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Ethique, langage et ontologie chez Emmanuel Levinas

Author(s): Étienne Féron


Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 82e Année, No. 1 (Janvier-Mars 1977), pp. 64-87
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40901730
Accessed: 17-12-2015 16:38 UTC

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Ethique,langage et ontologie
chez EmmanuelLevinas

Dans Totalitéet Infini,Levinasdéfinissait le langagecommela mise


en questionéthiquedu moi,coextensive à la manifestation d'autruidans
le visage1.Loind'êtreuneappellation arbitraire d'unévénement étranger
à ce quel'onentendspontanément parle terme« langage»,cettedéfinition
se justifieà partirde la situation première danslaquellela totalitéconsti-
tuée par le thèmedu discoursse trouvedérangéeen ce que le discours,
quel que soitle contenuqu'il véhicule,s'adresseà autruiau-delàde tout
conceptou de tout signifié2. Mais ce lien entrel'éthiqueet le langage
n'énoncepas simplement le fait empiriqued'un discoursinterpellant
autrui; il exprimeau contraire la signification profonde du langage,à
l'œuvredans tout parler concret. La notion de visage,qui détermine la
résistance éthique ¿'autrui au concept, traduit une significationirréduc-
tibleau pour-soide la conscience représentative. L'essentieldu langage
résidedèslorsen cecique le visagequi s'exprime assisteà sonexpression
ou exprimecetteexpression même3, c'est-à-dire possèdeun sensau-delà
du thèmereprésenté par le discours. Cette manifestation d'autruicomme
visage n'est pas un événement antérieur à la relation éthique.Elle est
d'embléediscours4, relationqui meten questionmonpouvoirde repré-
sentation. Le visaged'autrui,c'estma condition éthiqueet positivement
ma responsabilité pour lui. La relation avec un visage m'assigneuneres-
ponsabilité radicale en deçà de toute conscience et de toutengagement.
Maisdans cettepassivitéindéfectible « se passe» un Infinide bonté.La
relationavec l'Infini- la transcendance - a une signification éthique.
La signification éthiquede l'Infiniexige une relationqui ne soit pas
1. E. Levinas. Totalité et Infini. 4e édition. La Haye, M. Niihofî, 1971, p. 146.
2. Cf. déjà Le Moi et ta Totalité,dans Revue de Métaphysique et de Morale, 1954,
p. 369.
3. Cf. E. Levinas, La philosophieet l'idée de l'Infini, dans En découvrantl'existence
avec Husserl etHeidegger,Paris, Vrin, 1967, p. 173 et Totalitéet Infini,notammentp. 71.
4. Ci. Totalitéet mjini, p. 37.

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Levinas : éthique,langage, ontologie

simplement une tensionversl'Infinimais une assignationmarquéepar


l'Infinidansla passivitéd'une détention. L'Infinidemeureainsiab-solu
ou Autredansla relation,déliantla conjonction et la totalisationimpli-
quées par une relation.
Cettedescription éthiquedu langagese retrouve encoredansAutrement
qu'êtreoù le Dire - la -
signification parler est interprété
du comme
à
exposition autrui,signe faità autrui, mais déjà signe de cettedonation
de signe,exposition de l'exposition sans assomption de cetteexposition1.
L'éthique semble donc caractériser un mouvement irréductible à la
connaissance, unemiseen questionde la conscience inconvertible en une
prisede conscience de cettemiseen question2. Toutle problème estalors
de déterminer ce qui autoriseLevinasà tenirun discourssurla significa-
tionéthique.Maispuisqu'ilest toujourspossibleen faitde conceptualiser
autruiet de thématiser la miseen questionde la conscience, ne faut-ilpas
avouerque l'éthiquese laisse encorereprendre dans le champ de la
connaissance ? Le moment conceptuel et représentatif impliquédanstout
discours sembledoncs'inscrire en fauxcontrel'aspectéthiquedu langage.
D'autrepart,une ambiguïté domineTotalitéetInfini: l'éthiquemeten
questionla totalitéqu'établitla connaissance et cependant, précisément
parcequ'elleestlangageet qu'unepenséesanslangageestimpossible, elle
instaurela connaissance et la raison.L'éthiqueparaîtdoncne pouvoir
s'accomplir autrement qu'en réhabilitant ce qu'ellemettaiten question.
N'est-cepas à nouveaule signede l'emprise, voiremêmede la primauté
indétrônable de la connaissance surl'éthique? Une ambiguïtéanalogue
subsisteencoredans Autrement qu'êtreoù l'éthiqueapparaîtcommeun
Dire sans Dit3,alors que ce mêmeDire est aussi ce sans quoi «aucun
langage,commetransmission de messages,ne seraitpossible»4. Cette
ambiguïté met aussi en évidence la tensionentreTotalitéet Infiniqui
situel'éthiquedansle langagemêmeet Autrement qu'êtrequi semblefaire
reculer l'éthique dans un en deçà langage.Quoiqu'il en soit,la pensée
du
de Levinasseraitprisedans un dilemme : ou bienl'éthiqueest langage,
maisalorscomment interpréter l'échec que l'aspectconceptuel du discours
risque de faire subir à la prétention du
éthique langage ? ou bien le Dire
demeureen deçà de toutlangage,maisdans ce cas comment peut-onen
parleret comment ce Direpeut-ilinstaurer le langage?
Cetteproblématique qui concerne la possibilitéde justifier un discours
surl'éthiqueet qui nousconduiraà un dialogueavec certainesinterpré-
tationsde la penséede Levinas5 noussembleengager, plusfondamentale-
1. Cf. E. Levinas, Autrementqu'être ou au-delà de l'essence, La Haye, M. Niihoff,
1974, pp. 18, 61, 182.
2. Cf. E. Levinas, La Significationet le Sens, dans Humanisme de l'Autre Homme,
Fata Morgana, Montpellier, 1972, p. 49.
3. Cf. Autrementqu'être..., p. Sô.
4. Autrementau être..., p. iy.
5. Nous nous limiteronsici à certaines questions posées par Jan de Greef et Jacques
Derrida.

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Revue de Méta. - N° 1, 1977. 5

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mentencore,la relation entrel'éthiqueet la connaissance. Si le thèmedu


langage suscite cette question, c'est aussi par lui qu'il conviendrade
l'examiner. C'estle langagequi doitfournir l'espace cetterelationpeut

s'instituerparceque la connaissance s'effectue à l'intérieur du langageet
est
que l'éthique toujours décrite par Levinas sinon comme le langage
même,du moinsà traversle langage.Notreprojetconsisteà discerner
l'apportde la conception du langage,contenue dansles derniers écritsde
Levinas,en particulier dans Autrement qu'être, à cette relation qui s'y
précise comme le rapport entre et
l'éthique l'ontologie. Il apparaîtra que
le développement du problème du langages'orienteprécisément versun
approfondissement de cetterelation.On peut percevoir dans Autrement
qu'êtrel'entrelacement de deux perspectives d'analysedu langage: le
langagecommeidentification du diverssensibleet commeappariteur de
l'être. Ce double plan d'analyse ordonnerala progression de notre
recherche.

A. Ethique et langage
1. Connaissance et langage
Le langagen'estpas essentiellement un système de signesdoublantdes
entitéset desrelations déjà constituées avant leurtraduction linguistique.
Cetteconception qui traitele langagecommeuninstrument
traditionnelle,
extérieur au processusde la connaissance et destinéau seul luxe de la
communication, néglige en effetle plan du flux temporel de la sensibilité,
à partirduquelseulement des entitésidentiquespeuventémerger en se
prêtant à la thématisation. Tel est le de du
point départ premier chemin
d'analysedu langagedansAutrement qu'être,préparéparl'articleintitulé
Langage et Proximité et qui suit les traceslaisséespar Husserl.
SelonLevinas,la sensibilité ne se faitpas commecoïncidence instan-
tanéeentrele sentantet le sentimaiss'inscrit dansla fluencetemporelle
où des qualitéssensiblessontperçues.Cetteimmersion de la sensibilité
dansle tempssignifie que la sensibilité ne peutfonctionner qu'en s'écar-
tantd'elle-même. L'impression sensibleest déjà distanceentrele sentir
et le senti,sensationd'une chaleurou d'une couleur,expériencede..,,
ouverture à..., intentionalité.Dans ce minimalécartqui la constitue, la
sensibilitérecèleainsil'éveil de la conscience qui naît elle-même comme
temporalité. Le temps,c'est le sentirdu senti,intervallesuffisant pour
qu'unelumièrepuisses'infiltrer. D'autrepart,le présentdans lequella
conscience tientsonthèmeneseraitpas temporel, etdoncpas présent, s'il
ne s'écartaitpas aussi de lui-même1. En d'autrestermes,la conscience
- ne pouvantassurersa brillanceque parla distension temporelle de la

1. Cf. Langage et Proximité,dans En découvrantl'existenceavec Husserl et Heidegger,


p. 223.

