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ISSN 0014-0759
ISBN 9782909210889
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À propos de la Société du malaise,
d’Alain Ehrenberg
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7 Juillet 2010
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toujours plus ou moins en question dans ces sociétés – avec un faux pro-
blème – celui de la cohérence de ces sociétés, laquelle ne se trouve pas
en péril puisqu’elles reposent, par leur mode de constitution même, sur
une incertitude nécessaire des formes du lien social.
En prenant le risque de simplifier le propos, on identifiera trois
moments de la démonstration. En premier lieu, une reprise de la thèse
défendue dans son précédent ouvrage – la Fatigue d’être soi2 – et son
élargissement au-delà des limites du registre psychologique pour mon-
trer comment cette thématique de la souffrance psychique causée par la
perte du lien social « contamine » la sociologie et la philosophie poli-
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tique. Dans un deuxième temps, il fait ressortir la singularité de cette
interprétation de la souffrance psychique en France par contraste avec
la manière américaine, plus portée à incriminer l’individu, à l’accuser
de ruiner le lien social par son retrait narcissique. Enfin, prenant appui
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sur cette comparaison, il montre comment l’une aussi bien que l’autre
constituent des manières d’exprimer une mutation récente du régime de
l’autonomie. Celle-ci consiste dans le passage d’une première concep-
tion de l’autonomie comme aspiration, compensation aux contraintes
de l’ordre industriel, valable jusqu’aux années 1960, à une autre, l’au-
tonomie de condition, qui fait de celle-ci non plus un horizon du pro-
grès mais un point d’appui obligé de l’individu, la protection sociale ne
fonctionnant plus tant comme une récompense méritée mais comme une
ressource, un point d’appui pour l’individu appelé à saisir par lui-même
les opportunités de « se réaliser ».
Chacun des trois moments de ce raisonnement appelle, bien sûr,
explicitation et discussion.
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charge la question de la vulnérabilité des individus en mal d’emploi
ou d’insertion sociale : un malaise résulte de l’impératif d’avoir à se
réaliser par soi-même dans un contexte où les moyens de l’autonomie
font défaut. La nouvelle clinique s’emploie à les y aider tout en les
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nuit donc à la crédibilité de l’opération. À tout le moins faudrait-il
montrer un principe propre à cette extension, un historique qui le cla-
rifie… Mais est-ce possible ?
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statistiquement prédictive de son futur degré d’intégration sociale, on
voit bien que les symptômes mentaux sont au cœur de la normativité
sociale. Nos relations sociales se donnent dans le langage des affects
qui se distribuent le mal de la souffrance psychique et le bien de la
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santé mentale.
C’est ce paquet de problèmes que j’ai voulu examiner en partant
des questions que se posent les professionnels de la santé mentale :
les symptômes ont-ils changé ? Les personnalités se sont-elles modi-
fiées ? Quelles sont les relations entre l’évolution des valeurs et des
normes de la vie sociale, d’une part, et les problèmes psychopatholo-
giques, d’autre part ?
Je les ai examinés en me centrant sur un mot clé que nous ne trou-
verons guère ailleurs, en Grande-Bretagne, en Scandinavie ou aux
États-Unis, c’est le mot « malaise » : malaise dans la société, dans le
lien social, etc. Il est étroitement lié à l’idée que la vie se précarise.
Si, partout, on est préoccupé par les conséquences de la flexibilité du
travail, notamment en termes de santé mentale, l’emploi du mot « pré-
carité » sans complément d’objet nous caractérise3. Malaise/précari-
té, voilà une formule clé de l’imaginaire français d’aujourd’hui. En
France, ces questions semblent donc poser aux acteurs et aux obser-
vateurs du domaine le problème du vivre-ensemble, du lien social
dans les sociétés démocratiques où règne l’individualisme de masse.
C’est pourquoi on peut dire que la société française est une « société
du malaise » et pas la société américaine ou britannique, alors que les
gens y souffrent des mêmes symptômes que chez nous et dans les
mêmes proportions. On peut aussi noter que Malaise dans la civilisa-
tion de Freud est une référence importante de la psychanalyse fran-
çaise et que les psychanalystes américains s’y réfèrent fort peu.
L’autonomie joue un rôle majeur dans la centration de la société et
des savoirs sur la subjectivité parce qu’elle implique une attitude
générale : elle consiste en une affirmation de soi, en une assertion
3. Voir les travaux de Jean-Claude Barbier, tout particulièrement « La précarité, une catégo-
rie française à l’épreuve de la comparaison internationale », Revue française de sociologie, avril-
juin 2005, vol. 46, no 2, p. 351-371.
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personnelle qui avait une place limitée dans la vie sociale française.
