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SPÉCIFICITÉS
François Mayaux
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2009/3 n° 56 | pages 98 à 116
ISSN 1161-2770
ISBN 9782747216388
Article disponible en ligne à l'adresse :
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LE MARKETING AU SERVICE
DES ASSOCIATIONS :
LÉGITIMITÉ ET SPÉCIFICITÉS
par François MAYAUX
professeur à l’EMLYON Business School
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et
directeur de la société de conseil Alteriade
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Parler de marketing dans le secteur asso- leur utilité et l’importance de leur fonction,
ciatif suscite immédiatement deux grands soit face à des industriels qui ne pensent
questionnements. Celui de la légitimité tout qu’aux questions de production et qui consi-
d’abord : le marketing, né dans les entre- dèrent que les problèmes de vente sont
prises commercialisant des produits de gran- secondaires, soit face aux intellectuels qui
de consommation (d’où la référence constan- critiquent au contraire leur pouvoir de nui-
te aux lessives et aux savonnettes), est-il sance1. Dans ce cadre, cet article s’intéresse-
légitime à s’intéresser à des organisations ra plus spécifiquement aux critiques expri-
fort différentes dans leurs finalités et dans mées dans les années 1990 par ceux qui refu-
leurs modes de fonctionnement ? La premiè- sent l’irruption du marketing dans les asso-
re partie de cet article sera consacrée à cette ciations. Cela ouvrira la voie à une réflexion
question, qui est loin d’être nouvelle. En épistémologique car l’élargissement du mar-
effet, depuis les années 1960, les « marke- keting à d’autres champs que celui des entre-
ters », comme avant eux les publicitaires dès prises nécessite sans doute d’élargir sa défi-
le début du XXe siècle, tentent de démontrer nition. Là encore, la question n’est pas nou-
1
R. Laufer et C. Paradeise, Le Prince bureaucrate. Machiavel au pays du marketing, Paris, Flammarion, 1982. Sur la
recherche de légitimité des ancêtres des « marketers », les publicitaires de l’entre-deux-guerres en France : M.-E.
Chessel, La Publicité. Naissance d’une profession (1900-1940), Paris, CNRS Éditions, 1998.
velle puisque les spécialistes de marketing utilement, selon ces auteurs, être mis au ser-
n’ont eu historiquement de cesse d’élargir la vice d’autres formes d’organisations et de
définition de leur discipline pour démontrer causes sociales : musées, églises, écoles, uni-
sa légitimité à se pencher sur de nouveaux versités, fondations, administrations, pays,
objets2. L’intérêt ici est de voir spécifique- lobby anti-cigarettes… Ces nonbusiness
ment comment cette définition a été à plu- organizations sont donc aussi bien des orga-
sieurs reprises revisitée, aux États-Unis et en nisations publiques que des organisations
France, pour permettre notamment d’y inté- privées à but non lucratif. Cet article a donné
grer les organisations à but non lucratif. rapidement lieu à une controverse qui servit
sa notoriété. En effet, David Luck répondit la
Derrière la question de la légitimité (et de
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même année et dans la même revue (le
manière intimement liée) apparaît une secon-
Journal of Marketing) à Kotler et Levy en
de interrogation portant sur les spécificités
refusant la perspective d’un élargissement du
du secteur associatif. En effet, prôner,
marketing (« broadening the concept of mar-
comme c’est notre cas, la légitimité (et même
keting : too far ») qui l’amènerait, selon lui, à
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2
Sur l’histoire du marketing aux États-Unis, cf. F. Cochoy, Une histoire du marketing. Discipliner l’économie de mar-
ché, Paris, Éditions La Découverte, 1999.
3
P. Kotler, S. J. Levy, « Broadening the Concept of Marketing », Journal of Marketing, Vol. 33, January 1969, p. 10-
15.
4
D. J. Luck, « Broadening the Concept of Marketing. Too Far », Journal of Marketing, Vol. 33, July 1969, p. 53-63.
5
F. Cochoy, Une histoire du marketing, op. cit., chapitres 14, 15 et 16, p. 203-250.
SEPTEMBRE 2009 – N° 56 99
098-116 article Mayaux 5/02/10 15:41 Page 100
FRANÇOIS MAYAUX
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de se remémorer les luttes écologiques qui
opposaient, parfois violemment, militants Des oppositions importantes
associatifs et industriels. Dans ce contexte, le
monde associatif, comme le monde industriel à l’utilisation du marketing
avant lui, ne pouvait que se montrer difficile- dans les associations
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Nous ne traitons dans cet article que du cas des associations, sachant qu’il existe d’autres formes d’organisations pri-
vées à but non lucratif constituant en France ce que l’on dénomme l’économie sociale et solidaire, à savoir les coopé-
ratives et les mutuelles.
7
J.-P. Flipo et F. Mayaux, Associations : réussir votre développement, Paris, Les Éditions d’Organisation, 1988.
