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LE MARKETING AU SERVICE DES ASSOCIATIONS : LÉGITIMITÉ ET

SPÉCIFICITÉS
François Mayaux

ESKA | « Entreprises et histoire »

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2009/3 n° 56 | pages 98 à 116
ISSN 1161-2770
ISBN 9782747216388
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-entreprises-et-histoire-2009-3-page-98.htm
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Pour citer cet article :


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François Mayaux, « Le marketing au service des associations : légitimité et
spécificités », Entreprises et histoire 2009/3 (n° 56), p. 98-116.
DOI 10.3917/eh.056.0098
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LA GESTION DES ASSOCIATIONS


© Éditions ESKA, 2009
À BUT NON LUCRATIF

LE MARKETING AU SERVICE
DES ASSOCIATIONS :
LÉGITIMITÉ ET SPÉCIFICITÉS
par François MAYAUX
professeur à l’EMLYON Business School

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et
directeur de la société de conseil Alteriade
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Cet article pose tout d’abord la question de la légitimité du marketing


à déborder son cadre d’application originel, les entreprises capita-
listes, pour s’intéresser à des organisations différentes dans leurs fina-
lités et dans leur fonctionnement : les associations. Il présente ensui-
te une démarche marketing spécifiquement adaptée aux caractéris-
tiques particulières du secteur associatif. C’est ce double questionne-
ment autour de la légitimité et des spécificités qui permettra d’envi-
sager l’usage mais aussi les limites d’une démarche marketing pour
l’action associative.

Parler de marketing dans le secteur asso- leur utilité et l’importance de leur fonction,
ciatif suscite immédiatement deux grands soit face à des industriels qui ne pensent
questionnements. Celui de la légitimité tout qu’aux questions de production et qui consi-
d’abord : le marketing, né dans les entre- dèrent que les problèmes de vente sont
prises commercialisant des produits de gran- secondaires, soit face aux intellectuels qui
de consommation (d’où la référence constan- critiquent au contraire leur pouvoir de nui-
te aux lessives et aux savonnettes), est-il sance1. Dans ce cadre, cet article s’intéresse-
légitime à s’intéresser à des organisations ra plus spécifiquement aux critiques expri-
fort différentes dans leurs finalités et dans mées dans les années 1990 par ceux qui refu-
leurs modes de fonctionnement ? La premiè- sent l’irruption du marketing dans les asso-
re partie de cet article sera consacrée à cette ciations. Cela ouvrira la voie à une réflexion
question, qui est loin d’être nouvelle. En épistémologique car l’élargissement du mar-
effet, depuis les années 1960, les « marke- keting à d’autres champs que celui des entre-
ters », comme avant eux les publicitaires dès prises nécessite sans doute d’élargir sa défi-
le début du XXe siècle, tentent de démontrer nition. Là encore, la question n’est pas nou-

1
R. Laufer et C. Paradeise, Le Prince bureaucrate. Machiavel au pays du marketing, Paris, Flammarion, 1982. Sur la
recherche de légitimité des ancêtres des « marketers », les publicitaires de l’entre-deux-guerres en France : M.-E.
Chessel, La Publicité. Naissance d’une profession (1900-1940), Paris, CNRS Éditions, 1998.

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velle puisque les spécialistes de marketing utilement, selon ces auteurs, être mis au ser-
n’ont eu historiquement de cesse d’élargir la vice d’autres formes d’organisations et de
définition de leur discipline pour démontrer causes sociales : musées, églises, écoles, uni-
sa légitimité à se pencher sur de nouveaux versités, fondations, administrations, pays,
objets2. L’intérêt ici est de voir spécifique- lobby anti-cigarettes… Ces nonbusiness
ment comment cette définition a été à plu- organizations sont donc aussi bien des orga-
sieurs reprises revisitée, aux États-Unis et en nisations publiques que des organisations
France, pour permettre notamment d’y inté- privées à but non lucratif. Cet article a donné
grer les organisations à but non lucratif. rapidement lieu à une controverse qui servit
sa notoriété. En effet, David Luck répondit la
Derrière la question de la légitimité (et de

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même année et dans la même revue (le
manière intimement liée) apparaît une secon-
Journal of Marketing) à Kotler et Levy en
de interrogation portant sur les spécificités
refusant la perspective d’un élargissement du
du secteur associatif. En effet, prôner,
marketing (« broadening the concept of mar-
comme c’est notre cas, la légitimité (et même
keting : too far ») qui l’amènerait, selon lui, à
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l’intérêt !) d’une discipline pour un secteur


perdre son identité centrée sur « les transac-
ne signifie pas pour autant nier l’identité par-
tions marchandes » et « les marchés caracté-
ticulière de ce secteur. La deuxième partie de
risés par l’achat et la vente »4. De nombreux
cet article visera justement à présenter cinq
articles alimentèrent cette controverse qui,
grandes caractéristiques des associations
dès le milieu des années 1970, se termina par
conduisant à une démarche marketing spéci-
la victoire indiscutable des tenants de l’élar-
fique. Selon nous, c’est ainsi seulement que
gissement. Le sociologue Franck Cochoy
le marketing pourra, lucidement et utilement,
décrit et analyse en trois chapitres passion-
être mis au service des associations.
nants de son ouvrage cette période de l’his-
toire du marketing. Il indique notamment
qu’en 1974 une étude menée auprès d’une
PEUT-ON PARLER centaine de professeurs de marketing
DE MARKETING DANS membres de l’American Marketing
LE CONTEXTE ASSOCIATIF ? Association (AMA) constatait que 92 %
d’entre eux soutenaient l’idée de l’élargisse-
ment du marketing. En 1977, on dénombrait
En 1969, dans un article considéré
déjà plus de 600 articles consacrés au marke-
comme fondateur dans la discipline (non seu-
ting non lucratif. Cochoy précise que l’élar-
lement pour le marketing des associations
gissement du marketing avait été proposé par
mais aussi pour le marketing politique, le
d’autres auteurs, plusieurs années avant
marketing des causes sociales – social mar-
Kotler et Levy, mais sans rencontrer un tel
keting –, etc.), les deux spécialistes de mar-
écho5.
keting Philip Kotler et Sidney J. Levy3 sou-
haitent élargir le concept de marketing En France, même si dans les pratiques
(« broadening the concept of marketing »). certains outils de gestion (et notamment de
Débordant son cadre d’application originel, marketing) pouvaient être utilisés, il a fallu
les entreprises capitalistes, le marketing peut attendre deux décennies de plus pour que le

2
Sur l’histoire du marketing aux États-Unis, cf. F. Cochoy, Une histoire du marketing. Discipliner l’économie de mar-
ché, Paris, Éditions La Découverte, 1999.
3
P. Kotler, S. J. Levy, « Broadening the Concept of Marketing », Journal of Marketing, Vol. 33, January 1969, p. 10-
15.
4
D. J. Luck, « Broadening the Concept of Marketing. Too Far », Journal of Marketing, Vol. 33, July 1969, p. 53-63.
5
F. Cochoy, Une histoire du marketing, op. cit., chapitres 14, 15 et 16, p. 203-250.

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FRANÇOIS MAYAUX

mot marketing apparaisse accolé à celui essentiellement du marketing direct et de la


d’associations6. Jusque dans les années 1980, collecte de fonds10. Il est en tout cas révéla-
l’attitude des responsables associatifs face à teur de constater que les ouvrages en langue
l’entreprise était souvent caractérisée par la française consacrés à ce sujet sont bien rares,
méconnaissance et la méfiance. L’entreprise jusqu’au dernier en date en 200811, contraire-
apparaissait fréquemment comme le symbo- ment à une littérature très abondante aux
le d’un monde éloigné idéologiquement des États-Unis ou en Angleterre12. En effet, l’ap-
associations et dont certaines « déviances » plication du marketing au secteur associatif
devaient justement être combattues par un dans notre pays a fait et fait encore débat,
nécessaire contre-pouvoir associatif. Il suffit nous allons le voir.

