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La presse secouée?

Considérations sur les journaux


d'aujourd'hui et de demain
MICHEL DRANCOURT

OURQUOI, la sidérurgie et le textile étant meries, a quelque peu fait oublier d'autres
P en crise d'adaptation et de reconversion,
la presse écrite n'y serait-elle pas? Ce
sont des· industries à peu près contempo-
effets des novations intervenues, ou à venir,
dans la fabrication des journaux.
Lorsque l'usage de l'informatique sera plei-
raines. nement maîtrisé, cette fabrication pourra être
On dira que la presse n'est pas une indus- plus rapide. Cela n'ira pas sans mal parce
trie comme les autres. Effectivement, elle a qu'il faudra que tous les acteurs en cause
toujours. été caractérisée par la difficile coha- se plient à des disciplines nouvelles. Les
bitation de l'artisanat et de la mécanisation, jeunes, à condition qu'ils baignent dès l'éèole
du journaliste qui produit ses articles et du dans un climat informatique, s'y adapteront.
chef d'entreprise qui produit des journaux. Les moins jeunes éprouveront des difficultés
Mais l'originalité de la presse ne la met et, comme il arrive souvent, prétexteront quel-
pas à l'abri des changements techniques et que atteinte à l'exercice de leur métier pour
commerciaux. retarder l'inévitable.
Il est vrai qu'on peut s'interroger sur la
nécessité de la course à la nouvelle. Dans
L'informatique une société sursaturée d'informations sacca-
et la décentralisation dées, faut-il ajouter au tournis provoqué par
les «flashes» des radios des éditions multi-
Les premiers portent sur les modes de ples et coûteuses de journaux écrits? Je ne
fabrication.· Ils sont en cours. L'informatique le pense pas. En revanche, le gain de temps
et la photographie remplacent progressive- au niveau de la fabrication pourrait permet-
ment la composition et l'impression classiques. tre une meilleure distribution du journal, et
La transformation touche surtout les emplois l'on verra que ce n'est pas indifférent pour
des « ouvriers» de la presse. D'où les combats l'avenir des quotidiens. Par ailleurs, tout délai
de retardement menés par les syndicats du livre gagné sur la fabrication peut contribuer à
de tous les pays occidentaux. Le Times, après étoffer la documentation et à vérifier les
quelques autres titres moins prestigieux, en données de l'information, et ce point-là est
est quasi-mort. D'autres suivront. essentiel.
Le bruit fait autour de ces batailles entre La supériorité apparente de la presse écrite
les patrons de presse qui cherchent à alléger quotidienne (et bien évidemment de lapério-
les charges de leur entreprise par l'usage de dique) sur la radio est qu'elle dispose, en
nouveaux procédés techniques et les salariés principe, de plus de temps pour «nourrir»
des «usines» de presse que sont les impri- l'information. Or ce n'est pas toujours le