8
A. Vaccaro, Communication et collecte de fonds, Paris, Chalopin, 1987 ; P. Gaborit, Associations et communication,
Paris, La Documentation Française, 1989.
9
F. Mayaux et R. Revat, Marketing pour associations : l’efficacité au service de vos valeurs, Paris, Éditions Liaisons,
1993.
10
J. Di Sciullo, Marketing et communication des associations, Lyon, Éditions Juris Service, 1990.
11
K. Gallopel-Morvan, P. Birambeau, F. Larceneux, S. Rieunier, Marketing et communication des associations, Paris,
Dunod, 2008.
12
Il n’y a malheureusement pas l’équivalent du travail de F. Cochoy (Une histoire du marketing, op. cit.) sur l’histoi-
re du marketing en France.
13
É. Dacheux, Associations et communication. Critique du marketing, Paris, CNRS Éditions, 1998.
qui « réduit le citoyen à son rôle de consom- vendus par des entreprises dont une partie du
mateur » (p. 63), qui veut « résoudre des pro- prix est reversée à une cause sociale ou à une
blèmes sociaux avec un instrument écono- association. Éric Dacheux considère que les
mique » (p. 64). La démarche marketing est associations sont généralement les grandes
vue comme le symbole d’un modèle entre- perdantes de cette forme de collaboration
preneurial « imprégné d’une conception pro- avec les entreprises, en cédant l’utilisation de
ductive de l’activité » (p. 36) et qui « nie ce leur image (qui s’en trouve souvent détério-
qui fait la richesse et la qualité de la vie asso- rée) pour des revenus finalement très faibles.
ciative : la vie démocratique et la contesta- Un quatrième niveau de critique porte sur
tion sociale » (p. 42). En bref, « l’essence du le recours aux cabinets de conseil spécialisés
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marketing, son nom l’indique bien, c’est le qui, en élargissant l’application du marketing
marché. Pas de marketing sans marché. aux associations, veulent surtout s’ouvrir de
Parler de marketing associatif est donc une nouveaux débouchés mais sans tenir compte
aberration totale » (p. 64). des réelles particularités de ce secteur. Selon
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14
G. Marion, Idéologie marketing, Paris, Eyrolles, 2004, p. 177.
FRANÇOIS MAYAUX
appliquer les techniques coûteuses du marke- contexte change, les problèmes à résoudre et
ting15. les techniques applicables restent-ils iden-
tiques ? Faut-il enfin chercher à adapter le
De plus, il est intéressant de noter que les
marketing d’entreprise en tenant compte de
critiques d’Éric Dacheux rejoignent les nom-
certaines spécificités des associations, voire
breuses critiques émises envers le marketing
modifier le concept (ou le paradigme) même
en général et non seulement son applicabilité
du marketing pour que cette discipline puisse
au secteur associatif, depuis le début du XXe
siècle, et plus tard avec Vance Packard s’adapter aussi bien aux entreprises qu’aux
notamment qui dénonce en 1957, année de organisations à but non lucratif ? C’est cette
parution de son livre aux États-Unis, les dernière voie que nous souhaitons suivre.
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manipulations des publicitaires et des marke-
ters, jusqu’aux « casseurs de pub » aujour- Élargir le champ d’application
d’hui16. En s’interrogeant sur la contribution du marketing nécessite
du marketing à la société, Wilkie et Moore d’élargir sa définition
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15
K. Gallopel-Morvan, P. Birambeau, F. Larceneux, S. Rieunier, Marketing et communication des associations, op.
cit., p. 9.
16
V. Packard, La persuasion clandestine, Paris, Calmann-Lévy, 1959.
17
W. L. Wilkie, E. S. Moore, « Marketing’s Contribution to Society », Journal of Marketing, 69, 1999, p. 198-218.
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3. « Le pilotage de l’échange marchand en situation concurrentielle » (Gilles Marion,
2004).
4. « L’activité, l’ensemble des institutions et des processus visant à créer, communiquer,
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délivrer et échanger des offres qui ont de la valeur pour les consommateurs, les clients,
les partenaires et la société dans son ensemble »* (American Marketing Association,
2007).
Sources : P. Grégory, Marketing, Paris, Dalloz-Sirey, 2e édition, 1996 ; P.-L. Dubois et A. Jolibert, Le mar-
keting. Fondements et pratiques, Paris, Économica, 1998 ; G. Marion, Idéologie marketing, Paris, Eyrolles,
2004, p. 140 ; American Marketing Association, definition approved by the Board of Directors, October
2007, http://www.marketingpower.com/AboutAMA/Pages/DefinitionofMarketing.aspx?sq=definition+
of+marketing.
* Notre traduction de : « Marketing is the activity, set of institutions, and processes for creating, commu-
nicating, delivering, and exchanging offerings that have value for customers, clients, partners, and socie-
ty at large ».
