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Moulin Léo. Les origines religieuses des techniques électorales et délibératives modernes. In: Politix, vol. 11, n°43, Troisième
trimestre 1998. pp. 117-162;
doi : 10.3406/polix.1998.1746
http://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1998_num_11_43_1746
et délibératives modernes
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1. Outre les ouvrages de A. Pertile et de Salvioli, cf. Luchaire (J.), Les démocraties
italiennes, Paris, Flammarion, 1915 ; Luchaire (J.), Les sociétés italiennes du XIHe au
XVe siècle, Paris, A. Colin, 1933 ; Orsi (P.), Signorie et Principali ; Rossi-Sabatini (G.),
L'espansione di Pisa nel Mediterraneo fino alla Meliora, Florence, 1935 ; Regesto del
Capitolo du Lucca, 4 vol., 1910-1937 ; Villari (P.), / primi due Secoli délia storia di
Firenze, Firenze, s.d. ; Konopczynski (L.), Liberum veto..., op. cit., p. 50-57 ; Cessi (R.), Gli
statua veneziani di Jacopo Tiepolo del 1242 e le loro glosse, Venezia, 1938 ; Poumarède,
Les usages de Barcelone, thèse Toulouse, 1920 ; Bourilly (V.-L.), Essai sur l'histoire
politique de la commune de Marseille des origines à la victoire de Charles d'Anjou
(1264), Aix, Dragon, 1927 ; Giraud (Ch.), Essai sur l'histoire du droit français au Moyen
Age, Paris, Videcoq, 2 vol., 1846 ; Mengozzi (G.), La Città italiana nell'alto mediovo,
Florence, La Nuova Italia, 1931 ; Kreyschmayr (H.), Geschichte von Venedig, 3 vol., 1905-
1934, vol. II, p. 68-132 ; Jacopo da Varagine e la sua cronaca di Genova, Roma, 1941, 3 vol.,
1941 ; Lesage (G.), Marseille angevine (1264-1348), Marseille, E. de Boccard, 1950 ;
Maragone (B.), Gli annales Pisani, Bologna, 1930-1936 ; Muratori, Raccolta degli storici
italiani dal cinquentecento al 1500, 1900 ; Heywood (W.), A History of Pisa, Cambridge,
1921.
2. Codice diplomatico, Roma, 1936.
3. Solmi (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., p. 645 et s., p. 691.
4. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, 1ère Part., p. 131-136.
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lexiques précités qui puisse indiquer qu'il ait été pris dans le sens de
«majorité». Ducange (s. v° Pluralitas) ne l'entend que dans le sens de
Numerus ou de Multitudo (in Regula S. Columbani, cap. 7). Les mots
maioratus et pluralitas ne se trouvent pas dans la règle de saint
Benoît1. Même remarque pour les constitutions de la Compagnie de
Jésus2, les statuts des Prémontrés, des Chartreux, des Cisterciens, et,
d'une façon générale, pour les règles, constitutions et statuts des ordres
et instituts religieux les plus anciens. La Bulle du pape Honorius III sur
la règle des Frères mineurs (chap. VIII) ne définit même pas comment
doit se faire l'élection du ministre général. La règle de saint Augustin
qui est la règle des Frères prêcheurs, cite le Presbitre comme maior
auctoritas, mais n'en fait évidemment pas pour cette raison l'élu de la
majorité. Même situation en français. La Grande encyclopédie ne connaît
pas les mots «Majorité», «Pluralité», ou «Scrutin». La façon compliquée
dont, au mot «Election», elle définit majorité absolue et majorité
relative, prouve à suffisance que les deux notions sont loin d'être
familières au XVIIIe siècle. En 1842 encore, le Dictionnaire politique (s.
v° Majorité) note que le mot est «nouveau en politique». Il possède (on
s'en doute bien, vue l'époque) un «sens général et philosophique». Il
possède «un système, un être moral», ce qui n'est pas le cas du mot
«pluralité» (s. v° Pluralité)3. Enfin Littré signale les mots majorité et
minorité, pris dans le sens politique actuel, comme des anglicismes,
introduits dans la langue française au XVIIIe siècle par Voltaire et
Mirabeau, et regrette que l'usage du mot pluralité (s. v°, 2°), dont se
servait Descartes et qui était excellent, se soit perdu. Par contre, dans
les pays anglo-saxons, le mot plurality qui marque mieux l'aspect
arithmétique du concept majoritaire, a pris la place de majority.
1. Sancti Benedicti Regula, éd. Butler (C.) , 1935, cf. chap. II du présent article, § 3 et 4.
2. Societatis Iesu Constitutiones et Epitome Institua, Rome, 1949.
3. Encyclopédie du langage et de la science politiques, Paris, 1842.
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1. Viollet (P.), Histoire des institutions politiques..., op. cit., vol. I, p. 317. Cf. les
conclusions du présent article, chap. Ill, § 1.
2. Konopczynski (L.), Liberum veto..., op. cit., p. 36 ; Pertile (A.), Storia del diritto
italiano, op. cit., vol. I, p. 47.
3. Poumarède, Les usages de Barcelone, op. cit., p. 350 et s. «Lex est constitutio populi,
quam majores natu com plebi sanxeunt. Nam quod rex aut imperator edicit, constitutio
vel edictum vocatur» (Usages, 139, emprunté à Isidore de Seville, Origines, Liv. II,
chap. X, § 1.
4. P. L, vol. LIV, p. 628. Cf. chap. II, § 1 du présent article.
5. Lévy-Bruhl (H.), Les élections abbatiales en France. Époque franque, op. cit., p. 87
et s. ; McLaughlin (T.), Le très ancien droit monastique de l'occident, Poitiers,
Imprimerie moderne, 1935, p. 90 et s. ; Esmein (A.), Cours élémentaire d'histoire du droit
français, op. cit., p. 143 et n. 14, 15 et 16 ; Esmein (A.), «L'unanimité et la majorité dans les
élections canoniques», Mélanges Fitting, op. cit., Montpellier, Société anonyme de l'imp.
générale du Midi, 1907-1908, p. 358 et s. ; Viollet (P.), Histoire des institutions
politiques..., op. cit., vol. I, p. 410-415 ; Konopczynski (L.), Liberum veto..., op. cit., p. 44
et s.
