT (1993,1998). Notre démarche paradigmatique
s’inscrit dans cette double sensibilité théorique. Quelques principes de base
balisent notre entée analytique. Tout d’abord, l’Homme n’est pas un facteur de
production impersonnel, banal et uniquement combinable en vue d’une
production de biens et de services. Ensuite, l’Homme est le produit d’une
histoire plurielle, toujours contextualisée. Enfin, l’action de l’Homme n’est pas
déconnectée de son espace-repère lequel est en interconnexion complexe avec
les autres espaces.
Ces prémisses méthodologiques qui soulignent avec force le rôle de
l’Homme dans l’écriture de son histoire plurielle et complexe s’opposent aux
entrées paradigmatiques qui affirment soit que « les lois de l’économie
politique… sont tout à fait comparables aux lois des gaz, les individus jouant,
en économie politique, le rôle des molécules dans la théorie cinétique (RUEFF
cité par MARCHAL(1952, p. 22), soit que « la science économique, on ne
saurait trop le répéter, est directement comparable à la science physique »
(Maurice ALLAIS, 1947, cité par A. MARCHAL). Elles font plutôt écho à la
pensée de François PERROUX qui n’hésite pas à prendre ses distances
méthodologiques avec ceux qui « [ ne] voient alors dans l’activité économique
[qu’] un ajustement de quantités de biens et de services sous une force qui est
celle des prix » (1939, p. 35). Notre propos n’est pas ici de faire une approche
philosophique de notre discipline. Mais il convient de préciser notre approche
en soulignant fortement avec Claude Lacour la nécessité de tenir compte des
facteurs extra-économiques « sans les laisser à la porte, inaptes, et indignes de

Les chiffres entre parenthèses renvoient aux notes en fin d’article.
3

rentrer dans le champ scientifique économique » (LACOUR, 1996, p. 33). En


d’autres termes, il ne faudrait pas oublier, comme le fait remarquer, à juste titre,
BAILLY qu’ « à l’approche morpho-fonctionnelle, liant milieu et fonctions de
production et de consommation , s’ajoute la perspective sociale qui privilégie
l’analyse des pratiques et de la connaissance que les hommes ont de leur cadre
de vie » (BAILLY,1983, p.301).
A partir de ces postulats, nous allons essayer, tout d’abord, de forger les
éléments identitaires de notre instrument d’analyse : l’espace institutionnel.
Ensuite, grâce à un essai de sa formalisation, nous tenterons de mettre en
évidence sa force dynamique de structuration .

-I-

STRUCTURE IDENTITAIRE DE L’ESPACE INSTITUTIONNEL

L’espace institutionnel peut être défini, provisoirement, comme


l’expression du champ physique structuré par les logiques d’action des hommes
dans un cadre d’ environnement matériel en perpétuelle mutation.
Cette définition mérite qu’on la précise afin de mieux dégager les composantes
et les caractéristiques de l’espace institutionnel.
Les éléments constitutifs de l’espace institutionnel relèvent de deux ordres
intimement liés:
• le premier ordre renvoie à la nature. Il s’agit du champ
géographique. Ce dernier « est le sol, le climat, le paysage dans lequel nous
vivons, le lieu où se situent nos outils et nos actes » (BOUDEVILLE cité par
PENOUIL, 1983, p.74).
• le second se trouve sous-tendu par le processus de la praxis
sociale, c’est à dire l’objectivation de l’action humaine. Celle-ci forge, alors, «
un espace concret, à la fois matériel et humain , c’est une réalité technique,
commerciale, monétaire et politique localisée » (BOUDEVILLE,1970). Il s’agit
de l’espace économique.
Huriot reprend à son compte cette définition en précisant que « l’espace des
activités, établissements humains, et utilisations du sol en général, l’espace des
forces et relations entre ces activités et l’espace des grandeurs économiques
[ revenus, prix… ] […] sont en interdépendance très étroite et forment un
système contenant implicitement la notion de temps, donc par nature
dynamique » (HURIOT, 1974, p.11).
Ces définitions gardent de nos jours leur pertinence. Nous souhaiterions
pouvoir les prolonger en mettant fortement l’accent sur les forces génératrices
de l’espace économique, c’est à dire le processus qui préside aux logiques
d’action des hommes. En d’autres termes, il va falloir mettre en évidence la
dynamique de l’institutionnalisation de l’espace.
A cet effet, nous ne pouvons faire l’économie des apports des néo-
institutionnalistes comme WILLIAMSON (1975, 1985, 1991), COASE (1937) ,
4

des institutonnalistes traditionnelles comme COMMONS (1934, 1935) et


VEBLEN (1899) , des sociologues comme BOURDIEU (1972,1980,1987,
2000) , BOUDON (1982, 1986, 1988), et des théoriciens des conventions
comme BOLTANSKI, THEVENOT (1991,2000).Ces différents auteurs
s’appuient sur l’idée que l’action de l’individu s’inscrit dans un champ de
rationalité contextualisée (3). Ils appréhendent l’objectivation de l’action
humaine avec des spécificités qui leur sont propres. Leur argumentaire
différencié , en termes paradigmatiques, partage, pour l’essentiel, la même sève
nourricière : celle du processus de l’institutionnalisation de l’espace.

1.2. LES CARACTERISTIQUES THEORIQUES DE L’ESPACE


INSTITUTIONNEL

Les caractéristiques identitaires de l’espace institutionnel s’inscrivent dans le


champ des réponses apportées à ces questions :
-Tout d’abord, du fait de l’imperfection du marché et de la rationalité
limitée de l’agent économique (SIMON, 1957,MARCH, SIMON, 1958), (4)
comment celui-ci pourrait-il surmonter l’atmosphère de l’incertitude (5) qui
l’enveloppe? Là, Williamson et Coase nous montrent comment la notion
d’agent économique n’est pas une pure abstraction, ce facteur de production
réifié de l’économie standard. Les notions de contrat et de droits de propriété
nous montrent que l’agent économique est partie prenante dans la gestion de
son espace.
-Ensuite, cette gestion de l’espace se fait-elle selon des mécanismes
comportementaux donnés ou au contraire selon des dynamiques structurées et
structurantes ? Là, Commons, Veblen, Bourdieu et Boudon nous aideront à
percer, en amont, les fondements de l’action de l’agent économique. Les
structures sociales et institutionnelles vont éclairer son action dans l’espace
économique.
-Enfin, cette action menée par des agents, insérés dans le mouvement de
leur histoire sociale et institutionnelle, est-elle conduite par une logique
rationnelle monolithique ? Ou, au contraire, n’obéit-elle pas, non pas à une sorte
de rationalité générique, mais à des rationalités spécifiques selon les champs
de la praxis sociale investis ? Là, les apports théoriques de Boltanski , Thévenot
vont nous permettre de pointer du doigt la force dynamique différenciée de
l’agent économique dans la structuration de l’espace.