18
V. Tchernonog, Le paysage associatif français, mesures et évolutions, Paris, Juris Associations-Dalloz, 2007.
FRANÇOIS MAYAUX
Ensuite, cette troisième définition du appelle un profit symbolique (et donc consti-
marketing (cf. encadré 1) précise que l’objet tutif d’un capital symbolique) pourrait être
du marketing est le pilotage d’un échange pris en charge par les modèles du marke-
marchand. Mais cette deuxième précision ting20. Ce point est central car si le marketing
nous apparaît plus contestable : pourquoi res- reste cantonné dans la sphère du marché au
treindre le marketing aux échanges mar- sens néoclassique du terme, on comprend la
chands ? Est-ce pour le situer dans une cer- première critique idéologique de Dacheux, et
taine continuité : né dans l’entreprise, il res- les risques de « marchandisation » immédia-
terait cantonné aux situations marchandes ? tement invoqués à son encontre. Kotler et
Cette conception limiterait de fait l’applica- Levy avaient d’ailleurs souhaité substituer au
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tion du marketing aux associations qui, terme de marketing connotant trop les tran-
certes, gèrent parfois un certain nombre sactions marchandes celui plus général de
d’échanges marchands (des prestations de furthering (further signifiant faciliter,
services par exemple) mais aussi des accompagner). Mais cette tentative n’eut pas
échanges sociaux et symboliques (l’accom- de lendemain…21.
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19
G. Marion, Idéologie Marketing, op. cit., p. 176.
20
P. Bourdieu, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979.
21
F. Cochoy, Une histoire du marketing, op. cit., p. 227.
22
Voir par exemple : E. Reynaud, F. Depoers, C. Gauthier, J.-P. Gond, G. Schneider-Maunoury, Le développement
durable au cœur de l’entreprise. Pour une approche transversale du développement durable, Paris, Dunod, 2006 ou
encore : F. Aggeri et O. Godard (dir.), Les entreprises et le développement durable, Entreprises et Histoire, n° 45,
2006.
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sion dans l’article fondateur de Kotler et
Levy : « Aucune organisation ne peut éviter fixe aucunement l’ambition de l’exhaustivité
le marketing ». Il est vrai que ces auteurs mais souhaite fournir une représentation des
définissaient la finalité du marketing comme enjeux majeurs. C’est dans cet esprit que
étant rien de moins que de « servir et satis- nous terminerons cette partie en proposant un
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faire des besoins humains »24. schéma de synthèse d’une démarche marke-
ting adaptée aux associations.
Cela dit, cette définition élargie est préci-
sément selon nous une condition indispen- La mission et le projet
sable à l’élargissement du champ du marke-
ting. Elle caractérise bien le fait que vouloir
associatif sont premiers
mettre le marketing au service d’autres
Les entreprises capitalistes trouvent leur
formes d’organisations que l’entreprise capi-
raison d’être dans la vente de produits et ser-
taliste ne vise pas, contrairement à la crainte
vices dont des acheteurs reconnaissent la
exprimée par Dacheux, à vouloir imposer
valeur en les acquérant pour un prix donné ;
partout une logique de marché, dans une
les entrepreneurs, les actionnaires, voire les
perspective économique libérale. Cette défi-
salariés, bénéficiant des profits éventuelle-
nition est le socle de la discipline marketing,
ment dégagés. Certes, de plus en plus de diri-
garante de son unicité qui ne nie pas, loin de
geants considèrent que leur entreprise n’est
là (et contrairement encore à une des cri-
pas uniquement « en marché » mais aussi
tiques de Dacheux), les spécificités de ses
« en société »25 et qu’elle a donc également
différents terrains d’application. Il y a long-
une responsabilité sociale. La promotion de
temps par exemple que les chercheurs en
« l’entreprise citoyenne » ou « socialement
marketing ont relevé des différences
responsable » est d’ailleurs au fondement
majeures entre le marketing des produits de
d’un « nouvel esprit du capitalisme »26 qu’ex-
grande consommation et celui des produits
prime totalement aujourd’hui la notion de
industriels et des services. Les spécificités du
développement durable.
marketing associatif sont également nom-
breuses et font l’objet de la deuxième partie Mais la mission sociale est première dans
de cet article. le cas d’associations qui n’ont pas pour fina-
23
R. J. Keith, « The marketing revolution », Journal of Marketing, 24, 1960, p. 35-48 ; R. McKenna, « Marketing is
Everything », Harvard Business Review, 69, January-February 1991, p. 65-79.
24
P. Kotler, S. J. Levy, « Broadening the Concept of Marketing », art. cit.
25
A.-C. Martinet, Management stratégique : organisation et politique, Paris, Mc Graw Hill, 1984.
