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L’ACCEPTATION RADICALE :

UNE APPROCHE PSYCHOLOGIQUE NON-DUELLE


DU CHAGRIN ET DE LA PERTE

BRIAN THERIAULT
Brian Theriault est titulaire d’une maîtrise en psychologie de l’orientation et il incorpore
l’approche transpersonnelle non-duelle dans sa pratique clinique de conseil à ses
patients. Il a exercé comme thérapeute au sein de divers cadres de soutien, y compris
des centres de toxicomanie et de santé mentale et il anime des groupes non-duels avec
Gary Tzu en Alberta, au Canada. Il est aussi le rédacteur adjoint de Paradoxica : The
Journal of Nondual Psychology (www.paradoxica.ca) et il a publié plusieurs articles qui
démontrent le pouvoir transformateur de la psychologie non-duelle. Il s’inspire du travail
des psychologues non-duels Gary Tzu et A.H. Almaas et des enseignements zen et
mystiques d’Osho et de Lao Tseu.

RÉSUMÉ
Cet article explore l’application de la psychologie non-duelle dans la transformation du
chagrin et de la perte en une expérience de conscience non-duelle. La conscience non-
duelle est l’effondrement des notions dualistes du moi et de l’autre par la réalisation de
l’état sans état du non-moi. L’expérience du chagrin et de la perte sert de catalyseur à
cette expérience radicale, car elle invite l’expérience de la mort et du non-être en faisant
éclater nos notions conventionnelles du moi et nous ouvre au royaume de la Conscience
transpersonnelle et non-duelle. L’obstacle à l’expérience, c’est la peur du non-moi. La
psychologie non-duelle, c’est la facilitation de l’acceptation radicale du non-moi par
laquelle la contraction qui enserre le chagrin se dissout en révélant la dimension
spacieuse et ouverte de notre Etre. L’auteur inclut aussi un morceau choisi de son
propre périple transformateur par le chagrin et l’étude de cas d’une patiente.

Il y avait cet homme de Wei, Tung-men Wu,


Qui ne se lamenta pas quand son fils mourut.
Sa femme lui dit :
‘’Personne au monde n’aimait son fils autant que toi,
Alors pourquoi ne pleures-tu pas maintenant qu’il est mort ?’’
Il répondit :
‘’Je n’avais pas de fils, et n’ayant pas de fils, je n’ai pas de chagrin.
Maintenant qu’il est mort, c’est pareil à avant, quand je n’avais pas de fils.
Alors pourquoi devrais-je le pleurer ?’’

(Osho, 1977, p. 52)

Ceci n’est pas l’histoire d’un père émotionnellement déconnecté, mais d’un homme
vivant une vie éveillée, un homme qui par un acte spontané de grâce a transformé sa
perception d’être une identité distincte et attachée à une vastitude qui défie toute
description. C’est une parabole qui indique la Présence indicible qui existe en notre être,
une Présence éternelle que l’on ressent à tout moment et en toutes circonstances
(Osho, 1977). C’est un état sans état qui inclut et qui dépasse les dualités de l’être et du
non-être, de la maladie et de la santé, et du bonheur et de la tristesse. En réalité, il
s’agit de la Présence immédiate qui existe ici et maintenant avant l’identification au
corps et au mental (Adyashanti, 2000 ; Maharaj, 1999 ; Maharshi, 1985). C’est la
condition d’une vie vécue en harmonie et en totalité avec toute l’existence depuis les
états les plus heureux jusqu’aux plus effroyables et accablés de douleur. Cette
expérience radicale est décrite par les mystiques et les diverses traditions de sagesse
contemplative comme l’éveil, la vacuité, l’Illumination, la Conscience christique, le Soi,
le Tao, notre véritable nature et le non-moi (Adyashanti, 2000 ; Harvey, 1996 ; Hixon,
1989 ; Maharshi, 1985 ; Osho, 2000 ; Smith, 1991 ; Suzuki, 2003).

En tant que thérapeute non-duel, j’ai fait personnellement l’expérience et l’observation


du pouvoir du chagrin et du désespoir et de la manière dont il peut servir d’opportunité
de transformation pour réaliser notre véritable nature. Je commencerai cet article en
décrivant mon propre périple transformateur via la peine, comment il a changé ma vie
et ma manière de conseiller des patients qui ont expérimenté le chagrin et la perte.

UN INVITÉ SURPRISE :
MON PROPRE PÉRIPLE TRANSFORMATEUR VIA LA PEINE
C’était la saint-Valentin et ma femme et moi, nous étions assis dans le bureau du
docteur et nous attendions les résultats d’une IRM réalisée il y a plusieurs mois. Depuis
quelques années, ma femme ressentait des picotements au bras et au visage. Nous
n’étions pas inquiets, puisqu’on nous avait dit que si les résultats étaient
problématiques, on nous recontacterait immédiatement et que nous recevrions un
nouveau rendez-vous le plus rapidement possible. Imaginez dès lors quelle fut notre
surprise, quand le docteur entra et nous fit part de la nouvelle choquante que ma
femme avait un cancer du cerveau (que l’on diagnostiqua ultérieurement comme étant
de nature maligne et inopérable). Nous étions abasourdis. Les larmes coulaient pendant
que nous encaissions la nouvelle. Apparemment, le dossier médical de ma femme avait
été ‘’mal rangé et oublié’’ et c’est ainsi que le docteur n’avait pris connaissance des
résultats que cet après-midi. Après ce qui parut une éternité, ma femme lâcha
malicieusement : ‘’Une drôle d’invitée surprise, ce soir !’’

Pendant des mois, la peine et la douleur envahirent mon être. Notre monde fut
totalement bouleversé. Je trouvai quelque répit en intégrant des aliments plus sains, un
environnement sans substances chimiques et en laissant tomber mes affinités toxiques,
mais la douleur persista. C’était comme un mal profond au centre de ma poitrine. Etant
dans un trip psycho-spirituel depuis plusieurs années, je recourus à des stratégies de
guérison alternative, dont diverses formes de travail de guérison énergétique, des
séances de respiration holotropique le week-end et plusieurs formes de méditation,
mais même si j’expérimentai une certaine guérison par l’entremise de ces pratiques, ce
fut temporaire et la douleur réapparut.