Cet appel à la « personnalité » a engendré un discours sur le « malaise
dans la société » qui se résume dans la double idée que le lien social
s’affaiblit et qu’en contrepartie l’individu est surchargé de responsa-
bilités et d’épreuves qu’il ne connaissait pas auparavant. Nous ne
saurions donc plus où nous en sommes entre l’homme psychologique
et l’homme social. Nous ne serions alors plus capables de dire en
quoi nous faisons société. C’est ce lieu commun français que je
cherche moins à contester qu’à clarifier en le mettant en perspective.
Le statut de cet objet est moins la réalité empirique des souf-
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frances individuelles que la manière de nous décrire, la rhétorique de
groupe, la mythologie nationale. L’idée que la société fait souffrir est
une idée sociale que la sociologie doit élaborer. Mon hypothèse (ou
ma démarche) a été que nous avons assisté à un changement de statut
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4. Marcel Mauss, « L’expression obligatoire des sentiments. Rituels oraux funéraires austra-
liens », Journal de psychologie, 18, 1921, p. 425-434.
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une vie5. Son domaine d’élection est la façon dont une société traite
l’infortune et les passions que celle-ci fait ressortir. Le mal, le mal-
heur et la maladie en sont les matériaux. Cette part passionnelle de la
vie sociale est mal évaluée par la sociologie et l’anthropologie en ce
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Le détour américain
Jacques DONZELOT – Le deuxième moment du livre, le plus impor-
tant, s’attache à démontrer le caractère très français de cette com-
plainte sur le « malaise social » et cela à travers une comparaison de
nos lamentations avec la manière américaine de déplorer la dégrada-
tion du rapport individu/société. C’est la jérémiade américaine oppo-
sée à la déclinologie à la française. La jérémiade américaine, dans sa
version récente, propagée par des auteurs comme Christopher Lasch
ou Robert Bellah, incrimine en fait l’individu et non la société. C’est
lui, l’individu, qui, par son narcissisme, par la défaillance de son
civisme, par la perte de l’ethos républicain, engendrerait cette
défaillance de la société contemporaine, cette menace pour la qualité
de la vie communautaire. C’est la perte du self, cette commune réali-
sation de l’individu et de sa communauté. Soit donc l’exact envers de
la formule française, celle d’un individu souffrant, lui, d’une décom-
position des liens sociaux qui le renvoie à lui-même, d’une perte de
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apparaît toutefois dans les explications proposées de ce contraste.
Parce que, selon les pays, elle ne mobilise pas clairement les mêmes
facteurs : la religion surtout dans le cas américain, l’État dans le cas
français. La jérémiade remonte au XVIIe siècle. Elle participe de la
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Alain EHRENBERG – Il est vrai que j’ai peu insisté sur la dimension
religieuse en France, et que j’ai considéré, du côté français, comme
acquis que l’État fait la médiation entre l’individu et l’universel, en
reprenant à son compte l’héritage de l’Église qui guide le croyant vers
Dieu. De ce point de vue, on peut dire qu’il y a une dimension reli-
gieuse de l’État en France. Mais j’ai voulu insister sur le contexte,
c’est-à-dire sur les différences d’accent placées par les deux sociétés.
Je crois que la grande distinction n’est pas tant la religion d’un côté
et l’État de l’autre, mais l’accent placé sur la moralité dans l’indivi-
dualisme américain et sur la politique dans l’individualisme français.
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Aux États-Unis, il y a d’abord une responsabilité de l’individu à
l’égard de la société tandis qu’en France, c’est la société qui, via
l’État, possède une responsabilité à l’égard de l’individu.
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saires. Le « social » a tendance à être conçu chez nous en termes poli-
tiques de rapports de force.
Il me faut revenir sur la jérémiade américaine et la déclinologie
française. Sans vouloir expliquer ici le sens de ces deux expressions,
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je veux juste souligner que j’ai étudié et décrit dans ce livre deux
récits − deux jeux de langage − unissant le mal individuel au mal
commun. Ils donnent une signification commune au malheur indivi-
duel et montrent en même temps deux attitudes face à l’adversité
engendrée par les relations sociales. Partant d’une interrogation com-
mune chez les professionnels de santé mentale sur les transforma-
tions des symptômes et de la personnalité en fonction de l’évolution
sociale, j’ai étudié comment, dans les deux sociétés, américaine et
française, ces transformations ont été argumentées.