26
L. Boltanski et E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
FRANÇOIS MAYAUX
lité de dégager du profit. Les associations publics et l’ouverture ; les secteurs d’inter-
cherchent souvent à transformer l’environne- ventions pas ou mal couverts par les autres
ment dans lequel elles se situent dans le sens agents économiques ou par les collectivités
de la mission qu’elles se fixent. Comme le publiques ; l’existence de financements
précise Renaud Sainsaulieu, « l’association publics ou parapublics ; l’existence d’un
vise d’abord à résoudre un problème de agrément ministériel ou d’une habilitation ».
société en tablant sur la force des collectifs et Cette liste d’attributs, fort instructive, ne per-
sur celle des engagements de chacun »27. met pas de clore un débat particulièrement
sensible et objet de nombreuses contro-
À ce niveau, il nous semble nécessaire de
verses. À la fin d’une récente thèse d’écono-
nous arrêter rapidement sur le concept cen-
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mie consacrée à cette notion, Hélène Trouvé
tral d’« utilité sociale », invoqué de façon
conclut sur le constat de « l’impossibilité de
croissante par le monde associatif pour se
l’utilité sociale comme convention de coordi-
distinguer des entreprises capitalistes.
nation » : « La notion d’utilité sociale […]
Précisons toutefois que celles-ci revendi-
demeure un concept polysémique répondant
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27
R. Sainsaulieu, « Préface », in P. Boulte, Le diagnostic des organisations appliqué aux associations, Paris, PUF,
1991, p. 9.
28
MEDEF, Concurrence : marché unique, acteurs pluriels. Pour de nouvelles règles du jeu, mai 2002.
29
H. Trouvé, L’utilité sociale : des pratiques aux représentations. Une étude de cas dans le champ de l’insertion par
l’activité économique, thèse de doctorat de sciences économiques, Université Paris I, 2007, p. 284.
30
Ch. Lovelock, C. B. Weinberg, Public and nonprofit marketing, 2nd ed., San Francisco (CA), Scientific Press, 1990.
marketing insiste sur la nécessité de privilé- veut y aller. Nous avons souvent pu expéri-
gier la satisfaction des consommateurs, les menter la pertinence de ces propos en marke-
Organisations à but non lucratif (OBNL) – ting. Par exemple, ayant accompagné à la fin
c’est l’expression utilisée généralement par des années 1990 le Musée-Mémorial des
les auteurs nord-américains (nonprofit orga- Enfants d’Izieu32, nous avions mis en éviden-
nizations ou not-for-profit organizations) – ce à cette époque deux visions différentes de
se donnent avant tout une mission à remplir la mission chez certains dirigeants de cette
pouvant aller à l’encontre des aspirations à association (tableau 1). Ces deux visions,
court terme de leurs clients. Ainsi, la mission toutes les deux fort utiles et pertinentes au
d’une Église entraînera des sacrifices et des demeurant, pouvaient néanmoins conduire à
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renoncements personnels pour ses fidèles. des politiques très différentes. Par exemple,
Une OBNL dans le domaine culturel cher- mettre en place une exposition temporaire
chera souvent à promouvoir des formes artis- sur le Rwanda n’avait guère de sens dans le
tiques (peinture contemporaine par exemple) cadre de la vision « originelle » de l’associa-
nécessitant un effort d’adaptation de la part tion alors que cette initiative s’inscrivait par-
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31
S. N. Espy, Handbook of Strategic Planning for Nonprofit Organizations, New York, Praeger, 1986.
32
Le Musée-Mémorial des Enfants d’Izieu dans l’Ain (qui, depuis l’an 2000, s’appelle la Maison d’Izieu) a ouvert en
1994, à l’endroit même où 50 ans plus tôt, des enfants juifs qui se cachaient avec leurs éducateurs furent raflés sur
ordre de Klaus Barbie, responsable de la Gestapo de Lyon, et déportés.
33
D’après F. Mayaux et R. Revat, Marketing pour associations…, op. cit., p. 44-51.
FRANÇOIS MAYAUX
est de la responsabilité des membres et diri- distinction entre le marketing pour l’attrac-
geants, le marketing étant simplement appelé tion des ressources et celui pour l’allocation
à servir le plus efficacement possible la pro- des ressources. En effet, les personnes qui
motion et l’accomplissement de la mission bénéficient des offres des organisations à but
retenue. Cependant le savoir-faire marketing non lucratif le font souvent gratuitement ou
permet, d’une part, d’apporter des éléments avec des réductions conséquentes. Illustrons
d’appréciation du projet associatif par les dif- ce point clé avec des exemples français :
férentes parties prenantes et, d’autre part, • Le bénéficiaire de l’action d’une asso-
d’améliorer la compréhension du projet en ciation du secteur sanitaire et social (un
travaillant sur sa formulation et sa communi- handicapé, un chômeur en processus de
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cation. Dès lors, le risque existe que le mar- réinsertion…) ne finance généralement
keting puisse, implicitement ou explicite- pas la totalité des services qu’il reçoit.
ment, intervenir pour transformer le projet C’est un subventionneur (en l’occur-
dans un sens jugé plus « porteur » ou plus rence l’État, la DDASS, une collectivi-
« communiquant ». C’est ce risque qui
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34
B. Shapiro, « Marketing for Nonprofit Organizations », Harvard Business Review, September-October 1973, p. 123-
132.
