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Annales.

Economies, sociétés,
civilisations

Orthodoxie et hérésie. Le point de vue du théologien


Marie-Dominique Chenu

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Chenu Marie-Dominique. Orthodoxie et hérésie. Le point de vue du théologien. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations.
18ᵉ année, N. 1, 1963. pp. 75-80;

doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1963.420947

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1963_num_18_1_420947

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MISES AU POINT

HÉRÉSIE'
ORTHODOXIE ET

Le point de vue du théologien

Ce n'est pas sans quelque confusion que j'inaugure les séances de


notre Colloque, non certes par timidité devant votre confiance, mais
parce qu'il m'aurait été agréable — et il eût été plus efficace pour une
réflexion théologique — de bénéficier de vos contributions, plutôt que
de les introduire, et de procéder alors à une induction à partir de vos
enquêtes.
Il reste cependant que, accueillant avec plaisir votre invitation à
ouvrir la voie (à la lettre), je puis, non certes déterminer des règles
d'analyse sociologique, ni des critères de vérité, mais, comme historien de la
théologie, proposer, dans la diversité et la mobilité des usages que vous
allez observer, les points de repère que l'analyse sociologico-religieuse
fournit pour l'élaboration des deux catégories contre stées de la croyance :
l'orthodoxie et l'hérésie. Je pressens assez d'ailleurs ce que les uns et les
autres vous allez dire, pour m'établir au niveau sociologique et
phénoménologique auquel vous travaillez, dans l'établissement délicat des
typologies.

L'étymologie même du mot aXoiaic nous fournit une définition


nominale, en laquelle sont enregistrés les faits primitifs, et énoncé déjà le
trait spécifique du très complexe phénomène mental qu'on appelle
hérésie. Certains ne traitent pas sans quelque mépris la définition
nominale ; mais, avec Aristote maître en l'art de définir, je la crois apte à
fournir, en vue de critères ultérieurs, une base valable de départ. C'est
à son niveau modeste que je me tiendrai, à l'entrée d'analyses plus
aiguës, dans l'espoir difficile d'une définition « réelle », où continuera à
jouer, d'ailleurs, jusqu'en sa vitalité ambiguë, la sève de cette etymologie.
Hérésie-c^ psctç, c'est choix. L'esprit, devant un donné qui se
présente comme intrinsèquement homogène, décide de disjoindre cette

1. Conférence prononcée pour l'ouverture du colloque « Hérésies et Sociétés »


(Royaumont, 27-30 mai 1962.)

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unité objective pour éliminer, selon son jugement propre, tel ou tel des
éléments en cause. Dès que les théologiens occidentaux réfléchirent,
aux xne et xine siècles, sur ce qu'était selon eux la foi, dans les
conditions et les valeurs de son assentiment, ils recoururent lucidement à ce
sens étymologique, et en firent le pivot des divers éléments
psychologiques et sociologiques observables dans le phénomène de l'hérésie.
Opération pénétrante, en ce premier âge critique, par laquelle ils
s'attachent à cerner le caractère propre de l'hérésie, alors que, dans le
langage en cours, hérité des écrivains de l'Antiquité chrétienne, officialisé
dans les tribunaux ecclésiastiques, les équivalences continuent à jouer
empiriquement sur des réalités fort disparates : schisme, apostasie,
simonie, secte, judaïsme, sorcellerie, etc.
C'est de ce discernement des théologiens, soumis du reste aux
mobilités des temps, des lieux, des milieux, que nous pouvons faire bon
profit, quitte à ménager en marge (nous pourrons parler de para-hérésies)
le vocabulaire des juristes et des juges, plus attachés, dans les pratiques
inquisitoriales, aux règles coutumières et aux blocages d'un vocabulaire
routinier, qu'aux discernements ou aux abstractions intellectuelles.
Plutôt que d'accumuler des références techniques aux maîtres de ce
temps 1, je citerai l'épisode significatif que rapporte l'historien
Matthieu Paris, racontant les vives discussions que Robert Grosseteste,
pendant les conflits politico-religieux, mena contre l'un des docteurs
du parti adverse. Grosseteste est un témoin qualifié, non seulement
comme chancelier de l'Université d'Oxford, mais comme l'un des
meilleurs connaisseurs de la langue grecque, lecteur assidu et traducteur des
textes anciens. Un jour donc, avec sa violence coutumière, il déclara à
son partenaire, le dominicain Jean de Saint-Gilles : « Je vous tiens pour
des hérétiques manifestes ! » Et il ajouta (je cite Matthieu Paris) : « Qu'est-
ce que l'hérésie ? Donne la définition ! Et, comme l'autre bafouillait,
ne se souvenant plus du concept reçu et de la définition, Grosseteste
reprit, selon l'interprétation exacte du terme grec : Haeresis est sententia
hwnano sensu electa — scriyturae sacrae contraria — palam edocta —

