Sunteți pe pagina 1din 6

CINÉMA(/CINEMA,58) + MUSIQUE(/MUSIQUE,59)

+ L I V R ES
ES(( / L I V R ES ,6 0 ) + SCÈNES(/THEATRE,28)

+ ARTS(/ARTS,99964) + IMAGES(/IMAGES,100296)

+ LIFESTYLE(/VOUS,15) + MODE(/MODE,99924)

+ BEAUTÉ(HTTPS://WWW.LIBERATION.FR/BEAUTE,100215)
+ FOOD(/FOOD,100293)

CRITIQUE

SEMPÉ SANS SE
VANTER
Par Mathieu Lindon (https://www.liberation.fr/auteur/1956-mathieu-
lindon)
— 19 juin 2019 à 17:26

Le dessinateur, subtil et rebelle,


a construit une œuvre majeure où il
dissèque les postures de notre époque.
Dans un nouvel ouvrage, il revient sur
son parcours.
J.J. Sempé

On a souvent envie de raconter les dessins de Sempé, parce qu’ils sont


de petites histoires, et voici qu’ici c’est Jean-Jacques Sempé lui-même
qui les raconte - ou qui du moins commente le déroulé de sa création
depuis sa jeunesse (il est né en 1932) jusqu’à aujourd’hui. Itinéraire
d’un dessinateur d’humour regroupe bien sûr des dessins de Sempé,
mais des connus comme des inédits, et s’y ajoutent comme dans les
derniers albums des dialogues avec Marc Lecarpentier ainsi que divers
informations et documents biographiques et professionnels. Le mot
«minable» apparaît souvent dans ces divers cadres, prononcé par le
soi-disant minable.

Autoportrait du dessinateur dans la dernière page : «Je suis paniqué et


je le reste. […] J’ai sûrement peu à peu vieilli mais je reste un
handicapé de la vie concrète.» Plus tôt, à propos de son premier album
édité en France, Rien n’est simple, en 1962, chez Denoël dont le patron
Alex Grall et sa femme Monique auront une influence sur la destinée du
Petit Nicolas, cette explication de son profil bas permanent : «C’est
toujours terrible de se vanter, de se mentir à soi-même parce que ça
laisse au fond de soi un regret abominable, infâme, une honte
profonde… Ça m’est arrivé de me vanter et je me souviens très
précisément des souffrances qui ont suivi !»

Petits boulots
Cette anecdote qu’il raconte lui-même relève peut-être de ses
vantardises : «J’avais parfaitement conscience en arrivant à Paris que
mes dessins étaient balourds et j’étais très complexé de ne trouver
aucun travail. Je masquais cela sous une désinvolture qui, bien sûr, ne
cachait rien du tout de ma situation. Alors que je rendais visite à
Chaval dont un copain m’avait donné l’adresse, j’avisai une
reproduction sur le mur et demandai : "Qu’est-ce que c’est que ça ?"
"C’est Igor Stravinsky par Picasso", me répondit la femme de Chaval
qui était peintre. "C’est beau, n’est-ce pas ?" "C’est très mal dessiné",
répondis-je. Chaval et sa femme me regardèrent interdits, leur tasse
de café au lait à 10 centimètres de la bouche. Un peu impatienté,
Chaval me dit : "Quand vous trouverez ça bien dessiné, c’est que vous
aurez fait des progrès."»

Sempé est arrivé à Paris de Bordeaux avant d’avoir 18 ans, plusieurs


années après avoir abandonné l’école pour de petits boulots (livreur à
vélo, courtier en vin) et il ne va plus cesser de faire des progrès.
«Observateur déconcerté et amusé du monde qui l’entoure, le
dessinateur en vient à ausculter, mine de rien, l’âme humaine en se
jouant de la disproportion des situations, des rôles, des propos ou des
pensées que tiennent ses personnages», écrit Marc Lecarpentier qui
présente aussi cet album comme «une autobiographie inconsciente» et
voit la trajectoire de Sempé comme un passage du gagman à l’artiste et
du rire au sourire (mais le rire est encore dans le sourire). «Vocation»
est manifestement un mot qui semblerait si prétentieux à Sempé qu’il
ne l’emploie même pas pour s’en défendre. «Je ne me suis jamais dit :
"Mon truc, c’est le dessin." J’aimais dessiner, même mal, et je me suis
dit, je vais essayer. Je me suis dit, je vais proposer des dessins aux
journaux. Je vais voir.» Mais ce qu’il adorait était la musique,
travailler avec Ray Ventura ou Duke Ellington des rêves.

