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aux
ÉDITION SPÉCIALE

COMMANDES
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 | WWW.LATRIBUNEAFRIQUE.COM 3

LE TEMPS DU MAROC À
L’HEURE DE L’ÉMERGENCE
B
PAR eaucoup de choses ont été dites sur le réinventer la mobilité, l’énergie, ou encore la sécu-
ABDELMALEK rythme et la qualité du développement rité pour absorber ce double choc.
ALAOUI, CEO, marocain au cours des vingt dernières Bien que majeures, ces deux premières ruptures
LA TRIBUNE AFRIQUE années. Pas assez intense pour certains, peuvent être adressées par la panoplie à disposi-
insuffisamment inclusive pour d’autres, la crois- tion de la puissance publique. En planifiant mieux
sance a ainsi été au cœur de la conversation autour le déploiement et l’organisation de son économie,
ÉDITO
du « modèle marocain » et de ses spécificités. le Maroc peut favoriser l’émergence de nouveaux
Or, la question de l’évolution démographique du pôles de prospérité économique dans les terri-
pays, pourtant essentielle pour comprendre la toires. En intensifiant ses efforts pour améliorer
trajectoire marocaine, a été insuffisamment expli- la collecte de l’impôt et la résorption progressive
quée et adressée par les exécutifs qui se sont suc- du tissu informel, les équilibres de ses organismes
cédés depuis l’avènement de Mohammed VI. En sociaux peuvent être restaurés. Enfin, en poursui-
effet, trois ruptures majeures se sont produites au vant sa politique volontariste en matière de mix
cours des deux dernières décennies, transformant énergétique, les besoins du tissu productif pour-
profondément la société marocaine et l’ouverture ront être adressés.
du pays sur le monde. C’est donc au niveau de la troisième rupture que
La première rupture est l’évolution de la pyra- se situent les défis les plus importants : la modifi-
mide des âges du Royaume, qui ressemble de plus cation profonde de la structure de la société maro-
en plus à celles que l’on peut rencontrer dans les caine. Comme souvent, cette dernière est para-
pays développés, avec une augmentation impor- doxale. D’un côté, l’on constate un repli
tante de la population en âge de travailler et un conservateur. De l’autre, avec l’augmentation du
vieillissement mécanique de l’ensemble, qui nombre de femmes entrant dans le marché du
entrainera une baisse progressive de la population travail et la formidable émancipation de la femme
jeune. A tous les niveaux, ce changement de struc- marocaine, un véritable choc culturel est à l’œuvre.
ture d’une population qui devrait compter 45 mil- Ce dernier était attendu, Youssef Courbage et
lions d’âmes en 2050 constitue un défi majeur Emmanuel Todd ayant prévenu dès le milieu des
pour le pays. Le Maroc devra non seulement amé- années 2000 que la très rapide transition démo-
liorer de manière substantielle l’employabilité de graphique du Maroc allait ouvrir la voie à des
son tissu économique, mais également adresser chamboulements profonds.
les questions majeures de la prise en charge du C’est à l’aune de cette troisième rupture qu’il
troisième âge, de l’équilibre de ses caisses sociales, convient d’abord de lire l’appel lancé par Moham-
et de la solidarité intergénérationnelle qui ne med VI pour imaginer un « nouveau modèle de
pourra plus être dévolue uniquement aux struc- développement » en octobre 2018 à travers la créa-
tures sociales préexistantes. tion d’une commission ad hoc. Cette dernière
Cette première rupture est d’autant plus enga- devra donc trouver les voies et moyens pour por-
geante qu’elle est aggravée par une accélération ter la croissance à un niveau supérieur à 5% par
du déséquilibre territorial, et notamment par l’ac- an, mais également appréhender cette nouvelle
croissement de la mégalopole de Casablanca-Set- donne sociétale en y apportant des réponses d’ave-
tat, qui compte pour 26% dans l’accroissement nir. En bref, le Maroc est en passe de tourner la
démographique du pays. Sachant que la zone page du fameux adage de Lyautey « Au Maroc, gou-
compte déjà pour plus d’un tiers de la croissance verner c’est pleuvoir », pour mettre en phase le
du pays, le Royaume devra obligatoirement en temps du Royaume avec l’heure de l’émergence. n
4 SOMMAIRE LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

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ROYALE ET S’Y ENGAGE » LE CONTINENT
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 SOMMAIRE 5

56 20 ANS DE RÈGNE
VU D’AILLEURS
UNE AMBITION AFRICAINE
70 LE ROI EN FER DE LANCE DE LA DIPLOMATIE
76 LE LEADERSHIP MONARCHIQUE
DE « L’ISLAM DU JUSTE MILIEU »
78 MGR. CRISTOBAL LOPEZ
« ICI, NOUS NE SOMMES PAS PARFAITS, MAIS
NOUS MARCHONS ENSEMBLE »

48 ENTRETIENS

50
CHRISTIAN DE BOISSIEU
« LE MAROC EST PLUS
RÉSILIENT FACE AUX CHOCS »
TÉMOIGNAGES
POLITIQUE MONÉTAIRE DEUX
62 MOUBARAK LO DÉCENNIES DE STABILITÉ
« LE ROYAUME PEUT CRÉER DES PRIX PAR ABDELLATIF JOUAHRI,
L’ÉMULATION PARMI LES PAYS GOUVERNEUR DE BANK AL-MAGHRIB
AFRICAINS »
65 UN SOUVERAIN QUI ALLIE EMPATHIE ET EFFICACITÉ
72 JEAN-PIERRE PAR MOUSSA MARA, ANCIEN PREMIER MINISTRE DU MALI
RAFFARIN
« LE MAROC SAIT

92 THINK TANK
FAIRE VALOIR
SES INTÉRÊTS À
TRAVERS LE MONDE » DIGITAL, LA BELLE HISTOIRE DES VINGT
DERNIÈRES ANNÉES… ET DES VINGT

84
PROCHAINES PAR JEAN-MICHEL HUET
LES CHAMPIONS 95 LE MAROC, UN MODÈLE D’OUVERTURE
DU SUD MAÎTRISÉE PAR CHRISTOPHER DEMBIK
CES CHAMPIONS 96 VINGT ANS DE PARTAGE DU « SOFT POWER »
AFRICAINS VENUS DU MAROC MAROCAIN AVEC L’AFRIQUE PAR KABINE KOMARA
86 L'ÉPOPÉE DES BANQUES MAROCAINES 97 JUSTICE SOCIALE ET ÉGALITÉ DE GENRE
SUR LE CONTINENT AU MAROC PAR NOUZHA SKALLI
88 CES MAJORS PORTÉES PAR 100 DEUX DÉCENNIES QUI ONT CHANGÉ
LA DYNAMIQUE COLLECTIVE LE ROYAUME PAR AZIZ SAÏDI
6 SUR LE VIF LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

Mohammed VI quittant la
mosquée Ahl Fès à Rabat, juste
après la prière du vendredi 30
juillet 1999, jour de son premier
discours de roi du Maroc.
Crédit photo : Getty Images/ AFP / ABDELHAK SENNA
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 SUR LE VIF 7
8 NUANCES EN CARTE LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

PRODUIT INTÉRIEUR BRUT RÉGIONAL PAR HABITANT


ET CONTRIBUTION DES RÉGIONS AU PIB - 2009

Tanger - Tétouan - Al Hoceima


PIB PAR HABITANT (EN DH)
Moins de 17 500
Rabat - Salé - Kénitra
17 500 à moins de 23 250 Oriental et Rif

23 250 à moins de 29 000 Casablanca - Settat


Fès - Meknès
29 000 à moins de 34 900
34 900 et plus Beni Mellal - Khénifra
Marrakech - Safi
PART DU PIB (EN %)
Drâa - Tafilalet
1 Souss - Massa

Guelmim - Oued Noun


10 Au-delà de l’axe Tanger-Casablanca
Entre 1959 et 2015, le Maroc a successivement construit et
affiné son organisation territoriale. L'évolution de la notion
de « région » s'est faite au gré des approches, des objectifs
Laayoune - Sakia El Hamra et des rôles qui ont été attribués à cette dernière par les
pouvoirs publics.
Voulu comme l'expression sur le terrain de la régionalisation
avancée, le dernier découpage, celui de 2015, créé 12 régions
au lieu des 16 délimitées lors du précédent découpage de 1997.
La Commission consultative pour la régionalisation (CCR), qui
a posé les jalons du nouveau découpage, déclarait s’être
« appuyée sur le maillage administratif provincial actuel » pour
élaborer son découpage, « afin de construire sur l’existant et
de profiter de la longue tradition de décentralisation admi-
Eddakhla
Eddakhla- Oued
- OuedEddahab
Eddahab nistrative du royaume ».
Le PIB par habitant s’élève à 29 390 DH en 2016 au niveau natio-
nal. Cinq régions, selon le découpage encore en vigueur,
présentent un PIB par habitant supérieur à cette moyenne
nationale. Il s’agit des régions de Dakhla-Oued-Ed-Dahab (76
013 DH), de Casablanca-Settat (46 088 DH), de Laayoune-Sa-
guia al Hamra (42 721 DH), de Rabat-Salé-Kénitra (34 826 DH)
et de Guelmim-Oued Noun (32 301 DH).
Dans les autres régions, le PIB par habitant s’est situé entre
15 809 DH, enregistré dans la région de Drâa-Tafilalet et
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 NUANCES EN CARTE 9

PRODUIT INTÉRIEUR BRUT RÉGIONAL PAR HABITANT


ET CONTRIBUTION DES RÉGIONS AU PIB - 2016

Tanger - Tétouan - Al Hoceima


PIB PAR HABITANT (EN DH)
Moins de 20 000
Rabat - Salé - Kénitra
20 000 à moins de 25 000
25 000 à moins de 35 000 Casablanca - Settat
Fès - Meknès Oriental
35 000 à moins de 45 000
45 000 et plus Beni Mellal - Khénifra

PART DU PIB (EN %) Marrakech - Safi


Drâa - Tafilalet
1
Souss - Massa
5

Guelmim - Oued Noun


10 28 447 DH dans la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima.
La dispersion du PIB par habitant est en augmentation. L’écart
absolu moyen est passé de 11 018 DH en 2015 à 11 335 DH en
2016.
Laayoune - Sakia El Hamra Les activités primaires (agriculture et pêche) constituent
12% du PIB au niveau national en 2016. La contribution de ce
secteur à la création de la richesse dépasse, dans la majorité
des régions, cette moyenne nationale. Ces activités contri-
buent pour 25,9% au PIB de la région de Dakhla-Oued-Ed-
Dahab, 20,4% au PIB de la région de Souss-Massa, 19,8% au PIB
de la région Fès-Meknès et 18,8% au PIB de la région Béni
Mellal-Khénifra. La région de Casablanca-Settat affiche,
quant à elle, la part la plus faible avec 4,5%.
Les activités secondaires (industrie, mines, électricité et eau
Source: HCP, Comptes régionaux

et bâtiment et travaux publics) représentent 26 % du PIB au


niveau national en 2016. Quatre régions affichent des parts
supérieures à cette moyenne : la région de Casablanca-Settat
avec 36,2%, celle de Béni Mellal-Khénifra avec 32,3%, celle de
Tanger-Tétouan-Al Hoceima avec 32,2% et celle de
Laâyoune-Saguia al Hamra avec 30,8%.
Les activités tertiaires (services marchands et non mar-
chands) contribuent pour 50,3% à la richesse nationale en
2016. Les régions de Guelmim-Oued Noun, de Dakhla-Oued-
Ed-Dahab et de Rabat-Salé–Kénitra présentent des structures
10 NUANCES EN CARTE LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

DÉPENSES DE CONSOMMATION FINALE DES MÉNAGES


PAR HABITANT SELON LES RÉGIONS - 2009

DCFM PAR HABITANT (EN DH) Tanger - Tétouan - Al Hoceima

Moins de 10 000
Rabat - Salé - Kénitra Oriental et Rif
10 000 à moins de 13 500
13 500 à moins de 17 000
Casablanca - Settat Fès - Meknès
17 000 et plus
Beni Mellal - Khénifra

Marrakech - Safi
Drâa - Tafilalet

Souss - Massa

économiques dominées par les activités des services, avec


Guelmim - Oued Noun des parts largement supérieures à la moyenne nationale,
respectivement de 68,6%, 65% et 60,5%. Elles affichent, tou-
tefois, les parts les plus faibles relatives à la participation
des activités secondaires à la création de la richesse régio-
Laayoune - Sakia El Hamra nale.
Les activités du secteur primaire restent l’apanage d’un
nombre limité de régions. Ainsi, les régions de Rabat-Salé-Ké-
nitra, de Fès-Meknès, de Casablanca-Settat de Souss-Massa
et de Marrakech-Safi ont contribué pour 67% à la création de
la valeur ajoutée nationale du secteur primaire en 2016 au lieu
de 68,5% en 2015.
Par ailleurs, Les activités du secteur secondaire sont concen-
trées dans les régions de Casablanca-Settat et de Tanger-Té-
touan-Al Hoceima qui ont participé pour 57,2% à la valeur
ajoutée nationale du secteur en 2016 au lieu de 56,2% en 2015.
Eddakhla - Oued Eddahab D’un autre côté, près de 60% de la richesse crée par les acti-
vités tertiaires est à imputer aux trois régions de Casablan-
ca-Settat, de Rabat-Salé-Kénitra et de Tanger-Tétouan-Al
Hoceima.
Les régions de Casablanca-Settat et de Rabat-Salé-Kénitra
ont participé pour 39,7% aux dépenses de consommation
finale des ménages (DCFM) au niveau national, avec 24,9% et
14,8% respectivement.
Celles de Fès-Meknès, de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, de
Marrakech-Safi et de Souss-Massa ont participé pour 41,5%
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 NUANCES EN CARTE 11

DÉPENSES DE CONSOMMATION FINALE DES MÉNAGES


PAR HABITANT SELON LES RÉGIONS - 2016

DCFM PAR HABITANT (EN DH) Tanger - Tétouan - Al Hoceima

Moins de 14 000
14 000 à moins de 16 000 Rabat - Salé - Kénitra

16 000 à moins de 18 000 Casablanca - Settat Oriental


Fès - Meknès
18 000 et plus
Beni Mellal - Khénifra

Marrakech - Safi

Drâa - Tafilalet

Souss - Massa

Guelmim - Oued Noun aux DCFM. Cette participation a été respectivement de 11,8%,
11,4%, 11,2% et 7,1%.
Le reste des régions ont contribué pour 18,7% des DCFM, avec
des apports compris entre 0,6% pour la région de Dakhla-
Oued-Ed-Dahab et 7% pour la région de l’Oriental.
Laayoune - Sakia El Hamra
Dans ces conditions, les disparités des dépenses de consom-
mation se sont légèrement atténuées. L’écart absolu moyen
entre la DCFM des différentes régions et la DCFM régionale
moyenne a atteint 30,5 milliards de DH en 2016 au lieu de 30,6
milliards de DH en 2015.
Rapportées à la population, les dépenses de consommation
finale des ménages affichent des niveaux supérieurs à la
moyenne nationale (16 974 DH en 2016) dans six régions. Il
s’agit des régions de Dakhla-Oued-Ed-Dahab (24 158 DH), de
Casablanca-Settat (20 769 DH), de Rabat-Salé-Kénitra
Source: HCP, Comptes régionaux

Eddakhla - Oued Eddahab (18 541 DH), de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (18 428 DH), de


Laâyoune-Saguia al Hamra (17 950 DH) et de l’Oriental
(17 464 DH).
Dans les autres régions, les dépenses de consommation par
habitant passent d’un minimum de 11 890 DH (Drâa-Tafilalet)
à 16 062 DH (Fes-Meknès).
À cet effet, la dispersion des dépenses de consommation
finale des ménages par tête a enregistré une baisse sensible.
L’écart absolu moyen est passé de 2 905 DH en 2015 à 2 663 DH
en 2016.
12 GOUVERNAIL LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

UN RECOURS PLUS FRÉQUENT À L'ENDETTEMENT EXTÉRIEUR, MAIS À DE MEILLEURES CONDITIONS

40000 6 %

35000
5 %
30000

Source : Direction du Trésor et des Finances Extérieures.


4 %
25000

20000 3 %

15000
2 %
10000
1 %
5000

0 0 %
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018

Encours de la dette extérieure publique (En millions $US) Service de la dette (En millions $US) Coût moyen (%)

UN ENCOURS DE DETTE PUBLIQUE QUI A DOUBLÉ DEPUIS 2010


100 000 000

900 000

800 000

700 000
Source : Direction du Trésor et des Finances Extérieures.

600 000

500 000

400 000

300 000

200 000

100 000

0
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

Encours de la dette intérieure du Trésor (En millions DH) Encours de la dette extérieure publique (En millions DH)
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 GOUVERNAIL 13

UN RATIO DETTE/PIB QUI REPART À LA HAUSSE DÈS 2008

90 %

80 %

70 %

Source : Direction du Trésor et des Finances Extérieures.


60 %

50 %

40 %

30 %

20 %

10 %

0 %
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018

Dette extérieure publique/PIB Dette intérieure du Trésor/PIB Ratio d'endettement total

DES EXPORTATIONS EN CONSTANTE ÉVOLUTION, MAIS DISTANCÉES PAR LES IMPORTATIONS (MDS DE DIRHAMS)

600

500
Source : Direction du Trésor et des Finances Extérieures.

400

300

200

100

0
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019

Exportations Importations
14 GOUVERNAIL LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

ESPÉRANCE DE VIE À LA NAISSANCE, TOTAL (ANNÉES)


77
76

Source: Banque mondiale, Institut de statistique de l'UNESCO.


75
74
73
72
71
70
69
68
67
1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016

INSCRIPTIONS À L’ÉCOLE, PRIMAIRE (% BRUT)*


115

110

Source: Banque mondiale, Institut de statistique de l'UNESCO.


105

100

95

90
* Nombre d’étudiants de la tranche d’âge
correspondant théoriquement à un niveau
85 d’enseignement donné, exprimé en pourcentage de
la population totale de cette tranche d’âge.
80
1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016

POURSUITE DES ÉTUDES JUSQU’À LA FIN DU CYCLE PRIMAIRE, TOTAL (% DE COHORTE)


95
Source: Banque mondiale, Institut de statistique de l'UNESCO.

90

85

80

75

70

65
1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016
16 GOUVERNAIL LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ, ZONES RURALES (% DE LA POPULATION RURALE)


100

90

80

70

60

50

Source: Banque mondiale.


40

30
1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016

INFLATION, PRIX À LA CONSOMMATION (% ANNUEL)


4

3,5

2,5

1,5

Source: Banque mondiale.


1

0,5

0
1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016

TOTAL DES RÉSERVES (COMPREND L’OR, EN MILLIARD DE DOLLARS)


26
24
22
20
18
16
14
12
Source: Banque mondiale.

10
8
6
4
1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016
18 ROUND UP LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

LE STYLE « M6 »
Les vingt dernières années, qui ont vu arriver à la tête du
pays en 1999 un jeune monarque de trente-six ans, ont
connu des parcours et des tournants déterminants qui ont
forgé l’identité contemporaine du Royaume. Traversé sans
cesse par des mouvements contradictoires entre racines
conservatrices, ambition réformatrice et tentation de
réinventer son modèle si particulier, le Maroc déçoit
parfois, étonne souvent, mais ne laisse jamais indifférent.
PAR ABDELMALEK ALAOUI
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 ROUND UP 19

GETTY IMAGES / ABDELHAK SENNA


20 ROUND UP LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

A
nalyser le Maroc des deux dernières
décennies sans parler de Mohammed VI
rendrait l’exercice fortement partiel, tant
le trône et son dépositaire sont consubs-
tantiels du chemin marocain. L’exercice n’est pas
aisé, car vingt années après son couronnement,
la personnalité de Mohammed VI conserve une
part d’énigme, qui ne peut être décodée qu’à
l’aune des réalisations à mettre à son crédit depuis
1999.
Dès son avènement, les analystes - notamment
étrangers - brossent un portrait peu flatteur du

GETTY IMAGES / ABDELHAK SENNA


nouveau roi et émettent des doutes sur la réussite
de la transition au pouvoir et sur l’avenir du pays.
À l’époque, personne ne sait qu’outre la délicate
mission de garantir la transition monarchique,
Mohammed VI a déjà sur son bureau plusieurs
Le roi Mohammed VI en
dossiers brûlants, qu’il gèrera au cours des 100 pleine discussion avec
premiers jours de règne avec ce style qui lui est son Premier ministre transport, de logistique et de connectivité qui en
Abderrahmane Youssoufi,
propre. À l’image d’un peintre, le souverain agit le 14 février 2000 au font incontestablement l’un des leaders du conti-
par touches successives. palais royal de nent, alors même que le pays ne comptait qu’une
Marrakech.
À son arrivée sur le trône, le premier défi est centaine de kilomètres d’autoroute en 1999. Rien
double : il s’agit d’une part de réduire, puis de neu- de cela n’aurait été possible sans une vision et une
traliser le champ d’action du très puissant projection sur les temps longs.
ministre d’Etat à l’Intérieur, Driss Basri, tout en À cet égard, une anecdote particulièrement savou-
gérant un changement de paradigme des parte- reuse circule autour de la décision de créer le port
naires internationaux du Maroc sur la question de Tanger Méditerranée, devenu la première
du Sahara. Dans ces deux cas, Mohammed VI infrastructure du genre en Afrique. À l’un de ses
saura faire preuve à la fois de doigté et de fermeté. conseillers qui arguait que cette gigantesque
Il limoge l’inamovible ministre de l’Intérieur de plateforme portuaire ne serait rentable que vingt-
Hassan II, trois mois après son accession au trône, cinq ans plus tard, le monarque aurait rétorqué
et ouvre la voie à une nouvelle doctrine en matière sèchement : « Il n’y a donc pas une minute à perdre,
de gestion de la question saharienne qui débou- il faut démarrer immédiatement ».
chera, moins d’une décennie plus tard, sur la pro- Cette première phase de grands travaux visait un
position marocaine d’une autonomie élargie. triple objectif pour le roi : hisser tout d’abord le
pays aux standards internationaux en
DU PRAGMATISME POUR ACCÉLÉRER matière d’infrastructures, puis augmenter
LA CROISSANCE
Le parcours de Mohammed VI, en
Les arbitrages l’employabilité notamment des jeunes, et
enfin préparer l’émergence d’un tissu pro-
matière économique, est plutôt pragma- ont été effectués ductif plus industrialisé, en capacité d’ac-
tique. A insi, lors d’une première
séquence qui durera de 1999 à 2007, le
pour que ne cueillir des investissements directs étran-
gers substantiels, en capitalisant
chef de l’Etat fera siennes les thèses key- puissent se faire notamment sur la position géoécono-
nésiennes, appliquant au pays un « choc »
de relance par les investissements dans
jour les intérêts mique du pays. Sur le plan politique, le
message en filigrane est clair : le temps
les infrastructures, tout en réussissant à particuliers d’un est à la prééminence du chantier intérieur
maintenir les équilibres macroécono-
miques. Cette politique de grands tra-
camp, d’un clan, sur les dossiers extérieurs.
Toujours en matière économique, la
vaux a eu les résultats tangibles que l’on voire d’une tribu. seconde phase de règne, qui démarre à
connaît : en 2019, le Maroc peut se tar- partir de 2006 jusqu’en 2011, peut être
guer de disposer d’infrastructures de qualifiée d’inspiration ricardienne, du
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 ROUND UP 21

nom de David Ricardo, l’économiste célèbre pour


sa théorie du commerce international basée sur
les avantages comparatifs. Le signal de l’arrivée à
maturité du Maroc dans la chaîne mondiale des
échanges sera sans conteste l’annonce de l’implan-
tation dans le nord du Royaume de l’usine Renault
le 1er septembre 2007, arrachée de haute lutte
auprès du leadership du constructeur français,
alors que le Royaume se trouvait en compétition
avec la Turquie. Cette installation constitue un
véritable basculement du centre de gravité de la
production du tissu économique marocain, désor-
mais tourné vers l’export dans sa composante
automobile. En cinq ans, celle-ci deviendra le pre-
mier produit exporté du pays, dépassant ainsi le
traditionnel secteur des phosphates. En 2021, la

REUTERS / ALAIN JOCARD


production automobile du Maroc, riche désormais
de trois constructeurs de rang mondial, devrait
dépasser celle de l’Italie, avec plus d’un million de
véhicules produits.
L’ex-président français
Enfin, la troisième phase de règne, qui a démarré François Hollande et le
en 2011, est vraisemblablement inspirée des tra- roi Mohammed VI devant s’est doublé d’un certain réalisme en termes poli-
la maquette du complexe
vaux de l’emblématique économiste du dévelop- portuaire Tanger-Med, le tiques, puisque le Maroc a non seulement créé en
pement d’origine vénézuélienne, Ricardo Hauss- 20 septembre 2015 dans moins d’une décennie plus d’une dizaine d’entre-
la ville du Détroit, Tanger.
man. Sous la double nécessité de réformer prises à vocation panafricaine dont le chiffre d’af-
l’appareil productif du pays pour en réduire les faires dépasse le milliard de dollars, mais a égale-
effets pervers en matière d’inégalités, tout en ment opéré un changement de doctrine en
trouvant de nouveaux relais de croissance, politique étrangère en réintégrant l’Union afri-
Mohammed VI va ouvrir de manière concomi- caine début 2017, mettant un terme à une paren-
tante deux chantiers stratégiques qui thèse de plus de trente ans.
visent à transformer à la fois la manière Bien entendu, ces politiques économiques
dont le pays produit et celle dont il se
projette.
Le signal de ne se sont pas succédé de manière nette.
Dans plusieurs cas, elles se sont chevau-
Au niveau de la production, le monarque l’arrivée à chées ou additionnées afin de corriger les
souhaite lors de cette troisième phase
replacer les jeunes au cœur des poli-
maturité du inévitables distorsions générées par des
politiques publiques évoluant dans un
tiques publiques économiques en recen- Maroc dans la monde en changement rapide et impré-
trant l’offre de formation pour la rendre
plus adaptée au monde de l’entreprise.
chaîne mondiale visible. Parfois, leurs résultats ont été
insuffisants en termes de développement
Pour cela, le marché national, bien qu’en des échanges sera global, soulignant le caractère dual de
progression, ne lui semble pas en capa-
cité d’absorber les nouveaux entrants.
sans conteste l’économie marocaine, avec des poches
de très forte prospérité concentrées dans
Dans un contexte de baisse de la crois- l’annonce de l’axe Kénitra-El Jadida, et d’autres zones
sance des marchés traditionnels du
Maroc, notamment en Europe, c’est donc
l’implantation de accusant un retard certain, créant ainsi
des déséquilibres territoriaux impor-
en direction de la « dernière frontière » l’usine Renault tants.
que le pays concentre ses efforts. Il réaf-
firme ainsi sa vocation africaine et ambi-
le 1er septembre DOUBLE RUPTURE
tionne de devenir la nation motrice des 2007. C’est aussi à l’aune de ce chemin qu’il
partenariats Sud-Sud. convient d’appréhender la réforme
Ce pragmatisme en matière économique constitutionnelle de 2011, un peu vite
22 ROUND UP LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

qualifiée exclusivement comme une réponse au


« printemps arabe ». Si ce dernier a été indéniable-
ment un facteur d’accélération de la réforme, il
n’en était pas l’unique inspirateur. Au plus profond
de la révision constitutionnelle de 2011 se trouve
la conviction ancrée dans l’esprit de Mohammed
VI que les disparités régionales, combinées aux
inégalités qui se creusent, constituent un danger
prégnant pour le Maroc. Consacrant à la fois une
redistribution des pouvoirs entre l’exécutif et le
roi, mais également la mise en place d’une régio-
nalisation avancée, le texte fondamental de 2011
introduit donc une double rupture fondamentale,
tant sur le plan de l’exercice du pouvoir que de sa
projection spatiale.
La Constitution de 2011, largement approuvée par
le référendum du 1er juillet de cette même année,
ne compte pas toutefois que des soutiens. Cer-
tains acteurs estiment qu’elle est allée trop loin
et d’autres pas assez. Certains auraient voulu que
la liberté de conscience y figure. D’autres pensent
que l’article 47 -qui stipule que le roi nomme le
chef du gouvernement au sein du parti politique
arrivé en tête des élections- serait trop limitatif
et contribuerait à l’atomisation du champ poli-
tique. D’autres enfin auraient voulu y voir figurer
une délimitation plus nette des champs de com-
GETTY IMAGES / ABDELHAK SENNA

pétence du chef de gouvernement ou du cabinet


royal. Tous, d’une manière ou d’une autre, ont
sans doute raison, mais personne ne raconte l’his-
toire en entier.
En réalité, la réforme constitutionnelle de 2011 Le souverain du royaume du Maroc dans un bureau de vote à Salé (près de la capitale Rabat),
s’insère d’abord dans un contexte et un lors du référendum pour la révision de la Constitution organisé le 1er juillet 2011.
style d’exercice du pouvoir incarnés par
Mohammed VI. La culture monarchique
marocaine place le chef de l’Etat comme
Le texte dans l’histoire du Royaume, puisque le
le garant contre tous les extrémismes. fondamental de pays rejeta au cours de son histoire qua-
C’est dans cet esprit que les arbitrages
ont été effectués, pour que les intérêts
2011 introduit siment tous les mouvements extrémistes,
voire sectaires, qui ont pu faire leur appa-
particuliers d’un camp, d’un clan, voire une double rition, pour cultiver son modèle particu-
d’une tribu, ne puissent l’emporter,
quitte à privilégier dans certains cas un
rupture lier basé sur la tolérance, la coexistence,
et le dialogue interreligieux, poussant
consensus temporaire sur des points cli- fondamentale, même la sophistication jusqu’à recon-
vant profondément la société.
Ceci se reflète également en matière d’af-
tant sur le plan de naître dans son texte fondamental - en
son article premier - que « la nation s’ap-
faires religieuses. Dans ce domaine, l’exercice du puie dans sa vie collective sur des
Mohammed VI n’aura de cesse de réaf-
firmer son ferme attachement au modèle
pouvoir que de sa constantes fédératrices, en l'occurrence
la religion musulmane modérée, l'unité
particulier que constitue le Maroc, sym- projection spatiale. nationale aux aff luents multiples, la
bolisé par la formule de l’« Islam du monarchie constitutionnelle et le choix
milieu ». Cette conception est ancrée démocratique ». n
LA TRIBUNE AFRIQUE PARTENAIRE

ENTRETIEN AVEC YOVEN MOOROOVEN,


DIRECTEUR GÉNÉRAL ENGIE AFRIQUE
Présente depuis une cinquantaine d’années en Afrique, la multinationale française s’est dotée d’une direction
Afrique en 2016 afin d’accompagner son développement sur le Continent. A sa tête depuis avril 2018, le Mauricien
Yoven Moorooven, DG Engie Afrique, décline dans cet entretien les ambitions, ainsi que les perspectives de cette
entreprise active tout le long de la chaîne de valeur de l’énergie sur le marché africain.