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cas. Les journalistes qui réalisent des bulletins On pénètre par là dans le cœur du métier
radiodiffusés à 7 ou 8 heures disposent d'un du journaliste. Témoin, il raconte ce qu'il
délai beaucoup plus long que celui de leurs voit. Mais que voit-il réellement? La plupart
confrères de la presse quotidienne du matin du temps, il est alerté par une dépêche
pour commenter une information survenue d'agence ou un communiqué ou une informa-
la veille à 20 heures. On attend de l'écrit tion saisie à la radio. Son premier réflexe
qu'il soit complet. Paradoxalement, c'est la doit être de vérifier. On retombe dans les
radio, qui, parfois, est en mesure de mieux questions de délai. II arrive qu'il ne le fasse
répondre à cette attente. La presse peut dé- pas. Il arrive qu'il le fasse incomplètement.
sormaisreprendre une partie de son avantajie. Par exemple en matière sociale. Curieusement,
L'informatique liée aux nouveaux modes social est presque exclusivement synonyme
d'impression aura un mérite plus grand. Elle de syndical. On vérifie donc auprès des syndi-
favorisera la dispersion des centres d'impres- cats. Trop rarement ailleurs. Et la rubrique
sion des journaux. Au lieu de transporter le sociale devient « la voix syndicale ». A sup-
papier, par exemple de Paris à Toulouse, poser que toutes les vérifications soient faites,
on expédie le texte instantanément et on encore faut-il situer l'événement, la personne,
l'imprime sur place. Cela pour les quotidiens le problème en cause. Tout journaliste a sa
à diffusion nationale. L'opération est pos- documentation personnelle, son réseau d'in-
sible non seulement parce que la technique formation et sa méthode pour obtenir un
l'autorise, mais parce qu'elle est relativement ministre, un préfet ou une secrétaire au télé-
peu coûteuse. Les nouveaux procédés exigent phone. Rares sont les journaux disposant
moins d'investissements dès lors que les tira- d'une équipe de documentalistes qui conso-
ges sont limités. Plutôt que de «tirer» un lident les données ou les critiques. Plus rares
journal à 400 000 exemplaires en un seul encore sont les documentations solides, archi-
endroit; il est moins cher d'imprimer dix vées, maniables, mises à jour. La documen-
fois 40 000 exemplaires. Les «centrales», les tation qui devrait être la matière première
rotatives avaient poussé à la concentration de la presse n'en est que l'annexe mal conçue,
physique des journaux. Comme l'électricité mal traitée.
diffusée et l'informatique répartie permettent Les journaux qui ont su maîtriser la docu-
la décentralisation de maintes fabrications mentation sont mieux armés que les autres.
(révolution heureuse qui est devant nous), Mais, à quelques exceptions près, aucun ne
l'informatique et les procédés de fabrication dispose d'un outil très moderne. Le micro-film
en offset - et d'autres demain - vont modi- a remplacé les dossiers, mais ce qui manque
fier la géographie de la presse. Les grands le plus, c'est la documentation de base,
journaux vont pouvoir décentraliser leur pro- celle des faits. Chaque journal a pour habitude
duction. D'autres, utilisant des procédés moins de conserver ses propres articles. Il se préoc-
coûteux, vont tenter leurs chances. La presse cupe moins d'enrichir les données brutes.
quotidienne de province, dont de nombreux Cela est vrai dans de nombreux domaines et
titres vivaient à l'abri d'un territoire donné, notamment en économie.
va connaître une concurrence à laquelle elle Avec l'informatique, on peut imaginer un
n'était plus habituée. Tout cela, le public travail beaucoup plus scientifique que celui
averti le sait plus ou moins. qui se pratique. Un journaliste sera branché
sur une ou plusieurs banques de données.
Celui qui bénéficiera d'une banque de don-
Les banques de données nées plus riche disposera d'un atout supplé-
et la maîtrise de l'information mentaire. Qui sera maître des banques de
données et, finalement, de la matière qui per-
Mais il est une deuxième série de change- mettra «d'habiller» l'information?
ments, eux aussi provoqués ou rendus pos- La question est beaucoup plus importante
sibles par les développements techniques, no- que celle de savoir si tel patron de presse
tamment informatiques, qui peuvent modi- exerce son autorité sur trois ou dix titres.
fier le paysage de la presse et dont on parle Dès à présent, on peut dire qu'en écono-
beaucoup moins. Ils concernent la documen- mie, les organismes d'Etat partent avec une
tation. avance considérable. Pour des raisons qui

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tiennent à la déformation française consistant présente la documentation de base. Il faudrait


