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Dariush Tala’i
Setâr
Le Radif
Le Radif est un «corpus» musical considéré par les Iraniens comme un héritage dont le
but est de préserver et transmettre les éléments significatifs de leur culture musicale: ils
y retrouvent une esthétique et une émotion communes. C’est l’une des plus importantes
expressions de la culture iranienne avec la poésie persane, l’art des miniatures, les tapis,
les mosaïques, etc... C’est une musique recueillie et intime dotée d’une ornementation
riche et raffinée.
Les plus anciens Radif-s connus nous viennent de deux maîtres Mirzâ Abdollâh, maître
du setâr (1843-1918) et Aqâ Hosein Qoli, maître du târ (mort en 1913). Ces deux frères
passèrent leur vie entière à enseigner le Radif avec une incroyable rigueur et une très forte
conviction et formèrent les meilleurs musiciens de la génération suivante. Leurs élèves
devaient mémoriser le répertoire entier, pour cela il était important que le Radif soit à
la fois complet et bref. De plus, les musiciens jouaient les mélodies dans des versions
différentes, les maîtres choisirent parmi plusieurs versions d’une même mélodie leur
version préférée pour créer leur propre Radif. Le Radif présenté sur ces enregistrements est
celui de Mirzâ Abdollâh créé à l’origine pour le setâr mais qui est aujourd’hui le Radif de
référence pour tous les instruments.
Pour comprendre le concept du Radif, il faut tout d’abord savoir que le Radif et le système
modal ne sont pas une seule et même chose. Les caractéristiques des mélodies (appelées
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gusheh-s) sont aussi importantes que leur rapport entre elles. L’emplacement de chaque
mélodie est déterminé par ses caractéristiques modales. Dans l’interprétation de la musique
persane on trouve des structures multi-modales où dans chaque système (dastgâh ou âvâz)
un certain nombre de gusheh-s viennent exposer les différentes parties du système. Il sera
question plus loin de la distinction qui existe entre les mélodies du Radif et le système
modal.
Ce n’est qu’à partir du début de ce siècle que des Radif-s ont été créés pour d’autres
instruments, par exemple pour le violon, le kemâncheh, le santur (dulcimer) et le ney.
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Les particularités des gusheh-s.
Chaque gusheh possède un nom différent ainsi qu’ un rôle distinct. Les origines des
gusheh-s sont multiples : quelques-uns d’entre eux comme celui appelé Darâmad ont tout
d’abord un rôle modal et sont probablement issus de la pratique de la musique savante.
D’autres gusheh-s se reconnaissent grâce à leurs mélodies spécifiques, leurs sources
peuvent avoir des origines folkloriques, populaires, théâtrales ou religieuses (comme le
Ta’zieh qui est une sorte de théatre religieux), faire appel à la poésie et au chant soufi,
être épiques lors du récit de scènes de bataille quand le Shâhnâmeh (le poème épique
national iranien) est interprété dans les maisons de thé en Iran, et même sportives lorsque
la musique accompagne le rituel sportif iranien le Zurkhâneh.
La transcription du Radif.
Il n’existait aucune écriture particulière du Radif avant le début du XXe siècle, époque à
laquelle les Iraniens commencèrent à étudier la musique occidentale et son écriture et où
conscients de son importance dans l’héritage de la musique persane, ils le transcrivirent.
Les premiers transcripteurs du Radif furent Sâlâr Mo’azzez (élève et successeur du
professeur de musique française en Iran Alfred Lemaire), Mehdi Qoli Hedâyat et Ali Naqi
Vaziri... Toutefois aucune notation ne dispense un musicien de l’ apprentissage oral du
Radif.
Dâng et intervalles.