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de se remémorer les luttes écologiques qui
opposaient, parfois violemment, militants Des oppositions importantes
associatifs et industriels. Dans ce contexte, le
monde associatif, comme le monde industriel à l’utilisation du marketing
avant lui, ne pouvait que se montrer difficile- dans les associations
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ment perméable à certaines méthodes venant


de l’entreprise et notamment au marketing, Né dans un univers marchand, le marke-
terme souffrant qui plus est de sa consonan- ting a-t-il légitimité à s’immiscer dans la
ce américaine. C’est pourquoi, en 1988, sphère non marchande ? Certains auteurs
notre livre consacré au management et au s’opposent fortement à cette tendance. Éric
marketing des associations, premier du genre Dacheux, professeur de sciences de l’infor-
en France, fut prudemment intitulé mation et de la communication, représente
Associations : réussir votre développement7. bien, en France, ce front du refus. Le sous-
D’autres auteurs, à cette même période, déci- titre de son livre Associations et communica-
daient de se focaliser sur la communication tion13 exprime clairement son objectif : il
des associations8, thème moins polémique. s’agit d’une « critique du marketing » qui
s’inscrit à cet égard dans une longue histoire
C’est seulement en 1993 que notre mais insiste sur les spécificités du monde
deuxième ouvrage pouvait clairement choisir associatif. En essayant de démêler les fils de
comme titre Marketing pour associations9 cette critique virulente, nous pouvons distin-
tout en utilisant un sous-titre précisant l’es- guer quatre niveaux différents.
prit de la démarche proposée : L’efficacité au
service de vos valeurs. Entre-temps, Jean Di Le premier refuse avec le marketing une
Sciullo avait écrit Marketing et communica- « conception libérale de l’organisation qui
tion des associations, livre traitant en fait s’introduit dans le monde associatif » (p. 62),

6
Nous ne traitons dans cet article que du cas des associations, sachant qu’il existe d’autres formes d’organisations pri-
vées à but non lucratif constituant en France ce que l’on dénomme l’économie sociale et solidaire, à savoir les coopé-
ratives et les mutuelles.
7
J.-P. Flipo et F. Mayaux, Associations : réussir votre développement, Paris, Les Éditions d’Organisation, 1988.
8
A. Vaccaro, Communication et collecte de fonds, Paris, Chalopin, 1987 ; P. Gaborit, Associations et communication,
Paris, La Documentation Française, 1989.
9
F. Mayaux et R. Revat, Marketing pour associations : l’efficacité au service de vos valeurs, Paris, Éditions Liaisons,
1993.
10
J. Di Sciullo, Marketing et communication des associations, Lyon, Éditions Juris Service, 1990.
11
K. Gallopel-Morvan, P. Birambeau, F. Larceneux, S. Rieunier, Marketing et communication des associations, Paris,
Dunod, 2008.
12
Il n’y a malheureusement pas l’équivalent du travail de F. Cochoy (Une histoire du marketing, op. cit.) sur l’histoi-
re du marketing en France.
13
É. Dacheux, Associations et communication. Critique du marketing, Paris, CNRS Éditions, 1998.

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qui « réduit le citoyen à son rôle de consom- vendus par des entreprises dont une partie du
mateur » (p. 63), qui veut « résoudre des pro- prix est reversée à une cause sociale ou à une
blèmes sociaux avec un instrument écono- association. Éric Dacheux considère que les
mique » (p. 64). La démarche marketing est associations sont généralement les grandes
vue comme le symbole d’un modèle entre- perdantes de cette forme de collaboration
preneurial « imprégné d’une conception pro- avec les entreprises, en cédant l’utilisation de
ductive de l’activité » (p. 36) et qui « nie ce leur image (qui s’en trouve souvent détério-
qui fait la richesse et la qualité de la vie asso- rée) pour des revenus finalement très faibles.
ciative : la vie démocratique et la contesta- Un quatrième niveau de critique porte sur
tion sociale » (p. 42). En bref, « l’essence du le recours aux cabinets de conseil spécialisés

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marketing, son nom l’indique bien, c’est le qui, en élargissant l’application du marketing
marché. Pas de marketing sans marché. aux associations, veulent surtout s’ouvrir de
Parler de marketing associatif est donc une nouveaux débouchés mais sans tenir compte
aberration totale » (p. 64). des réelles particularités de ce secteur. Selon
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Le deuxième niveau de critique porte l’auteur, c’est d’ailleurs « une constante du


sur la démarche marketing dont les étapes marketing que de nier la spécificité des orga-
clés (notamment la segmentation et le nisations auxquelles il s’applique » (p. 35).
ciblage) sont considérées comme totalement Certaines des critiques d’Éric Dacheux
contraires à la philosophie associative : peuvent paraître discutables. Par exemple, de
« cibler, c’est considérer l’autre non comme nombreuses associations expérimentent quo-
un sujet mais comme un objet : une cible. tidiennement l’efficacité de leurs démarches
Segmenter, c’est discriminer, trier entre les marketing sur le montant des dons recueillis
bons et les mauvais citoyens » (p. 115). Cette ou sur l’impact d’événements mis en place.
critique peut être partagée par des ensei- Quant aux problèmes éthiques soulevés par
gnants de marketing. Le professeur de mar- le rapprochement et les partenariats entre
keting Gilles Marion considère ainsi égale- entreprises et associations, tout en devant
ment qu’« en multipliant les opérations de être soulignés, ils sont très peu fréquents et
segmentation, le marketing est non seule- souvent bien repérés par des responsables
ment solidaire de la fragmentation des associatifs conscients et soucieux de l’image
marchés mais aussi de la fragmentation et des valeurs de leurs organisations.
sociale »14.
Cependant l’approche de Dacheux reflète
Une troisième critique porte sur les bien des conceptions qui, dix ans après, sont
méthodes et techniques marketing dont l’uti- encore partagées par de nombreux acteurs
lisation dans les associations a « des consé- associatifs. Karine Gallopel-Morvan, maître
quences plus néfastes les unes que les de conférences en marketing, et ses collègues
autres » (p. 61). Ces techniques sont présen- considèrent ainsi que « la formation des diri-
tées comme inefficaces (le couponing, le geants associatifs au marketing se heurte à
mailing, les messages publicitaires font sou- des résistances parfois vives » et listent des
vent perdre de l’argent, les événements critiques émises envers le marketing : celui-
médiatiques banalisent et démobilisent…), ci serait budgétivore, intrusif, manipulateur
cautionnant des pratiques contestables de et peu éthique ; l’intrusion de professionnels
certaines entreprises (dans le cas par exemple du marketing s’avèrerait néfaste ; le marke-
des « produits partage »), et posant de graves ting bouleverserait les valeurs associatives ;
problèmes éthiques (comme le lobbying). la petite taille des associations ne leur donne-
Les « produits partage » sont des produits rait pas réellement les moyens de pouvoir

14
G. Marion, Idéologie marketing, Paris, Eyrolles, 2004, p. 177.

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FRANÇOIS MAYAUX

appliquer les techniques coûteuses du marke- contexte change, les problèmes à résoudre et
ting15. les techniques applicables restent-ils iden-
tiques ? Faut-il enfin chercher à adapter le
De plus, il est intéressant de noter que les
marketing d’entreprise en tenant compte de
critiques d’Éric Dacheux rejoignent les nom-
certaines spécificités des associations, voire
breuses critiques émises envers le marketing
modifier le concept (ou le paradigme) même
en général et non seulement son applicabilité
du marketing pour que cette discipline puisse
au secteur associatif, depuis le début du XXe
siècle, et plus tard avec Vance Packard s’adapter aussi bien aux entreprises qu’aux
notamment qui dénonce en 1957, année de organisations à but non lucratif ? C’est cette
parution de son livre aux États-Unis, les dernière voie que nous souhaitons suivre.

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manipulations des publicitaires et des marke-
ters, jusqu’aux « casseurs de pub » aujour- Élargir le champ d’application
d’hui16. En s’interrogeant sur la contribution du marketing nécessite
du marketing à la société, Wilkie et Moore d’élargir sa définition
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ont repéré quatre grandes catégories de cri-


tiques : celles concernant le système de Le marketing évolue fréquemment dans
valeurs et les enjeux de la société, celles ses fondements, comme l’illustrent quatre
adressées généralement par les mouvements définitions élaborées par des auteurs diffé-
de consommateurs pour que le marketing rents, tous spécialistes de marketing, français
serve mieux les intérêts des consommateurs, et américains, entre 1996 et 2007 (encadré 1).
celles portant sur les pratiques marketing et
notamment les excès de la publicité et l’in- La première définition, par le vocabulaire
suffisance de l’information, celles enfin employé, ne permet guère d’envisager une
concernant des problèmes épisodiques soule- quelconque application du marketing à
vés par des comportements abusifs tels que la d’autres organisations que l’entreprise. La
publicité mensongère, la pression des ven- deuxième insiste sur la grande révolution
deurs ou des prix excessifs17. épistémologique de la discipline marketing
qui consiste non plus à vouloir servir un mar-
Surtout, Éric Dacheux soulève un véri- ché (d’où le mythe du client-roi qu’il faut
table questionnement sur la légitimité d’une servir en satisfaisant ses besoins) mais à s’in-
discipline née « ailleurs » (dans les entre- téresser aux conditions de l’échange entre
prises capitalistes) à s’appliquer « ici » (dans une organisation (par exemple une associa-
les associations). Faut-il comme Dacheux tion) et les différentes entités avec lesquelles
refuser résolument l’intérêt du marketing elle est en relation (par exemple des adhé-
dans le secteur associatif ? Faut-il au contrai- rents, des donateurs, des subventionneurs).
re adopter le marketing d’entreprise tel quel
(ce qui est la posture de l’article fondateur de La troisième définition se situe dans la
Kotler et Levy voulant faire comprendre aux même lignée, désormais largement majoritai-
responsables d’organisations à but non lucra- re dans la communauté des chercheurs en
tif qu’eux aussi, tout comme les responsables marketing (marketing as science of exchan-
d’entreprise, ont un produit à vendre, des ge), mais en apportant deux précisions
prix à fixer, une distribution à optimiser et importantes au niveau de la nature de
des cibles à définir) ? Autrement dit, si le l’échange concerné. Tout d’abord, il s’agit

15
K. Gallopel-Morvan, P. Birambeau, F. Larceneux, S. Rieunier, Marketing et communication des associations, op.
cit., p. 9.
16
V. Packard, La persuasion clandestine, Paris, Calmann-Lévy, 1959.
17
W. L. Wilkie, E. S. Moore, « Marketing’s Contribution to Society », Journal of Marketing, 69, 1999, p. 198-218.