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sensibilité - sera toujoursre-présentation. Mais c'est direaussi que la


conscienceretientaussitôtcet écart,que le passé n'est que tout juste
passé,c'est-à-dire encorere-tenu dansle présentparla rétention et que le
sensibleestle re-présentable. Cettetemporalité où sensibilité et conscience
se conjuguent se déploiecommelapsetretrouvailles, différencedel'identité
ou diastasedu Même,diachronie synchronisable dans la représentation1.
A la recherche du tempsperdu,tel estle titrede la conscience.
La conscience esttoujoursre-présentation et pourcetteraisonnonpas
coïncidenceimmédiateet intuitivemais identi-fication à traversla
fluence du temps.Cetteidentification parlaquelle la conscience rassemble
la dispersion et constitue des unitésidentiquesestd'embléeprestation de
sens: ce qui se profile dansl'impression estentenducomme ceciou comme
cela. Identifier ceci en tantque cela, c'est tendreune intentionalité déjà
linguistique donneun sensà quelquechoseen lui donnantun nom.
qui
Mais les entitésne sontpas thématisées d'abordpourrecevoirun sens
ensuite; ellessontdonnéesparce sens2.C'estpourquoile nomne se laisse
pas ramener sansrésiduà la désignation. « Le nomdoublantVêtant qu'il
nommeest nécessaireà son identité»3.
La conscience qui prêteun sensà « ceci» en l'entendant comme« cela »
devancele sensiblepourle thématiser. La prestation de sensposel'identité
de « ceci», qui s'annoncedans l'impression sensible,avec « cela» dontle
sensestdéjà entendu.L'identification s'accomplitdoncdans un déjà-dit,
un ouï-dire ou une doxa préalablesqui énoncentle caractèrea prioride
touteconnaissance. Proclamation de ceci commecela, la conscienceest
aussientendement et écouted'un déjà-ditsurlequelreposetoutsavoir4.
Ainsila connaissance ne se réduit-elle pas au pur dit,au systèmede
signes clos et immobiles, mais s'effectue dans un Diretenduversle Dit,
thématisant et identifiantla durée.Le Direnoétiqueépousela formede
l'intentionalité où se dessinela structure de corrélation inhérente à tout
acte. Et parle déjà-ditqu'il écoute,ce Direesttoutentiertournéversle
Dit et s'y absorbeau pointde s'y faireoublieret de donnerl'impression
qu'il se ferme en un système de dits.Toutse passedonccommesi le Dire
intentionnel cherchaità se faireoublier.
Par rapportà cetteinterprétation de la connaissance, la signification
éthiqueseradécritecommeDireen tantqu'il se détendde sa corrélation
avec le ditet dénouele nœudde l'intentionalité. C'estainsiqu'estintro-
duitela notionde proximité indiquantl'inversion de la distanceimpliquée
dansla conscience de...5dans le contactimmédiatoù résidela significa-

1. Cf. Autrement qu'être...,p. 41.


2. Ibidem, pp. 45 et 47.
à. Ibidem, p. 51.
4. Cf. Autrementqu être...,p. 4b. G est pourquoi aussi Le vinas ne traduit pas meinen
par viser mais l'interprèteà travers l'ambiguïté de 1' « entendre » et du « prétendre ».
5. Cf. Autrementqu'être..., p. 113.

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tion de la sensibilité avantsa transformation en sensation, élémentde la


connaissance.
Le statutdu connaître commeDiretenduversle Dit indiquedéjà que
l'intervalle entrele Dire et le Dit ne pourraêtresuperposépurement et
simplement à une distinctionentre l'éthique et la connaissance. La notion
de Dire institueau contraire un plan surlequelconnaissance et éthique
pourront apparaître dansleurlienintime.C'estce que précisedéjà l'ana-
lysedu savoiret de la sensibilité. Que le savoirsoitconceptuel et symbo-
liquenetémoigne pas d'undéfautou d'unedéfaillance accidentelle qu'une
penséecapable de s'ouvririntuitivement à son objet auraitpu éviter1.
De mêmel'idéalisationdu sensiblene le déforme pas simplement mais
révèlele sensiblecommece qui està identifier2. La connaissance ne fausse
pasle sensible; enle thématisant, ellese poseau contraire commeconnais-
sancedanslaquelleseulement véritéet erreurontun senset faitdès lors
accéderle sensibleà sa vérité.C'estpourquoile passagede la sensibilité
déjà conceptualisée de la sensationà l'immédiateté de la proximité ne
correspond pas à la réhabilitation, dans une autre sphère, d'une véritédu
sensibleque la sensation, toujoursau servicede la connaissance, aurait
déjà perdue ou faussée. Levinas n'entend aucunement réduire le sensible
de la sensation à l'idéalitédu savoirpourfaireplaceà uneautreexpérience
sensible, inaccessible à une connaissance. Il ne s'agitdoncpas d'affirmer
que la sensibilité « comporterait un élément opaquerésistant à la lumino-
sitéde l'intelligible, maisencoredéfinientermesde lumière et de vision»3.
La penséede Levinasne dénoncepas une quelconquefinitude du savoir
pour délimiter un domaine impénétrable à la connaissance et dans lequel
seraientexiléesdessignifications éthiques.On peutsansdoutedireque la
sensibilité ne se réduitpas à l'idée qui s'en laissetirer,maisen ajoutant
aussitôtque cetteirréductibilité ne détermine pas une régionréfractaire
à la connaissance, une obscuritéimperméable à la clartéde l'idée,qui
fixerait l'échecou l'illusionde toutsavoir.C'estdans la sensibilité de la
connaissance seulement, maiscertesavantsa transformation en sensation,
que la proximité pourrarecevoirun sens,au lieu qu'il failledécelerune
signification éthiqueopposéeau mouvement de la connaissance. En inter-
prétantla connaissance commelangageoù le nomre-présente le sensible,
Levinasse dirigedoncversunepriseen considération de la relationentre
l'éthiqueet la connaissance. Le fond conceptuel sensibledu savoir
et
annonce ainsi que le connaîtres'accroche toujoursau Direde la proximité.
Notrerecherche doitdèslorsse diriger versunesituation totalecapablede
faireapparaître le surgissement de la signification éthiqueà Vintérieur du
Dire thématisant le Dit, et non dans un deuxièmeDire coupé de toute
thématisation.
1. Ibidem, p. 78.
2. Cf. Lanqage et Proximité,dans En découvranti existence...,p. ¿¿¿.
3. Autrementqu'être..., p. OU. (Jî. aussi Langage et rroximue, aans un aecouvrani
Vexistence...,p. 225.

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2. Éthique et connaissance
A cetterelationentrel'éthiqueet la connaissance on opposerala défi-
nitionde l'éthiquecommemiseen questionde la conscience inconvertible
enprisede conscience de la miseen question.Carcettedescription n'iden-
tifie-t-elle pas l'éthique à un mouvement hostile à la lumière de la cons-
cience, à un irréfléchiirrécupérable par la réflexion ? Selon Jan De Greef
qui exploitecetteprésentation de l'éthiquedans La Signification et le
il
Sens, s'agirait dansl'éthique « d'un irréfléchi ne
qui, surgissant qu'après
la miseen questionde la réflexion par ce qui débordel'entendement,
n'estpas récupérable aprèscoup par la réflexion... L'irréflexion ici n'est
un
pas pré-réfléchi a
récupérableposteriori... ne
L'éthique peut relever du
domainedu pré-réfléchi, parce qu'elle ne vient pas avant la réflexion
- commemiseen questionde la réflexion elle lui est postérieure - et
parcequ'elle se constituepositivement comme résistance à la réflexion »*.
A partirde là, l'auteurconstateuneambiguïté dansle faitque la miseen
questionde la conscience ne permetplusla prisede consciencede cette
miseen questionet exigeun mouvement antérieur à la réflexion portant
sur lui, alors que d'autrepart l'éthiqueen tant que miseen question
devraitêtrepostérieure à la réflexion2.
Mais que la miseen questiondemeureirréductible à la consciencene
signifiepas que cetteprisede consciencesoit impossible.La mise en
questionn'exclutpas la prisede conscience, de mêmeque la résistance
d'autruià la thématisation n'empêchenullement qu'on puisseen faitle
thématiser. Restealorsà déterminer si la miseen questionéthiquen'est
qu'uneéquivoqueou si ellecontient uneambiguïté rempliede sens.Dans
Totalitéet Infini,Levinasécrivaitdéjà que l'éthiquene dénoncepas la
faiblesseou l'impuissance de la conscience, maisla justifieen la rendant
et
juste3, que l'impossibilité du «meurtre » contemporain de la thémati-
sationd'autruin'estpas réellemais éthique4- distinction qu'il faudra
préciser. Or, en affirmant que la mise en ne
question permetplusla prise
de conscience, on la considèredéjà commeun obstaclequi tiendraitla
conscience en échec.Si l'on prendau sérieuxl'idéeque l'éthiqueconsiste
en un dérangement de la conscience, peut-onencoresoutenirqu'elle se
joue dans un espaceinaccessible, en dehors de touteprisede conscience?
La signification éthiquene se ferait pas simplement sans conscienceou
contrela luciditéde la conscience, maisse glisserait entre la miseen ques-
tionet la prisede conscience de cettemiseen question.N'est-cepas dans
l'ambiguïté d'uneconscience dérangéemaisqui, dérangéeprécisément en
tant que conscience, est encorecapable de reprendre ce dérangement,

1. J. de Greef, Ethique, réflexionet histoirechez Levinas, dans Revue Philosophique


de Louvain, 1969, pp. 438-439.
2. Ibidem, pp. 442-443.
3. Cf. Totalitéet Infini, p. 55.
4. Ibidem, p. 173.