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Relectures
1. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, p. 250-261, 262-263.
2. Esmein (A.), «L'unanimité et la majorité dans les élections canoniques», art. cité, p. 358-
362.
3. Tempels (PL), La philosophie bantoue, Paris, Éditions africaines, 1949.
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1. Cf. Baty (T.), « The History of Majority Rule », Quaterly Review, vol. CCXVI, 1912, p. 8 ;
Salvioli (G.)> Storia del diritto italiano, op. cit., p. 255 et n. 236.
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Relectures
1. Konopczynski (L.), Liberum veto..., op. cit., p. 52 ; Pertile (A.), Storia del diritto
italiano, op. cit., vol. II, 1ère Part., p. 131-135.
2. Wolfson (A. M.), «The Ballott and Other Forms of Voting in Italian Communes», art.
cité, p. 14-15.
3. Van Mohl (H.), Manuel de droit constitutionnel de la Belgique, Liège, G. Thone, 1946.
4. Ruffini, I sistemi..., op. cit., p. 22-23.
5. Konopczynski (L.), Le liberum veto, op. cit., p. 37-38.
6. Salvioli (G.), Storia del diritto italiano, op. cit., p. 256-257, n. 237.
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1. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, 1ère Part., p. 50-53.
2. À Rome, il proclamait : Haec pars maior videtur. Le système est, dans une certaine
mesure, encore en usage dans le Parlement britannique.
3. Ruffini, / sistemi..., op. cit., p. 39.
4. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, 1ère Part., p. 110-117.
5. Ibid., p. 131-133.
6. Konopczynski (L.), Liberum veto..., op. cit., p. 40.
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Relectures
1. Salvioli (G.), Storia del diritto italiano, op. cit., p. 262, n. 1 ; Pertile (A.), Storia del
diritto italiano, op. cit., vol. II, p. 146-147.
2. Glotz (G.), La cité grecque, Paris, La Renaissance du livre, 1928, p. 149. «Le sort est un
Dieu», écrit Platon (Lois, VT).
3. Daremberg, Saglio, s. v° Sortitio.
4. Sur les origines «religieuses» de cette loi, cf. Moulin (L.), Socialism of the West,
London, 1947, p. 75.
5. Pour remplacer Judas l'Isacriote, le collège des Apôtres a proposé deux candidats que
le sort a départagés. Cf. Acta Apost., I, 23, 26.
6. Cf. toutefois un recours au sort, légitimé au XIXe siècle, in Catholic Encyclopaedia, s.
c° Élection.
7. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, p. 146-147 ; Poullet, op. cit., II, §
747.
8. Lesage (G.), Marseille angevine (1264-1348), op. cit., p. 68. Fait ainsi mention d'une
commission restreinte de 6 à 8 membres, nommée à Marseille, après 1252.
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Les électeurs peuvent leur imposer des conditions, par exemple celle
d'un accord unanime.
1. Coll. de Documents inédits sur l'Histoire de France, 1877, publié par C. Port.
2. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, p. 240-273.
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Relectures
12° La durée du mandat. - Dès l'origine, pour les consuls et pour les
conseillers, elle est d'un an au plus, avec, le plus souvent, interdiction
pour la durée d'un, parfois de deux et même de cinq ans, d'être réélu3.
Au Xlle siècle, celle des podestats fut réduite à six mois, en raison de
l'étendue de leur pouvoirs. Mais, par la force des choses, les exceptions
furent nombreuses et le devinrent toujours plus au cours des siècles au
point de voir se transformer en fonctions pour ainsi dire héréditaires, les
pouvoirs des magistrats communaux. Pirenne signale le cas d'échevins
élus à vie, en Flandres et en Wallonie (ce n'est qu'au Xlle siècle que
l'élection devint annuelle). Il en fut de même à Wesel. A Venise, le doge
est élu à vie : il est vrai que ses pouvoirs sont extrêmement limités.
Lorsque la durée du mandat est brève et que les statuts interdisent le
renouvellement sans interruption du mandat, la continuité des affaires
était plus ou moins assurée par le serment que prêtaient les nouveaux
élus d'assumer les obligations et les mesures prises par leurs
prédécesseurs. Dans certains cas, les anciens étaient appelés en
conseil.
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1. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, p. 130-131. Des dispositions
semblables existent en droit belge. Cf. Van Mohl (H.), Manuel de droit constitutionnel de
la Belgique, op. cit., § 242, p. 202.
2. Ruffini, / sistemi..., op. cit., p. 65.
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IL Les systèmes électoraux et délibératifs religieux
Si, après avoir esquissé, autant que nous le permet l'état actuel de nos
connaissances, les systèmes d'élection et de délibération en usage dans
les communes, nous nous tournons vers les systèmes en usage dans
l'Église et dans les communautés religieuses, qu'y trouvons-nous 71
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L'élection des évêques est faite par les autres évêques, en présence du
peuple, véritable source du pouvoir quando ipsa (plebs) maxime habeat
potestatem vel eligendi... vel recusandi1. Les mots plèbe praesente
reviennent constamment dans les récits d'élections épiscopales. Le
peuple est présent, c'est un fait ; est-il actif ? C'est une autre question.