Toutefois, un soir, alors qu’un nouvel épisode de chagrin et de crainte envahissait mon
être, pour une raison inconnue, je me résolus à ne pas m’y opposer. Je m’assis et je lui
permis d’être là dans son entièreté. Je m’immobilisai complètement et je me souviens
m’être dit à moi-même : ‘’Quoi qu’il se passe, je ne m’opposerai pas à toi.’’ Gangaji
(1996) décrit ceci comme une réalisation importante :

Nous avons parcouru ciel et terre pour nous débarrasser de la souffrance. Nous
avons tout acheté pour nous en défaire. Nous avons tout ingéré pour nous en
défaire. Pour finir, après suffisamment de tentatives, la possibilité d’une maturité
spirituelle apparaît enfin avec la volonté de mettre un terme aux tentatives
futiles de vouloir s’en défaire et à la place de faire réellement l’expérience de la
souffrance. En cet instant capital, il y a la réalisation de ce qui se situe au-delà de
la souffrance, de ce qui n’est pas touché par la souffrance. Il y a la réalisation de
qui l’on est vraiment (p. 41).

Et ainsi, soudainement, en cet instant d’immobilisation complète, j’ai senti comme une
boule d’énergie surgir et se dilater au milieu de ma poitrine. On aurait dit que j’étais
comme ouvert de l’intérieur vers l’extérieur. L’expérience n’était pas du tout
traumatisante ; c’était plutôt comme si des courants profonds d’énergie parcouraient
mon corps et c’était incroyablement rafraîchissant. Ma conscience était claire et alerte.
En acceptant sur le moment l’entièreté de mon expérience sans aucun désir
d’évitement, j’ai fait l’expérience d’une diminution de mon sens du moi normal qui a été
remplacé par une vaste dimension spacieuse jamais expérimentée auparavant. J’étais
tout à fait sidéré. J’ai réalisé que l’essence de ma souffrance était entretenue par mon
désir de m’en défaire. Ainsi bizarrement, ma recherche de guérison était une manière
sournoise de perpétuer son existence.1

Ma découverte m’a choqué. En laissant tomber toutes mes stratégies de guérison, de


compréhension, d’évitement ou même de tentative de transcendance par rapport à
l’expérience, la clarté immédiate de qui et de ce que j’étais s’est révélée de plus en plus.
On aurait dit que la tension de la peine et de la douleur se désintégrait dans la
transparence de l’instant. J’ai cessé de juger mon expérience et l’état de ma femme
comme une chose qui ne devrait pas se produire. Un déluge de larmes et des
sentiments de chagrin sincère ont envahi mon être et il est devenu très clair pour moi
que c’était cela, seulement cet instant. J’ai pu voir que tout mouvement pour rejeter
l’instant, quel que fut sa subtilité, ne ferait que me replonger dans l’enfer de ma
souffrance personnelle. Je souffrais en me défendant contre la mort et le non-être à
l’aide de stratégies d’amélioration et de jugements personnels. J’ai reconnu qu’il n’y
avait nulle part où aller et que l’instant présent était tout ce qu’il y avait. L’état de ma
femme reflétait ma propre impermanence et a fait voler en éclats la notion du moi
conventionnelle. Un immense point d’interrogation s’est gravé dans mon être. Je vais à
présent examiner comment des formes typiques d’affliction peuvent être utilisées
comme un rempart contre la mort et l’expérience du non-moi.

LE PROBLÈME DE LA DOULEUR RITUALISÉE


La douleur de perdre un être aimé ou l’affliction qui résulte d’être brusquement
diagnostiqué comme souffrant d’une maladie terminale peut faire chuter une personne
jusque dans les profondeurs les plus profondes d’une peine qui peut donner
l’impression qu’elle durera toujours. La mort d’un être aimé peut susciter la réalisation
de notre propre impermanence et engendrer la menace du non-être (Adi Da, 1983 ;
Chodron, 2001 ; Greenspan, 2003 ; Levine & Levine, 1982 ; Pillay, 1996 ; Thich Nhat
Hanh ; 2002 ; Wilber, 1993).

Il est intéressant de noter qu’Adi Da (1983) a fait l’observation poignante que la peine
et la douleur que nous éprouvons communément en de telles occasions, même si elles
sont tout à fait appropriées, ne visent pas nécessairement pleinement l’immensité sous-
jacente et la terreur du non-être. On réagit simplement à la mort et ainsi, le chagrin et la

O peut co pa e avec l e p ie ce ps cho-spirituelle du Dr John Goldthwait, qui propose une méthode de


1

t aite e t des otio s tout à fait si ilai e da s so liv e i titul Pu ifie to cœu , ue vous pouvez
télécharger gratuitement sur Scribd, NDT.
peine ne deviennent rien de plus qu’une forme d’activité égotique ritualisée qui a très
peu à voir avec la personne aimée récemment décédée et beaucoup plus à voir avec la
propre peur de la mort et de la non-existence de la personne. La mort du moi distinct est
indispensable, quand on fait face à cette difficulté, parce que c’est le moi qui a peur de
perdre le contrôle et d’affronter sa propre extinction, pas la vérité de qui vous êtes.

Il dit :

Pour avoir affaire à la Réalité ultime, on doit se libérer de la ritualisation de


l’existence basée sur l’ego et ne pas se dissocier d’elle par le rituel. Toute la
façade sociale, les attitudes corporelles, les tendances à la réaction
émotionnelle, la dépendance, l’indépendance, tous les jeux de personnages que
l’on joue à longueur de journée, toutes les manières avec lesquelles nous gérons
les événements principaux de la vie sont tous un rituel, une protection, une
expression narcissique, la personnalité crispée sur un moi qui fondamentalement
se consacre à se défendre contre les réalités du processus de la vie et qui se
coupe ainsi plus encore de l’état ultime où se produisent ces changements
(p.316).