102 ENTREPRISES ET HISTOIRE


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LE MARKETING AU SERVICE DES ASSOCIATIONS : LÉGITIMITÉ ET SPÉCIFICITÉS

Encadré 1. Quatre définitions du marketing


1. « Démarche de recherche des besoins des consommateurs et acheteurs permettant de
définir l’offre de l’entreprise en termes de produit, de distribution et de prix en fonction
de ces besoins, puis de faire connaître et apprécier cette offre à travers des actions publi-
promotionnelles » (Pierre Grégory, 1996).
2. « L’ensemble des processus mis en œuvre par une organisation pour comprendre et
influencer dans le sens de ses objectifs les conditions de l’échange entre elle-même et
d’autres entités, individus, groupes ou organisations » (Pierre-Louis Dubois et Alain
Jolibert, 1998).

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3. « Le pilotage de l’échange marchand en situation concurrentielle » (Gilles Marion,
2004).
4. « L’activité, l’ensemble des institutions et des processus visant à créer, communiquer,
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délivrer et échanger des offres qui ont de la valeur pour les consommateurs, les clients,
les partenaires et la société dans son ensemble »* (American Marketing Association,
2007).
Sources : P. Grégory, Marketing, Paris, Dalloz-Sirey, 2e édition, 1996 ; P.-L. Dubois et A. Jolibert, Le mar-
keting. Fondements et pratiques, Paris, Économica, 1998 ; G. Marion, Idéologie marketing, Paris, Eyrolles,
2004, p. 140 ; American Marketing Association, definition approved by the Board of Directors, October
2007, http://www.marketingpower.com/AboutAMA/Pages/DefinitionofMarketing.aspx?sq=definition+
of+marketing.
* Notre traduction de : « Marketing is the activity, set of institutions, and processes for creating, commu-
nicating, delivering, and exchanging offerings that have value for customers, clients, partners, and socie-
ty at large ».

d’un échange en situation concurrentielle. Le taux de croissance annuel moyen du nombre


marketing suppose en effet la possibilité d’un d’associations (4 %) est supérieur à celui de
choix. C’est pourquoi il n’est guère possible leur financement (2,5 %), d’où une concur-
de parler de marketing politique dans le rence accrue entre associations pour attirer
cadre d’un régime totalitaire ou de marketing les ressources. Une des causes du développe-
des causes sociales si tout est défini par la loi ment du marketing dans les associations se
(par exemple, le cas de la limitation des nais- situe sans doute dans l’existence d’une
sances en Chine). Même si le mot de concur- concurrence de plus en plus importante et
rents est souvent mal perçu dans le milieu donc d’un choix de plus en plus large : choix
associatif qui préfère ceux de confrères ou de des bénévoles potentiels pour sélectionner
partenaires, il décrit cependant une réalité de leur terrain d’engagement, choix des dona-
plus en plus prégnante. Pour ne prendre teurs potentiels pour sélectionner les causes
qu’un seul indicateur quantitatif, rappelons qu’ils souhaitent soutenir, choix des subven-
que, depuis l’an 2000, il s’est créé environ tionneurs, choix des mécènes pour retenir
70 000 associations par an. V. Tchernonog18 des associations partenaires… Si le choix
estime qu’en solde net (en tenant compte des n’existait pas, on pourrait parler de persua-
disparitions), le nombre d’associations a aug- sion, de conviction ou de communication
menté de 220 000 en 6 ans, et précise que le mais sans doute pas de marketing.

18
V. Tchernonog, Le paysage associatif français, mesures et évolutions, Paris, Juris Associations-Dalloz, 2007.

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Ensuite, cette troisième définition du appelle un profit symbolique (et donc consti-
marketing (cf. encadré 1) précise que l’objet tutif d’un capital symbolique) pourrait être
du marketing est le pilotage d’un échange pris en charge par les modèles du marke-
marchand. Mais cette deuxième précision ting20. Ce point est central car si le marketing
nous apparaît plus contestable : pourquoi res- reste cantonné dans la sphère du marché au
treindre le marketing aux échanges mar- sens néoclassique du terme, on comprend la
chands ? Est-ce pour le situer dans une cer- première critique idéologique de Dacheux, et
taine continuité : né dans l’entreprise, il res- les risques de « marchandisation » immédia-
terait cantonné aux situations marchandes ? tement invoqués à son encontre. Kotler et
Cette conception limiterait de fait l’applica- Levy avaient d’ailleurs souhaité substituer au

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tion du marketing aux associations qui, terme de marketing connotant trop les tran-
certes, gèrent parfois un certain nombre sactions marchandes celui plus général de
d’échanges marchands (des prestations de furthering (further signifiant faciliter,
services par exemple) mais aussi des accompagner). Mais cette tentative n’eut pas
échanges sociaux et symboliques (l’accom- de lendemain…21.
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pagnement de personnes en difficulté, la rela- La quatrième définition, celle de


tion avec un bénévole…). Gilles Marion pré- l’Association Américaine du Marketing, pro-
cise d’ailleurs en évoquant ce point précis de pose comme but du marketing le processus
l’application du marketing aux organisations de création et d’échange d’offres dont la
à but non lucratif (OBNL)19 : « Puisque le valeur est reconnue non seulement par les
marketing est une discipline qui vise à piloter consommateurs, clients et partenaires mais
l’échange marchand en situation concurren- aussi par la société en général. On ressent ici
tielle, les OBNL à considérer sont celles qui l’influence très actuelle de la problématique
œuvrent dans le secteur marchand. Pour de la responsabilité sociale des entreprises et
celles qui appartiennent au secteur non mar- du développement durable considérant que
chand, la question est de savoir quelles sont l’entreprise doit exercer, d’une manière res-
les logiques et les techniques – propres au ponsable, un triple rôle économique, social et
marketer et non au sociologue, au psychoso- environnemental22. Cette définition introduit
ciologue ou à une autre discipline – qui la notion – sur laquelle nous reviendrons – de
conservent quelque pertinence pour ces orga- parties prenantes (stakeholders), pour carac-
nisations ». Finalement, la restriction de tériser le fait que le marketing doit bénéficier
Marion rejoint l’opposition initiale de Luck à aussi bien à l’organisation qui l’utilise
l’élargissement du marketing proposé par qu’aux différents interlocuteurs avec lesquels
Kotler et Levy. elle est en relation.
Nous considérons pour notre part que le À l’issue de cette rapide analyse, nous
pilotage de ces échanges sociaux et symbo- pourrions proposer la définition suivante du
liques peut également constituer un des marketing : « permettre à une organisation de
objets du marketing. Ainsi – même si cet mieux piloter les échanges avec ses diffé-
auteur aurait sans doute contesté cette appli- rentes parties prenantes dans une situation de
cation de ses concepts – ce que Bourdieu concurrence ».

19
G. Marion, Idéologie Marketing, op. cit., p. 176.
20
P. Bourdieu, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979.
21
F. Cochoy, Une histoire du marketing, op. cit., p. 227.
22
Voir par exemple : E. Reynaud, F. Depoers, C. Gauthier, J.-P. Gond, G. Schneider-Maunoury, Le développement
durable au cœur de l’entreprise. Pour une approche transversale du développement durable, Paris, Dunod, 2006 ou
encore : F. Aggeri et O. Godard (dir.), Les entreprises et le développement durable, Entreprises et Histoire, n° 45,
2006.