Il ne l'est guère de nos jours, sinon par à-coups et sous l'impulsion de
ses militants ; il n'y a aucune raison de croire qu'il en était autrement
au Moyen Âge. Le plus souvent les éléments moteurs du clergé local,
après délibération, présentent l'élu au peuple et celui-ci, bon enfant,
l'acclame pour marquer son accord. Ainsi se font, à l'unanimité et par
acclamation, les élections épiscopales du Ile au Vie siècle environ, plèbe
praesente. Plebs ou populus, et non turba ; Àxxoi, Axxioi, et non oy}jo\. Il
convient que tout se passe dans l'ordre. L'élu dûment acclamé universae
fraternitatis suffragio, est alors confirmé par les évêques : episcoporum
judicio (s. Clément, Epist. LXVIII)2. Au peuple, le droit de demander
(«expetit», «postulat»), d'attester la dignité du candidat («attestatione
fidelium», «testimonia populorum»), de donner son assentiment
(«assentit») ; aux évêques de nommer («ordinatio»). Le peuple n'est pas
seulement consulté sur le choix des évêques et des curés ; il est
également consulté, en même temps que le clergé et les évêques, dans
les synodes et même en dehors d'eux, concernant les affaires
temporelles les plus importantes telles que les aliénations de biens
ecclésiastiques. Il lui était aisé, au cours de ces consultations souvent
tumultueuses, de manifester ses propres besoins et ses propres désirs3.
Pertile cite à ce propos un cas extrêmement curieux de diète nationale
organisée par l'évêque de Frioul, et composée notamment de l'évêque,
des abbés, des monastères, des doyens des chapitres et d'autres
membres du clergé ; en outre, le comte de Gorizia, des châtelains et des
députés des communes (nuncii spéciales) en faisaient partie. Le
patriarche présidait l'assemblée et pouvait seul établir l'ordre du jour.
Mais la diète restait souveraine pour décider de la guerre et de la paix,
nommer les ambassadeurs, gouverner la province, fixer les impôts pour
les besoins extraordinaires de l'État, élire le capitaine général, légiférer,
etc.
1. Doize (J.), «Les élections épiscopales en France avant les concordats», Études, 1906,
CVH, p. 712-743 ; CVTII, p. 38-45, p. 359-384. Imbart de La Tour (P.), Les élections
épiscopales dans l'Église de France du IXe au Xlle siècle. Études sur la décadence du
principe électif, Genève, Sltakine Reprints, 1974 [1ère éd. 1890].
2. «Nullus invitis detur episcopus, écrit Célestin 1er, cleri, plebis et ordinis consensus et
desiderium requiratur» (428). Reproduit par le Décret de Gratien, dist. LXI, c. 13.
3. Viollet (P.), Histoire des institutions politiques et administratives de la France, op.
cit., I, p. 354.
4. Heywood (W.), A History of Pisa, op. cit., p. 237 et note.
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Relectures
1. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, 1ère part., p. 50-53.
2. Dictionnaire de Théologie cath., Paris, 1911, s. V° Élection des évêques. Magni (C),
Ricerche sopra le elezioni episcopali in Italia durante l'alto medio evo, Parte prima,
Roma, 1928.
3. Viollet (P.), Histoire des institutions politiques et administratives de la France, op.
cit., I, p. 413.
4. Doize (J.), «Les élections épiscopales en France avant lés concordats», art. cité, p. 42.
Fliehe (A.), Martin (V.), Histoire de l'Église depuis les origines jusqu'à nos jours, Paris,
Bloud et Gay, 1934, vol. IX, p. 139 et s.
5. Vacandard, Vie de saint Bernard, abbé de Clairvaux, Paris, 1895, vol. II, p. 29-30.
6. Moreau (E. de), SJ, Les abbayes de Belgique (VIIe-XHe siècles), Bruxelles, La
Renaissance du livre, 1952, vol. II, p. 53-57.
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des factions qui l'ont mise en mouvement. En fait ce sont désormais les
nobiliores ex populo, les nobiles laid, les majores natu, qui font les
élections. Ainsi coincée, l'Église en est réduite à se défendre. Elle ne
peut le faire d'une part, qu'en limitant au maximum le droit total à
intervenir dans l'élection des papes, des évêques ou des abbés, qui
revendiquent les puissances temporelles, et, d'autre part, en ôtant à la
foule jusqu'à son droit d'acclamation. Elle y arrive en restreignant tout
d'abord le nombre des électeurs dans les chapitres cathédraux ou dans
les conciles et ensuite, dans bien des cas, les droits de ces électeurs eux-
mêmes : notamment les droits des chapitres cathédraux1. Au XIHe
siècle, l'élection épiscopale, quand elle a encore lieu, appartient aux
chanoines du chapitre. Comme l'élection des papes, elle peut se faire
par quasi-inspiration, par compromis ou par scrutin, fait collatio numeri
ad numerum, zeli ad zelum, meriti ad meritum (cf. § 8 du présent
chapitre).
1. Dès 1265, Clément IV réserve au seul Siège apostolique la collation de tous les bénéfices
et personnats ainsi que celle de toutes les dignités et églises vaquant en cour de Rome. Cf.
Diction, théol. cath., s. V° Élection des évêques, Imbart de La Tour (P.), Les élections
episcopates dans l'Église de France du IXe au Xlle siècle, op. cit., p. 513 et suiv.
2. Ladeuze (P.), Études sur le cénobitisme pakhômien pendant le IVe siècle et la
première moitié du Ve, Frankiurt a. M., Minerva, 1961, [1ère édition 1898], p. 286-288 et
316-317.
3. Ad Monachos Magistri Regula, P. L., 88, p. 943-1052, c. XCIII et c. XCIV. D. M.
Cappuyns, s. V°, Cassiodore, in Diet. Hist, et Géogr. Ecclesiast., fixe la date de cette règle
aux environs de 555.