Bien que présente en Afrique depuis des décennies,


c’est en 2016 qu’ENGIE crée une business unit opé-
rationnelle dédiée à l’Afrique. Que signifie ce posi-
tionnement et quel bilan dressez-vous du dévelop-
pement de vos activités sur le Continent ?
Yoven Moorooven : Nous apportons des solutions
concrètes et innovantes depuis des années dans des
pays comme le Maroc ou l’Afrique du Sud où nous
sommes présents dans la production d’électricité
centralisée, ainsi que dans les activités de service.
Nous accompagnons également le développement
des villes en proposant des solutions efficientes
comme l’éclairage public et la mobilité verte. Ces
trois dernières années, notre engagement sur le
Continent s’est beaucoup intensifié avec l’accéléra-
tion des projets et des acquisitions au Maroc ou en
Afrique du Sud où nous avons mis en service plu-
sieurs centrales, et dans d’autres pays comme
l’Egypte ou le Sénégal où la construction de cen- -vente d’électricité au secteur des télécoms, ser- Le potentiel du marché africain suscite la convoi-
trales renouvelables est en cours. Actuellement, vices aux data centers, etc. Bien évidemment, nous tise d’autres opérateurs et la concurrence est
nous disposons de plus de 3 000 MW en opération et poursuivons le développement de nos capacités de assez rude.
en construction en Afrique où plus de 3000 de nos production d’électricité zéro carbone en valorisant Comment le groupe ENGIE entend-il se démarquer
collaborateurs travaillent à déployer des solutions le potentiel exceptionnel du Continent en terme des offres existantes et surtout quelles sont vos
efficaces. d’énergies renouvelables. Nous croyons beaucoup ambitions pour l’Afrique au-delà des solutions que
au déploiement de solutions d’accès à l’énergie hors vous vendez ?
Le déficit en énergie du Continent nécessite des réseau « as a service » -SHS, minigrid- en nous ENGIE peut s’appuyer sur des compétences profon-
alternatives innovantes afin d’améliorer la fourni- appuyant fortement sur le digital : gestion des don- dément ancrées sur le Continent : en définitive, il
ture d’électricité. Comment ENGIE déploie-t-elle sa nées, paiement mobile, etc. s’agit de déployer des solutions mises en place par
stratégie pour faire face aux immenses besoins de des Africains pour des Africains. En développent des
l'Afrique ? Quelle est la valeur ajoutée de votre stratégie qui activités allant de l’énergie centralisée, au mini-ré-
En Afrique, le groupe ENGIE a la possibilité d’offrir une consiste à s’appuyer sur les acteurs locaux ? seaux et aux installations solaires domestiques -déjà
approche totalement intégrée et décarbonée le long Il faut capitaliser sur le savoir-faire des pays afri- plus de 2 millions de personnes connectées- ENGIE
de la chaîne de valeur de l’énergie : de l’ongrid à cains, qui peut aussi s’exporter ailleurs. ENGIE a la capacité unique de construire des solutions
l’offgrid en passant par les services énergétiques ; apporte de l’expertise et les partenaires ont une intégrées tout le long de la chaîne de valeur de l’éner-
ainsi qu’un positionnement fort sur les solutions meilleure connaissance du marché local. C’est donc gie. Nous nous positionnons comme un des acteurs
clients, en capitalisant sur nos acquisitions récentes une approche gagnant-gagnant, car il est difficile qui rendront possible l’accès universel à l’énergie en
et notre travail autour de partenariats. Nous voulons d’envisager un modèle durable sans l’implication Afrique dans les années à venir et nous misons sur
également déployer nos solutions intégrées B2B forte de partenaires locaux. Chez ENGIE, nous nous l’innovation en termes de technologie et de business
-efficacité énergétique, maintenance, HVAC etc.- positionnons comme un partenaire de choix sur le model comme vecteur essentiel pour y parvenir.
ainsi que nos services orientés vers les villes. Nous long terme, en apportant nos compétences tech- L’accès à l’énergie doit être envisagé au sens large
avons l’intention de pousser l’énergie « as a service » niques, juridiques et financières. Notre ancrage local et peut ouvrir de nombreuses perspectives qui
à travers le déploiement d’offres « verticales » pro- et le développement d’une approche claire de par- contribueront à améliorer les conditions de vie à
metteuses, ciblant des clients à fort potentiel et tenariat avec les parties prenantes africaines sont travers le Continent, y compris l’accès à l’informa-
réplicables à grande échelle à travers le Continent donc essentiels. tion, à l’éducation et à la santé. n
24 CONFESSIONNAL LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

SALAHEDDINE MEZOUAR
Président de la CGEM, ancien
ministre et chef de parti.

DIFFICILE D’ENFERMER SALAHEDDINE MEZOUAR DANS UNE


CASE TANT L’HOMME A MULTIPLIÉ LES CASQUETTES AU FIL
DE SA RICHE CARRIÈRE. CELUI QUI PRÉSIDE DEPUIS MAI
2018 LA PRINCIPALE ORGANISATION PATRONALE DU
ROYAUME (CGEM) A ÉTÉ PLUSIEURS FOIS MINISTRE ET A
DIRIGÉ LE PARTI DU RASSEMBLEMENT NATIONAL DES
INDÉPENDANTS (RNI) AUSSI BIEN DANS L’OPPOSITION QUE
DANS LA MAJORITÉ GOUVERNEMENTALE. DE PAR LES
MULTIPLES FONCTIONS QU’IL A OCCUPÉ, IL EST SANS DOUTE
UN TÉMOIN PRIVILÉGIÉ DES DEUX PREMIÈRES DÉCENNIES
DE RÈGNE DU ROI MOHAMMED VI. ENTRETIEN.
PHOTO DR.
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 CONFESSIONNAL 25

« LE SECTEUR PRIVÉ ADHÈRE


PLEINEMENT À LA VISION ROYALE
ET S’Y ENGAGE »
LA TRIBUNE AFRIQUE : Quel était votre état d’esprit à la veille développement, avec un focus précis sur
du 30 juillet 1999 ? l’amélioration des conditions de vie de nos
SAL AHEDDINE MEZOUAR - Un esprit concitoyens les plus démunis. L’INDH [Initiative
constructif ! Il s’agit d’une étape majeure de notre nationale de développement humain, NDLR] a
Histoire, et l’ensemble des acteurs ont fait preuve également représenté un chantier de règne ouvert
d’un grand sens d’engagement patriote et de en permanence avec comme objectif suprême la
responsabilité. L’avènement d’un nouveau règne lutte contre la marginalisation sociale, l’exclusion,
coïncidait avec l’entrée du Maroc dans le 21ème l’analphabétisme, et prémunir les couches les plus
siècle, et toute une génération s’est sentie investie vulnérables de la population contre toute forme
d’une mission collective au service du d’extrémisme.
développement socio-économique du Maroc sous Des actions très fortes ont permis de donner corps
la conduite éclairée du nouveau Souverain Sa à la vision d’un projet de société moderniste et
Majesté le Roi Mohammed VI. humaniste, à l’instar du nouveau Code de la
Famille, qui a hissé la femme marocaine au même
Quel regard portiez-vous sur le prince héritier Sidi Mohammed rang que l’homme, sur la base d’un partenariat égal
et par la suite sur ses premiers pas de monarque ? en droits et obligations. La réforme du Code de la
Un regard admiratif et bienveillant. Nous avons nationalité qui a permis à un enfant né de mère
tout de suite eu le sentiment d’être en présence marocaine et de père étranger d’avoir accès à la
d’une vision royale qui place le citoyen au cœur de citoyenneté marocaine.
l’ambition nationale et qui se décline sur un
ensemble d’activités stratégiques. Nous avons Le 8 juin 2004, vous avez fait votre entrée dans le
observé avec enthousiasme les premiers pas d’un gouvernement Jettou en tant que Ministre de l’Industrie, du
jeune monarque humaniste, qui a su consolider les Commerce et de la mise à niveau de l’économie. Quelles
piliers de l’unité et de la démocratie, et conforter étaient les priorités et les grands chantiers de l’économie
une dynamique de développement, de progrès et marocaine à l’époque ?
de solidarité. J’ai eu l’immense honneur d’être nommé Ministre
par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en 2004. Au
Quels sont les premiers actes forts du jeune roi qui vous ont sein du gouvernement Jettou, nous disposions de
le plus marqué ? véritables compétences, certaines issues du secteur
Sa Majesté le roi Mohammed VI a tout de suite privé, qui ont œuvré sans relâche pour lancer les
décliné le nouveau concept de l’autorité lors du grands projets économiques, conformément aux
discours de 1999. Il s’agissait là d’un complément hautes orientations royales.
indispensable à la transition démocratique déjà Le Maroc devait se doter d’un Modèle économique
entamée. Assurer la protection des libertés, compétitif, diversifié sectoriellement, ouvert sur
préserver les droits des citoyens, veiller à le monde, et transformant ses atouts en avantages
l’accomplissement de leurs devoirs, renforcer la compétitif. J’étais en charge de mettre en place
notion d’Etat de droit, et tourner, avec courage, une nouvelle approche stratégique pour l’industrie,
une des pages de notre Histoire récente. Sur le tout en mettant en place le dispositif de mise à
plan social, le citoyen a été placé au cœur du niveau de notre Tissu – D’où le Plan Emergence
26 CONFESSIONNAL LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

et les nouveaux Métiers Mondiaux du Maroc – dynamique et des décisions rapides qui ont aidé à
Nous en voyons les résultats aujourd’hui. préserver notre pays des contrecoups de la crise.
Il s’agissait aussi d’adapter le secteur du
Commerce à l’évolution de la société et du
Le roi
« 
En 2010, vous prenez la tête du parti du Rassemblement
consommateur, de développer de nouveaux acteurs Moham- National des Indépendants pour ensuite former une coalition
dans le commerce et la distribution, tout en aidant
le commerce de proximité à s’adapter – d’où le
med VI a de 7 partis en vue des législatives de 2011. Au final, c’est le
parti Justice et Développement qui sort vainqueur de ce
Plan Rawaj. tout de scrutin. Comment avez-vous vécu ce passage à l’opposition ?

Comment se matérialisait la vision royale à ce niveau ?


suite Le passage à l’opposition fait partie de la vie
démocratique, et représente un « passage
Par une grande cohérence et beaucoup de décliné le statutaire » pour tout parti politique qui aspire à
volontarisme pragmatique. Il s’agissait de doter le
Maroc d’une économie diversifiée et compétitive,
nouveau occuper les premiers rôles. La Constitution
consacre le rôle de l’opposition parlementaire, et
autour de stratégies sectorielles qui renforcent nos concept de les partis de l’opposition sont des acteurs
atouts, notre attractivité et notre différenciation,
qui s’appuie sur notre capital humain et notre
l’autorité indispensables pour contrôler l’action du
gouvernement et formuler des propositions
position géographique. La stratégie de HUB lors du politiques alternatives. Sur le plan interne, le
Régional était en filigrane.
Cette stratégie devrait déboucher sur un
discours de passage à l’opposition nous a permis de structurer
davantage le Parti, notamment sur le plan régional
développement et un renforcement du tissu 1999» et des organisations parallèles. Alterner
entrepreneurial. La vision intégrait le responsabilité gouvernementale et responsabilité
développement territorial et humain. de l’opposition forge les partis et leurs cadres.

Après les élections de 2007, vous restez dans l’exécutif mais Votre retour au gouvernement se fait au ministère des Affaires
cette fois dans l’équipe de Abbas El Fassi en tant que ministre étrangères. Un portefeuille que les spécialistes qualifient de
des Finances. Qu’est ce qui marque cette nouvelle étape « ministère de souveraineté ». Comment se passait la
gouvernementale ? collaboration avec le Cabinet royal en matière de politique
Cette nouvelle étape gouvernementale a d’abord internationale du Royaume ?
été marquée par une logique démocratique, le Sa Majesté le Roi Mohammed VI m’a fait l’immense
Premier ministre nommé a été le secrétaire général honneur de me nommer à la tête du Ministère des
du parti arrivé en tête lors des élections législatives Affaires étrangères et de la coopération. Les
de 2007. orientations de la politique extérieure du Maroc
relève, de part la constitution, des prérogatives du
Y’avait-il une continuité stratégique en ce qui concerne les Chef de l’Etat, donc de Sa Majesté le Roi.
plans lancés par le précédent Exécutif ?
Le gouvernement El Fassi s’est inscrit dans la Quelles étaient les lignes directrices énoncées par le
continuité des actions et des plans lancés par le souverain ?
gouvernement Jettou, plusieurs membres de La politique extérieure du Maroc repose sur des
l’équipe gouvernementale ont d’ailleurs été fondamentaux, paix, sécurité, coopération, non-
reconduits. En ce qui concerne ma nouvelle ingérence et respect de la souveraineté des Etats,
mission à l’Economie et aux finances, j’ai veillé à solidarité, résolutions des conflits par voies
donner plus d’impulsion en dotant toutes les pacifiques, respect du droit et des conventions
stratégies des moyens de leur accélération, mais internationales, respects des droits de l’Homme,
aussi à soutenir le développement territorial, co-existence pacifique des religions, engagement
l’éducation et la santé. pour l’environnement… Mais comme tout pays, la
géopolitique et la géoéconomie occupent
Comment avez-vous géré la crise financière et économique également une place de choix – solidarité Arabe,
internationale de 2008 ? Et quels ont été les orientations soutie n à la question palestinie nne,
royales dans ce sens ? constructionsd’un espace de paix et de prospérité
La mise en place du comité de veille stratégique, à travers l’accord d’association, la diversification
décidé par Sa Majesté, a permis une gestion des alliances et ses partenaires stratégiques, la
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 CONFESSIONNAL 27

coopération Sud-Sud, l’ancrage africain, des liens approche se devait de se traduire dans notre
humains et spirituels, la lutte contre l’extrémisme, espace africain à travers deux dimensions : la
la diplomatie économique comme élément de
rapprochement et de renforcement des liens entre
Sa Majesté dimension économique et la dimension
internationale. Les accords de coopération,
les Etats et les peuples, sont autant d’éléments qui n’hésite pas l’investissement et le partenariat économique, le
cimentent la vision et l’approche royale : la
souveraineté nationale et l’intégrité territoriale
à rappeler retour au sein de notre famille Institutionnelle ont
été la traduction des nombreux accords de
constituent les déterminants forts de notre à l’ordre coopération signés, des investissements et des
politique éxtérieure - Ce sont ces fondamentaux,
ces orientations qui ont guidé ma mission -
quand c’est partenariats économiques engagés.
C’était une période riche, intense, et pleine
nécessaire. d’enseignement – la considération portée par les
En 2016, vous présidez la COP22 de Marrakech. Qu’est ce qui chefs d’Etat et les peuples africains à Sa Majesté
a motivé la volonté d’organiser un événement d’une telle est une véritable fierté nationale.
envergure au Maroc ? Quels en étaient les principaux  
objectifs ? En marge de la COP22, un sommet africain sur le Vous êtes depuis mai 2018, à la tête de la CGEM, la principale
climat a été organisé à Marrakech. Quelle en était la portée à organisation patronale du royaume. Quelle est l’importance
la fois symbolique et pratique ? de cette vision royale pour les entreprises marocaines
Il s’agit là d’un engagement international du sachant que nombre de celles-ci se sont développées sur le
Maroc, Sa Majesté est très sensible aux questions Continent ces dernières années ?
de l’environnement depuis qu’il était Prince Le secteur privé adhère pleinement à la vision
Héritier. Le Maroc a organisé la COP7 et s’était royale et s’y engage. Les entreprises Marocaines,
porté candidat pour l’organisation de la COP22 – publiques et privées, ont réalisé des partenariats
Je tiens à rappeler la présence de sa majesté à la et des investissements importants sur le
COP 21, Marquée par la signature de l’Accord de Continent, faisant du Maroc le premier
Paris, pour confirmer l’engagement au plus haut investisseur africain en Afrique de l’Ouest et
niveau du Maroc. second sur le Continent – ceci a permis de
Les défis de la COP22 étaient énormes – Sa développer une connaissance et une expertise
Majesté a voulu faire de cette COP une COP de recherchée aujourd’hui par d’autres investisseurs-
l’Afrique, une COP de l’action pour initier la mise la valeur ajoutée de ces investissements pour ces
en œuvre des engagements de l’Accord de Paris- Je pays n’est plus à démontrer. Il s’agit aujourd’hui
tiens à rappeler que l’entrée en vigueur de l’accord d’ancrer encore plus l’entreprise marocaine dans
s’est faite lors de la COP22- Cette COP a formalisé sa profondeur africaine, particulièrement les PME,
le rôle des acteurs non – étatiques. pour contribuer davantage à l’intégration des
Elle a mis l’accent sur les questions de économies et des acteurs africains- Et c’est à cela
financement, le renforcement des capacités et le que nous nous attelons aujourd’hui.
transfert de technologies. La déclaration de
Marrakech a consacré l’engagement des Etats pour Vous avez été témoin de la collaboration du roi Mohammed VI
l’accélération de la Mise en œuvre de l’Accord. avec 3 de ses chefs de gouvernement. Comment décririez-vous
À l’occasion de cette COP, et pour la Première fois, son style de management ?
l’Afrique a parlé de la même voix. Le Sommet Sa Majesté est très attachée au respect des
Africain de l’Action, présidé par Sa Majesté le Roi, institutions et de leurs prérogatives. Il leur a
a arrêté une position africaine commune et a apporté son soutien avec sa bienveillance
affirmé l’engagement du Continent pour le Climat. légendaire- Il a toujours agi dans le cadre des
prérogatives que lui confère la Constitution – Mais
Le roi Mohammed VI a fait de l’Afrique une priorité stratégique Sa Majesté est exigeant pour tout ce qui touche la
du royaume en impulsant des investissements importants sur dignité et le bien être de son peuple, la
le Continent et en réintégrant les instances panafricaines. A souveraineté et la sécurité de son pays, et n’hésite
partir des fonctions officielles que vous avez occupé, pas à rappeler à l’ordre quand c’est nécessaire. La
comment avez-vous vécu cette inflexion stratégique ? preuve en est la teneur de ses discours. n
Je tiens à rappeler que la coopération Sud-Sud Propos recueillis Par Aziz Saidi
constitue un pilier de la vision Royale – cette
28 SUR LE VIF LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

Le roi Mohammed VI prononçant


un discours à l’ouverture de la
session d’automne du parlement,
le 13 octobre 2000 à Rabat.
Crédit photo : Getty Images/ AFP / ABDELHAK SENNA
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 SUR LE VIF 29
30 POLITIQUE LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

L'ARBITRAGE ROYAL
EN DERNIER
RECOURS
Sous l’effet du « printemps arabe », le Maroc
s’est doté d’une nouvelle Constitution qui
redéfinit les rapports entre les différentes
institutions. Dans cette redéfinition des
rôles, le roi concède une partie de ses
pouvoirs au reste des acteurs. Décryptage.
PAR IBRAHIMA BAYO JR.

L
e ton est sentencieux, la mine est sérieuse. En
plus du timing, le paralangage solennel confère
au rappel royal la force d’une formule exécu-
toire. Nous sommes le 29 juillet 2016, à la
veille de la fête du trône, l’anniversaire de ses 17 ans
de règne. Ce jour-là, Mohammed VI donne à son
discours la tonalité d’un aide-mémoire à destination
des acteurs politiques, alors en pleine préparation de
la bataille pour les législatives du 7 octobre.
« Ayant la charge de veiller au respect de la Constitution,
au bon fonctionnement des institutions et à la protection
du choix démocratique, je ne participe à aucune élection
et n’adhère à aucun parti. Car moi, je suis le roi de tous
les Marocains, candidats, électeurs et aussi ceux qui ne
votent pas. Je suis également le roi de toutes les formations
politiques, sans discrimination ou exclusion. Comme je
l’ai affirmé dans un précédent discours, le seul parti
auquel Je suis fier d’appartenir, c’est le Maroc », assène
le souverain.
Le raisonnement qui sous-tend ce recadrage tire sa
légitimité de la Constitution de 2011 qui fait que,
souligne encore le discours, le « roi jouit d’un statut
particulier dans [le] système politique ». Figure centrale
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 POLITIQUE 31

de l’architecture institutionnelle, le roi conserve un


rôle politique de chef de l’Etat qui préserve la forme
d’une monarchie séculaire, un rôle religieux et sym-
bolique de « Commandeur des croyants », des préro-
gatives régaliennes (armées, diplomatie, économie,
police, etc.). Et pourtant, les revendications des
manifestations dans le sillage du « printemps arabe »
ont précipité une réforme du système politique qui
décompresse une partie des pouvoirs placés entre les
mains du roi.
Depuis la Constitution de 2011, l’équilibrisme poli-
tique consacre un exécutif bicéphale, le chef du gou-
vernement, la plus haute fonction politique du
royaume, est choisi par le roi au sein du parti qui
engrange le plus grand nombre de voix aux élections
législatives. Auréolé d’une légitimité populaire dans
ce régime parlementaire, il voit ses pouvoirs élargis
dans la gestion des affaires publiques et administra-
tives, tout comme ceux du parlement sont renforcés.
En dépit des changements, le Maroc reste dans « un
système bicéphale, dont la monarchie demeure le pivot
central, même si le chef de gouvernement dispose d’un
domaine d’action propre, clairement délimité par la
constitution », résume Najib Mouhtadi, chercheur en
science politique.

LE « CHEF DE GOUVERNEMENT DÉSIGNÉ »


DÉMIS DE SES FONCTIONS
Clé de voûte des institutions, le roi se voit accorder
la fonction très particulière d’arbitre. Exempt des
pressions politiques inhérentes aux partis, il tient le
rôle d’un acteur impartial et transpartisan qui peut
assurer la continuité des institutions, garantir leur
interactivité et trancher en cas de blocage ou de crise.
« Cela veut dire que le roi veille au fonctionnement normal
de toutes les institutions, y compris du gouvernement qui
demeure devant lui comptable, au même titre que devant
le parlement. En cas de déviance réelle ou supposée de
l’exercice gouvernemental ou en cas d’écart de celui-ci des
choix démocratiques, le roi dispose de toutes latitudes pour
remédier à la situation, en actionnant les instruments
constitutionnels à lui reconnus », poursuit notre expert.
Ce rôle a souvent été décisif pour décanter des situa-
tions politico-sociales et garantir une certaine stabi-
lité dans la marche des institutions.
Cet arbitrage royal a permis de dénouer la première
crise politique majeure depuis l’adoption de la
Constitution. A la mi-mars 2017, cinq mois après des
législatives remportées par les islamo-conservateurs
du Parti de la justice et du développement (PJD), le
Royaume est toujours sans gouvernement. Malgré
32 POLITIQUE LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

lettre de la Constitution, puisque celle-ci exige que


le chef de gouvernement soit choisi au sein du parti
ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages aux
législatives sans préciser la qualité de la personnalité
à désigner. Le choix de l’« arbitre suprême » est justi-
fié par le « souci permanent de consolider le choix démo-
cratique et de préserver les acquis réalisés par notre pays
dans ce domaine », note le Cabinet royal.

DES POLITICIENS ET DES CITOYENS


REUTERS / PH.LINH / POOL (MOROCCO)

S’EN REMETTENT AU ROI


L’on est loin de l’époque où le roi disposait d’une
entière liberté dans le choix du Premier ministre qui
devait diriger le « gouvernement de Sa Majesté ».
Depuis la Constitution de 1996 qui a prévalu jusqu’à
Le roi Mohammed VI à son remplacement par celle de 2011, le Premier
l’ouverture de la
son score de vainqueur en hausse, le parti conserva- session d’automne du ministre est une sorte de grand coordonnateur de
teur ne rafle pas la majorité au parlement. Les trac- parlement, le 12 l’exécution des politiques initiées par le roi. Cette
octobre 2007 à Rabat,
tations avec les autres partis pour former une coali- la capitale du Maroc. configuration a donné au Maroc la nomination d’un
tion gouvernementale débouchent sur un constat Premier ministre technocrate en la personne de Driss
d’échec. Officiellement, justifie un communiqué du Jettou. L’actuel président de la Cour des comptes est
Cabinet royal, pour « dépasser la situation d’immo- précédé au poste par l’opposant historique de l’USFP,
bilisme actuelle », le roi Mohammed VI choisit l’op- Abderrahman El Youssoufi, aujourd’hui retiré de la
tion constitutionnelle de démettre Abdel-Ilah Benki- vie publique. Tout comme son lointain successeur
ran de ses fonctions provisoires de « chef du qui l’a remplacé au poste, Abbas El Fassi, issu du Parti
gouvernement désigné ». de l’Istiqlal (PI). Au-dessus des querelles partisanes,
Les portes de la primature, le secrétaire général du le souverain chérifien arbitrait les disputes politiques
PJD les pousse en 2011. Le Maroc est alors traversé tout en conduisant la politique du Royaume.
comme presque tous les pays arabes par une vague Aujourd’hui, en plus des prérogatives constitution-
de manifestations réclamant le changement. Les nelles, le rôle d’arbitre de Mohammed VI a aussi un
législatives anticipées organisées sous l’effet de la pendant populaire. « Arbitrage royal », « hautes ins-
nouvelle Constitution portent au pouvoir les isla- tructions royales », « colère royale », la sémantique
mo-conservateurs du PJD. Cinq ans plus tard, en associée au roi est dans plusieurs cas révélatrice de
politicien madré, même s’il a commis des impairs qui sa position d’ultime recours. En désespoir de cause,
ont pu irriter jusqu’à l’entourage du roi, Abdel-Ilah pour se plaindre d’un élu, d’un fonctionnaire ou de
Benkiran a réussi, par un leurs conditions de vie, il n’est
savant mélange de populisme pas rare de voir les citoyens
et d’adaptation politicienne, à
gérer sa cohabitation avec le L’arbitrage royal s’en remettre à la personne du
roi. La technique est parfois
Palais.
Ce dernier lui préfère Saad a permis de dénouer aussi empruntée par certains
politiques pour faire avancer
Dine El Otmani pour le rem-
placer au poste de chef de gou- la première crise un dossier ou contribuer à le
faire réviser. « Au fait, souligne
vernement. Médecin de forma-
tion, cet ancien ministre des politique majeure Najib Mouhtadi, le roi dispose
surtout et par-dessus tout d’un
Affaires étrangères dans le
précédent gouvernement n’est depuis l’adoption pouvoir symbolique qui opère
souvent parallèlement aux méca-
que le numéro deux du parti.
De personnalité moins érup- de la Constitution. nismes juridiques prévus par la
loi ». C’est sans doute le côté
tive et surtout moins clivante, le plus populaire de la fonc-
sa nomination respecte la tion d’arbitre. n
34 POLITIQUE LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

3 QUESTIONS À… conçoivent pas dans une Constitution moderne. Le fait


est que le Maroc continue d’être tourmenté par les choix
NAJIB MOUHTADI, difficiles entre tradition et modernité ; il vit une
CHERCHEUR EN ambigüité sociopolitique dont s’accommode une large
part de la société politique. Bien entendu, des
SCIENCE POLITIQUE intellectuels de gauche comme de droite expriment
périodiquement leur préférence pour un régime
parlementaire, c’est-à-dire un système politique dans
lequel le parlement porte une majorité au pouvoir, face
à un monarque qui renonce à un nombre considérable
de ses attributions. A quoi rétorquent les caciques, la
société marocaine ne serait pas encore prête pour ce
type de régime qui remet entièrement le pouvoir entre
les mains d’un parti politique. Il existe bien un courant
LA TRIBUNE AFRIQUE - Le Maroc est une monarchie réformateur au sein de la société qui en appelle au
constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale, selon la parlementarisme, mais ce courant politique demeure
Constitution de 2011. Cela en fait-il une exception difficile à classer inaudible et ses thèses mal connues du grand public.
dans la typologie des régimes politiques ? Depuis la dépréciation du fait politique, l’opinion
NAJIB MOUHTADI - Pas du tout ! Le Maroc est un pays publique a perdu toute confiance en les partis et les
comme les autres, mais développe une forme de syndicats, et en appelle au renforcement des pouvoirs
monarchie exécutive, un type de pouvoir où le monarque du Roi, voire la suppression de nombre d’institutions
supervise les leviers stratégiques laissant au représentatives, ce qui est en soi une dérive grave de la
gouvernement une marge confortable pour la gestion pensée commune.
des affaires publiques. C’est le fruit d’un syncrétisme

« LA FONCTION D’ARBITRAGE


EST UN ÉLÉMENT D’ÉQUILIBRE »
politique entre monarchie constitutionnelle et Depuis cette Constitution, les pouvoirs du chef de gouvernement
monarchie patrimoniale. Cette réalité puise sa légitimité ont été renforcés, mais le roi garde la haute main sur la vie politique
dans le substrat anthropologique de l’Etat quasi khalifal et sociale. Quelle est la marge de manœuvre du chef de
ayant prévalu avant le protectorat et dont des fragments gouvernement ?
altérés ou délités ont pris des formes nouvelles dans une Il faut reconnaître que la dernière Constitution a
configuration constitutionnelle. introduit d’importants aménagements dans la répartition
Il se trouve que des hommes politiques, y compris à la des pouvoirs, dont l’élargissement du domaine de la loi
tête du PJD, parti majoritaire au gouvernement, et par conséquent les pouvoirs du chef de gouvernement
défendent cette option de monarchie exécutive dans qui n’est plus un primus inter pares, un chef sans
laquelle ils se trouvent en pole position, tant que le Roi pouvoirs. Il y a eu un départage plus tranché des zones
est aussi commandeur des croyants. Cette fonction de pouvoir, dont la gestion des ministères régaliens.
coupe la route à toute forme de religiosité déviante de Le Roi continue d’avoir la main sur les Affaires
leur point de vue, et les protège contre les assauts de la étrangères, les Affaires islamiques et fondations pieuses,
pensée rationaliste, agnostique ou laïque. Pour eux, la le ministère de l’Intérieur et un certain nombre
religion est la sève idéologique de leur parti. d’établissements publics réputés stratégiques, comme
Néanmoins, cette fonction religieuse du Roi - admise par le secteur de l’énergie, des mines, et autres entreprises
la majorité des acteurs politiques - complique publiques et semi-publiques qui gèrent la grosse part du
indéfiniment le tableau pour un analyste occidental, car PNB. Aux termes de la Constitution de 2011, le chef de
les attributions religieuses du roi du Maroc ne se gouvernement exerce le pouvoir exécutif, dispose de
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 POLITIQUE 35

l’administration, met en œuvre son programme gouvernemental ou en cas d’écart de celui-ci des choix
gouvernemental et supervise les établissements et démocratiques, le Roi dispose de toutes latitudes pour
entreprises publics placés sous sa tutelle. Le remédier à la situation, en actionnant les instruments
gouvernement dispose de beaucoup de pouvoirs, mais constitutionnels à lui reconnus.
tout dépend du leadership du chef de gouvernement et Au fait, le Roi dispose surtout et par-dessus tout d’un
son équipe. Un chef de gouvernement qui prend sa pouvoir symbolique qui opère souvent parallèlement
mission au sérieux, peut faire beaucoup en appliquant aux mécanismes juridiques prévus par la loi. Lors des
son programme, et même constituer une force débats conflictuels en 2003 entre modernistes et
proposition pour une gestion commune du pouvoir dans traditionalistes au sujet de la Moudawana (Code du
ses dimensions politique et économique. statut personnel, NDLR), il avait pris l’initiative
C’est la léthargie gouvernementale qui semble parfois d’instituer une commission nationale mixte qui proposa
donner raison aux tenants de une loi un an plus tard. Lors
la thèse sur l’efficience de la du « blocage » au sujet de la
monarchie exécutive et Constitution du
l’inanité du système
représentatif. Je ne dis pas que
« Cette fonction gouvernement Benkiran-II, il
a exercé ses pouvoirs pour
la tâche est facile, mais tout
dépend de la personnalité du
d’arbitrage est débloquer la situation, en
nommant le numéro 2 du
chef de gouvernement, de la
crédibilité de son parti et du
également un parti arrivé en tête des
élections législatives de 2016.
capital sympathie dont il
dispose auprès de l’opinion
élément d’équilibre En réponse aux
manifestations d’Al-Hoceima,
publique. Résultat, nous avons
un système bicéphale, dont la
dans une société le Roi avait démis de leurs
fonctions plusieurs ministres
monarchie demeure le pivot
central, même si le chef de
multiculturelle, et hauts responsables pour
manquement à leurs missions.
gouvernement dispose d’un
domaine d’action propre,
pluriethnique et de L’ a n c i e n chef
gouvernement, Abdel-Ilah
de

clairement délimité par la


Constitution.
plus en plus Benkiran, avait affirmé lui-
même que dans certains cas il

Le Roi est décrit comme l’arbitre de


multiconfessionnelle » n’hésitait pas à demander
l’arbitrage du Roi. C’est peut-
la vie politique. Comment ce rôle être la fonction la plus
s’exerce-t-il ? populaire auprès du large
L’article 41 définit les pouvoirs public, qui considère que le
du Roi à commencer par ses Roi peut et doit intervenir
compétences en matière religieuse, en tant que chaque fois qu’une politique publique déraille ou tarde
commandeur des croyants et garant du libre exercice à voir le jour, ce qui n’est pas le cas bien entendu, car le
des cultes. Mais c’est l’article 42 qui renseigne sur sa Roi observe les limites constitutionnelles de ses
fonction d’arbitrage. Il est dit que le Roi est « l’arbitre pouvoirs. Cette fonction d’arbitrage est également un
suprême entre les institutions de l’Etat ». Cette fonction élément d’équilibre dans une société multiculturelle,
d’arbitrage se manifeste dans ses pouvoirs de veiller au pluriethnique et de plus en plus multiconfessionnelle.
respect de la Constitution, au bon fonctionnement des La fonction de roi étant censée n’avoir aucune obédience
institutions constitutionnelles. Le Roi est également partisane ou autre, les tenants de la royauté y voient une
garant de la sauvegarde du choix démocratique et fonction probe et au-dessus de la mêlée. Il tempère et
protège les droits et libertés des citoyens, des rassure et ses actions s’inscrivent dans le long terme ; il
collectivités. Cela veut dire que le Roi veille au imprime visibilité et sérénité à l’action publique et
fonctionnement normal de toutes les institutions, y consacre une identité remarquable pour le pays aux yeux
compris du gouvernement qui demeure devant lui des investisseurs et des simples visiteurs. n
comptable, au même titre que devant le parlement. En Propos recueillis Par Ibrahima Bayo Jr.
cas de déviance réelle ou supposée de l’exercice
36 SUR LE VIF LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

Le président français Emmanuel Macron et


le roi Mohammed VI lors de l’inauguration
de la Ligne grande vitesse reliant les villes
de Tanger et Casablanca, le 15 novembre
2018 à la gare ferroviaire de Tanger.
Crédit photo : REUTERS / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / POOL
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 SUR LE VIF 37
38 MAROC EN MARCHE EN PARTENARIAT AVEC LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

DEUX DÉCENNIES international. Une sorte de destruction créatrice au


final… avec quelques décennies de recul.
Pendant les deux dernières décennies, le royaume

D’INVESTISSEMENT chérifien a progressivement imposé sa signature sur


les radars de l’économie mondiale, de l’investisse-
ment international et de la chaîne de valeur indus-

L’INCLUSIVITÉ
trielle planétaire. Pendant cette même temporalité
également, les défis du pays se sont confirmés et
précisés, ne laissant que peu d’incertitude sur les
faiblesses cruciales auxquelles la politique socioéco-

À L’HORIZON
nomique marocaine doit s’attaquer pour assurer ses
vingt prochaines années de développement.