Plus spécifiquement, Pillai (1996) a noté de telles répétitions dramatiques dans


l’attachement à des formulations théoriques de la réincarnation et dans la poursuite de
contacts spirituels avec des êtres aimés récemment décédés. Il ne s’agit pas ici de nier
la possibilité tout à fait réelle de ces contacts, tels qu’ils ont été rapportés dans
beaucoup d’études touchant la mort (Moody, 1976 ; Ring, 1982), mais ceci éclaire
comment ce comportement peut être utilisé comme un tampon contre la menace du
non-être.

Arjuna (2005) a également observé que de telles stratégies défensives existaient sous
la forme d’une culture de la compassion où l’on apparaît humble et triste, où l’on fait les
gestes appropriés à l’égard de personnes aimées endeuillées, où l’on présente
machinalement ses sentiments sincères, mais au fond de tout cela demeure la peur de
sa propre non-existence. Ces recherches spirituelles remettent rarement en cause celui
qui redoute la non-existence et sont donc à considérer comme des formes déguisées de
matérialisme spirituel (Trungpa, 1987).

Mais McKenna (2002) pouvait apprécier cette peur, parce que l’expérience de non-soi
est intolérable. ‘’La peur du noyau vide. La peur du trou noir à l’intérieur. La peur du non-
être. La peur du non-soi. La peur du non-soi est la mère de toutes les peurs, celle sur
laquelle toutes les autres se fondent’’ (p.7). Même si c’est un processus délicat,
l’unique remède est de nous débarrasser de nos jugements à l’égard de l’expérience du
non-être. Comme le dit Nixon (2001), il n’y a pas de mode de confort pour cette
expérience. On doit lui faire totalement face, faire confiance et plonger dans le silence
assourdissant de l’abîme et plutôt que de voir cette expérience comme quelque chose
de terrible, on pourra se fondre dans son énergie intense et l’intégrer comme un aspect
énergétique de notre propre Etre. Parce que, comme le dit Adyashanti (2008, p.215),
‘’Nous devons mourir pour vraiment vivre. Nous devons faire l’expérience de la non-
existence absolue pour vraiment exister de manière consciente.’’

Quand nos commentaires âpres sur l’expérience cessent, la position de la division et de


la peur du non-être s’effondre. Krishnamurti (2000) le décrit comme un processus de
‘’conscience sans choix’’ où l’absence de préférence concernant les expériences
humaines révèle la possibilité d’expérimenter notre véritable état. La mort de notre moi
distinctif est remplacée par une immense vacuité. Almaas (1988) décrit cette
expérience :

On s’expérimente comme une grande vacuité silencieuse et obscure. C’est une


pure vacuité, illimitée, infinie et absolument silencieuse. On s’expérimente
comme une vacuité qui n’a pas de caractéristique sinon celle d’être un Témoin
impersonnel totalement silencieux. Il y a une immensité sidérante, un silence
absolu, une impersonnalité totale et une conscience de tout particulièrement
claire, mais aucunement impliquée…Le silence est si absolu qu’il en est
surnaturel. On se ressent absolument comme cette vacuité ultime mais
singulièrement consciente (pp. 426-427).

Plus nous acceptons la non-existence dans nos propres vies et plus la crispation qui
entoure la mort cesse et le potentiel vital qui révèle ses mystères inhérents devient
apparent. La réponse la plus authentique au chagrin et à la perte est celle de l’éveil, de
la spontanéité et de la liberté totale par rapport aux limites du moi distinctif, où la mort
n’est plus vue comme un problème (Thich Nhat Hanh, 2002 ; Tolle, 1997). Nous ne
réagissons plus à la vie, mais nous répondons à partir du vrai état sans états que nous
sommes. Le problème du chagrin n’était réellement qu’un problème du moi distinctif
qui, après enquête, n’a jamais réellement existé (Gangaji, 1996 ; Osho, 2000). Nous
allons maintenant tourner notre attention vers l’école de la psychologie
transpersonnelle qui rend compte de telles expériences extraordinaires et qui identifie
le chagrin comme un catalyseur de telles expériences.

LE CHAGRIN, PORTE DU TRANSPERSONNEL


Beaucoup de psychologues, comme beaucoup de thérapeutes reconnaissent que le
chagrin et la perte sont des opportunités extraordinaires d’expérimenter de nouveaux
domaines de la conscience humaine qui s’étend au-delà de l’identité égoïque normale
(Halifax, 2009 ; Greenspan, 2003 ; Grof, 1985 ; Levine, 2005 ; Singh, 1998 ; Wilber,
1993). Ainsi, Greenspan (2003, p.95) décrit le chagrin comme une émotion
tempétueuse qui demande que nous quittions le ‘’normal’’ - de nous figer comme une
flaque d’eau gelée en hiver et dans cette immobilité d’agir comme une porte potentielle
qui ouvre sur les niveaux transpersonnels de la conscience.

La psychologie transpersonnelle décrit la conscience humaine comme étant de nature


évolutive. Elle va au-delà de l’identification exclusive au corps et au mental et inclut les
niveaux du transpersonnel, le niveau de l’Esprit où toutes les formes et tous les aspects
sans formes de l’existence s’élèvent et retombent (Almaas, 1996 ; Assagiolli, 1971 ;
Boorstein, 1996 ; Bucke, 1973 ; Cortright, 1997 ; Grof, 1985 ; Maslow, 1968 ; Rowan,
2005 ; Welwood, 2002 ; Wilber, 1986, 1996). Wilber (1986, 1996) a développé un
modèle de la croissance et du développement humain qui couvre tout le spectre avec
l’intégration des écoles de psychologie occidentales et des traditions sapientielles
contemplatives. Le modèle définit dix niveaux de développement personnel principaux
via trois stades distincts : le pré-personnel, le personnel et le transpersonnel. Chaque
stade comporte trois niveaux de conscience et le dixième n’est pas du tout un niveau,
mais la Conscience non-duelle en tant que telle ou le substrat de l’Etre à partir duquel
tous les autres niveaux s’élèvent et retombent.
Wilber (1986, 1996) a constaté que la psychologie occidentale se focalisait
exclusivement sur les niveaux pré-personnel et personnel du développement humain en
concluant que la réalisation de l’ego était le summum du développement de la
conscience humaine, ce qui n’est pas exact. Il décrit trois niveaux de développement de
la conscience distincts qui transcendent l’ego mature : les niveaux psychique, subtil et
causal dont voici une brève description :

