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Le monde politique allemand cherche des
réponses face aux violences de l’extrême
droite
PAR THOMAS SCHNEE
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 26 JUIN 2019
Enterrement de Walter Lübcke le 13 juin 2019 à
Cassel, en Allemagne © Swen Pfoertner / Reuters.
L’assassinat du haut fonctionnaire Walter Lübcke, le
2 juin, par un membre de l’extrême droite, marque
un changement de registre dans l’exercice de la
violence propre à la nébuleuse néonazie. Désormais,
les exécutions politiques sont ciblées. L’affaire relance
le débat sur l’efficacité des services de sécurité
allemands, qui n’ont rien vu venir.
Berlin (Allemagne), de notre correspondant. –
« Chère Madame Reker, cher Monsieur Hollstein, une
action imminente de nettoyage a été déclenchée avec
Walter Lübcke. Bien d’autres le suivront. Entre autres,
vous deux. Votre vie s’achèvera en 2020. Nous allons
vous assassiner en incitant financièrement d’autres à
vous supprimer… Comme notre nom l’indique, notre
objectif est de renverser l’État et de le nettoyer de
rebuts comme vous, de la saleté juive et de tous les
autres parasites étrangers… »
Ceci est le début d’une lettre de menaces, signée par
« L’orchestre du coup d’État », envoyée le 19 juin à la
maire de Cologne Henriette Reker ainsi qu’à Andreas
Hollstein, édile de la petite ville d’Altena au sud de
Dortmund (ouest de l’Allemagne). Tous les deux ont
un point commun. Ils sont ouvertement antiracistes et
ont déjà été victimes d’un attentat.
Poignardée par un déséquilibré raciste quelques jours
avant son élection en 2015, Henriette Reker a bien
failli y laisser la vie. Andreas Hollstein, lui, s’en est tiré
avec quelques blessures légères grâce à l’intervention
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musclée d’un patron de restaurant. N’empêche, les
intentions de l’agresseur qui l’a attaqué avec un
couteau de 30 centimètres le 27 novembre 2017
ne faisaient aucun doute. Il voulait le supprimer en
raison de ses plaidoyers pour une politique migratoire
tolérante.
De janvier à avril 2019, la police fédérale a
recensé l’envoi de plus de 200 menaces de mort
signées « L’orchestre du coup d’État », « NSU
2.0 », « Wehrmacht » ou encore « Offensive
nationale-socialiste » à des personnalités politiques.
Mais le mouvement semble s’être intensifié depuis
l’assassinat du préfet Walter Lübcke, le 2 juin, exécuté
d’une balle dans la tête à son domicile près de Cassel
(Hesse, centre de l’Allemagne), très probablement par
le néonazi Stephan E.
Proche de la retraite, Walter Lübcke était un député
régional conservateur du Land de Hesse. Mais il
était aussi président du district de Cassel, le grade
le plus élevé de la fonction publique territoriale. En
Allemagne, le district est une unité qui n’existe plus
que dans quatre Länder et se situe juste sous le
gouvernement du Land.
Dans ses fonctions, Lübcke avait naturellement dû
gérer la répartition des réfugiés arrivés massivement
en Allemagne en 2015. Et il s’était toujours montré
fidèle à la ligne de la chancelière Angela Merkel, alors
favorable à un accueil sans discussion des réfugiés.
Cet engagement lui a valu cette « exécution » infâme.
Lors d’une réunion publique en 2015, Walter Lübcke
avait en effet évoqué les valeurs chrétiennes qui
recommandent de donner un accueil humain à tous les
réfugiés et déclaré que « ceux qui ne partagent pas ces
valeurs, peuvent quitter le pays à tout moment, s’ils
ne sont pas d’accord ». Le président de district s’était
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fait huer pour ces propos. Depuis, il faisait l’objet
d’insultes et de menaces de mort en provenance des
milieux d’extrême droite.
Enterrement de Walter Lübcke le 13 juin 2019 à
Cassel, en Allemagne © Swen Pfoertner / Reuters.
L’arrestation de Stephan E., 45 ans, il y a une semaine,
a été rendue possible grâce à une trace d’ADN
retrouvée sur les vêtements de Walter Lübcke. Les
banques de données de la police l'ont identifié. Proche
de la mouvance néonazie, Stephan E. est en effet bien
connu des services de sécurité.
Selon les informations de Der Spiegel, il a été en
contact avec le groupuscule « Combat 18 » (« 18
» pour Adolf Hitler, en référence aux numéros de
ses initiales dans l'alphabet), connu pour trafiquer des
armes et confectionner des bombes, mais aussi pour
être une « filiale armée » de la puissante confrérie
néonazie « Blood & Honor ». Cette dernière est un
soutien avéré du groupe terroriste NSU, auteur de
11 meurtres racistes entre 2000 et 2007. Stephan
E. a par ailleurs fait de la prison à plusieurs reprises,
notamment pour avoir tenté de poser une bombe dans
un foyer de demandeurs d’asile en 1993, et pour une
attaque groupée contre une manifestation syndicale.
« C’est un crime politique contre un représentant
de l’État comme il n’y en a jamais eu depuis 1945.