35
D. Rados, Marketing for Non-Profit Organizations, Boston, Auburn House Publishing Company, 1981.
36
Ch. Lovelock, C. B. Weinberg, Public and nonprofit marketing, op. cit.
37
A. Sargeant, Marketing Management of nonprofit organizations, Oxford, Oxford University Press, 1999.
38
V. Tchernonog, Le paysage associatif français, op. cit.
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doute l’un des plus développés au niveau de
conception d’un mailing, la gestion
la recherche en marketing des organisations à
d’un fichier d’adresses, l’utilisation du
but non lucratif. De nombreuses directions
téléphone, le street marketing… Nous
de recherche sont actuellement suivies en
avons pour notre part traité spécifique-
fund raising, notamment :
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39
R. Bennett, A. Sargeant, « The nonprofit marketing landscape: guest editors’ introduction to a special section »,
Journal of Business Research, 58, 2005, p. 797-805.
40
M. Mauss, « Essai sur le don », Année sociologique, t. I, 1923-1924 (réédité in M. Mauss, Sociologie et anthropo-
logie, Paris, PUF, 2001).
41
J. T. Godbout, Le don, la dette et l’identité, Paris, La Découverte, 2000.
42
J. Malet, La générosité des Français, 12e édition, Paris, Centre d’Étude et de Recherche sur la Philanthropie
(Cerphi), 2007.
43
V. B. Eveland, T. N. Crutchfield, « Understanding Why People Give: Help for Struggling Aids-Related Nonprofits
», Journal of Nonprofit and Public Sector Marketing, vol. 12, n° 1, 2004, p. 23-36.
44
P. Avare et P. Eynaud, « L’autorégulation des associations faisant appel public aux dons », in C. Hoarau, J.-L. Laville
(dir.), La gouvernance des associations. Économie, sociologie, gestion, Toulouse, Éditions Érès, 2008, p. 153-171.
45
K. Gallopel-Morvan, P. Birambeau, F. Larceneux, S. Rieunier, Marketing et communication des associations, op.
cit., chapitre 3.
46
F. Mayaux, « L’utilisation d’Internet pour la recherche de dons : contribution au marketing de l’Église catholique en
France », 7th International Congress Marketing Trends, Venice, 17th-19th January, 2008.
FRANÇOIS MAYAUX
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rôle dans son développement et dans l’ac- nement se situe entre celui d’une structure
complissement de sa mission. Afin de bien hiérarchique des pouvoirs, stable et bien orga-
distinguer les enjeux, le réseau relationnel ne nisée, et celui d’un marché atomisé par natu-
prend donc en compte ni les financeurs et re, fluide et mouvant. Jarillo (1988)48 estime
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bénéficiaires (analysés plus haut) ni les par- d’ailleurs que le concept de réseau a pour ori-
ties prenantes internes (que nous présente- gine l’univers des associations même si,
rons plus bas). ensuite, il a été repris par les entreprises qui
doivent également gérer des échanges avec
Un exemple concret, celui d’une radio
différents interlocuteurs49 : banquiers, action-
chrétienne associative, nous permettra
naires, organismes publics, etc.
d’illustrer ce qu’est un réseau relationnel. Il
existe aujourd’hui plus de 80 radios chré- Nous posons l’hypothèse que l’existence
tiennes en France qui ont comme bénéfi- de nombreux publics est pour les associa-
ciaires leurs auditeurs, et comme financeurs tions une caractéristique essentielle (au sens
les Églises, des donateurs ainsi que l’État propre du terme) alors que, pour les entre-
(via le fonds de soutien à l’expression radio- prises, l’élargissement du marketing à
phonique qui, comme son nom l’indique, d’autres interlocuteurs que les clients est plus
soutient financièrement des radios associa- généralement le résultat d’un «construit»,
tives dont les recettes commerciales repré- c’est-à-dire de la volonté ou non d’entrer en
sentent moins de 20 % de leur chiffre d’af- relation avec d’autres publics tels que les
faires total). Mais le développement d’une journalistes, les associations de consomma-
radio chrétienne dépend aussi de sa capacité teurs, etc. (ce qui est de plus en plus fréquent
à être présente et active dans un réseau rela- dans le cadre d’une politique de développe-
tionnel regroupant des parties prenantes ment durable qui s’appuie justement sur la
nombreuses et variées : les paroisses et autres théorie des parties prenantes). De plus, la lit-
communautés chrétiennes, les différents térature tend à montrer que le nombre de
mouvements, les services diocésains, les res- publics différents est plus élevé dans le cas
ponsables d’autres religions, d’autres d’une association que dans celui d’une entre-
médias, d’autres radios associatives et prise50.