Pour les érudits de l’époque médievale comme Al Kindi (..-874), Farabi (..-950), Ibn Sina
(..-1037), Safi uddin Ormavi (..-1293), Qotbuddin Shirazi (..-1311) et Abdolqader Maraghi
(..-1435), le tétracorde (appelé zolarb’ en arabe et dâng en persan) était l’élément structurel
et modal le plus important. Le tétracorde correspond aussi à l’espace sur le manche
d’instruments comme le °ud, le târ et le setâr où les doigts peuvent atteindre les notes sans
changer de position. Dans les théories médievales, la corde ouverte (appelée motlaq) et
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les noms des différents doigtés sur le manche du °ud servaient à désigner les pincements
utilisés pour faire les différents tétracordes. Le caractère du tétracorde dépend de la
taille des intervalles de seconde et de tierce (deuxième et troisième note). Ainsi chaque
tétracorde a sa propre et unique configuration.
Toute la musique persane est basée sur seulement 4 sortes de dâng-s. (sur le tableau 1), ces
quatre dâng-s sont montrés par les intervalles trois qui séparent les 4 notes de chaque dâng.
Les mesures sont en cents (système où une octave est divisée en 1200 cents et où un demi-
ton est égal à 100 cents) et chaque dâng entouré de l’intervalle de quatre est égal à 500 cents.
Le signe p (appelé coron) signifie un demi bémol et rabaisse donc la note d’un quart de ton.
Le setâr
Le setâr est un luth constitué d’une petite caisse de résonnance en forme de poire et d’un
long manche. Ce manche porte 25 ligatures en boyau, il est percé à son extrémité par
quatre petites chevilles. Bien que de forme variable, la caisse du setar doit être assez petite
pour être tenue d’une main et la longueur du manche est telle que la corde résonnante
ne mesure jamais plus de 67 centimètres. La caisse et la table sont en bois de mûrier, le
manche en noyer et les chevilles en noyer ou en buis.
De part son poids léger (environ 350 grammes), sa sonorité riche et délicate et son volume
très confidentiel, le sétar est l’instrument et le compagnon privilégié des érudits et des
mélomanes qui le pratiquent plutôt pour eux-mêmes que pour le public. Le fameux tanbur
du Khorâssân (province du Nord-Est de l’Iran) - qui figure déjà dans l’iconographie
des Sassanides (IIIe-VIIe siècles) dont Farabi a étudié les intervalles au Xe siècle - est
l’ancêtre très proche de cet instrument.
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Le mot setâr signifie «trois cordes» mais aujourd’ hui le setâr en possède quatre. Une
quatrième corde a été placée entre la deuxième et la troisième du setâr de jadis, elle est en
quelque sorte une corde sympatique qui double la troisième à l’octave aiguë, son rôle étant
d’enrichir le son des autres cordes, elle n’est pas jouée seule. On attribue cette innovation à
Moshtaq Ali Shah à la fin du siècle précédent.
Le luth à long manche est très apprécié et très répandu en Asie Centrale sous des formes
et tailles diverses, mais ce qui conserve une place particulière au setâr, c’est sa technique
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spécifique et unique dans la musique savante persane. Il est joué par diverses combinaisons
de mouvements de l’index vers le haut et le bas, une sorte de roulement de l’extrémité de
l’index : l’ongle et la peau touchant une ou plusieurs cordes, mettant en relief la corde
sur laquelle la mélodie est jouée, en l’enveloppant avec les autres cordes, tantôt frôlant la
corde d’à côté et tantôt pinçant la corde grave (bourdon) comme le battement d’un rythme
irrégulier.
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The Radif
The radif is a musical corpus, considered by the Iranians as a legacy whose purpose is
to preserve and to transmit the principal elements of their specific musical culture, within
which they share a commun emotion and esthetic taste. They consider it to be one of the
most important expressions of their national identity, as special as the Persian poetry,
miniature, carpets, etc...
It is a serious and introverted music with extreme refinement and richness in ornements.
The repertory of Persian art music together with its traditional order of classification is
called the Radif. A repertory of melodies that have been collected by different people and
added to the repertory at different times. This repertory is not like western art music, which
is composed and intended to be played exactly as written. It is made up of traditional
melodies, many of which are derived from popular and folk sources; their origins have
been obscured with the passage of time.
This repertory was organized by musicians to be used both for performance and instruction.
More specifically it provides a multitude of model melodies (about 250) which is used like
prototypes as a point of departure for improvised performance and composition of set
pieces.