1.2.1. L’AGENT ECONOMIQUE CHEZ WILLIAMSON, COASE EN TANT


QU’ACTEUR DYNAMIQUE DE SON ESPACE

Si l’on adopte les entrées traditionnelles de la structuration spatiale, on peut


mobiliser des auteurs comme WEBER (1909) et soutenir que la localisation de
l’entrepreneur dans un espace donné renvoie aux paramètres traditionnels liés,
plus généralement, aux coûts des facteurs de production auxquels on doit
ajouter le coût du transport. Dans le langage de VELTZ, on dira que « l’espace
5

intervient dans la théorie à travers les anisotropies de coûts et les coûts de


franchissement de la distance physique » (VELTZ, 1993, P.671). Dans la
terminologie de WILLIAMSON, « pour l’approche classique, l’entreprise est
une entité de production ayant une construction technologique »
(WILLIAMSON, 1998, p.34). Dans ce type d’analyse, il y a, d’un côté, l’agent
économique-entreprise et, de l’autre, les facteurs de production où le statut de
la force de travail réifiée ne diffère pas de celui du capital. Le processus de
structuration spatiale met en jeu une dynamique relationnelle bipolaire :
entreprise/chose. Là, l’occupation du sol va se faire dans le cadre d’un calcul
d’optimisation que rendent possible les mécanismes de la rationalité
substantive (6) avec son hypothèse d’information parfaite. La localisation de
l’entreprise va obéir à une logique de régulation conforme au « modèle idéal du
marché néoclassique » (WILLIAMSON, 1998, p. 34).
Si l’on mobilise les courants institutionnalistes, la dynamique
comportementale de l’agent économique perd de sa réification, et tire sa
substance de son cadre environnemental. Nous n’allons pas entrer dans la
dynamique du débat (DUTRAIVE, 1993) qui voudrait marquer une
ligne de démarcation épistémologique entre , d’une part, les fondateurs de
l’institutionnalisme (COMMONS, VEBLEN), et, d’autre part, le courant
hétérogène néo-institutionnaliste (HODGSON,COASE, WILLIAMSON). Notre
préoccupation ne portera pas, non plus, sur la question de savoir si l’approche
de Williamson est institutionnelle ou organisationnelle (KIRAT, 1993). Nous
allons, tout simplement, pointer du doigt les points forts du cheminement
intellectuel de ceux qui, comme WILLIAMSON, COASE, COMMONS et
VEBLEN, ont su intégrer, dans la dynamique comportementale de l’agent
économique, ses environnements institutionnel et organisationnel.
Pour WILLIAMSON, la régulation, par le marché, de la dynamique
économique, se heurte à des limites. Le marché est le royaume de l’incertitude.
Il n’est plus en mesure d’assurer, à lui seul, l’allocation optimale des ressources
dans l’espace. Les individus « manquent d’information […] leurs capacités
cognitives sont limitées » (WILLIAMSON, 1998, P. 36). Devant ce constat
d’incertitude et de chosification de l’entreprise, Williamson propose une
sensibilité théorique où l’agent économique-entreprise n’est plus ce simple
facteur de production livré aux différentes quantifications mathématiques. Il le
réhabilite en tant qu’acteur dans la dynamique économique. Le statut et le rôle
de l’entreprise sont alors revisités.
En terme de statut, l’entreprise se pose « en tant qu’institution ».
(WILLIAMSON, 1998, P. 34). Contrairement à l’ aspect de « fonction de
production » de l’entreprise où l’accent est davantage mis sur « les prix et la
technologie », la notion d’institution marque un saut qualitatif où les « règles
formelles et informelles » révèlent l’entreprise en tant qu’instance évoluant dans
un champ de dynamique sociétale vivant et non réifié. L’entreprise n’est pas,
ici, portée par une logique ponctiforme de structuration spatiale .
6

En terme de rôle, l’entreprise de Williamson structure des espaces


compatibles « avec l’impératif de maximisation du profit, mais part d’un point
de vue différent » (Williamson, 1981, cité par Dutraive, 1993, P. 101). La
singularité méthodologique de l’auteur est mise en relief par deux hypothèses
clés : l’incertitude et l’opportunisme.
La menace que fait peser la première sur les transactions des entreprises
peut être colmatée par une dynamique « de contractualisation de leurs
interactions ». Le contrat se présente, en quelque sorte, comme l’une des
traductions concrètes de la gouvernance saisie en tant que « moyen de contrôle
et de guidage » (Williamson, 1998, P.34). Mais il faut se garder d’en déduire
que le contrat constitue la panacée au problème de l’incertitude.
Il ne permet pas « de prévoir à l’avance toutes les situations possibles et
tous les comportements individuels » (Williamson,1998, P. 36). Peuvent
survenir des comportements opportunistes qu’alimente « la recherche d’intérêt
personnel stratégique par le moyen de la tromperie, de la ruse, ou par la
divulgation d’informations incomplètes ou dénaturées » (Williamson,
1998,P.36). Ce comportement opportuniste est à rapprocher de celui de l’acteur
de Crozier et Friedberg (1977, P.79) qui tient à « garde[r] toujours une marge
de liberté et de négociation » afin «d’utiliser son pouvoir au mieux [et]
accroître ses gains ». Ainsi les règles formelles du contrat, dans leur aspect
juridique, n’endiguent-elles pas, pour autant, l’incertitude. Par conséquent,
l’agent économique-entreprise doit, dans sa stratégie d’action , tant sur le plan
d’organisation que sur la question d’implantation territoriale, tenir compte de la
psychologie humaine. En d’autres termes, le degré de résorption de
l’incertitude dépend également de règles informelles. Il s’agit, là, du degré de
confiance qui caractérise les relations entre les gens. « Ainsi, face à des gens
avec qui nous avons des relations anciennes d’échange, nous serons beaucoup
plus confiants. Et avec de nouveaux interlocuteurs, nous serons plus prudents »
(Williamson, 1998, P. 36).
Nous verrons, plus loin, comment, avec Commons, le traitement
méthodologique des règles informelles nous situe à un niveau d’abstraction plus
en amont quant à l’origine de l’action humaine dans l’espace économique. Pour
l’instant, il convient de noter qu’avec Williamson l’agent économique n’est plus
ce facteur de production banal du paradigme classique. Il est entité active dans
la gestion de son espace.
Cette dynamique d’action peut fort bien être illustrée par la logique des
droits de propriétés de Coase. Celui-ci souligne, avec force, « que ce qui est
échangé sur le marché n’est pas, comme le supposent souvent les économistes,
des entités physiques, mais les droits à réaliser certaines actions… » (COASE,
1991, cité par KIRAT, 1998,P. 20 ). L’agent économique apparaît comme force
d’action dans un système économique que « le droit contrôle » (COASE,
1991, cité par KIRAT, 1998).
Au total, la mobilisation de Williamson et de Coase nous a permis de
réaliser que le fonctionnement de la dynamique économique ne fonctionne plus,
7

in concreto, selon les canons de la rationalité substantielle ou substantive propre