à confondre Economie et Administration, aller plus loin.
point de vue «public» et intérêt général, De toute manière, le lecteur est en droit de
mais aussi à l'inertie du secteur privé, plus s'interroger sur les sources des chiffres et
soucieux pendant longtemps de plaider sa leur interprétation. En matière économique
cause auprès de l'Etat que de convaincre l'opi- c'est l'essentiel. Ce l'est aussi en bien d'autres
nion, l'essentiel des documents sur lesquels domaines, qu'il s'agisse de politique (voyez
s'appuient les journaux pour commenter l'in- les sondages et les enquêtes d'opinion), d'ur-
formation économique est en provenance d'or- banisme, de vie locale, de techniques même ...
ganismes publics; Institut de la Statistique, Si les organismes en place, Chambres de
Direction de la Prévision, Ministère des Finan- Commerce et d'Industrie par exemple, ne
ces, Plan, services économiques des Préfec- s'occupent pas de ces questions, si les jour-
tures. Plus les techniques de diffusion de la naux attendent pour s'en saisir, ce seront des
documentation seront élaborées, plus ceux qui organismes inattendus qui pénétreront en for-
en détiennent les sources seront en position ce dans le domaine de la matière première.
dominante. Les journaux auront alors à choisir entre la
Un journal ou un groupe de journaux source d'Etat et des sources purement com-
(mais aussi de radios et de télévision) qui vou- merciales, le plus souvent internationales.
drait être indépendant devrait être «bran-
ché» sur plusieurs banques de données. Mais
la constitution d'une banque coûte cher. Cer- La nouvelle publicité
tains journaux très spécialisés pourraient y et le contenu de ses messages
parvenir, dans des secteurs limités, notam-
ment ceux qui, comme « Libre Service Actua- La troisième série de changements auxquels
lités », ont étudié des activités qui, pendant la presse aura à faire face concerne la publi-
des années, n'intéressaient pas grand monde. cité. On sait qu'aucun grand journal ne peut
En matière d'économie générale, il en va tout vivre sans une masse considérable de publi-
autrement. Le seul moyen dont on dispose cité qui représente selon les cas de 50 à
actuellement consiste à comparer les chiffres 70 % de ses recettes. Toute évolution des
édités en France et ceux qui le sont par des méthodes publicitaires a donc des consé-
organisations européennes ou étrangères. Mais quences décisives sur la vie des journaux.
elles s'adressent elles-mêmes aux sources offi- Déjà la publicité à la télévision, «média»
cielles françaises. On tourne en rond. naturel pour les messages nationaux, a prati-
Verra-t-on demain des organismes nouveaux quement éliminé un certain type de publicité
se lancer dans la constitution de vastes biblio- des quotidiens régionaux. Ils ont pu compen-
thèques informatisées et vendant leur pro- ser les pertes grâce à la multiplication des
duit? Qui les dirigera? actions commerciales régionalisées et au pro-
La question est d'autant plus préoccupante grès des nouvelles formes de commerce (si
que la matière première de l'information elle- elle était intervenue plus tôt, la loi Royer
même dépend principalement d'une agence, aurait non seulement contribué à freiner la
l'AFP, dont le statut est - en principe - lutte contre la hausse des prix à la consom-
une garantie d'indépendance, mais qui n'est mation, mais elle aurait mis en difficulté
pas à l'abri d'une vision unilatérale de cer- certains quotidiens). D'autres journaux, cer-
tains problèmes. tains magazines féminins notamment, ne se
L'informatique peut fournir l'occasion à de relèveront pas de l'existence de la télévi-
nombreux organismes, eux-mêmes producteurs sion.
d'informations et de documents, de chercher Mais la télévision n'est pas seule en cause
à rendre le travail de la presse plus scien- dans l'évolution de la presse. La publicité
tifique. Les capitaux nécessaires seront impor- elle-même évolue. Elle aspire à la personna-
tants. Des groupes d'édition souvent engagés lisation du message. «Vous êtes, vous Mon-
dans la presse devraient eux-mêmes étudier sieur Dupont, directement intéressé ». La
cette voie d'avenir. Les fabricants de diction- presse écrite à vocation générale l'intéressera
naires et d'annuaires de référence font un de moins en moins. En revanche, elle cher-
effort pour mieux maîtriser la mine que re- chera les véhicules permettant de « toucher »