Le niveau psychique est le septième niveau de la conscience. Il est caractérisé par


l’ouverture du ‘’troisième œil’’ : les capacités cognitives et perceptuelles d’une personne
deviennent plus fluides et plus étendues de sorte qu’elles commencent à dépasser et à
transcender la notion étroite d’un moi. Cela peut se faire par le biais d’une recherche où
la conscience commence à se tourner vers elle-même et à remettre en question le
questionneur. Alors, la citadelle du mental commence à s’effondrer en laissant la place
aux aspects sans forme de la conscience. On commence à voir à travers le sentiment
cristallisé de l’individualité. Ainsi, en plongeant dans les profondeurs d’un cœur brisé,
après la perte de son épouse bien-aimée, Shamala, à la suite d’une maladie auto-
immune, il est devenu clair pour Kriben Pillay (1996) qu’à la place de faire le jeu du
mental qui voulait désespérément rétablir son monde familier, de plutôt se concentrer
sur le dilemme de la mort elle-même et il entreprit d’investiguer la réalité d’un moi
séparé :

Il y avait certes la mort d’une personne connue sous le nom de Shamala, mais y
avait-il réellement une telle personne permanente ? La vérité criante, c’est que
nous construisons la personne dans notre mental à partir des matériaux bruts
des impressions qui sont fournies par le corps-mental de la personne et qui sont
toujours changeantes et lorsque ce corps-mental n’est plus, nous pleurons
réellement la perte de notre propre création personnelle.

Ici la conscience commence à se désidentifier du contenu habituel du mental et à


contacter la dimension ouverte de l’Etre qui précède l’apparition des pensées. La fusion
avec l’expérience du non-moi commence à avoir lieu.

Le niveau subtil, le huitième du spectre entier, est la demeure des formes et symboles
archétypiques, des sons subtils et des illuminations audibles, de la perception
transcendante et de l’absorption (Wilber, 1986). Le niveau subtil ressemble au
samboghakaya des pratiques méditatives bouddhistes qui décrit des lumières et
couleurs dansantes intenses que l’on comprend par une intuition profonde et par
l’expérience (Evans-Wentz, 1971). C’est la source de la compréhension personnelle de
la forme de l’énergie de la déité, la vision de quelque chose qui dépasse de loin le
mental rationnel et limité. Fox (1988, p. 64) illustre ceci par l’image du ‘’Christ
cosmique’’. ‘’C’est la naissance extérieure de l’image de Dieu de l’intérieur’’. Par
exemple, une forme archétypale de prière se manifesta pendant l’expérience déchirante
de Greenspan (2003) de la mort de son bébé. Elle dit :

Mort, il était mien dans toute sa nudité et complètement parti simultanément. Le


temps s’arrêta et le monde devint silencieux et je fus comme attirée dans un
tourbillon et le moi tel que je le connaissais fut irréversiblement anéanti. Ce qui
se produisit alors, c’est qu’une énergie plus grande que ce que mon corps pouvait
contenir perça dans une avalanche d’étranges syllabes insaisissables…Ce qui me
parvint, alors que je serrais mon bébé mort, c’est un genre de langage émanant
d’une source plus profonde que la personnalité. Quoiqu’entièrement
indéchiffrables, ces sons étranges étaient une sorte de prière (pp. 90-91).

Le niveau subtil cède la place au niveau causal qui est la transcendance des formes
archétypiques de l’expérience et l’identification au substrat transcendant de tous les
niveaux inférieurs et structures du développement. Il abrite le pur Témoin subjectif,
l’étendue illimitée de la pure Conscience sans forme, un Etat qui précède tous les
phénomènes qui apparaissent, quelle que soit la matérialité ou la transcendance de
l’expérience. Il est antérieur au temps, à l’espace et à tous les objets de la conscience.
C’est Cela qui est toujours éveillé et conscient pendant le sommeil profond, le rêve et
l’état de veille de la conscience (Wilber, 1986 ; 1996).

Nous pouvons voir ceci illustré dans l’expérience de Bedard (1999) après que ses
médecins lui aient dit qu’il se mourrait d’une leucémie et qu’il ne lui restait plus que
quelques heures à vivre. Il dit :

Ce jour-là, j’entrai dans un état entre la vie et la mort, tandis que mon esprit était
attiré de plus en plus loin du corps et je pris graduellement conscience d’une
étendue lumineuse illimitée, d’un clair de lune infini apaisant et réconfortant. Il
n’y avait plus le sentiment d’un moi ni d’avoir un corps. J’avais disparu dans
l’espace sans limite et sans naissance. Pour ce qui m’a paru une éternité, j’ai
reposé dans un lieu que je n’avais jamais réellement quitté (pp. 112-113).

Par l’entremise d’une désidentification totale avec toutes les formes de l’existence, on
peut résider dans cet état extraordinaire. Le chagrin et la perte nous invitent à explorer
notre propre peur, notre propre terreur du non-être et à nous ouvrir aux domaines
inconnus de notre propre conscience. L’orientation transpersonnelle du développement
humain aide les thérapeutes à traiter et à guider les patients dans ces expériences
extraordinaires. Considérons maintenant le summum de la conscience humaine, la
Conscience non-duelle et la condition vivante avec l’expérience de la perte et du chagrin.