à l’économie standard. L’agent économique, baigné dans la sève de la
rationalité limitée, se contente de situation satisfaisante à défaut d’obtenir celle
optimale. Son action dans la gestion de l’espace est portée la logique la
rationalité procédurale (7). Cette action se déroule dans un cadre qui n’est pas
désincarné. La psychologie et les règles juridiques sont les causes premières
qui structurent son action dans l’espace.
Il convient, maintenant, de prolonger notre réflexion en nous interrogeant
sur les déterminants, en amont, de l’action de l’agent économique dans la
gestion de l’espace.

1.22 : LES FONDEMENTS DE L’ACTION DE L’AGENT ECONOMIQUE DANS LA


GESTION DE L’ESPACE : LES APPORTS DE COMMONS, VEBLEN, BOURDIEU ET
BOUDON

Les apports de Williamson et de Coase constituent un éclairage fort utile


dans la dynamique d’action de l’agent économique. On n’est, certes, plus dans
« l’économie ponctiforme » (8). Mais l’approche de ces auteurs, s’inscrivant
dans « une perspective qui reste celle de l’individualisme méthodologique »
(DUTRAIVE, 1993, P.103), ne permet pas de déceler, en amont, les racines de
la logique d’action des agents économiques.
Commons, Veblen et Bourdieu vont nous aider à pointer du doigt la
quintessence de cette logique d’action.
Commons ne va pas se borner , comme le fait Williamson, à l’aspect
fonctionnaliste de l’institution – entreprise . Pour lui, le contrat, en soi, n'a pas
de sens. Le contrat est inséré dans un cadre social d'usages, de coutumes, de
manières de penser, de se comporter, de règles. En fait, le contrat et le cadre
social constituent la même unité qui fonde l'institution. La transaction renvoie
aux interactions qui se développent entre les agents économiques.
Ces interactions se développent dans un champ social codifié. Les acteurs en
présence, aux statuts juridiques et sociaux différents, nouent des relations
différentielles qui font émerger trois types de transaction: celles marchandes, de
direction et de répartition (9). Trois points méritent d’être soulignés. D’abord, il
faut souligner que c’est le cadre juridique qui est la base de ces transactions et
qui va permettre de contenir les conflits susceptibles de naître aussi bien dans
les processus d’appropriation et de création de la richesse que dans celui de sa
répartition. Ensuite, la nature des interactions entre les individus dépend , non
seulement de leur objet, mais également du statut social de leurs auteurs
(décideurs, exécutants). Enfin, il convient d'insister sur le fait que ces
transactions ne se déroulent pas, seulement, dans une atmosphère régie et par
des règles formelles, comme celles relatives au droit. Elles se nourrissent
également de règles informelles, comme les usages, les habitudes...
Dans ce cadre d'analyse, l’institution renvoie à une structure structurée
par le complexe de règles formelles et informelles qui déploient une force
structurante dans la régulation des transactions. Cette force structurante
8

comprime l'incertitude, d'une manière endogène et organise l'action


collective.
En somme, chez Commons, la capacité de l’agent économique à gérer son
espace ne se nourrit pas seulement, comme chez Williamson, de la
contractualisation des interactions. Elle s’imprègne également de ce qui
échappe aux règles, c’est à dire l’informel. Celui-ci, beaucoup plus chez
Commons que chez Williamson, va être une composante consubstantielle des
éléments constitutifs de la colonne vertébrale de l’action humaine.
Pour Veblen la genèse de l’action de l’individu est, également, à trouver du
côté des institutions. L’action de l’individu est immanente à la structure des
institutions. Celles-ci « ne sont pas, seulement, elles-mêmes, le résultat du
processus de sélection et d’adaptation qui forme les types dominants ou
prévalants des attitudes spirituelles et des aptitudes, elles sont en même temps
des méthodes particulières de vie et de relations humaines, et sont ainsi à leur
tour des facteurs efficients de sélection » (VEBLEN, 1899, p.188, in
GARROUSTE ,1995,p.22).
Deux aspects de l’institution semblent se profiler au travers de cette
définition :
- d’abord, l’institution, en tant qu’instance historique porteuse
« des attitudes spirituelles et des aptitudes » des individus, c’est à dire de leurs
modes de penser et d’agir, semble constituer la source déterministe de leur
comportement. L’agir de l’individu est lié à l’histoire de son milieu. Cette
première identité de l’institution trouve résonance à trois niveaux. En premier
lieu, elle est à rapprocher de l’un des vecteurs identitaires de l’habitus de
Bourdieu selon lequel les individus agissent selon « un système de dispositions
durables et transposables…intégrant toutes les expériences passées »
BOURDIEU, 1972, p.178-179) ou, en d’autres termes, selon ce qui est« acquis
et qui s’est incarné de façon durable dans le corps sous forme de dispositions
permanentes »(BOURDIEU,1984). Puis, elle rappelle, aussi, « l’action
collective » de Commons dans la mesure où celle-ci a un pouvoir de « contrôle
[sur] l’action individuelle » (COMMONS, 1934, p.73). Enfin, elle revoie aux
« logiques de la rationalité héritée, autre manière de dire (…) que l’Histoire
compte » (LACOUR, PERREUR, 1998, p. 349).
- Ensuite, l’institution, dans son aspect dynamique en tant que
structure porteuse «[ de] méthodes particulières de vie […], de relations
humaines, et [de] facteurs efficients de sélection », permet à
l’individu de gérer son déterminisme historique en le rendant acteur dans
les choix et les sélections des normes et valeurs qui lui permettraient une
congruence avec son environnement matériel. Ce côté dynamique d e
l’institution nous rappelle l’action collective de Commons qui permet « la
libération et l’expansion de l’action individuelle [tout en] soutenant l’ordre
social » (BAZZOLI, DUTRAIVE,1995, p.35). Il nous fait penser, aussi, à
la dimension structurante de l’habitus de Bourdieu où l’individu s’impose
9

par sa « matrice de perceptions, d’appréciations et d’actions »