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avec certitude tel segment de marché. Les teurs. Mais, curieusement, plus un journal
publicitaires n'ont pas encore tous compris s'adressant à des gens instruits met en cause
cette évolution et continuent, pour certains, la publicité, plus les publicitaires ont ten-
à attacher, par facilité, une importance pri- dance à rechercher sa fréquentation et son
mordiale aux tirages des journaux. Mais d'au- service, notamment pour des produits de luxe.
tres, de plus en plus nombreux, se préoccu- Cela tient peut être au fait que les publici-
pent de connaître la réalité de leur lecture, taires, esprits ondoyants et adaptables, vivent
par qui, dans quelles conditions. Cette évolu- dans la satisfaction du court terme et le
tion, survenant en même temps que les nou- piment du «trouble métaphysique». Cela
velles techniques de composition, peut favo- tient aussi au fait que les gens qui n'aiment
riser des journaux relativement peu impor- pas la publicité sont généralement ceux qui
tants par leur masse mais typés par leur cible, ont le plus de moyens et qu'il faut donc les
régionale ou par activité ou par catégorie atteindre. Cela donne le Nouvel Observateur,
sociale. En revanche, les quotidiens nationaux qui est une assez bonne réussite commerciale,
dits d'opinion seront plus touchés encore qu'ils mais pas seulement lui.
le sont déjà, sauf pour eux à se régionaliser Il arrivera aussi que, sous la pression des
ou à préciser le contour d'une clientèle pu- courants consuméristes et des attaques poli-
blicitairement intéressante (la presse de pro- tiques dont elles sont l'objet, les entreprises
vince représente 75 % environ du tirage des se préoccuperont non seulement de vendre
quotidiens contre 64 % dix ans plus tôt). leurs produits, mais encore de suivre l'image
Cette évolution est d'autant plus probable d'elles-mêmes qu'elles diffusent au travers de
que le contenu du message publicitaire lui- cette publicité. On se souvient de la publi-
même évolue. Les lecteurs, scolarisés plus cité choquante de magistrats et de généraux
longtemps, plus curieux, plus avertis ou dé- «en slips machin ». Pour vendre un sous-
formés par les courants consuméristes et les vêtement, on ridiculise des responsables. Est-
modes, ont besoin «d'en savoir plus ». La ce, à terme, l'intérêt du fabricant de sous-
répétition jouera toujours son rôle, mais elle vêtements?
sera plus subtile. Les arguments seront plus Un jour les entreprises s'interrogeront non
élaborés. Dès à présent, certains journaux seulement sur les effets directs, mais encore
occupent une position très forte sur un mar- sur les effets indirects de leur message, de la
ché donné parce que la publicité qu'ils pu- manière dont ils sont conçus et de celle dont
blient est un instrument de travail pour leurs ils sont, finalement, reçus.
lecteurs. C'est notamment le cas pour l'Usine Cela aussi pourra modifier l'équilibre de la
Nouvelle dont on sait qu'elle est une des presse. Plus la publicité sera pensée, plus
plus belles réussites de la presse hebdoma- les critères de sélection seront sévères.
daire. De même, que sont les journaux de L'industrie de la presse secouée par les
télévision-radio (qui représentent les gros tira- techniques de production, par celle de la
ges d'aujourd'hui), sinon d'abord des affiches documentation, par l'évolution de la publi-
de programmes? Les articles qui y sont pu- cité, le sera également par sa distribution.
bliés ont leur intérêt, mais auraient peu de
chance de se vendre si les programmes ne
formaient pas le corps du numéro. La distribution et la connaissance
Le paradoxe publicitaire, pas plus que le personnelle du lecteur
monopole de documentation, ne durera éter-
nellement. Sans publicité, pas de presse, ou, Dans aucun secteur d'activité, on ne conçoit
en tout cas, pas de presse diversifiée, donc un produit sans penser à son écoulement.
pas de liberté de presse. Or, beaucoup de L'emplacement des usines, des dépôts, est
ceux qui s'expriment parce que la publicité conditionné par des données matérielles, par
le leur permet crachent dessus, de même les salaires, par le climat politique, mais bien
d'ailleurs que ceux qui sont les premiers plus souvent encore par la proximité des
bénéficiaires du système qu'elle sous-tend : marchés et le moyen de les atteindre.
plus ils sont instruits, moins les Français ont La distribution a toujours été un casse-
tendance à considérer que la publicité ap- tête pour les journaux. Un quotidien régional
porte des informations utiles aux consomma- heureux est celui qui distribue l'essentiel de