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qu'il fautdécelerune signification éthique? A proprement parler,un


dérangement de la conscience qui ne se refléterait en aucune manière - ne
fût-ceque par contraste - danscetteconscience, ne dérangerait riendu
tout.Il est en toutcas insuffisant de considérer l'éthiquecommeun pur
irréfléchi qui échapperait à tout jamais au savoir ou commeunepuissance
obscureet irrationnelle venant, de l'extérieur, brouiller la connaissance1.
Sa signification se laisseplutôtdéchiffrer dans la situationtotalede la
connaissanceet de la miseen questionet finalement dans l'ambiguïté
fondamentale par laquelle la connaissance est toujours attachéeau sen-
sibleet ainsitenuede passerpar le langage.
Pour De Greef,l'éthiquene peut releverdu domainedu pré-réfléchi
parcequ'elleseraitalorsrécupérable aprèscoupparla réflexion. N'est-ce
pas précisément dansle faitque le dérangement se laissereprendre après
coupparla conscience, maisseulement aprèscoup,quel'éthiqueaccomplit
sa signification ? La miseen questionéthiquedemeurecertesirréductible
à la conscience qu'ellelaisseencoresubsister, maisseulement parceque la
conscience est toujoursanachronique, parceque la mise en questionest
déjà passéelorsquela conscience la re-prend2. En ce sens l'éthiquereste
en deçà ou mêmeavant toute prise de conscience. C'est de cettedia-
-
chronie et non en tant qu'elle circonscrirait un domaine d'objetset
d'expériences inaccessibles à la connaissance - que l'éthiquetire son
de
surplus signification par rapport au connaître. La conscience ne peut
précisément coïncider dans son présent avec la mise en questionmais
seulement la re-prendre. Cettereprise par la conscience n'est pas à sontour
un réveilqui feraitsuiteà un sommeilaccidentelqu'uneconscience plus
vigilante auraitpu éviter.Elle indiquequ'à la conscience il fautdu temps.
La vie de la conscience estle temps.Dans le « déjà passé» de l'éthique,ou
l'urgence tellement extrême qu'elle n'épouseaucun présent,apparaîtle
rythme temporel inhérent à toute conscience.Que la consciencene soit
pas pureprésence immédiate et intuitive maisre-prise, re-trouvailles ou
re-présentation, c'est cela qui doit retenir l'attention. C'est dans cette
respiration naturellede la conscience,dans cette temporalitéque la
conscience retrouvemaisne peut que re-trouver, dans cettenon-coïnci-
denceet cettediachroniegrâceauxquellesla consciencefonctionne en
tantque conscience, qu'unedimension éthiquede signification peutavoir
le tempsde se glisser.
Il ne convient plus,dèslors,d'opposerle pré-réfléchi à l'irréfléchi pour
rangerl'éthiquedu côté de celui-ci. La connaissance qui thématisele
sensiblele faitaccéderà sa vérité.Ce sensibleà partirduquelune signi-
fication éthiquese laissedécrireconstitue ainsiun pré-réfléchi. En disso-
ciantl'irréfléchi et le pré-réfléchi, on ne pourraitfairede la proximité
qu'unerégiondu sensibleisoléedela sensation et qui formerait undomaine
1. Cf. Enigme et Phénomène,dans En découvrantl'existence...,pp. 210-211.
2. Cf. Autrementqu'être, p. 111.

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interdità la connaissance.On ne peut pourtantidentifier sans plus


l'éthique avec le et
pré-réfléchil'expérience naïve d'avant la philosophie1
carl'éthiquesurgit, à traversla thématisation du pré-réfléchi, à la manière
d'unexcédentde sensparrapportà cettethématisation. Si cestermesont
encoreune valeur,il faudraitdirequel'éthiqueestle pré-réfléchi etl'irré-
fléchisanspouvoirse réduireà l'un et à l'autreou, plusprécisément, que
dansle mouvement dela connaissance récupérant le pré-réfléchi,émergent,
non pas un « quelquechose» encoreidentifiable par une connaissance
toutepuissanteet inaccessible à notreconnaissance, maisun passéou un
passage et une diachronie ne
que peut contenir le présentde la réflexion
maisquela réflexion elle-même meten œuvredanssa cadencetemporelle.
Cettebipolarité de l'éthiquedénoteunesituationglobaleoù les phéno-
mènesofferts à la connaissance donnentpriseau dérangement bienque ce
dérangement se laisse encorerappelerà l'ordre2.La synchronisation
effectuée par la connaissances'inscritelle-même dans la temporalité et
s'exposeainsi au dérangement ; mais cette expositionn'inhibepas la
connaissancepuisque la diachroniese laisse à nouveau rassembler.
L'éthique,c'est la signification que creusele mouvement par lequel la
connaissance re-présente sa diachronie mais,en la représentant, la syn-
chronise ; c'estl'écartentrece laps de tempset ces retrouvailles.
Toutesces remarquesmettentfinalement en jeu la possibilitéd'une
justificationdu discourssurl'éthique.SelonDe Greef, le faitque l'éthique
résisteà la réflexion en tant qu'irréfléchi montrequ'une réflexion sur
l'éthiquetelleque veutl'entreprendre Levinasest vouéenécessairement
à l'échec.Cettetentative passeinévitablement à côtéde sonobjetcarelle
nepeutreprendre quela structure formelledulangageetnonson«essence»
éthique3.Il est certesévidentqu'une coïncidenceadéquate entrela
réflexion et l'éthiquedémentirait toutesignification éthique.Mais cette
non-coïncidence n'impliquenullementque la réflexionsoit incapable
d'atteindrela signification éthique et précisément de la re-prendre.
L'interprétation de De Greefpostuleuntypede réflexion que la penséede
Levinasne cesse de récuser.En exigeantune réflexion adéquateà son
objet,quel qu'il soit,on mutilel'aspectintrinsèquement temporelque
Levinasreconnaîtà touteréflexion.
Cependant, écritencoreDe Greef, le fait« que l'on puisseencoreréflé-
chirsurl'urgencede la miseen questionéthique...attestela maîtrisede
la raisonet de la réflexion surla miseen question»4. A cetteobjection
répondait déjà la notionde séparation dans Totalité etInfini.Etreséparé,
c'est se posercommeorigine,commencement et principede soi-même,
revenirà soi en assumantl'extériorité, s'éprouvercommeconscience
1. Cf. AutrementQu'être...,n. 116.
2. Cf. Enigme et phénomène,dans En découvrantl'existence...,p. 212.
3. Cf. J. de Greef, op. cit., p. 439.
*. loiaem., pp. 44U-441.

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soutenantl'apparitionde toutphénomène. Maiscettepréséancen'esten


aucunefaçonuneillusionque viendraitcorriger l'irruption de l'Autreen
tantque visage.Cettemanièrede s'éprouver en faitcommeantérieur à
l'Autrequi fondeen droitcetteantériorité, traduitl'intervalle de la sépa-
rationentremoi et autrui,dans lequel se creusela signification de la
transcendance1. L'antérioritéde droitqui esten faitpostérieure, telleest
la conditionde l'êtreséparé,c'est-à-direla manièred'êtrepositivede la
conscienceentantquetelle; ce n'estpasuneerreur à rectifier.La séparation
trahitainsiun écartentrele faitet le droit,entrele « réel» et le dérange-
ment,écartoù l'éthiquedéploiesonsens.Si la réflexion conserveun pou-
voirde faitsurl'éthique,bienque celle-cines'épuiseendroitdansaucune
réflexion,cette distancene ruinepas la signification éthiqueet ne
condamnepas la conscience à l'illusionmaisconstitue l'ouverture de sens
de l'éthiquedansla réflexion.

3. Le langage et le dire
Quel que soitl'anglesouslequelon visela signification de l'éthique,on
est placé en face de la situationtotale d'une conscienceexposée à la
diachronie qui la traverseetd'unediachronie encoresynèhronisable dans
la conscience.Il devientimpossible de penserl'éthiquecommeune rela-
tionqui se noueraiten dehorsde touteprisede conscience.Le Dire de
responsabilitén'esten aucunefaçonun deuxièmeDirejuxtaposéau Dire
de l'intentionalité.Ce n'estpas sansraisonque Levinasécrit: « Uactede
parlerestpassivitéde la passivité»2.C'estdansle Direnoétiquecorrélatif
du Dit que se produitla diachronie de l'éthique.D'autrepart,c'estencore
ce Direde proximité qui entreen corrélation avecle Dit et s'entendalors
commeacte intentionnel tenduversrenonciation du Dit3. Le Dire du
contactet de la proximité devientlui-même circulation d'informations4.
C'estdoncunmêmeDirequisignifie commeproximité deçà de toutdit
en
et qui apparaîtentantque proclamation du Dit,sansque pourtant le Dit
et le Direcoïncident. La distinctionentre le Dit et le Dire ne correspond
pas à un dédoublement du langagequi procéderait du cloisonnement de
deuxrégionsparticulières de la réalité,la connaissance et l'éthique.Mais
que la proximité soitinterprétée commeDireet que ce soitce mêmeDire
qui thématise le Dit et se thématise en s'absorbantdans le Dit, signifie
aussi que c'est toujourset seulementà traversle langageet dans tout
langagequ'est à l'œuvreune signification éthique.Autrement qu'êtrene
renverse pas simplement les termes de Totalité et Infini.Il est insuffisant
de constater quele langage,décritdansTotalité etInfinicommela relation
éthique elle-même, est maintenant abordé comme le mouvement de la

1. Cf. Totalité et Infini, p. 25.


2. Autrementqu'être..., p. 117, souligné par nous.
3. Ibidem, d. 59.
4. Ibidem, p. 126.

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connaissance, et que l'éthiqueest renvoyéedans un en deçà du langage,