(BOURDIEU,1972, p.178-179).
Au total, il apparaît clairement que l’action de l’individu trouve son
fondement dans une sorte de « déterminisme dynamique ». Certes, l’individu
n’est pas cette marionnette manipulée par les structures institutionnelles. Mais
ces dernières constituent le lieu où, tout naturellement, se met en œuvre la
dynamique de l’action. C’est ce que soulignent, notamment, avec force
CROZIER et FRIEDBERG (1977, P.17) : « Action collective et organisation
sont donc complémentaires .Ce sont les deux faces indissociables d’un même
problème : celui de la structuration des champs à l’intérieur desquels l’action,
toute action, se développe ». En d’autres termes, l’action de l’individu
n’échappe pas à la logique de la rationalité située (BOUDON, 1986, P. 16) :
«[Les] comportements ne sont évidemment pas le fait d’individus désincarnés,
de calculateurs abstraits, mais, au contraire d’individus situés socialement,
autrement dit d’individus appartenant notamment à une famille, mais aussi à
d’autres groupes sociaux, et disposant de ressources non seulement
économiques, mais culturelles » . C’est ce que souligne également SCHÜTZ
(1987, P. 14, 15) lorsqu’il écrit que « l’homme se trouve, à chaque moment de
sa vie quotidienne, dans une situation biographiquement déterminée, c’est à
dire dans un environnement physique et socioculturel… ». BOURDIEU (2000,
P. 259) abonde dans le même sens quand il soutient que « l’agent social est un
individuel collectif ou un collectif individué par le fait de l’incorporation des
structures objectives ».
Cette osmose dialectique qui se développe entre les structures, les
institutions et la praxis est « constructivisme structuraliste » chez
BOURDIEU (1987, P. 147) (10), « individualisme structurel » chez
WIPPLER et « individualisme institutionnel » chez AGASSI (1975) (11),
BOUDON et BOURRICAUD (1982, P. 308) (12). On a affaire à un type de
fondation de l’action humaine où institutions et individualisme s’interpénètrent.
Au-delà des différences idéologiques de ces différents auteurs, il est à noter une
convergence de fond à l’endroit des fondements de l’action de l’homme dans la
gestion de son espace. La notion d’ homo institutus pourrait constituer cette
assise conceptuelle susceptible de traduire cette quintessence commune
exprimée différemment. L’ homo institutus se distingue des versions hard
du holisme traditionnel où les structures écrasent l’individu et de
l’individualisme méthodologique où la survalorisation de l’action individuelle
ignore l’environnement institutionnel. Il s'exprime à l'intérieur d'une perception
systémique des interactions sociales qui se développent entre les individus et les
institutions. Il prend en compte, non seulement, l'inertie sécrétée par les
institutions à l'endroit des modes de penser et d'agir des individus, mais
également les volontés spécifiques, différenciées et antithétiques de ces
derniers, base vectorielle de l'action.
En somme, l’homo institutus, par sa charge évocatrice de l’homme dans la
société institutionnelle, pourrait rendre compte, d’une manière unifiée, du même
10

phénomène que d’ordinaire ces deux expressions différentes, chacune


cantonnée dans son propre paradigme, avaient la charge de traduire.

A ce niveau d’analyse, il nous est possible de dire que la gestion de


l’espace par l’agent économique s’inscrit dans une logique de rationalité
limitée et située où l’action répond à une dynamique contractuelle dont les
racines constitutives tirent leur sève nourricière de l’histoire complexe du
système.
Mais il faut se garder de conclure que ce type de rationalité à la fois limitée
et située soit de caractère monolithique. Boltanski et Thévenot , en s’inscrivant
à l’extérieur de « l’hypothèse d’un guidage interne au moyen d’un programme
préalablement inscrit dans les personnes» (2000, P. 267) apportent un éclairage
complémentaire sur la pluralité des logiques d’action.

1.2.3 LES RATIONALITES DIFFERENTIELLES ET SPECIFIQUES DES AGENTS


ECONOMIQUES : L’ECLAIRAGE DES LOGIQUES D’ACTION PAR LES « CITES »

Les actions des acteurs n’obéissent pas toutes à une même logique. Elles sont
mues par des rationalités spécifiques. Selon Boltanski et Thévenot (2000), les
actions humaines peuvent être mises en mouvement par six types de logique :
- le premier relève de l’esprit de la «cité domestique». Là, les
individus agissent en conformité scrupuleuse avec les règles, normes et valeurs
du groupe auquel ils appartiennent. Ces valeurs référentielles sont portées par la
tradition, l’habitude. Les gens « agissent avec naturel parce qu’ils sont mus
par des habitudes ». Celles-ci « prises de bonne heure [ne sont] jamais une
contrainte et [deviennent] rapidement un comportement naturel »
(BOLTANSKI, THEVENOT, 2000, P.210).
- le second traite de la «cité industrielle.» Là, l’action « repose
sur l’efficacité des êtres, leur performance, leur productivité, leur capacité à
assurer une fonction normale, à répondre utilement aux besoins »
(BOLTANSKI, THEVENOT,2000, P.254) ;
- le troisième porte sur la « cité marchande» où « les actions sont
mues par les désirs des individus, qui les poussent à posséder les mêmes objets,
des biens rares dont la propriété est aliénable » (BOLTANSKI, THEVENOT,
2000, P. 244) ;
- le quatrième s’inscrit dans la «cité du renom.» Là, c’est le côté
narcissique de l’homme qui est mis en avant. Le prestige et la domination
symbolique sont les références majeures de cette « cité ». « Les personnes sont
toutes susceptibles d’accéder à [l’état de grandeur] parce qu’elles ont en
commun d’être mues par l’amour-propre. C’est l’amour-propre qui fait leur
dignité d’êtres humains. Elles ont un même désir d’être reconnues, la passion
d’être considérées » (BOLTANSKI, THEVENOT, 2000, P. 224).
- le cinquième traite de la «cité civique.» Là, c’est le principe de
l’intérêt général qui prédomine. « Les actions des gens sont pertinentes lorsque,
participant d’un mouvement social, elles participent d’une action collective qui
11

donne sens aux conduites des individus et les justifie… » (BOLTANSKI,


THEVENOT, 2000, P. 231, 232) ;
- enfin, le sixième type de logique s’enracine dans la «cité
inspirée.» Là, l’action humaine n’est pas régie par « les mesures, les règles,
l’argent, la hiérarchie, les lois » (BOLTANSKI, THEVENOT, 2000, P. 200).
Sa légitimité se forge dans les profondeurs de l’intériorité des êtres où « la
passion qui les anime leur procure , indissociablement, le désir de créer, que
l’inspiration a réveillé en eux, l’inquiétude ou le doute, l’amour pour l’objet
poursuivi et la souffrance » (BOLTANSKI, THEVENOT, 2000, P. 201).