4. Lévy-Bruhl (H.), Les élections abbatiales en France. Époque franque, p. 12-13.
5. Sur le fondement du principe de la représentation dans les Ordres religieux, cf. outre
H. Lévy-Bruhl, déjà cité, p. 187 et suiv., et Konopczynski (L.), Liberum veto..., op. cit., p. 44
[suite de la note page suivante]
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3. Le mythe de l'unanimité
Pendant longtemps, l'Église, aussi bien que les communes, s'en est
tenue au principe des élections faites à l'unanimité1. L'unanimité est la
règle. Comment pourrait-il en être autrement ? Par définition, la
communauté doit vivre en parfaite entente («et sit vobis anima una et
cor unum in Deo», dit la règle de saint Augustin). La division des voix
est donc mal vue. D'ailleurs, on ne rend compte presque jamais des
voix : le vote est «informe». Un texte du pape Léon (446 ?) est
caractéristique à ce propos : «Si, écrit-il, à l'évêque de Thessalonique, si,
ce qui n'est ni condamnable, ni irreligieux, les votes des électeurs
viennent à se diviser en deux parts...» (égales, la suite du texte le
prouve)2. L'absence d'unanimité est tellement peu admise, et, de ce fait,
tellement rare, qu'en plein Xlle siècle, la seule explication qu'en donne
le pape Alexandre III est celle de la zizanie qu'un homme mal
intentionné a semée parmi les cardinaux3. Le texte promulgué par
Nicolas II, en 1059, porte d'ailleurs que l'élection doit se faire selon les
règles et à l'unanimité (concordi et canonica electione) et avec l'accord du
clergé et des laïques (ordinum religiosorum, clericorum et laicorum
consensu) : faute de quoi, l'élu ne sera pas apostolique, mais apostat (is
non papa vel apostolicus, sed apostaticus habeatur)4.
Le premier pape qui n'ait pas été élu à l'unanimité est Innocent II, dont
nous reparlerons au § 45. Le cas ne s'est présenté qu'en 1130. Et,
durant le Xlle siècle, tous les papes sont encore élus à l'unanimité, sauf
Alexandre II (1159-1181), élu par 24 voix sur 27, et Innocent II (1198-
1216), élu au deuxième tour à la majorité. D'ailleurs, la passion
populaire se charge à l'occasion d'exercer une pression suffisante sur la
minorité pour que celle-ci juge prudent de changer d'avis. C'est ainsi
qu'un texte de 12006 nous fait part des doléances de clercs qui,
quelques jours après une élection mouvementée, se plaignent de ce que
minis et terroribus fuerant inducti electioni... consentire. Des cas de ce
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genre ne sont pas rares et Rome a vu plus d'une fois des «minorités
agissantes» transformer en une unanimité totale ce qui, aux premières
heures de l'élection, n'était que l'opinion d'un petit nombre. Parfois,
l'unanimité est le surtout la manifestation d'une pensée politique. Ce
fut le cas lors de l'élection de Pierre Morone (Célestin V) en 1294, où
l'unanimité se fit à la suite d'une manœuvre du cardinal Malabranca
qui mit d'accord, momentanément d'ailleurs, les fractions rivales du
Sacré-Collège sur le nom d'un candidat neutre. L'histoire s'est répétée
depuis1.
des fidèles des deux sexes», alors qu'en fait, l'évêque (ou l'abbé) a été
désigné par le roi, assisté de quelques chanoines, d'un duc ou d'un
comte.
1. Héfèle (Ch.-J.), Histoire des conciles..., op. cit., vol. VI, 1ère Part., p. 335, n. 1. De même
l'élection d'Urbain III, en 1185, se fît avec une «rare unanimité» parce qu'elle avait été
faite sous l'influence d'un mécontentement contre l'empereur.
2. Moreau (E. de), SJ, Les abbayes de Belgique (VHe-XIIe siècles), op. cit., vol. II, p. 218.
3. Doize (J.), «Les élections épiscopales en France avant les concordats», art. cité, p. 51 et
741. Esmein (A.), «L'unanimité et la majorité dans les élections canoniques», art. cité,
p. 358-362.
4. Héfèle (Ch.-J.), Histoire des conciles..., op. cit., vol. VII, 1ère Partie, p. 475 et suiv. et
notamment la n. 1 de la p. 479.
5. Sur la question des 2/3, cf. chap. II, § 6 de la présente étude, 1, § 4.
6. Héfèle (Ch.-J.), Histoire des conciles..., op. cit., vol. VII, 1ère Part., p. 478, n. 4.
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Relectures
4. Le principe de la saniorité
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1. L'idée de la saniorité n'est pas tout à fait nouvelle. En 446 (?), le pape Léon répondant à
Anastase, évêque de Thessalonique à propos d'une élection où les voix s'étaient également
partagées, écrit : «Si forte, quod nec reprehensibile, nec in religosum indicamus, vota
eligentium in duas se diviserint partes, is metropolitani indicio alteri praeferatur, qui
maioribus invatur studiis et meritis ; tantum est nullus detur invitis et non petentibus,
nec plebs invita episcopum non optatum contempant, aut oderit» (Gratien, Prima Pars,
Dist. LXIII, e. XXXVI, édit. Friedberg, vol. I). Toutefois il ne s'agit pas là, notons-le, d'une
élection assurée par une minorité «saniore consilio» mais du choix d'un candidat
«maioribus studiis et meritis».
2. C'est pourquoi je ne partage pas l'avis de M. K. Loewenstein lorsqu'il écrit : «Les
Constitutions, en tant qu'elles comportent la codification formelle d'un ensemble de
règles rationnellement conçues pour l'exercice et en conséquence la limitation du
pouvoir politique, sont une expérience relativement récente de l'homo politicus. Aussi
longtemps que le pouvoir politique reposa sur les forces traditionnelles d'un mysticisme
irrationnel de l'Etat - autorité attribuée, de droit divin, à des dynasties légitimes
héréditaires et aux classes qui leur étaient rattachées - il n'était pas nécessaire de
codifier en un texte formel des «lois fondamentales du royaume» (France) ou «the
fundamental law» (Angleterre) auxquelles, par vertu de la loi divine, le détenteur
traditionnel du pouvoir était supposé se conformer. La notion de constitution écrite
résulte d'une longue lutte de caractère révolutionnaire pour la sécularisation du pouvoir
politique» (in Revue française de science politique, 2 (1), 1952, p. 8-9). Saint Benoît dans
un certain sens, et si paradoxal que cela puisse paraître, avait dès le Vie siècle opéré
cette «sécularisation». Sans doute Dieu est-il présent à chaque page de la Règle. Mais le
patriarche du monachisme d'Occident ne s'est pas reposé sur cette présence bénéfique :
il a codifié la vie de ses moines en dehors de tout «mysticisme irrationnel».