RATTRAPAGE ACCÉLÉRÉ
« Au cours des quinze dernières années, le Maroc a réa-
lisé des avancées incontestables, tant sur le plan écono-
Pendant les deux dernières décennies, le mique et social que sur celui des libertés individuelles et
royaume du Maroc a progressivement imposé des droits civiques et politiques. Ces avancées se sont
notamment traduites par une croissance économique
sa signature sur les radars de l’économie relativement élevée, une augmentation sensible de la
mondiale, de l’investissement international et richesse nationale et du niveau de vie moyen de la popu-
lation, une éradication de l’extrême pauvreté, un accès
de la chaine de valeur industrielle planétaire. universel à l’éducation primaire et, globalement, un
Pendant cette même temporalité, les défis du meilleur accès aux services publics de base et enfin un
développement considérable des infrastructures
pays se sont confirmés et précisés. publiques. Grâce à ces avancées, le Maroc a pu enclen-
cher un processus de rattrapage économique vers les
PAR OTHMANE ZAKARIA pays d’Europe du Sud », synthétise Jean-Pierre Chauf-
four, dernier économiste principal pour les pays du
Maghreb dans la région Moyen-Orient et Afrique du

«
L
es investissements d’aujourd’hui sont les Nord de la Banque mondiale, au sujet des avancées
profits de demain et les emplois d’après-de- socioéconomiques indéniables réalisées par le
main ». En lançant ces mots, l’ancien royaume.
chancelier fédéral d’Allemagne, feu Hel- Dans un rapport (Le Maroc à l’horizon 2040 : inves-
mut Schmidt, n’avait pas fait la trouvaille du siècle tir dans le capital immatériel pour accélérer l’émer-
passé, mais avait simplement rappelé que la trans- gence économique) qu’il a rédigé au terme de sa
mission des effets d’une politique économique est mission en Afrique du Nord et publié en 2018, l'ex-
un mécanisme de long terme. Pour un économiste, pert observe que le revenu par habitant du Maroc a
vingt ans c’est bel et bien du long terme, suffisam- recommencé à croître plus rapidement au début des
ment en tout cas pour évaluer la politique de déve- années 2000 après la mise en œuvre de plusieurs
loppement économique d’un pays, le royaume du réformes institutionnelles importantes visant à
Maroc en l’occurrence. Et il faut dire, toutes propor- ouvrir la société.
tions gardées, que le bilan de vingt ans de réformes Les révisions de la Constitution en 1992 et 1996 ont
économiques au Maroc, sous l’impulsion du roi en effet amorcé un processus de démocratisation et
Mohammed VI, est sans équivoque positif, malgré de modernisation des institutions publiques à tra-
certains points de fragilité qui persistent. Ce même vers la création d’institutions plus représentatives,
bilan devient même providentiel si l’on prend tout en reconnaissant de nouvelles libertés écono-
comme base de comparaison les vingt années pré- miques, telles que la liberté d’entreprise. Dans la
cédentes. Les douloureuses mauvaises passes des foulée de ces changements constitutionnels et de
années 1980 et 1990 avaient en effet acculé le pays l’impulsion donnée aux réformes par le roi Moham-
à s’astreindre à la « diète » sèche du Fonds monétaire med VI lors de son accession au trône en 1999, des
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 MAROC EN MARCHE EN PARTENARIAT AVEC 39

réformes ambitieuses et de nouvelles lois ont été Maroc a pour ambition en 2020 de faire partie des
adoptées pour libéraliser et ouvrir graduellement 20 plus grandes destinations touristiques mondiales
l’économie, privatiser des entreprises publiques, en accueillant 20 millions de touristes. D’autres
restructurer le système financier, renforcer la gou- exemples de réussites spectaculaires et de projets
vernance publique et l’Etat de droit, et pour garantir ambitieux pourraient être cités. À bien des égards,
un nombre croissant de droits humains fondamen- l’évolution du Maroc fait figure d’exception dans une
taux. Les droits des femmes ont été substantielle- région du monde en proie à de très grandes difficul-
ment renforcés avec la révision unanimement saluée tés politiques, économiques et sociales.
du Code de la famille (Moudawana) en 2004.
Ces évolutions sont riches d’enseignements, mais RÉFORMES ET NON-RÉFORMES
également de promesses, compte tenu des change- En vingt années, l’espérance de vie d’un nouveau-né
ments institutionnels qui se sont poursuivis avec la marocain a gagné près de dix ans, le revenu national
révision de la Constitution en 2011. « Fort de ces avan- brut par tête a progressé de 80 %, gagnant plus de
cées, le Maroc a l’ambition légitime d’atteindre le statut 1 000 dollars sur la période et l’inflation est l’une des
d’économie à revenu moyen élevé et d’accélérer son rat- mieux maîtrisées à l’échelle mondiale. Cette période
trapage économique vers les pays avancés », estime a été également marquée par plusieurs de réformes :
l’économiste. À cette fin, de grands projets structu- réformes du système financier, des finances
rants ont été réalisés ou sont en cours de réalisation, publiques et de la compensation, des entreprises
parmi lesquels on peut citer le port de Tanger-Med, publiques et de la privatisation, du commerce exté-
le réseau autoroutier et une série de stratégies sec- rieur, du marché du travail, les réformes sectorielles
torielles ambitieuses couvrant l’ensemble des sec- et celles du cadre réglementaire et du climat des
teurs de l’économie : agriculture et pêche, énergie et affaires. La génération qui a mûri durant cette
mines, bâtiments et travaux publics, industries période retiendra en revanche les réformes man-
manufacturières et services, notamment le tourisme quées (ou les non-réformes) : celles de l’éducation et
et les technologies de l’information et de la commu- de la santé.
nication. Une autre réforme cruciale est pour sa part à un
tournant stratégique en 2019, celle de la fiscalité. Les
LE NOUVEAU PARADIGME INDUSTRIEL
Un réseau d’écosystèmes s’articulant autour de pro-
jets industriels intégrés émerge aujourd’hui autour
de la valorisation de l’exploitation du phosphate, de QUELS SONT LES PROBLÈMES GÉNÉRAUX
l’agroalimentaire, de l’industrie pharmaceutique, de ET LES PRIORITÉS DE DÉVELOPPEMENT DU MAROC ?
l’automobile, de l’aéronautique et des autres nou-
veaux métiers mondiaux du Maroc. En 2016, l’indus- Éducation
Réduction de la pauvreté
trie automobile marocaine avec le groupe Renault a
Croissance économique
assemblé près de 345 000 voitures avec la perspective
Droit et Justice
prochaine d’atteindre 400 000 voitures. Au début de
Santé
2016, le Maroc inaugure la plus grande centrale
Création d'emplois
solaire thermodynamique du monde et s’est fixé
Lutte contre la corruption
pour objectif de produire plus de 52 % d’énergies
Protection sociale
renouvelables d’ici à 2030. En 2019, le pays lance la Le plus important
Gouvernance
première ligne ferroviaire à très grande vitesse du Développement rural Le deuxième plus important
continent africain. En 2018, le port Tanger-Med est Dévelop. du secteur privé
devenu après son extension le plus grand hub de Intégration globale Le troisième plus important
transit maritime en Méditerranée et en Afrique. En Genre
Source : Banque mondiale, 2014.

2019, l’implantation de PSA Peugeot-Citroën devrait Gestion des finances publiques


se traduire par la production de 90 000 moteurs et Transport
véhicules, puis de 200 000 à terme, renforçant ainsi Invest. directs étrangers
le positionnement du Maroc sur la carte mondiale Réforme du secteur public
de la construction automobile et les ambitions sont 0 10 20 30 40 50 60 70 80
du même ordre pour l’industrie aéronautique. Le
40 MAROC EN MARCHE EN PARTENARIAT AVEC LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

3e Assises de la fiscalité tenues en mai de cette année


ont rebattu les cartes des priorités en la matière :
au-delà des taux, des exonérations et de l’assiette, le
diagnostic fait état d’un besoin urgent de sens à don-
ner à l’impôt et d’une conscience fiscale à inculquer
au citoyen.

GARE À L’ESSOUFFLEMENT !
Au-delà de la stabilité macroéconomique, le principal
défi économique du Maroc à moyen terme est essen-
tiellement lié à sa capacité à générer une croissance
plus forte, durable et solidaire. Ce qui soulève des
questions quant à la vulnérabilité et à la durabilité
de la trajectoire de développement actuelle du pays.
Avec un taux d’investissement supérieur à 30 % du
PIB depuis 2008, le modèle économique marocain
fondé sur la demande intérieure risque de s’essouf-
PHOTO DR.

fler sans une augmentation significative des retom-


bées de l’investissement et de la productivité, selon Le roi Mohammed VI
lors de l’inauguration,
l’analyse des institutions de Bretton Woods. Ces le 22 janvier 2019, du
deux dernières décennies, la croissance a essentiel- terminal 1 de l’aéroport 7,5 %. En termes absolus, l’extrême pauvreté avait
international
lement reposé sur l’accumulation de capital public, Mohammed V de presque disparu du Maroc en 2014. Les tendances
parfois dans le cadre d’opérations conjointes regrou- Casablanca, une des post-2014 sont toutefois moins encourageantes. Les
plus importantes
pant des IDE et des entreprises d’État qu’il sera dif- infrastructures du prévisions fondées sur le PIB par habitant indiquent
ficile de maintenir si les gains de productivité totale Royaume. que la réduction de la pauvreté se poursuivra, mais
des facteurs n’augmentent pas. Il faudra pour cela à un rythme beaucoup plus lent. En 2018, l’extrême
redoubler d’efforts pour améliorer le climat des pauvreté est restée de l’ordre de 1 % et la pauvreté
affaires et renforcer la compétitivité de l’économie, mesurée par rapport au seuil de 3,2 dollars en parité
notamment par des politiques commerciales et de de pouvoir d’achat atteindra environ 6,65 %, reflétant
concurrence. Si ces conditions sont réunies, la crois- la faible répercussion de la croissance sur la réduc-
sance de l’économie non agricole pourrait s’accélérer tion de la pauvreté.
d’environ 5 % à moyen terme. Au-delà de la
Alors que la croissance est favorable aux pauvres stabilité LE MAROC DE 2039 : LE GRAAL
depuis une dizaine d’années, l’écart entre les taux DE LA CROISSANCE INCLUSIVE
de pauvreté urbaine et rurale reste important. À
macroécono- Comment parvenir à une croissance inclusive d’ici
l’échelle du territoire, l’évolution du niveau de vie mique, le vingt années ? À cette question, les pistes de
entre les 12 régions indique une convergence, principal défi réponses sont avant tout qualitatives : améliorer les
quoiqu’à un rythme asymétrique. Ce processus est économique institutions d’appui au bon fonctionnement des mar-
loin d’être achevé : en supposant un taux de conver- chés ; améliorer les institutions et les services
gence annuel de 4 %, il faudra 24 ans pour que les
du Maroc à publics ; investir dans le capital humain et dans le
disparités régionales initiales soient réduites de moi- moyen terme capital social.
tié, selon les statistiques de la Banque mondiale. est essentielle- Améliorer les institutions d’appui au bon fonction-
D’où la nécessité d’accroître les fruits de la crois- ment lié à sa nement des marchés, en instaurant les mêmes règles
sance découlant du modèle de régionalisation avan- du jeu pour tous les acteurs économiques, et notam-
cée. De son côté, la pauvreté a fortement baissé au
capacité à ment l’établissement d’une concurrence libre et
Maroc entre 2007 et 2014. Si l’on utilise les seuils de générer une loyale, et en promouvant un changement culturel à
pauvreté internationaux de 1,9 dollar (seuil d’ex- croissance l’égard de l’entreprise et de l’innovation. En allégeant
trême pauvreté) et de 3,2 dollars (seuil de pauvreté plus forte, la réglementation du travail et en améliorant l’effi-
des pays à revenu intermédiaire de la tranche infé- cacité des politiques actives du marché du travail,
rieure), la pauvreté a diminué de plus de moitié,
durable et sachant que la refonte du Code du travail ferait pro-
passant respectivement de 3,2 % à 1 % et de 17 % à solidaire. gresser significativement l’emploi formel, notam-
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 MAROC EN MARCHE EN PARTENARIAT AVEC 41

ment chez les jeunes et les femmes.


Améliorer les institutions et les services publics en
2019, ARRÊT SUR IMAGE
les rendant plus efficaces et équitables. Cette Avec un retour à des conditions pluviométriques normales, le PIB agricole devrait diminuer
réforme doit placer l’usager au cœur du système, en en 2019, ce qui ramènera la croissance du PIB à 2,9 %. Mais le PIB non agricole devrait se
tant que bénéficiaire et régulateur, et s’attacher à maintenir grâce au secteur manufacturier qui continue de bénéficier d’investissements
rendre les services administratifs plus efficients, en étrangers substantiels dans l’automobile, et au secteur des services, qui seront les prin-
simplifiant les procédures et en renforçant la reddi- cipaux moteurs de la croissance. Le déficit courant devrait s’améliorer pour atteindre 4 %
du PIB en 2019, sous l’effet de la croissance soutenue des exportations, des recettes tou-
tion des comptes. Une mise à niveau qui passe éga- ristiques et des envois de fonds, qui compenseront l’augmentation des importations
lement par la modernisation de la fonction publique énergétiques. Cette amélioration est également liée à l’environnement mondial, en parti-
en poursuivant résolument les efforts de décentra- culier à la vigoureuse reprise en Europe et à la forte croissance des exportations des sec-
lisation, en améliorant les performances du person- teurs à forte valeur ajoutée. Les besoins de financement extérieur resteront modérément
nel et de l’administration, en réduisant les effectifs préoccupants, compte tenu de la dette extérieure relativement faible et de la cote de
crédit de qualité élevée du Maroc sur les marchés internationaux, qui contribueront à
superflus et en rationalisant l’administration. Sans protéger le pays de l’instabilité des marchés émergents comme la Turquie et l’Argentine.
oublier le renforcement de l’Etat de droit et la justice Le déficit budgétaire devrait se réduire pour atteindre l’objectif de 3 % du PIB en 2019-2021.
en envoyant un signal fort de changement de para-
digme dans la protection des personnes, des biens
et des contrats.
« Investir dans le capital humain en mettant l’éducation tats économiques à long terme. Il est impératif de
au cœur des réformes. La démarche doit relever d’une veiller à ce que tous les enfants aient accès à une
forme de « thérapie de choc » destinée à remédier aux éducation préscolaire, ainsi qu’aux autres conditions
principales entraves qui pèsent sur le système éducatif. nécessaires à leur développement.
L’objectif doit être de provoquer un « miracle éducatif », Investir dans le capital social en commençant par
c’est-à-dire une amélioration très significative du niveau parvenir à l’égalité hommes/femmes en améliorant
des élèves marocains, tel que mesuré par les tests inter- l’accès des femmes aux opportunités économiques
nationaux », préconise Jean-Pierre Chauffour à ce et en favorisant leur autonomisation. Il est possible
sujet. Pour lui, il faut également investir dans la santé de concevoir des politiques publiques qui permettent
en vue de renforcer le capital humain, en élargissant à la fois de lutter contre les inégalités et les discri-
la couverture médicale, en améliorant l’efficacité des minations dont les femmes sont victimes et de pro-
services de santé publics et en renforçant la gouver- mouvoir leur inclusion économique. Il est également
nance générale du système de santé. Il est tout aussi recommandé d’encourager une plus grande
impératif de développer la prise en charge et l’édu- confiance interpersonnelle. Pour accroître le capital
cation des jeunes enfants pour garantir l’égalité des social, le pays doit faire en sorte que la règle de droit
chances dès le plus jeune âge et améliorer les résul- soit mieux appliquée et respectée, de promouvoir le
sens civique, d’encourager le développement de la
société civile et d’accompagner l’évolution des
normes socioculturelles. Bref, un véritable travail de
EVOLUTION DES INÉGALITÉS AU MAROC (COEFFICIENT DE GINI)
fonds et de nouveau de long terme, au-delà du
cynisme d’un certain John Maynard Keynes qui un
2014 jour s’exclama : « A long terme, nous serons tous
morts ! ». Dans une enquête qu’il a mené durant le
2007 mois de mai 2019, le Conseil économique social et
environnemental (CESE) a posé une question déter-
2001
minante aux citoyens sondés : qu’elle devrait être
selon vous la priorité de la politique menée par
1998
l’Etat ? Croissance ? Emploi ? Egalité des chances ? (…)
1990 Ou bien-être des citoyens ? Statistiquement, ces
variables (et résultats) ne sont vraisemblablement
1985 pas indépendantes les unes des autres, mais la ques-
tion n’en est pas moins existentielle comme point
38 38,5 39 39,5 40 40,5 41
de mire de la génération naissante. Nous en atten-
Source: Enquêtes auprès des ménages du HCP
dons impatiemment les résultats. n
42 MAROC EN MARCHE EN PARTENARIAT AVEC LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

INFRASTRUCTURES
MOHAMMED VI
LE BÂTISSEUR
Les 20 années de règne du roi Mohammed VI
ont été marquées par des chantiers
d'infrastructures aussi titanesques que MARITIME I
TANGER MED,
structurants. Du port de Tanger Med à la ATOUT LOGISTIQUE MAJEUR
LGV en passant par le joyau qu'est la Il s’agit du grand projet d’infrastructure de début de
règne du roi Mohammed VI, et en 2019, il est toujours
centrale thermo-solaire de Ouarzazate, en constante évolution renforçant encore plus sa
contribution à l’essor de l’économie marocaine. C’est
passage en revue des projets les plus en effet en cette année qu’est mis en service la
seconde partie du mégaprojet, le port de Tanger Med
emblématiques de ces deux décennies. II. Véritable catalyseur logistique des écosystèmes
industriels marocains, de plus en plus ouverts au
PAR OTHMANE ZAKARIA reste du monde, l’infrastructure reste le premier port
du continent africain avec plus de 3,3 millions de
conteneurs EVP traités en 2017. La ligne LGV
Tanger-Casablanca, inaugurée le 15 novembre 2018,
accélère de plus belle la connectivité logistique de ce
pôle économique majeur.

FERROVIAIRE I TANGER -
KÉNITRA - CASBLANCA,
L’AXE À GRANDE VITESSE
Lors de son annonce, le projet n’a pas fait l’unanimité
parmi l’opinion publique marocaine quant à son « utilité
prioritaire » à la socioéconomie du pays. Mais après son
inauguration le 15 novembre 2018 par le roi Mohammed VI
et le président français Emmanuel Macron tous ceux qui
l’ont emprunté s’accordaient sur le précieux avantage
qu’il confère au Pays. En mai 2019, ils étaient déjà plus
d’un million de passagers à en avoir fait l’expérience. Pour
cette infrastructure, la première du genre en Afrique, le
Maroc a mobilisé un investissement de 23 milliards de
dirhams. Il faut dire que le pays a commencé à en
récolter le retour sur investissement avant sa mise en
service, à l’image de l’implantation du constructeur
automobile PSA à Kénitra, pour laquelle l’argument LGV a
été déterminant.
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 MAROC EN MARCHE EN PARTENARIAT AVEC 43

ROUTES I UN RÉSEAU
DE PLUS EN PLUS DENSE
Le réseau routier marocain totalise une longueur de
plus de 57 000 km dont 43.000 km revêtus (76%) et
14.000 km aménagés ou à l’état de pistes (26%). Une
couverture routière qui s’est fortement densifiées
pendant les 20 dernières années, notamment grâce à
au Programme national des routes rurales, qui a
fortement contribué à désenclaver les zones reculées
du Maroc. Les autoroutes, pour leur part, sont
étendues sur 1 800 km et jouent un rôle clé dans le
développement du pays, faisant que 60 % de la
population est directement reliée à ce réseau et 85 %
réside à moins d’une heure d’une autoroute. De même,
toutes les villes de plus de 400 000 habitants sont
rattachées au réseau autoroutier et de nouveaux
tronçons sont régulièrement mis en service par
Autoroutes du Maroc.

ENERGIE I LE TOURNANT
DU RENOUVELABLE
L’un des plus grands projets de cette décennie au
Maroc a été sans doute celui du développement des
énergies renouvelables. Les objectifs du Royaume dans
ce domaine sont très ambitieux : 42 % du mix
énergétique d’origine renouvelable à l’horizon 2020, et
52 % d’ici 2030. Un engagement royal qui a été mis en
lumière durant la COP 22 qui s’est tenue à Marrakech.
En avril 2017, le roi Mohammed VI a procédé au
lancement des travaux de réalisation de la Centrale
Noor Ouarzazate IV le plus grand complexe énergétique
thermo-solaire au monde. Etablies sur 3000 hectares,
les quatre centrales solaires de Noor répondent aux
normes internationales, tant au niveau technologique
qu’environnemental, et sont associées à une
plateforme de recherche et développement sur 150
hectares.

MÉTAMORPHOSE URBANI-
STIQUE ET NOUVELLE MOBILITÉ
Durant les vingt dernières années, les villes marocaines
ont connu une véritable métamorphose, tant au niveau
urbanistique que celui de la mobilité. Les capitales
administratives et économiques du Maroc, Rabat et
Casablanca respectivement, ont été dotées d’un réseau
de tramway, en constante extension. Des infrastruc-
tures devenues essentielles, qui ont changé les
habitudes des citadins. En parallèle, ponts à haubans,
trémies et élargissement de voies sont également venus
relativement soulager l’engorgement chronique dont
souffraient les métropoles du pays. Les villes de
Marrakech et de Tanger ont également été l’objet d’une
attention particulière, cette dernière étant devenue
quasiment méconnaissable tant sa métamorphose
urbanistique a été profonde.
44 MAROC EN MARCHE EN PARTENARIAT AVEC LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

TRANSITION ÉCOLOGIQUE
LE ROYAUME, VECTEUR
D’UNE CROISSANCE DURABLE
POUR LE CONTINENT
Sur les dernières années, le royaume du Maroc a entamé un
processus de mise en place d’une stratégie nationale
d’adaptation au changement climatique avec des impacts
probants sur les volets socio-économique et environnemental.
Aujourd’hui, le Maroc est pris comme référence sur le Continent
à travers son modèle résilient de développement.
PAR SAFAE DERJ* ET THIBAULT CHANTEPERDRIX**

La gigantesque centrale
thermodynamique Noor
(près de Ouarzazate, au
sud-est du pays) est
entrée en service en
février 2016.
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 MAROC EN MARCHE EN PARTENARIAT AVEC 45

A
u début du XXe siècle, la population maro-
caine ne dépassait guère les 5 millions d’ha-
bitants. En un siècle, cet effectif a quintuplé
atteignant les 33,4 millions en 2014. La forte
croissance démographique du Continent s’est
accompagnée d’une forte pression sur les ressources
hydriques, le patrimoine forestier, les littoraux et
l’équilibre des milieux naturels. Loin de s’affaiblir
au cours des prochaines décennies, ces perspectives
constituent une source de préoccupations pour la
durabilité du modèle de croissance marocain.
Conscient de ces enjeux liés au changement clima-
tique et de leurs impacts sur le développement éco-
nomique et social, l’Etat marocain a élaboré une
stratégie participant à la protection de l’environne-
ment.

UNE STRATÉGIE EN DEUX TEMPS


Cette démarche s’est structurée dans un premier
temps autour de la mise en place d’un cadre juri-
dique et institutionnel adapté (déploiement d’un
Plan d’action national pour l’environnement ; créa-
tion de la Charte nationale de l’environnement et du
développement durable ; définition de l’article 31 de
la Constitution ; promulgation de la loi-cadre 99-12 ;
institution du Conseil économique, social et envi-
ronnemental) et conforme à ses engagements inter-
nationaux avec pour consécration l’hébergement à
Marrakech de la 22e Conférence des parties (COP22)
à la Convention-cadre des Nations unies sur les
changements climatiques (CCNUCC) en 2016.
Dans un second temps, la stratégie nationale de pro-
tection de l’environnement et de lutte contre les
répercussions du changement climatique s’est arti- *Socio-anthropologue
culée autour d’une vision mobilisatrice et participa- et experte en RSE
**Expert en
tive des différentes composantes de la société civile, intelligence
notamment les entreprises. Engagés dans une stratégique et DG du
cabinet Delta
logique de Responsabilité sociétale de l’entre- Knowledge Group

NOOR, LE PORTEUR DE LA DYNAMIQUE


La stratégie nationale de production d’énergie d’origine solaire affiche l’ambition
ferme des opérateurs publics et privés marocains du secteur à devenir des déve-
loppeurs de projets solaires de premier rang sur le Continent notamment. L’Etat a
donc impulsé, via l’agence MASEN, un plan ambitieux visant au déploiement d’une
puissance totale de 2 000 MW. Preuve concrète de la pertinence de ce programme, la
centrale intégrée de Noor-Ouarzazate, déjà opérationnelle avec ses premières unités
REUTERS / YOUSSEF BOUDLAL

sera dès son exploitation complète le site solaire thermique à concentration (CSP) le
plus puissant du monde (580 MW). D’autres réalisations sont également projetées, à
l’instar des centrales Midelt I et II, affichant ainsi une dynamique sur le long terme
des acteurs marocains du renouvelable.
46 MAROC EN MARCHE EN PARTENARIAT AVEC LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

prise (RSE), les opérateurs privés sont incités à se ser des solutions à la vulnérabilité de l’agriculture
positionner en faveur de la protection de l’environ- africaine au changement climatique. De même, à
nement, vecteur de durabilité dans leurs lieux d’im- Le dévelop- travers ses ambitieux plans solaires et éoliens,
plantation. Cet engagement présuppose pour les pement de MASEN est en mesure d’accompagner ses parte-
acteurs économiques le développement de solides naires africains en matière de gouvernance et de
capacités de collecte de l’information, d’analyse stra-
cette industrie conduite de partenariats public-privé (PPP) dans le
tégique, de cartographie des risques associés aux marocaine secteur des énergies renouvelables. Le développe-
parties prenantes et pour finir de communication. des énergies ment de cette industrie marocaine pourrait dès lors
Ces capacités deviendront autant d’atouts pour une renouvelables accompagner une capacité coordonnée de green
croissance inclusive et durable sur le territoire natio- diplomacy.
nal et continental. Afin de soutenir cette vision par-
pourrait dès Pilotant déjà le déploiement sectoriel sur un péri-
ticipative au sein du secteur privé, l’Etat a mis en lors accompa- mètre national, MASEN pourrait élargir son champ
place une offre de formation liée à la transition éco- gner une d’action à une mission de coordination mobilisant
logique, au sein de l’Université Mohammed VI capacité coor- toutes les green stakeholders du Continent. Aussi,
notamment. De même, la société civile s’est engagée la poursuite de l’intégration du Maroc dans les orga-
sur cette voie. Pour exemple, la Confédération géné-
donnée de nisations expertes du développement durable, de la
rale des entreprises marocaines (CGEM), faisant green diplo- RSE et du renouvelable aurait un effet majeur sur
suite à la création en 2006 de son label RSE, s’est macy. les perspectives de croissance du Royaume.
attachée à former les cadres de ses entreprises Point de convergence des logiques mondialisées de
membres à la question de la Finance Climat en par- développement durable et fort d’une économie
tenariat avec le PNUD. Plusieurs associations et émergente consciente de ses réalisations, le Maroc
centres de réflexion plus ou moins structurés ont réoriente aujourd’hui son modèle de développement
également vu le jour et visent la sensibilisation et sur le chemin d’une croissance durable et résiliente.
l’émergence d’une culture de la RSE au Maroc. Celui-ci, loin d’être un produit sur étagère, est
amené à s’adapter et à proposer des solutions inno-
LA GREEN DIPLOMACY vantes face aux défis de la transition climatique.
Sur l’échiquier géostratégique, l’enjeu mondialisé de L’Etat marocain entend ainsi fédérer toutes les
l’accès à l’énergie reste un challenge au travers forces vives du pays autour d’un projet de société
duquel le Royaume du Maroc tend à créer une troi- commun, générateur d’interactions vertueuses avec
sième voie. Celle-ci se définit par une dépendance ses partenaires continentaux. Dans cette optique, la
de moins en moins structurelle aux marchés des création d’une culture marocaine de la RSE semble
hydrocarbures et par une prise d’autonomie plus un prérequis pertinent quant au rayonnement du
large vis-à-vis de ses partenaires Sud et Nord. Loin pays sur l’échiquier des nations. Elle sera le complé-
d’être autosuffisant sur la question énergétique, mais ment logique de sa green diplomacy déjà engagée :
fort de sa légitimité à développer une stratégie inclu- le Maroc pourra ainsi passer d’une logique de soft
sive envers ses partenaires du Sud, le Maroc s’est power à un smart power éclairant ses potentialités
imposé, par ses réalisations, comme une référence stratégiques et en mesure d’apporter des réponses
sur le Continent à travers ce modèle résilient de tactiques à sa dynamique économique. n
développement.
Afin de contribuer à l’émergence d’une dynamique
de coopération Sud-Sud sur les questions environ-
nementales, le Maroc s’est proposé de partager avec MASEN, LE PILOTE STRATÉGIQUE
ses partenaires continentaux, confrontés à des
Créée en 2010, l’agence MASEN (Moroccan agency for sustainable energy), société
enjeux similaires, son savoir-faire et ses best-practices privée à capitaux publics, a pour vocation le pilotage de la stratégie marocaine dans
en matière de conduite et de pilotage de projets le secteur des énergies renouvelables. Elle endosse sur le périmètre national trois
durables, comme ce fut le cas dans les secteurs agri- missions principales : le développement intégré d’installations d’énergies renouve-
coles et énergétiques. L’Initiative pour l’adaptation lables aux standards internationaux ; la contribution à l’émergence d’une expertise
de l’agriculture africaine (AAA) portée par l’Etat sectorielle ; et le développement territorial des zones d’implantation selon un modèle
durable impliquant l’économique, l’humain et l’environnemental. Cette vocation natio-
marocain a réuni plusieurs entreprises nationales, nale est appuyée par la mise en œuvre de partenariats intra-africains. MASEN favorise
dont l’Office chérifien des phosphates, le Crédit agri- ainsi l’émergence de stratégies continentales pour un développement endogène et
cole du Maroc et la MAMDA, dans le but de propo- durable de l’Afrique.
48 ENTRETIEN LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

CHRISTIAN DE BOISSIEU
Universitaire et économiste

« LE MAROC EST


PLUS RÉSILIENT
FACE AUX
CHOCS »
CHRISTIAN DE BOISSIEU EST PROFESSEUR
ÉMÉRITE À L’UNIVERSITÉ DE PARIS I
(PANTHÉON-SORBONNE). ANCIEN PRÉSIDENT
DU CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE (CAE) ET
ANCIEN MEMBRE DU COLLÈGE DE L’AUTORITÉ
DES MARCHÉS FINANCIERS (AMF), DANS CET
ENTRETIEN, IL ANALYSE LES FORCES ET
FAIBLESSES DE L‘ECONOMIE MAROCAINE ET
PHOTO / CLAUDE TRUONG-NGOC

LES DÉFIS QU‘ELLE DEVRA RELEVER.