Ces différentes rationalités spécifiques de l’action humaine investie dans les


différentes « cités » viennent accentuer l’intensité des projecteurs théoriques qui
éclairent la dynamique complexe du processus de l’institutionnalisation de
l’espace. Sur le plan de leur mise en œuvre, FAVEREAU (1995, P.179 à 199) a
su judicieusement les articuler dans l’espace subsaharien. CREVOISIER et
GIGON (2000, P. 669) ont pu les expliciter en établissant une « grille de
correspondance mettant face à face les six mondes [cités] (…) avec les
territorialités qui leur correspondent ».

Pour notre part, dans le cadre limité de notre travail, les éléments
identitaires de l’espace institutionnel étant mis en relief, nous allons,
maintenant, tenter de le formaliser (13) .

-II-

ESSAI DE FORMALISATION DE L’ESPACE INSTITUTIONNEL

La formalisation de l’espace institutionnel portera sur son identité ainsi que


sur sa force dynamique de structuration.

2.1. FORMALISATION DE L’IDENTITE DE L’ESPACE


INSTITUTIONNEL

La formalisation de l’identité de l’espace institutionnel se fera en trois temps


correspondant à trois mouvements d’hypothèses.

2.1.1. FORMALISATION DE L’ESPACE INSTITUTIONNEL DANS UNE


OPTIQUE D’EXPRESSION SEGMENTEE ET NON HIERARCHISEE DE LA PRAXIS
SOCIALE

Partons des hypothèses suivantes:


X = (x1, x2, x3, x4........xn), où X représente le champ global national de la
praxis sociale, et x1, x2, x3, x4 …. xn ses champs spécifiques ;
R = (r1, r2, r3, r4 ....... rn ) où R exprime la rationalité globale de la praxis
sociale, et r1, r2, r3, r4.........rn, ses rationalités spécifiques.
12

S = espace institutionnel

A partir de ces hypothèses préliminaires, il nous est possible de


formaliser :
- l’espace institutionnel par la fonction suivante : S = S(R)
- la rationalité globale par la fonction suivante : R = R(X)
- et les rationalités spécifiques par les fonctions ci-dessous :

r1 = r (x1)
r2 = r (x2)
r3 = r (x3)
r4 = r (x4)
…………
rn = r(xn )

L’espace institutionnel est alors identifié par la rationalité globale de la


praxis sociale :
R = R [r(x1), r(x2), r(x3), r(x4),…. r (xn) ] (a)

2..1.2. FORMALISATION DE L’ESPACE INSTITUTIONNEL DANS UNE


OPTIQUE D’EXPRESSION INTERDEPENDANTE ET NON HIERARCHISEE DE LA
PRAXIS SOCIALE

L’interdépendance des différents champs de la praxis sociale nous


conduit à modifier les fonctions des rationalités spécifiques qui deviennent:
r1 = r(r2, r3....r) = r[ r(x2), r(x3)....r(xn)] = r(α 1) (1)
r2 = r(r1, r3,...rn) = r[ r(x1), r(x3)....r(xn)] = r(α 2)
........................................................................……
rn = r(r1, r2, r3....rn-1) = r[r(x1), r(x2), r(x3),....r(xn-1)] = (α n).

La fonction de la rationalité globale de l’espace institutionnel devient alors :

R = R[r(α 1), r(α 2)....r(α n)] = R((β ) (b)

Cette fonction traduit l’identité de l’espace institutionnel en tant


qu’entité identitaire structurée par les forces dynamiques de socialisation. Cette
identité globale s’affirmera d’une manière plurielle au travers des différents
vecteurs cognitifs formalisés par les fonctions des rationalités spécifiques.

Néanmoins faut-il noter que cette fonction de la rationalité globale ne


permet pas une expression hiérarchisée des rationalités spécifiques. Les champs
d’objectivation de l’action humaine n’ont pas été formalisés de manière à rendre
compte de leurs propres singularités. L’intégration d’autres hypothèses, comme
celles des champs structurant et hégémonique (14), vont nous permettre de
sortir de la formalisation trop réductrice de l’espace institutionnel.
13

2.1.3. FORMALISATION DE L’ESPACE INSTITUTIONNEL DANS UNE OPTIQUE


D’EXPRESSION INTERDEPENDANTE ET HIERARCHISEE DE LA PRAXIS SOCIALE

Partons de la fonction de la rationalité globale:


R = R [r(α 1), r(α 2)....r(α n)] = R(β )

Rappelons que l’expression entre crochets représente les rationalités


différentielles, spécifiques interconnectées de la praxis sociale.

Supposons que l’un des champs d’objectivation de l’action humaine


constitue l’élément à partir duquel se fonde la structuration des autres champs.
Appelons-le espace nodal ou champ structurant et désignons-le par x1. Et
supposons que sa fonction de structuration s’exprime ainsi :
ψ = ψ (x1)

Cette fonction va irriguer tous les autres champs qui vont, alors, voir se
modifier :
• les fonctions de leurs rationalités spécifiques:
r1 = r[r(α 1), ψ (x1)] = r(γ 1)
r2 = r[r(α 2), ψ (x1)] = r(γ 2)
..........................…….....
rn = r[r(α n), ψ (x1)] = r(γ n)

r(γ 1), r(γ 2)....r(γ n) (4) désignent les rationalités spécifiques


interconnectées des différents champs de la praxis sociale où l’espace nodal x1
affirme sa force structurante;

• et la fonction de la rationalité globale:


R=R[r(γ 1), r(γ 2)....r(γ n)] = R(π )

Introduisons, maintenant, l’hypothèse du champ hégémonique. On peut,


facilement, admettre que l’hégémonie d’un champ dépend des variables - temps
(t) et espace (E) - qui le caractérisent. Matérialisons-la par la fonction suivante :
W = W (t,E)

On peut, alors, écrire les fonctions des rationalités spécifiques de la


manière suivante :
r1 = r[r(γ 1), W(t,E)] = r(∆ 1)
r2 = r[r(γ 2), W(t,E)] = r(∆ 2)
............................................
rn= r[r((γ n), W(t,E)] = r(∆ n)
14

r(∆ 1), r(∆ 2)....r(∆ n) sont les rationalités spécifiques


interconnectées de la praxis sociale objectivée dans le champ global national
(X) et soumises à la force structurante de l’un de ses champs et fonctionnant
sous l’hégémonie de l’un de ces derniers.