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Relectures
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1. Contrairement à ce qu'écrit Héfèle (Ch.-J.), Histoire des conciles..., op. cit., V, Ile P., p.
1086 et suiv., ce n'est pas la seule majorité qui décide, mais bien pluribus et sanioribus
fratribus. cf. Mansi (J. D.), Sacrorum conciliorum. . . , op. cit., XXII, col. 227.
2. Décret. Gregor., IX, liv. Ill, Tit. XI, e. I, Friedlberg H, 506. Cf. également cap. XIX, XXII,
XXXV, LV. Id. du pape Célestin m (1111-1198), Décret. Greg. , IX, Lib. I, cap. XIV. Du pape
Innocent III (1200), Décret. Greg., K, cap. XIX, cap XXII.. Du même (1205), id. cap. XXXTC.
3. Héfèle, Histoire des conciles d'après les documents originaux, op. cit. , vol. V, Ile P., p.
1316-1398. Mansi (J. D.), Sacrorum conciliorum..., op. cit., vol. XXII, col. 753 et s. Diet.
Theolog. Cath., s. V° Election des évoques.
4. Decert. Gregor. , IX, cap. LVII.
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Relectures
1. Dans les Coutumes des Chartreux (1135), il est dit que «la capitulum convenientes,
majorem meliorumque consilio, ex se ipsisunum eligunt», Diet. Droit Can. , t V°
Chartreux.
2. Cf. également in Décret. Greg. K. cap. IV (1227-1234).
3. Cf § 7.
4. In VIe Decretalium, lib. I, tit. VI, cap. 9, ed. Friedlberg II, col. 951. Wernz, Jus
decretalium, II, Romae, 1906, p. 1421.
5. Vacandard, Vie de saint Bernard, vol. 1, p. 296-305. Fliehe (A.), Martin (V.), Histoire de
l'Église, op. cit., vol. IX, p. 50 à 70. Héfèle (Ch.-J.), Histoire des conciles..., op. cit., vol. V,
Ire P., 679 et suiv.
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Même dans les limites ainsi fixées, le principe majoritaire fut loin d'être
unanimement admis et moins encore toujours appliqué. Plusieurs
siècles après, le décrétaliste Panormitanus (mort en 1435) énonce et
défend encore le principe de la saniorité : Electio facta a minori parle de
digno, praefertur electioni factae a majori parle de indigno1. Et comment
définit-il la saniorité ? Reprenant dans son intégralité l'ensemble des
annotations et définitions apportées par les décrétalistes, il l'inscrit
dans le cadre désormais classique de l'autorité, du zèle et des mérites2.
Uauctoritas se marque par le nombre, les dignités des électeurs, leur
âge plus avancé, leur nomination plus ancienne, et dans leurs ordres
majeurs : la voix de pareils électeurs est déclarée de poids (voces
ponderosas). Le zèle consiste dans le sentiment - qui pousse les
électeurs à voter pour l'un ou l'autre. Quant au mérite, il concerne plutôt
l'élu, et consiste dans l'examen de son savoir, de ses mœurs, de sa vie,
de son âge et de la légitimité du mariage de ses parents. Mais le terme
peut également se rapporter aux mérites des électeurs, qui ne sont
déclarés saniores que s'ils désignent le candidat saniorem et non
indignum. Leurs voix sont considérées comme plus grasses, mieux
nourries (pinguiores). On imagine ce que devaient être des élections
faites sur la base d'éléments aussi essentiellement qualitatifs et par
conséquent aussi impossibles à peser. Pareil système mène
évidemment à l'anarchie, au profit d'ailleurs de la papauté, à qui les
appels judiciaires ou extrajudiciaires donnaient le plus souvent la
décision définitive. La situation ne devenait grave qu'en cas d'élections
papales, parce qu'il n'y avait dès lors plus aucune possibilité de recours
à une autorité supérieure (et c'est pourquoi le régime des 2/3 des voix
fut instauré dès 1179) ou dans l'hypothèse d'une rupture grave dans un
concile. C'est ainsi que l'interminable et dramatique concile de Bâle
(1418-1450) verra une minorité reprendre (en 1437) à son compte
l'argument de la qualité des votants pour s'opposer aux décisions de la
majorité3. Jean de Palomar expliquait à cette occasion que lorsque la
1. Esmein (A.), «L'unanimité et la majorité dans les élections canoniques», art. cité, p. 375-
376. Gillet (P.), La personnalité juridique en droit ecclésiastique, Malines, W. Gocenne,
1927 cite p. 139-140, un texte d'Innocent IV, in c. 22, X, I, 6.
2. Communentariurn de Electione, cap. 22, n°10.
3. Valois (N.), La crise religieuse du XVe siècle. Le pape et le concile, Paris, 1909, vol. II,
p. 55-59. Héfèle (Ch.-J.), Histoire des conciles..., op. cit., vol. VII, Ile P., p. 924-941.
141
Relectures
1. Konopczynski (L.), Liberum veto..., op. cit., p. 48. Esmein (A.), «L'unanimité et la
majorité dans les élections canoniques», art. cité, p. 381-382.
2. Héfèle (Ch.-J.), Histoire des conciles..., op. cit., vol. IX, Ire P., p. 317-318.
142
Léo Moulin
question n'avait pas encore été réglée au moment du scrutin (30 juillet
1547).