carla proximité se passeà travers le langagemêmeoù s'effectue la connais-
sance, au lieu que cette signification éthique tienne à un comportement
moraldéterminé, à une ouverture préalableà autrui,qui se passeraitde
langageou exigerait unlangagepurde touterhétorique, invoquantl'autre
sansle thématiser1. Définirl'éthiquecommeparoleinterpellante en face
du discoursconceptuel2, c'est d'embléefalsifier la penséede Levinas
puisquec'estséparerce qui estd'abordenvisagédansunesituation totale.
En affirmant que la réflexion sur l'éthique considérée comme langagene
peutrejoindre que la structure formelle du langage et non son « essence»
éthique, De Greef maintient l'idée que l'éthique posséderait une réalité
subsistantedans le comportement pratique d'une paroleinvocative
étrangère au discoursconceptuel.
« La signification éthiquede la responsabilité ne se comprendpas à
partirde l'éthique»3. C'est-à-dire qu'ellen'émanepas simplement d'une
expérience moraledéterminée qu'il resterait à traduiredans le discours.
L'éthiqueestla signification positivede la diachronie de la conscience et
de l'expérience et nonune expérience moraleindépendante. En tantque
simpleexpérience, elle se réduiraitd'ailleursà une espèce particulière
d'intentionalité. Il n'y a donc pas de donnéou de réalitéproprement
éthiqueque l'on pourrait,de l'extérieur, éleverau concept.Loin de
s'épuiserdans une expérience particulière en dehorsde la connaissance,
l'éthiques'entendcommela résonance, surtoutela surfacede l'expérience,
d'unau-delàde l'expérience engénéral.« II ne s'agitpas dansla proximité
d'unenouvelle« expérience » opposéeà l'expérience de la présenceobjec-
tive...,d'une « expérienceéthique», en plus de la perception. //s'agit
plutôt de la mise en question de /'Expérience comme source de sens »4.Le
projet de Levinas ne consiste pas « à construirele fondement transcendan-
tal de l'expérience éthique»5. C'est pourquoisa penséen'estpas fonda-
mentalement une réflexion surla morale,mêmesi la signification de la
proximité peut encore orienter une exigence morale. Peut-être est-ce la
raisonpourlaquellel'emploidu terme« éthique» tendà s'espacerdans
Autrementqu'être.
Le caractèrede « non-donné » ou l'incondition
de la proximité signifie
que l'au-delàqui s'annoncedansla proximiténe règnepas à sa façondans
1. Dans Totalité etInfini,Levinasécrivaitcertesque « danssa fonction d'expression,
le langagemaintient précisément l'autreà qui il s'adresse,qu'il interpelleou invoque»
(p. 45). D'autre part,aucun discoursn'est exemptd'une certainerhétorique(p. 42).
Ainsi- et c'est ce que préciseAutrement qu'être- 1' « invocation» ne requiertpas un
type particulierde langage,elle est présentedans toutdiscoursà la manièred'une
signification transcendant le représentable.Maispuisquec'estle Dire éthiquelui-même
qui passe à la thématisation, cette signification pourra encoreresteraccessibleà
l'expérience, sans pourtants'y réduire.
2. Cf.de Greef, op. cit.,dès la page 431.
3. E. Levinas, Autrement qu être,p. 54. Cf. aussi Langage et Proximité,dans En
découvrant p. 234.
l'existence...,
4. Humanisme de l AutreHomme,Avant-propos, p. 14.
5. Autrement quêtre...,p. 189.

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undeuxième mondeau-dessusdu mondede l'expérience. Parle mêmefait,


la significationde la proximité ne pourraque se signaler- maispourra
ainsise signaler- dansTordredu langageet de la connaissance1 et scin-
tilleradans Yambiguïté de son attachement à la conscience, maisà une
conscience encoresusceptible d'en porterla trace.Le signalement de la
proximité dans le langage,qui conditionne la possibilité d'un discours sur
la proximité, tientdoncparadoxalement au règnedu langagecapablede
couvrirtout le champde l'expérience.Règneambivalentet peut-être
carc'esten lui que se noue,dansl'ambiguïté
ancillaire, du Direetdu Dit,
la relationentrela proximité et le langage.
Cetteambivalence sous-tend la démarchefondamentale de Autrement
qu'êtreparlaquelle Levinas veut remonter en deçà du Dit versle Direqui
l'animeet le porteet possèdeun sens« avant» sa corrélation avec un Dit.
Ce processus de réduction qui orientera la suitede notreproposne consiste
pourtant pas en uneévasionhorsdu domainedu langageet de la connais-
sance2.C'estau contraire seulement à partirde la tracedu Direde respon-
sabilitéque conserve le Dit qu'il serapossiblede faireapparaître énigma-
tiquement unesignification du Direirréductible à l'apparaître3. La réduc-
tioncommence dansles structures du savoiret de l'intentionalité. L'ana-
lysede la configuration intentionnelle et linguistique de la connaissance
n'est donc pas une étudepréliminaire extérieure à la penséeproprede
Levinas,elleestdéjà prisedansle mouvement de réduction.
la La réduc-
tionserait-elled'ailleurs possible si le Dire de proximité n'étaitpas déjà
présent d'unecertainemanièredèsle pointde départ,précisément dansle
langage, dans la corrélation du Dire noétique et du Dit, c'est-à-diredans
sa corrélation avec le Dit ?

B. Langage et ontologie
1. L'Être et le dire
Qu'il soit questiondans le Dire éthiqued'un au-delàde l'expérience,
conduitplusradicalement à l'idéed'un au-delàde l'être.Maisau lieu de
se rapporter à un arrière-monde « métaphysique » et à des entitéssubsis-
tantes, l'au-delàdont parle Levinas désigne, nous l'apercevonspeu à peu,
l'ouverture signifiante de la totalitéet de l'expérience. Dans ce contexte
se la
peut comprendre quasi-totale disparition du terme« métaphysique »
dans Autrement Cetteperspective
qu'être4. dirigela recherchede Levinas
versun dialogueavec la penséeheideggerienne.
1. Cf. Autrementqu'être...,pp. 127 et 128, en notes.
2. Ibidem, p. 56.
3. Ibidem, pp. 57 et 69.
4. ci. Autrementqu être...,pp. ö ^note;, lu et jluö laans i expression « iraaiuon méta-
physique »). La pensée de Levinas recherchecertes un « autrement » ou un « au-delà »
mais elle refuse d'identifiercet au-delà avec un Étant suprême, fondementde Tétant
en totalité.

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La démarche de Levinasconsisteà montrer que l'être,en tantqu'enlui


s'entendent étantet essence(au sensverbald'événement ou de processus
d'être,d'esse) et leur « différence » essentielle,fileson destin surla trame
du logos.Nonseulement l'essenceet l'étantrésonnent et se reflètentdans
le Dit,maisla « différence ontologique » elle-même tientà la structure du
et se
logos peut comprendre comme une Cette
amphibo-logie. interpréta-
tionne visepourtantpas à réduirela « différence ontologique » à un pur
du
capricesyntaxique langage, elle mesure au contraire la gravitéet le
sérieuxontologiques du langage1.
SelonLevinas,l'histoire de la philosophie occidentales'estjouée depuis
Parménidedans une étonnantecomplicité entrel'êtreet la pensée.Que
l'êtresoitl'affaire de la penséene signifie pas seulement qu'il est ce qui
donnele plusà pensermaisaussiqu'ilse donnecommece qui està penser.
C'est pourquoil'essenceou la gestede l'êtreest manifestation, lumière
pourla penséeet déjà appel au langage.'Jêtreest- c'est-à-dire déploie
sonessence- dansle Dit, dansle Logos: « l'êtreest inséparablede son
sens! Il estparlé.Il est dansle logos»2. L'essencese laisserainterpréter
commeleDiredu Ditoù l'étantapparaît,commeapparoirdu phénomène3.
L'essenceest manifestation et ainsidiastasede l'êtrepar rapportà lui-
même,différence de l'identique ettemporalisation. Maisce dé-couvrement
où l'êtrene coïncideplus avec lui-même et se défaiten phénomènes ne
s'accomplitque par le langageoù se conjuguent verbeset nomset dans
lequelle dé-couvrement se re-couvre en tant que vérité.
Le verbepeutcertess'entendre commeun signedésignantune action
ou une modification d'un étant.Mais le verbeen tant qu'il désigneest
encorenom,précisément parce qu'il désigneet nomme.Au contraire,
dans une proposition telle que « le rougeest rouge», le verbeêtrene
désigneplusunemodification quelconquedu rougeni mêmel'essencedu
-
rouge qui serait par cette désignation simplequiddité- , il faitrésonner
le « rouge» commeessencedu rouge(le rougerougeoie)de tellesorteque
l'adjectivésubstantivé se temporalise et vibrecommeune « façon» de
YEssence.C'estpar le verbeêtrecommeverbed'une proposition predi-
cative que le verbeatteintsa verbalitéessentielle4. Entre le langage
nommant des étantset ce langageverbals'instaureune mutationambi-
valentequi estl'amphibologie primordiale du Dit. De mêmeque tousles
attributs d'un étanténoncépar un nompeuvent,dans leurfonction de
prédicats, se verbaliser en résonnant commedes modalitésde l'essencede
cet étant,de mêmele verbeêtrerésonnecommeessence,maisdéjà surle

1. Ibidem,pp. 55 et 58.
2. Ibidem,p. 58.
3. Ce lien entrephénomèneet discours,tel que tout phénomèneest dit ou que le
« phénomèneest lui-mêmephénoménologie » (Ibidem,p. 48) faitallusionà M. Hei-
degger, Sein undZeit,zwölfteunv.Auflage,Tübingen,M. Niemeyer, 1972,pp. 28-34.
4. Ci. Autrementqu'être..., pp. 4y-51.