LA TRIBUNE AFRIQUE : En quoi le Maroc est-il concerné par les turbulences d’effets. Les ripostes de la Chine, mais aussi de l’Europe
actuelles dans l’économie mondiale ? sont et seront importantes pour montrer aux Américains
CHRISTIAN DE BOISSIEU – Avec la mondialisation, nous les limites de l’unilatéralisme et de l’extra-territorialité des
sommes tous dans le même bateau ! Aujourd’hui, le Maroc règles américaines. Un conseil : pas d’angélisme, pas trop
est exposé aux conséquences, directes et indirectes - via de naïveté dans le contexte mondial d’aujourd’hui.
l’impact sur ses principaux partenaires - de la guerre L’économie marocaine reste, comme les autres, fortement
commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, de la « guerre dépendante de la croissance mondiale, des prix du pétrole,
des changes » qui semble reprendre avec le recul de la des taux de change au plan mondial, des taux d’intérêt
devise chinoise, avec un Japon prêt à tout pour améliorer mondiaux qui influent sur les mouvements de capitaux
sa compétitivité-prix,… Sans oublier le Brexit et ses entre les pays avancés et les pays émergents, etc. Il s’agit
multiples incertitudes de calendrier, de contenu même. La là, pour elle, d’éléments exogènes. Le point positif est que,
croissance mondiale devrait ralentir un peu en 2019-2020, grâce aux réformes structurelles engagées depuis 35 ans, le
même si, heureusement, les menaces protectionnistes Maroc est plus résilient qu’avant face aux chocs provenant
proférées par Donald Trump ne sont pas toutes suivies de l’économie mondiale. La contrainte externe demeure
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 ENTRETIEN 49

forte, mais les choix de politiques publiques à l’intérieur compris des diplômés). En tant que Français et compte
jouent un rôle croissant. tenu de nos maigres performances sur ce sujet, je me
garderai bien de donner des leçons en l’espèce…
Vous intervenez au Maroc comme économiste depuis 1985. Quels Néanmoins, force est de constater que le chômage de
changements majeurs ? masse nourrit la fragilité sociale, le populisme et les
Ils sont nombreux et vont dans le sens d’une ouverture et extrémismes. Les marges de manœuvre, forcément
d’une concurrence accrues. Je relève les changements limitées, des politiques publiques doivent être, pour une
structurels intervenus dans beaucoup de domaines, y bonne part, dédiées à la politique de l’emploi.
compris dans la formation des prix - réforme du système Enfin, la question des inégalités ne peut pas être éludée.
de compensation - ou dans le secteur bancaire et financier. Presque tous les travaux empiriques montrent que la
Le Maroc est quasiment sur la « frontière technologique », mondialisation a réduit les inégalités entre pays, grâce aux
peu éloigné des pays avancés en ce qui concerne la phénomènes de « rattrapage », mais qu’elle a eu tendance
révolution digitale. Je salue l’implication du pays dans la à accroître les inégalités à l’intérieur de chaque pays. Le
lutte contre le changement climatique et pour la transition défi à relever nous concerne tous, au nord comme au sud
énergétique, avec en particulier l’accent mis sur les énergies de la Méditerranée, comme dans les autres régions du
renouvelables. Par ailleurs, l’offre d’éducation et de monde. C’est l’exigence d’une croissance plus inclusive,
formation s’est à la fois accrue et diversifiée. Sur ces deux laissant le moins possible de gens sur le bord de la route.
domaines cruciaux pour la compétitivité, l’attractivité et On retrouve ici, pour le Maroc comme partout ailleurs, le
la croissance - les technologies et la formation des talents défi des politiques de développement durable, mais aussi
- des investissements sont réalisés, des incitations sont de redistribution ; comment mieux partager le gâteau sans
mises en place, même si la concurrence avec la Chine, les le réduire, mais au contraire en l’augmentant de sorte que
autres pays d’Asie et d’Afrique, les Etats-Unis, l’Europe,… l’objectif de croissance plus inclusive bénéficie d’un large
va être rude. soutien social et politique ?

Quelles sont selon vous les principales forces et faiblesses de l’économie Le Maroc a-t-il raison de se tourner résolument vers l’Afrique ?
marocaine ? Pour le Maroc, il me paraît indispensable de marcher sur
« Il n’est de richesses que d’hommes », disait Jean Bodin il y a les deux jambes, l’Europe et l’Afrique. L’Europe, car les
bien longtemps. Je suis impressionné par les talents, dans nombreux liens existants, économiques, commerciaux,
des domaines très variés, dont regorge le Maroc. Depuis financiers, culturels et éducationnels bien sûr, ne doivent
trente ans, la politique de diversification a porté ses fruits, pas et ne peuvent pas être « détricoté » brutalement, sous
avec la montée en gamme des productions, le renforcement peine de coûts élevés pour tout le monde ! L’Afrique, car
de la filière automobile et de la filière d’équipements c’est déjà et ce sera de plus en plus le « continent du XXIe
aéronautiques, l’essor du digital, la consolidation de l’agro- siècle », y compris sur la question centrale de la culture et
alimentaire, la croissance des banques et autres institutions de l’éducation, et pas seulement en matière économique
financières… Je veux aussi souligner la crédibilité et le ou démographique.
pragmatisme de Bank Al Maghrib [la banque centrale, Je salue l’ambition des responsables publics et privés
NDLR] - on l’a bien vu avec la flexibilité graduelle et marocains d’avoir fait de leur pays un « hub »
raisonnable du taux de change - ainsi que les mesures, incontournable vers l’Afrique subsaharienne dans beaucoup
nécessaires et compliquées, au Maroc comme ailleurs, de de secteurs, en combinant des aspirations positives et des
consolidation des finances publiques. constats négatifs - les difficultés des autres pays du
A mes yeux, trois défis majeurs sont à relever. D’abord, Maghreb à mettre en œuvre une stratégie panafricaine,
malgré la diversification évoquée, la croissance marocaine pour des motifs différents d’un pays à l’autre. Dans cette
demeure trop dépendante de la pluie qui tombe ou ne stratégie panafricaine, qui ne remplace pas, mais vient
tombe pas. Il faut poursuivre les changements structurels plutôt compléter l’ancrage européen, le Maroc, ses
dans la production pour moins dépendre de la météo. entreprises et ses banques disposent d’une longueur
Constater les performances du côté de la production non d’avance sur la Tunisie et l’Algérie. Tout faire pour
agricole, c’est une chose. Mais pour l’emploi, les recettes conserver cette position de leader et d’éclaireur. Le
fiscales, la base des politiques de redistribution, ce qui renforcement de la place financière de Casablanca fait
compte, c’est la croissance totale. partie des conditions nécessaires, sans être suffisantes, au
Ensuite, il faut prendre à bras le corps le problème du service d’une telle ambition. n
chômage, tout spécialement le chômage des jeunes (y Propos recueillis Par Aziz Saidi
50 TÉMOIGNAGE LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

POLITIQUE MONÉTAIRE
DEUX DÉCENNIES
DE STABILITÉ DES PRIX

D
urant les années 2000, le Maroc a lancé LA POLITIQUE MONÉTAIRE À PARTIR DES
plusieurs réformes d’envergure d’ordre ANNÉES 2000 : LA STABILITÉ DES PRIX
institutionnel, économique et sociétal, COMME PRINCIPAL OBJECTIF
de vastes chantiers d’infrastructure et L’année 2006 a été un tournant stratégique, avec l’adop-
de nombreuses stratégies de développement sectoriel. tion d’un nouveau statut de la Banque centrale, renfor-
Il a pu ainsi accélérer sa croissance économique de çant son indépendance et lui assignant la stabilité des
manière significative et résorber une partie de ses défi- prix comme mission fondamentale. Dans son Article 6,
cits sociaux. il est stipulé ainsi que « Dans le but d’assurer la stabilité
S’inscrivant dans cet élan, Bank Al-Maghrib a opéré plu- des prix, la Banque arrête et met en œuvre les instru-
sieurs tournants dans le cadre de la réalisation de ses ments de politique monétaire ... À cet effet, la Banque
missions notamment en matière de politique monétaire. intervient sur le marché monétaire en utilisant les ins-
Ses statuts ont connu deux refontes majeures, renfor- truments appropriés... ».
çant son autonomie et élargissant ses attributions, en Bank Al-Maghrib, a ainsi adopté une nouvelle approche
ligne avec les meilleurs standards internationaux. Pour basée sur l’évaluation des pressions inflationnistes et
mieux appréhender l’ampleur de ces changements, il des risques entourant les prévisions d’inflation à moyen
conviendrait de les contextualiser dans une perspective terme. Ces analyses étaient supportées par un disposi-
historique et dans le cadre des mutations de l’environ- tif de prévisions permettant d’établir des projections
nement national et international. pour l’inflation et des principaux agrégats macroécono-
Après la création de Bank Al-Maghrib en 1959, la conduite miques.
de la politique monétaire était basée essentiellement Pour ramener l’inflation à sa trajectoire compatible avec
sur des instruments directs tels que l’encadrement du PAR ABDELLATIF l’objectif de stabilité des prix, la Banque utilisait deux
crédit et les emplois obligatoires. Avec l’enclenchement JOUAHRI principaux instruments, à savoir le taux directeur, appli-
du processus de libéralisation économique au début des GOUVERNEUR DE qué à ses injections hebdomadaires sur le marché moné-
années 80, les autorités monétaires ont commencé à BANK AL-MAGHRIB taire, et la réserve obligatoire utilisée pour réguler la
s’orienter vers des approches indirectes, instaurant les liquidité bancaire.
interventions sur le marché monétaire et assouplissant Sur le plan de la mise en œuvre, la Banque s’est fixé
graduellement la réglementation des taux d’intérêt, puis comme cible opérationnelle le taux moyen pondéré sur
abandonnant les contraintes quantitatives sur les le marché interbancaire, dont elle a réussi progressive-
concours bancaires. ment à maîtriser le niveau et à réduire la volatilité.
Les années 90 ont constitué une période de transition En termes de gouvernance, l’action sur les deux instru-
importante dans ce processus. Les statuts de la Banque ments de politique monétaire relève des compétences
centrale de 1993 lui assignaient comme mission de veil- du Conseil de la Banque. Ce dernier se réunit trimestriel-
ler à la stabilité de la monnaie et à sa convertibilité et lement selon un calendrier annuel publié à l’avance.
de développer le marché monétaire. La Banque a ainsi Présidé par le Gouverneur, ses membres sont choisis
maintenu la fixation d’une cible de progression moné- parmi des personnalités reconnues pour leurs compé-
taire annuelle et a entrepris plusieurs mesures dans ce tences en matière monétaire, financière et économique.
cadre, instaurant en particulier à partir de 1995, le méca- Bank Al-Maghrib veille dans le cadre de la réalisation de
nisme de gestion de la liquidité à travers les appels ses missions à garantir une transparence totale de son
d’offres. processus de prise de décision à travers la diffusion d’un
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 TÉMOIGNAGE 51

communiqué de presse annonçant la décision de poli- dans cette conjoncture difficile. Elle a ainsi abaissé son
tique monétaire, du rapport sur la politique monétaire, taux directeur à plusieurs reprises pour le ramener à
ainsi que la tenue par le Gouverneur d’un point de presse partir de septembre 2016 à un niveau historiquement
à l’issue de chaque réunion du Conseil. bas de 2,25%. Elle a réduit progressivement le taux de la
réserve obligatoire qui est passé de 16,5% en 2008 à 4%.
LA CRISE FINANCIÈRE INTERNATIONALE : Face à la décélération du crédit et aux difficultés que
ADAPTATION DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE connaissent les très petites, petites et moyennes entre-
ET ÉLARGISSEMENT DES MISSIONS DE LA prises (TPME), la Banque a lancé plusieurs mesures non
BANQUE conventionnelles dont notamment la mise en place en
La dernière décennie a été marquée par la sévère crise 2012 d’un dispositif de prêts garantis à 3 mois, qui per-
financière et économique qui a débuté en 2008, ainsi met aux banques de se refinancer en contrepartie d’un
que par la forte volatilité des prix sur les marchés des collatéral constitué d’effets privés sur la TPME. Ce méca-
matières premières, notamment le pétrole. Si le système nisme a été renforcé à partir de 2014 par un nouveau
financier marocain a pu démontrer une certaine rési- programme permettant aux banques de bénéficier
lience, l’économie réelle a été d’avances pour une durée d’une
impactée à travers plusieurs année à hauteur des montants
canaux, notamment la demande qu’elles prévoient d’octroyer à
étrangère et les transferts des cette catégorie d’entreprises.
Marocains résidant à l’étranger.
Tirant les enseignements de
A partir du début Ces efforts ont produit des
résultats encourageants, la part
cette crise et tenant compte des
mutations de l’économie et du
des années 2000, la des crédits accordés aux TPME
dans l’encours global du crédit
système financier nationaux,
Bank Al-Maghrib a entrepris plu-
pertinence du bancaire ayant atteint 37% en
2014, une proportion parmi les
sieurs réformes majeures. Ainsi,
en 2015, une nouvelle loi ban-
maintien du régime plus élevées dans la région
MENA.
caire est entrée en vigueur, élar-
gissant le périmètre de la super-
de change fixe était Sur le plan de l’évolution des
prix, l’inflation est revenue d’une
vision bancaire, introduisant les
dispositions régissant les
de plus en plus moyenne annuelle de 4,5% au
cours de la décennie 90 à 1,6%
banques participatives, renfor-
çant les règles relatives à la
remise en question. depuis 2000.

gouvernance bancaire, ainsi que LA POLITIQUE MONÉTAIRE


la protection de la clientèle. La DANS LE CADRE D’UN
Banque a mené depuis un travail RÉGIME DE CHANGE PLUS
de fond pour mettre en œuvre, FLEXIBLE
conjointement avec les autres La politique monétaire a été
régulateurs, et de manière coordonnée et concertée, les menée jusqu’à présent dans le cadre d’un régime de
bases d’une surveillance macro prudentielle, reposant change fixe avec l’ancrage de la monnaie nationale à un
sur un dispositif institutionnel, légal, analytique et opé- panier de devises. Néanmoins, elle bénéficie d’une cer-
rationnel visant à identifier et réguler les risques systé- taine autonomie au regard notamment de l’ouverture
miques et gérer les crises éventuelles. partielle du compte capital pour les résidents. A partir
La Banque a engagé également une refonte de son sta- du début des années 2000, la pertinence du maintien du
tut, aujourd’hui en phase finale d’adoption. Celui-ci régime de change fixe était de plus en plus remise en
élargit les missions de la Banque à la stabilité financière question avec l’accélération de l’ouverture de l’économie
et à la contribution à la promotion de l’inclusion finan- et la volonté d’ériger Casablanca en hub financier régio-
cière. Il renforce en outre son autonomie en matière de nal.
politique monétaire, en lui conférant en particulier le Dans ce cadre, après une longue réflexion menée par la
pouvoir de définir l’objectif de stabilité des prix et de Banque centrale, les autorités marocaines ont initié le
conduire la politique monétaire en toute indépendance. 15 janvier 2018 une transition vers un régime plus
Sur le plan des réalisations, la Banque a été très active flexible. La première étape de cette réforme a consisté
52 TÉMOIGNAGE LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

en l’élargissement de la bande de fluctuation de +/- 0,3%


à +/- 2,5%, tout en gardant le panier de référence en
vigueur pour le calcul du cours central du dirham. Cette
transition devrait renforcer la capacité de l’économie à
absorber les chocs externes, soutenir sa résilience et
servir de levier aux autres politiques macroécono-
miques. Elle devrait assurer également davantage d’au-
tonomie à la politique monétaire et lorsqu’elle sera à un
stade avancé, la Banque pourra mettre en place un cadre
de ciblage d’inflation avec comme ancre nominale l’in-
flation au lieu du taux de change actuellement.
En préparation de cette réforme, la Banque a lancé en
2013 un chantier majeur d’adaptation de son dispositif
de conduite de la politique monétaire. Elle a ainsi déve-
loppé un nouveau cadre d’analyse et de prévision à même
de supporter cette transition. Ce dernier est articulé
autour d’un modèle central de politique monétaire per-
mettant de produire des projections cohérentes à moyen
termes et intègre un modèle structurel pour la simula-
tion d’impacts à moyen et long terme des politiques
publiques et des réformes structurelles. En 2016, ce
cadre a été déployé et un nouveau processus d’élabora-
tion des prévisions a été mis en place.
De même, le dispositif informationnel supportant ce
cadre d’analyses a été progressivement renforcé, avec
notamment un élargissement graduel de la couverture
des statistiques monétaires et la mise en place de plu-
sieurs nouvelles enquêtes régulières. Il s’agit en parti-
culier, des enquêtes portant sur les taux débiteurs, les
conditions d’octroi de crédit et les anticipations d’infla-
tion.
En outre, la Banque a mis en place, en collaboration avec
l’Agence Nationale de la Conservation Foncière du
Cadastre et de la Cartographie, un dispositif de suivi
trimestriel de l’évolution des prix des actifs immobiliers.
En parallèle, la communication autour de la politique
monétaire a été adaptée, renforçant son caractère pros-
pectif et améliorant la transparence du processus de
prise de décision. Ainsi, plusieurs améliorations impor-
tantes ont été introduites au niveau du rapport sur la
politique monétaire, avec notamment l’ajout d’un nou-
veau chapitre dédié aux prévisions macroéconomiques,
et du communiqué de presse publié à l’issue des réu-
nions du Conseil.
Aujourd’hui, Bank Al-Maghrib poursuit l’adaptation gra-
duelle de son dispositif de conduite de politique moné-
taire, s’attelant en particulier à développer un cadre de
référence pour le ciblage d’inflation. Elle ambitionne de
la sorte à continuer à réaliser son objectif de stabilité
des prix et à renforcer sa contribution à la croissance et
à l’emploi. n
56 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

UNE AMBITION
AFRICAINE

Mohammed VI adressant un discours devant


les chefs d'Etat et de gouvernement, lors du
sommet de l'Union africaine tenu le 31
janvier 2017 à Addis Abeba en Ethiopie. Un
discours qui intervient au lendemain de la
réintégration du royaume chérifien au sein
de l’organisation panafricaine, après
trente-trois ans d'absence.
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS 57

L
e 31 janvier 2017 a incontestablement été
une journée historique dans les annales
de la diplomatie marocaine, mais aussi
une nouvelle page dans l’histoire de
l’Union africaine (UA). Ce jour-là à Addis
Abeba, le Maroc retrouvait sa place dans
l’organisation continentale, 34 ans après l’avoir quit-
tée. Trois décennies qui ont été vécus par la majorité
des pays africains comme un non-sens, tant le
Royaume qui avait joué un rôle important, pour ne
pas dire décisif, dans la pose des premières pierres de
l’unité africaine et a contribué à la libération de plu-
sieurs autres peuples du joug du colonialisme.
« Il est beau, le jour où l’on rentre chez soi, après une trop
longue absence ! Il est beau, le jour où l’on porte son cœur
vers le foyer aimé ! L’Afrique est mon Continent, et ma
maison. Je rentre enfin chez moi, et vous retrouve avec
bonheur. Vous m’avez tous manqué ». Ce sont les pre-
miers mots empreints d’une solennelle émotion,
prononcés par le roi Mohammed VI à la tribune du
28e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de
l’UA. Dans son discours tout aussi mémorable, le sou-
verain est revenu certes sur les conditions qui ont
conduit le Maroc à quitter l’institution continentale,
un départ assumé du reste, mais il a surtout justifié
les raisons qui ont fait que pour le Maroc, c’était
l’heure de « rentrer à la maison ». « Au moment où le
Royaume compte parmi les nations africaines les plus
développées, et où une majorité de pays-membres aspirent
à notre retour, nous avons choisi de retrouver la famille,
DÈS SON AVÈNEMENT AU TRÔNE, LE ROI une famille que nous n’avions pas véritablement quittée »,
avait souligné le roi du Maroc, qui a rappelé à l’occa-
MOHAMMED VI A FAIT DE L’AFRIQUE UNE sion l’excellence des relations bilatérales entre le
PRIORITÉ POUR LA DIPLOMATIE MAROCAINE. Royaume et les « pays frères africains », avec qui les
ponts n’ont jamais été coupés. Au contraire, et comme
FORTE D’UN ANCRAGE AFRICAIN CONFORTÉ l’a mis en évidence Mohammed VI, malgré d’absence
PAR D’EXCELLENTES RELATIONS DE du Maroc des instances de l’Union africaine, « nos
liens, jamais rompus, sont restés puissants, et les pays
COOPÉRATION, L’IMPULSION ROYALE QUI S’EST africains frères ont toujours pu compter sur nous : les rela-
TRADUITE PAR UNE NOUVELLE VISION A tions bilatérales fortes ont ainsi été développées de manière
significative ».
PERMIS AU MAROC DE CONFIRMER SA PLACE L’acte symbolique du retour du Maroc au sein de l’UA
CONTINENTALE. UNE AMBITION AFRICAINE a certes une portée historique et si pour beaucoup
d’observateurs, il a constitué une consécration de la
PORTÉE PAR LE LEADERSHIP DU SOUVERAIN
AFP FORUM / MINASSE WONDIMU HAILU / ANADOLU AGENCY

politique africaine du royaume du Maroc, pour


MAROCAIN QUI A FAIT DU CONTINENT UN AXE Mohammed VI, « ce retour, pour important et décisif qu’il
est, n’est pas une fin en soi ». Dans un message adressé
STRATÉGIQUE DE SON RÈGNE. la nation le 20 août 2017 à l’occasion du 64e anniver-
saire de la Révolution du roi et du peuple, le souverain
PAR ABOUBACAR YACOUBA BARMA
marocain rappelait que « l’Afrique a toujours été et
demeurera en tête de nos priorités ». En la matière, plus
58 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

que les mots, ce sont les actes posés par le Maroc en


faveur de l’essor du Continent qui illustrent la portée
d’un retour que le président en exercice de l’UA de
50
VISITES OFFICIELLES
1 000
ACCORDS DE COOPÉRATION
ONT ÉTÉ EFFECTUÉES ONT ÉTÉ SIGNÉS ENTRE LE
l’époque, le chef d’Etat rwandais Paul Kagamé, avait PAR LE ROI EN AFRIQUE MAROC ET SES PARTENAIRES
qualifié « d’atout majeur que les pays africains doivent EN VINGT ANS. ENTRE 2000 ET 2017.
exploiter pour renforcer leur unité et leur solidarité ».

LES JALONS D’UNE VISION ROYALE


L’Afrique est une priorité pour le Maroc. C’est plus
31
AMBASSADES MAROCAINES
1 605
CASQUES BLEUS
SONT OPÉRATIONNELLES MAROCAINS SONT
qu’une simple proclamation rhétorique, mais un enga- EN AFRIQUE. DÉPLOYÉS EN AFRIQUE
gement personnel de Mohammed VI qui, dès son
avènement au trône, a donné un nouveau souffle à la
politique nationale. Dès le début des années 2000, au
moment où il initiait les premiers chantiers du nou-
15 000
CADRES AFRICAINS DU
20 000
ÉTUDIANTS AFRICAINS ONT
veau règne, le souverain alignait également les ambi- SECTEUR PUBLIC ONT BÉNÉFICIÉ DE BOURSES DU
tions d’émergence du Maroc avec ceux de dévelop- ÉTÉ FORMÉS AU MAROC ROYAUME DU MAROC
pement du Continent. Moins d’un an après son

195 000 60 000


accession au trône, Mohammed VI faisait un geste
symbolique à l’endroit du Continent, avec l’annonce
en avril 2000 à l’occasion du premier Sommet MAROCAINS RÉSIDENT MIGRANTS ONT ÉTÉ
Afrique-Europe tenu au Caire, de l’annulation des DANS DES PAYS AFRICAINS RÉGULARISÉS
dettes de nombreux pays africains vis-à-vis du
Royaume. Afin d’acter cette priorité accordée au
Continent, le souverain a entamé ses premières visites
dans les pays africains traditionnellement alliés du
2,2
MILLIARDS DE DOLLARS
1 000
ENTREPRISES MAROCAINES
Maroc, en Afrique francophone de l’Ouest, mais aussi ONT ÉTÉ INVESTIS PAR OPÈRENT ACTUELLEMENT
LE MAROC EN AFRIQUE DANS LES AUTRES PAYS
du centre. ENTRE 2008 ET 2015 D’AFRIQUE.
Ces visites d’Etat ont permis de poser les jalons de ce
Source : MAEC, CNUCED, Office des changes, ministère des Finances, AMCI, ONU. Chiffres de 2018.
qui est qualifié de l’extérieur comme une stratégie
d’expansion africaine du Royaume, mais qui se sont
relevés in fine comme le préalable à une nouvelle page occasion, le Maroc multiplie la mise en place de com-
de l’histoire du « Maroc dans son Afrique ». À l’époque missions mixtes bilatérales afin de dynamiser davan-
où l’Afrique faisait la Une du journal britannique The tage la coopération dans les secteurs stratégiques et
Enonomist comme « le continent sans espoir », ce qui à forte valeur ajoutée, à travers notamment le renfor-
résumait l’afro-pessimisme ambiant du moment, le cement des capacités et le transfert des compétences
Maroc, sous l’impulsion de Mohammed VI, misait et du savoir-faire.
pour et avec l’Afrique. Les visites du souverain durant Cette coopération active et à forte teneur écono-
les dix premières années de son règne ont ainsi per- mique, dont le souverain marocain s’assurait réguliè-
mis la signature de divers accords de coopération rement de la mise en œuvre concrète, n’a pas tardé à
dans les domaines politiques, économiques et socio- porter ses fruits avec le début, à partir de 2006, de
culturels à travers l’établissement de nouveaux par- l’expansion des entreprises marocaines sur le Conti-
tenariats « gagnant-gagnant » qui accordent un accent nent. Banques, télécoms et BTP ont ainsi été les pré-
particulier au développement des relations écono- curseurs d’une stratégie d’expansion qui n’a cessé de
miques et des échanges commerciaux. Afin justement s’étoffer au fil des années particulièrement en Afrique
d’ouvrir la voie à des partenariats équilibrés et de l’Ouest et centrale. De 3,6 milliards de dirhams en
mutuellement bénéfiques, les visites entreprises par 2000, le volume des échanges commerciaux entre le
Mohammed VI en Afrique ont permis d’élargir le Maroc et les pays d’Afrique subsaharienne a bondi à
cadre juridique des relations économiques à travers 11,6 milliards en 2010, grâce notamment à l’engage-
notamment l’encouragement et la protection réci- ment personnel du roi du Maroc. « J’ai moi-même
proques des investissements, la non double imposi- souhaité donner une impulsion concrète à ces actions, en
tion ou la lutte contre l’évasion fiscale. Par la même multipliant les visites dans les différentes sous-régions du
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS 59

Continent », avait d’ailleurs expliqué Mohammed VI


dans son discours de 2017 à l’UA, année où le comp-
teur des visites royales en Afrique affichait 46 visites
dans 25 pays africains, et plus de 1 000 accords bila-
téraux signés dans les secteurs public et privé. Car
entre-temps, et dans le sillage de la seconde vague des
réformes politiques engagées par le souverain au
Maroc au début de la seconde décennie de son règne,
l’action marocaine en Afrique allait également fran-
chir un nouveau pallier avec une présence africaine

AFP FORUM / FADEL SENNA


de plus en plus politiquement affirmée et économi-
quement influente.