The oldest radif that we know about comes from two masters of the radif, Mirzâ
Abdollâh (1843-1918) and Aqâ Hosein Qoli (died 1913). These two brothers spent their
whole lives teaching their radif with an incredible conviction and rigor and educated the
best musicians of the following generation. The students were supposed to memorize the
entire repertory; therefore, it was important that the radif be both complete and brief; and
hence, as concise as possible. Moreover, since the intention was to make the radif concise,
and since different people played the same melody in different ways, the masters selected
from among the versions of a melody to create their radif.
To understand the concept of the radif, we must first understand that the radif and the
modal system are not the same thing.
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The characteristic of melodies (which are called gusheh-s) are as important as their
relationship. The position of each melody in the radif is determined by its modals
characteristics.
The performance of Persian music is made by the multi-modal structures which in each
system (dastgâh or âvâz) a number of gusheh-s demonstrate the different part of the
system. We will make a distinction between the melodies of the radif and the modal
system and we will present further the different modal structures.
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the relationship of the modes to this system was not clarified and its pedagogical system
included no theoretical or explicative terminology.
Even the term gusheh by itself (literally means «corner») has no other meaning than a
«piece» or a «part». For Iranian musicians what specifies the identity of the piece (gusheh)
is its specific character which is designated by its particular name, for example, gusheh-ye
«Gilaki».
20th century musicology has placed too much emphasis on separating musical styles, such
as folk, popular, religious, and classical or art music. But in the case of Iran there is, in
reality, a constant tension and interplay between art music and less formal genres. What
makes this interplay more vital in the Iranian society has been the religious establishment
to musical practice during some historical periods.
The music in these periods could only have survived in contexts such as folk, religious,
dervish music, or music to accompany story telling, all of which were tolerated.
For the medieval scholars, such as al-Kindi (d.874), Farabi (d.950), Ibn Sina (d.1037), Safi
uddin Ormavi (d.1293), Qotbuddin Shirazi (d.1311) and Abdolqader Maraghi (d.1435), the
tetrachord also corresponds to the physical space on the neck of instruments such as the
°ud, târ and setâr, where the fingers can reach the notes without changing position.
In medieval theories the open string (called motlaq) and the names of the different fingers
on the neck of the °ud were used to designate the pitches used for making different sorts of
tetrachords.
The character of the tetrachord depends on the size of its two variable pitches (the intervals
of the second and the third). Each of these tetrachords has its own unique genetic makeup.
All the Persian modes are based on only four different sorts of dâng-s. In the following
table, Chart 1, these dâng-s are shown by the three intervals which separate the four
notes of each dâng. The measurements are in cents (based on a system where an octave
is divided into 1200 cents, and each half tone is equal to 100 cents) and each dâng,
encompassed by the interval of a fourth, is equal to 500 cents.
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Chart 2
Chart 1 - 4 Basic dang-s Tempered intervals of the
dang-s above
The Setâr
The setâr is a lute made up of a small pear-shaped body and a long fingerboard. There are
25 gut frets going up the fingerboard at the end of which are four small pegs. Although the
setar is variable in shape, the body must be small enough to be held in one hand, and the
length of the fingerboard is such that the strings are never longer than 67 cm. The body is
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made of mulberry, the fingerboard is made of walnut and the pegs are made of walnut or
mulberry.
Because of its light weight (around 350 grams), its rich and delicate sound an intimate
volume, the setar is the instrument and favourite companion of erudites and music lovers
which prefer playing for themselves rather than for a public.
The famous tanbur of Khorâssân (North Eastern province of Iran) which is part of the
iconography of the Sassanides (III and VIIth centuries) studied by Farabi in the Xth
century is a close ancestor to this instrument.
The word “setâr” means three strings, but today there are four strings on the setâr. A fourth
string was added between the former second and third strings. This fourth string doubles
the third string, but one octave higher, in an aim to enrich the other strings. It is not played
alone. This innovation is attributable to Moshtaq Ali Shah at the end of the last century.