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pointde se fairenom,entantquecopuledésignant etconsacrant l'identité


desétants1.
Puisque cette amphibologie constituel'essentieldu Logos, apparaît
alors le statutontologiqueprimordial de la proposition dans laquelle
seulementscintillel'amphibologie. L'être ne déploieson essenceet sa
véritéque dansla pro-position ; c'estpourcetteraisonqu'à titresecon-
dairela véritéinterprétée commeadéquationtrouveson séjourdans le
jugement. L'amphibologie du Dit signifie aussique la résonnance verbale
et temporelledans laquelle l'essenceex-poseou pro-posedes étants,
elle-même s'exposeet s'identifie commeun étant.Ce Dire de l'êtreest
tenduversle Dit parcequel'êtreesttoujoursl'êtredel'étantquilui-même
apparaîtcommeétantdans le Dit. L'essence,ostensióndes étantsou
phénoménalité des phénomènes, elle-même se montre commeverbed'une
proposition predicative2. Le Dire de l'êtreestdit3.
Maiscetteexposition de l'essencedansle thèmedoitencores'accomplir
amphibologiquement, dans une nouvellerésonnancede l'essencene
pouvants'identifier à sontourque dansunautredit.Le tempset l'essence
« peuventcertesse nommer dansle thèmemaiscettenomination neréduit
pas au silencedéfinitif la résonnance sourde,le bourdonnement du silence
où l'essence,commeun étant,s'identifie. A nouveauun silencerésonne
autourde ce qui avaitétéassourdi»4.Puisquele Direde l'êtrequi théma-
tisele Dit ne peut se thématiser lui-même que dans un autreDit vers
lequel il se tend encore, tout se passe comme si le logoss'essoufflait à
thématiser le non-thématisable5. Dès lors le Dire,dans le mouvement
mêmeparlequelil se tendversle Dit,ne se détendrait-il pas du Dit pour
en
signifier deçà de l'être et du logos ? Le Dire de l'être est exposition du
Dit, essence de l'étant qui se donne comme thème de la manifestation.
Précisément, le Direde l'êtreestdit,déploieson essencedansle Dit. La
proposition « le Direestdit» énoncela situationpremière de l'onto-logie.
Ce n'estpas un Direontologique préalablequi serait ensuite et accidentel-
lementdit.Le Diren'estontologique que par copulequi lie d'emblée
la le
au Dit. C'est pourquoiLevinaspeutécrirequ'il « n'y a pas ^essenceni
d'étantderrière le Dit, derrièrele Logos »6.
Que le Direexposantle Dit ne puisseêtrereprisque dansun autredit,
témoignede la diachronie et de la non-coïncidence du Dire et du Dit.
C'estce qu'exprime à sa façonla « différence ontologique » de Heidegger.
1. Ibidem, pp. 53-55. Cf. aussi M. Heidegger, Identité et Différence,dans Ques-
tions I, Paris, Gallimard, 1968, p. 298 (trad. A. Préau) : « «Tètre de Tétant » veut dire
« l'être qui est Tétant ». Ici le verbe « est » a un sens transitif,il marque un passage. Ici
Tètre se déploie dans le mode d'un passage vers Tétant ».
2. Cf. Autrementguêtre..,, pp. 51 et 54.
3. Le génitifest ici à la lois objecta et subjectif.L,'etreesten exposantrétant,mais
cetteexpositionest aussi Texpositionde Tètrelui-même: l'êtreestdit.
4. Autrementqueire..., p. <k').
M A â Â --» AM _ Â r'

5. Cela ne condamnepas la véritéà Tillusion.Cela signifie que la véritéest toujours


promise,toujoursfuture,toujoursà rechercher. Cf. Ibidem,p. 37.
6. Ibidem,p. 51.

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Et pourtant, selonLevinas,le processus d'êtredontla connaissance épouse


le mouvement effectue la synchronisation de cettediachronie car le Dire
n'estmarquédu sceaude l'êtrequ'entantqu'il s'absorbedansle Dit pour
exposerdesétants,l'êtreétanttoujoursl'êtrede l'étant.Diachronie qui se
laisse synchroniserdans la véritémais que la vérité- qui n'est pas
donnéeimmédiatement maistoujoursà faire- ne peutétouffer. Toutse
passe donc comme si la lumière de l'êtrebraquée sur les étantsne pouvait
brillerque dans la nuit,commesi l'être,pourse montrer, devaitsortir
de la nuitet se dé-voiler. Cela étonneet laisseposerla question: « cette
nuitou ce sommeil que l'être« quitterait» parle tempspourse manifester,
sont-ilsencorede Yessence, simplesnégations de la lumière et de la veille?
« Sont»-ilsparcontreun« autrement » ou un« endeçà» »* ?
L'être,qu'on auraitcru totalitéfermée, se laisse mettreen question,
laisseposerla questiond'unen deçà. A partirde cetteinterrogation, une
description ne connaissant au pointde départque les termes« être» et
« autrement qu'être» s'efforcera de remonter en deçà du Dit et de l'être
versl'intriguepropredu Dire et sera amenée,dans cette remontée, à
mettreen œuvredes significations éthiques2.
2. Du Dire au Dit
Dans Autrement qu'être,ce processusde réduction s'accompagned'un
mouvement en sensinverseparlequelLevinasveutrendrecomptedu Dit
et de l'êtreà partirdu Dire de responsabilité. Une doubledémarche
préside doncà l'ensemble de l'œuvre et organise le proposde l'auteur.
tout
Si la penséede l'autrement qu'être appeléesurce doublechemin,
est c'est
fait
parcequ'elle problème aussitôt la
que signification du Direest pensée
et énoncée.En effet, si le momentontologique impliquénécessairement
dans toutdiscourssynchronise la diachronie dans laquellela proximité
- qui se passeelle-même toujours à traversle langage- trouvesonsens,
le discoursde Levinas,en tantque discours, risqued'infliger un démenti
à la signification qu'il prétend atteindre. Pour demeurer cohérentes et
philosophiques, les thèses de Levinas devraient êtrecapables de rendre
comptede cettesituationet de renverser ce « démenti» en faveurde
l'autrement qu'être,en montrant commentle logoset l'êtreprocèdent
encorede l'intrigue de responsabilité du Dire,en révélantl'êtrecomme
unemodalitéde ce Dire.Maiscetteréponsenepourrase justifier devantla
forceetla cohérence du logosque s'il s'avèrepossiblede déchiffrer dansle
Dit l'échod'unesignification qui ne se réduitpas à l'ontologie, à partir
duquella remontée du Dit au Dire d'en deçà pourraits'effectuer. Aux
moments décisifs de Autrement qu'être,quandil estexplicitement question
de ces deux mouvements3, il apparaîtclairement que la préoccupation
1. Autrementqu'être..., pp. 38-39.
¿. ibidem,p. r¿v)en note.
3. Ibidem,pp. 56-58 et pp. 195 et suivantes.

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de Levinasrésidedans ce problèmedu statutet de la justification du


discourssurla proximité et ¡'autrement qu'être.
Cetteproblématique inscrit notrerecherche dansla lignede questionne-
menttracéepar Derrida.Celui-cise demandaitsi l'éthique,à cause de
la violencecontemporaine du conceptet du verbeêtrepar lequella pré-
dicationordonneà toutealtéritéde réintégrer la sphèredu Même,peut
encoremériter le nomde langage.Puisqu'ilsupposetoujours« l'entre-
lacementde nomset de verbes», « c'esten son originesilencieuse seule-
mentque le langage,avantl'être,seraitnon-violent »*.Ce contexteest
tellement prochede Autrement jusquedansles termesutilisés,
qu'être, que
la problématique déployéedans Violence etMétaphysique peutêtreconsi-
déréecommele motifdéterminant pourlequels'imposaitun ouvragede
Levinasqui approfondît et explicitâtTotalitéet Infini.Si l'éthiqueest
l'originesilencieusedu langageou un Dire d'avanttout Dit, comment
expliquerla nécessitédu langageet de la phrase2? A cettequestionde
Derridafaitdirectement échol'interrogation de Levinas: « Pourquoila
proximité, puresignification du Dire,...retournerait-elle à l'êtreoutombe-
rait-elleen être,en conjonction d'étants,en essencese montrant dansle
Dit »3 ? Pourquoilangage? Cettequestionhantemanifestement Levinas
toutau longde sa dernière œuvre.Il est remarquable de constater avec
quelleinsistance il annonce et
qu'onpeut qu'il faut comprendre comment
le Direen appelleau Dit et à l'essence4.
Et pourtant, qu'il faillerendrecompted'unenécessité du langageet de
l'êtren'insinue-t-il pas une subordination du Dire à l'être et qu'un Dire
sans Dit comporterait la pireviolenceet la pireinjustice? Le langagene
s'impose-t-il pas, écrivaitDerrida,« parceque, si l'on n'arrachepas vio-
lemment l'originesilencieuse à elle-même, si l'on décidede ne pas parler,
la pireviolenceco-habitera en silenceavecVidéede la paix»5 ? Levinasne
répond-il pas positivement à cettequestionen affirmant qu'il « fautdire
« ce qu'il en est», direquelquechose- avantde ne direque le dire» •?
Si l'on mesurela portéedes remarques de Derrida,une interprétation
apparaît selon laquelle le Dire ne parviendrait à son accomplissement
qu'entraversant et assumantle logoset ainsicommeun au-delàdu Dit.
Il faudraitalorsséparerl'en deçà du Dit de l'au-delàet opposerau Dire
éthiqueun Direontologique manifestant le Dit. Maisce schémase détruit
de lui-même parceque le Diren'accéderait à unesignification éthiqueque
grâceau Dit et se laisseraitencorecomprendre commeune modification
de l'essence.
1. Cf. J. Derrida, Violenceet Métaphysique - Essai sur la penséed'Emmanuel
Levinas,dans L'écriture et la différence, Paris, Seuil,1967,pp. 218-220.
2. Ibidem, p. 220.
3. E. Levinas, Autrement qu'être...,p. 199.
4. Cf. Ibidem,pp. 7, 9 (note),19-20.24, 37 (note),48, 58, 59, 78, 84 (note),89-90,
104, 116 (note),148 (note),152 (note),165, 188.
5. J. Derrida, op. cit.,p. '¿¿v.
6. Autrement qu'être...,p. 18d,en note.

