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Anne-Mari e Marchetti
avec la collaboration de
Philippe Combessie

La prison
dans la Cité

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Habiter

DESCLÉE DE BROUWER
11
)!

A VERTISSEMENT

Que le lecteur ne s'étonne pas qu'une partie des personnes et


des lieux cités dans cet ouvrage reste anonyme : c'est a cette
condition en effet que nous avons pu obtenir certaines infor-
mations. Cette discrétion était souhaitée aussi bien par les per-
sonnes détenues (ou l'ayant été) que par les membres du per-
sonnel pénitentiaire ou les différents autres acteurs impliqués
dans la vie pénitentiaire intra- ou extra-muros que nous avons
été amenés a rencontrer au cours de nos enquetes, notamment Introduction
de celles que nous avons menées pour le compte du ministere
de la Justice.

« On m'a changé de cellule. Avant, de mon coin de fene-


tre, je voyais un bout du bois, j'entendais les oiseaux ...
maintenant j'aper~ois le parking de Mammouth, les gens
qui vont et viennent avec leurs caddies. A Noel, je voyais
les familles qui faisaient l~urs courses pour les fetes ; ~ m' a
foutu le cafard. »
Détenu rencontré dans une maison d'ar~et
Quoi de plus étonnant pour l'reil de l'observateur averti
que de se fixer tour a tour sur l'image immobile d'un éta-
blissement pénitentiaire et sur la vi e qui s' active a
1' entour ? Ici et la il enregistrera des proximités inat-
tendues.
De plus en plus souvent, en particulier pres des
modernes « établissements 13 000 1 », des bretelles d'auto-
route jouxtent ces lieux d'immobilisation : d'un coté des
hauts murs, un monde arreté, de l'autre, un élan décuplé.
Entre les deux, comme une barriere invisible.
A Bapaume, l'automobiliste qui s'arrete au péage et
pique-nique sur la table en bois dressée a cet effet, prete-
t-il seulement attention au batiment assez anodin qui se
© Desclée de Brouwer, 1996
76 bis, rue des Saints-Peres, 75007 Paris 1. Prisons a gestion semi-privée; pour plus d'explications, on se
ISBN 2-220-03821-1 reportera au glossaire qui figure a la fin de cet ouvrage : il regroupe
ISSN 1159-9652 les principaux termes techniques utilisés daos les pages qui suivent.

7
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i

La pnson extra-muros :
signalisation et représentations

« Maitresse, Maitresse ! Regarde, e' est ta jolie gomme,


~a ...c'est Kevin qui l'avait volée sur ton bureau, elle était ,
dans sa poche ... S'il recommence, il faut appeler les poli-
ciers, et puis ils le mettront en prison ! »
Propos rapportés d'une cour d'école maternelle,
tenus par Adrien, cinq ans
D'une fat;on ou d'une autre, l'enfermement pénitentiaire
fait partie de l'imaginaire de tous : tout le monde y pense
de fat;on plus ou moins fréquente et en parle a 1' occasion.
Il ne se passe pas un mois sans que les médias n'évoquent
des incarcérations ou des problemes touchant les prisons.
Et pourtant cette institution demeure singulierement
méconnue de tous ceux qui n'y ont pas pénétré - pour
y travailler ou y etre reclus, en particulier.
Prenons un exemple : sachant que la population est
composée de 51 % de femmes pour 49 % d'hommes, quel
lecteur saurait dire la proportion de détenus de chaque
sexe qu'on trouve dans les prisons frant;aises ? A cette
question que nous posons chaque année en introduction
d'un cours de sociologie, aucun étudiant n' est capable de
répondre précisément 1 •