L’ACCEPTATION RADICALE ET EMBRASSER L’ÊTRE NON-DUEL


Bien que l’on dise que le niveau causal embrasse tous les autres niveaux de conscience,
il est encore intrinsèquement dualiste, car il existe toujours une division subtile entre le
Témoin et ce qu’il observe. Le Témoin Lui-même ne s’est pas fondu dans la vacuité
sous-jacente ou le substrat de l’Etre. La notion dualiste du connaissant et du connu ne
s’est pas encore tout à fait dissoute. C’est un acte de grâce profonde. Une fois que le
Témoin se lâche, la Conscience non-duelle se révèle. La Conscience non-duelle n’est pas
un niveau distinct dans tout le spectre, mais un englobement de tous les niveaux
inférieurs où toutes les expressions et manifestations de la Conscience sont vues
comme le reflet parfait d’une Conscience claire et éveillée (Wilber, 1986 ; 1996).

En passant complètement par l’état de cessation ou d’absorption causale non


manifestée, on dit que la conscience se réveille enfin à sa demeure antérieure et
éternelle d’Esprit non-duel radieux et omniprésent, une et multiple, seule et totalité –
l’intégration et la complète identité de la forme manifestée et du sans-forme non
manifesté…A strictement parler, l’absolu n’est pas un niveau parmi d’autres, mais la
réalité, l’état ou l’ainséité de tous les niveaux (p. 74).
C’est la vision spontanée où tous les aspects de l’existence sont les reflets de la vraie
nature de la Conscience unitaire. Les notions de ‘’vous’’, de ‘’moi’’ et de mort
apparaissent et disparaissent ensemble dans le substrat de l’Etre. C’est ce que le
Bouddha a réalisé en méditant et en observant la dernière étoile qui disparaissait à
l’aube. Il comprit alors que la forme n’était rien d’autre que la vacuité et la vacuité rien
d’autre que la forme (Osho, 1978). C’est la réalisation de l’interconnexion non-duelle de
toute l’existence. La vacuité porte en elle la graine du potentiel de la manifestation. Le
sujet et l’objet, le voyant et le vu ont fusionné et disparu pour révéler la réalité non-
duelle de la vie, l’ainséité et la totalité de chaque instant (Balsekar, 1992). Le voile de la
séparation est percé et ainsi une personne peut participer à tous les aspects et niveaux
de l’existence tout en demeurant dans l’Etre non-duel.

Ram Dass et Gorman (1985) fournissent un bon exemple d’adhésion à cet état sans
état du non-moi avec l’histoire du maître bouddhiste tibétain, Marpa. Tandis qu’il était
seul avec son chagrin et son désespoir d’avoir perdu son fils aîné, il fut approché par
l’un de ses disciples. Celui-ci était tout à fait confus, car les enseignements affirment
que tout est une illusion basée sur le désir et le rejet et voilà que son maitre était abattu
par le chagrin ! Il questionna alors Marpa : ‘’Vous êtes en train de pleurer ! Si tout ceci
n’est qu’une illusion, pourquoi alors êtes-vous donc en train de pleurer comme une
madeleine ?’’ Et Marpa répondit : ‘’Oui, tout ce qu’il y a ici est bien illusoire. Et la mort
d’un enfant est la plus grande de ces illusions’’ (p. 85). C’est la vision adamantine sertie
au cœur de la sagesse non-duelle. Il y a souffrance, mais nul moi indépendant qui
l’éprouve. Foster (2009) évoque ainsi cette réalisation paradoxale :

Même la souffrance pointe vers l’absence d’une personne solide distincte. Et ceci
peut être très difficile à entendre, croyez-moi. La douleur est là, mais sans
personne qui la subit. C’est cela le rêve, c’est cela la souffrance : qu’il y a
quelqu’un ici. Non, il n’y a qu’une douleur, une sensation qui se manifeste, mais
personne à qui tout ceci advient (p.34).

Si on comprend radicalement ce paradoxe, le mental perd son emprise en tant


qu’autorité absolue. C’est la mort du moi distinctif. La vie se vit alors d’une manière très
ordinaire et naturelle en dehors de toute division. Si nous faisons une expérience par
l’entremise de la division ou de l’identification avec le mental, nous perdons le contact
avec la présence de la Conscience non-duelle et nous souffrons misérablement. La
peine se décharge, si elle est radicalement acceptée dans l’instant. Si nous nous
autorisons à être avec l’expérience, à être avec notre peine, telle qu’elle est, la
Conscience non-duelle se révèle (Pillay, 1996). Le chapitre suivant se tourne vers la
psychologie non-duelle pour faciliter une telle expérience.

LA PSYCHOTHÉRAPIE NON-DUELLE
L’histoire bouddhiste de la mère endeuillée qui se tourna vers le Bouddha pour être
aidée indique les origines de la psychothérapie non-duelle. L’histoire raconte que Kisa
Gotami qui venait tout juste de perdre son fils et qui ne pouvait pas supporter un tel
chagrin cherchait frénétiquement un remède dans sa communauté pour qu’il revive. On
lui signala alors de se mettre en quête du Bouddha qui détenait la réponse à son
problème. C’est débordante d’espoir que Gotami rencontra le Bouddha qui la réconforta
et qui lui donna comme instruction de trouver un foyer qui n’avait encore jamais connu
la mort et d’y recueillir quelques grains de moutarde. Avec une ardeur fébrile qu’elle
n’avait encore jamais connue auparavant, elle passa au peigne fin tout son voisinage
pour recueillir les grains de moutarde, mais ne put trouver aucun foyer que la mort
n’avait pas encore visité. Et puis soudain, à cet instant, son immense frustration céda la
place à une intuition explosive qui lui révéla le caractère impermanent de l’existence du
moi. Ce que nous pensons être est temporaire, mais la vérité de notre Etre, elle, est
éternelle. Le passage d’un moi piégé à la Conscience non-duelle s’était opéré. Elle était
sidérée. Elle plongea dans les profondeurs de son Etre et elle goûta la nature sans
forme de son Etre pour la première fois (Kramer, 1988).