104 ENTREPRISES ET HISTOIRE


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LE MARKETING AU SERVICE DES ASSOCIATIONS : LÉGITIMITÉ ET SPÉCIFICITÉS

Cet élargissement de la définition du


marketing peut paraître excessif et manifes- LES SPÉCIFICITÉS
ter une prétention hégémonique parmi les DU MARKETING ASSOCIATIF
domaines de la gestion, impression que cer-
tains auteurs prosélytes ont maladroitement
renforcée à travers le temps en affirmant par Nous présenterons successivement cinq
exemple « La révolution marketing vient caractéristiques importantes des associations
juste de commencer » ou encore « Le marke- qui permettent de dessiner les spécificités du
ting est tout et tout est marketing »23. marketing dans ce contexte associatif.
Rappelons à cet égard cette phrase de conclu- Chacune de ces caractéristiques nécessiterait
de longs développements. Cet article ne se

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sion dans l’article fondateur de Kotler et
Levy : « Aucune organisation ne peut éviter fixe aucunement l’ambition de l’exhaustivité
le marketing ». Il est vrai que ces auteurs mais souhaite fournir une représentation des
définissaient la finalité du marketing comme enjeux majeurs. C’est dans cet esprit que
étant rien de moins que de « servir et satis- nous terminerons cette partie en proposant un
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faire des besoins humains »24. schéma de synthèse d’une démarche marke-
ting adaptée aux associations.
Cela dit, cette définition élargie est préci-
sément selon nous une condition indispen- La mission et le projet
sable à l’élargissement du champ du marke-
ting. Elle caractérise bien le fait que vouloir
associatif sont premiers
mettre le marketing au service d’autres
Les entreprises capitalistes trouvent leur
formes d’organisations que l’entreprise capi-
raison d’être dans la vente de produits et ser-
taliste ne vise pas, contrairement à la crainte
vices dont des acheteurs reconnaissent la
exprimée par Dacheux, à vouloir imposer
valeur en les acquérant pour un prix donné ;
partout une logique de marché, dans une
les entrepreneurs, les actionnaires, voire les
perspective économique libérale. Cette défi-
salariés, bénéficiant des profits éventuelle-
nition est le socle de la discipline marketing,
ment dégagés. Certes, de plus en plus de diri-
garante de son unicité qui ne nie pas, loin de
geants considèrent que leur entreprise n’est
là (et contrairement encore à une des cri-
pas uniquement « en marché » mais aussi
tiques de Dacheux), les spécificités de ses
« en société »25 et qu’elle a donc également
différents terrains d’application. Il y a long-
une responsabilité sociale. La promotion de
temps par exemple que les chercheurs en
« l’entreprise citoyenne » ou « socialement
marketing ont relevé des différences
responsable » est d’ailleurs au fondement
majeures entre le marketing des produits de
d’un « nouvel esprit du capitalisme »26 qu’ex-
grande consommation et celui des produits
prime totalement aujourd’hui la notion de
industriels et des services. Les spécificités du
développement durable.
marketing associatif sont également nom-
breuses et font l’objet de la deuxième partie Mais la mission sociale est première dans
de cet article. le cas d’associations qui n’ont pas pour fina-

23
R. J. Keith, « The marketing revolution », Journal of Marketing, 24, 1960, p. 35-48 ; R. McKenna, « Marketing is
Everything », Harvard Business Review, 69, January-February 1991, p. 65-79.
24
P. Kotler, S. J. Levy, « Broadening the Concept of Marketing », art. cit.
25
A.-C. Martinet, Management stratégique : organisation et politique, Paris, Mc Graw Hill, 1984.
26
L. Boltanski et E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.

SEPTEMBRE 2009 – N° 56 105


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FRANÇOIS MAYAUX

lité de dégager du profit. Les associations publics et l’ouverture ; les secteurs d’inter-
cherchent souvent à transformer l’environne- ventions pas ou mal couverts par les autres
ment dans lequel elles se situent dans le sens agents économiques ou par les collectivités
de la mission qu’elles se fixent. Comme le publiques ; l’existence de financements
précise Renaud Sainsaulieu, « l’association publics ou parapublics ; l’existence d’un
vise d’abord à résoudre un problème de agrément ministériel ou d’une habilitation ».
société en tablant sur la force des collectifs et Cette liste d’attributs, fort instructive, ne per-
sur celle des engagements de chacun »27. met pas de clore un débat particulièrement
sensible et objet de nombreuses contro-
À ce niveau, il nous semble nécessaire de
verses. À la fin d’une récente thèse d’écono-
nous arrêter rapidement sur le concept cen-

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mie consacrée à cette notion, Hélène Trouvé
tral d’« utilité sociale », invoqué de façon
conclut sur le constat de « l’impossibilité de
croissante par le monde associatif pour se
l’utilité sociale comme convention de coordi-
distinguer des entreprises capitalistes.
nation » : « La notion d’utilité sociale […]
Précisons toutefois que celles-ci revendi-
demeure un concept polysémique répondant
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quent elles-aussi leur contribution à l’utilité


à des mobilisations diverses et contingen-
sociale, comme l’indique cet extrait d’un rap-
tes »29. L’enjeu n’est pas mince car tenter de
port récent du MEDEF : « Une entreprise du
définir l’utilité sociale revient nécessaire-
secteur marchand peut avoir une activité
ment à mettre en évidence des associations
d’utilité sociale (tourisme, loisirs, services à
qui ne peuvent s’en prévaloir… par exemple,
la personne…) »28. Selon la Direction généra-
des associations « para-lucratives », presta-
le des Impôts (alinéa 62 de l’instruction fis-
taires de services, ayant choisi cette forme
cale 4 H-5-06 n° 208 du 18 décembre 2006),
juridique principalement parce qu’elle limite
« est d’utilité sociale l’activité qui tend à
les risques, notamment au niveau de l’apport
satisfaire un besoin qui n’est pas pris en
en capital. Il convient donc de se méfier
compte par le marché ou qui l’est de façon
d’une conception angélique du secteur asso-
peu satisfaisante ». Le Conseil National de la
ciatif, faisant fi de sa diversité. Toutes les
Vie Associative (CNVA), dans son avis du 15
associations n’ont pas pour ambition de
juillet 2005, va beaucoup plus loin en cher-
changer la société ou de promouvoir des
chant à cerner des attributs significatifs de
valeurs !
l’utilité sociale, des indicateurs qu’il précise
comme étant « non exclusifs, non cumulatifs Il reste que la définition d’une mission
et non exhaustifs les uns des autres ». Selon précise est considérée comme une priorité,
lui, ce sont « la primauté du projet, finalité de comme un préalable indispensable pour gui-
l’association ; le fonctionnement démocra- der les acteurs associatifs. Loin de nier cette
tique ; l’apport social de l’association à la dimension « missionnaire », comme le craint
collectivité et dont les indicateurs d’appré- Éric Dacheux, le marketing est appelé à se
ciation ne se mesurent pas seulement en mettre au service de la « mission » de l’asso-
termes économiques […] ; la non-lucrativité ciation. C’est désormais le conseil de tous les
[…] ; la gestion désintéressée […] ; la capa- auteurs dans ce domaine. Lovelock et
cité à mobiliser la générosité humaine (béné- Weinberg ont certes noté que cela pouvait
volat) ou financière (don) ; le mixage des générer des tensions30. En effet, alors que le

27
R. Sainsaulieu, « Préface », in P. Boulte, Le diagnostic des organisations appliqué aux associations, Paris, PUF,
1991, p. 9.
28
MEDEF, Concurrence : marché unique, acteurs pluriels. Pour de nouvelles règles du jeu, mai 2002.
29
H. Trouvé, L’utilité sociale : des pratiques aux représentations. Une étude de cas dans le champ de l’insertion par
l’activité économique, thèse de doctorat de sciences économiques, Université Paris I, 2007, p. 284.
30
Ch. Lovelock, C. B. Weinberg, Public and nonprofit marketing, 2nd ed., San Francisco (CA), Scientific Press, 1990.

106 ENTREPRISES ET HISTOIRE


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LE MARKETING AU SERVICE DES ASSOCIATIONS : LÉGITIMITÉ ET SPÉCIFICITÉS

marketing insiste sur la nécessité de privilé- veut y aller. Nous avons souvent pu expéri-
gier la satisfaction des consommateurs, les menter la pertinence de ces propos en marke-
Organisations à but non lucratif (OBNL) – ting. Par exemple, ayant accompagné à la fin
c’est l’expression utilisée généralement par des années 1990 le Musée-Mémorial des
les auteurs nord-américains (nonprofit orga- Enfants d’Izieu32, nous avions mis en éviden-
nizations ou not-for-profit organizations) – ce à cette époque deux visions différentes de
se donnent avant tout une mission à remplir la mission chez certains dirigeants de cette
pouvant aller à l’encontre des aspirations à association (tableau 1). Ces deux visions,
court terme de leurs clients. Ainsi, la mission toutes les deux fort utiles et pertinentes au
d’une Église entraînera des sacrifices et des demeurant, pouvaient néanmoins conduire à

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renoncements personnels pour ses fidèles. des politiques très différentes. Par exemple,
Une OBNL dans le domaine culturel cher- mettre en place une exposition temporaire
chera souvent à promouvoir des formes artis- sur le Rwanda n’avait guère de sens dans le
tiques (peinture contemporaine par exemple) cadre de la vision « originelle » de l’associa-
nécessitant un effort d’adaptation de la part tion alors que cette initiative s’inscrivait par-
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de ses membres. faitement dans le cadre d’une vision « élar-


gie ». Une politique marketing (allant de
Siri N. Espy estimait en 1986 qu’une
l’offre à la communication) ne peut se
mission bien formulée constitue la pierre
déployer efficacement dans les associations
d’angle (cornerstone) du management straté-
qu’en s’appuyant sur une formulation préci-
gique d’une association et donnait quelques
se, et partagée en interne, de la mission.
conseils afin de parvenir à une bonne formu-
lation de la mission : texte court, explicite, Le marketing doit donc être un outil au
exprimant l’identité de l’organisation et sa service de la mission et, plus globalement, du
différence, permettant de justifier la nature projet associatif qui formule, outre la mis-
de ses activités actuelles et futures31. Les buts sion, les grands principes de fonctionnement
de l’organisation doivent être exprimés clai- et les objectifs généraux de l’association33. Il
rement afin que chaque personne impliquée n’est pas du ressort du marketing de définir le
sache où va l’organisation et comment elle projet associatif. Cette tâche fondamentale

Tableau 1. Deux visions de la mission du Musée – Mémorial des Enfants d’Izieu.