1. Il suffira de citer, parmi les théologiens, saint Thomas d'Aquin, Summa theo-
logica, II. II, qu. 11, art. 1 ; il s'appuie sur un texte de saint Jérôme, explicite à
souhait : « Haeresis graece ab electione dicitur ».
Parmi les canonistes, Raymond de Penafort, s'appuyant sur une définition écour-
tée de saint Augustin, s'en tient à une définition vague (Summa, lib. I, cap. de haere-
ticis, sect. 1, éd. Rome, 1603, p. 38), et il fait entrer le schisme dans la notion
d'hérésie. Henri de Suse (Hostiensis) y inscrit « la désobéissance aux Décrétales du Pape »
(Cf. Baluze, Miscellanea, II, p. 275). Plus tard, les inquisiteurs y introduiront la magie.
Et le pape Martin V, pour combattre les usuriers, y ajoutera l'usure (bulle du 9 déc.
1257). Mais déjà Pierre Damien, au xne siècle, s'efforçait de construire des
distinctions théoriques, à partir des pratiques de réconciliations. Cf. G. Miccoli, La « simo-
niaca haeresis » in Pier Damiano e in Umberto di Selva Candida, in Studi Gregoriani,
V, 1956, p. 77 ss.
Pour l'Antiquité chrétienne, cf. H. Pétré, « Haeresis, schisma et leurs synonymes
latins », in Revue des études latines, XV (1937), pp. 316-325.

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pertinaciter defensa. Haeresis graece, electio latine. Et il poursuivit son


réquisitoire » *.
A s'en tenir à cette etymologie, la notion d'hérésie peut être étendue
au delà des confessions religieuses proprement dites, jusqu'aux
idéologies qui, tout en étant profanes dans leur objet et leur visée, comportent
un engagement total de l'être humain, le don à une cause, avec l'espèce
d'absolutisme qu'implique un destin suprême. Tel l'assentiment profond
et passionné à une conception politique du monde ; et cela à l'intérieur
d'une collectivité strictement unifiée, où l'individu, sous peine de
rupture, trouve les moyens et les fins de son engagement. Adhésion
totalitaire, à la limite d'une sacralisation, vis-à-vis de laquelle une
disjonction, une déviation, un « choix ,; peut être dit, au sens large, mais étymo-
logiquement homogène, une « hérésie », face à « l'orthodoxie ».
Au contraire, en philosophie pure, on ne peut parler, sinon au sens
impropre, d'une « hérésie » cartésienne, hégélienne, etc.

Hérésie, orthodoxie, s'emploieront donc au sens propre dans le


domaine de la religion, plus précisément par rapport à une foi. C'est-à-
dire que ces catégories ont cours et plein sens dans l'assentiment à un
donné — qui comporte la communion avec la Divinité — donné qui, de
soi, est supra-rationnel, mystérieux. Est orthodoxe celui qui donne son
consentement à l'ensemble des vérités reçues, selon une franchise
totalement loyale et confiante dans le dialogue avec Dieu. Est hérétique celui
qui, pour des motifs et selon une contestation que nous allons avoir à
examiner psychologiquement et sociologiquement, disjoint, par son
« choix », tel ou tel élément de ce contenu du mystère. Hérésie, c'est donc