Aujourd’hui, il existe une grande communauté de psychothérapeutes qui commencent à


intégrer les traditions sapientielles contemplatives non-duelles dans leurs pratiques
thérapeutiques. La psychologie non-duelle souligne qu’au cœur de tous les êtres
sensibles, il y a une incitation à réaliser et à s’éveiller à leur vraie nature primordiale de
Conscience non-duelle, que l’on en soit conscient ou non (Almaas, 1996 ; Blackstone,
2006 ; Epstein, 1995 ; Nixon, 2010 ; Prendergast et al, 2003 ; Prendergast & Bradford,
2007a ; Theriault, 2010 ; Wolinsky, 1993). Tandis que l’on pensait initialement que ce
summum de la réalisation n’était accessible qu’à ceux qui avaient entrepris une quête
spirituelle au développement hiérarchisé, comme on le voit dans certaines formes de
psychologie transpersonnelle, la psychologie non-duelle reconnaît qu’un éveil peut
survenir à n’importe quel moment, indépendamment du développement psychologique
ou de la composition de la personnalité d’un individu. La réalisation du Soi ne
s’accomplit pas à strictement parler au cours d’un déroulement linéaire du
développement, mais plutôt dans l’immédiateté de l’instant (Nixon, 2010 ; Prendergast
& Bradford, 2007b). Ceci est facilement observable dans les nombreux rapports de
personnes qui ont vécu un éveil spontané en vivant une vie normale (Carse, 2006 ;
Foster, 2009 ; Renz, 2005 ; Segal, 1996).

La différence fondamentale entre les écoles de psychothérapie conventionnelles et la


psychologie non-duelle repose sur l’existence d’un moi distinctif. Les écoles
conventionnelles ont présumé de la réalité d’un moi solide et indépendant distinctif,
alors que la psychologie non-duelle a totalement remis en cause cette hypothèse et
ressuscité la bonne vieille question ‘’Qui ou que suis-je ?’’ (Almaas, 1988). Les formes
traditionnelles de psychothérapie adoptent une perspective suivant laquelle les patients
doivent être diagnostiqués et rafistolés pour s’épanouir dans des vies saines et
comblées, alors que la psychologie non-duelle souligne l’état de santé et d’éveil
préalable de la Conscience non-duelle dans l’ici et maintenant (Fenner, 2003).

Quand nous reposons dans l’esprit inconditionné, il est impossible de se


tracasser concernant des craintes. Nous n’avons pas besoin de trouver une
guérison miraculeuse pour une maladie et nous sommes satisfaits, où que nous
soyons…Nous sommes libres de la nécessité d’être malade ou en bonne santé. Il
se peut que nous ayons encore un corps malade ou que nous fassions
l’expérience d’émotions confondantes dans nos vies, mais nous ne luttons plus
contre notre état (p. 31).

La principale tâche de la thérapie non-duelle est de faciliter ‘’l’apparition d’une


expérience de l’esprit inconditionné pour le thérapeute et le patient et la culture
prolongée de cette expérience’’ (p. 28). Même si quelqu’un peut présenter en thérapie
une souffrance émotionnelle très réelle et des conflits internes, si ses pensées, ses
sentiments, ses sensations et ses conflits internes sont vus à partir de l’état sans état
du non-moi, on a une conscience multidimensionnelle et on est libre de la fixation
suivant laquelle la vie dans l’instant devrait être ainsi ou pas ainsi (Wolinsky, 1993). On
est dilaté à tous les niveaux de l’existence, et ceci est dépeint par ce que les mystiques
ont appelé ‘’le lotus aux mille pétales’’, l’épanouissement complet de l’éveil dans les
aspects personnel et impersonnel de la conscience. Ici, le thérapeute demeure dans le
paradoxe : la réalisation qu’il n’y a aucun moi distinctif cristallisé et néanmoins, qu’il
semble y en avoir un, simultanément. L’évolution se fait en renonçant à la fixation
exclusive de cette apparence en reposant dans la Conscience non-duelle. C’est la
fixation du client et la croyance en la réalité de son moi distinctif apparent qui génèrent
des misères et des souffrances interminables (Osho, 1983).

Ceci est reflété et facilité, si le thérapeute est lui-même ancré dans la Conscience non-
duelle. Les rôles du thérapeute et du patient deviennent transparents, ce qui permet à
la possibilité d’une résonance non-duelle de survenir dans le processus thérapeutique.
La limite entre le patient et le thérapeute disparaît en apportant un calme et un silence
où une rencontre spontanée peut survenir (Blackstone, 2006). Dans cette possibilité de
résonance intersubjective, on peut employer des techniques thérapeutiques et
considérer des théories évolutives, mais celles-ci ne seront vues que comme de simples
indicateurs vers la réalisation non-duelle. Une fixation sur une technique, un rôle ou une
thérapie particulière (même la thérapie non-duelle) limite l’accès à la nature déjà libre
de la Conscience non-duelle (Prendergast, 2003).

Le thérapeute non-duel agit diversement à partir d’un amour impersonnel. Il s’agit d’un
amour impersonnel et de l’acceptation de toutes choses. Ses réponses sont fraîches,
claires et d’une nature spontanée. Il n’y a même pas d’attente ou d’espoir qu’un patient
réalise son véritable état, car cela poserait une exigence sur l’instant et limiterait
l’ouverture de la conscience. Cela ressemble à ce que les taoïstes appellent le non-agir
où l’on répond à la nécessité du moment sans perdre de vue l’état déjà éveillé du non-
moi (Wei Wu Wei, 2004). Almaas (1996, pp. 343-344) le décrit comme ‘’une qualité
d’amour infini et doux, une délicate lumière que l’on ressent comme la présence d’une
douceur, d’une gentillesse et d’une générosité. Il ne s’agit pas exactement d’un genre
d’amour personnel. C’est un amour pour tout et pour tous – un amour universel.’’ Le
thérapeute non-duel se situe dans la clarté de l’absence d’ego. Le prochain chapitre
concernera l’étude du cas d’une patiente qui décrit une approche non-duelle du chagrin
et de la perte.