UNE POLITIQUE AU CŒUR


Le roi Mohmmed VI,
DES ENJEUX DU CONTINENT lors de l'ouverture
La seconde décennie du règne de Mohammed VI a de l'Africa Action pillages, entre dans une ère de prospérité », a plaidé
Summit, tenu en
permis de confirmer l’ancrage du Maroc en Afrique. marge de la COP22, Mohammed VI à Addis Abeba.
Les jalons posés sur les dix premières années ont été le 18 novembre 2016 Aux premiers accords bilatéraux qui ont consisté plus
à Marrakech.
confortés par la poursuite des tournées régulières à raffermir la coopération avec les autres pays afri-
qu’effectue le roi en Afrique. Des tournées au cours cains et surtout à mettre en place le cadre juridique
desquelles le souverain séjourne des jours durant dans pour le partenariat Sud-Sud, l’action diplomatique
les pays visités, assurant un suivi régulier des projets marocaine a pris une nouvelle envergure durant la
à fort impact social financé par le Maroc, ainsi que les seconde décennie du règne de Mohammed VI.
investissements d’entreprises chérifiennes sur le D’abord à travers le co-développement prôné par le
Continent qui ne cessent d’évoluer. Cette montée en roi du Maroc et qui a permis au royaume de renforcer
puissance de la présence économique du Maroc en ses investissements et la présence de ses entreprises
Afrique a coïncidé avec les « années glorieuses » du sur le Continent. Ensuite avec une stratégie africaine
Continent qui, grâce à une conjugaison de facteurs, d’ensemble marquée par l’ouverture du Maroc vers
est de nouveau devenu la principale attraction des les autres sous-régions du Continent, notamment les
puissances occidentales traditionnelles, mais aussi de pays anglophones comme le Ghana, le Nigéria ou
nouvelles économies émergentes. Au cœur de la rude l’Ethiopie, ainsi que les pays d’Afrique de l’Est (le
concurrence qui s’est installée sur le Continent, l’ac- Kenya, le Rwanda, la Tanzanie) ou d’Afrique australe
cès aux immenses ressources naturelles dont regorge (l’Angola, Madagascar, l’Afrique du Sud). Cette nou-
le Continent et qui continuaient à constituer sa prin- velle offensive diplomatique portée par le souverain
cipale source de croissance. En dépit de l’échec de a été entamée à partir de 2016, la veille de la décision
cette forme de coopération qui n’a pas permis au du retour du Maroc au sein de l’UA et s’appuie sur la
Continent d’assurer son décollage économique en AUSSI SYM- même stratégie, que pour l’Afrique de l’Ouest et cen-
profitant de ses ressources, afin de répondre à l’am- trale. Avec plus d’intensité, au regard de la présence
BOLIQUE
plification des défis notamment sociaux. marocaine sur le Continent. La forte implication des
En la matière, la spécificité de la stratégie marocaine QU’ELLE opérateurs marocains et leur importante présence
que le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bou- SOIT, LA dans le domaine de la banque, des assurances, du
rita, qualifiait dans un entretien à La Tribune Afrique DÉCISION transport aérien, des télécommunications et du loge-
« d’unique », allait faire toute la différence, car dira le ment, a fait que le Royaume est devenu depuis
DU MAROC
chef de la diplomatie marocaine, « l’offre marocaine de quelques années, le premier investisseur africain en
coopération en Afrique est la seule offre de coopération DE Afrique de l’Ouest. Il est déjà aussi le deuxième inves-
diversifiée qui englobe plusieurs dimensions ». Selon la RETOUR- tisseur du Continent, et selon Mohammed VI, « avec
vision royale, il ne s’agit non pas de voir l’Afrique NER À L’UA une volonté affichée de devenir le premier ».
comme un vaste marché aux potentialités promet- Le Maroc a renforcé sa coopération économique avec
N’EST PAS
teuses, mais parce qu’il est temps que les richesses de les pays africains et a surtout massivement investi à
l’Afrique profitent à l’Afrique. « Nous devons œuvrer UNE FIN travers des projets stratégiques d’envergure, notam-
afin que notre terre, après avoir subi des décennies de EN SOI. ment dans les infrastructures où le continent accuse
60 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

un sérieux déficit. A juste titre, les banques maro- Marocains, « c’est aussi une reconnaissance solennelle de
caines accompagnent les Etats africains dans la mobi- la crédibilité dont le Maroc jouit auprès des frères africains
lisation des financements nécessaires à la réalisation LE PRO- et une preuve éloquente de la place privilégiée qu’ils lui
de leurs programmes de développement, ainsi que les CESSUS DE réservent dans leurs cœurs ». Au peuple marocain, le
stratégies d’émergence pour les plus ambitieux. Les COOPÉRA- souverain a aussi tenu à assurer qu’en réalité, l'orien-
investissements marocains en Afrique n’ont pas seu- tation du Maroc vers l'Afrique ne se fera pas au détri-
lement enregistré une notable hausse, avec une valeur
TION SUD- ment des priorités nationales. « A l'inverse, elle appor-
cumulée de 37 milliards de dirhams entre 2003 et SUD tera une plus-value à l'économie nationale et contribuera
2007, mais ont aussi connu une diversification tant ENCLEN- à renforcer les relations de notre pays avec sa profondeur
géographique que sectorielle. Selon les estimations CHÉ PAR africaine », a expliqué le souverain lors du discours
officielles, l’Afrique concentre en moyenne 60 % des qu’il a prononcé à la veille de son 54e anniversaire, le
IDE marocains et ces flux sont adressés principale-
LE MAROC 21 août 2017. À l’occasion de la fête du trône, le roi du
ment aux pays d’Afrique de l’Ouest (55 %), suivis de « N’EST PAS Maroc est également revenu sur les raisons géostra-
l’Afrique du Nord (25 %), de l’Afrique centrale (15 %) PRÊT DE tégiques de ce choix qui « s'est répercuté directement et
et de l’Afrique australe (5 %). S’ARRÊTER. de façon positive sur la question de notre intégrité territo-
riale, comme en témoignent les positions des pays à ce sujet
UNE OUVERTURE ASSUMÉE IL EST, et les décisions de l'Union Africaine y afférentes ».
Le retour du Maroc au sein l'institution continentale HÉLAS L’Afrique dans le discours, mais aussi l’Afrique dans
a constitué certes un tournant diplomatique majeur POUR CER- les actes. Sous les vingt ans de règne de Mohammed
dans la politique extérieure du royaume sous le règne TAINS, IRRÉ- VI, le Continent a été au cœur de la bienveillance
de Mohammed VI. Dans le discours du trône qu’il a royale, mais aussi de la politique gouvernementale
prononcé le 20 août 2017 et qui a été presque exclu-
VERSIBLE ». qui désormais accorde la même attention aux affaires
sivement consacré à ce retour au sein de l’UA, le roi continentales. Ce qui n’a pas été sans rappeler la
du Maroc a affirmé qu’il est « le début d'une nouvelle contribution du royaume à la lutte pour la libération
étape qui sera marquée par un travail conjoint avec tous des peuples africains, mais aussi à l’ébauche du
les pays africains pour donner corps à un véritable par- panafricanisme dont le Maroc a été l’un des pionniers.
tenariat solidaire et œuvrer ensemble à l'essor de notre
continent et à la satisfaction des besoins des citoyens afri- LE PANAFRICANISME EN HÉRITAGE
cains ». À cette occasion, Mohammed VI a assumé Lorsque le roi du Maroc a officialisé l’intention ferme
l’orientation africaine qu’il a insufflée à l’action diplo- du Maroc de revenir dans « sa famille africaine »,
matique marocaine sous son règne, « surtout au regard Mohammed VI avait estimé nécessaire de rappeler à
des obstacles que certains ont tenté de dresser sur notre ses homologues africains un fait historique qui
chemin ». Pour Mohammed VI qui s’adressait aux témoigne du rôle joué par le Royaume dans la réali-
sation de l’unité et de l’intégration africaine. Avec
humilité et émotion et dans un message lu en son
nom lors du 26e sommet de l’UA de Kigali au Rwanda
AMCI : UN OUTIL DE COOPÉRATION, LEADER DANS en juillet 2016, le roi du Maroc a estimé nécessaire de
LA FORMATION DES TALENTS AFRICAINS rappeler qu’il était le petit-fils de Mohammed V, « qui
L’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI) a été créée en 1986 afin de développer, fut l’un des puissants symboles de l’épanouissement de la
d’élargir et de renforcer l’ensemble des relations culturelles, scientifiques et techniques du conscience panafricaine et l’un des artisans les plus enga-
royaume avec les pays partenaires, notamment, dans le cadre de la coopération Sud-Sud. Elle gés, aux côtés des présidents Jamal Abdel Nasser, Ferhat
mène ses multiples actions en étroite coordination avec le ministère des Affaires étrangères Abbes, Modibo Keita, Sekou Touré, Kwame N’Krumah,
et de la coopération et en partenariat avec l’ensemble des départements ministériels et les lors de la Conférence historique de Casablanca de 1961,
établissements publics marocains concernés. Sous le règne de Mohammed VI et conformément
aux directives royales, l’agence a intensifié ses activités sur le Continent à travers plusieurs qui a été annonciatrice d’une Afrique émancipée et fonda-
programmes qui visent à renforcer les compétences africaines. Ainsi entre 1999 et 2019, l’AMCI trice de l’intégration africaine ». C’est aussi comme il l’a
a permis la formation de 23 000 étudiants lauréats africains, originaires de 47 pays du Continent, dit à la même occasion, « en tant que fils de Hassan II,
parmi lesquels 20 000 ont été boursiers du Royaume durant leurs cursus au Maroc. Parallèle- qui a réuni, la même année, la Conférence des Mouve-
ment, 4 400 professionnels du secteur public africain originaires de 42 pays ont bénéficié des ments de libération des colonies sous domination portu-
programmes de renforcement des capacités dans plusieurs domaines. Pour l’année académique
2019, ils sont 11 000 étudiants africains originaires de 47 pays qui suivent, grâce à l’AMCI, leurs gaise en Afrique, contribué patiemment à la stabilité de
études dans différents établissements d'enseignement supérieur public, parmi lesquels 10 000 plusieurs régions de notre Continent et permis de renfor-
étudiants sont boursiers du royaume du Maroc. cer les liens d’amitié et de fraternité avec de nombreux
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS 61

pays africains ». Ce rappel historique a remis en qui annonçait le retrait du Maroc, le 12 novembre
lumière l’identité africaine du Maroc, un pays selon 1984. Plus de trois décennies plus tard, Mohammed
Mohammed VI dont « l’identité est le fruit d’un détermi- VI a estimé que la promesse est tenue, car « jamais
nisme géographique, d’une histoire commune traversée l’Afrique n’a été autant au cœur de la politique étrangère
d’évènements marquants, d’un brassage humain enrichi et de l’action internationale du Maroc ». La preuve dira
de siècle en siècle et de valeurs culturelles et spirituelles Mohammed VI, « le royaume a développé un modèle
ancestrales », mais aussi dont « l’engagement en faveur unique, authentique et tangible de coopération Sud-Sud,
des justes causes n’est plus à démontrer, car il a toujours qui a permis, non seulement, de consolider les domaines
été et sera toujours, animé par une foi inébranlable en une traditionnels de la formation et de l’assistance technique,
Afrique forte de ses richesses et potentialités économiques, mais également d’investir de nouveaux secteurs straté-
fière de son patrimoine culturel et cultuel et confiante en giques comme la sécurité alimentaire et le développement
son avenir ». des infrastructures ».
L’engagement du Maroc en faveur de l’Afrique aura Selon le roi du Maroc, « ce processus n’est pas prêt de
donc été est une constante malgré son absence de s’arrêter. Il est, hélas pour certains, irréversible ».
plus de trois décennies au sein de l’organisation conti- Quelques mois plus tard, en janvier 2017, le Maroc
nentale, l’ex-OUA dont les fondements ont été posés faisait son grand retour « par la grande porte » dans
à Casablanca, au lendemain des indépendances afri- l’agora continentale, inaugurant ainsi un nouveau
caines. « Africain est le Maroc. Africain, il le demeurera. chapitre de l’ancrage africain du Maroc et confirmant
Et nous tous Marocains restons au service de l’Afrique… l’action constante des rois du Maroc pour la promo-
Nous serons à l’avant- garde pour préserver la dignité du tion du panafricanisme. Un flambeau dont Moham-
citoyen africain et le respect de notre Continent », avaient med VI a hérité et qu’il continue d’entretenir avec un
adressé le défunt Hassan II à ses pairs du Continent engagement personnel et un leadership visionnaire
dans le message royal lu au XXe Sommet de l’OUA et qui conforte le Maroc dans son Afrique. n
62 ENTRETIEN LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

MOUBARAK LO
Économiste

EN DÉPIT DE NOMBREUX DÉFIS, LE MAROC


PEUT TOUJOURS S’APPUYER SUR UN
ENSEMBLE DE CONSTANCES AFIN DE
COMPTER PARMI LES LEADERS AFRICAINS
DE LA MARCHE VERS L’ÉMERGENCE D’UNE
AFRIQUE EN QUÊTE DE MODÈLE, DE
LEADERSHIP ÉCONOMIQUE. MOUBARACK
LO, ÉCONOMISTE ET DIRECTEUR GÉNÉRAL
DU BUREAU DE PROSPECTIVE ÉCONOMIQUE
(BPE) DU SÉNÉGAL, NOUS DÉCORTIQUE LES
SOUBASSEMENTS DE CE MODÈLE
ÉCONOMIQUE ET SON ENCRAGE AFRICAIN.
PHOTO DR
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 ENTRETIEN 63

« LE ROYAUME PEUT


CRÉER L’ÉMULATION PARMI
LES PAYS AFRICAINS »
LA TRIBUNE AFRIQUE : Vue de l’extérieur, quelle a été l’évolution producteurs de coton et couvre une bonne partie
du modèle économique marocain au cours de ces deux de sa demande intérieure en habits. Il se distingue
dernières décennies ? également par le développement d’une importante
MOUBARAK LO – Dès son accession au trône, Sa capacité de transformation dans le domaine
Majesté le roi Mohammed VI a voulu intégrer agroalimentaire. Le Royaume se singularise par
davantage le Maroc à l’économie mondiale. Le d’autres points forts traditionnels comme sa
Royaume a de ce fait mis en place une nouvelle production de phosphate dont il est le premier
stratégie axée sur la promotion des métiers exportateur mondial.
mondiaux du Maroc, alors que beaucoup de pays
en développement notamment d’Afrique se Pour ce qui est du phosphate, le Maroc a considérablement
contentaient de l’exploitation de leurs ressources amélioré sa production et la valeur de ses exportations au
naturelles exportées à l’état brut. A partir d’une cours de ces dernières années. Comment s’est opérée cette
analyse comparative de la situation internationale, transformation ?
le Maroc s’est positionné sur quelques produits Le Maroc a diversifié sa production de produits
novateurs comme l’automobile ou l’aéronautique. dérivés du phosphate et a amélioré ses procédés et
C’est une approche nouvelle. Il est l’un des ses méthodes. Si l’on prend le cas d’une entreprise
premiers pays africains à se positionner sur ce comme l’OCP, elle intervient beaucoup en Afrique
domaine. Car en dehors du Maroc, de l’Afrique du auprès des producteurs avec des services ciblés
Sud et de la Tunisie, aucun autre pays africain ne notamment en analyse des sols et d’adaptation de
s’est positionné, jusqu’à récemment, sur ce créneau ses engrais aux besoins spécifiques des paysans.
de fabrication de pièces aéronautiques. Ce type C’est une complexification continue de ses
d’activités exige des normes très élevées en termes méthodes d’intervention.
de fiabilité des produits et généralement ce sont
des économies sophistiquées qui se positionnent Quels sont les points forts sur lesquels le Maroc peut toujours
sur ce genre de produits. s’appuyer pour maintenir et accélérer son rythme de
L’entrée dans ce segment fermé a supposé la mise développement économique ?
en place de tout un écosystème autour des Les points forts du Maroc sont d’abord sa position
industries, en termes de rapidité de procédures de géographique. Il bénéficie d’une position privilégiée
dédouanement, de capital humain, à la porte de l’Europe et à l’extrême nord du
d’infrastructures et de possibilités de financement. Continent africain, un carrefour de plusieurs flux
Tout cela a été développé notamment autour de d’échanges mondiaux. C’est une voie naturelle de
du port de Tanger Med avec la mise en place de passage d’un continent à un autre. En quittant le
Tanger Free Zone. Il y a également le pacifique en direction de l’Atlantique, les flux des
développement d’un deuxième pôle autour de échanges mondiaux empruntent le canal de Suez
Kénitra. Tout en procédant à ces innovations, le avant de passer par Tanger afin d’emprunter
Maroc a essayé de consolider ses secteurs l’Atlantique en direction de l’Amérique du Nord,
traditionnels comme celui du textile-habillement. du sud ou encore de l’Europe. Une position
Le Maroc a toujours été actif dans le domaine de stratégique faisant l’une des spécificités du Maroc,
la confection même s’il ne fait pas partie des pays à laquelle s’ajoute sa stabilité politique. Le fait que
64 ENTRETIEN LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

le Maroc soit un Royaume est un gage d’assurance privé. Maintenant, les gouvernements peuvent
pour les investisseurs qui sont conscients que les développer les cadres institutionnels, juridiques,
orientations économiques sont établies sur le long
terme. L’autre point fort du Maroc est le
« Le Maroc les infrastructures, mais également les systèmes
d’information qui permettent de meilleurs
développement de tout un réseau d’infrastructures. peut jouer échanges. Une fois ces éléments mis en place par

Le Maroc a effectivement investi et développé au cours des


à la fois les Etats africains, c’est au tour du secteur privé de
jouer son rôle, de prendre le relais. Car l’horizon
deux dernières décennies tout un réseau d’infrastructures un rôle est dégagé et il y a beaucoup d’opportunités de
parmi les plus denses d’Afrique. Est-ce un passage obligatoire
pour atteindre l’émergence économique ?
d’ancrage partenariats, notamment dans le domaine de la
transformation locale des matières premières
Les infrastructures sont la base du développement en termes brutes. Aujourd’hui, le grand défi de l’Afrique est
de la connectivité. Sans connectivité, il est difficile
d’intégrer les flux mondiaux. Aujourd’hui les
de modèle notamment celui de la transformation des produits
agricoles et des ressources pétrolières et minières
entreprises au niveau mondial gèrent des stratégies à suivre, pour créer plus de valeurs ajoutées. L’Afrique est
mondiales. Pour être considérés dans ces stratégies
mondiales, les pays doivent être capables de
et d’émula- de plus en plus consciente de cette nécessité
d’investir dans la transformation et de nombreux
délivrer des produits de qualité dans des délais tion pour pays ont mis en place des stratégies pour
précis, d’où l’intérêt de disposer d’infrastructures
adaptées. Au cas contraire, malgré les opportunités
d’autres développer le secteur de la transformation. Le
Maroc a fait d’importants progrès dans tout ce qui
offertes, les investisseurs ne viendront pas. La pays du est transformation de la production agricole.
vitesse est devenue incontournable au niveau
mondial pour être attractif, et à celle-ci il faut
Continent » D’autres pays africains sont également très avancés
dans ce domaine. C’est le cas notamment de la
ajouter la précision et la qualité. Côte d’Ivoire qui a un ambitieux plan de
développement industriel pour le cacao ou encore
Le Maroc figure depuis quelques années en bonne place dans l’anacarde. Le Sénégal a adopté une politique
les classements mondiaux en comparaison aux autres pays du similaire notamment dans le domaine de l’arachide.
Continent. Dans quels domaines peut-il inspirer d’autres Il faut partager les expériences, capitaliser sur ces
économies africaines ? acquis et continuer sur cette stratégie offensive de
L’Afrique a besoin de modèles continentaux. promotion de la transformation. Le jour où
Lorsque l’on demande aux Africains de s’inspirer l’Afrique parviendra à relever le défi de la
de modèles asiatiques ou d’ailleurs, ils rétorquent transformation, ses pays pourraient figurer parmi
souvent par : Et nos réalités ? C’est la raison pour les pays émergés.
laquelle, il est important d’avoir des pays du
Continent qui réussissent et dont les réalités socio- Selon vous, quels pièges économiques le Maroc et la plupart
culturelles sont relativement proches. Les pays des pays africains devraient-ils éviter dans leur quête de
africains ont plus de points communs avec le l’émergence ?
Maroc qu’avec la Chine ou la Corée. En même D’après notre indice, l’Indice synthétique
temps, c’est une stimulation pour les autres. Nous d’émergence économique ou l’ISEME, qui prend
avons un ensemble africain où si certains pays en compte un certain nombre de variables, le
progressent, d’autres vont vouloir suivre le rythme Maroc et l’Afrique du Sud comptent parmi les pays
et aspirer au même niveau de développement. C’est émergents. Pour le Maroc, il suffit de maintenir sa
ce double rôle que le Maroc peut jouer, à la fois un trajectoire tout en prenant en compte le fait que
rôle d’ancrage en termes de modèle à suivre, et chaque niveau économique a ses exigences. Chaque
d’émulation pour d’autres pays du Continent. pays, selon son état de développement, possède
des défis spécifiques à relever. Le Maroc devrait
S’agissant de ce partage d’expériences, comment pourrait-il peser toute la portée de sa situation et développer
être mieux organisé et optimisé entre le Maroc et les autres en conséquence une stratégie adaptée. En
pays d’Afrique ? particulier, il lui faut réussir le pari du
Les gouvernements signent toujours des développement technologique, tout en développant
partenariats, mais à terme cela devrait être un des capacités fortes de création d’emplois. n
partenariat naturel dont le moteur serait le secteur Propos recueillis Par Maimouna Dia
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 TÉMOIGNAGE 65

UN SOUVERAIN
QUI ALLIE EMPATHIE
ET EFFICACITÉ

L
e roi Mohammed VI va bientôt boucler deux LE TOURNANT AFRICAIN
décennies de pouvoirs au service de son pays Politiquement engagé par le retour du Maroc, pays fonda-
et de ses concitoyens. Deux décennies pen- teur de l’Organisation de l’unité africaine, au sein de l’or-
dant lesquelles le Maroc est devenu un des ganisation politique panafricaine avec le soutien de
pays les plus médiatisés du Continent. Aujourd’hui, il est l’écrasante majorité de ses pays membres, la présence
cité en exemple dans de nombreux domaines, écono- économique du Maroc sur le Continent qui s’est renforcée
miques, mais aussi sociaux, sécuritaires ou encore cultu- ces quinze dernières années porte la marque du souverain
rels. Les observateurs avisés citeraient volontiers le for- chérifien. Chacun se souvient, de Nairobi à Dakar en pas-
midable développement de la ville de Tanger et de son sant par Libreville, Bamako ou Antanarivo, de ces visites
port, parvenu aux avant-postes des plus importants de sa du roi du Maroc, à la tête de délégations impressionnantes
catégorie sur le Continent, en seulement quelques et pour une durée suffisante pour que nous comprenions
années. Ou encore Marrakech, devenue le lieu des ren- que c’est un ami qui vient nous voir.
contres internationales en Afrique, alliant sens de l’hos- Les projets économiques, les investissements dans de
pitalité, efficacité logistique et convivialité traditionnelle. nombreux secteurs, les partenariats entre hommes d’af-
Il y a seulement quelques mois, était inaugurée la ligne de faires succèdent aux actions dans la santé ou encore des
train à grande vitesse reliant Casablanca à Tanger, per- soutiens aux secteurs agricoles, artisanaux ou culturels.
mettant une mobilité significative sur cet axe important Les Africains ont ainsi pris l’habitude de voir le roi au
pour l’économie du Maroc et véritable vitrine d’un pays se volant d’une voiture, dans leur pays ou encore attablé dans
rapprochant à grands pas de ses voisins méditerranéens. un restaurant et se soumettant à des séances de selfies
Il est difficile de citer les réussites économiques du sou- avec le tout-venant. C’est aussi cela Mohammed VI, un
verain marocain, tant elles sont nombreuses et dans la PAR MOUSSA MARA jeune leader, citoyen du monde, à l’aise dans ses baskets
plupart des secteurs. ANCIEN PREMIER et persuadé que la chaleur humaine est aussi indispen-
Sa Majesté a su placer le Maroc en phase avec les trans- MINISTRE DU MALI sable que la rentabilité économique. Le Maroc fait des
formations profondes de son environnement et lui a donné affaires en Afrique, il y gagne de l’argent et son roi y est
une place particulière sur l’agenda international. Il a chez lui !
contribué à renforcer la sécurité du pays face aux Il faut reconnaître que le temps long dont bénéficie un roi
menaces terroristes et ses services ont aidé de nombreux est favorable à la vision et à la cohérence, au-delà de
pays, dont des européens et asiatiques (exemple du Sri simples séquences quinquennales. Cela a sans doute aidé
Lanka, il y a seulement quelques semaines) dans leur lutte au succès du jeune roi marocain. Mais il est tout aussi vrai
contre ce fléau. Que dire de sa gestion du « printemps que la personnalité est le facteur déterminant de l’action
arabe » en 2011, où son sens de l’anticipation et son écoute d’un leader. On peut avoir du temps et ne pas savoir quoi
des aspirations de la jeunesse marocaine lui ont fait enga- en faire ! Il reste à souhaiter à Sa Majesté Mohammed VI,
ger une des plus profondes réformes du système politique que Dieu l’assiste, de continuer à diriger son pays, avec
du pays. Là comme dans d’autres domaines, il s’est montré l’énergie, la vision et la passion démontrées ces vingt
apte à anticiper, orienter, piloter et ajuster les change- dernières années, sans oublier l’empathie envers les
ments nécessaires pour que le royaume puisse poursuivre autres dont il sait faire preuve à chaque occasion. Cela a
sa marche en avant de manière harmonieuse. été la clé du succès et le sera pendant de nombreuses
S’il est un domaine où l’action de Mohammed VI a été déci- décennies encore.n
sive pour son pays, c’est bien celui du tournant africain.
DES PARTENARIATS SUD-SUD
ORIENTÉS BUSINESS

L
a prise de conscience du potentiel le rendre plus compétitif et prospère. membres de la communauté CFC (institutions
économique africain est une financières, services professionnels, sièges
chose, sa concrétisation en est Depuis quelques années, le contexte est donc régionaux et holdings) sont actives dans 46
une autre. La population du conti- particulièrement propice pour le Maroc et pour pays du continent.
nent doublera d’ici 2050 et son PIB sera multi- CFC. Quelques données permettent de s’en
plié par 12 ! Mais le continent africain est un rendre compte. D’une part, 85% des flux d’IDE Environ 200 acteurs économiques et financiers
ensemble divers de marchés, de cultures, du Maroc se dirigent vers l’Afrique, le royaume sont présents à CFC, ce qui en fait la première
d’accords économiques, commerciaux et étant le second investisseur intra-africain en communauté d’affaires du continent. La place
financiers. La connaissance de ces marchés 2018, mais en se basant sur le rapport des financière étant par ailleurs classée au 22ième
passe donc nécessairement par la création de investissements au PIB, le Maroc est le pre- rang mondial selon l’index GFCI 25.
relais locaux permettant de naviguer les mier. Le secteur bancaire marocain (banques
risques politiques, économiques et de gouver- et assurances) est quant à lui présent dans 34 18 PARTENARIATS SUD-SUD
nance qui persistent par endroits. Casablanca pays du continent, offrant de solides relais et DANS UNE LOGIQUE WIN-WIN
Finance City (CFC) s’inscrit dans cette perspec- appuis aux investisseurs. Enfin, CFC joue un Au fil de l’eau, la communauté CFC participe au
tive de moyen à long terme, notamment en rôle pivot à ce niveau, puisque les entreprises développement du continent, tissant des liens,
bâtissant des relations d’avenir avec ses par- multipliant les échanges et rencontres, créant
tenaires africains. PARTENAIRES SUD-SUD des synergies, tout en s’appuyant sur ces nou-
• API-BF • BOI – ILE MAURICE veaux réseaux de partenariats Sud-Sud qui
Depuis la création de CFC en 2011, ces partena- • API CAMEROON • CCIT – TOGO contribuent à fluidifier davantage l’environne-
riats Sud-Sud se sont multipliés et approfon- • API CONGO • CEPICI – CÔTE D’IVOIRE ment des affaires au sein du continent.
dis. Les nombreuses rencontres et visites • API MALI • EDBM – MADAGASCAR
effectuées ces dernières années ont permis • APIEX - BÉNIN • GIPC – GHANA Ces partenariats sont d’autant plus vitaux que
de nouer des liens forts avec diverses institu- • ANPIPS – NIGER • NIPC – NIGERIA le continent africain reste fragmenté, avec des
tions africaines. Les retours ont été positifs, • ANPI GABON • RDB – RWANDA économies et des marchés de petite taille.
et il existe une attente forte pour que le Maroc • APIP – GUINEE • TIC – TANZANIE Cette situation rend parfois difficile l’accès à
soit l’une des locomotives, pas la seule évidem- • APIX – SÉNÉGAL • ZDA - ZAMBIE des informations fiables et pertinentes, soit
ment, du continent.
UNE COOPÉRATION STRATÉGIQUE G2G ÉTROITE
LA GENÈSE DES PARTENARIATS SUD-SUD
L’Afrique doit faire confiance à l’Afrique, c’était
le message adressé par Sa Majesté le Roi
46
Mohammed VI à Abidjan en 2014. CFC s’inscrit
dans cette vision, dans une approche de co-dé- 42 25 visites royales dans

25
veloppement et de co-émergence. La politique Pays ayant Accords de protection
des Accords des investissements
des partenariats Sud-Sud de CFC est en réalité Coopération pays africains
consubstantielle de la politique africaine depuis 1999
visionnaire menée par Sa Majesté le Roi
Mohammed VI. Fort de ses attaches à travers
le continent, le Maroc entend ainsi jouer un
rôle important en Afrique, dans la continuité
des liens tissés depuis des siècles avec les
pays africains. 19 + 8000 … aux étudiants de

En effet, le maillage économique et financier


Coventions fiscales
signées
Bourses
attribuées 44
pays
du continent est aujourd’hui l’une des condi-
tions sine qua non de son développement, pour
LA TRIBUNE AFRIQUE PARTENAIRE

relatives aux opportunités d’affaires exis-


tantes, soit en matière de risques, de
« Casablanca Finance City des dynamiques de marché pour chaque
pays. Il pourra s’agir de points focaux qui
financement ou même de ressources favorisera une intégration guident les investisseurs dans leurs
humaines. Par ailleurs, les multiples démarches, les informent des méca-
cadres juridiques et règlementaires au financière de l'Afrique dans la nismes en place, des incitations particu-
sein du continent rendent également peu
lisibles les incitations disponibles ou l’évo-
finance internationale, facilitera lières et des procédures en vigueur (ex :
création d’entreprise, démarches admi-
lution propre à chaque pays en matière de les échanges intra-africains et nistratives, etc.). De même, les APIs par-
priorités stratégiques voire sectorielles. tenaires ont la possibilité d’être présents
canalisera au mieux l'épargne au sein de CFC. Avec un tel lien de proxi-
L’objet des partenariats Sud-Sud de CFC
est d’ouvrir et favoriser l’accès à l’infor-
mondiale vers l'investissement mité avec la communauté d’entreprises
CFC, les APIs peuvent sensibiliser quant à
mation, dans une logique win-win, en dans le continent ». l’environnement des affaires de leur pays,
rapprochant la communauté CFC des présenter les réformes réalisées pour
Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Forum pour
Agences de Promotion des Investisse- favoriser l’investissement et partager les
le Développement de l’Afrique Marrakech,
ments (APIs) dans chaque pays partenaire, Octobre 2014 opportunités d’investissements sur des
et en permettant à ces APIs d’accéder projets structurants de leurs économies.
directement à la communauté CFC. Autre-
ment dit, CFC joue le rôle d’intermédiaire Au cours des prochains mois, l’objectif est
en assurant un relai institutionnel pour les API investisseurs et membres CFC, ainsi qu’un sémi- double : enrichir les partenariats existants et
africaines au Maroc, et réciproquement, les API naire de renforcement de capacités consacré à en conclure de nouveaux. D’une part, cela pas-
facilitent l’accès de leurs pays à la Communauté la finance verte en vue de créer un réseau afri- sera par l’organisation d’évènements de hauts
CFC. cain du FC4S, le réseau mondial des places niveaux conjoints et d’évènement de promotions
financières vertes promu par l’UNEP. mutuels ainsi que de revue périodique avec les
Un département des Partenariats Sud-Sud (PSS) APIs. D’autre part, il s’agira de poursuivre le
a été créé au sein de CFC pour développer les La montée en puissance des partenariats Sud- maillage du continent, au bénéfice des investis-
partenariats et les relations Sud-Sud, à la fois Sud doit permettre d’organiser tout un réseau seurs, avec les institutions de promotion des
pour organiser la relation avec les institutions de relais et de canaux privilégiés pour favoriser investissements et l’ensemble des institutions
des pays partenaires et accompagner les entre- l’échange et le partage d’informations au sujet partie prenantes du continent. n
prises CFC dans leurs démarches de prospection
et d’investissement. Plusieurs membres CFC ont PARTENARIATS SUD-SUD, 18 MoU SIGNÉS À CE JOUR
déjà bénéficié de ce service particulièrement
utile pour mieux appréhender les environne-
ments économiques propres à chaque pays.