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sa production sur un territoire restreint. Que peur de provoquer la révolte de ses distribu-
les parcours s'allongent, et la rentabilité est teurs, mais la presse nouvelle, celle qui est
en cause. Le Républicain Lorrain, ramassé sa plus grande concurrente et dont il sera
sur la Moselle et le nord de la Meurthe-et- question plus loin, n'a pas les mêmes réti-
Moselle, est bien plus rentable et puissant cences.
que l'Est Républicain dispersé de Pont-à- L'autre procédé de distribution, qui n'a
Mousson au sud du Doubs. rien «d'industriel» en apparence, consiste à
Dans les grandes villes, et notamment à faire porter les journaux chez l'habitant. Très
Paris, les transformations de l'habitat, la répandu aux Etats-Unis et en Allemagne, il
poussée des banlieues, la dispersion des bu- se heurte en France à une législation désuète.
reaux, ont contraint les journaux à suivre. Ils Un distributeur achète un paquet de jour-
l'ont fait avec retard. naux et les fait distribuer par des enfants
Les quotidiens se vendent principalement ou des retraités qui gagnent ainsi un peu
au numéro, au kiosque et chez les marchands d'argent de poche. L'avantage du système
de journaux. Grâce à l'impression à distance, comparé à la Poste est la rapidité et, sur-
ils peuvent, s'ils sont informatisés, éviter tout, le lien personnel que le journal peut
maintenant le routage de Paris en province. facilement reconstituer entre son client et
Mais les installations sont loin d'être toutes lui.
en place. Une lutte s'engage entre les jour- Il est essentiel en effet pour un journal,
naux régionaux, qui s'efforcent de rendre la quelles que soient sa périodicité et sa nature,
lecture d'un autre quotidien moins nécessaire, de connaître le mieux possible ses lecteurs.
et les parisiens qui cherchent de plus en Plus que les journalistes et ses signatures,
plus à se régionaliser. Mais quoi qu'il arrive, c'est son capital le plus précieux. Un édito-
un quotidien, pour réussir à se vendre, devra rialiste, quelles que soient ses qualités, se
tenir compte de l'exigence de proximité. remplace. Cent lecteurs perdus sont souvent
Les hebdomadaires et périodiques se ven- plus difficiles à retrouver. C'est la raison
dent plus facilement par abonnement. Mais pour laquelle les journaux sérieux investissent
l'abonnement a deux inconvénients : le lec- beaucoup dans l'établissement de listes de
teur par abonnement est plus sûr, mais moins lecteurs et la connaissance de leurs préoccupa-
attentif, surtout s'il ne paie pas son abon- tions dominantes. Un groupe comme celui de
nement ou n'en paie qu'une partie, ce qui Valeurs Actuelles, Spectacle du Monde en tire
arrive assez fréquemment; l'évolution des une force qui le met plus à l'abri que d'autres,
services postaux est pour le moins incer- dont le côté brillant est supérieur, de pertes
taine. d'abonnements ou de ventes. En contrepartie,
La distribution des journaux à domicile, le fait de s'adresser à des lecteurs bien typés,
par écran de télévision ou par un système plutôt de droite, plutôt aisés, plutôt de menta-
proche du télex, n'est pas pour demain. Elle lité provinciale, plutôt méfiants à l'égard des
exigerait des investissements énormes qui ne idées nouvelles, limite son audience. On cons-
seront pas réalisés avant des années. Si elle tate par ce biais la tension permanente dans
utilisait le papier, elle entraînerait des dépôts les journaux entre les exigences de la renta-
de stocks de papier chez les particuliers dont bilité et l'aspiration à l'exercice du pouvoir
on voit mal qu'elle puisse se réaliser commo- par les idées : les journaux qui s'adressent
dément. à un public bien spécifique sont assurés de
Reste donc à s'interroger sur l'amélioration certaines ressources, mais n'ont d'influence
des moyens classiques de distribution. que dans la mesure où leur public contribue
Deux circuits se feront concurrence. Le à la formation de l'opinion.
classique par les marchands de journaux. Le L'impératif de la distribution, en poussant
nouveau par les centres commerciaux et les les journaux à mieux connaître leur public,
magasins dynamiques. On sait qu'en librai- donc à le « segmenter », à s'interroger sur
rie le premier point de vente est le Bazar de les moyens de le toucher, en les incitant à
l'Hôtel de Ville. De même, pour les journaux, remettre en cause les habitudes de vente, con-
certains supermarchés sont des centres de tribuera, comme les transformations techni-
vente non négligeables. La presse classique ques, à faire évoluer la presse. En quelle
n'osera pas toujours changer ses habitudes de direction?