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N'est-cepas toutefois seulement quandon a séparéle Dire éthiquedu


Direthématisant le Dit,que toutesignification pourrait s'épuiserdansla
thématisation, l'éthique se ramener à l'ontologie et l'autrement qu'êtrese
renverser en un « êtreautrement » ? L'interprétation de Derridanous
paraît constamment enchaînéeà ce schémad'oppositionque Levinas
chercheprécisément à dépasser.Opposer,c'estprésenter une alternative
qu'il faut lever et dont la solution la
exige suppression d'un termeau
profit de l'autre. L'opposition est le propre d'un logospré-critique récla-
mantla réductionde tout Autreau Même.En opposantl'éthiqueà
l'ontologie, on ne peutque la réduireà celle-ci.Ce que nouscontestons,
c'estqu'il soitimpossible de penserla signification de la proximité autre-
mentque commeun ordre- ou un désordre- antagoniste à celuide
l'être.Parcequ'il estdifférence de l'identité, c'est-à-dire temporalisation
et finalement langage,l'Etre peut demeurer sensibleà la Différence de
l'Autrement qu'êtreet à la diachroniede la responsabilité. Lorsqu'on
déclareque la relationéthiquedoitêtreexcluedu langage,sousprétexte
que celui-cicontiendrait une violencecontemporaine de son articulation
essentielleet en vertude laquelle langageet thématisation devraient
coïncider, n'est-cepas seulement parceque l'on a déjà opposéau logos
conceptuel unlangageéthiquepurement invocatif1 ? Et cetteopposition,
loin de protéger le logoscontretouteirruption de l'Autreet d'affermir
son pouvoir, oblitèrele fondtemporelet sensible,et par là conceptuel,
grâceauquel seulement il peutfonctionner, le condamnant ainsià l'illusion
de la coïncidence intuitive et de la transparence. De même,ne faut-ilpas
avoir opposé à l'être une transcendance an-historique pour pouvoir
intégrercettetranscendance à l'être parce qu'elle formerait alors un
arrière-monde métaphysique et donc encore un monde et de l'être2?
Enfin, n'est-ce pas seulement en posant une expérience morale et reli-
gieusejuive face au logosgrecque, vu la nécessité qui incombe au Juifde
parlergrec ou de mouler son langage dans le logos, l'on pourraitfaire
de ce logosla mesureultimede toutesignification3 ?
S'il fautabandonner ce schémade l'opposition, ce n'estpas pourlui
substituer celuide l'identiténaïve.LorsqueLevinasparled'un en deçà
ou d'un au-delàdu Dit, ne faut-ilpas y discerner une tensionet une
ambiguïté signifiantes ? Dans cetteambiguïtéqui transparaissait déjà à
traversla description de l'éthiquecommelangageet de la proximité
commepureimmédiateté et pourtantmiseen questionde la conscience,
doit-ondénoncer l'hésitation d'unepenséeencoreincertaine et mêmeune
équivoqueet une incohérence, ou bienfaut-ilsurprendre la signification
que Levinass'efforce de dire?

1. J. Derrida, op. cit.,p. 218.


2. Ibidem,p. 220.
3. lOidem,p. 226.

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La signifiance de cetteambiguïté apparaîtbienlorsquel'auteurdéve-


loppe le mouvement qui conduit du Dire au Dit parle thèmede la justice.
A la question« pourquoilangage? » répondla justiceréclaméeparla pré-
sencedu tiersà côtédu prochainapproché1. Il n'estpossiblede parlerde
tiersque si,dansla relation de proximité, unautreestabordécommeautre
quele prochain. Untiersimmédiat estunnon-sens. Le tiersimporte seule-
mentcomme tiersou en tantquetiers.Ce « en tantque » exprimeprécisé-
mentl'inversion de l'immédiateté de la proximité en conscience. Le tiers
est toujoursvu commetiers,misà distancepar la médiationet l'inten-
tionalitéqu'apportela conscience. C'estpourquoila prisede « conscience
naîtcommeprésencedu tiers»2.A partirde cettenaissancelatentede la
conscience, on comprend aussila nécessité du langage,de la manifestation
et de l'essence.
Maiscetteintervention du tiersn'est-ellepas un Deus ex machinaqui
seraitinvoquépourrendre uneplaceau langageet à l'être? D'autrepart,
Levinasne semblepouvoirrendrecomptede l'universalité inhérente à
l'êtreet au logosque parla pluralité de la sociétéet supposeainsice qu'il
veut expliquer.Enfin,mêmesi le passage du Dire à l'êtrese laissait
élucider,pourrait-on l'interpréter autrement que commeune défaillance
du Dire ?
La première objectionsupposeque la justiceconstitueun problème
indépendant exposabled'unefaçonisoléeet que la description de la proxi-
mité ne nécessite aucun recours au thème de la justice. Il est clairau
contraire la
que proximité en tant que mise en question de la conscience
impliquedéjà le momentde la conscience et du langage.Par ailleurs,la
notionde substitution qui développecellede proximité contient déjà une
référence à la
implicite justice et ainsiau langage3. Mais plusradicalement,
le lien entrela proximité et la justice,c'est-à-dire l'attachement de la
au
proximité langage, ne relève pas seulement d'une nécessité de l'exposi-
tion.Cet attachement tientà la signification mêmede l'éthique.Totalité
et Infinimontrait bien qu'il n'y a pas d'abordrelationavec autruiet
ensuitesoucide justiceet insistaitsurla coïncidence de ces deuxaspects
dansle visage4.N'est-cepas la raisonprofonde pourlaquelleLevinasse
devait d'annoncerle thèmede la justicetout au long de Autrement
qu'être? La proximité est d'embléejusticeet la justiceimpossible sans
celui qui la rend ne se trouve dans la proximité - ambiguïtéde
que
l'immédiateté et de la conscience. Maiscetteambiguïté traduitYEnigme5
mêmede la transcendance, selonlaquellel'au-delàpassedansl'êtreet le

1. Cf. Autrementqu'être..., pp. 200 et suivantes.


2. Ibidem, p. ¿Vó.
3. « Personne ne peut se substituer à moi qui me substitue a tous ». Autrement
qu'être..., p. 162. Nous soulignons.
4. Cf. Totalitéet infini, p. i»ö.
5. Cf. Enigme et Phénomène,dans En découvrantl'existence...et Autrementqu'être...,
pp. 11, 15, 118, 194, 196, 199, 206...

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Levinas : éthique,langage, ontologie

langagequi ne peuventle contenir,de tellesortequ'il ne peuty passer


qu'énigmatiquementet seulementy passersanspouvoirs'y enfermer, à la
manièred'unpassé qui n'a jamais été présentet ainsian-archique mais
qui,pourcettemêmeraison,laissesa placeau présent et garantit
le règne
de Yessence.
« II y a » toujourset d'embléele langage.Le langageestl'originede tout
présent. C'estpourquoile thèmede la justicene consistepas à expliquer
l'originede l'êtreà partird'unesituationantérieure, c'est-à-direà partir
d'unprésentantérieur à toutprésentmaisqui seraitencore,en tantque
présent, un événement d'êtreou une essence.En ce sens,on ne pourrait
expliquer l'être que par l'être.Affirmer que le Dire réclameessenceet
langage en tant que justice, ce n'estpas interpréter la présencede l'être
à partird'un événement c'est
antérieur, plutôt faire apparaître le senset
l'orientation de l'êtredans la justice,reconnaître à l'êtreson juste sens.
A proprement parler,il ne s'agit pas non plus d'expliquerl'êtrepar la
justice. Ce serait vouloirluitrouver uneorigine dansunejusticeantérieure
à l'être,c'est-à-dire dans une penséed'avantl'être,alorsque la justice
est d'embléela signification contemporaine de l'êtreet de la pensée.Dès
lorsl'articulation de la prisede conscience et de la responsabilité nepeut
en aucunefaçonêtre comprisecommeune défaillancequelconquede
cetteresponsabilité1. S'il est encorepossiblede décrirele Direcommeun
en deçàdu Dit et l'autrement qu'êtrecommeun en deçà de l'être,c'est
seulement à partirdu règnedu langage,dansla mesureoù le langagetend
à révélersonvéritablenom.Le Direde responsabilité est en deçà du Dit
en tantqu'il le fondeet l'anime.On comprend alorscomment le Direse
passetoujoursdans le langage,sans qu'il faillepourtantlui opposerun
en deçà du Dit.

3. La Réduction
II apparaîtdoncque le mouvement du Dire versle Dit ne peut être
achevéet nepeutdéployer toutesa signification
que parla démarche de la
réductionqui remonte au Direà partirdu règnedu langage.Corrélative-
ment,ce processus de réductionrenvoieà la problématique de la justice.
C'estce que meten évidencela questionfondamentale que faitsurgirla
réduction : si la réduction concernela remontéeau Dire à partirde la
tracequ'en conservele Dit, est-ilpossiblede déterminer comment cette
tracese donnecomme trace?
1. Le problèmesous-jacentest celui de la création.Levinas refusede considérer la
créationcommeun acte ou un événement d'un Étant suprêmeprésentavantle monde.
Dans ce cas, il seraitimpossible, à la limite,de comprendre commentle finiest sortide
sinonpar une défaillanceou une chute.La notionde créationn'énoncepas un
l'infini,
processus relevant de Dieu, elle concerne l'être dontelle exprimele sensultime.L'être
n'estpas une négationde l'autrementqu'êtreet en ce sens une flnitisation de l'infini
mais possèdeun statutpositifqui lui permetprécisément d'entreren relationavec
cet au-delà.D'autre part,l'autrementqu'êtren'est pas simplement une négationde
l'êtremaisle sens et l'ouverturede l'être.La plus grandeprudences'imposedonc si
l'on veut parlerd'une flnitudede l'être.