Pour nous, cela s’inscrit dans la suite logique de
la série de meurtres de la NSU. Tous les éléments
d’enquête connus montrent que l’entourage et les
contacts de Stephan E. sont les mêmes que ceux de la
NSU », déclare Timo Reinfrank, secrétaire général de
la Fondation Amadeu-Antonio, l’une des principales
ONG allemandes actives contre le racisme.
Pendant les deux semaines qui ont suivi le meurtre de
Walter Lübcke, les responsables politiques allemands
se sont montrés très réservés, appelant l’opinion
publique à attendre les résultats de l’enquête. « Il
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ne faut pas oublier que les politiques allemands
ne réagissent pas dans l’urgence comme les
gouvernements français ont tendance à le faire. Ici,
on prend le temps de l’étude, de l’enquête », explique
Bénédicte Laumond, chercheuse associée du Centre
Marc-Bloch à Berlin et dont la thèse de doctorat
porte sur la comparaison des actions publiques contre
l’extrême droite, en France et en Allemagne.
« Cependant, les réactions des dirigeants de la
CDU ont été étonnantes. On a même fait face à
une sortie de l’ancien président de la République
Joachim Gauck plaidant maladroitement pour plus de
tolérance vis-à-vis des électeurs ultraconservateurs.
Un peu comme si la dimension symbolique du meurtre
n’était pas reconnue immédiatement. Aujourd’hui, le
gouvernement semble changer sa communication. Il
faudra voir dans les prochains mois quelle portée
institutionnelle et politique ce meurtre va avoir »,
poursuit Bénédicte Laumond.
Au fur et à mesure que les contacts de Stefan E.
avec les groupes néonazis les plus violents font de
moins en moins de doute, le monde politique allemand
s’est réveillé, semblant lentement prendre la mesure
du danger, c’est-à-dire l’émergence d’un terrorisme
d’extrême droite.
S’exprimant lors d'un rassemblement annuel des
églises protestantes, Angela Merkel a ainsi appelé
samedi à combattre les néonazis « sans aucun tabou
». Les néonazis violents « doivent être combattus dès
le départ […] », a poursuivi la chancelière. « C’est
pourquoi l’État est sollicité à tous les niveaux, et le
gouvernement fédéral prend cela très, très au sérieux.
»
Un peu plus tôt dans la journée, le ministre des affaires
étrangères Heiko Maas avait averti sur Twitter que «
l’Allemagne a un problème avec le terrorisme » : «
Nous comptons plus de 12 000 extrémistes de droite
violents dans notre pays. Quelque 450 d’entre eux ont
pu entrer dans la clandestinité, malgré des mandats
d’arrêt. Nous devons davantage nous défendre : pas
un millimètre de plus pour les ennemis de la liberté !
», a-t-il écrit.
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Il emboîte ainsi le pas au ministre de l’intérieur Horst
Seehofer, qui veut réfléchir à la mise en place de
restrictions constitutionnelles visant l'extrême droite.
« Ce meurtre me motive à tout mettre en œuvre pour
renforcer la sécurité », a-t-il annoncé au groupe de
journaux Funke samedi.
Déclin du NPD et vagues migratoires
Parmi les mesures envisagées par l’exécutif figure
une restriction du droit d’expression sur internet avec
notamment des poursuites à l’encontre de personnes
« incitant à la haine ». Mais le ministre conservateur
Seehofer envisage d’aller plus loin en examinant
la possibilité de priver certaines personnes de leurs
droits fondamentaux. Mercredi, un cadre de la CDU,
Peter Tauber, avait plaidé pour que les « ennemis
de la Constitution » se voient privés de certains
droits fondamentaux tels que la liberté d’opinion et de
réunion.
Cette levée de boucliers n’empêche pas les citoyens
allemands de se poser de nombreuses questions. Pour
l’activiste antiraciste Timo Reinfrank, les promesses
de Merkel d’assécher « le marais d’extrême droite »
après la découverte des actions du trio terroriste de
« Clandestinité nationale-socialiste » (NSU) n’ont pas
été tenues : « C’est le genre de choses qui affaiblissent
massivement la confiance des citoyens en la police
et l’État », commente-t-il. Malgré des bavures et des
dérapages, Reinfrank refuse cependant d’accuser la
police de « couvrir » l’extrême droite.
« Naturellement, chez les policiers aussi il y a du
racisme, du machisme et des préjugés, mais surtout, il
y a des problèmes de méthode. Les services de sécurité
allemands croient encore qu’ils sont capables de
contrôler les réseaux néonazis via leurs informateurs.
Or, on sait au moins depuis le procès de la NSU
que les groupuscules néonazis sont très habiles sur ce
point et se servent au contraire de l’argent versé aux
informateurs pour se financer en partie », explique-
t-il en évoquant aussi un appareil de sécurité très
régionalisé et qui attend toujours d’être réformé en
profondeur.
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Pour Bénédicte Laumond, c’est d’ailleurs un
dilemme central auquel est confronté le pouvoir
politique : « Des institutions comme les services de
renseignement intérieur doivent être réformées, en ce
qui concerne le suivi de l’extrême droite en tout cas.