l. On trouve actuellement, dans les prisons fran¡;aises, un peu moins

19
r
1
1 (jusqu'a quel point ?) le caractere pénitentiaire de ces bati-
Cela dit, l'objectif de ce chapitre n'est pas d'analyser les
relations qu' entretiennent genre et détention, ce qui dépas-
i ments qui deviennent ainsi des édifices pr~sque ordinaires.
serait d'ailleurs non seulement le cadre du champ péniten- i
~
Et parfois bien pratiqu~s ! Dans les secteurs urbains, a
Melun par exemple, on apprécie de pouvoir garer sa voi-
tiaire lui-meme mais aussi !'ensemble du processus pénal t
et ne trouverait sa réponse que dans une analyse globale l ture a proximité : la au moins, pense-t-on, elle ne sera pas
des instruments de controle social et de leur évolution. Ce volée ! Dans les négociations avec les autorités départe-
chapitre tente de répondre aux questions suivantes : quelles mentales, régionales ou nationales, on l'utilise comme
représentations de la prison sont diffusées dans le corps argument pour obtenir divers avantages : subventions ou
social ? Permettent-elles une connaissance de l'institution ? prets a taux avantageux, renforcement des équipes de
Les établissements pénitentiaires sont-ils clairement signa- maintien de l'ordre, bretelle spécifique d'acces pour une
3
lisés dans leurs zones d'implantation ? Enfin, de fa~on plus autoroute en construction, etc. •
générale, dans la mesure ou l'on s'intéresse de plus en plus Certes, il existe des communes qui « souhaitent »
a la réinsertion des prisonniers, il est légitime de se deman- accueillir une prison, mais elles sont tres rares. Il s' agit
der ce qu'il en est de l'insertion des prisons dans le tissu souvent, a dire vrai, d'une demande émanant d'élus qui
social, l'une et 1' autre semblant indéniablement corrélées. agissent contre la volonté de la majorité de leurs électeurs.
Ce fut par exemple le cas a Précy-le-Sec, dans l'Yonne,
quand furent mis en chantier les établissements du pro-
gramme 13 000 : des que le projet fut connu, une grande
DANS L'ENVIRONNEMENT IMMÉDIAT, partie de la population s'y opposa- et aux élections sui-
DES ATTITUDES QUI OSCILLENT ENTRE REJET ET DÉNI vantes, aucun des conseillers municipaux de la majorité
4
sortante ne fut réélu •

De fa~on générale, les personnes résidant aux alentours


d'une prison ignorent cet établissement qui est ressenti Un nom stigmatisant
comme une marque infamante sur leur territoire 2 • Elles ne
s'accommodent de ce voisinage indésirable qu'en gommant Une fois qu'il est acquis pour tous que le projet de
construction d'une prison est irrévocable, !'une des pre-
de 5 % de femmes. Les médias, par ailleurs, laisseraient plutot accroire, mieres tentatives d'autodéfense des « heureux élus »
sans doute en « méconnaissance de cause », que le nombre de détenues consiste souvent a désolidariser le nom de la prison de
est élevé, en proposant un nombre relativement important de reportages
sur les femmes incarcérées (a titre d'exemple, le seul documentaire filmé
dans les prisons fran¡;aises a etre passé au cinéma concerne exclusive- d' écologie sociale, París, Éditions de 1' Atelier, 1996, le chapitre « La
ment les femmes incarcérées : il s'agit du film de Jean-Michel Carré, prison tenue a distance ».
sorti sur les écrans en 1993 : Galeres de femmes); a notre connaissance, 3. La densité des forces de maintien de l'ordre dans les alentours
cette disparité n'a jamais été l'objet d'une émission de grand public d'une prison poussa meme une recherche américaine a conclure qu'un
particuliere, a l'exception toutefois de la courte émission Question de tel établissement était un facteur important de diminution du taux de
genre diffusée sur France-Inter le 8 aoút 1995 entre 8 heures 22 et la délinquance.
8 heures 30 : Christiane Saramito invitait ce jour-la l'avocat Daniel 4. A Bois-d'Arcy, dans les Yvelines, trois équipes municipales furent
Soulez-Lariviere. successivement remerciées par leurs électeurs pour n'avoir pas réussi a
2. Cf. Ph. Combessie, Prisons des villes, prisons des champs. Études s'opposer a l'implantation d'une maison d'arret dans la comrnune.

20 21
·r,.~··
..

délibere : que la nouvelle dénomination de la commune [; .. ]