81
Revue de Méta. - N« 1, 1977. 6

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Etienne Féron

Cettequestionne suggère-t-elle pas l'impuissance de la réduction qui


chercheà décrirele Direen s'appuyarit surla tracequ'il imprimerait au
Dit, mais qui présuppose déjà l'apparition de cette trace comme trace ?
Levinas semblemêmereconnaître cettefaiblesselorsque,reprenant le
questionnement de Derrida,il se demandesi sondiscoursqui ne peutdire
l'autrement qu'êtrequ'entermesontologiques demeurecohérent et philo-
En
sophique. exigeant la cohérence du «
logos, l'objectionsupposerait
ce qui est en question: la référence à Yessencede toutesignification »*.
N'est-cepas l'aveu de l'impossibilité de la réduction ? Car en se situant
résolument dansle logos,en ne s'accordantque l'êtrepouruniqueaxe de
référence, la description pourra-t-elle jamais surmonter la préséancede
l'ontologie? Or, Levinas en convient,les structures où commencela
réductionsont ontologiques2. Ne trahit-ilpas lui-mêmeson intention
en écrivantque la signification éthiquedu Direne sauraitse comprendre
à partirde l'ontologie3 ?
Cetteobjectionconsidèrequ'on ne peutatteindre l'autrement qu'être
qu'enle pré-supposant. La valeurde la réduction seraitsujetteà caution
parcequ'ellene pourrait éviteruneprésupposition surlaquellel'ontologie
n'auraitaucunepriseet qui seraitdu mêmecoup purementgratuite.
Maisl'objectiondénoncealorsà bon droitun au-delàsans rapportavec
l'être.PourLevinas,la réduction ne consistepas en une évasionhorsde
l'êtreet de ces catégories, elle est au contraire un travailde langage4.
Le règnede Yessenceet du langagesignified'ailleursque cette sortie
horsde l'êtreest impossible.Et mêmes'il s'agissaitde démontrer un
autrement qu'être, cette démonstration resterait encore dans l'être car
elledémontrerait que l'autrement qu'êtreestau-delàde l'être.En partant
de l'être- et d'où pourrait-on partirsi ce n'estde l'être? - on atteindra
toujours de l'être. Mais cette empriseou cettepermanence de l'êtrene
proclamepas l'impossibilité de la réduction. Elle protègel'autrement
qu'être de la réification que lui ferait subir un règnedans un monde
au-dessusde l'êtreet ainsirivalde l'être.Au lieu de viserà s'extraire de
l'être- ce qui s'avèreimpossible - ou de partird'un domaineétranger
- ce qui meten œuvreun présupposé injustifiable devantl'être- la
réductionne consiste-t-elle pas plutôtà reconnaître une ouverture de
Vêtre ? Si telleest sa tâche,la réductionest indissociablement liée à la
découverte de l'êtreet du dit commemodalitédu Dire,c'est-à-dire au
mouvement de la justice.Cettecompénétration et cettecircularité des
deuxdémarches dominantes de Autrement qu'êtrene se laisseraient inter-
prétercommeunpré-jugé de l'au-delàque si l'onréifiait celui-cienl'oppo-
sant à l'être.Pour que la réduction soit possible,il fautcertespouvoir
reconnaître unetracecomme trace, mais cettereconnaissance n'estpas un
1. Autrementqu'être..., p. 198.
¿. L.I. Auiremeni queire..., p. o/.
ó. iDiaem, p. oö.
4. Ibidem,p. 56.

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pré-jugéarbitraire et sans fond.Elle impliqueun processusa prioripar


lequel la réduction reconnaîtune ouverturede l'être, mais de cette
ouverture de l'êtrequi estaussiuneouverture dansl'être,on peutencore
rendrecompteà partirde l'expérience et de l'ontologie parle mouvement
dela justice.L'expérience révèlesa dimension dernière parcettereconnais-
sancemaiscelle-cisejustifie dansl'expérience où l'être,entantquejustice,
manifeste danssonessencemême- la manifestation - un dépassement
parrapport à lui-même1.
La circularité fondamentale qui s'imposeainsi à la réflexion exprime
dès lorsune ambiguïté signifiante. Au seuilde Autrement qu'être, Levinas
n'écrivait-ilpas que les thèses développées dans le livrene peuventêtre
isoléeset se prêterau déroulement linéaire,et cela à cause de la significa-
tionmêmequ'ellesessayentde dire2?
Puisquel'amphibologie de l'êtreet de l'étantconstituel'essentieldu
logos,c'esten elleque devraitdéjà se signalerl'ouverture de l'être.Cette
amphibologie désigne l'ambiguïté, inhérente à la proposition, du verbeet
du nom,de l'écoulement temporel et de l'identique.La connaissance est
toujoursconceptuelle et symbolique et, à son tour,c'est seulement dans
la proposition quele conceptacquiertsa véritable fonction. Dansla propo-
sition,le tempsse laisserassembler et épousele présentde la représenta-
tion.Maisle tempsse temporalise encoredansle mouvement où la propo-
sitionse pro-pose. La proposition estl'emboîtement desverbeset desnoms
et déjà leurdéboîtement temporel. Le Direthématisé dansle Dit n'y est
pas faussésans retour3, il résonneencoredans la proposition mêmequi
effectue cettethématisation. En synchronisant la dispersion temporelle
etenparvenant à unesynthèse, le logosne faussepas maisrefoule la durée
qui lui donnaitpourtantle jour.Le logostientcomptede tout,maispar
là mêmeil travestit déjà sa propreprogressivité. La constitution interne
du discours - la tensionentrel'identiqueet la fluence temporelle, requise
parl'êtrelui-même - montre qu'iln'estquele tenacerappelà l'ordred'un
dérangement qui le traverse. La diachronie du Diregardeun échodansle
déroulement du Dit,dansla fragmentation du logosen verbeset en noms
au seinde la proposition et mêmedans la « transcendance » de l'objet
intentionnel4 où s'accuseunedistanceentrele Direetle Dit.
Ainsile Direse glisse-t-il dansle logoscommesi toutle fonctionnement
du Dit n'étaitqu'un lapsustrahissant un au-delà.Pourquoila connais-
sanceest-ellereprésentation et non pureintuition? Pourquoice qui se
montredoit-ilavoirété perdupourêtretrouvédans une véritéqui est
toujoursre-trouvailles ? Pourquoila manifestation ne se produit-elle pas
1. La transcendance
ne désignepas unerelationqui se joueraitdans un autremonde
au-dessusde l'être,mais le fait,pour Vessence,
de passerà l'autrementqu'être (Cf.
Autrementqu'être..., p. 3).
2. Cf. Autrementqu'être..., p. 24.
3. Ibidem,p. 59.
4. Ibidem,p. 84.

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commeinstantfulgurant d'ouverture où la totalitéde l'êtrese montrerait


à la totalité1? Et pourquoifinalement l'êtredoit-ilse manifester, c'est-à-
dires'écarterde lui-même et se temporaliser pour s'identifier ? La puis-
sanceetla cohérence du dogmeparménidien de l'unitéde l'êtres'exposent
au parricide de Platon: l'Autreestdansle Même.Toutcela étonne.L'être
qu'on croirait, en droit,totalitéimmobileet close où le Mêmecoïncide
sans distanceet immédiatement avec lui-même, se laisse questionner et
mettreen question,se laisseouvrirpar la question,ne s'identifie qu'en
s'exposantà la différence, se temporalise et se pro-pose.
L'intuitionfondamentale de Levinas dans Autrement qu'êtreréside
peut-être dans la découverte du lien qui unit le caractère éminemment
ontologique de la proposition et de son amphibologie avec la relationà
autruidonton peutfairel'expérience dansla proposition. L'intrigue du
Dire« imprime sa traceà la thématisation elle-même, qu'ellesubithési-
tantentrestructuration, régime d'uneconfiguration d'étants...d'unepart,
et le régimede l'apophansisnon-nominalisée, de l'autre,où le Dit reste
proposition - proposition faiteau prochain,« signifiance baillée» à
Autrui»2.Cetteréférence à autrui,donton peutfairel'expérience, n'est
pas simplement une expérience particulière à côté de l'expérience de la
connaissance. En tantqu'expérience, elledemeureconnaissance d'autrui.
Mais commetouteexpérience ou touteconnaissance se constitue intrin-
sèquement dansdes propositions, cetterelation avec autrui est aussi une
dimension de l'expérience et
en général indique le sens de l'expérience
et de l'être.L'êtrequi accomplitsa véritédansla proposition, s'y trouve
déjà pro-poséou ex-posé. L'être s'ouvre dans le mouvement même par
lequelil se fermeen s'identifiant commeêtre.« En totalisantl'être,le
discourscommeDiscours(c'est-à-dire en tant qu'il estparadoxalement
dansla proximité) apporte ainsi un démenti à la prétention mêmede la
totalisation»3. Montrerla trace du Dire dans le Dit, c'est discerner
l'ambiguïté parlaquellel'êtrequi thématise desétantsdansla proposition
et s'érigeainsien totalitédemeureencoreouvertdans cetteproposition
où la proximité d'autruia un sens. C'est pourquoil'énoncéprédicatif
« se tientà la frontière d'unedéthématisation du Dit et peuts'entendre
commeunemodalitéde l'approcheet du contact»4.
La réduction renvoieainsià la découverte de l'êtrecommemodalitédu
Dire,c'est-à-dire à la justice.Ce n'estpas parhasardque le paragraphe de
Autrement qu'êtreconsacréà la réduction se termine par uneallusionà la
justice5.En vertude la circularité qui domineAutrement qu'être, on peut
affirmer que la proximité, qui n'estpas elle-même une expérience de...,