47
F. Mayaux et R. Revat, « Marketing pour associations : gérer et développer un réseau relationnel externe », Revue
Française du Marketing, n° 146, 1994, p. 53-65.
48
J. C. Jarillo, « On Strategic Networks », Strategic Management Journal, vol. 9, 1988, p. 31-41.
49
R. E. Freeman, Strategic Management. A Stakeholder Approach, Boston, Pitman Publishing Inc., 1984.
50
Par exemple C. Waldo, A Working Guide for Directors of Not-for-Profit Organizations, New York, Quorum Books,
1986.
Le « marketing interne » pour ting interne »51 qui repose sur un constat : le
les salariés et les bénévoles premier « client » de l’entreprise de service
est son personnel en contact qu’il faut
La finalité des associations n’est pas convaincre et mobiliser.
matérielle. On souhaite promouvoir un senti- Pour une association, la situation est
ment de convivialité (clubs), un esprit de identique. Il lui faut, si l’on accepte la pers-
découverte (loisirs), un épanouissement (cul- pective de cet article, concevoir et mettre en
ture), un bien-être corporel (sport), un projet œuvre un marketing interne envers tous les
éducatif (formation), etc. Il convient donc acteurs qui la représentent auprès de ses dif-
d’analyser les associations comme des orga- férentes parties prenantes. Mais les associa-
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nisations délivrant des services et non des tions possèdent, par rapport aux entreprises,
produits. Le marketing de ces organisations une richesse supplémentaire qui est aussi une
peut par conséquent s’inspirer utilement des difficulté supplémentaire : le personnel en
recherches dans le champ du marketing des contact est majoritairement constitué de
services. Or l’une des spécificités majeures
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51
J.-P. Flipo, Le management des entreprises de services, Paris, Éditions d’Organisation, 1984.
52
V. Tchernonog, Le paysage associatif français, op. cit.
53
P. Kotler, A. Andreasen, Strategic Marketing for Nonprofit Organizations, 4th edition, Englewood Cliffs (NJ),
Prentice-Hall, 1991.
54
J. Malet, La France bénévole, 5e édition, Paris, Centre d’Étude et de Recherche sur la Philanthropie (Cerphi) et
France Bénévolat, 2008 (disponible sur http://www.francebenevolat.org).
FRANÇOIS MAYAUX
ment bénévole (par ordre décroissant d’im- nombreux que les bénévoles réguliers. Est
portance) : le souhait d’être utile à la société considérée comme bénévole régulier par
et d’agir pour les autres (71 %), un épanouis- l’INSEE une personne qui donne au moins
sement personnel (49 %), le souhait d’appar- 86 heures par an de son temps, soit environ
tenir à une équipe (35 %), la cause défendue un jour par mois.
(34 %), le désir d’exercer une responsabilité En présentant en 2009 un état des lieux
(22 %), l’acquisition d’une compétence critique des travaux de la sociologie de l’en-
(19 %), la reconnaissance sociale (8 %), le gagement militant, les deux politistes
fait de pouvoir mesurer le fruit de ses efforts Frédéric Sawicki et Johanna Siméant don-
(6 %). La sociologue D. Ferrand-Bechmann, nent matière à réflexion à l’homme de mar-
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après avoir dressé une synthèse des travaux keting trop pressé de trouver des cadres
conduits sur le bénévolat, concluait : « s’ai- explicatifs rassurants et univoques débou-
der soi-même en aidant les autres est une des chant sur des recettes59. Ces auteurs souli-
clés de la compréhension de l’engagement gnent notamment la tendance à caractériser
bénévole »55.
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55
D. Ferrand-Bechmann, Bénévolat et solidarité, Paris, Syros Alternatives, 1992, p. 75.
56
J. Ion, La fin des militants ?, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997, p. 100.
57
V. Tchernonog, Le paysage associatif français, op. cit.
58
K. Gallopel-Morvan, P. Birambeau, F. Larceneux, S. Rieunier, Marketing et communication des associations, op.
cit., chapitre 3.
59
F. Sawicki et J. Siméant, « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques ten-
dances récentes des travaux français », Sociologie du travail, 51, 2009, p. 97-125.
60
A. Brodiez, « Entre social et humanitaire : générations militantes à Emmaüs (1949-2009) », Le Mouvement Social,
n° 227, avril-juin 2009, p. 85-100.