31
S. N. Espy, Handbook of Strategic Planning for Nonprofit Organizations, New York, Praeger, 1986.
32
Le Musée-Mémorial des Enfants d’Izieu dans l’Ain (qui, depuis l’an 2000, s’appelle la Maison d’Izieu) a ouvert en
1994, à l’endroit même où 50 ans plus tôt, des enfants juifs qui se cachaient avec leurs éducateurs furent raflés sur
ordre de Klaus Barbie, responsable de la Gestapo de Lyon, et déportés.
33
D’après F. Mayaux et R. Revat, Marketing pour associations…, op. cit., p. 44-51.

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FRANÇOIS MAYAUX

est de la responsabilité des membres et diri- distinction entre le marketing pour l’attrac-
geants, le marketing étant simplement appelé tion des ressources et celui pour l’allocation
à servir le plus efficacement possible la pro- des ressources. En effet, les personnes qui
motion et l’accomplissement de la mission bénéficient des offres des organisations à but
retenue. Cependant le savoir-faire marketing non lucratif le font souvent gratuitement ou
permet, d’une part, d’apporter des éléments avec des réductions conséquentes. Illustrons
d’appréciation du projet associatif par les dif- ce point clé avec des exemples français :
férentes parties prenantes et, d’autre part, • Le bénéficiaire de l’action d’une asso-
d’améliorer la compréhension du projet en ciation du secteur sanitaire et social (un
travaillant sur sa formulation et sa communi- handicapé, un chômeur en processus de

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cation. Dès lors, le risque existe que le mar- réinsertion…) ne finance généralement
keting puisse, implicitement ou explicite- pas la totalité des services qu’il reçoit.
ment, intervenir pour transformer le projet C’est un subventionneur (en l’occur-
dans un sens jugé plus « porteur » ou plus rence l’État, la DDASS, une collectivi-
« communiquant ». C’est ce risque qui
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té territoriale…) qui donne à l’associa-


devrait, selon nous, susciter une vraie tion la plus grande partie des moyens
réflexion critique et responsable sur l’appli- lui permettant d’accomplir sa mission.
cation du marketing dans les associations,
nécessitant d’aller plus loin que la supposée • Une association humanitaire sera
« neutralité » de l’outil marketing. financée par des aides publiques
(venant de l’État ou de l’Europe) et par
des donateurs privés, non par les per-
Deux « marchés » : sonnes qu’elle soutient au quotidien.
les bénéficiaires et
les financeurs • Une association culturelle ne pourra
généralement pas équilibrer son budget
Shapiro distingue deux grands types de seulement avec les entrées de ses spec-
marché pour une organisation à but non tacles. Elle aura besoin de subventions
lucratif (OBNL) : les « clients » auxquels publiques et/ou de l’apport de
elle procure des biens ou des services et les mécènes.
« donateurs » desquels elle tire ses res- Viviane Tchernonog38 caractérise cet
sources34. Cette approche est reprise par de enjeu par des données économiques
nombreux auteurs. Rados considère par précises : les financements publics de tous
exemple qu’une OBNL est face à deux types types (subventions, prestations, prix de jour-
d’interlocuteurs : les backers (commandi- née…) représentent en moyenne plus de
taires, partisans), c’est-à-dire ceux qui procu- 50 % des ressources des associations en
rent à l’organisation de l’argent ou du temps, France, alors que les recettes d’activités pri-
et les « clients » que l’organisation cherche à vées ne pèsent que moins d’un tiers. Le reste
servir35. Lovelock et Weinberg36 ainsi que est constitué par les cotisations des membres
Sargeant37 estiment de même que la grande (environ 12 %) et par les dons des particu-
spécificité du secteur à but non lucratif est la liers et des entreprises (environ 5 %).

34
B. Shapiro, « Marketing for Nonprofit Organizations », Harvard Business Review, September-October 1973, p. 123-
132.
35
D. Rados, Marketing for Non-Profit Organizations, Boston, Auburn House Publishing Company, 1981.
36
Ch. Lovelock, C. B. Weinberg, Public and nonprofit marketing, op. cit.
37
A. Sargeant, Marketing Management of nonprofit organizations, Oxford, Oxford University Press, 1999.
38
V. Tchernonog, Le paysage associatif français, op. cit.

108 ENTREPRISES ET HISTOIRE


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LE MARKETING AU SERVICE DES ASSOCIATIONS : LÉGITIMITÉ ET SPÉCIFICITÉS

Dans ce contexte, le marketing ne peut se attentes du donateur, ces messages ne


contenter de piloter les échanges avec les doivent pas trahir la réalité du travail de
bénéficiaires de l’association. Il doit aussi l’association sur le terrain ; les sommes
œuvrer pour la recherche et la fidélisation de investies dans la collecte doivent être
donateurs individuels ou institutionnels qui raisonnables, d’où l’importance de
vont permettre à l’organisation d’accomplir labels et d’organismes de contrôle44 ;
sa mission. C’est pourquoi, comme le consta-
• les techniques de sollicitation et leur
tent Bennett et Sargeant39 dans leur introduc-
efficacité : Gallopel-Morvan et ses col-
tion au dossier spécial du Journal of Business
lègues45 fournissent une bonne vision
Research, le thème du fund raising est sans
de synthèse de ces techniques : la

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doute l’un des plus développés au niveau de
conception d’un mailing, la gestion
la recherche en marketing des organisations à
d’un fichier d’adresses, l’utilisation du
but non lucratif. De nombreuses directions
téléphone, le street marketing… Nous
de recherche sont actuellement suivies en
avons pour notre part traité spécifique-
fund raising, notamment :
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ment de la montée du don en ligne sur


• les motivations des donateurs : dans la Internet46.
lignée de Mauss40 et de Godbout41, dif-
Reconnaissons, pour la regretter, une
férents auteurs s’intéressent particuliè-
influence nord-américaine consistant à n’en-
rement à la nature du « contre-don »
visager que le financement privé (donateurs
qu’une personne peut rechercher par
individuels ou entreprises). Or, en France, les
son acte de don ;
chiffres cités précédemment le prouvent
• le profil des donateurs : la fréquence bien, c’est d’un savoir-faire en marketing
des dons en argent apparaît fortement envers les subventionneurs publics que les
corrélée avec l’âge, la catégorie socio- associations auraient souvent le plus
professionnelle et la pratique religieu- besoin…
se42, mais aussi avec certains facteurs
de personnalité comme l’empathie43 ; Au-delà du marché : le réseau
• une réflexion éthique : les messages relationnel
d’appel aux dons ne doivent pas jouer
sur des registres contestables (tels que La distinction précédente entre les béné-
la culpabilisation, le voyeurisme ou le ficiaires et les financeurs des associations
misérabilisme) ; tout en s’adaptant aux n’est pas encore suffisante pour décrire la

39
R. Bennett, A. Sargeant, « The nonprofit marketing landscape: guest editors’ introduction to a special section »,
Journal of Business Research, 58, 2005, p. 797-805.
40
M. Mauss, « Essai sur le don », Année sociologique, t. I, 1923-1924 (réédité in M. Mauss, Sociologie et anthropo-
logie, Paris, PUF, 2001).
41
J. T. Godbout, Le don, la dette et l’identité, Paris, La Découverte, 2000.
42
J. Malet, La générosité des Français, 12e édition, Paris, Centre d’Étude et de Recherche sur la Philanthropie
(Cerphi), 2007.
43
V. B. Eveland, T. N. Crutchfield, « Understanding Why People Give: Help for Struggling Aids-Related Nonprofits
», Journal of Nonprofit and Public Sector Marketing, vol. 12, n° 1, 2004, p. 23-36.
44
P. Avare et P. Eynaud, « L’autorégulation des associations faisant appel public aux dons », in C. Hoarau, J.-L. Laville
(dir.), La gouvernance des associations. Économie, sociologie, gestion, Toulouse, Éditions Érès, 2008, p. 153-171.
45
K. Gallopel-Morvan, P. Birambeau, F. Larceneux, S. Rieunier, Marketing et communication des associations, op.
cit., chapitre 3.
46
F. Mayaux, « L’utilisation d’Internet pour la recherche de dons : contribution au marketing de l’Église catholique en
France », 7th International Congress Marketing Trends, Venice, 17th-19th January, 2008.