DES PARTENARIATS SUD-SUD


QUI OUVRENT LA VOIE AUX INVESTISSEURS
La fluidification de l’environnement des affaires
étant la pierre angulaire de CFC, les partenariats
Sud-Sud formés à travers les APIs jouent donc
un jouent un rôle de passerelle au sein du Conti-
nent.

CFC a par exemple accueilli la visite des API du


Nigeria (NIPC) en mars 2018 et du Rwanda (RDB)
en juillet 2018 pour promouvoir des opportuni-
tés d’investissement croisées et organiser des
entretiens individuels privilégiés avec les
acteurs économiques de la communauté.
D’autres événements sont prévus, notamment
le premier forum économique Togo-EU durant
lequel les projets du plan national de dévelop-
pement (PND 2018-2022) seront présentés aux
68 SUR LE VIF LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

En 2016, Mohammed VI effectue une visite


officielle en Chine qui sera couronnée par
la signature d’un partenariat stratégique
entre le Maroc et la Chine. Ici, le roi du
Maroc et le président chinois Xi Jinping, le
11 mai 2016, à l’issue de la cérémonie de
signature d’accords de coopération.
Crédit photo : Reuters / Kim Kyung-Hoon
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 SUR LE VIF 69
70 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

LE ROI EN FER statut avancé auprès de l’Union européenne (UE)


alors sous présidence française, qui lui permet

DE LANCE DE
d’accéder à un marché de 500 millions de consom-
mateurs potentiels.
« Le Maroc est un arbre dont les racines sont ancrées

LA DIPLOMATIE
en Afrique mais qui respire par ses feuilles en Europe »
déclarait feu Hassan II en 1986. Un adage suivi par
Mohammed VI, selon une logique verticale de
partenariat euro-africain, fondé sur sa géographie
CONFORTER SON ALLIANCE AVEC SES PARTENAIRES (Tanger est située à 14km des côtes espagnoles)
et sur une relation historique datée du XVème
HISTORIQUES, CONCRÉTISER SON ORIENTATION siècle. « Quelque soit le gouvernement, la France a
AFRICAINE ASSUMÉE ET S’OUVRIR SUR LES NOUVELLES toujours soutenu le Maroc » souligne Charles Saint-
Prot, Directeur de l’Observatoire d’études géopo-
PUISSANCES ÉMERGENTES, TELS SONT LES LIGNES litiques et auteur de « Mohammed VI ou la
DIRECTRICES D’UNE DIPLOMATIE MAROCAINE DONT monarchie visionnaire ».
L’UE est le 1er partenaire commercial du royaume
LES ORIENTATIONS ÉPOUSENT LES CONTOURS DES (l’Espagne en tête) et les exportations marocaines
GRANDS DOSSIERS INTERNATIONAUX TELS LA LUTTE vers l’hexagone ont augmentées de 52 % entre 2012
et 2017. Le Maroc demeure la 1ère destination des
CONTRE LE TERRORISME ET UNE GESTION PLUS investisseurs français en Afrique et le 1er bénéfi-
HUMAINES DES MIGRATIONS. POUR CE FAIRE, LA ciaire de l’Agence française de développement
(AFD) avec 1,5 milliards d’euros reçus entre 2013
DIPLOMATIE MAROCAINE DISPOSE D’UN ATOUT DE et 2017.
CHOIX : LE ROI MOHAMMED VI. UNE RELATION À GÉOMÉTRIE
VARIABLE AVEC WASHINGTON
PAR MARIE-FRANCE REVEILLARD
Après les attentats du 11 septembre 2001, « les rela-

L
tions bilatérales ont laissé place au Grand Moyen-
Orient de George W Bush, intégrant une quarantaine
e roi Mohammed VI manœuvre entre de pays de Casablanca à Karachi, sous un prisme
ouverture géostratégique et realpolitik arabo-musulman (…) le Maroc s’est vite imposé
dans un monde désormais globalisé. comme le partenaire régional le plus solide de
Au niveau régional, le roi a renforcé l’OTAN » explique Emmanuel Dupuy. Dès lors, les
ses relations avec les pays du Golfe à Etats-Unis ont multiplié les collaborations bilaté-
travers son soutien à la coalition saou- rales : achat de matériel militaire (F-16 préférés
dienne au Yémen en 2016 notamment, ou via sa aux rafales), formations de GI’s dans la Nation
participation à la coalition saoudienne de lutte Defense University et participation du Maroc à
contre le terrorisme. Par ailleurs, le royaume a des coalitions internationales : soutien à l’inter-
reçu près de 5 milliards de dollars du Koweït, des vention US en Afghanistan en 2001 et à la mission
EAU, de l’Arabie Saoudite et du Qatar entre 2012 de stabilisation en Irak en 2003-2004… La visite
et 2016, et 11 accords économiques ont été signés du ministre marocain des Affaires étrangères aux
par la Haute commission mixte bilatérale, en mars États-Unis en septembre 2018 et sa rencontre avec
2018. le Secrétaire d’État américain en mai 2018, où il a
Fin stratège, le roi est de « tous les projets d’intégra- réaffirmé l’opposition du Maroc à l’Iran, (accusé
tion, au moment où l’idée d’une Union pour la médi- d’armer le Front Polisario via le Hezbollah),
terranée est relancée » constate Emmanuel Dupuy, témoignent de la vitalité des relations diploma-
consultant sur les questions de défense et de sécu- tiques entre Rabat et Washington.
rité et président de l’Institut Prospective et Sécu- « Les Marocains ont conscience qu’ils peuvent être
rité Europe (IPSE). Le Maroc, bénéficiant de l’in- aidés par les Américains sur la question du Sahara
conditionnel appui de Paris, a obtenu en 2008, un sans s’illusionner sur la permanence de leur amitié.
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS 71

Sous Obama, ça s’est mal passé » constate Charles


Saint-Prot. « Il s’est rapproché de l’Iran au détriment
des pays arabes et il a présenté des résolutions désas-
treuses à l’ONU, qui n’ont pas abouties grâce à la
menace du veto de la France… Il a soutenu l’émissaire
algérien auprès du Secrétaire général de l’ONU sur
le dossier du Sahara (…) sans parler de la Tunisie, du
Yémen et de l’Egypte ! » poursuit-il.
Toutefois, durant la période 2006-2017, le com-
merce bilatéral a plus que triplé, passant de 11,7 à
39,7 milliards de dirhams, grâce à l’accord de libre-
échange signé en 2006 (ALE). L’intérêt écono-
mique de l’administration Obama pour l’Afrique,
a favorisé un rapprochement avec le Maroc qui,
REUTERS / BENOIT TESSIER / POOL

avec un PIB supérieur à 100 milliards de dollars,


s’est imposé comme un acteur capable d’accueil-
lir une partie les potentiels investissements amé-
ricains…
Le roi Mohammed VI lors de la cérémonie de commémoration du 100e anniversaire de l’Armistice, le 11
MOHAMMED VI FACE AUX NOUVEAUX novembre 2018 à la place de l’Arc de triomphe à Paris. A sa droite, le prince hériter Moulay El Hassan. Sur la
PARADIGMES GÉOPOLITIQUES photo également (premier rang), les présidents Donald Trump et Vladimir Poutine, la chancelière allemande
Angela Merkel, ainsi que les Premières Dames Melania Trump et Brigitte Macron.
Alors qu’Hassan II avait assisté à la chute du com-
munisme et au retour du multilatéralisme, son fils
poursuit aujourd’hui sa logique d’ouverture, à avec l’Allemagne, le Forum mondial sur la migra-
travers une diplomatie tous azimuts. « La géopoli- tion et le développement (GFMD) et accueillait
tique n’intègre plus seulement la sécurité ou la poli- la conférence du « Pacte de Marrakech ». Peu à
tique mais aussi l’économie, qui exige davantage peu, le roi a intégré les migrations au cœur de la
d’imagination et en cela, Mohammed VI a bien réussi » stratégie centrale du Maroc.
selon Charles Saint-Prot qui souligne d’autre part, Enfin, frappé par des attentats terroristes à Casa-
un rapprochement « vers la Chine, l’Inde et la blanca (2003) et à Marrakech (2011 et 2017), le
majeure partie des pays d’Amérique latine comme le Maroc a perfectionné son système de renseigne-
Chili, l’Argentine ou la Colombie ». Il précise par ment et s’est doté d’un bureau central d’investi-
ailleurs que « Trump a saisi l’enjeu commercial du gation judiciaire (BCIJ), « une sorte de FBI maro-
Maroc, aux prises avec une concurrence européenne cain qui a démantelé près de 400 cellules terroristes,
et chinoise accrue. Tanger-Med : c’est 2 milliards de déjoué près de 40 attentats depuis février 2015, et qui
dirhams d’investissements chinois et 100 000 emplois Fin stratège, s’intéresse aussi aux financements et au cyber-terro-
à la clé ! De plus, le Maroc accueille favorablement le le roi est de risme » rapporte Emmanuel Dupuy.
retour de la Russie », comme en témoignent les Le Maroc a également rejoint le G4 (coopération
déplacements du roi à Moscou en 2016 ou celui
« tous les pour l’échange d’informations entre le Portugal,
de Serguei Lavrov au Maroc en janvier 2019, en projets d’inté- l’Espagne, la France et le Maroc) et a intégré le
vue d’un accord de libre-échange entre les deux gration, au « plan transsaharien des Etats-Unis, auxquels le pays
pays. moment où accorde par ailleurs, des facilités portuaires à Kéni-
Au niveau des défis que doit relever le roi : les tra » précise le président de l’IPSE (7 000 GI’s sont
migrations et la menace terroriste représentent
l’idée d’une actuellement répartis dans 35 pays d’Afrique, dont
les 2 faces de la même pièce, érigées sur les bases Union pour 4 500 à Djibouti).
d’un « mal-développement » régional qui traverse la méditerra- En première ligne dans la lutte contre les extré-
les frontières du Maghreb jusqu’aux profondeurs née est relan- mismes violents, le Maroc du roi Mohammed VI
subsahariennes. En 2018, 25 101 personnes ont s’est imposé ces 20 dernières années, comme un
rejoint l’Espagne via le Maroc, selon l’OIM. En
cée » constate partenaire régional majeur, relayé par une diplo-
2017, le roi annonçait la régularisation de 25 000 Emmanuel matie culturelle intensive sur fond de leadership
demandeurs d’asile ; en 2018 le Maroc coprésidait Dupuy africain retrouvé… n
72 ENTRETIEN LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

JEAN-PIERRE
RAFFARIN
Ancien Premier
ministre français
PHOTO / CLAUDE TRUONG-NGOC
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 ENTRETIEN 73

« LE MAROC SAIT FAIRE VALOIR


SES INTÉRÊTS À TRAVERS LE MONDE »
HOMME D’ETAT FRANÇAIS, ANCIEN PREMIER MINISTRE SOUS LE PRÉSIDENT JACQUES
CHIRAC ENTRE 2002 ET 2005, JEAN-PIERRE RAFFARIN PORTE UN REGARD DISTANCIÉ SUR
SA RELATION AVEC LE MAROC ET MESURE LES PROGRÈS ACCOMPLIS PAR LE ROYAUME
CHÉRIFIEN DURANT CES VINGT DERNIÈRES ANNÉES QUI RESTERONT CELLES DU
DÉVELOPPEMENT ET DE L’OUVERTURE VERS L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE.

LA TRIBUNE AFRIQUE : Le Maroc fête cette année le 20e rencontre très régulièrement des Marocains qui font
anniversaire de l’intronisation du roi Mohammed VI. Quel regard exister leur pays à l’international, avec talent. Je
portez-vous sur l’évolution du Maroc depuis son accession au pense que ce qu’il faut retenir de ces dernières
trône ? années, c’est son ouverture vers le Sud, qui
JEAN-PIERRE RAFFARIN – Le royaume du Maroc a positionne le Maroc comme un pays charnière entre
connu un développement considérable sur les deux l’Europe et l’Afrique subsaharienne.
dernières décennies. Les investissements réalisés en Cette orientation me semble l’évènement
matière de transport, notamment dans l’automobile, caractéristique de cette nouvelle donne qui lui
mais aussi dans les infrastructures, les équipements permet d’intervenir sur des questions aussi diverses
touristiques ou encore dans les actions d’éducation que la sécurité régionale ou l’immigration.
ont permis au Maroc de réaliser des progrès très
significatifs. Cette période restera celle où le Maroc Au-delà de ses alliés traditionnels comme la France et de son
a connu des résultats importants. orientation africaine assumée, le Royaume opère une ouverture
vers d'autres puissances comme la Chine ou la Russie. Comment
Lorsque que vous étiez à Matignon, quelle était la nature de vos analysez-vous cette inflexion stratégique ?
relations avec le royaume du Maroc ? De nos jours, on ne peut pas rester indifférent à tous
J’entretenais des relations de confiance avec le les échanges et à tous les partenariats qui se
Maroc, notamment avec mon homologue Driss développent au niveau mondial. Au fond, un pays qui
Jettou, le Premier ministre, aujourd’hui président de cherche à être indépendant a tout intérêt à multiplier
la Cour des comptes. C’est un homme de grande les partenariats pour ne pas se retrouver dans une
compétence et de grande sagesse. J’ai pour lui situation de dépendance. Il est vrai que le Maroc
énormément de respect, car il m’a beaucoup appris. bénéficie aujourd’hui d’une très bonne image en
À cette époque, il disposait d’un peu plus Chine où l’on parle beaucoup du Royaume et de sa
d’expérience que moi et il m’a particulièrement aidé diplomatie très active. C’est un pays qui sait faire
dans la compréhension d’un certain nombre de valoir ses intérêts à travers le monde.
problèmes politiques. C’est la raison pour laquelle La Chine qui a inscrit l’Afrique dans sa Route de la
aujourd’hui, j’ai pour la sagesse marocaine la plus soie nourrit naturellement beaucoup d’intérêt pour
grande considération. le royaume du Maroc et je crois que c’est en partie
réciproque. A partir du moment où les intérêts des
Comment décririez-vous l’orientation du Maroc au sein du concert uns et des autres sont bien défendus, je n’y vois pas
des nations au cours de ces dernières années ? d’inconvénient. D’ailleurs, le gouvernement français
Le Maroc est aujourd’hui doté d’une diplomatie très a également envisagé des coopérations avec les
active et le Royaume peut s’appuyer sur des partenaires chinois pour participer au développement
émissaires de grande qualité qui sont présents un peu du continent africain. n
partout à travers le monde. A titre personnel, je Propos recueillis Par Marie-France Réveillard
74 SUR LE VIF LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

Le roi Mohammed VI et le pape François à


leur arrivée à l’esplanade de la Tour
Hassan à Rabat, le 30 mars 2019. Une
première depuis la visite de Jean-Paul II
au Maroc en 1985.
Crédit photo : Reuters / Remo Casilli
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 SUR LE VIF 75
76 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

LE LEADERSHIP
MONARCHIQUE
DE « L’ISLAM DU
JUSTE MILIEU »
DANS UN SYSTÈME MONARCHIQUE ANCRÉ TEL QU’IL
EXISTE ACTUELLEMENT AU MAROC, L’IMPORTANCE DE
L’AUTOCRATISME DU ROI EN MATIÈRE RELIGIEUSE EST
INDÉNIABLEMENT LA CLÉ DE RÉUSSITE DE LA
POLITIQUE RELIGIEUSE NATIONALE QUI AUJOURD’HUI,
À TRAVERS SON SUCCÈS, SÉDUIT ET ATTIRE LES PAYS
AFRICAINS FRÈRES.
PHOTO DR

PAR BOUCHRA BENHIDA

D
ans un objectif de lutte contre gérer au mieux le volet religieux qui est d’une impor-
l’extrémisme religieux et l’igno- tance cruciale au Maroc, une institutionnalisation
rance, le roi Mohammed VI a mis du champ politico-religieux a dû voir le jour à travers
en place plusieurs initiatives la création d’un ministère souverain, les Habous et
contribuant à la création et à la les Affaires islamiques, et c’est à l’initiative du roi
pérennisation d’une identité reli- Mohammed VI que la restructuration du champ reli-
gieuse marocaine immuable basée sur l’islam du gieux a permis une centralisation de la pensée théo-
juste milieu tripartite composé d’une école juridique logique.
malékite qui représente l’orthodoxie sunnite, d’une Le ministère souverain rassemblera l’ensemble des
école théologique Acharite et d’une école de frater- institutions nationales religieuses déjà existantes et
nité, le soufisme. Le roi est le gardien de cet islam s’en inspirera pour créer des institutions à caractère
de tolérance, comme le stipule la Constitution du international : le Conseil marocain des oulémas pour
Royaume : « Le Roi, Amir Al Mouminine, veille au respect l’Europe en 2008 et la Fondation Mohammed VI des
de l’Islam. Il est le Garant du libre exercice des cultes ». oulémas africains en 2016. Deux entités qui ont per-
mis au royaume chérifien de s’imposer en tant que
L’INSTITUTIONNALISATION DE L’ISLAM seul expert en la matière. Toutefois, le coup de
En vertu du contrat d’allégeance qui revêt une signi- maître de cette diplomatie religieuse sera la création
fication canonico-religieuse, la gestion du champ en 2014 de l’Institut Mohammed VI pour la forma-
religieux au Maroc est confiée à la plus haute insti- tion des imams morchidines et morchidates (des
tution, celle de la Commanderie des croyants qui a prédicateurs et des prédicatrices) qui œuvre pour la
pour mission de protéger l’identité de l’orthodoxie lutte contre l’extrémisme religieux et l’ignorance.
sunnite de l’Islam et de veiller à la bonne pratique C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le roi Mohammed VI
des religions chrétienne et juive au sein du Royaume, dans son discours du 31 mars dernier, à l’occasion de
dans le but de préserver la paix spirituelle. Afin de la visite du pape François au Maroc, lorsqu’il décla-
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS 77

Les églises catholique et protestante présentes au


Maroc connaissent depuis quelques années une forte
affluence de fidèles, du fait de la migration subsaha-
rienne. L’Institut Al Mowafaqa a été créé dans le but
de répondre aux besoins de formation des deux
églises. Sa mission première : participer à la lutter
contre l’extrémisme religieux et promouvoir le dia-
logue interculturel et œcuménique. La formation de
cadres religieux étant une priorité tant pour les reli-
gieux musulmans, que pour les chrétiens, l’institut
décide de signer des partenariats visant à un institu-
tionnaliser la formation. En effet, le Maroc, terre de
rencontres, carrefour entre l’Europe, l’Afrique et le
monde arabe, a une situation géographique unique.
« C’est un lieu d’expérimentation pour dépasser les anta-
gonismes culturels, politiques et religieux, et promouvoir
une vraie rencontre entre les cultures et les religions »,
comme l’explique le staff dirigeant de l’institut.
Les chrétiens vivent et témoignent de leur foi en
toute liberté au Maroc. Ils sont estimés à quelque
30 000 catholiques et 10 000 protestants, selon le
rapport 2017 de l’International religious freedom.
Les chrétiens marocains sont quant à eux estimés
entre 600 et 2 000, selon la même source. Pour l’ar-
chevêque de Rabat, Mgr Cristobal Lopez , les chré-
tiens « ne sont pas tolérés au Maroc, nous sommes aimés
Le roi Mohammed VI
présidant une veillée et respectés pour notre croyance. On tolère quelque chose
rait : « Pour faire face aux radicalismes, la réponse n’est religieuse en qui nous dérange, pas quelque chose que l’on aime ».
commémoration de Laylat
ni militaire ni budgétaire ; elle a un seul nom : éducation ». Al-Qadr (la nuit du destin), Co-président catholique de l’institut Al Mowafaqa,
le 1er juin 2019 à la il explique que celui-ci « est un institut œcuménique,
mosquée Hassan à Rabat.
CIRCONSCRIRE « LE CHOC DES IGNORANCES » Des versets du Coran ont c’est-à-dire que les fidèles sont des catholiques et
Le Maroc est devenu un leader en matière de forma- été récités par Aya des protestants […] « Ce qui est très intéressant, c’est
Mansour, 12 ans,
tion religieuse après avoir mis en place des partena- originaire de la ville de que ce sont des études faites au Maroc, où l’on insiste sur
riats de formation des leaders religieux musulmans Berrechid, lauréate du le dialogue interreligieux, notamment l’islam, qui est très
Prix national Mohammed
et chrétiens en Afrique subsaharienne via deux éta- VI de mémorisation, de important. Chose que nous ne faisons pas à l’étranger
blissements : l’Institut Mohammed VI de formation déclamation et de […] C’est un institut unique au monde, parce que les
psalmodie du Coran.
des imams, mourchidines et mourchidates, rattaché catholiques et les protestants n’ont pas d’institutions com-
au ministère des Habous et des Affaires islamiques, munes ». Pour l’archevêque de Rabat, capitale du
et l’institut Al Mowafaqa pour la formation des Maroc, « les chrétiens au Maroc veulent construire des
prêtres, et cadres religieux chrétiens, rattaché à l’ar- relations de respect et de confiance avec les autres
chevêché. Le premier a notamment pour mission la croyants, de manière à faciliter une plus grande inter-
formation des imams et des morchidines et morchi- compréhension, la réconciliation et la collaboration dans
dates dans les domaines de l'Imamat et de l'orienta- l’objectif de l’intérêt commun. La coopération interreli-
tion religieuse ; et la formation, la mise à niveau et le gieuse en faveur de la justice et de la paix est un aspect
perfectionnement des préposés religieux étrangers. essentiel de cet engagement ».
Al Mowafaqa, lui, a été créé en 2012 au service des Le pasteur Karen Thomas Smith, co-présidente pro-
églises chrétiennes au Maroc. C’est également un testante de l’église évangélique au Maroc, rappelle
lieu de formation, de réflexion ayant pour but la pro- quant à elle que l’Institut Al Mowafaqa « est issu de la
motion du dialogue interculturel et interreligieux et volonté des églises au Maroc de former des responsables
où les cours sont assurés par des professeurs-visi- religieux capables de mener ses membres vers une vie
teurs d’Afrique et d’Europe. œcuménique ouverte à l’autre, nos frères et sœurs
78 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

d’autres confessions chrétiennes - d'Afrique, d'Europe et


d’ailleurs - ainsi que vers nos voisins musulmans maro-
cains. Cet esprit d’ouverture, de respect, d’appréciation
et de découverte au cœur du projet se ressent dès l'entrée
dans ce lieu de paix : chez les étudiants, les professeurs et
le personnel - et toutes celles et ceux qui animent l’endroit.
L’Institut Al Mowafaqa représente la possibilité et le choix
de vivre ici et maintenant le royaume de paix annoncé
par le Seigneur Jésus Christ ».

LA CLÉ DE VOUTE DU VIVRE ENSEMBLE


Amir Al Mouminine a d’une manière exceptionnelle
compris à l’aube des conflits que la meilleure des
façons pour lutter contre n’importe quelle forme de
radicalisme et d’extrémisme est l’éducation basée
sur l’apprentissage des autres cultures et religions.
C’est dans cet élan que l’Institut Mohammed VI pour
la formation des imams, morchidines et morchidates
et l’Insitut Al Mowafaqa forment tous deux des res-
ponsables religieux prônant le vivre ensemble et la
cohabitation idéologique comme le veut tradition
musulmane en terre d’islam.
Attestant de son ouverture sur les autres religions,
Hassan II avait accueilli Jean Paul II, le 19 août 1985,
et le roi Mohammed VI, Amir Al Mouminine, a
accueilli les 30 et 31 mars l’autorité ultime du Vati- ENTRETIEN AVEC…
can, le Saint-Père, le pape François. L’exception
marocaine réside dans son ouverture la plus totale
MGR. CRISTOBAL LOPEZ,
aux autres religions comme a pu le démontrer le ARCHEVÊQUE DE RABAT
royaume chérifien à la communauté internationale
lors du rassemblement du Saint-Père et d’Amir Al
Mouminine dans l’auditorium de l’Institut Moham-
med VI de formation des imams, des Morchidines EVÊQUE DE LA CATHÉDRALE SAINT-
et des Morchidates pour offrir un concert exception-
nel sous le signe des « religions à l’unisson », rassem-
PIERRE ET ARCHEVÊQUE DE LA
blant le muezzin Smahi Harrati qui a chanté l’appel CAPITALE RABAT DEPUIS MARS 2018,
à la prière, Caroline Casadesus qui a interprété Ave
Maria et Françoise Atlan qui a glorifié la prière juive
MGR. CRISTOBAL LOPEZ ROMERO
Adonaï avec l’accompagnement de l’Orchestre phil- CONNAÎT LA TERRE MAROCAINE
harmonique du Maroc.
Le Royaume du Maroc est de par son histoire un
DEPUIS FORT LONGTEMPS PUISQU’IL A
carrefour des civilisations et des religions ; juifs et ÉTÉ CURÉ À KÉNITRA AU DÉBUT DES
musulmans y cohabitent depuis des millénaires en
partageant un sentiment de nationalisme dépassant
ANNÉES 2000. DANS CET ENTRETIEN, IL
les mœurs. Maître de la cohabitation et du vivre-en- REVIENT NOTAMMENT SUR LA
semble, le royaume chérifien se positionne en tant
que leader dans le domaine, d’autant plus que cette
QUESTION DU VIVRE ENSEMBLE DANS
diplomatie religieuse a fait ses preuves au Mali, en LE ROYAUME ET SUR L’ORIGINALITÉ
Mauritanie et au Sénégal où les leadeurs religieux
prônent un discours de fraternité anti-haine limitant
D’UN INSTITUT RASSEMBLANT AU
ainsi les conflits et les guerres. n MAROC CHRÉTIENS ET PROTESTANTS.
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 20 ANS DE RÈGNE VU D’AILLEURS 79

« ICI, NOUS NE SOMMES


PAS PARFAITS, MAIS NOUS
MARCHONS ENSEMBLE »
LA TRIBUNE AFRIQUE : Quel regard portez-vous sur la pratique apprécier ; cela sera le chemin qui nous conduira a
au Maroc d’un islam ouvert et tolérant et sur la garantie de la la fraternité universelle.
pratique du culte dans le Royaume ? Pour nous, les chrétiens, la visite du Pape a
MGR. CRISTOBAL LOPEZ – Un regard très positif. représenté une confirmation de la direction
L’islam que j’ai connu au Maroc est véritablement entreprise dans notre action pastorale et un
un islam ouvert et tolérant. En ce qui concerne la encouragement pour continuer et aller de l’avant
liberté de culte, elle est totale pour nous les courageusement.
chrétiens ; nous vivons notre foi paisiblement et
notre insertion au sein de la communauté et des L’installation de l’Institut Al Mowafaqa, dont vous êtes
Marocains est sans faille. co-président, serait l’une des expériences les plus originales au
monde en termes de rapprochement entre communautés
Justement, comment vivez-vous au quotidien le dialogue religieuses. Pourquoi ce choix du Maroc justement ?
interreligieux prôné par le Maroc ? Existe-t-il réellement des Oui, c’est vrai. Je pense qu’il s’agit d’une expérience
relations de respect et de confiance entre les communautés de unique dans le monde : un Institut à la fois
croyances différentes ? protestant et catholique, enraciné et inséré dans
C’est dans la vie quotidienne, dans les relations une ambiance musulmane. Cet institut n’a pas
interpersonnelles d’amitié et de voisinage, dans le choisi le Maroc. Non, il est né au Maroc, il est sorti
travail ensemble pour les grandes causes du monde de cette terre marocaine comme réponse à des
que nous, musulmans et chrétiens du Maroc, nous besoins de formation des églises chrétiennes pour
faisons du dialogue interreligieux une réalité. La leurs fidèles. Et il est fruit de l’amitié de deux
connaissance mutuelle, les relations d’amitié, de pasteurs, l’archevêque Vincent et le pasteur Samuel,
confiance et de respect, l’estime de l’autre et la et de bonnes relations entre l’église catholique et
fraternité grandissent de jour en jour. Certes, tout l’église évangélique au Maroc. Aujourd’hui, Al
cela ne touche pas toute la population, mais je crois Mowafaqa nous offre des formations en théologie
que l’attitude positive envers l’autre se répand chrétienne et en islamologie, non comme deux
chaque fois plus, et les préjugés tombent de plus en réalités séparées, mais comme un dialogue
plus. permanent.

Quelle lecture faites-vous de la visite, les 30 et 31 mars dernier, Pensez-vous que le Maroc peut prétendre à offrir « un modèle »
du Saint-Père, le Pape François, au Maroc ? en matière de gestion du religieux ?
Un événement extraordinaire, autant pour l’église, Absolument. C’est un modèle « exportable ». Il est
que pour le pays et pour le monde entier. La fort souhaitable que l’expérience du Maroc soit
présence du Pape François et sa rencontre avec Sa connue et imitée dans d’autres lieux où on vit
Majesté le Roi et son peuple, ainsi qu’avec la encore une ambiance de confrontation, de conflits
communauté chrétienne, a lancé le dialogue et de concurrence. Ici, nous ne sommes pas parfaits,
interreligieux vers une nouvelle étape : il faut déjà mais nous marchons ensemble, nous partageons
laisser en arrière des concepts tels que la notre foi, nous faisons des petits pas vers la
coexistence et la tolérance, qui sont positifs, mais fraternité. Et il est évident que c’est beaucoup plus
très courts, pour commencer à mieux nous ce qui nous unit que ce qui nous sépare. n
connaître et à plus nous respecter et à nous PROPOS RECUEILLIS PAR MOUNIR EL FIGUIGUI
20 ANS
D'ÉMOTION
AVEC LE SPORT
MAROCAIN

2002
Younès El Aynaoui devient le deuxième 2003
Marocain à remporter le Grand prix Jaouad Gharib décroche le titre de champion du monde du marathon
Hassan II après Hicham Arazi. à Paris. Il réitérera son exploit deux ans plus tard à Helsinki.