celui de la commune. Tache difficile, car s'il est possible
d'appeler sans probleme un stade Jean-Bouin ou Pierre-
de-Coubertin, une école Jules-Ferry ou Jean-Moulin, les
1
f
soit commune de Fochville [ ... ]. »
Mais le préfet s'opposa a un tel changement et Fresnes
ª'
~
prisons, a !'instar des hopitaux psychiatriques~ lourdes des : continua de s'appeler Fresnes. Ainsi furent définitivement
stigmates qui marquent ceux qu'elles doivent enfermer, ~
scellés dans l'imaginaire collectif l'un des plus grands éta-
semblent vouées a porter le nom de leur lieu d'implanta- blissements pénitentiaires de France et une petite 8
tion. Imaginerait-on, en effet, un seul instant que des commune de la banlieue parisienne !
« officiels » proposent de baptiser la derniere née des
prisons : << maison d'ard!t Charles-Lucas >>, << Paul-Amor 5 >>
ou << Robert-Badinter >> ? Pas de fleches pour la prison
Ainsi au début du siecle, les élus de la commune de
Fresnes - ou un établissement pénitentiaire avait été Que la prison soit implantée le plus loin possible du
construir en 1895 - pousserent-ils a son comble la stra- centre-ville, tel est, de nos jours, le vreu de la plupart des
tégie de dissociation des noms de la commune et de la élus locaux qui, au demeurant, sont loin d'obtenir toujours
prison. Premiere tentative : obtenir que la prison change satisfaction. De surcroit, excentrée ou non, une fois la,
d'appellation. En vain! Cette suggestion fut immédiate- rares sont les édiles qui acceptent qu'elle soit fléchée
ment rejetée par les autorités pénitentiaires 6 • Deuxieme ten- - e' est pourtant particulierement importam pour les
tative : modifier carrément le nom de la commune, en maisons d'arret, car la forte rotation des personnes incar-
abandonnant celui de Fresnes a la prison et en lui imer- cérées entraine une forte rotation des visiteurs qui ont sou-
disant meme d'adopter celui dont se doteraient les ex- vent les plus grandes difficultés a trouver 1'établissement :
Fresnois 7 ? Le nom de Berny, lieu-dit voisin, fut envisagé ne serait-ce que paree qu'on a omis de le faire figurer sur
des 1912, puis, fin 1918, celui de Fochville (en l'honneur les panneaux urbains, dans la liste des << batiments et édi-
du héros de la Grande Guerre); la proposition fut adoptée fices publics » clairement désignés en index des plans.
a l'unanimité du conseil municipal : Ainsi, le maire adjoim chargé de l'urbanisme d'une
«Le conseil [ ... ] en raison du tort moral pour la commune dotée d'une prison répondit-il un jour a un
commune causé par la création sur son territoire d'une pri- fonctionnaire pénitentiaire qui demandait que celle-ci soit
son qui, en prenant le nom de Prison de Fresnes, donne fléchée : « C'est une excellente idée ... mais tant queje serai
lieu a des confusions facheuses et tres préjudiciables [ ... ] élu, je m'y opposerai... pour la prestance de la
commune! »
5. Théoriciens et réformateurs bien connus du champ pénitentiaire.
6. Sur 183 établissements pénitentiaires fran~ais, seuls quinze ne por-
tent pas le nom de la commune ou ils sont construits - cela fut obtenu
parfois au prix d'une longue négociation et parfois sans probleme.
Encore en 1989, certaines communes, comme celle de Joux-la-Ville, se
heurterent a un refus des autorités pénitentiaires de modifier le nom
du nouveau site.
7. F. Wasserman, « Analyse des mentalités, réactions municipales et
opinion publique ,,, in C. Carlier, J. Spire et F. Wasserman, Fresnes, la 8. Elle était « petite » au début du siecle, avec moins de trois mille
prison, Fresnes, Écomusée de Fresnes, 1990, p. 45-55. ames. Elle compte aujourd'hui plus de vingt mille habitants.

22 23
Dénomination des arréts d'autobus Expositions, musées sur les prisons
J
Lorsque l'établissement pénitentiaire est desservi par une 1 Des la fin du XIX' siecle, diverses expositions furent
ligne de transports en commun (ce n'est pas toujours le
cas), les négociations sont souvent animées ! S'opposent
ainsi les élus locaux ( dont l'intéd!t est de limiter la visibilité
1
:i
"~
organisées pour faire mieux connaitre les établissements
pénitentiaires, mais il s'agissait toujours de présenter des
prisons en général, et jamais une structure en particulier.
de l'établissement) et les responsables de l'établissement ~ A moins de faire visiter au public un batiment ayant
1
pénitentiaire ( dont l'intéd~t est de faciliter 1' acd:s des per- 'ª
-~
autrefois fait office de prison, mais longtemps auparavant,
sonnes devant s'y rendre). Le plus souvent, les premiers ~
en des temps réputés plus barbares ! A Annecy ou au Tré-
obtiennent gain de cause et l'arret des véhicules de trans- port, on peut ainsi arpenter, monuments historiques trans-
ports en commun porte simplement le nom de la rue ou formés en petits musées, des lieux d' enfermement qui ont
il est situé, sans plus de précision. Encore un fois, a cet cessé d'etre fonctionnels depuis plusieurs dizaines
égard, le cas de Fresnes est éloquent; il faut dire qu'il s'agit d'années. A Fontevraud, apres que les derniers détenus
de l'un des établissements de F rance qui « marque » le plus eurent quitté les lieux, ceux-ci furent aménagés avec tout
le territoire ou il est implanté. le confort de l'hotellerie de luxe, et si on ne cache pas la
A Fresnes, pendant pres d'un siecle, les élus locaux réus- vie carcéralc qui y a régné pendant plus d'un siecle, on
sirent a empecher qu'un panneau ne désigne clairement la met davantage en avant la vie monacale qui l'a précédée.
prison, jusqu'en 1991, année fatale qui vit l'installation Les centaines de détenus qui y ont été enfermés tout au
d'un arret de bus intitulé : « maison d'arret ». Revirement long du XIX' et du début du XX' siecle sont un peu consi-
des décideurs ? Que nenni! C'est que les travaux de dérés comme une parenthese indigne du site. Comment
construction de l'autoroute A86 avaient provoqué le dépla- s'étonner alors qu'on semble passer comme par enchante-
cement de l'entrée principale du domaine pénitentiaire. ment des moines cisterciens aux visiteurs d'aujourd'hui ?
Laquelle se trouvait ainsi replacée, ironie du sort, avenue On décelerait une stratégie similaire dans les visites qui
« de la Liberté » ! C~ détail piquant offrait aux dirigeants
9 sont organisées dans la partie de l'abbaye de Clairvaux
du centre pénitentiaire un argument de poids pour refuser abandonnée par 1' administration pénitentiaire dans les
la dénomination de la voie qui dessert le lieu : « On ne années 1970.c..
peut pas dire aux personnes qui nous appellent pour venir A cet égard, encore une fois le cas de Fresnes est remar-
a
ici : Pour la prison, descendez l'arret de bus «Liberté" ! » quable. Récemment, la regle informelle : « ne jamais parler
et faire ainsi triompher leur cause. Mais le cas fresnois de la prison qu'on a sur son territoire » fut brisée par le
reste, semble-t-il, exceptionnel. conservateur de l'écomusée 10 • n
réussit en effet a convain-