La fonction de la rationalité globale de l’espace institutionnel


s’exprime, finalement, ainsi:

R = R[r(∆ 1), r(∆ 2),.....r(∆ n)] = R(θ ) (c)


ou d’une manière plus explicite:
R= R{r1[r(α 1), ψ (x1),w(t,E)], r2 [r(α 2), ψ (x1), w(t,E)]…rn [r(α n), ψ (x1), w(t,E)]} (c’)

Cette fonction contient les éléments qui permettent de saisir d’une


manière dynamique l’identité complexe de l’espace institutionnel. Les champs
de l’objectivation de l’action humaine(économique, politique, religieux…) sont
mus par des rationalités [r(α 1), r(α 2)… r(α n)] qui s’enchevêtrent les unes les
autres sous le double effet des forces structurante ψ (x1) et hégémonique w(t,E).
Faisons remarquer que le champ hégémonique dépend des vecteurs spatial (E)
et historique (t) de l’espace institutionnel. Ce sont ces deux éléments de la
fonction w(t,E) qui vont nous permettre de repérer lequel des champs de la
praxis sociale impose sa dominance dans le processus de structuration
spatiale.
Il est possible de complexifier ce dernier en tenant compte de la
dynamique sociétale à l’échelle mondiale. Dans ce cas, le champ
d’objectivation de la praxis sociale se formalise ainsi :
Xm = X(X1, X2, X3...... Xn)
où Xm représente le champ global de la praxis sociale à l’échelle mondiale, et
(X1...Xn), les champs globaux nationaux des praxis sociales de pays
différentiels.
A ce champ Xm va correspondre une rationalité mondiale spécifique:
Rm = R[r(X1), r(X2).....r(Xn)]
Rm = R[ R(θ 1) , R(θ 2) …..R(θ n) ]
En introduisant les hypothèses, déjà, étudiées précédemment, de champ
structurant, ψ = ψ (x1), et de champ hégémonique, W = W(T, E) où x1, T, E
représentent, respectivement, le champ structurant, le temps et l’espace, la
fonction précédente Rm devient :
Rm = R[R(θ 1) , R(θ 2) …..R(θ n) , ψ (x1), W(T, E)] = r(∆ m)
Par conséquent, la fonction (c) de la rationalité globale de l’espace
institutionnel d’un pays donné, ouvert au monde extérieur, devient :

R = R[r(∆ 1), r(∆ 2)....r(∆ n), r(∆ m)] = R(ϕ ) (d)

où l’expression [r(∆ 1), r(∆ 2)....r(∆ n), r(∆ m)] désigne l’identité de l’espace
institutionnel que personnalisent les rationalités spécifiques
15

interconnectées des praxis sociales nationale et mondiale et soumises aux


forces structurante et hégémonique de leurs champs.

A ce niveau d’analyse, l’espace institutionnel est identifié d’une


manière fort abstraite et reste très ouvert. Si l’on souhaite le rendre opératoire, il
convient d’identifier la nature des rationalités de la praxis sociale dans un
espace donné et d’examiner leur dynamique de fonctionnement.
Si l’on admet que l’on peut ramener les différents champs de la praxis
sociale aux « Cités » de THEVENOT ET BOLTANSKI , la rationalité globale
d’un espace institutionnel peut s’exprimer alors par une fonction dont les
éléments sont plus ramassés :

R = R[r(∆ 1), r(∆ 2),r(∆ 3), r(∆ 4), r(∆ 5),r(∆ 6), r(∆ m)] =R(χ )
(e)

Où [r(∆ 1), r(∆ 2), …r(∆ 6), r(∆ m)] désigne les rationalités
spécifiques des différentes « Cités » interconnectées entre elles et soumises
aux forces structurante et hégémonique de leurs champs dans le cadre
d’une dynamique mondiale.

2.2. LA FORCE DYNAMIQUE DE L’ESPACE INSTITUTIONNEL

Partons de l’équation de la fonction du champ structurant :


ψ = ψ (x1)

où x1, rappelons-le, représente le champ à partir duquel prennent corps les


autres champs. Supposons que x1 soit le champ économique. Les forces
structurantes du champ économique empruntent à la fois aux théories
traditionnelles de la localisation et aux logiques différentielles des acteurs en
présence.

2.2.1. L’APPROCHE TRADITIONNELLE DE LA LOCALISATION ET L’ASPECT


OBJECTIF DE LA FORCE DYNAMIQUE DE STRUCTURATION

Si l’on s’arrête aux présentations traditionnelles de la structuration de


l’espace où celui-ci « intervient à travers les anisotropies de coûts et les coûts
de franchissement de la distance physique » (VELTZ, 1993,p.671), on peut,
avec LUC-NORMAND TELLIER (1985, p.6), mettre, en avant, la fonction
suivante de la dynamique de localisation des entreprises:

L(x) = L[(F1(x)…Fj(x)….Fm(x), G(x, y1)…G(x,yk)…G(x,yn)]

où:
• F(x) renvoie « aux propriétés absolues du point x » (TELLIER, 1985,
P. 6) lorsque l’on considère les facteurs de localisation 1,j,m, ces derniers
16

pouvant être « le loyer, le coût de terrain, les taxes foncières, le zonage, [les
ressources], etc) » (TELLIER, 1985, p.6) ;

G(x,y) est une fonction qui traduit la distance, la « position relative


du point x par rapport à certains autres points de l’espace » (TELLIER, 1985,
p.6). Cette fonction permet d’examiner « les phénomènes d’attraction et de
répulsion par rapport à certaines activités » (TELLIER, 1985, p.7).

Ce type de fonction garde son actualité et son éclairage peut nous aider à
comprendre la complexité de la structuration spatiale. Cependant, il nous
semble qu’elle ne nous rend pas compte du caractère vivant et différencié des
mécanismes structurant l’espace. C’est pourquoi nous nous proposons de
prolonger cette approche traditionnelle de la fonction de localisation en
l’investissant dans la dynamique de l’espace institutionnel.