1. Matthieu Paris, Chron. maj., ad annum 1253, « In hoc autem quod tu, frater
Joannes, et alii Pracdicatores, peccata magnátům audacter non redargutis et facinora
non detunicatis, haereticos censeo manifestos. Et addidit episcopus [Robertus Lin-
colnensis] : Quid est haeresis ? Da definitionem. Et cum hesitasset frater J., non
recolens authenticam ipsius rei rationem et definitionem, subjunxit episcopus fidèle
interpretatione greci idiomatis in latinům : Haeresis est sententia humano sensu electa,
scripturae sacrae contraria, palam edocta, pertinaciter defensa. Haeresis grece, electio
latine. Et consequenter subjunxit reprehendens praelatos, maxime romanos... ».
Grosseteste (f 1253) est appelé ici en témoignage du sens alors reçu, «
authentique », comme on disait, du mot et de son sens étymologique, en ce temps de réveil
de la lecture des textes grecs. Historiquement, le terme grec avait fort évolué, dès le
ive siècle ap. J.-C. ; et Aristote, pour désigner choix disait %ooaipsr;iç, ; Aioecnç (haeresis,
secta) était employé pour désigner les diverses tendances ou écoles philosophiques,
telles que les recenseront les doxographes, et non plus « choix » contre une autre
opinion. Grosseteste et ses contemporains réinterpréteront le mot, dans un retour au sens
premier, et sous l'influence du sens chrétien des hérésiologues. Mais c'est précisément
ce sens étymologique qui, chez les théologiens du Moyen Age classique, soutient la
définition nominale et les analyses. Wyclif rapportera un jour et utilisera l'épisode
narré par Grosseteste (De civili dominio, I, 43, éd. Poole, p. 392). Cette évolution a été
opportunément rappelée par M. J. Bollack, au Colloque de Royaumont.

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vérité, mais vérité partielle, qui, comme telle, devient erreur, en tant
qu'elle se prend pour une vérité totale, bientôt exclusive des vérités
primitivement connexes.
Hérésie, orthodoxie, relèvent donc, en creux et en plein, des
structures et du dynamisme de la foi. Or la foi, du moins dans son statut
normal et explicite, comporte deux éléments étroitement cohérents, malgré
une tension assez délicate à équilibrer, pratiquement et théoriquement :
une adhésion intérieure de l'esprit à la Divinité avec laquelle on se trouve
en communication de son mystère, et cela, secondement, dans une
Communauté dont le lien intime est précisément constitué par cette adhésion
de chacun des participants. Donc la foi, strictement personnelle, ne trouve
cependant son assiette, disons déjà sa régulation, que par et dans une
communauté de croyants. Cas eminent de la dialectique de la personne
et de la communauté.
Certes les variantes seront très notables selon les diverses religions,
depuis celle qui « règle » sa foi par un « magistère » institutionnalisé
(catholicisme), jusqu'à celle qui, sans avoir un organe dogmatique de la
foi, commande les croyances des individus par un consensus de la
Communauté (cas de l'Islam).
Quoi qu'il en soit, le conditionnement sociologique n'est pas un
accident secondaire, et plus ou moins extérieur, de la croyance, mais une
exigence interne et structurale de la foi. L'hérésie, qui est une rupture
(par « choix ») dans l'assentiment, implique donc, sociologiquement, une
rupture avec la Communauté, qui, sous une forme ou sous une autre, est le
lieu de l'orthodoxie. Nous n'aurons donc pas à l'analyser comme un
phénomène secondaire surajouté à un fait psychologique personnel, mais comme
constitutif de l'acte personnel lui-même. Et voilà qui donne à notre
Colloque non seulement l'intérêt d'une curiosité érudite, mais un objet
digne d'une recherche propre pour le sociologue.
L'hérétique, c'est-à-dire le croyant qui « choisit », commet donc :
1° une impertinence vis-à-vis du Dieu dont il prétend écouter la Parole,
et 2° un écart, bientôt une rupture, vis-à-vis de la Communauté dont le
consensus est, sinon une règle juridique, du moins la surface portante de
la communication des mystères divins. Le croyant n'a pas de « droit à
l'hérésie ».
Toutes les expériences que vous allez observer, là-même où vous
noterez une connexion de fait avec la société religieuse (para-hérésie),
tous les problèmes que vous allez poser, à commencer par le problème
sociologique, ont là leur nœud. Le théologien est d'avance en éveil et en
appétit devant vos analyses.