5. La majorité relative
1. Le vote plural capacitaire pratiqué en Belgique de 1893 à 1919, qui donnait une ou deux
voix supplémentaire à des citoyens réunissant certaines conditions de cens, d'études, de
charges familiales, etc., pourrait être considéré comme une tentative curieuse
d'introduire un élément de qualité dans un système de représentation démocratique. La
cooptation de 22 sénateurs par un Sénat constitué des sénateurs élus directement par le
corps électoral et des sénateurs élus par les Conseils provinciaux, qu'a prévus la
Constitution belge (art. 53), devait également constituer, dans l'esprit du législateur, un
moyen d'introduire certains éléments de qualité dans un système essentiellement
quantitatif. Il est douteux que le choix ainsi opéré ait jamais répondu à l'attente des
constituants.
2. Décret. Greg., IX, cap. LUI, 1227-1234. Esmein (A.), «L'unanimité et la majorité dans les
élections canoniques», art. cité, p. 381.
3. Creusen (J.), Religieux et religieuses d'après le droit ecclésiastique, Bruges, Desclée
de Brouwer, 1960, p. 47-51.
4. Caramuel cite un exemple qui explique clairement sa pensée. Si, dit-il, sur 20 moines
votant, 4 voix vont à Pierre, 7 à Jean, 6 à Paul et le reste à Ambroise, c'est Jean qui est élu.
P. L., vol. LXVI, p. 881 et suiv. Pour lui, saint Benoît «non comparae partent minorent
majorent, sed partent toti».
143
Relectures
1. Sexti Décret, Lib. I, Tit. VI, c. XXIII, éd. Friedberg, II, col. 961. Cf. également Décret.
Gregor., IX, cap. LV (1227-1234) «in G. maior pars totius capituli non consenserit
quamquam maiorem partent habuit partium comparatione minorum».
2. Licet de vilanda, Décret., L. I, Tit. VI, c. 6. Héfèle (Ch.-J.), Histoire des conciles..., op.
cit., vol. V, Ile P., p. 1086-1112 ; Ruffini, «H principio maggioritario nella storia del diritto
canonico», art. cité, p. 56-57.
3. Un statut du roi Aethelred (968-1015) permet de se contenter d'une majorité des 2/3 des
voix : il serait pourtant difficile d'y voir une influence romaine. L'explication de cette
majorité spéciale qui se retrouve souvent devrait, selon nous, être recherchée dans le fait
[suite de la note page suivante]
144
Léo Moulin
Apostolicae Sedis, vol. XXXVIII (1946), p. 65-69), le pape Pie XII a simplifié la vérification
des 2/3 : la majorité requise sera désormais des 2/3 plus une voix. En droit ecclésiastique,
nul ne peut voter validement pour lui-même (Cn. 170). Il s'en suit que dans une élection,
lorsque l'élu n'a recueilli que le nombre de suffrages strictement requis, les scrutateurs
doivent s'assurer que l'élu n'a pas voté pour lui même. Cette vérification des bulletins
entraîne nécessairement la révélation du vote de chaque électeur. Sans doute les
scrutateurs sont tenus au secret par un serment spécial, mais on a constaté des
[suite de la note page suivante]
145
Relectures
7. Le vote majoritaire
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Léo Moulin
1. Héfèle, Histoire des conciles d'après les documents originaux, op. cit., V, Ile P., p.
1316-1398, écrit : «Ce qui aura été décidé par la majorité et approuvé par les Quatre
présidents ...» le texte latin dit : «Et quod statutum fuerit, Ulis quatuor approbantibus».
Cf. Mansi (J. D.), Sacrorum conciliorum..., op. cit., XXII, 953 et suiv.
2. Décret. Greg., IX, cap. L.
3. Décret. Greg., IX, cap. L. Ill, Tit. XI, cap. LUI
4. Innocent IV, in c. 6, X 1, 2 ; c. 10 X 1, 4 ; c. 22, X 1, 6. Gillet (P.), La personnalité juridique
en droit ecclésiastique, op. cit., p. 138-140. Esmein (A.), «L'unanimité et la majorité dans
les élections canoniques», art. cité, p. 379. Mais contrairement à ce qu'affirme Lévy-Bruhl
(H.), Les élections abbatiales en France. Époque franque, op. cit., p. 17, n. 3, Innocent IV
n'a pas cité inexactement la règle bénédictine ; s'il n'en reprend pas les termes, il en suit
fidèlement l'esprit ; «quem fratres communi consensu, vel fratrum major pars consilii
sanioris, secundum Deum et B. Benedicti régulant...*, La Bulle Religiosam vitam
eligentibus du 27 juin 1247 était d'ailleurs destinée aux Sylvestrains. Cf. Magnum
Bullarium, vol. 1, p. 88, § 13 (éd. Luxembourg), ou vol. lu, p. 309, § 13 (coll. Mainard-
Coquelines).
5. Diet. Dr. Can., s. v° : Chartreux.
147
Relectures
II semble bien que dans les conciles, le vote majoritaire se soit imposé
assez rapidement, là où l'unanimité était impossible à atteindre.
D'après les données historiques, la présence de la moitié ou même du
tiers des pères pourvus du droit de vote suffirait pour qu'un concile soit
universel, et, pour être valides, les décisions conciliaires ne devaient pas
être prises à l'unanimité des membres présents, Bellarmin nous
l'affirme1. Quant à la technique du vote, Hélèfe se contente de dire qu'on
vota par «nations» (avec vote par tête dans chaque nation) au concile de
Constance, et qu'on avait voté par tête simplement jusqu'à ce concile2.
Nous verrons comment était organisé le vote au concile de Bâle (§ 9). Le
vote par tête fut repris au concile de Trente comme étant «le plus
conforme aux traditions de l'Église»3. On demanda une majorité
«considérable» pour les points de doctrine et une majorité simple pour
les points de réformation, mais on ne définit pas ce qu'était exactement
cette majorité considérable, et il fut impossible à l'expérience d'établir
nettement la distinction entre points de doctrine et points de
réformation.
148
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1. Creusen (J.), Religieux et religieuses d'après le droit ecclésiastique, op. cit., § 80, p. 59.