Perles
Ce n’est pas pour autant «un regret» d’être devenu dessinateur : «C’est
un étonnement. C’est le résultat d’un acharnement un peu dingo. […] Il
fallait que je fasse quelque chose. On m’aurait dit de devenir peintre en
bâtiment, je devenais peintre en bâtiment. Mais, si j’avais eu de
l’argent, si j’avais été un fils de bourgeois je n’aurais pas travaillé.»
Avoir un dessin accepté n’est alors toutefois pas seulement l’assurance
d’un petit cachet. «C’est toujours comme un petit miracle. Un peu
comme une bonne note à l’école…» Un dessin de 1953 paru dans Sud-
Ouest Dimanche où on ne reconnaît pas encore tout ce qui fera le style
de Sempé mais qui tire cependant vers le côté Petit Nicolas, en moins
bienveillant : pendant que le père lit le journal dans son fauteuil, la
mère balaie et dit sévèrement au petit garçon mécontent «tu auras des
jouets quand tu y croiras au père Noël !» Sempé à Marc Lecarpentier,
des décennies plus tard : «C’était peut-être une sorte de thérapie :
quand je me suis mis à dessiner, j’ai eu envie de dessiner des gens
heureux. De faire du dessin humoristique avec des gens heureux. Ce
qui est de la folie. Mais ça c’est mon caractère.» On voit aussi les
croquis de 1983 qui aboutissent au dessin de 2003 où, bien loin de la
jungle, dans une pièce bourgeoise, un homme quelconque dit à une
femme assise dans un fauteuil le visage enfoui dans un mouchoir
(le texte aussi a évolué au fil des essais) : «Un lion blessé est toujours
cruel !» Il y a diverses versions de la femme, dans une splendide salle
de concert, dont le collier se rompt soudain et dont les perles viennent
tomber une à une sur la grosse caisse et les timbales. Sempé : «Tous les
poncifs concernant les femmes, je les ai utilisés à Sud-Ouest. Quand je
n’ai plus eu de poncifs à ma disposition, je me suis mis à mieux
regarder les femmes, et je me suis aperçu que je m’étais longuement et
lourdement trompé.»

Il explique son goût pour les documentaires par le sentiment que c’est
ça qu’il fait, «des documentaires très rapides sur ce qu’on va appeler le
comportement humain, ou l’angoisse humaine, ou la peur existentielle,
ou la crainte existentielle». Dans cette entreprise, la psychanalyse
l’aide à sa manière, c’est-à-dire non pas en lui fournissant un analyste
mais des sujets pour des dessins (l’enterrement d’un divan, ce n’est pas
n’importe quoi) et ce souvenir un peu incongru : «La seule chose qui
m’a fait rire, c’est le match de tennis entre deux psychanalystes auquel
j’ai un jour assisté par hasard. Je n’ai jamais vu un tel sentiment de
haine entre deux personnes !» La haine n’est certes pas le sentiment
dominant chez Sempé où même les armes, qui ne sont pas légion,
provoquent le rire, à l’image de ces deux versions d’un dessin sans
légende paru en 1959 dans Sud-Ouest Dimanche puis repris en 1964
dans Sauve qui peut : six hallebardiers sont en rang sur la scène d’un
théâtre quand le rideau se lève, mais l’un d’eux a sa hallebarde prise
dans le rideau et s’élève avec lui devant tous les spectateurs.

Décalage
«J’ai été gâteux très jeune, en aimant des choses qui étaient déjà
démodées : cela m’a donné de grandes joies dans la vie.» C’est ainsi
que Sempé a traversé les époques. Il a commencé à travailler pour
Paris Match en 1957 et y travaille encore. C’est un éditeur allemand qui
lui propose à la fin des années 50 de publier ce qui sera son premier
album, Volltreffer («en plein dans le mille»), avant qu’une bonne
quarantaine ne suivent en français, dont un en collaboration avec
Patrick Modiano (Catherine Certitude) et un autre avec Patrick
Süskind (l’Histoire de Monsieur Sommer).

Il a dessiné sa première couverture pour le New Yorker en 1978 et il est


toujours présent à la une de l’hebdomadaire, quarante ans et plus
de 110 couvertures dessinées plus tard. Françoise Giroud lui propose
en 1965 de travailler à l’Express où il restera dix ans, fournissant une
double page hebdomadaire sur «la vie moderne». C’était un plaisir et
un enfer. «Quand Jean-Jacques Servan-Schreiber - qui n’était pas
vraiment un rigolo - m’a viré, considérant que ce que je faisais ne lui
plaisait plus, j’ai presque été soulagé !» Il publie Saint-Tropez en 1968.
Il est toujours à la fois dans le monde et à côté. Il dessine le plus
souvent des postures, face à la société, la nature ou ses propres
sentiments - alors les postures passent mais ses dessins restent. Un
album de 1977 s’intitule Un léger décalage et ce titre s’applique à tout
son travail. Le décalage n’est léger que de ne pas peser mais c’est un
décalage dans toute sa splendeur. On ne le voit pas tout de suite (et, de
fait, l’expérience montre qu’on avait le temps de le remarquer) parce
que l’époque propose souvent une autre image de la radicalité, mais
l’œuvre de Sempé est radicale.

Exposition des dessins originaux de Raoul Taburin jusqu’au 10 octobre à la galerie Martine
Gossieaux, 56, rue de l’Université, 75 007 Paris. Rens. : www.galerie-martine-
gossieaux.com(http://galerie-martine-gossieaux.com/site/).

Mathieu Lindon (https://www.liberation.fr/auteur/1956-mathieu-lindon)

Sempé Itinéraire d’un dessinateur d’humourTexte de Marc Lecarpentier. Editions Martine

Gossieaux, 298 pp., 39 €.

Exposition Sempé en liberté au musée Mer marine de Bordeaux, 89, rue des Etrangers, jusqu’au 6

octobre.

S-ar putea să vă placă și