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FRANÇOIS MAYAUX

complexité du contexte associatif. De par d’autres associations pour des partenariats,


leur objet même, les associations se trouvent les collectivités locales, les autorités
souvent profondément insérées dans la Cité, publiques, le monde social et culturel, etc.
dans la vie sociale, et sont ainsi amenées à
Un des enjeux du marketing des associa-
côtoyer et à travailler avec de nombreux
tions consiste donc à gérer au mieux ce réseau
organismes ou individus.
de relations complexes. En effet, la notion de
On appelle réseau relationnel47 l’en- marché ne peut prétendre fédérer l’ensemble
semble des interlocuteurs extérieurs d’une des interlocuteurs d’une association. Celle de
association qui ne sont ni ses bénéficiaires ni réseau permet mieux d’appréhender un systè-
ses financeurs, mais qui peuvent jouer un me d’actions et de relations dont le fonction-

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rôle dans son développement et dans l’ac- nement se situe entre celui d’une structure
complissement de sa mission. Afin de bien hiérarchique des pouvoirs, stable et bien orga-
distinguer les enjeux, le réseau relationnel ne nisée, et celui d’un marché atomisé par natu-
prend donc en compte ni les financeurs et re, fluide et mouvant. Jarillo (1988)48 estime
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bénéficiaires (analysés plus haut) ni les par- d’ailleurs que le concept de réseau a pour ori-
ties prenantes internes (que nous présente- gine l’univers des associations même si,
rons plus bas). ensuite, il a été repris par les entreprises qui
doivent également gérer des échanges avec
Un exemple concret, celui d’une radio
différents interlocuteurs49 : banquiers, action-
chrétienne associative, nous permettra
naires, organismes publics, etc.
d’illustrer ce qu’est un réseau relationnel. Il
existe aujourd’hui plus de 80 radios chré- Nous posons l’hypothèse que l’existence
tiennes en France qui ont comme bénéfi- de nombreux publics est pour les associa-
ciaires leurs auditeurs, et comme financeurs tions une caractéristique essentielle (au sens
les Églises, des donateurs ainsi que l’État propre du terme) alors que, pour les entre-
(via le fonds de soutien à l’expression radio- prises, l’élargissement du marketing à
phonique qui, comme son nom l’indique, d’autres interlocuteurs que les clients est plus
soutient financièrement des radios associa- généralement le résultat d’un «construit»,
tives dont les recettes commerciales repré- c’est-à-dire de la volonté ou non d’entrer en
sentent moins de 20 % de leur chiffre d’af- relation avec d’autres publics tels que les
faires total). Mais le développement d’une journalistes, les associations de consomma-
radio chrétienne dépend aussi de sa capacité teurs, etc. (ce qui est de plus en plus fréquent
à être présente et active dans un réseau rela- dans le cadre d’une politique de développe-
tionnel regroupant des parties prenantes ment durable qui s’appuie justement sur la
nombreuses et variées : les paroisses et autres théorie des parties prenantes). De plus, la lit-
communautés chrétiennes, les différents térature tend à montrer que le nombre de
mouvements, les services diocésains, les res- publics différents est plus élevé dans le cas
ponsables d’autres religions, d’autres d’une association que dans celui d’une entre-
médias, d’autres radios associatives et prise50.

47
F. Mayaux et R. Revat, « Marketing pour associations : gérer et développer un réseau relationnel externe », Revue
Française du Marketing, n° 146, 1994, p. 53-65.
48
J. C. Jarillo, « On Strategic Networks », Strategic Management Journal, vol. 9, 1988, p. 31-41.
49
R. E. Freeman, Strategic Management. A Stakeholder Approach, Boston, Pitman Publishing Inc., 1984.
50
Par exemple C. Waldo, A Working Guide for Directors of Not-for-Profit Organizations, New York, Quorum Books,
1986.

110 ENTREPRISES ET HISTOIRE


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LE MARKETING AU SERVICE DES ASSOCIATIONS : LÉGITIMITÉ ET SPÉCIFICITÉS

Le « marketing interne » pour ting interne »51 qui repose sur un constat : le
les salariés et les bénévoles premier « client » de l’entreprise de service
est son personnel en contact qu’il faut
La finalité des associations n’est pas convaincre et mobiliser.
matérielle. On souhaite promouvoir un senti- Pour une association, la situation est
ment de convivialité (clubs), un esprit de identique. Il lui faut, si l’on accepte la pers-
découverte (loisirs), un épanouissement (cul- pective de cet article, concevoir et mettre en
ture), un bien-être corporel (sport), un projet œuvre un marketing interne envers tous les
éducatif (formation), etc. Il convient donc acteurs qui la représentent auprès de ses dif-
d’analyser les associations comme des orga- férentes parties prenantes. Mais les associa-

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nisations délivrant des services et non des tions possèdent, par rapport aux entreprises,
produits. Le marketing de ces organisations une richesse supplémentaire qui est aussi une
peut par conséquent s’inspirer utilement des difficulté supplémentaire : le personnel en
recherches dans le champ du marketing des contact est majoritairement constitué de
services. Or l’une des spécificités majeures
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bénévoles et non de salariés (sans compter un


des services consiste en l’importance numé- troisième statut, plus récent, celui de volon-
rique et stratégique du personnel en contact taire associatif). À la base même de la loi de
avec la clientèle. Pour l’entreprise de produc- 1901, il y a les hommes et les femmes et leur
tion, le contact avec les clients s’effectue volonté de s’associer librement et de
principalement par la force de vente qui s’engager bénévolement. Selon Viviane
regroupe en moyenne de 2 à 10 % des effec- Tchernonog, près de 85 % des associations
tifs et qui touche le plus souvent des inter- françaises n’emploient aucun salarié et ne
médiaires (grossistes, distributeurs) et non le fonctionnent qu’avec des bénévoles52.
consommateur final. À l’inverse, dans une
organisation de services, le personnel en Un des enjeux majeurs du marketing est
contact avec la clientèle représente souvent donc d’aider les associations à recruter,
plus de la moitié et parfois la totalité des mobiliser et fidéliser des bénévoles sur un
effectifs. Au-delà de cette importance numé- « marché » de plus en plus concurrentiel. À
rique, le personnel en contact vend l’entre- ce niveau, la question la plus fréquente est de
prise au sens où, par ses comportements et savoir si les bénévoles s’engagent pour des
attitudes, il incarne sa société, la représente raisons principalement altruistes ou plutôt
physiquement, la tangibilise (alors que l’une pour des motifs égocentrés. Kotler et
des autres spécificités des services est leur Andreasen (1991)53 mettent surtout en évi-
caractère immatériel, intangible). L’impor- dence des motivations de valorisation per-
tance stratégique du personnel en contact est sonnelle : s’épanouir, donner une bonne
donc indéniable. Il faut le considérer comme image de soi, avoir le sentiment d’appartenir
la première cible de communication de l’or- à un groupe, se divertir. Une étude Cerphi –
ganisation afin qu’il soit informé des objec- France Bénévolat (2008)54 caractérise une
tifs, qu’il aille dans leur sens, partage les réalité plus nuancée. Les bénévoles interro-
mêmes valeurs, soit performant et efficace gés déclarent que les motivations suivantes
dans ses relations. On parle ainsi de « marke- ont joué un rôle lors de leur premier engage-

51
J.-P. Flipo, Le management des entreprises de services, Paris, Éditions d’Organisation, 1984.
52
V. Tchernonog, Le paysage associatif français, op. cit.
53
P. Kotler, A. Andreasen, Strategic Marketing for Nonprofit Organizations, 4th edition, Englewood Cliffs (NJ),
Prentice-Hall, 1991.
54
J. Malet, La France bénévole, 5e édition, Paris, Centre d’Étude et de Recherche sur la Philanthropie (Cerphi) et
France Bénévolat, 2008 (disponible sur http://www.francebenevolat.org).