2. Diet. Tfieol. Cath., s. v° Abbé.
3. Gillet (P.), La personnalité juridique en droit ecclésiastique, op. cit., p. 135-136.
4. Décret. Greg IX, c. XXXII (texte de 1208) et XXXTII. C'est ainsi que lors de l'élection de
Guillaume Le Maire (1291) les «compromittentes» avaient imposé aux 11 compromissaires
l'obligation de nommer à l'unanimité. Cf. Port (C), Le livre de Guillaume Le Maire.Liber
Guilielmi Majoris, Paris, coll. Doc. Inédits de l'histoire de France, Mélanges
Historiques, 1877, p. 229.
5. Sexti Décret., Lib. I, Tit. VI, c. XXIII. Décret. Greg. IX, cap. LV (1227-1234).
6. Creusen (J.), Religieux et religieuses d'après le droit ecclésiastique, op. cit., § 79, p. 59.
7. Schmitz (Ph.), Histoire de l'ordre de Saint-Benoît, Paris, Éditions de la Maredsous,
1942-1956, vol. IV, p. 223 et s.
8. Décret Greg. IX.
149
Relectures
1. Creusen (J.), Religieux et religieuses d'après le droit ecclésiastique, op. cit., § 68-78.
Héfèle (Ch.-J.), Histoire des conciles..., op. cit., vol. V, Ile partie, p. 1316-1398. Mansi (J.
D.), Sacrorum conciliorum...,op. cit., XXII, p. 953 et s.
2. Héfèle (Ch.-J.), Histoire des conciles..., op. cit., vol. K, Ile partie, p. 988, session XXV,
DeRegul.,c. VI.
3. Décret. Greg. IX, cap. XIV. «Electio débet esse in liber tato eligentium». Celestin III,
1191-1198.
4. Sext. Décrétât., L. I, Tit. VI, c. II (Friedberg, II, 945). Héfèle (Ch.-J.), Histoire des
conciles..., op. cit., V, Ile partie, p. 1643.
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5° Le quorum. - Une bulle d'Innocent III datée de l'an 1200 stipule que
la convocation du collège électoral ayant été faite régulièrement, seuls
les électeurs présents sont habilités à procéder à l'élection. Il n'y a donc
pas de «quorum» requis3. Une disposition plus récente déclare que s'il
n'y a pas eu convocation régulière, et si le tiers des électeurs n'est pas
présent, l'élection est nulle de plein droit (canon 162, § 3). Si un électeur
n'a pas été convoqué et n'a pas pu être présent à l'élection pour ce
motif, l'élection est valide, mais il peut demander l'annulation (canon
162, § 2) : la source la plus ancienne de cette disposition date de 12024.
Le défaut de convocation est sans effet, si ceux qui n'ont pas pu être
convoqués n'en sont pas moins présents5.
151
Relectures
152
Léo Moulin
fonctions : elle est de trois ans pour le prieur conventuel, de quatre pour
le provincial, de douze pour le maître général. Le droit de révocation du
mandat {recall) n'est pas reconnu. Toutefois, certains ordres ont inscrit
l'obligation pour le supérieur de renoncer à sa charge avant même
l'expiration du mandat, dans les cas où une maladie l'empêcherait de
l'exercer avant six mois (c'est le cas chez les Dominicains) ou ont accordé
au Chapitre général les pouvoirs nécessaires pour déposer d'office le
supérieur en cas de maladie, d'incapacité ou de conduite indigne
(notamment chez les Jésuites).
153
Relectures
154
Léo Moulin
1. Pirenne (H.), Les villes et les institutions du Moyen Âge, Paris, Alcan, 1862 ; Histoire
économique de l'Occident médiéval, op. cit., p. 137-138 : Bloch (M.), La société féodale. La
formation des liens de dépendance, Paris, Fayard, 1994 [1ère éd., 1939-1940], p. 173 et s.
2. Flach (J.), «Le droit romain dans les Chartes du IXe siècle en France», Mélanges
Fitting, op. cit., p. 394-420 : «Le droit [...] romain cité et allégué dans les chartes n'y existe
qu'à l'état sporadique et momifié. Le droit romain proprement dit était, aux Xe et Xle
siècles, frappé chez nous d'une complète stérilité. Toute question se résolvait en une
question de fait et de personne». Du même, p. 416-417 : «La désuétude du latin est générale
et s'étend aux clercs et aux évoques». Dans le même sens : Pertile (A.), Storia del diritto
italiano, op. cit., p. 116 ; Salvioli (G.), Storia del diritto italiano, op. cit., p. 104, n°100.
[suite de la note page suivante]
155
Relectures
si, dans ce domaine très spécial, les ordres religieux eux-mêmes ont
jamais fait l'effort nécessaire pour saisir ce que devait être
l'organisation des comices curiales ou du Sénat, le mode d'élection, les
systèmes de votation à Rome. En tout cas, les grands «exemples» grecs
et latins n'ont guère dû inspirer moines et bourgeois, car durant des
siècles, la technique électorale est restée tâtonnante, hésitante,
imprécise, a évolué comme si elle n'avait jamais eu de précédent, et
comme si la notion de «majorité» était restée étrangère à leurs esprits.
S'il y a eu influence, elle est en tout cas extrêmement faible et peu
décelable.
Certains ont été tenté d'admettre que la doctrine des grands civilistes
des XHe-XIIIe siècles, affirmant que la source de l'autorité impériale se
trouve dans le consentement populaire et dépend de lui, avait exercé
quelque influence sur la pensée politique communale1. Je n'en crois
rien. L'Église n'a pas attendu la renaissance du droit romain pour
affirmer le principe d'une certaine participation des gouvernés au choix
des gouvernants : elle l'a affirmé dès le premier siècle de son existence.
Et, d'autre part, cette doctrine des civilistes est à la fois trop tardive
(XlIIe siècle), trop savante et, malgré tout, trop favorable au pouvoir
impérial, pour être intervenue d'une façon quelconque dans l'élaboration
de la doctrine politique des communes, et moins encore dans
l'élaboration de leur code électoral. Eût-elle eu d'ailleurs pareille
influence qu'il est peu probable qu'elle ait pu s'exercer autrement que
par le canal de l'Église et des ordres religieux, seuls capables, à
l'occasion, de déchiffrer et de comprendre une pensée aussi complexe.