ÉTUDE DU CAS D’UNE PATIENTE


Laura (pseudonyme), une professeur de yoga réputée d’une quarantaine d’années, avait
récemment participé à plusieurs séances de thérapie de groupe avec moi qui
exploraient des questions post-addictives relatives à la toxicomanie. Même s’il elle
s’était sortie du gouffre de la toxicomanie il y a sept ans et s’il elle avait adopté un
mode de vie plus sain, elle sentait qu’il était maintenant temps de guérir la blessure de
la peine provoquée par le décès de sa mère. Elle rapporta qu’elle trouvait difficile d’être
ouvertement vulnérable avec ses amis et avec sa famille et qu’elle expérimentait
plusieurs fois par mois des pensées intrusives qui avaient un rapport avec la décès de
sa mère et que suite à cela, elle se sentait vidée de son énergie. Après s’être sentie
‘’branchée’’ par l’approche spirituelle de la guérison et du rétablissement durant les
séances de thérapie de groupe, elle sollicita une séance individuelle de conseil avec moi
afin d’explorer davantage cette question.
Il devint manifeste pour moi que Laura était fort proche de sa mère et que sa mort était
pour elle une perte énorme. Sa mère avait perdu son combat contre le cancer, alors que
Laura se trouvait dans sa deuxième année de cure de désintoxication et en dépit de la
quantité de stress que Laura avait enduré à l’époque, elle partagea fièrement qu’elle
était parvenue à s’abstenir de reprendre de la drogue. Laura poursuivit et décrivit
combien il avait été très curatif pour elle de rester au chevet de sa mère pendant les
derniers instants de sa vie, mais par la suite, elle éprouva un sentiment partagé et
déclara : ‘’Ce n’était pas le bon moment pour elle…’’, ‘’je sais que nous retournons tous
à la Source, mais elle avait encore tant à donner.’’

Je laissai ces paroles résonner dans le silence pendant quelques instants en sentant
que son jugement ‘’ce n’était pas le bon moment pour elle…’’ était une manière par
laquelle elle se contractait et elle se défendait contre la mort et la terreur du non-être.
Je subodorai qu’une partie importante de son être était énergétiquement bloquée dans
le passé du là-bas et alors plutôt que centrée dans le ici et maintenant. Tolle (1999) a
parlé du corps de douleur où une accumulation de demandes par rapport à certaines
expériences se fait avec le temps et se cristallise dans l’être en gênant la capacité à
s’ouvrir d’être totalement disponible dans l’instant. C’était comme si la mort de sa mère
était devenue pour elle un moment congelé dans le temps.

Je voulais souligner à Laura combien elle se contractait en se racontant comment les


choses auraient dû tourner différemment pour sa mère. Je lui demandai de se répéter
doucement plusieurs fois à elle-même ses paroles ‘’ce n’était pas le bon moment pour
elle…’’, ‘’elle avait encore tellement à donner’’ et de voir comment son corps et son
esprit réagissaient. Elle y consentit et déclara ressentir une contraction et un poids dans
tout son corps et l’incapacité de bouger. Les larmes aux yeux, elle décrivit alors une
image nette d’elle-même dans un cimetière où elle était entourée de pierres tombales.
Je lui demandai de décrire plus en détail ce qu’elle imaginait : ‘’Je me vois en train de
circuler dans le cimetière, mais je n’arrive pas à en trouver la sortie et je me sens prise
au piège…’’ Je sentis que cet instant recelait la possibilité d’une transformation. Je dis à
Laura : ‘’Plutôt que de chercher une sortie, que se passerait-il si vous acceptiez votre
situation telle qu’elle est, qu’en réalité, il n’y a pas de sortie ?’’ Ce n’est qu’une fois que
le mental est épuisé et qu’il a renoncé à tenter d’imaginer, à tenter de se sauver, à
tenter d’éluder sa propre extinction que la possibilité d’une détente dans l’Etre non-duel
survient.

Je la vis se débattre avec cette invitation. ‘’Je ne suis pas sûre de ce que vous entendez
par là’’, répondit-elle. ‘’En vous voyant dans le cimetière, pouvez-vous vous dépouiller du
désir de vous sauver là ? Que se passe-t-il si vous permettez à la réalisation qu’il n’y a
pas de sortir d’advenir ?’’ Au bout de quelques minutes, elle fut choquée de découvrir
que les images du cimetière se volatilisèrent brusquement et révélèrent ‘’une vacuité,
un espace vide’’. Sidérée, elle partagea que ‘’tout s’est simplement vidé. Je peux encore
voir, mais pas en tant que ‘’moi’’, si cela est compréhensible.’’ Elle décrivit cela comme
étant simultanément effrayant et exaltant. Je l’encourageai à coopérer avec le
processus et à se dissoudre dans l’énergie intense de la vacuité sans lui résister
nullement. Sachant que l’énergie du non-être est toujours avec ‘’nous’’, à chaque
instant, je me demandais si elle pourrait l’accepter ici et maintenant et renoncer à toute
tentative de se sauver ‘’elle-même’’. ‘’J’éprouve beaucoup de crainte à l’intérieur de
mon cœur’’, dit-elle alors avec inquiétude. ‘’Permettez à la peur d’avoir sa place, puis
remettez-vous en simplement à cela’’, lui suggérai-je. Je suspectais que Laura percevait
l’expérience de la vacuité comme étant négative et à éviter. La peur de sa propre non-
existence était manifeste. En observant le processus de son expérience, je la vis
submergée par le calme, tandis qu’elle se détendait de plus en plus au sein de
l’expérience. Puis, avec des larmes qui perlaient sur son visage, elle partagea avoir
constaté l’absence de peur et s’être comme sentie tenue par ce qu’elle appela ‘’une
Mère éternelle dénuée d’image’’.