The long fingerboard lute is very popular and widespread throughout Central Asia in
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various shapes and sizes but the setâr holds a special place due to its specific and unique
technique in Persian music. It is played in a combination of stroks by the index from the
bottom towards the top and vis-versa. The tip of the finger, fingernail and skin strum
one or several strings, bringing out the melody on the melody string that is played by
enveloping it in notes strummed on the adjacent strings or by picking the bass chord in an
iregular rhythmic beat.
The range of setar is of over
two and a half octaves.
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SHUR
10
Volume I - 19
BAYAT-E-KORD
Volume I - 20
23 - rahâb 6&7
24 - chahâr gusheh 7&8
25 - moqaddameh-ye gereyli 7&8
26 - razavi 7, 9 & 8
27 - shahnâz 7
28 - moqaddameh-ye qaracheh 7
29 - qaracheh 7&8
30 - shahnâz-e kot (‘asheq-kosh) 7&8
PIECES RYTHMIQUES DE SHUR - 30’ 03»
31 - Gereyli 7, 6, 8, 9, 10, 6, 3, 2 & 1
32 - Gereyli-ye shasti 3
33 - reng-e hashtari 2&1
34 - reng-e shahr-âshub 6, 8, 7 & 9
35 - reng-e zarb-e osul 7, 6, 8 & 3
36 - Âvâz-e bayÂt-e kord - 8’ 08»
37 - darâmad-e avval 2&1
38 - darâmad-e dovvom 2&3
39 - basteh-negâr 2
40 - haji hasani 2
41 - darâmad-e sevvom 2&3
42 - darâmad-e chahârom 2, 3 & 1
enregistré par / Recorded by Gary Louie -Université de Washington, School of Music du 23 Juillet
au 4 Aout 1992 / Texte français & anglais Dariush Tala’i / Photos : Joudat / maquette Eric Goubert /
Transfert numérique Parélies / Coordination Annie Le Borgne-Queffelec / Produit par Dariush Tala’i en
association avec Michel Pagiras.
Volume I - 21
Dariush Tala’i
Dès l’age de 11 ans, Dariush Tala’i a reçu une formation des plus grands détenteurs de
la musique traditionnelle d’ Iran. Il a été l’élève privilégié de maîtres comme Ali Akbar
Shanâzi (le fils d’ Aqâ Hosein Qoli), Nur Ali Borumad, Yousef Froutan, Saïd Hormozi
et Abdollâh Davâmi. De 1971 à 1979 il dirige un ensemble de la Radio et Télévision
Nationale iranienne. En 1975, il obtient une licence des Beaux Arts à l’université de
Téhéran, puis en 1979, une maîtrise de musicologie en France où il soutient, en 1983, une
thèse de doctorat intitulée : «Les modes musicaux dans la tradition iranienne».
Il enseigne la musique classique persane aussi bien à l’université de Washington à Seattle
qu’au Centre d’Etudes de la Musique Orientale à la Sorbonne et à la faculté des Beaux
Arts de Téhéran. Il donne de nombreux concerts depuis 1974 dans tous les pays d’Europe,
en Iran et aux Etats-Unis.
At age 11, Dariush Tala’i began learning from the greats in traditional Iranian music. He
had the privilege of studying under masters such as Ali Akbar Shanâzi (son of Aqâ Hosein
Qoli), Nur Ali Borumad, Yousef Froutan, Saïd Hormozi and Abdollâ Davâmi. From
1971 to 1979 he directed the National Radio and Television Ensemble of Iran. In 1975,
he received his bachelors degree in the arts from the University of Teheran. In 1979, he
finished his masters degree in musicology in France, where he completed a doctorate, with
a thesis titled “Musical modes in Iranian tradition”.
He teaches classical Persian music at the University of Washington in Seattle, as well as at
the Sorbonne’s Centre for Oriental Music Studies, and the Teheran School of Arts. He has
given numerous concerts since 1974, throughout Europe, Iran and the United States.
Dariush Tala’i
This collection
is dedicated to those
who handed down
to me their art:
Ali Akbar Shahnâzi,
Abdollâh Davâmi,
Nur Ali Borumand,
Yosof Forutan
and Saïd Hormozi.
Special thanks
to the University
of Washington,
School of Music
for recording this
collection.
Dariush Tala’i