Contra : Esmein (A.), Cours élémentaire d'histoire du droit français, op. cit., p. 724-726,
qui est loin d'être convaincant.
1. Carlyle (A. J.), «The Theory of the Source of Political Authority in the Mediaeval
Civilians to the Time of Accursius», Mélanges Fitting, op. cit., p. 184-193.
2. Pirenne (H.), «Les origines du vote à la majorité dans les assemblées publiques», art.
cité.
3. Ruffini, I sistemi..., op. cit., passim.
4. Stawski (J.), Le principe de majorité..., op. cit., p. 38.
5. Redlich (J.), Rechts und Technik des englischen Parlamentarismus. Die
geschäflsordnung des House of commons, Leipzig, 1905, p. 357.
6. Konopczynski (L.), Liberum veto..., op. cit., p. 43-44 et 54-57.
7. Mengozzi (G.), La Città italiana nell'alto mediovo, op. cit., p. 388.
8. Pertile (A), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, p. 153 ; p. 251-252.
9. Salvioli (G.), Storia del diritto italiano, op. cit., p. 102.
10. Heywood (W.), A History of Pisa, op. cit., 1921, p. p. 235 ; p. 237.
11. Leclerc (V.), «Des Assemblées générales des ordres religieux au XlIIe siècle», Annales
de l'Académie des Inscriptions, 17 septembre 1846.
12. Cf. Higounet (Ch.), Cisterciens et Bastides. Le Moyen Âge, vol. 56, 1950, p. 69-84 ;
Valous (G. de), Le temporel et la situation financière des établissements de l'Ordre de
[suite de la note page suivante]
156
Léo Moulin
Cluny du Xlle au XlVe siècle, Paris, Picard, 1935, 2 vol. ; Moreau (E. de), SJ, Les abbayes
de Belgique (VIIe-XHe siècles), op. cit., p. 137-152 ; Pirenne (H.), Le rôle économique de
l'Église, p. 167-168.
1. Rivas (J. E.), «Notas para el estudio de la influencia de la Iglesia en la compilaciön
aragonesa de 1247», Anuario de Historia del Derecho Espanol, 1950, p. 458-774 ;
Poumarède, Les usages de Barcelone, op. cit., p. 350 et s.
2. Esmein (A.), «L'unanimité et la majorité dans les élections canoniques», art. cité, p. 357 ;
Gierke (O. von), Das deutsche Genossenschafter echt, 4 vol., vol. lu, p. 342-344 ; 492-495.
3. Il ne nous pas été possible, dans le cadre du présent article, d'esquisser, si brièvement
que ce soit, la naissance et le développement de l'idée de collégialité dans les ordres
religieux. Cette question fera l'objet d'un prochain article, à paraître dans la Revue
internationale des sciences administratives.
4. Cf le très remarquable article du P. Bock (C), OCR, «Les codifications du droit
cistercien», Collectanea Ord. Cist, Westmalle, Imprimerie de l'Ordre, 1956.
157
Relectures
qu'elle ait exercé dans ce domaine, aussi bien que dans tous les autres,
une influence primordiale.
Certes, du fait que les archives des communes ne nous livrent bien
souvent, nous l'avons constaté, que des dates assez tardives au sujet
des pratiques électorales et délibératives (en fait, bien rares sont celles
qui sont antérieures au XlIIe siècle), il ne faudrait pas déduire que ces
pratiques n'existaient pas auparavant. Le silence des documents
n'implique évidemment pas l'inexistence de tout code électoral. Mais
l'argument vaut a fortiori pour le monde religieux où se sont posés dès
le début et pour de longs siècles, tous les problèmes inhérents à un
régime de droit où ne joue pas la question de l'hérédité.
1. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., p. 146, n. 332. Cf. également Ruffini, /
sistemi..., op. cit., p. 45-46.
158
Léo Moulin
Quant aux canaux par lesquels cette influence a pu s'exercer, on n'a que
l'embarras du choix.
1. Ruffini, / sistemi..., op. cit., p. 46-48, en note. Lesale, op. cit., p. 68, à Barcelone, en 1254.
Baty (T.), art. cité, p. 8, cite un fragment des Leges Henrici (1118) où il est demandé que
dans les tribunaux «uincat sententia meliorum» «the majority by rank, repute and sound
judgment» : c'est exactement la définition canonique de la sanior pars.
2. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, 1ère Part., p. 251-252, n. 52.
Heywood (W.), A History of Pisa, op. cit., p. 238.
3. Schmitz (Ph.), Histoire de l'ordre de Saint-Benoît, op. cit., vol. IV, p. 226.
4. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, 1ère Part., p. 262.
5. Id., ibid., vol. H, 1ère P., p. 241.
6. Id., ibid., vol. II, 1ère P., p. 28-29.
7. Viollet (P.), Histoire des institutions politiques et administratives de la France, op.
cit., 1,358.
159
Relectures
1. Bourilly (V.-L.), Essai sur l'histoire politique de la commune de Marseille..., op. cit.,
p. 46 à 53.
2. Wolfson (A. M.), «The Ballott and Other Forms of Voting in Italian Communes», art.
cité.
3. Pertile (A.), Storia del diritto italiano, op. cit., vol. II, p. 148, n. 354.
4. Id., ibid, vol. II, P. 1, p. 153. Poullet, op. cit., II, § 747, en 1361 à Louvain.
5. Id., ibid, vol. II, P. 1, p. 114, n. 157.
6. Id., ibid, vol. II, P. 1, p. 33-35 ; p. 117, n. 174 ; p. 148, n. 351.
7. Cessi (R.), Gli statuti veneziani di Jacopo Tiepolo del 1242 e le loro glosse, op. cit., 1.
IV, c. XXVin.
8. Id., c. XXX et XXI.
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Relectures
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