A certains égards, l’expérience de Laura me rappela l’histoire du moine zen qui, au


moment de sa mort, en dépit du fait qu’il avait mené une vie pure, morale et ascétique
était toujours ballotté par son mental infernal. Réalisant que son sort était scellé et qu’il
n’y avait plus rien qu’il puisse y faire, il s’assit simplement en acceptant totalement sa
situation et miraculeusement, de par son acceptation profonde, la vérité de son Etre lui
fut spontanément révélée.

J’étais curieux concernant la profondeur de l’expérience de Laura et je voulais m’assurer


qu’il n’y avait pas de demandes résiduelles par rapport à l’épisode de la mort de sa
mère. J’invitai Laura à fermer les yeux et à se souvenir des derniers moments qu’elle
avait passés en compagnie de sa mère mourante et à repasser doucement l’épisode
dans son esprit pour voir s’il restait des demandes par rapport à cette expérience et au
bout de quelques instants, elle dit : ‘’Je vois tout ceci qui se passe et je sens beaucoup
d’énergie dans mon corps, mais je me sens bien. J’éprouve un peu de tristesse, mais ça
va. Je ressens aussi beaucoup de picotements dans les bras et les jambes, mais je
ressens cela comme une libération.’’ Au bout de quelques minutes, elle ajouta : ‘’Je me
sens comme un lac tranquille et très paisible.’’ Nous passâmes le restant de la séance
assis dans la tranquillité absolue de cet instant en permettant à l’énergie de la vie et de
la mort de passer à travers nous en pleine conscience.

Il y a quelques remarques importantes à faire ici. Premièrement, je subodorai que la


combinaison du travail antérieur de Laura avec moi et de son engagement dans le yoga
avait contribué à son expérience transcendante. Il est aussi important de remarquer que
quelques semaines après notre séance, Laura et moi, nous nous sommes de nouveau
revus pour deux séances supplémentaires, puisqu’elle s’inquiétait d’avoir perdu la
tranquillité et la sérénité ressenties au cours de notre travail antérieur. C’est une
expérience courante, après avoir vécu une expérience transcendante initiale dans le
non-être et dans la communauté non-duelle, on parlera ‘’d’expérience intermittente’’
(Adyashanti, 2008).

Simplement parce que nous avons connu une expérience d’éveil ne signifie pas
que la conscience a dépassé la force gravitationnelle de l’état de rêve. Si nous
n’avons pas tout à fait dépassé ce champ de gravitation, nous serons de nouveau
ramenés à l’expérience du ‘’moi’’ et à la perception de la séparation (p.30).

Le mental peut s’emparer de cette expérience d’éveil et revendiquer un faux sentiment


de propriété par l’entremise duquel il cherchera à la reproduire, encore et encore – en
manquant la Présence ineffable qui existe ici et maintenant. Cette incompréhension
génère une quête spirituelle où l’on croit que l’éveil se situe dans un quelconque futur
plutôt que dans l’immédiateté du présent (Liquorman, 2009). Je fis remarquer à Laura
que le mental tenterait de se préserver par de telles stratégies et que la profondeur et la
clarté de l’éveil n’étaient pas une mise en conformité unique, mais plutôt d’instant en
instant. Le plus important est d’être éveillé à tout moment.
Il y a aussi la question de la fixation sur la position absolue du non-moi et de la
négligence du monde relatif de la vie conventionnelle. Dans la tradition du zen, on y fait
référence comme à la ‘’maladie du zen’’ via laquelle on utilise le langage de la non-
dualité comme moyen pour court-circuiter une douleur très réelle (Kapleau, 1980). Il est
possible d’utiliser la vérité du non-moi comme une forme grave de déni contre la peine.
Dans une veine similaire, ‘’pousser’’ l’éveil sur un patient qui expérimente la peine n’est
pas seulement dualiste, mais ouvre la voie à la confusion et pourrait ‘’retraumatiser’’ le
patient. Il est à noter que beaucoup de personnes ne sont pas prêtes pour l’éveil, ni
même à considérer la possibilité d’un éveil à leur propre nature. La psychologie non-
duelle n’est pas pour tout le monde (Adyashanti, 2008 ; Lumiere, 2003).

Comme la plupart des personnes qui ont connu un aperçu de l’éveil, il m’a semblé que
Laura devrait réaliser à nouveau la clarté de l’éveil de son Etre ici et maintenant à
maintes reprises avant que l’éveil total et définitif à la Conscience non-duelle ne
s’opère2, mais après une telle expérience transcendante, je suis d’avis qu’elle ne peut
pas l’ignorer et qu’après avoir goûté à la profondeur de son Etre, il n’est pas question de
rebrousser chemin.

CONCLUSION
L’aube de l’éveil fracasse l’illusion de la séparation et révèle la vaste nature vide de
notre Etre authentique. L’éveil, c’est le don de la liberté, c’est être délivré du mental de
singe. La psychologie non-duelle facilite une telle reconnaissance et ouvre des
perspectives aux patients pour qu’ils quittent le malheur de la séparation et pour qu’ils
s’éveillent. Une telle opportunité se situe toujours dans l’instant présent. Même dans
nos moments les plus sombres, notre Etre authentique demeure parfaitement limpide
et transparent et dégagé du drame de la vie. Le chagrin et la perte sont vus comme une
autre opportunité de transformation et reconnaître ce qui est déjà ici sous le carcan de
la séparation. Puisque l’instant suivant n’est jamais une garantie, tout ce que nous
avons réellement, c’est l’instant présent et là peut-être, nous pouvons sauter dans
l’inconnu et plonger dans les profondeurs de l’abîme du non-moi, nous réveiller à notre
état primordial et nous gausser de nos tentatives désespérées pour défendre et pour
sauver ce qui n’a jamais réellement existé...

C est u th e ue Ka lf ied G af Dü ckhei d veloppe da s so e celle t liv e P ati ue de la voie


2

i t ieu e , NDT
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