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participer à des tâches mineures. Certains d’élèves donnerait l’opportunité d’être infor-
d’entre eux, en tant qu’administrateurs élus mé sur la vie de l’établissement scolaire et la
ou désignés par les statuts, sont considérés situation de son enfant… La dimension col-
comme les dirigeants en droit et les manda- lective serait ainsi oubliée au profit d’avan-
tages personnels. Les adhérents devien-
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61
W. Wymer, « Segmenting volunteers used values, self-esteem, empathy, and facilitation as determinant variables »,
Journal of Nonprofit and Public Sector Marketing, vol. 5, n° 2, 1997, p. 3-28.
62
R. Bennett, R. Kottasz, « Advertising style and the recruitment of charity volunteers », Journal of Nonprofit and
Public Sector Marketing, vol. 8, n° 2, 2000, p. 45-63.
63
Sur la problématique de fidélisation des bénévoles : A. Omoto, M. Snyder, « Sustained help without obligation:
motivation, longevity of service, and perceived attitude change among AIDS volunteers », Journal of Personality and
Social Psychology, vol. 68, n° 3, 1995, p. 671-686.
FRANÇOIS MAYAUX
Ces différentes catégories ne sont certes pas répondons ainsi à la première recommanda-
totalement étanches. On peut ainsi être adhé- tion de Gilles Marion pour construire une
rent et bénévole, bénévole et donateur, théorie spécifique du marketing des OBNL :
membre et bénéficiaire. Mais ces distinctions « Préciser quelles sont les parties prenantes à
sont essentielles pour cerner les différentes prendre en compte »65. Pour chacune de ces
facettes des publics visés, leurs différents parties prenantes, les techniques marketing
« rôles » – il ne s’agit donc pas, comme le peuvent se déployer, de l’analyse (études) à
craignait Éric Dacheux, de réduire le citoyen la communication. La difficulté de ce marke-
à un rôle de consommateur – et ainsi les dif- ting que l’on peut qualifier de « multipolai-
férents enjeux du marketing. Par exemple, Le re » est la cohérence d’ensemble que la réfé-
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Guen et Tchernonog opposaient « les asso- rence à la mission et au projet associatif doit
ciations dont les membres sont les bénéfi- permettre d’assurer.
ciaires et, de l’autre, les associations humani-
Un des intérêts de ce schéma est de pou-
taires, militantes dont les bénéficiaires sont
voir s’adapter à la grande diversité des asso-
différents des membres »64.
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64
M. Le Guen et V. Tchernonog, « Logiques associatives et financement du secteur associatif. Essai de typologie », in
A. Alcouffe, B. Fourcade, J.-M. Plassard, G. Tahar (dir.), Efficacité versus équité en économie sociale, Paris,
L’Harmattan, 2000, p. 137-148.
65
G. Marion, Idéologie marketing, op. cit., p. 177.
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voles.
mité à l’égard de l’action publique qui leur
confère souvent le statut d’auxiliaire de l’É- Les « entreprises associatives mécé-
tat-providence. Financées essentiellement par nales » interviennent plutôt dans la lutte
des fonds publics, elles sont très présentes contre une maladie en proposant un soutien
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dans l’action sociale (domaines du soin et de aux malades et à leur proche (Ligue contre le
l’assistance à des publics précaires), la forma- cancer, Association contre les myopa-
tion et l’insertion. Leurs pôles marketing thies…). Les grandes organisations de soli-
prioritaires concernent donc les financeurs darité internationale (comme Greenpeace,
publics et les bénéficiaires usagers de leurs Handicap International ou Action contre la
services. Elles ont recours largement à des Faim) incarnent également cette dernière
salariés, généralement en CDI, et sont sou- configuration dont le mode de financement
vent dirigées par un directeur salarié. se fonde en grande partie sur la collecte de
Les « entreprises associatives parte- dons de particuliers et d’opérations de mécé-
naires » ont également des activités organi- nat. Les financeurs privés constituent donc le
sées en concertation avec les pouvoirs pôle marketing prioritaire dans une logique
publics. Mais la présence de nombreux béné- de fund raising.
voles et l’attachement à un projet fondateur
garantissent une certaine indépendance dans
la gestion et les orientations. Elles se rencon- CONCLUSION
trent dans les secteurs liés à la jeunesse, dans
l’animation culturelle (centres sociaux, MJC,
Le constat est clair et partagé par de nom-
maisons de la culture) et le développement
breux auteurs, spécialistes de marketing ou
local. Ce type rassemble également les orga-
non : « les associations sont de plus en plus
nisations militantes au service des droits
nombreuses à importer les techniques mana-
civiques ou mobilisées pour la protection de
gériales des entreprises »67. Mais cette évolu-
l’environnement. Il vit essentiellement grâce
tion ne se fait pas sans débat. En effet, le
à des fonds publics mais, à l’inverse du type
modèle de l’entreprise privée est vu par les
précédent, plus par des subventions sur pro-
associations à la fois de manière critique et
jets que par des subventions de fonctionne-
comme un idéal d’efficacité. Le sociologue
ment. Ses pôles marketing prioritaires
Jean-Louis Laville exprime particulièrement
concernent donc les financeurs publics, ses
bien cette tension : « La gestion apparaît tour
membres militants et ses bénévoles.