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LA PRESSE SECOUÉE

Beaucoup de titres condamnés nions d'information, les voyages, les livres


bon marché, les tracts, les bulletins d'entre-
mais beaucoup de réussites prise ou d'organisations, la formation per-
en perspective manente, l'affiche. La presse écrite classique
a définitivement perdu le monopole de l'in-
Avant de répondre, il faut souligner que formation et surtout du commentaire. Tous
la presse écrite en place dispose de toute les journaux ne le savent pas encore.
une série de protections qui en font une indus- En caricaturant, on peut dire que de nom-
trie «à l'abri ». Protection de la langue, qui breux journalistes rêvent de «faire l'événe-
sera difficilement levée. Protection de la loi, ment» et que de nombreux lecteurs cher-
qui freine les développements de la radio, de chent le «non événement ». Le bombarde-
la télévision. Protection de la politique, qui ment massif de nouvelles finit pas lasser. Evo-
résulte du souci de tout responsable d'avoir luant dans une société mouvante, chacun as-
accès aux différents modes d'expression en pire à se retrouver tranquille, chez lui. Plus
place. Sans la protection de la loi, notamment, le monde «s'ouvre », plus les individus cher-
qui freine le développement publicitaire des chent des racines. C'est le réflexe tanière. Il
moyens audio_visuels, certains journaux de conduit à s'intéresser aux faits et aux choses
province connaîtraient des difficultés non né- sur lesquels on peut avoir prise. D'où le
gligeables, comparables à celle des grands succès de la presse technique, qu'elle soit de
quotidiens d'information générale parisienne cuisine ou de bricolage. On aime aussi se
dont plusieurs ont disparu ou vont dispa- distraire, d'où les journaux légers, s'évader,
raître. mais la télévision est ici mieux armée que
Mais, en dépit de ces protections, la presse l'écrit. On cherche enfin à comprendre. Com-
écrite sera soumise à des transformations ment? Par la lecture. On a pu craindre que,
dont ne sortiront victorieux que les journaux dans une société qui sort de l'ère de Guten-
- même petits - conçus comme de vérita- berg, les gens ne liraient plus. Ce n'est pas
bles entreprises. ce qui semble se produire. En revanche, ils
La nature de la presse évolue. L'opinion lisent autrement. Quand? Est-ce en fin de
publique se forgeait au travers de quotidiens semaine? D'où l'effort de nombreux hebdo-
nationaux; elle s'élabore plutôt désormais madaires pour être présents dès le vendredi
par l'intermédiaire de radios et des hebdoma- ou le samedi dans les kiosques et des quoti-
daires. A la presse classique vient s'ajouter diens pour copier la méthode américaine des
une presse que la plupart des études ne journaux très complets du dimanche, en dépit
prennent pas suffisamment en compte, celle des «protections », là aussi, de la loi. Est-ce
des syndicats - beaucoup plus puissante que sur les lieux de travail? Est-ce dans les
celle des partis -, des associations, des grou- transports en commun? Les habitudes de
pements. Si les journaux spécialisés, qui ont lecture qui évoluent et que l'on connaît mal
plus l'allure de bulletins paroissiaux que d'or- modifieront le calendrier des journaux et des
ganes d'expression modernes, étaient pris en publicitaires qui sont aussi préoccupés que
main par des chefs d'entreprise de presse, les directeurs de publication et les journa-
ils deviendraient de redoutables concurrents. listes de savoir comment être « reçus ». L'un
Une autre transformation s'opère qui résulte des moyens consiste à s'adresser chaque jour,
de l'évolution du marché. En gros, les Fran- quand on est quotidien, chaque semaine quand
çais sont devenus des salariés et aiment la on est hebdomadaire, à une catégorie précise
province. La presse qui était nationale et de lecteurs. Le Monde qui, par certains côtés,
s'adressait à des hommes «autonomes» doit est un hebdomadaire quotidien, privilégie dans
tendre à se régionaliser, à répondre aux soucis chaque numéro l'économie ou la technique
des salariés (la majorité de Français « actifs»), ou l'art ou les lettres. L'avantage que lui
à s'intéresser aux femmes au moins autant confère sa position de journal quasi officiel
qu'aux hommes et à tenir compte de tous les des responsables (avec toutes leurs contradic-
moyens d'information dont les lecteurs dispo- tions) ne l'incite pas pour autant à rester
sent par ailleurs. statique. Il est probablement le quotidien na-
Il y a la radio, la télévision : cela tout tional le plus assuré de durer - en dépit de
le monde y pense. Mais il y a aussi les réu- certains à-coups - grâce au fonds de clien-