Or, les Länder et l’État fédéral dépendent fortement de
ces services pour lutter contre l’extrémisme de droite
et l’islamisme. Donc en gros, ces services se sont vus
renforcés pour lutter contre le danger terroriste alors
même qu’ils sont au centre des critiques après chaque
raté. »
Mais le développement d’un véritable terrorisme
d’extrême droite visant l’appareil d’État n’est pas
seulement à mettre sur le compte des faiblesses
des services de sécurité. C’est aussi le produit
d’une évolution historique. Après la Réunification,
le démantèlement de l’économie est-allemande,
l’explosion du chômage à l’est mais aussi une
forte vague migratoire venue d’Europe centrale,
consécutive à la guerre des Balkans, ont profondément
déstabilisé les ex-Allemands de l’Est.
De nombreux responsables néonazis et d’extrême
droite de l’ouest ont alors vu les nouveaux Länder
comme une terre promise à défricher. Nombreux sont
ceux venus de l’ouest pour s’y installer. C’est le cas de
la majeure partie des membres de l’état-major du Parti
national allemand (NPD) qui, dans les années 1990 et
2000, a tenté de fédérer tous les courants d’extrême
droite, des plus violents aux plus présentables, pour
essayer de conquérir le pouvoir par la voie légale.
L’activité du NPD a-t-elle permis de masquer les
activités occultes des réseaux les plus violents ?
Toujours est-il que les terroristes de la NSU ont pu
commettre leurs meurtres sans que le pouvoir central
ne parvienne à les identifier. Par ailleurs, le déclin
du NPD a conduit au développement de multiples
groupuscules. Parmi eux figurent les « Citoyens de
l’empire » (Reischsbürger), qui refusent l’existence de
la République fédérale. Ils sont éclatés en de nombreux
sous-groupes, allant du doux illuminé inoffensif au
survivaliste violent. Leur nombre est ainsi passé de
10 000 à quelque 19 000 au cours de la décennie
passée.
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De nouveaux petits partis se sont aussi formés, tel le
parti de la « IIIe Voie ». Créé à Dortmund, il essaime
aussi en Saxe et adore les défilés en uniforme où l’on
piétine le drapeau européen. Par ailleurs, des affaires
comme les menaces de mort envoyées par un groupe
de policiers de Francfort à l’avocate Seda Basay-
Yildiz, défenseuse de victimes de la NSU, ou encore
le cas du petit réseau développé au sein de l'armée
nationale, la Bundeswehr, par l’officier Franco A., qui
rêvait d’exécuter divers dirigeants politiques, laissent
apparaître des dérives effrayantes.
Sans surprise, l’arrivée de nombreux réfugiés au cours
de l’année 2015 a relancé les activités des réseaux
néonazis qui se voient confortés dans leur thèse
du grand remplacement des populations blanches et
chrétiennes. Cette crise leur apporte aussi des alliés
inespérés : les mouvements de protestation contre la
politique de Merkel de type Pegida et bien sûr le
nouveau parti politique Alternative pour l’Allemagne
(AfD) qui parvient à diviser l’ensemble du monde
conservateur sur la question des réfugiés.
Lorsque l’AfD entre au parlement fédéral avec pas
moins de 92 députés au soir des élections législatives
de 2017, ses responsables donnent tout de suite le ton
du nouveau discours politique en annonçant que leur
objectif principal sera de « chasser Merkel ». Même
si de très nombreux contacts et liens rapprochent
ces trois tendances, il faudra attendre les événements
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consécutifs à la mort d’un Allemand, à la fin
août 2018 à Chemnitz (Saxe), pour les voir défiler
ensemble, main dans la main.
« Les événements récents jusqu’à l’assassinat de
Walter Lübcke pourraient bien prouver une déception
de la part des milieux néonazis par rapport à l’action
de l’AfD qui n’a toujours pas obtenu le changement
radical de politique que le parti promettait, avance
Timo Reinfrank. Aujourd’hui, la crainte majeure est
donc de se retrouver dans un schéma déjà vu dans
l’extrémisme islamique. C’est-à-dire l’existence d’une
nébuleuse violente et radicalisée, difficile à contrôler
et suffisamment sensible pour réagir de manière plus
ou moins autonome à un appel au meurtre ».
Tout cela n’est pas un fantasme, comme le montre
l’accusation, confirmée mardi 25 juin, par le parquet
fédéral contre huit hommes âgés de 21 à 31 ans et
originaire des milieux néonazis et skinheads. Membres
d’un groupe dénommé « Revolution Chemnitz »,
ceux-ci ont été arrêtés en octobre. Il est désormais
avéré qu’ils avaient prévu de mener des attaques contre
des étrangers et des personnalités politiques lors des
festivités du Jour de l’unité allemande le 3 octobre
mais aussi de les maquiller en attaques venue de
l’extrême gauche. Le tout devait être le point de départ
d’une guerre civile. Après la « Oldschool Society »
et le « Gruppe Freital », deux formations similaires,
actives en 2015 et depuis placées derrière les barreaux,
c’est le troisième groupuscule terroriste à apparaître
dans le radar de la police depuis la NSU en 2011.
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