1. Cf. Autrementqu'être....pp. 31 et 36.


2. Ibidem,pp. 59-60.
3. iDiaem,p. zi/.
4. Ibidem,p. 60.
5. Ibidem,p. 58.

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resteencoreaccessibleà l'expérience dela relation avecautruique contient


toutdiscours1. L'éthique, où rien de moral ne se signaleau pointde départ,
c'est Vouverture signifiante de Vêtre avec toute l'ambiguïtéque celle-ci
révèle: pas simplement une expérience en tant qu1ouverture signifiante,
maisencoreaccessibleà l'expérience en généralen tant qu'ouverture de
Vêtre et seulement à partirde là surgissement d'uneexigencemorale.On
peutainsirendrecomptede l'unitéde TotalitéetInfiniet de Autrement
qu'être,mais aussi mesurerle cheminparcouru.Autrement qu'êtrene
contredit pas Totalité et Infini qui définissaitl'éthique comme le langage
mêmeet pouvaitalorsprésenter la cohésionde la transcendance et de la
justicedans la relation avec le visage, mais explicite et élucide les articula-
tionssouterraines de Totalité etInfini.Les ambiguïtés de cetteœuvrene
sont pas démenties, elles sont au contraireexposéesdans Autrement
qu'êtrecommeambiguïtés, commel'Énigmemêmede la transcendance.
Autrement qu'être solliciteun retourà Totalité etInfini,sansque ce retour
soitune Odyssée, car Totalité etInfinine trouvesa véritablelumière que
parAutrement qu'être.Les deuxgrandesœuvresde Levinasse laissentlire
commeun ditet un déditqui,en renvoyant sanscessel'un à l'autresans
pouvoirse rassembler dans le présentd'une synthèse, signifient le Dire
diachronique de la transcendance.
L'accessibilité de la proximité à l'expérience conditionne la possibilité
d'un discourssur la proximité et l'au-delà qui l'anime.Réduire,c'est
tendrela tensiondu logosparlaquellel'êtrese donnecomme« ce qui està
penser» maisse laisse aussi comprendre commeune modalitédu Dire.
C'estexploiter les ressources ultimesdu logospourfaireparlerl'êtreau
nom de l'au-delà.La réductionconsisteen définitive à direl'au-delà,
proposition où l'être se diachronise et fait apparaître l'au-delà de tout
dans
apparaître l'ambiguïté. Le discours ne peut certes prononcer l'au-delà
qu'entermesd'être.L'énoncéde l'autrement qu'êtreditautrechoseque
ce qu'il veut dire,à savoirqu'au-delàde l'êtreestl'autrement qu'être.
Mais par le mêmefait,le Dire se déboîtede son Dit et se diachronise,
la proposition parvientà direplusqu'ellene dit et à signifier au-delàdu
ditoù l'essenceexposedesétants.Dans ceténoncérésonneencorela trace
de l'autrement qu'être,car il exerce(modalitéde l'essence)l'ambiguïté
par laquelle l'au-delà advientdans le dit commeun surplusde senspar
rapportau dit. Trace et non simplement signeparcequ'elle ne désigne
plus un étant,mêmesuprême, mais« signifie » l'ouverture de l'être; et
pourtanttracequi peutêtreprisepourun signe2puisque,par l'amphi-
bologiedu dit,la diachronie de l'au-delàpeutencores'identifier comme
essenced'unétant.« Le fondduDiren'estjamaisproprement dit»3etence
1. Levinas réalise ainsi ce qu'il annonçait dans Langage et Proximité,dans En décou-
vrantl'existence,p. 227, en note.
2. Sur cette ambiguïté de la trace, cf. La Trace de VAutre, dans En découvrant
Vexistence...
3. Autrementqu'être..., p. 73.

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sensn'estpas thématisable, maisil peutêtresignifié, dansle mouvement


de la proposition où paradoxalement il se thématise. L'autrement qu'être
se trahitdansle dit1,c'est-à-dire se montreet se réserve.Loin d'enlever
à la signification du Direl'exhaustivité de sa vérité2, la thématisation la
montre, mais en la montrant la fait surgir sur le mode de la monstration,
de l'essenceet de la vérité.L'emprisede l'êtresurl'au-delàn'estpas une
maîtrise3. L'autrementqu'êtrepasse « au-delàde l'être,pourcédersa
place à l'être»4. Ainsil'êtrerègneet détientle pouvoirde toutexhiber
dansla vérité.Maisdu mêmecoup,il est encorecapablede porteret de
montrer la tracedu « passage» de l'autrement qu'êtreet de trahirson
ouverture. Bien que l'énoncéde l'autrement qu'êtresoitla possibilité la
plus extrême du logos, il en est aussi la possibilité la plus naturelle car il
meten œuvrela diachronie mêmeparlaquellel'êtreaccomplit sonessence
et qui permetà la proposition de diretoujoursplusqu'ellene dit.Le sur-
plusde la signification surla manifestation se laisseencoredéchiffrer dans
la manifestation. L'énoncédiachroniquede la Diachroniedu Dire ne
consistedoncen aucunefaçonà brouiller l'être,commesi la réduction
cherchait à « dissiperune apparencetranscendantale quelconque»5 pour
faireapparaîtreune autrevéritéqui réduirait au silence la prétention
de l'être.
La penséede Levinas ne dénoncepas l'être pour lui substituerun
au-delà.Sa critiqueportesurl'identification de l'êtreavec une totalité
ferméeadéquate à l'énoncé formel et au systèmereprésentatif du Dit.
La justice est un autre nom de l'être,par lequel il révèle sa dimension
fondamentale affleurant dans la connaissance mais que la connaissance
sans cesserefoule.Au lieu de se figeren un réquisitoire contrel'être,la
recherche de Levinasn'est-ellepas plutôtune « psychanalyse » de l'être
indiscretqui exhibetoutet mêmeles symptômes trahissant son ouver-
ture? On conviendra dèslorsde la prudence aveclaquelleon peutencore
parler d'une finitudede l'être.Levinas ne vise pas à étalerunequelconque
finitude de l'êtreafinde poserun au-delàcommeune nouvelleessence
en plus de l'êtreou commeun Etantsubsistantau-delà du monde6.
L'au-delà ne limitepas l'êtreà la manièred'un objet transcendantal
insaisissablequi circonscrirait le domainede l'êtreet du connaissable.

1. Cf. Autrementqu'être..., pp. 7, 23, 62 (note), 84, 85, 88, 100, 173...
2. Cf. J. de Greef, op. cit.yp. 4,58.
:■*.Cf. notamment Autrementqu'être..., p. 148 (note).
4. Enigme et Phénomène,dans ¿n découvrantï existence...,p. ¿13.
5. Autrementqu'être..., p. 57: _ , . ,
6. Cette pensée renvoie ainsi la question de 1 existence ae uieu ^entenau comme
Essence ou Étant suprême) au second plan (Cf. Autrementqu'être..., p. 120) et renou-
velle le problème de la significationde Dieu. Poser Dieu comme un Etant suprême,
c'est encore le mesurer à la totalité. Et cette commune mesure qu'apporterait l'être,
au lieu de permettreune relation entre le monde et Dieu, la rendrait impensable. Car
sur ce plan commun, est-il possible d'expliquer la naissance du finiautrement que par
une défaillance de l'infini? D'autre part, l'infinine rendrait-ilpas la finitudeincompré-
hensible ? Poser Dieu comme étant ou comme essence, c'est immédiatementl'opposer
au monde.

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Levinas : éthique,langage, ontologie

C'estau contraire parceque rienn'échappeà l'être,parceque l'êtreest


totalité,que l'au-delà peut encores'y montrercommepar effraction.
Le règnede Vêtre trahitdéjà Vouverture de Vêtreou sa relation- identité
etdifférence - avecVAu-delà.Oncomprendra ainsicomment c'estle Dire
d'au-delàqui estdit,qui apparaîtlui-même dans le Dit en tant qu'être
maisqui,parle mêmefait,estdéjà différent, s'estdéjà retirédu Dit et n'a
faitqu'y passer.C'est pourquoiaussi le recourssuperficiel au schéma
« kantien», limitant la connaissance pourrenvoyer l'au-delà au domaine
de l'éthique,risquede fausser la penséede Levinasplutôtque de l'éclairer.
Osera-t-on parlerd'uneproximité entrecettepenséeet cellede Heideg-
ger ? Il est certain en tout cas .qu'un dialogueconstantavec celle-ci
alimentela recherche de Autrement qu'être.Une doubledénonciation de
l'oublide la « différence ontologique » nourrit en effet toute cette œuvre.
Levinasrécusel'identification de l'êtreavec une conjonction d'étantsse
montrantdans le Dit, identitésans différence, de mêmequ'il refuse
d'assimiler Vessenceà un Étant suprême,raisondernièrede l'étanten
totalité.Ajoutonsencoreque la finitude de l'être,chez Heideggeraussi
bien que chez Levinas1,n'est nullement corrélative de la positiond'un
in-fini. Le dangerd'uneréapparition de l'onto-théologie miseen causepar
l'un commepar l'autreimpliquaitle délaissement des termes« Endlich-
keit» et « finitude » afinque fûtpossibleune compréhension de la « posi-
tivité» de l'êtreet de l'homme.Le cheminde penséede Levinasse dirige
là où commençait celui de Heidegger, versla différence de l'êtreet de
l'étant.La transcendance, penséeen termesencoremétaphysiques dans
Totalité etInfini,assume,dans Autrement qu'être,la « différence ontolo-
gique» et se Yapproprie précisément (identitéde la différence) en y trou-
la
vant tracede sa Différence. Mais en un autre sens, le chemin de pensée
de Heidegger sembles'arrêter là où commence la recherche de Levinas.
Celui-ci,dépassantHeideggerqui, le plus souvent,désigneDieu comme
l'Étant suprême, penseautrement la différence (différence de l'identité).
Maispeut-on faireiciautrechosequ'uneesquissedece doublemouvement ?
Car s'il n'y a de différence que dans la proximité, n'yil a aussi de
proximité que,dans la différence.
Etienne Féron.

1. Cf.M. Heidegger, Was istMetaphysik ?,in Wegmarken, Klostermann, Frankfurt


a. ¡M., 1967; p. 17 (l'êtrene se révèleque pourle Dasein). Cf. E. Levinas, Autrement
qu'être,p. 168 (finitudede l'essenceparceque l'êtreest « astreintà un autrelui, à un
sujet appelé à recueillirla manifestation »). Mais déjà Totalitéet Infinimontrait, par
la notionde séparation,que la flnituden'est pas corrélativede la transcendance de
l'Infiniet que cettetranscendance ne se laissepas déduirede la séparation(pp. 23-24).
La flnitude n'est pas une privation d'inflnitude ; elle se renverseen une positivité de
l'humain.Ainsiseulement est possibleun Infinipositifqui n'estpas un in-fini et qui ne
nie pas la flnitude pourrégnerà sa façoncommeun Étant suprême.L'Infiniest positif
parcequ'il se « passe » dans la responsabilité humaine(cf. Autrement qu'être...,p. 14).
L' Infinine limitepas l'être,il en constituepositivement l'ouverture.

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