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Sans élaborer davantage cette position des problèmes, trois


observations importantes.
Premièrement, l'acte de l'hérétique, se produit à V intérieur de sa foi,
et non par une élimination de la foi, en quoi il deviendrait под plus
hérétique, mais infidèle, « apostat » (ceci dit avec toutes les nuances à
prévoir, comme nous aurons à le constater dans l'usage du mot «
libertin »).
L'hérétique est un croyant fervent, voire passionné,
intellectuellement avant de l'être sociologiquement. La foi a déclanché dans son esprit
— et, au-delà de son intellect même, dans son comportement mental —
une curiosité avide de pénétrer le mystère, d'en avoir, en l'obscurité de
sa transcendance, une intelligence, intellectus fidei. L'intimité de cette
sainte exigence est la grandeur émouvante de l'hérétique, fût-il parfois
affecté d'un certain déséquilibre psychologique.
C'est pourquoi, dans sa Communauté, il est à la fois admiré et redouté,
promoteur et déchireur. Sa révolte traduit souvent un besoin profond
et vrai de l'ensemble des fidèles, dont les meilleurs sont séduits par son
exigence audacieuse au service de l'intelligence de la foi. Ainsi suscite-t-il
une réaction, tantôt angoissée, tantôt rigide, tant des chefs de la
Communauté que de la masse toute simple, et facilement conformiste, des
croyants.
Notez d'ailleurs que cet hérétique n'est pas toujours un «
intellectuel », fût-ce au meilleur sens du mot, mais assez souvent, en certaines
des plus vivantes périodes de la Communauté, le petit peuple fidèle lui-
même, saisi par une commotion, apparemment plus instinctive que
raisonnée ou critique, mais en réalité très perspicace ед qualité, — dès
lors que, surtout en certames religions, la foi collective comme telle est
considérée comme le lieu privilégié de la communication avec la
Divinité. Les pauvres, les petits, les simples, водЬ d'une certaine manière,
les privilégiés de la Révélation. Plusieurs d'entre vous auront à nous
dire, en les situant avec précision, la grandeur spirituelle, mais aussi les
désordres menaçants, des hérésies dites populaires, non moins
importantes, dans l'histoire religieuse de l'humanité, que les « choix »
prétentieux de tel ou tel théologien patenté.

Deuxième trait de l'hérétique, tellement caractéristique qu'il servira


de critère dans la délimitation toujours difficile des frontières de la
rupture avec la vérité révélée : il est pertinax. C'est-à-dire que, devant les
réactions de la Communauté dont il a mis en cause le capital homogène,
il s'obstine, tant par la passion intellectuelle qui le mène, que par
l'attachement sincère et entêté à la tranche de vérité qu'il exalte, au détriment

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des autres vérités du capital commun de son église, alors pour le moins
déséquilibré.
Nous aurons donc à observer non seulement une casuistique —
nécessaire, parfois nauséabonde — pour le discernement de l'hérétique, qui ne
l'est décidément que s'il s'avère pertinace dans sa rupture, dans son
erreur, mais aussi un trait majeur, juridiquement et passionnellement,
dans l'analyse sociologique des troubles, des crises, dans certains cas,
des sectarismes, que l'hérésie introduit dans le tissu même des religions.

Enfin, subtile confirmation de son caractère sociologique, l'hérésie


se présente tantôt comme une novation progressiste, tantôt comme un
retour à la pureté primitive ; bien plus, comme les deux à la fois, ainsi
qu'il apparaît jusque dans la trame des mots renovatio, re-formatio, d'une
si significative ambiguïté, dont la dialectique étonnante est parfaitement
cohérente avec la notion de foi, dès lors qu'elle est tenue par une
Communauté dans l'histoire.

J'ai accompli ma tâche de vous proposer une définition nominale


qui puisse ouvrir la voie. S'il est vrai qu'elle fut le fruit d'un grand âge
critique de la théologie, j'entretiens bel espoir que, sans aboutir peut-être
à une définition « réelle », univoque, elle soutiendra la lucidité et la
complexité de vos analyses. Je vous souhaite bon travail.

M.-D. Chenu.

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