2.2.2. L’APPROCHE DYNAMIQUE DE L’ESPACE ET L’ASPECT SUBJECTIF DE


LA FORCE DE STRUCTURATION SPATIALE

Pour notre part, la force dynamique de l’espace institutionnel mobilise deux


blocs de fonctions :
- Le premier a trait aux éléments de la fonction traditionnelle de
localisation (L(x)). Il s’agit, là, de l’aspect objectif de la force de l’espace
institutionnel dont l’expression s’affirme par des données quantitatives liés aux
différents facteurs de localisation ;
- Le second porte sur les différentes rationalités (R), évoquées
plus haut, des acteurs en présence (A) insérés dans des systèmes productifs et
d’échange aux technologies (T) en perpétuelle mutation. Il est question, ici, du
caractère subjectif de la force spatiale de structuration dont l’essence renvoie
aux différentes stratégies historiques des acteurs. On peut l’exprimer ainsi :
H(x) = H(A, R, T)
Ces deux aspects objectif et subjectif de la force dynamique structurante de
l’espace institutionnel peuvent être ramassés par la fonction suivante :

F(x) = F[ L(x), H(x)] (f)


ou par celle plus explicite:
F(x) = F{ [F(x)…F(x)…F(x), G(x,y)…G(x,y)…(G(x,y)], H (A,R,T) } (f’)
Au total, à la lumière de cette fonction (f’), de celle de l’identité de
l’espace (e) R = R[r(∆ 1), r(∆ 2),r(∆ 3), r(∆ 4), r(∆ 5),r(∆ 6), r(∆ m)]
=R(χ ) et des différents auteurs mobilisés, la définition provisoire, déjà
présentée tout au début de ce travail, de l’espace institutionnel peut être
affinée. Ce dernier se présente, alors, comme l’espace physique, porteur des
facteurs objectifs de localisation, où vient s’objectiver l’action humaine
subjective, sous ses différents aspects, au travers d’une rationalité
différenciée dont la substance nourricière provient :
17

• d’une part, de forces dynamiques de socialisation façonnant


l’identité sociale des individus en interaction;

• et d’autre part, de forces dynamiques d’adaptation et


d’évolution rendues nécessaires par un environnement matériel en
mouvement.

Cette définition nous permet de nous rendre compte que l’espace


institutionnel est une entité systémique complexe où se mettent en œuvre des
processus différenciés dont le décryptage ne peut être assuré que par la
mobilisation rationnelle de projecteurs théoriques pluriels capables d’éviter les
écueils du tout sociologisme ou du tout économisme.

- CONCLUSION -

Le processus de structuration spatiale dont la problématique, avions-nous


déjà dit, n’est pas nouvelle pourrait être revisité à la lumière de la fonction de
l’espace institutionnel. Sans aucune sensibilité dogmatique, il nous semble que
c’est dans l’examen conjugué des aspects objectif et subjectif de ce dernier que
l’on pourra rendre compte de la dynamique réelle de structuration spatiale. Il
conviendrait d’étudier ses composantes dans leur singularité et dans le réseau
de leurs interrelations. C’est, là, une tâche bien ardue, mais possible.
Quelques pistes de recherche peuvent être suggérées. A l’aspect objectif de
la fonction de localisation ayant, déjà, fait la cible d’analyses fort
pénétrantes, il faudrait ajouter celui subjectif de la fonction qui met en jeu les
logiques d’actions des acteurs dans un environnement technologique en
évolution incessante. On pourrait mettre en œuvre cette fonction dynamique
H(x) = H(A,R,T) dans les pays du Tiers-Monde et dans les pays industrialisés
afin de souligner les formes différenciés de structuration spatiale.
Cette direction de recherche viendrait, avec humilité, enrichir les apports déjà
mentionnés et fort enrichissants de Favereau (1995), Crevoisier et Gigon
(2000), Gilly et Leroux (1999), mais également l’approche de la dynamique
spatiale de Lacour (1996) qui, par la « tectonique des territoires », nous offre
« un cadre d’interprétation » assez souple de « la complexité » où nous
pouvons mieux nous rendre compte de « la complétude de champs, de
domaines bien souvent séparés» (LACOUR, 1996, P.32)
Les pistes de recherche que nous venons d’évoquer ne peuvent être
empruntées que si l’on adopte la posture théorique, déjà mentionnée à
l’introduction, qui rejette la dynamique de réification de l’Etre et affirme celle
où « la personne "économique" représente un individu de l’espèce humaine qui
accomplit un calcul économique élargi à l’autre et intégrant forcément des
normes morales » (MAHIEU,, 2001 P.314). L’individu ne doit pas être
appréhendé comme un facteur passif gérable comme une chose, mais comme, à
la fois, un façonné par l’histoire et un façonneur de celle-ci.
18

Cette sensibilité méthodologique nous a permis de nous rendre compte du


caractère complexe de l’identité de l’espace institutionnel. Elle nous a évité de
survaloriser les approches technicistes de la localisation qui, certes, participent à
l’éclairage des mécanismes de la dynamique spatiale, mais restent muettes sur
la genèse des processus mis en œuvre. Elle nous fait toucher du doigt la richesse
et la densité que recèle l’espace institutionnel dans la compréhension du
processus de structuration spatiale. Elle nous a fait prendre de la hauteur par
rapport à la logique des prismes conceptuels réducteurs où l’objectivation de
l’action humaine n’est éclairée qu’au travers de ressorts notionnels spécifiques
mus par des rationalités spécifiques cloisonnées. Elle nous a facilité
l’enrichissement de la fonction de structuration dans le sens de la prise en
compte du caractère complexe de la réalité en mouvement.
Au total, compte tenu des tiraillements disciplinaires des sciences sociales
et des velléités paradigmatiques hégémoniques, sans tomber dans l’outrance
théorique, les notions d’espace institutionnel et de sa force de structuration
nous offrent, peut-être, là, un éclairage cognitif complémentaire, ouvert, et
susceptible de suggérer des grilles de lecture appropriées pour aider à la
compréhension de la dynamique de construction spatiale.

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RESUME
L’objectif de cet article est un essai de caractérisation de la notion d’espace
institutionnel. Deux temps analytiques sont mis en relief. D’abord, il est
question de la mise en évidence du processus de l’institutionnalisation de
l’espace. Ensuite, l’effort théorique porte sur une tentative de formalisation de
22

ce dernier en prenant soin de bien souligner sa force dynamique de


structuration.

SUMMARY
The aim of this paper is to characterize the notion of institutional space.
First, we try to show the process of space institutionalization. After, we make a
theoretical effort to formalize the institutional space with its dynamic force of
structuring.