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tèle que constitue l'enseignement - son prin- tries où le mouvement des affaires est le
cipal marché - et aux «décideurs» qui le plus vif. Il paraît encore 14500 titres et 7
lisent, les uns en pestant, les autres en adhé- milliards de journaux (ce qui fait à peu près
rant, mais tous avec l'obligation de le regarder un journal par jour ouvrable pour chacun
et beaucoup avec le sentiment de se trouver des Français en état de lire) par an, et chaque
associés au mouvement vrai ou supposé des année, si 1 200 à 1 300 publications dispa-
idées. D'autres quotidiens nationaux n'ont plus raissent, il s'en crée un nombre égal. Même
de national que la prétention. Ils ne survivront en retirant du chiffre les journaux pornogra-
que spécialisés : il y a dix ans, j'avais pro- phiques, qui changent périodiquement de titres
posé à la direction d'Hachette de faire de pour échapper à la loi, cela représente tout
France-Soir le Sud-Ouest de la Région pari- de même un signe de vitalité. Les tirages des
sienne. Par l'humour du hasard, c'est mon quotidiens stagnent. Des titres s'effondrent?
ami Henri Amouroux, alors responsable de la Les hebdomadaires, même s'ils ne sont pas à
rédaction du Sud-Ouest, qui a été choisi pour l'abri des accidents, se maintiennent. La presse
en prendre la direction. En dépit de ses qui gagne le plus de terrain est celle des
efforts, France-Soir, restant national, s'est « sectes» - voyez Libération - ou des
condamné tout en étant bien fait. La qualité associations - voyez le consumérisme - , du
rédactionnelle ne suffit pas en effet à faire « non événement» - voyez les annuaires des
un journal solide. La gestion dont il a été restaurants - ou de la réflexion - voyez les
question dans cet article, sous certains de mensuels ou trimestriels.
ses aspects, est essentielle et plus encore la On comprend que les journalistes et les
rencontre permanente entre les goûts des lec- directeurs pris au piège des habitudes s'en
teurs qui varient, évoluent, se « segmentent», préoccupent. Mais il en est des journaux
et le contenu des organes de presse écrite. comme de toutes les activités économiques.
C'est la raison pour laquelle tant de titres Sauf à admettre un régime dirigiste - par
sont appelés à disparaître alors que d'autres définition le contraire de la liberté qui est
connaîtront de solides fortunes et que cer- l'oxygène des journalistes et de la presse·-,
tains pourront renaître (comme Paris-Match, il faut coller au marché ou, mieux encore, le
le grand vainqueur de 1978). Au-delà des précéder légèrement, en utilisant pour ce faire
crises qui agitent les milieux de la presse et les possibilités techniques.
de la politique, il ne faut pas oublier, en
effet, que la presse écrite est une des indus- MICHEL DRANCOURT

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