L’objet de cette étude est une idée lancée par deux sociologues
américains dans les années 1970, Richard Sennett avec les Tyrannies
de l’intimité et Christopher Lasch avec le Complexe de Narcisse, à
savoir que l’individu est devenu narcissique. La candidature de ce
concept psychanalytique à son élection comme concept sociologique
a depuis lors été acceptée avec une belle unanimité : un large consen-
sus moral, social et politique sur l’individualisme s’est forgé pour
affirmer qu’Œdipe a laissé sa place à Narcisse. Sennett et Lasch ont
soulevé une question à partir de ces pathologies : faisons-nous face à
une transformation de l’individualisme qui se retourne contre la
société et contre l’individu lui-même ? En France, où l’on ne parle
que de souffrance sociale, de malaise dans la société, de délitement
du lien social, de société de défiance, de peur du déclassement, cette
question nous poursuit. Ces pathologies polarisent l’aspect destruc-
teur de l’individualisme. Elles offrent un terrain privilégié au thème
tocquevillien de la déliaison sociale.
Ce que j’espère avoir montré, c’est qu’en resituant cette théma-
tique dans les deux contextes, américain et français, on comprend
que les significations sociales accordées aux pathologies narcissiques
diffèrent. Narcisse a donné une forme à l’inquiétude caractéristique
du mode de vie démocratique repérée par Tocqueville, celle de la
déliaison sociale. Cette inquiétude se formule différemment en
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tion sans limites aux dépens des plus faibles et d’un abandon des
individus à eux-mêmes qui se voient alors pris dans le risque (« amé-
ricain ») consistant à rejeter sur chacun la responsabilité de son
propre échec.
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cipe d’une égale liberté de leurs membres. Ce n’est pas cette postula-
tion d’égalité qui les sépare puisqu’elle porte à établir une similitude
entre eux, une forme de fraternité.
En revanche, la liberté qu’a chacun de démontrer ses mérites
propres ruine les liens de dépendance qu’instituait la société d’An-
cien régime. Du coup, la société se trouve toujours en mouvement,
incertaine de sa configuration. Mais cette incertitude participe de sa
cohérence. Comme l’a expliqué Louis Dumont (autre référence
majeure pour vous), cette incertitude caractérise toutes les sociétés
individualistes, c’est-à-dire celles qui ont pour particularité de faire
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prévaloir les liens d’indépendance sur les liens d’interdépendance.
Leur cohérence tient à cette disposition, exactement comme celle des
sociétés holistes repose, à l’inverse, sur la prévalence des liens d’in-
terdépendance sur ceux d’indépendance.
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lité des chances. Mais, comme le dit François Dubet, l’égalité des
chances semble bien rigoureusement dépendante de… la réduction
des inégalités entre les places. Du coup, est-ce que le malaise des
sociétés contemporaines ne résulterait pas d’une rupture dans l’ex-
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toutes les façons, dans les sciences dites sociales, c’est en contrastant
des singularités qu’on atteint une vérité de type général.
toire doit être considérée en deux temps : elle est d’abord, entre les
années 1960 et les années 1980, une aspiration collective ; elle est
ensuite une condition commune. L’autonomie comme aspiration
émerge dans une dramaturgie qui oppose l’ordre et le progrès où elle
figure dans le parti du progrès. Elle signifie indépendance. L’autono-
mie comme condition brouille les cartes de l’ordre et du progrès. La
raison essentielle tient à ce qu’elle est devenue une condition en tant
que compétition en même temps que l’État-providence entrait en
crise. Associées au « retour » du libéralisme, les valeurs de l’autono-
mie semblent s’opposer de front à l’antilibéralisme ou à l’illibéra-
lisme qui anime la culture politique française depuis le XVIIIe siècle,
malgré les immenses changements qui se sont produits depuis lors.
C’est le cœur de la division française. Je crois qu’elle tient à notre
conception de l’égalité : l’égalité française peut être définie comme
une égalité de protection impliquant le concept de statut dont le
modèle est la fonction publique. C’est après la Seconde Guerre mon-
diale, au cours des Trente Glorieuses, qu’elle prend progressivement
cette forme via la protection sociale de l’État-providence. Celui-ci se
situe dans le prolongement de l’État instituteur du social, qui à la fois
protège et contrôle l’individu, exerce « une magistrature sociale »,
comme vous l’écrivez dans Faire société, incarnée par le mot Institu-
tion. L’institution fait le lien entre le particulier et l’universel, elle est
le sacré du groupe. Son modèle n’est pas la secte protestante à
laquelle on adhère par un acte de volonté personnelle, mais l’Église
catholique qui médiatise le rapport entre le croyant et son Dieu. Le
récit français se distribue entre deux bornes : une réaction républi-
caine, qui refuse le nouveau cours de l’autonomie au nom des prin-
cipes de la Révolution et de la République, et un nouveau progres-
sisme individualiste qui, à l’inverse, prend acte de l’autonomie, mais
dénonce son non-respect et son instrumentalisation par le nouveau
capitalisme.
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mesure à ces nouvelles souffrances psychiques d’origine sociale. La
matière de ce discours est la pensée sociale française, qui valorise
l’autonomie, mais comme indépendance, et tient à l’égalité, mais
comme protection. La division française sur l’autonomie est liée à la
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