2004
Le triomphe d’Elguerrouj aux JO
2004
L’équipe nationale de football finaliste de
d’Athènes double médaillé d’or la Coupe d'Afrique des Nations en Tunisie.
LA TRIBUNE AFRIQUE PARTENAIRE

2007 à 2009
Badr Hari, 3 fois champion du monde K1 des poids-lourds −100 kg.

2005
Les lionceaux font fureur à la coupe
du monde en atteignant la demi-finale.

2008 2011
2007
Lahcen Ahansal remporte
À Pékin, Sara El bekri devient la
première nageuse marocaine à
Mohcine Lahssaini remporte le
25e tour du Maroc, 46 ans après
Mohamed Elgourch. Il sera imité
son 10e marathon des sables. prendre part aux jeux olympiques. par Anass Ait Laabdia en 2017.

2013
Le Raja de Casablanca crée l'exploit en atteignant la finale de la coupe du monde des clubs organisée au Maroc.
2015
Mohammed Rabii est sacré 2016
champion du monde de boxe. Mehdi Bennani reporte le grand prix WTCC de Budapest.

2016
Maha Haddioui, première golfeuse marocaine à participer aux JO d’été.
2016
Amine Chentouf, médaillé d’or paralympique au Marathon de Rio.

2016
Abdelkebir Ouadare remporte le Grand prix de saut Hermès. La même année, il sera
le premier cavalier à représenter les couleurs marocaines aux jeux olympiques.
2016
Le Wydad de Casablanca tient son deuxième sacre africain.

2017
L’ASS championne d’Afrique de Basketball.
2018
Le Maroc vice-champion du monde de pétanque au Canada.

2018
2018
20 ans après leur dernière participation, les lions de l'Atlas signent une belle prestation
Yahya Rammah, remporte le titre
de champion du monde de jet-ski
catégorie "Runabout Limited" sur
à la coupe du monde en Russie, et ce malgré leur élimination au premier tour. le Lac Havasu en Arizona (USA).
84 LES CHAMPIONS DU SUD LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

CES CHAMPIONS (15 %), mais aussi la sous-région australe (5 %) –qui


suscitent de plus en plus d’intérêt- restent ciblés.
L’analyse par pays montre qu’au cours des 14 der-

AFRICAINS VENUS
nières années, l’Egypte (20 %) est le premier béné-
ficiaire des fonds injectés par les entreprises maro-
caines en Afrique. Viennent ensuite la Côte
d’Ivoire (19 %) -qui occupe une place de choix dans

DU MAROC
l’agenda d’affaires marocain-, mais aussi le Mali
(13 %), le Burkina Faso (7 %), le Sénégal (7 %) et le
Gabon (6 %). Des choix orientés majoritairement
par « les opportunités qui se présentent, mais également
par l’attractivité du marché, sa facilité d’accès ainsi
En quête de relais de croissance, mais que le contexte politique », résume le DEPF dans son
aussi de marchés porteurs pour étude.

répandre leur expertise, le secteur privé DIVERSIFICATION


marocain s’illustre en Afrique depuis les Alors que les banques ont été les locomotives de
cette offensive africaine, une intense diversifica-
années 2000, sous l’impulsion d’une tion des investissements marocains est en cours à
vision royale déclinée en une stratégie travers le reste du Continent depuis la dernière
décennie. Aujourd’hui, la quasi-totalité des sec-
propre au secteur privé et adaptée en teurs clés de l’économie sont représentés : l’agro-
fonction des domaines d’activités. business, les télécoms, les TIC, l’industrie, l’éner-
gie, la santé, les BTP, … Cette expansion africaine
PAR RISTEL TCHOUNAND est d’ailleurs mise en lumière à travers douze
entreprises marocaines dans le rapport 2019
« Compagnies to inspire Africa » réalisé conjointe-
ment par PricewaterhouseCoopers (PwC), le Lon-
don Stock Exchanges (LES), le groupe CDC et la

S
ur le continent africain, le business maro- Banque africaine de développement (BAD).
cain n’aura jamais été aussi puissant. La « Les entreprises marocaines ont pris conscience que
région est aujourd’hui la première destina- les enjeux économiques et commerciaux de notre pays
tion des investissements du Royaume à se joueront désormais en Afrique. Elles se lancent dans
l’étranger. Entre 2003 et 2017, soit 14 ans, les entre- des secteurs qui ont déjà bien réussi au Maroc, et qui
prises marocaines ont investi 37 milliards de trouvent un nouveau souffle sur le Continent, lequel,
dirhams (plus de 3,8 milliards de dollars), soit 60 % rappelons-le, présente encore d’énormes besoins,
des IDE sortants, selon l’étude « Développement contrairement à l’Europe, désormais saturée en
des entreprises marocaines en Afrique : réalité et matière d’investissement », explique Laaziz Kadiri,
perspectives » publiée en novembre dernier par la Président de la Commission dédiée à la Diploma-
Direction des Etudes et des prévisions financières tie économique, à l’Afrique et à la Coopération
(DEPF), en collaboration avec l’Agence française sud-sud à la Confédération générale des entre-
de développement (AFD). « A travers son secteur prises du Maroc (CGEM).
privé, le Royaume s’est imposé en tant qu’investisseur
incontournable. Le Maroc est le pays africain dont le STRATEGIQUE GESTION DE LA CONCURRENCE
montant des investissements dans le Continent est le Au moment où les états-majors de ces entreprises
plus important », commente dans un entretien avec avancent stratégiquement leurs pions, souvent
La Tribune Afrique Bouchra Bayed, consultante et avec une vision très panafricaine, ils doivent faire
présidente de Maroc Entrepreneurs. face à une concurrence de plus en plus vive. D’au-
En termes de répartition, 55 % de ces investisse- tant plus l’Afrique vit actuellement l’un des
ments sont directement réalisés à l’Ouest du contextes les plus favorables à l’investissement,
Continent, tandis que le Nord (25 %), le Centre avec sa démographique galopante, sa richesse
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 LES CHAMPIONS DU SUD 85

naturelle, sa croissance économique prometteuse,


sa digitalisation ou encore la montée en puissance
-ès POUR UNE
de la classe moyenne, se profilant selon les experts
comme le marché de l’avenir. TRANSFORMATION
Sur le terrain, l’avantage du Maroc est d’être un
pays africain, portant donc le flambeau d’une coo-
INCLUSIVE
pération Sud-Sud. Cependant, les assises histo-
riques de certains groupes d’investisseurs ne sont Le Maroc se positionne aujourd’hui
pas à négliger, notamment les Français –pour leurs comme un leader en matière d’inves-
liens néocoloniaux avec une partie du Continent-, tissement stratégique sur son Conti-
les Chinois ou encore les Libanais installés en nent. En effet, sur les 20 dernières
Afrique de l’Ouest souvent avant les indépen- années, les IDE marocains en Afrique
dances, sans parler de l’offensives allemande et LAAZIZ se sont considérablement multipliés
EL KADIRI,
depuis celle du Royaume-Uni. Mais vu le contexte, PRÉSIDENT DE LA grâce notamment aux investisse-
COMMISSION ments réalisés dans le secteur
DIPLOMATIE
ÉCONOMIQUE, financier, la banque et les assu-
AFRIQUE ET rances en particulier. Il s’agit de gros
SUR LE TERRAIN, SUD-SUD DE LA
CGEM. investissements en termes de capi-
L’AVANTAGE DU taux revêtant également une véri-
table vision stratégique, celle de contribuer au développement
MAROC EST D’ÊTRE UN de notre cher Continent. En effet, les entreprises marocaines
PAYS AFRICAIN, POR- ont pris conscience que les enjeux économiques et commer-
ciaux de notre pays se joueront désormais en Afrique.
TANT DONC LE FLAM- D’autres secteurs ont réussi à convaincre les investisseurs
BEAU D’UNE COOPÉRA- marocains, notamment l’industrie pharmaceutique, le BTP,
l’agroalimentaire, la pêche… Et là aussi, nous aurions pu aller
TION SUD-SUD. vers l’export et chercher à développer notre produit sous
d’autres cieux, mais les entreprises marocaines ont fait le
choix de rester sur leur continent et de construire des parte-
nariats inclusifs et gagnants-gagnants avec les pays africains
frères. A noter qu'elles se lancent dans des secteurs qui ont
chacun a sa façon de gérer. Dans un récent entre- déjà bien réussi au Maroc, et qui trouvent un nouveau souffle
tien avec La Tribune Afrique, Etienne Giros, pré- sur le Continent, lequel, rappelons-le, présente encore
sident du Conseil des investisseurs français en d’énormes besoins, contrairement à l’Europe, désormais
Afrique (CIAN) et président du Conseil européen saturée en matière d’investissement. En effet, l’Afrique
des Affaires pour l’Afrique et la Méditerranée importe encore la majorité de ses produits de consommation.
(EBCAM) affirmait, même vis-à-vis des Marocains : La mise en place d’industries locales par ses forces vives reste
« l'Afrique est tellement grande et tellement promet- donc prioritaire.
teuse qu'il y a de la place pour tout le monde. […] Cependant, plusieurs défis restent à relever. Le doing
Donc, nous ne sommes pas du tout en situation de business en Afrique n’est pas toujours favorable à l’investis-
compétition ». Au Maroc, selon le patronat, la col- sement et les procédures sont parfois compliquées... Toute-
laboration est également le raisonnement qui fois, la présence locale des banques marocaines a considéra-
prime. D’ailleurs, la lecture de l’évolution de l’im- blement contribué à la simplification de l’acte d’investir.
plantation marocaine à travers le Continent rend Par ailleurs, alors que l’Afrique - premier continent en termes
évidente une stratégie clairement définie en de potentiel de développement- attire de plus en plus les
amont. En se positionnant en tant que hub africain investisseurs du monde entier, le facteur concurrence
et porte vers l’Afrique pour les investisseurs occi- émerge. A son niveau, le secteur privé marocain, à travers son
dentaux, le royaume réussit à tirer son épingle du représentant officiel la CGEM, a mis en place une stratégie
jeu. Un jeu dans lequel les banques marocaines qui dont l’objectif est de promouvoir plutôt la collaboration à
couvrent désormais la carte du Continent travers le co-investissement et les joint-ventures.
endossent un rôle clé. n
86 LES CHAMPIONS DU SUD LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

L'ÉPOPÉE DES BANQUES


MAROCAINES SUR LE CONTINENT
isolé, dépourvu de toute transcendance. Or, le
Après l'internationalisation du capital dans choix des marchés africains révèle bien plus qu’un
ses dimensions commerciale et choix individuel des banques qui y participent,
il traduit un comportement collectif, réfléchi et
industrielle dans le sens Sud-Sud, on stratégique. Outre la zone UEMOA, les banques
assiste aujourd’hui à une poussée de marocaines ont déjà posé le pied au Centre et re-
gardent peu à peu à l’Est. L’internationalisation
l'internationalisation du capital financier des banques marocaines en Afrique est principa-
par les banques multinationales du Sud. lement justifiée par cinq facteurs clés à savoir : la
nécessité d’accompagner la nouvelle stratégie de
Une manifestation parmi les plus recentrage économique du Maroc sur le Conti-
spectaculaires de cette nent ; les imperfections du marché national ; le
potentiel des marchés d’implantation caractérisés
internationalisation bancaire Sud-Sud est par un faible taux de bancarisation ; le besoin pour
l’expansion des banques marocaines en ces banques d’accompagner leurs clients groupes
industriels déjà présents en Afrique ; la croissance
Afrique qui s’est accélérée depuis la moitié spectaculaire de l’Afrique, lequel est incontesta-
des années 2000. blement le continent du XXIè siècle.

PAR HAFSA BEKRI IMPACTS

P
hénomène indéniablement nouveau, l’in- L’analyse de l’évolution chiffrée des trois groupes
ternationalisation des banques marocaines bancaires marocains présents dans l’UEMOA
en Afrique s’inscrit pleinement dans la po- à savoir : Attijariwafabank, BMCE BoA qui de-
litique africaine du Maroc prônée par la vient Bank of Africa en septembre prochain et la
plus haute autorité du pays en faveur du co-dé- Banque Centrale Populaire (BCP) sur la période
veloppement et de la solidarité agissante avec les 2006 – 2017, démontre de leur montée en puis-
pays subsahariens. Figurant au Top 5 des établis- sance dans la sous-région. Dans un pays comme
sements bancaires exerçant dans la zone UEMOA le Burkina Faso, les banques marocaines, qui ne
en 2018, les groupes bancaires marocains consti- détenaient que 6% du total des comptes bancaires
tuent le fer de lance de la présence marocaine en 2006, affichent 28.57 % en 2015 et 29.96 % en
sur le Continent. Selon la commission bancaire 2017, selon les données collectées à partir de la
de l’Union Economique et Monétaire Ouest Afri- base de données de la Commission Bancaire des
caine (UEMOA), en 2018 les banques marocaines Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Paral-
ont concentré 27.8 % de la part de marché dans lèlement, le réseau de ces groupes bancaires est
l’UEMOA, et plus de 30 % de la part du résultat passé de 5 % à 25 % en dix ans, tandis que l’effectif
net global dans la région. employé a quant à lui progresser à 22 % du total
des salariés du secteur bancaire burkinabé, contre
LES MOBILES D’UNE INTERNATIONALISATION 5 % en 2006. Au Mali d’après la même source, les
BANCAIRE groupes bancaires marocains ont totalisé 44.42 %
Réduire cette vague d’internationalisation ban- des crédits en 2015, contre 10 % en 2007. Ils ont
caire à son aspect apparent (motivations managé- couvert 48.21 % des implantations (réseaux) en
riales, choix stratégique de croissance et de rende- 2015 contre 8.4% en 2007, et ont détenu 36 % des
ment) laisse supposer qu’il s’agit d’un phénomène comptes de la clientèle en 2015 contre 8.4 % en
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 LES CHAMPIONS DU SUD 87

2007. Ces banques ont employé 29.5 % des effec- CARTOGRAPHIE D’IMPLANTATION DES BANQUES MAROCAINES
tifs en 2015 contre 9.96 % en 2007. EN AFRIQUE DE L’OUEST-2016
D’un point de vue global, la part des banques
marocaines dans les crédits fournis au sein de
l’UEMOA est évaluée à 29.6 % en 2017 contre 11 % MAROC
TUNIS

en 2007. Ce qui démontre la contribution des


banques marocaines au financement des écono-
mies de l’UEMOA.
L’analyse approfondie du lien entre l’évolution des MAURITANIE
MALI

crédits fournis par les banques marocaines et le


NIGER

SÉNÉGAL

cycle d’investissement privé dans les pays de l’UE-


MOA démontre que la politique d'offre de crédits CÔTE
D’IVOIRE
NIGÉRIA ETHIOPIE

des banques marocaines a accompagné l'activité GHANA


TOGO CAMEROUN

économique. Durant les phases d'expansion de GABON


RDC
KENYA

l'activité réelle, les banques marocaines procèdent RWANDA

à une forte distribution des crédits, alors qu'elles TANZANIE

diminuent le volume des crédits accordés en pé-


riodes de récession. ZAMBIE

L’autre facteur impacté par l’internationalisa- Filiales de la BMCE


ÎLE MAURICE

tion des banques marocaines est bien celui des


BOTSWANA

IDE marocains en Afrique. Par crainte de voir Filiales d'ATTIJARI WAFA BANK
leurs clients nouer des liens avec des banques AFRIQUE

concurrentes dans les pays où ils intervenaient, Filiales de la BCP DU SUD

les banques marocaines ont choisi de suivre leurs


clients en Afrique. Ainsi le mouvement d’interna-
tionalisation bancaire s’est-il auto-entretenu dès
cette première phase. Aujourd’hui, les banques EVOLUTION DES CRÉDITS ACCORDÉS PAR
LES BANQUES MAROCAINES DANS L’UEMOA PAR PAYS
marocaines pourraient constituer une force gra-
vitationnelle permettant non seulement d’accom- En millions FCFA
pagner les firmes déjà implantées en Afrique mais 50
également d’y attirer de nouveaux investisseurs
marocains. 45

40
L’AFRIQUE ANGLOPHONE,
CATALYSEUR POUR L’AVENIR ? 35
Alors que l’activité bancaire marocaine sur le
30
Continent est encore un peu concentrée en
Afrique francophone, l’avenir de la croissance 25
des banques marocaines serait-il en Afrique an-
glophone, particulièrement l’Est qui intéresse de 20
plus en plus ? On serait tenté de répondre par l’af- 15
firmative. En effet, après la BMCE Bank Of Afri-
ca déjà présente en Afrique de l’Est, Attijariwafa 10
bank lorgne de nouvelles acquisitions dans cette 5
région. Ce groupe bancaire envisage de lancer de
nouvelles opérations d’acquisition à la fin de l’an- 0
Source: Calculs de l'auteur

2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015
née 2019, en commençant par le Rwanda, le Kenya
et l’Ethiopie. L’expérience en Afrique de l’Ouest Bénin Mali Togo
pourrait être une source d’inspiration pour dupli- Burkina Fasso Niger Crédit banques
marocaine UMOA
quer l’influence financière au Maroc dans la région Cote d'ivoire Sénégal
orientale du Continent. n
88 LES CHAMPIONS DU SUD LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

CES MAJORS PORTÉES PAR


LA DYNAMIQUE COLLECTIVE
Qu’elles opèrent dans les télécoms,
l’agrobusiness, l’outsourcing, 16,7 MILLIARDS
de dirhams de CA Groupe en 2018
l’immobilier ou même l’industrie
pharmaceutique, nombreuses sont
désormais les entreprises
32
destinations en Afrique

marocaines qui se greffent à Royal Air Maroc


l’arborescence construite par les Royal Air Maroc n’a certainement pas attendue l’élan de cette der-
nière décennie pour s’intéresser à l’Afrique, puisque le fleuron aé-
banques pour poser ou approfondir rien marocain débute les dessertes régionales avec Dakar en 1958,
soit un an à peine après la création de la compagnie. Celle-ci revien-
leur ancrage régional. Quelques-unes dra d’ailleurs dans la capitale sénégalaise en 2018 pour célébrer ses
60 ans. En revanche, la dynamique du secteur privé marocain autour
sortent particulièrement du lot, selon du Continent l’a poussé à revoir sa stratégie, avec notamment l’em-
leur secteur d’activité. Tour d’horizon. bauche d’un nombre important de collaborateurs subsahariens.
A présent, les ailes de la RAM se déploient à travers 32 lignes afri-
caines, faisant de la compagnie le transporteur annuel d’environ 1,7
PAR RISTEL TCHOUNAND million de passagers en Afrique –sur 7,3 millions dans le monde, soit
22% du trafic global de la compagnie. La RAM -qui pèse 16,7 milliards
de dirhams de chiffre d’affaires en 2018, contre 15,5 milliards de di-
rhams en 2017- sera, d’ici mi-2020, la première compagnie aérienne
Maroc Telecom africaine membre de l’alliance OneWorld. A Ouagadougou en mars
Progrès constant ! En Afrique, l’empreinte du leader marocain des 2019, le groupe aérien révélait son ambition de porter le trafic ré-
télécoms s’encre sans cesse. Régulièrement étoffé, son parc régio- gional « à hauteur du tiers du trafic global ». En proie récemment à
nal atteint 38,4 millions de clients en 2018, contre 16,5 millions en une rude concurrence sur le marché régional, son PDG Abdelhamid
2013, soit plus du double en six ans. En réalité, l’expansion africaine Addou, par ailleurs président de préside l’Association africaines
de Maroc Telecom débute en 2001, avec l’acquisition de 54 % de Mau- des compagnies aériennes (AFRAA), tente d’obtenir un nouveau
ritel, l’opérateur historique en Mauritanie. Très vite, l’opérateur ma- contrat-programme qui lui permettra d’graisser suffisamment sa
rocain dissémine ses cartes dans neuf pays d’Afrique de l’Ouest et machine et ainsi davantage déployer ses ailes.
du Centre. Cinq ans plus tard, le groupe devient le premier opérateur
télécoms du Continent à offrir la télévision sur ADSL. Sacrée « Meil-
leur opérateur africain » aux « Telecom Review Excellence Awards
2018 » pour la deuxième année consécutive, Maroc Telecom entend
conquérir de nouveaux territoires.
HPS
Le numérique au Maroc s’est considérablement développé au cours
de ces 20 dernières années, favorisant l’émergence d’entreprises

36 MILLIARDS
de dirhams de CA Groupe en 2018
662 MILLIONS
de dirhams de CA Groupe en 2018
dont l’expertise est désormais de renommée mondiale. Parmi les
plus emblématiques, Hyghtech Payment Systems (HPS), leader dans
l'édition des solutions de paiement électronique et promoteur du
grand rendez-vous annuel des acteurs africains de l’industrie des
Présent dans Actif dans paiements et de l’identification : Africa Pay & ID Expo. Fondé en 1995

10 48
par l’homme d’affaires Mohamed Horani, le groupe fait 662 millions
de dirhams de chiffre d’affaires en 2018, en hausse de 18,3% en glis-
sement annuel et déploie ses services dans 48 pays africains sur 90
pays en Afrique pays africains à travers le monde.
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 LES CHAMPIONS DU SUD 89

UNIMER
2,2 MILLIARDS
de dirhams de CA Groupe en 2018
1,4 MILLIARDS
de dirhams de CA Groupe en 2018
Dans le secteur de l’agroalimentaire marocain, Unimer est proba-
blement l’une des success stories les plus inspirantes. Fondée au
début des années 1900 par des investisseurs français pour l’export

1 USINE
Implanté dans de conserves de cornichon, l’homme d’affaires Said Alj reprend l’en-

6
treprise en 1986, la transforme en géant de l’industrie de produits
de la mer. Groupe ultra discret –à l’image de son propriétaire-, mais
en Mauritanie performant avec un chiffre d’affaires annuel qui frôle le milliard de
pays en Afrique dirhams, les produits d’Unimer -surtout ses fameuses conserves de
sardines- trustent les marchés d’une trentaine de pays africains.
Intelcia Sous l’impulsion de la stratégie économique du Maroc en Afrique,
Né deux ans après l’accession au trône du roi du Mohammed VI, ce le groupe s’est également créé une entité dédiée au Continent : Uni-
spécialiste de l’outsourcing a d’abord pris le temps d’asseoir son mer Africa, qui a déjà réalisé une usine de conserve de poisson de 28
business au niveau local. L’option d’une expansion européenne de- millions de dollars en Mauritanie.
venue évidente face aux ambitions de développement d’une entre-
prise dont toute la clientèle y réside, Intelcia ne concrétisera une

3 MILLIARDS
offensive africaine qu’en 2015 au Cameroun où le groupe s’impose
désormais comme un acteur de l’emploi durable après y avoir ré-
cemment embauché son millième collaborateur. Fort à ce jour de
27 sites en Europe et en Afrique dont 12 au Maroc et six dans cinq de dirhams de CA Groupe en 2018
pays subsahariens (dont le Sénégal, la Côte d’Ivoire, Madagascar et
Maurice), ce spécialiste marocain de l’outsourcing est présent et Investis
se prépare discrètement pour attaquer d’autres marchés. En 2018,
son chiffre d’affaires s’est établi à 200 millions d’euros grâce notam-
ment à la performance des filiales africaines. Il ambitionne déjà de
16
pays africains
franchir la barre des 300 millions d’euros en 2020.
Addoha
D’ici 2022, Anas Sefrioui le patron d’Addoha vise une contribution
de l’Afrique à hauteur de 30% dans le chiffre d’affaires du groupe.
COOPER PHARMA
2 USINES
hors Maroc : en Côte
La santé est un secteur majeur de l’émergence des entre-
prises marocaines en Afrique. En tête de ces champions
Compté parmi les premières fortunes du pays, l’homme d’affaires
multiplie les décentes sur le terrain comme à Abidjan en avril der-
nier où il lançait sa marque d’immobilier haut de gamme Prestigia.
d’Ivoire et au Rwanda nationaux qui domptent l’industrie pharmaceutique à Lorsque les analystes évoquent le cas d’entreprises qui regardent
travers le Continent : Cooper Pharma. Après avoir livré ailleurs sur le Continent en raison d’un essoufflement du marché
à l’export à travers le Continent pendant de longues an- marocain -où le secteur de l’immobilier représente 6,3% du PIB-,
nées, ce groupe fondé en 1933 a récemment fait le grand Addoha en est bien l’exemple. Depuis 2011, ce major tire parti de
saut en implantant deux usines hors-Maroc, en Côte l’éveil des pouvoirs publics du Sud -qui multiplient les projets de
d’Ivoire et au Rwanda. Les deux projets, nés de la tournée logements sociaux-, mais aussi la montée d’une classe moyenne
royale de 2016 en Afrique de l’Est, devraient être opéra- émancipée. Ce contexte a été notamment propice au lancement de
tionnels courant 2019. Ciments de l’Afrique, la filiale du groupe qui détient des usines dans
plusieurs pays dont le Mali. A ce jour, Addoha a déjà investi plus de 3
milliards de dollars dans 16 pays africains.

Groupe OCP
56 MILLIARDS
de dirhams de CA Groupe en 2018
A l’Est de l’Ethiopie, un complexe industriel d’engrais d’un coût de 3,7 milliards de dollars sort de terre pour une mise en
service totale d’ici 2025. Au Nigeria, un accord est en passe d’être conclu cette année pour la construction d’une usine
d’ammoniaque d’une capacité d’un million de tonnes. Au Ghana, un projet d’usine de phosphate pourrait prendre forme
d’ici 2020. Tout cela sachant que courant 2019, ces pays ainsi que la Côte d’Ivoire et le Sénégal abriteront la mise en ex-

200 MILLIARDS
de dirhams de programmes d’in-
ploitation d’un total de 10 usines de mélange de phosphates. Autant de pas stratégiques que pose le géant mondial des
phosphates pour davantage asseoir son leadership sur le marché africain des fertilisants qu’il domine déjà à hauteur
de 65%, selon Reuters. Une offensive qui s’est automatiquement accélérée avec la création en 2016 d’OCP Africa, l’entité
vestissements sur 2008-2027 dédiée au pilotage du développement régional du groupe et la promotion de l’agriculture sur le Continent, ce secteur qui
s’érige désormais comme l’un des plus stratégiques pour l’avenir, dans un contexte de croissance démographique galo-
pante du Continent, couplée à la réalité des changements climatiques. Avec une trentaine de filiales et joint-ventures,
près de 21 000 employés, 55,9 milliards de dirhams de chiffre d’affaires, plus de 160 clients à travers les cinq continents,
près de 200 milliards de dirhams de programmes d’investissements sur 2008-2027, c’est certainement avec fierté que
l’OCP célèbrera son siècle d’existence l’an prochain.
90 LES CHAMPIONS DU SUD LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

Dixit
« Selon un rapport du cabinet Boston Consulting Group publié en avril 2018, 10 des 75 entreprises
africaines qui ouvrent la voie à une Afrique plus intégrée sont marocaines. Le Maroc est classé
deuxième et HPS fait partie de ces champions africains qui constituent les véritables locomotives
de l’intégration africaine.
La performance de ces entreprises marocaines a été possible grâce à l’impulsion royale qui les
a incitées à croire au potentiel du continent africain et à répondre à l’appel royal d’Abidjan en
février 2014 que “l’Afrique doit faire confiance à l’Afrique”.
Mohamed Horani En réponse à l’appel royal, nous nous sommes positionnés en Afrique en tant qu’entreprise
PDG, High-Tech africaine d’origine marocaine qui connait les spécificités africaines et qui donne et partage sa
Payement Systems technologie sans arrogance et de manière solidaire avec ses clients africains.
(HPS)
Nous rappelons que nos solutions de paiement électronique sont utilisées dans 40 pays en
Afrique sur les 90 pays qui nous ont fait confiance dans les 5 continents. Nous sommes présents
directement ou à travers des partenaires dans plusieurs pays en Afrique, afin d’assurer une
proximité géographique, linguistique et culturelle avec nos clients ».