à tour comme insupportable ou incontour-
Les « entreprises associatives mar- nable », « il est bien difficile de ne pas en res-
chandes » sont davantage des petites struc- ter à des constats de répulsion ou de séduc-
66
M. Hély, Les métamorphoses du monde associatif, Paris, PUF, 2009, p. 99-123.
67
Selon les termes de V. Broussard, Sociologie de la gestion. Les faiseurs de performance, Paris, Belin, 2008.
FRANÇOIS MAYAUX
tion »68. Répulsion ou séduction face à un « entreprises associatives »74. Nous expri-
« managérialisme » que des auteurs définis- mions la crainte qu’un trop grand rapproche-
sent comme l’extension du management à ment puisse contribuer à dissoudre à terme
tous les domaines de la vie sociale69. Alors, l’identité spécifique des associations.
certains s’alarment : trop de gestion ne Queinnec en 200775 a soulevé le même type
conduirait-il pas à instrumentaliser voire à d’interrogation en évoquant le cas des rap-
tuer le social70 ? Pour d’autres, d’une manière prochements entre ONG et entreprises. Cet
plus pragmatique, « ce n’est plus l’instrumen- auteur constate que la croissance des ONG
talisation par la gestion mais l’instrumentali- leur vaut parfois d’être assimilées à des
sation de la gestion qui devient pensable »71. entreprises dont elles ont su adopter certaines
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techniques comme le marketing direct. En
Davantage encore que d’autres fonctions retour, il se demande si la responsabilité
perçues comme plus techniques (telles que la sociale à laquelle les entreprises sont invitées
comptabilité ou le droit72), le marketing ne procéderait pas d’une sorte de mimétisme
illustre bien cette question à la fois passion- inspiré du modèle associatif, avec ce qu’il
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nante et complexe des rapprochements entre appelle « une téléologie ambiguë exempli-
entreprises et associations. Passionnante car fiée par l’impératif de la triple performance
ces deux mondes ont évidemment à s’enri- économique, sociale et écologique ».
chir mutuellement. La démarche marketing
née dans les entreprises peut ainsi, si elle est À l’opposé d’une approche postulant le
capable d’évolution et d’adaptation, ouvrir seul intérêt d’une logique d’hybridation et
des perspectives utiles aux dirigeants asso- visant à parvenir à des modèles uniques qui
ciatifs. Mais le théoricien du management prétendent pouvoir s’adapter à tous les ter-
Peter Drucker a également montré que les rains, nous prônons l’intérêt d’une démarche
entreprises pouvaient beaucoup apprendre contingente et non normative, respectueuse
des organisations à but non lucratif, notam- des spécificités des uns et des autres. Par
ment au niveau de leur capacité à mobiliser exemple – et pour ne citer qu’un seul des
les acteurs internes autour d’un projet73. sujets développés dans cet article – le marke-
ting interne envers les bénévoles, s’il peut
La complexité vient du fait que ces rap- puiser à certaines techniques habituellement
prochements ne peuvent se faire que dans le utilisées envers les salariés, ne peut se résu-
respect des identités propres à chacun. Il y a mer à cela. Selon nous, c’est seulement avec
dix ans, nous soulignions un risque d’indiffé- cet état d’esprit que le marketing peut réelle-
renciation entre des entreprises capitalistes ment être mis au service des associations,
devenues « citoyennes » et « socialement dans le plein respect de leurs finalités et de
responsables » et des associations devenues leurs originalités.
68
J.-L. Laville, « Introduction. La gouvernance au-delà du déterminisme économique », in C. Hoarau, J.-L. Laville
(dir.), La gouvernance des associations…, op. cit., p. 10-25.
69
P. Avare, S. Sponem, « Le managérialisme et les associations », in C. Hoarau, J.-L. Laville (dir.), La gouvernance
des associations…, op. cit., p. 113-129.
70
M. Chauvière, Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation, Paris, La Découverte, 2007.
71
J.-L. Laville, « Introduction… », art. cit., p. 25.
72
Voir le dossier consacré à 25 ans d’évolution du droit des associations dans Juris Associations de juillet 2008.
73
P. F. Drucker, « What Business Can Learn from Nonprofits », Harvard Business Review, Vol. 67, n° 4, July-August
1989, p. 88-93.
74
F. Mayaux, « Les spécificités du management associatif », Management & Conjoncture Sociale, n° 544, 1998, p. 2-8.
75
E. Queinnec, « La croissance des ONG humanitaires : une innovation devenue institution », Revue Française de
Gestion, vol. 33, n° 177, octobre 2007, p. 83-98.