NOTES

(1) Nous revisitons, là, un travail que nous avons fait (1998) en lui apportant
une triple modification :
- d’abord, la force dynamique de structuration de l’espace n’est pas
seulement présentée par son aspect subjectif, mais également par celui
objectif ;
- ensuite, l’argumentaire mis en œuvre s’est enrichi de nouveaux auteurs ;
- enfin, l’approche analytique se veut moins partisane dans la mesure où le
paradigme de l’individualisme méthodologique n’est pas sacrifié sur
l’autel du holisme. La notion d’homo institutus, par sa charge
évocatrice de l’homme dans la société institutionnelle, ne se réduit point
à une « théorie des sites » rythmée par l’ordre socio- topographique. Elle
nous semble en situation de rendre mieux compte des aspects convergents
du « structuralisme constructiviste » et de l’« individualisme
institutionnel ».

(2) On pourra se référer avec grand profit au chapitre 1 - L’intégration de


l’espace dans l’analyse économique:l’économie spatiale - de l’ouvrage de
Lajugie, Delfaud et Lacour (1979) où nous sont clairement exposées les
principales grilles de lecture de la dynamique spatiale. On y trouvera,
également, en notes de bas de page, des références bibliographiques fort utiles.

(3) Il importe de souligner avec FAVRE (1980, p.1253) que, contrairement à


certaines prénotions, l’individualisme méthodologique de Boudon n’exclut pas
le poids éventuel des structures sociales dans le comportement des individus
dans la mesure où celui-ci est « conditionné par la logique de la situation :
l’acteur est pris dans une structure d’interaction…».

(4) La notion de rationalité limitée caractérise le comportement d’un individu


soumis à une double contrainte objective : l’imperfection de l’information dont
il dispose et le caractère fini de ses connaissances.

(5) L’incertitude (KNIGHT, 1921) se distingue du risque par son aspect non
probalisable. Elle insère l’individu dans une atmosphère de navigation à
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l’aveugle. Par contre, le risque permet à l’individu une vue minimale sur le
cours des évènements. Il lui permet de se rendre compte des différentes
situations possibles d’un événement sans être renseigné sur celle qui verra
effectivement le jour. Dutraive (1993) nous fait remarquer que ces notions de
risque et d’incertitude de Knight sont reprises par Langlois (1987) et désignées
respectivement par « incertitude paramétrique » et « incertitude structurelle ».

(6) « Un comportement est substantivement rationnel lorsqu’il est approprié à


l’accomplissement de buts donnés dans les limites imposées par des conditions
et des contraintes données » (SIMON, 1976, in MBR II, 1982, P. 425, cité par
LE MOIGNE , 1995, p. 253). L’individu, baignant dans un monde de parfaite
information, fort de son omniscience et de son omnipotence, « ajuste les
moyens aux fins » (GRANGER, 1995) pour obtenir la solution optimale.

(7) « Un comportement est procéduralement rationnel lorsqu’il est le


résultat d’une délibération appropriée. Cette rationalité procédurale dépend du
raisonnement qui l’engendre » (SIMON, 1976, in MBR II, 1982, P.426,cité par
LE MOIGNE, 1995,p.253). Dans ce type de rationalité tendue vers un objectif,
l’action s’inscrit dans un processus adaptatif. GRANGER (1995) parlera de
rationalité « d’utilisation des conditions techniques de la pensée et de
l’action ».

(8) L’expression « économie ponctiforme » est empruntée à Lajugie, Delfaud et


Lacour (1979)

(9) « Les transactions d’affaires [marchandes] transfèrent la richesse au moyen


d’accords volontaires entre égaux en droits. Les transactions de direction
créent la richesse au moyen d’ordres de supérieurs en droits. Les transactions
de répartition la distribuent au moyen d’accords entre supérieurs en droit »
(COMMONS, 1935, cité par BAZZOLI et DUTRAIVE, 1995).

(10)« Si j’avais à caractériser mon travail en deux mots…, je parlerais de


constructivist structuralism ou de structuralist constructivism, en prenant le mot
structuralisme en un sens très différent de celui que lui donne la tradition
saussurienne ou levi-straussienne Par structuralisme ou structuraliste, je veux
dire qu’il existe, dans le monde social lui-même, et pas seulement dans les
systèmes symboliques, langage, mythe, etc., des structures objectives,
indépendantes de la conscience et de la volonté des agents, qui sont capables
d’orienter ou de contraindre leurs pratiques ou leurs représentations. Par
constructivisme, je veux dire qu’il y a une genèse sociale d’une part des schèmes
de perception, de pensée et d’action qui sont constitutifs de ce que j’appelle
habitus, et d’autre part des structures sociales, et en particulier de ce que
j’appelle des champs et des groupes, notamment de ce qu’on nomme d’ordinaire
les classes sociales » .
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(11) Pour Agassi, toute approche analytique doit éviter les survalorisations de
l’individualisme ou du holisme. Pour lui, il n’y a pas lieu de poser le primat de
l’un sur l’autre. Il n’ y a pas de détermination en première instance de l’un ou de
l’autre. « we may assert that “ wholes” do exist[…], but they have no
(distinct) interests. These “wholes” are social groups as well social institutions
–in the widest sense of the word, and covering a wide variety, from customs to
constitutions, and from neighbourhoods to state. An institution may have aims
and interests only when people give it an aim, or act in accord with what they
consider should be its interest; a society or an institution cannot have aims and
interests of its own. Yet, both the individual and society are now taken as
primary, at least in the sense that we cannot reduce psychology into sociology
and we cannot reduce sociology into psychology (1975, P. 152) ».

(12)« Afin de préciser qu’une méthodologie de type individualiste


n’implique en aucune façon que soient méconnues les contraintes de l’action et
les structures ou institutions qui déterminent ces contraintes, on parle
quelquefois d’individualisme structurel (WIPPLER) ou d’individualisme
institutionnel (BOURRICAUD) ».

(13) Notre démarche, en termes de formalisation, est à rapprocher de celles de :


-Boudon (1988, P.32-33) qui identifie tout phénomène social par la
fonction suivante : M = M[m(P)] où « le phénomène global M dérive d’un
ensemble de comportements individuels m résultant de motivations elles-mêmes
affectées par des données globales P ».
-Et Dunlop(1958, cité par MULLER-JENTSCH, 1998, p.10-11) qui,
dans le registre de l’économie industrielle, conceptualise « la structure interne
d’un système de relations industrielles » par la fonction suivante : R = R (A,
T,M,S, I) où R se rapporte au « réseau de règles » du système ; A, aux acteurs
en présence ; T, à la technologie; M, au marché ; S au statut des acteurs et I, à
l’idéologie.

(14) Les notions -structurant et hégémonique - sont à rapprocher


respectivement, dans le langage marxiste, de celles de déterminant et dominant.

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