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FRANÇOIS MAYAUX

ment bénévole (par ordre décroissant d’im- nombreux que les bénévoles réguliers. Est
portance) : le souhait d’être utile à la société considérée comme bénévole régulier par
et d’agir pour les autres (71 %), un épanouis- l’INSEE une personne qui donne au moins
sement personnel (49 %), le souhait d’appar- 86 heures par an de son temps, soit environ
tenir à une équipe (35 %), la cause défendue un jour par mois.
(34 %), le désir d’exercer une responsabilité En présentant en 2009 un état des lieux
(22 %), l’acquisition d’une compétence critique des travaux de la sociologie de l’en-
(19 %), la reconnaissance sociale (8 %), le gagement militant, les deux politistes
fait de pouvoir mesurer le fruit de ses efforts Frédéric Sawicki et Johanna Siméant don-
(6 %). La sociologue D. Ferrand-Bechmann, nent matière à réflexion à l’homme de mar-

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après avoir dressé une synthèse des travaux keting trop pressé de trouver des cadres
conduits sur le bénévolat, concluait : « s’ai- explicatifs rassurants et univoques débou-
der soi-même en aidant les autres est une des chant sur des recettes59. Ces auteurs souli-
clés de la compréhension de l’engagement gnent notamment la tendance à caractériser
bénévole »55.
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comme nouvelles des formes de militantisme


Assiste-t-on aujourd’hui à la fin des mili- qui n’ont parfois de nouveau que le nom. Ils
tants ? C’était déjà le titre en 1997 du livre de montrent surtout que la compréhension de ce
Jacques Ion qui constatait à la fois un déclin qui conduit à l’engagement (et peut ou non le
du militantisme traditionnel et la montée renforcer dans le temps) nécessite d’articuler
d’un « engagement distancié » supposant « les niveaux micro (les individus et leurs
« des individus déliés de leur appartenance, interactions en face-à-face), méso (les
valorisant des ressources personnelles, se groupes et les organisations plus ou moins
mobilisant ponctuellement sur des objectifs institutionnalisés) et macrologique (les trans-
limités pour une durée déterminée, privilé- formations socioéconomiques, culturelles et
giant l’action directe et l’efficacité immédia- politiques) » (p. 109). Axelle Brodiez illustre
te même restreinte »56. C’est un « idéalisme la richesse d’une telle approche en étudiant
pragmatique » (p. 105), un engagement les générations successives de militants à
« Post-it » libéré des entraves institution- Emmaüs depuis 60 ans60. Trajectoires indivi-
nelles, se collant, se décollant, se recollant à duelles et collectives se combinent pour
l’association, par épisodes isolés. expliquer les trajectoires militantes, dans une
très grande porosité au contexte social, éco-
Confirmant que le bénévolat n’est pas en nomique, religieux et politique. On est bien
déclin, Viviane Tchernonog estime à 14,5 loin de modèles utilitaristes ou de certaines
millions le nombre de bénévoles en France formes d’individualisme méthodologique
en 2005, soit une augmentation de 30 % en 6 auxquels n’échappent pas toujours les cher-
ans57. Mais Gallopel-Morvan et alii58 souli- cheurs en marketing quand ils abordent la
gnent que l’augmentation provient des béné- segmentation du « marché » des bénévoles
voles occasionnels qui sont désormais plus en termes de valeurs personnelles et de

55
D. Ferrand-Bechmann, Bénévolat et solidarité, Paris, Syros Alternatives, 1992, p. 75.
56
J. Ion, La fin des militants ?, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997, p. 100.
57
V. Tchernonog, Le paysage associatif français, op. cit.
58
K. Gallopel-Morvan, P. Birambeau, F. Larceneux, S. Rieunier, Marketing et communication des associations, op.
cit., chapitre 3.
59
F. Sawicki et J. Siméant, « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques ten-
dances récentes des travaux français », Sociologie du travail, 51, 2009, p. 97-125.
60
A. Brodiez, « Entre social et humanitaire : générations militantes à Emmaüs (1949-2009) », Le Mouvement Social,
n° 227, avril-juin 2009, p. 85-100.

112 ENTREPRISES ET HISTOIRE


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LE MARKETING AU SERVICE DES ASSOCIATIONS : LÉGITIMITÉ ET SPÉCIFICITÉS

caractéristiques61 ou le type de message le faible aux Assemblées Générales, par la dif-


plus adapté pour attirer des bénévoles poten- ficulté à trouver des candidats pour une fonc-
tiels62. tion élective, par un état d’esprit d’usager
plus que d’acteur. Par exemple, être licencié
Nous ne pouvons consacrer ici un déve-
d’un club de tennis serait surtout l’occasion
loppement exhaustif aux méthodes destinées
de pouvoir pratiquer son sport à moindre
à mieux cerner les motivations des bénévoles
et à gérer cette population, du recrutement à coût, être adhérent d’une association cultu-
la fidélisation63. Soulignons seulement que relle serait le moyen d’accéder à des visites et
ces bénévoles ne se contentent pas d’apporter à des loisirs à des tarifs avantageux, être
à l’association du temps non rémunéré et de membre d’une association de parents

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participer à des tâches mineures. Certains d’élèves donnerait l’opportunité d’être infor-
d’entre eux, en tant qu’administrateurs élus mé sur la vie de l’établissement scolaire et la
ou désignés par les statuts, sont considérés situation de son enfant… La dimension col-
comme les dirigeants en droit et les manda- lective serait ainsi oubliée au profit d’avan-
tages personnels. Les adhérents devien-
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taires sociaux de leur organisation.


draient presque des clients qu’il faudrait
convaincre et séduire et non des acteurs du
Une partie prenante projet associatif. Cette ubiquité du statut
ubiquiste : les membres d’adhérent constitue aujourd’hui un des
adhérents nœuds de la vie associative et un des enjeux
majeurs du marketing dans ce secteur.
Ils ont des noms différents selon les asso-
ciations : on les appelle adhérents, membres, Schéma de synthèse
licenciés… Généralement, selon les statuts,
ils ont voix délibérative à l’Assemblée La figure 1 permet de synthétiser les
Générale et peuvent se présenter aux élec- apports de la deuxième partie de cet article en
tions pour devenir administrateurs, membres proposant une représentation de la démarche
du bureau, et même président. Ils sont donc a du marketing associatif. Au cœur de ce sché-
priori les réels acteurs de la démocratie asso- ma figurent la mission et le projet associatif
ciative. Le mot d’adhérent est fort. Il sous- que le marketing est appelé à servir et à valo-
entend que l’on adhère au projet et à la mis- riser auprès de différentes catégories de par-
sion de l’association, que l’on en soit porteur. ties prenantes – il s’agit bien sûr à la fois des
Par conséquent, l’adhérent est évidemment parties prenantes actuelles (celles avec les-
une partie prenante interne majeure pour une quelles l’association est déjà en relation) et
association. des parties prenantes potentielles (celles avec
Pourtant, dans la pratique, on constate lesquelles l’association veut entrer en rela-
souvent des comportements bien éloignés de tion) : les bénéficiaires, les financeurs (sub-
cette conception. De nombreux dirigeants ventionneurs, donateurs individuels et insti-
associatifs déplorent ainsi le manque d’enga- tutionnels), le réseau relationnel (les autres
gement réel des adhérents qui se caractérise, parties prenantes externes), l’interne (béné-
par exemple, par un taux de participation très voles et salariés), les membres adhérents.

61
W. Wymer, « Segmenting volunteers used values, self-esteem, empathy, and facilitation as determinant variables »,
Journal of Nonprofit and Public Sector Marketing, vol. 5, n° 2, 1997, p. 3-28.
62
R. Bennett, R. Kottasz, « Advertising style and the recruitment of charity volunteers », Journal of Nonprofit and
Public Sector Marketing, vol. 8, n° 2, 2000, p. 45-63.
63
Sur la problématique de fidélisation des bénévoles : A. Omoto, M. Snyder, « Sustained help without obligation:
motivation, longevity of service, and perceived attitude change among AIDS volunteers », Journal of Personality and
Social Psychology, vol. 68, n° 3, 1995, p. 671-686.

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FRANÇOIS MAYAUX

Ces différentes catégories ne sont certes pas répondons ainsi à la première recommanda-
totalement étanches. On peut ainsi être adhé- tion de Gilles Marion pour construire une
rent et bénévole, bénévole et donateur, théorie spécifique du marketing des OBNL :
membre et bénéficiaire. Mais ces distinctions « Préciser quelles sont les parties prenantes à
sont essentielles pour cerner les différentes prendre en compte »65. Pour chacune de ces
facettes des publics visés, leurs différents parties prenantes, les techniques marketing
« rôles » – il ne s’agit donc pas, comme le peuvent se déployer, de l’analyse (études) à
craignait Éric Dacheux, de réduire le citoyen la communication. La difficulté de ce marke-
à un rôle de consommateur – et ainsi les dif- ting que l’on peut qualifier de « multipolai-
férents enjeux du marketing. Par exemple, Le re » est la cohérence d’ensemble que la réfé-

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Guen et Tchernonog opposaient « les asso- rence à la mission et au projet associatif doit
ciations dont les membres sont les bénéfi- permettre d’assurer.
ciaires et, de l’autre, les associations humani-
Un des intérêts de ce schéma est de pou-
taires, militantes dont les bénéficiaires sont
voir s’adapter à la grande diversité des asso-
différents des membres »64.
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ciations. L’importance respective des diffé-


Cette approche du marketing est particu- rents pôles, des différentes catégories de par-
lièrement extensive. Elle déborde largement ties prenantes, pourra en effet varier en fonc-
de la simple relation à un « client » (adhé- tion de certaines caractéristiques d’une asso-
rent, bénéficiaire) pour embrasser, fidèle à la ciation (sa taille, son financement, son mode
définition proposée du marketing dans cet de fonctionnement…) sans remettre en cause
article, l’ensemble des relations d’échange la pertinence d’ensemble de la démarche.
avec les différentes parties prenantes. Nous Pour illustrer ce point, nous pouvons faire
Figure 1. Le marketing associatif, une démarche multipolaire.