« La dynamique instaurée par Sa Majesté le Roi envers l’Afrique subsaharienne est un catalyseur
certain des investissements marocains dans le Continent à plusieurs titres. La vision royale
a permis de positionner l’Afrique subsaharienne comme une terre pleine de promesses et
d’opportunités créatrices de valeur à la fois pour les investisseurs marocains et les pays d’accueil.
Elle a également permis de donner un élan, de casser la barrière psychologique que pouvaient
avoir les entreprises et de transformer la perception de la complexité en opportunités.
L’implantation de plusieurs entreprises marocaines, suite à cette impulsion, a été aussi pour nous
Karim Bernoussi un facilitateur. Elle a permis de créer un écosystème sur lequel nous nous appuyons ne serait-
PDG, GROUPE INTELCIA ce qu’en termes de retour d’expérience. Et je parlerai aussi, bien entendu, des banques qui sont
aujourd’hui largement présentes en Afrique subsaharienne et qui nous accompagnent dans nos
différentes implantations.
Nous avons également constaté un accueil systématiquement favorable et un soutien important
dans les pays où nous nous implantons, et qui apprécient l’approche continentale du Maroc.
Cela nous encourage à développer notre présence. Nous avons ouvert un premier site Intelcia au
Cameroun en 2016 avec une quarantaine de collaborateurs, nous en comptons aujourd’hui plus
de 1 000. Nous sommes depuis également présents au Sénégal, en Côte d’Ivoire, à Maurice et à
Madagascar avec au global plus de 4 000 collaborateurs. Et nous prévoyons d’autres ouvertures
dès cette année.
Ceci étant dit, en tant qu’entrepreneurs nous avons aussi une responsabilité vis-à-vis de cette
politique royale. Les entreprises qui s’implantent en Afrique subsaharienne doivent être
exemplaires dans leur démarche d’implantation et irréprochables dans leurs pratiques afin d’être
à la hauteur de cette vision. Finalement, nous voyons le développement d’Intelcia sur le Continent
comme une manière de véhiculer une image positive de notre pays. Et nous en sommes fiers  ».
92 THINK TANK LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

comparaison avec ses homologues d’Afrique du Nord


est éloquente ; l’arrivée d’un acteur international, en
l’occurrence Orange qui a succédé à Telefonica, montre
l’importance du Maroc comme marché ; Inwi, le troi-
sième opérateur, est reconnu pour son innovation à
forte connotation locale ; l’autorité de régulation du
secteur (ANRT) fait partie des plus réputées du Conti-
nent et est souvent citée en référence ; enfin, l’INPT,
l’école des télécoms, est aussi une des plus reconnues
d’Afrique et certains pays l’ont déjà prise en modèle.
PAR JEAN-MICHEL HUET, ASSOCIÉ BEARINGPOINT L’Internet mobile joue actuellement le même rôle que
le fixe entre 1970 et 1990 dans les pays de l’OCDE : créa-
tion et expansion des marchés, amélioration de la dif-
fusion de l’information, etc. Cette activité est par ail-
leurs très rentable pour les différents acteurs de la
chaîne de valeur. Le secteur est aussi un créateur d’em-

DIGITAL, LA BELLE
plois, notamment via le réseau de distribution indirect.
Au-delà de la création d’emplois, la téléphonie mobile

HISTOIRE DES VINGT


permet l’éclosion d’un véritable esprit entrepreneurial.
Dans le B2B, des emplois se créent aussi au Maroc par
milliers grâce aux télécoms. L’exemple le plus connu est

DERNIÈRES ANNÉES… ET la possibilité offerte par le développement d’infrastruc-


tures de télécommunication, de développement des

DES VINGT PROCHAINES délocalisations pour des prestations tels les centres
d’appel : Webhelp est ainsi devenu le premier employeur
privé du Maroc au cours des deux décennies.
Finalement, le Maroc a en vingt ans connu un double

L
saut quantique via la téléphonie : dans les années 2000
e cas du Maroc dans le domaine du digital est par l’explosion de la téléphonie mobile 2G (GSM) qui
un des bels exemples de l’Afrique et l’indica- a donné accès au téléphone à la majorité de la popula-
teur dans lequel le Royaume affiche une nette tion ; puis depuis les années 2010, avec la 3G (UMTS)
progression ces vingt dernières années est et plus récemment la 4G (LTE), l’accès à Internet, et
certainement celui de l’accès : la pénétration réelle de aux réseaux sociaux (Facebook, Whatsapp, YouTube,
l’usage du téléphone est passée en vingt ans de 5 % à etc.). Si les données micro-économiques montrent ainsi
plus de 80 %. Ce que le Maroc à fait en 15 ans, la France que la téléphonie mobile a contribué à la croissance des
l’a fait en 50 ans ! Il faudrait toutefois faire attention aux dernières années, la dynamique va bien au-delà. Les
chiffres puisque ceux du Maroc sont souvent présentés effets indirects favorisent aussi le développement éco-
à des taux à 130%, mais c’est aussi un pays où le phéno- nomique et social. Ils illustrent le rôle et la responsabi-
mène du « multi-SIM » est significatif. lité sociale des opérateurs qui ne se contentent pas de
développer leur chiffre d’affaires. Les TIC se substi-
QUEL BILAN POUR QUELLES PERFORMANCES ? tuent, en tant que technologies polyvalentes, à certaines
En vingt ans l’usage de la téléphonie a transformé la vie « utilities » défaillantes. C’est le cas des infrastructures
des Marocains. Les prix ont beaucoup baissé - il y a 15 de transports. La téléphonie mobile permet de réaliser
ans le Maroc était le deuxième pays le plus cher au d’importantes économies en termes de coût de dépla-
monde en termes de terminaison d’appel internationale cement.
derrière les Comores. Les voyants du secteur sont Le Royaume est au début de son histoire dans le digital
aujourd’hui au vert, ce qui garantit des investissements et les changements les plus importants sont à venir. Par
futurs (5G, fibre, etc.). D’ailleurs, la force de quelques exemple, même si l’e-commerce au Maroc est depuis
acteurs clés du secteur illustre ce succès : 2015 très en vue dans la presse, il reste cependant lar-
Maroc Télécom est le seul opérateur historique africain gement minoritaire vis-à-vis du retail avec des parts de
qui a pu devenir un grand groupe sur le Continent - la marché n’excédant pas 3 % en 2017. En 2025, il pourrait
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 THINK TANK 93

représenter 10 % des ventes au détail. Selon le rapport peut donc réaliser une prouesse dans les prochaines
établi par Kaymu / Jumia Market, site de vente et d’achat années et devenir une référence dans ce domaine si
en ligne leader, les consommateurs sur les plateformes l’essai est transformé. Si cela fonctionne, ce ne serait
d’e-commerce sont plutôt jeunes et urbains. Les qu’une première étape. Le lancement à compter de 2019
consommateurs du site sont en effet des jeunes (plus des services de paiement mobile va constituer un des
de 70 % des acheteurs ont entre 18 et 34 ans au Maroc), challenges clés du Royaume dans les prochaines années
des hommes (58 %) et des urbains (67 % sont effectuées avec l’enjeu de son adoption par les Marocains en géné-
à Casablanca, Rabat et Marrakech). ral et par les marchands en particulier.
L’e-commerce au Maroc est encore « émergent » et qua- Pour y arriver, la pédagogie et l’éducation des futurs
siment aucun site n’est rentable, car tous les canaux de clients et des marchands constituent les premiers fac-
distribution « formels » ont du mal face au poids de l’in- teurs clés pour la croissance des services financiers sur
formel et à ses prix attractifs, souvent non assujettis mobile. La faible connaissance des mécanismes des
aux taxes. Les plateformes ont donc fréquemment banques et une appréhension du digital sont en effet les
recours à des capitaux étrangers pour soutenir les inves- freins majeurs à une première utilisation du service. Ces
tissements marketing : Jumia, Hmizate, Avito, etc. Dif- freins ne peuvent être levés que par cet effort de com-
férents types d’acteurs influencent ou contribuent dans munication et de pédagogie. Cet effort est également le
l’environnement du e-commerce : les retailers clas- principal levier pour accroître le taux d’utilisation réelle
siques, les marques, les opérateurs télécoms et les pure
players de l’e-commerce, pour citer les principaux. Cha-
cun de ces acteurs réussit à créer de la valeur via
l’e-commerce. Ce marché est donc en pleine structura-
La décision politique
tion et constituera aussi un des enjeux de la décennie
des années 2020 au Maroc.
de lancer une
LES CHALLENGES DES VINGT PROCHAINES ANNÉES
plateforme nationale
Déclarée par l’ONU cause prioritaire, l’inclusion finan-
cière constitue un enjeu majeur du développement
de paiement mobile
économique mondial. Il s’agit de rendre accessible
auprès des ménages et des entreprises une gamme éten-
interopérable a été une
due de services financiers, principalement de banque et
d’assurance : tenue de comptes, moyens de paiement,
décision innovante.
produits d’épargne, crédits, assurances, prévoyance, etc.
Le Maroc ne s’est lancé dans ce domaine qu’en 2019.
Fortement bancarisé, le pays demeure cependant un de
ceux qui utilisent le plus l’argent liquide avec tous les (c’est-à-dire le taux d’utilisateurs actifs), enjeu consi-
inconvénients (coût de 0,2% du PIB au Maroc, aide à la dérable.
corruption, etc.) et plusieurs expériences de paiement Un accès plus large au crédit et à l’assurance va consti-
mobile ont été infructueuses depuis 2010 au Maroc. Le tuer une seconde étape clé. Celui-ci aura un impact fort
Maroc est arrivé dans une seconde vague avec une déci- sur le développement économique du Maroc, en favo-
sion de plateforme nationale annoncée lors de la Cop risant aussi bien la consommation et la sécurité des
22 en décembre 2016. ménages (inclusion financière) que le développement
La décision politique de lancer une plateforme nationale du bas de marché entreprise. Le crédit favorisant l’in-
de paiement mobile interopérable a été une décision vestissement dans des biens essentiels (habitation,
innovante. En effet, si une logique de plateforme de véhicules,…) et l’assurance permettant une meilleure
marché interopérable n’est pas une première au monde, gestion des imprévus - notamment la santé - sont en
l’innovation réside dans le fait de prendre l’interopéra- effet deux leviers majeurs pour le développement de la
bilité comme base pour structurer le marché. Défi ambi- classe moyenne marocaine. Le développement des fonc-
tieux, car nécessitant de mettre tous les acteurs (opé- tionnalités de paiement marchand et de crédit repré-
rateurs télécoms, banques, acteurs publics) autour de sente également un formidable levier soutenant l’essor
la table et de créer une appétence à l’usage autant pour des TPE et PME. Le tournant pris en 2019 avec cette
les consommateurs que pour les marchands. Le Maroc plateforme nationale de paiement mobile peut donc
94 THINK TANK LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

être le catalyseur des vingt prochaines années en termes approche orientée citoyen (les entreprises, les associa-
de transformation du Royaume. tions) et non focalisée sur ses propres procédures. Bref,
Autre domaine de transformation, l’e-gouvernement. un changement total de paradigme pour l’administra-
80 % du travail d’une administration relève de l’échange tion marocaine.
d’informations (entre départements, avec les citoyens, Mais les grandes entreprises sont aussi concernées.
les entreprises, les associations, etc.). Autant dire que Prenons l’exemple de deux des plus grands acteurs
le digital, et donc la capacité à numériser et diffuser marocains. L’OCP reste principalement un producteur
ainsi une information, est un enjeu essentiel. Là encore, et détenteur d’actifs couvrant l’intégralité de la chaîne
c’est un saut potentiellement fabuleux qui apparait pour de valeur du phosphate. Les opportunités de « platefor-
les Etats africains, car cela permet de franchir des misation » de son métier sont pourtant multiples, du
étapes. Le passage de registres d’état civil en état de fait de l’écosystème d’acteurs intrinsèque à son cœur
décomposition à des registres numérisés et biomé- de métier dans le domaine agricole, mais restent encore
triques l’illustre bien. Le domaine de la santé est aussi peu exploitées. Le géant marocain a cependant placé la
transformation digitale au cœur de sa stratégie de déve-

Le Royaume est au loppement, en mettant en place une digital factory qui


constitue le bras armé de sa digitalisation interne. Sa

début de son histoire joint-venture avec IBM confirme ses ambitions digitales
qui consistent également à fournir un ensemble de ser-

dans le digital et les vices numériques aux entreprises marocaines et afri-


caines de tous secteurs d’activité. Analytique, informa-

changements les plus tique cognitive, intelligence artificielle et objets


connectés (IoT) sont autant de technologies de pointe

importants sont à qui seront mises en œuvre par la société, mais


aujourd’hui encore abordées à travers le prisme de l’ef-

venir. ficacité opérationnelle.L’autre exemple est celui d’Atti-


jariwafa bank. Aujourd’hui, si la banque continue de voir
ses résultats progresser, elle fait face au bouleversement
du marché bancaire africain, notamment depuis la révo-
lution numérique et l’explosion du paiement mobile.
un des axes ou le digital influe. Pour comprendre cet En effet, ses marchés bancaires traditionnels sont atta-
autre « saut », il faudrait intégrer les spécificités liées à qués depuis de nombreuses années par des pure players
ces actions relevant pour une grande partie du domaine et des opérateurs télécoms proposant des offres de
public. Par e-gouvernement, on entend généralement mobile money très convoitées sur les marchés d’Afrique
la digitalisation des processus, le transfert d’informa- subsaharienne. Pour y faire face, la Banque a lancé en
tions et l’échange de données de l’ensemble des services 2016 la stratégie « Energie 2020 » ayant notamment pour
de l’administration, tant au niveau national que local. objectif de digitaliser ses processus et ses services à
Cinq chantiers paraissent stratégiques dans ce domaine : faible valeur ajoutée. Des initiatives récentes laissent
l’identité numérique (le développement de l’état civil penser que la banque s’orienterait vers un modèle
biométrique, par exemple) ; la numérisation des services d’opérateur de plateforme, avec notamment le lance-
financiers et budgétaires avec le cas échéant l’usage de ment du réseau « Attijari Business Link » destiné à
la blockchain ; la m-santé ; l’e-éducation ; et l’ensemble mettre en relation des porteurs de projets, des investis-
des services aux citoyens (l'e-gouvernement stricto seurs et des partenaires potentiels.
sensu). Le Maroc avec notamment l’Agence du déve- Le Maroc est donc au début de son histoire par rapport
loppement digital s’inscrit dans cette logique de vouloir à la transformation digitale. Les vingt années écoulées
utiliser le digital dans la modernisation de l’administra- ont permis de poser les bases en termes technologiques,
tion. Ce sera pour le Royaume un autre défi des vingt d’infrastructures et d’encadrement. Les vingt années à
prochaines années touchant à la fois à son administra- venir seront celles d’une transformation en profondeur
tion centrale, mais aussi aux secteurs clés. Le défi est pour l’ensemble des acteurs. C’est aussi un enjeu pour
loin d’être gagné, car il n’est pas technologique, mais le Royaume de montrer certains domaines où il peut
bien dans la transformation des méthodes de travail être leader, car cela contribue aussi à la logique de hub
incitant à moins de rigidité, plus d’agilité et une africain. n
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 THINK TANK 95

a été accompagné par la mise en place de stabilisateurs


(ligne de précaution et de liquidité auprès du FMI et
niveau confortable des réserves de devises étrangères)
et d’une maîtrise par le pays de ses équilibres budgétaires
et de son taux d’inflation, tout en menant les réformes
nécessaires pour stabiliser son secteur bancaire.
Contrairement à des craintes qui ont pu être exprimées
initialement, la flexibilisation dans une bande très étroite
du dirham n’a pas conduit à des perturbations notables
sur le taux de change. Même si les entreprises locales ont
PAR CHRISTOPHER DEMBIK,RESPONSABLE GROUPE DE mis un certain temps à s’adapter à cette nouvelle donne,
LA RECHERCHE MACROÉCONOMIQUE CHEZ SAXO BANK l’opération a été une réussite. Comme le contrôle reste
étroit, et les réserves de change importantes, on peut
s’attendre à une bonne résilience du dirham, même en
cas de scénario de récession internationale. Enfin, le
Maroc a été suffisamment prudent en limitant son expo-
sition aux marchés financiers internationaux, ce qui le

LE MAROC, UN MODÈLE
protège de tout regain soudain de la volatilité sur les flux
financiers et lui garantit un flux de capitaux stabilisés
avec le reste du monde. Ce modèle d’ouverture contrôlé

D’OUVERTURE MAÎTRISÉE pourrait servir de modèle à d’autres pays du Continent


souhaitant suivre le même chemin.

S
LA NÉCESSAIRE RELANCE
ur les quatre dernières années, le Maroc a Ce succès ne permet pas pour autant au Maroc d’être
connu une croissance en dent de scie, mais qui complètement immunisé contre le net ralentissement de
restait en général supérieure à celles des autres la croissance observé ces derniers trimestres au niveau
pays du Maghreb. À l’avenir, le Maroc devrait international et qui intervient alors que des difficultés
être le pays dont la croissance reste la plus soutenue dans domestiques apparaissent pour le secteur agricole du fait
la région, talonné de près par la Tunisie pendant que de l’insuffisance de pluies. Les entreprises sont en pre-
l’Algérie devrait s’enfoncer dans une croissance anémique mière ligne, y compris dans des secteurs qui résistaient
-faute de réformes- qui pourrait atteindre 0,4 % à l'hori- plutôt bien jusque-là au contexte international, comme
zon 2014 selon le FMI. A titre de comparaison, le Maroc l’automobile. Les délais de paiement continuent de s’ac-
pourrait connaître une accélération de croissance en croître, après avoir déjà atteint 84 jours en 2018, et les
direction de 4,5 % et la Tunisie à hauteur de 4,3 % d’ici chefs d’entreprises pointent le risque de la baisse des
cinq ans. Tout cela, sous réserve que les conditions éco- niveaux de consommation sur leur chiffre d’affaires.
nomiques internationales ne se dégradent pas davantage Il y a bien eu des impulsions d’ordre budgétaire ces der-
d’ici là. nières années, mais elles ont eu un impact économique
En effet, l’hypothèse communément admise dans les trop faible et n’ont pas réellement amélioré le climat des
milieux économiques d’une accélération de la croissance affaires. Surtout, elles ont été éclipsées par des mesures
mondiale à partir de l’an prochain est largement tribu- impopulaires consistant en l’augmentation de la fiscalité
taire de l’évolution de l’activité en Chine et aux Etats- sur les plus-values immobilières ou la réglementation du
Unis et des relations commerciales entre ces deux pays. transport routier.
La question qui se pose pour le Maroc est de savoir si le Le gouvernement aurait tort d’attendre de nouveaux
pays est en mesure de faire face à un retournement de signaux rouges pour se lancer dans un programme de
cycle, autrement dit à une nouvelle récession mondiale. relance plus ambitieux qui inclut de nouveaux méca-
nismes pour mieux canaliser le niveau très élevé de
UN PROCESSUS D’OUVERTURE RÉUSSI l’épargne des ménages vers les PME afin d’accroître leur
La réponse est sans ambiguïté : c’est oui ! Le pays est en capacité d’investissement. Une inaction dans ce domaine
meilleure position qu’il y a dix ans pour affronter des se traduirait par des points de croissance en moins si la
vents contraires. Le processus d’ouverture commerciale conjoncture internationale se dégradait encore plus. n
96 THINK TANK LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

cieux des ressources intellectuelles qui a fait du Maroc un


point incandescent du rayonnement intellectuel qui n’est
plus l’apanage des seules universités. Ainsi, des think
tanks de grandes renommées, animés par des spécialistes
pétris d’expérience, organisent régulièrement des ren-
contres débouchant sur des analyses de fond et des pro-
positions servant de référence à nombre de cercles de
décision, non seulement au Maroc, mais aussi en Afrique
et dans le reste du monde.
Dans le registre éducation, l’engagement du Maroc s’est
PAR KABINE KOMARA, approfondi et amplifié pour recevoir plus d’étudiants afri-
ANCIEN PREMIER MINISTRE DE LA GUINÉE cains. On ne compte actuellement pas moins de 11 000
étudiants provenant d’une cinquantaine de pays africains,
dont 85% sont boursiers du royaume. Il n’est pas rare ainsi
de rencontrer aujourd’hui dans plusieurs sphères de déci-
sion en Afrique, ces anciens étudiants qui, d’une manière
ou d’une autre, sont reconnaissants au Maroc qui leur a

VINGT ANS DE PARTAGE


permis de franchir une étape de l’ascenseur social dans
leur pays. Dans leurs déplacements, ceux-ci comme plu-
sieurs milliers d’autres Africains trouvent du bonheur à

DU « SOFT POWER » utiliser la compagnie aérienne Royal Air Maroc, dont le


réseau permet aujourd’hui de désenclaver opportunément

MAROCAIN AVEC près d’une trentaine de pays africains.


Sur le plan des médias, le soutien marocain à la création

L’AFRIQUE de la Fédération atlantique des agences de presse afri-


caines en 2014 a permis à cette institution de jouer un
véritable rôle libérateur face à l’hégémonie des médias

C
étrangers.
ette année, le Maroc célèbre les vingt ans de D’un point de vue religieux, le Maroc s’est distingué
l’avènement au trône du roi Mohammed VI. contre l’islamisme radical en contribuant à la formation
Son accession au pouvoir a suscité plein d’imams étrangers chargés de prêcher un islam tolérant
d’espoirs aussi bien dans son pays qu’à à leur retour dans leurs pays. Ainsi, la création en 2015 de
l’étranger. En Afrique particulièrement, ce monarque, âgé la Fondation Mohammed VI des oulémas africains est
alors de 36 ans, a été considéré comme porteur de moder- révélatrice de la grande attraction dont ce pays est l’objet
nité et de rénovation des relations avec le Continent. sur le plan de sa pratique religieuse.
En observateur neutre et qui a eu le privilège, en tant que Que dire du sujet économique ? Point n’est besoin dans
Premier ministre de mon pays la Guinée, d’être invité à ce cadre de mentionner le déploiement sans précèdent
la célébration des dix ans de son règne, j’ai trouvé que Sa des investissements d’origine marocaine en Afrique dans
Majesté a su utiliser durant toute cette période tous les les finances, les télécoms, la promotion immobilière et le
atouts du « soft power » pour ancrer son pays dans le cœur BTP au cours des deux dernières décennies. D’ailleurs, au
de dizaines de millions d’Africains. cours de ses multiples déplacements en Afrique subsaha-
Le théoricien américain des relations internationales, rienne, accompagné par de nombreux hommes d’affaires
Joseph Nyea, indiquait qu’un pays peut avoir recours à de son pays, Sa Majesté a toujours eu l’opportunité de
trois types de ressources pour exercer sa puissance : les signer de multiples contrats de coopération avec les pays
ressources militaires, économiques et intangibles. Je dirais visités.
que depuis l’arrivée de Mohammed VI au pouvoir, le Cette volonté d’intégration a trouvé son couronnement
Maroc a fait un usage plus judicieux des ressources intan- dans le retour du Royaume dans la famille continentale,
gibles et économiques pour se hisser au rang d’un pays représentée par l’Union africaine. Un retour qui a permis
qui suscite l’envie d’être pris en exemple et dont beaucoup au Royaume de jouer un rôle important dans le lancement
de valeurs sont admirées. de la Zone de libre-échange continentale acté le 21 mars
Parmi ses différents atouts, citons d’abord l’usage judi- 2018 à Kigali et qui suscite tant d’espoirs. n
LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019 THINK TANK 97

de l’ensemble) qui siègent actuellement à l’Hémicycle,


le Maroc se classe 92e en matière de représentativité
des femmes dans les parlements mondiaux. En 2007 et
pour la première fois, sept femmes ont été nommées
membres du gouvernement, dont 5 femmes ministres
à plein titre. Depuis hélas, une seule femme ministre
siège au gouvernement avec aujourd’hui des secrétaires
d’Etat qui peinent à se voir déléguer les pouvoirs cor-
respondant pourtant à leurs prérogatives.
Autre domaine stratégique, celui de l’accès des filles à
PAR NOUZHA SKALLI,ANCIENNE MINISTRE l’éducation qui a également connu de grands progrès
grâce à des chantiers comme Tayssir, l’initiative royale
ET PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION AWAL « 1 million de cartables » ou encore la construction des
Dar Attaliba (résidences publiques pour étudiantes,
NDLR). Cependant, les chiffres montrent que les iné-
galités au détriment des filles persistent aussi bien dans
le préscolaire que dans les différents niveaux de l’ensei-
gnement. Malgré cela, le pourcentage des lauréats des

JUSTICE SOCIALE établissements universitaires au Maroc montre que les


filles arrivent à réaliser la parité et à conquérir même

ET ÉGALITÉ DE GENRE des pourcentages de succès bien supérieurs à ceux des


garçons.

AU MAROC Au niveau de l’emploi, le taux d’activité des femmes est


hélas en régression, à contre-courant de la tendance
mondiale, avec un taux ne dépassant pas les 25, 8 % (avec

L
seulement 17,8 % pour les femmes urbaines), alors que
a justice sociale fait référence à l’égalité des ce taux était de 30 % en 1999. Elles sont plus vulnérables
droits, aussi bien de genre qu’au niveau ter- au chômage qui frappe plus particulièrement les femmes
ritorial, à la solidarité et bien sûr, à la distri- urbaines, diplômées de l’enseignement supérieur. Elles
bution juste et équitable des richesses au sein gagnent des salaires inférieurs de 17 % à ceux des
de la société. La question de la justice sociale a été cen- hommes. Dans un rapport datant d’octobre 2017,
trale dans la vision, les préoccupations et les discours l’OCDE, considère que les discriminations faites aux
de SM le roi Mohammed VI, depuis son intronisation femmes au travail coûteraient à la région MENA 575
et se trouve placée au cœur du nouveau modèle de déve- milliards de dollars par an. La faiblesse en matière de
loppement que le souverain a appelé de ses vœux. participation économique des femmes constitue un
Les toutes premières années du règne de SM le Roi ont frein à la prospérité de tous. Selon le FMI, le manque à
été marquées par des réformes structurantes en faveur gagner économique de ces discriminations faites aux
des droits des femmes et de l’égalité et en particulier femmes peut atteindre jusqu’à 27 % du PIB.
celle du Code de la famille annoncée dans le discours
royal historique du 10 octobre 2003 devant le Parlement. UNE AUTORITÉ POUR LA PARITÉ
N’eut été le leadership, ainsi que la volonté de fer et ET LA LUTTE CONTRE LA DISCRIMINATION
l’intelligence manifestées par le souverain dans la Le Maroc a réalisé de grands progrès en matière de cou-
conduite de ce chantier de changement très sensible, et verture médicale de base, lancée en 2000, à travers l’As-
malgré les luttes incessantes du mouvement pour les surance maladie obligatoire et plus tard le Régime d’as-
droits des femmes, cette réforme, qualifiée de révolution sistance médicale (RAMED). Cela s’est
tranquille, n’aurait pas vu le jour, tant les forces du incontestablement traduit par une amélioration de la
conservatisme étaient mobilisées et déterminées à lui santé des femmes et une baisse de la mortalité mater-
faire barrage. nelle et infantile. Le grand chantier royal de l’Initiative
L’une des avancées majeures en faveur des droits des nationale pour le développement humain (INDH) a
femmes et de l’égalité est celle de l’accès aux postes de permis également de combattre la pauvreté et de réduire
responsabilité et de décision : avec 81 députées (20,5 % les inégalités territoriales au profit des communes les
98 THINK TANK LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

plus pauvres.
Les ressources humaines constituées par les femmes,
mais aussi par les jeunes offrent des opportunités
extraordinaires pour le développement du pays et la
réalisation de la justice sociale. Mais nous avons besoin
pour cela d’une forte volonté politique et de politiques
audacieuses pour une refonte profonde du système édu-
catif en tenant compte des immenses possibilités
offertes par les nouvelles technologies et l’Internet et
d’une mise en œuvre effective des principes d’égalité et
de parité.
Aujourd’hui, le besoin se fait sentir d’une nouvelle
refonte du Code de la famille pour le mettre en adéqua-
tion avec les engagements en terme d’égalité hommes/
femmes de la Constitution de 2011 et ce dans tous les
domaines, y compris dans le droit à la tutelle sur les
enfants et en matière d’héritage. Nous avons besoin
d’affronter avec détermination et fermeté un ensemble
de lois et pratiques discriminatoires, comme le mariage
précoce, la polygamie, la pénalisation des relations

Aujourd’hui, le besoin
se fait sentir d’une
nouvelle refonte du
Code de la famille.

sexuelles hors mariage et de l’avortement et surtout de


combattre les idées obscurantistes qui voient les
femmes comme seul objet de désir au déni de leurs
capacités et leurs talents multiples. Nous avons besoin
enfin de la mise en place de l’Autorité pour la parité et
la lutte contre toute forme de discrimination, APALD,
prévue dans l’article 19 de la Constitution de 2011, qui
a un rôle important à jouer pour la promotion et la pro-
tection des droits des femmes. Tout cela nécessite une
prise de conscience sociétale et un élan de civisme afin
que les institutions de prise de décision censées repré-
senter le peuple émanent effectivement de l’ensemble
du peuple et non seulement de la minorité (25 %) qui a
pris le chemin des urnes lors des élections législatives
de 2011 et de 2016. Cela reviendrait à renforcer la vision
de progrès, de modernité et de justice sociale si souvent
exprimée par SM le Roi Mohammed VI et permettre à
notre pays de reprendre résolument la voie de l’égalité
et de la parité. n
100 THINK TANK LA TRIBUNE AFRIQUE | N° 20 | JUILLET - AOÛT 2019

caine. Une économie qui allait s’engager dans une phase de


croissance pérenne s’appuyant sur les différents plans sec-
toriels lancés lors de la première décennie du règne et dyna-
misée par les ambitions des nouveaux métiers mondiaux du
Maroc.

PROFONDEUR CONTINENTALE
Fort de ces acquis et porté par la vision et l’engagement
personnel de son monarque, le Maroc allait se tourner non
PAR AZIZ SAÏDI, sans ambition vers sa profondeur continentale. Une véri-
DIRECTEUR DE LA REDACTION, table épopée qui verra les champions marocains de nom-
LA TRIBUNE AFRIQUE breux secteurs, comme la banque, l’assurance, les techno-
logies de l’information et de la communication ou encore
le BTP devenir des acteurs de premier plan sur le marché
africain. Il suffit de dire que le Maroc est devenu le premier
DEUX DÉCENNIES QUI investisseur africain en Afrique, relativement à son PIB, pour
attester du volontarisme économique de cette orientation

ONT CHANGÉ LE ROYAUME africaine assumée. En janvier 2017, le politique se met au


diapason de l’économique en signant le retour du Royaume

L
dans les instances panafricaines, à travers l’Union africaine.
e 30 juillet 1999, le prince Sidi Mohammed s’ins- Les paroles du roi Mohammed VI emprunts d’émotion
talle sur le trône de ses ancêtres. L’avènement solennelle à cette occasion sont pour le moins édifiants :
du roi Mohammed VI intervient au basculement « L’Afrique est mon Continent, et ma maison. Je rentre enfin chez
du nouveau millénaire et surtout à un moment moi, et vous retrouve avec bonheur. Vous m’avez tous manqué ».
charnière de l’Histoire du Maroc. En effet, son père, feu Plus encore, le monarque a pris le « lead » sur nombre de
Hassan II, avait entamé une transition politique marquée dossiers continentaux à l’importance cruciale, tels que la
par l’alternance et l’arrivée à la primature de l’ancien oppo- transition écologique, avec l’organisation d’un sommet afri-
sant socialiste Abderrahmane Youssoufi. Toutefois, les défis cain en marge de la COP22 organisée en 2016 à Marrakech,
qui se dressaient devant le jeune monarque ne se limitaient ou encore le phénomène migratoire, avec l’installation pro-
pas au domaine politique et étaient peut-être même plus chaine de l’Observatoire africain des migrations.
prégnants dans l’économie et le social. Il faut dire que les Sur le plan international, tout en veillant à consolider ses
attentes étaient immenses et les premiers pas du souverain partenariats historiques, le Royaume, sous la houlette de
allaient multiplier les gages. Cautérisation des plaies des son souverain, s’ouvre aussi sur les nouvelles puissances
« années de plomb » avec les travaux de l’Instance équité et émergentes avec l’ambition de jouer un rôle actif dans la
réconciliation, amélioration de la condition féminine avec coopération Nord-Sud, mais aussi et surtout Sud-Sud.
notamment la réforme du Code de la famille, et plus tard le
lancement de l’Initiative nationale pour le développement DES ACQUIS ET DES DÉFIS
humain sont autant de jalons sur la voie d’un Maroc qui Aujourd’hui, alors que le Royaume célèbre le 20e anniver-
rompt avec les travers de son passé pour se projeter résolu- saire de l’avènement de son monarque, force est de consta-
ment vers la modernité. ter l’ampleur du travail accompli, mais aussi celle des défis
qui se dressent devant lui pour les années à venir. D’abord
UN ROYAUME EN CHANTIER sur le plan interne avec, comme l’a souligné le roi lui-même,
Pour Mohammed VI, cette projection passe indubitablement la nécessité d’implémenter un nouveau modèle de dévelop-
par une mise à niveau des infrastructures du Royaume qui, pement axé sur l’inclusivité pour résorber les disparités
à l’avènement de celui-ci, étaient largement déficientes. En sociales et régionales, et la prise en main de réformes aussi
quelques années, le Maroc allait se transformer en un véri- importantes que celle des secteurs de l’éducation et de la
table chantier géant à ciel ouvert. Deux décennies plus tard, santé. Ensuite sur le plan international, notamment en
le travail accompli est colossal. Le port Tanger-Med et la confirmant les ambitions du Maroc de devenir un hub incon-
Ligne à grande vitesse en représentant la quintessence à tournable vers son Continent. C’est à ce prix que le Royaume
côté des innombrables infrastructures logistiques et pourra s’appuyer sur les réalisations des deux dernières
urbaines qui portent le développement de l’économie maro- décennies et se projeter sereinement vers les prochaines. n
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