64
M. Le Guen et V. Tchernonog, « Logiques associatives et financement du secteur associatif. Essai de typologie », in
A. Alcouffe, B. Fourcade, J.-M. Plassard, G. Tahar (dir.), Efficacité versus équité en économie sociale, Paris,
L’Harmattan, 2000, p. 137-148.
65
G. Marion, Idéologie marketing, op. cit., p. 177.

114 ENTREPRISES ET HISTOIRE


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LE MARKETING AU SERVICE DES ASSOCIATIONS : LÉGITIMITÉ ET SPÉCIFICITÉS

référence à la typologie des « entreprises tures spécialisées dans le loisir, le tourisme,


associatives » proposée par le sociologue la culture et le sport. Leurs ressources pro-
Matthieu Hély à partir de l’exploitation viennent significativement des cotisations
d’une enquête conduite auprès de 2 488 asso- des adhérents et de la vente de prestations de
ciations françaises employant au moins un services (cours, spectacles, séjours, participa-
salarié66. Chacun des quatre types « polarise- tion à des compétitions…). Ayant largement
ra » différemment le marketing autour de recours au bénévolat et aux contrats aidés,
certaines parties prenantes. elles sont généralement dirigées par un prési-
dent. Leurs pôles marketing prioritaires
Les « entreprises associatives gestion-
concernent donc les adhérents et les béné-
naires » se caractérisent par une grande proxi-

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voles.
mité à l’égard de l’action publique qui leur
confère souvent le statut d’auxiliaire de l’É- Les « entreprises associatives mécé-
tat-providence. Financées essentiellement par nales » interviennent plutôt dans la lutte
des fonds publics, elles sont très présentes contre une maladie en proposant un soutien
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dans l’action sociale (domaines du soin et de aux malades et à leur proche (Ligue contre le
l’assistance à des publics précaires), la forma- cancer, Association contre les myopa-
tion et l’insertion. Leurs pôles marketing thies…). Les grandes organisations de soli-
prioritaires concernent donc les financeurs darité internationale (comme Greenpeace,
publics et les bénéficiaires usagers de leurs Handicap International ou Action contre la
services. Elles ont recours largement à des Faim) incarnent également cette dernière
salariés, généralement en CDI, et sont sou- configuration dont le mode de financement
vent dirigées par un directeur salarié. se fonde en grande partie sur la collecte de
Les « entreprises associatives parte- dons de particuliers et d’opérations de mécé-
naires » ont également des activités organi- nat. Les financeurs privés constituent donc le
sées en concertation avec les pouvoirs pôle marketing prioritaire dans une logique
publics. Mais la présence de nombreux béné- de fund raising.
voles et l’attachement à un projet fondateur
garantissent une certaine indépendance dans
la gestion et les orientations. Elles se rencon- CONCLUSION
trent dans les secteurs liés à la jeunesse, dans
l’animation culturelle (centres sociaux, MJC,
Le constat est clair et partagé par de nom-
maisons de la culture) et le développement
breux auteurs, spécialistes de marketing ou
local. Ce type rassemble également les orga-
non : « les associations sont de plus en plus
nisations militantes au service des droits
nombreuses à importer les techniques mana-
civiques ou mobilisées pour la protection de
gériales des entreprises »67. Mais cette évolu-
l’environnement. Il vit essentiellement grâce
tion ne se fait pas sans débat. En effet, le
à des fonds publics mais, à l’inverse du type
modèle de l’entreprise privée est vu par les
précédent, plus par des subventions sur pro-
associations à la fois de manière critique et
jets que par des subventions de fonctionne-
comme un idéal d’efficacité. Le sociologue
ment. Ses pôles marketing prioritaires
Jean-Louis Laville exprime particulièrement
concernent donc les financeurs publics, ses
bien cette tension : « La gestion apparaît tour
membres militants et ses bénévoles.
à tour comme insupportable ou incontour-
Les « entreprises associatives mar- nable », « il est bien difficile de ne pas en res-
chandes » sont davantage des petites struc- ter à des constats de répulsion ou de séduc-

66
M. Hély, Les métamorphoses du monde associatif, Paris, PUF, 2009, p. 99-123.
67
Selon les termes de V. Broussard, Sociologie de la gestion. Les faiseurs de performance, Paris, Belin, 2008.

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FRANÇOIS MAYAUX

tion »68. Répulsion ou séduction face à un « entreprises associatives »74. Nous expri-
« managérialisme » que des auteurs définis- mions la crainte qu’un trop grand rapproche-
sent comme l’extension du management à ment puisse contribuer à dissoudre à terme
tous les domaines de la vie sociale69. Alors, l’identité spécifique des associations.
certains s’alarment : trop de gestion ne Queinnec en 200775 a soulevé le même type
conduirait-il pas à instrumentaliser voire à d’interrogation en évoquant le cas des rap-
tuer le social70 ? Pour d’autres, d’une manière prochements entre ONG et entreprises. Cet
plus pragmatique, « ce n’est plus l’instrumen- auteur constate que la croissance des ONG
talisation par la gestion mais l’instrumentali- leur vaut parfois d’être assimilées à des
sation de la gestion qui devient pensable »71. entreprises dont elles ont su adopter certaines

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techniques comme le marketing direct. En
Davantage encore que d’autres fonctions retour, il se demande si la responsabilité
perçues comme plus techniques (telles que la sociale à laquelle les entreprises sont invitées
comptabilité ou le droit72), le marketing ne procéderait pas d’une sorte de mimétisme
illustre bien cette question à la fois passion- inspiré du modèle associatif, avec ce qu’il
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nante et complexe des rapprochements entre appelle « une téléologie ambiguë exempli-
entreprises et associations. Passionnante car fiée par l’impératif de la triple performance
ces deux mondes ont évidemment à s’enri- économique, sociale et écologique ».
chir mutuellement. La démarche marketing
née dans les entreprises peut ainsi, si elle est À l’opposé d’une approche postulant le
capable d’évolution et d’adaptation, ouvrir seul intérêt d’une logique d’hybridation et
des perspectives utiles aux dirigeants asso- visant à parvenir à des modèles uniques qui
ciatifs. Mais le théoricien du management prétendent pouvoir s’adapter à tous les ter-
Peter Drucker a également montré que les rains, nous prônons l’intérêt d’une démarche
entreprises pouvaient beaucoup apprendre contingente et non normative, respectueuse
des organisations à but non lucratif, notam- des spécificités des uns et des autres. Par
ment au niveau de leur capacité à mobiliser exemple – et pour ne citer qu’un seul des
les acteurs internes autour d’un projet73. sujets développés dans cet article – le marke-
ting interne envers les bénévoles, s’il peut
La complexité vient du fait que ces rap- puiser à certaines techniques habituellement
prochements ne peuvent se faire que dans le utilisées envers les salariés, ne peut se résu-
respect des identités propres à chacun. Il y a mer à cela. Selon nous, c’est seulement avec
dix ans, nous soulignions un risque d’indiffé- cet état d’esprit que le marketing peut réelle-
renciation entre des entreprises capitalistes ment être mis au service des associations,
devenues « citoyennes » et « socialement dans le plein respect de leurs finalités et de
responsables » et des associations devenues leurs originalités.

68
J.-L. Laville, « Introduction. La gouvernance au-delà du déterminisme économique », in C. Hoarau, J.-L. Laville
(dir.), La gouvernance des associations…, op. cit., p. 10-25.
69
P. Avare, S. Sponem, « Le managérialisme et les associations », in C. Hoarau, J.-L. Laville (dir.), La gouvernance
des associations…, op. cit., p. 113-129.
70
M. Chauvière, Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation, Paris, La Découverte, 2007.
71
J.-L. Laville, « Introduction… », art. cit., p. 25.
72
Voir le dossier consacré à 25 ans d’évolution du droit des associations dans Juris Associations de juillet 2008.
73
P. F. Drucker, « What Business Can Learn from Nonprofits », Harvard Business Review, Vol. 67, n° 4, July-August
1989, p. 88-93.
74
F. Mayaux, « Les spécificités du management associatif », Management & Conjoncture Sociale, n° 544, 1998, p. 2-8.
75
E. Queinnec, « La croissance des ONG humanitaires : une innovation devenue institution », Revue Française de
Gestion, vol. 33, n° 177, octobre 2007, p. 83-98.

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