10. Notons au passage qu'il n'était pas originaire de la région, carac-


téristique qu'on retrouve souvent chez les personnes désireuses de ren-
forcer les relations entre une prison et son environnement proche ;
9. Cette avenue avait été ainsi baptisée au lendemain de la Seconde comme si les autochtones implantés depuis longtemps daos le terroir
Guerre mondiale, comme ce fut le cas dans diverses communes situées voyaient toujours une contradiction entre leurs racines locales et la valo-
sur le passage de la deuxieme division blindée Leclerc, allant libérer risation d'un établissement cenes proche mais aussi susceptible de les
Paris des nazis. stigmatiser par ricochet.

24 25
ere certains des élus municipaux de l'intéret pour la cite Moralité ? Vous avez un établissement pémtentlaire sur
de présenter cette prison comme faisant partie intégrante votre territoire et vous avez l'impression que cela 1' « enta-
du patrimoine local. Mais il fallut une dizaine d'années che » ? Regardez done si autrefois il n'aurait pas connu son
pour mener le projet a bien. heure de gloire ! A Fresnes, c'est l'aspect historique de la
<< Quand je suis arrivé ici, la premiere chose qui me recherche et la valorisation d'une image passée et excep-
paraissait importante, c'était de faire quelque chose sur la 1'k tionnelle de la prison qui conquit les élus municipaux. Ils
prison. A ce moment-la, tout le monde m'a dit: "Ah, non, y virent d'abord le moyen de diffuser des informations
non ! Il y en a marre, c;a nous calle a la peau ; vous n'etes J importantes a leurs yeux pour contrer certaines theses
pas la pour travailler sur la prison." i-~ historico-politiques qu'ils combattaient, puis la possibilité
- Tout le monde... c'est-a-dire?
- Les élus : les financeurs ! J' ai done remis cette idée de redorer l'image de la prison traditionnellement plutot
de coté, et j'ai fait des tas d'autres recherches : sur les gre- mal famée car associée a sa « clientele » la plus ordinaire :
nouilles, sur les blanchisseuses ... J'ai fait deux ou trois les jeunes banlieusards délinquants sans foi ni loi !
expos qui ont bien marché, qui ont été bien médiatisées. L'accord de la municipalité obtenu, l'équipe de l'éco-
<:=a, c'est important, elles ont été bien vues dans la ville, et
aussi bien médiatisées a l'extérieur. La on m'a dit : "Oh musée se mit a la tache. lnitialement envisagée, la partici-
e' est tres bien ! C' est bien : on parle de nous, Fresnes, et pation financiere de l'administration pénitentiaire ne se fit
on ne parle plus de la prison." Jeme souviens, dans le sup- pas. En revanche, certains fonctionnaires pénitentiaires
plément de T élérama, il y avait une page sur les grenouilles, furent mis a disposition de l'écomusée 12 • On opta finale-
on m'a dit : "C'est merveilleux, on ne parle plus de la pri- ment pour une exposition ou seraient intercalées des pré-
son !" »
sentations du passé de la prison et des reconstitutions de
Mais ne pas parler d' elle, n' est-ce pas, toui compte fait, cellules << moder::,nes ». Le centre pénitentiaire de Fresnes
la stratégie ordinaire des communes qui ont une prison sur preta gracieusement le matériel demandé. Mais attention,
leur territoire ? pas n'importe lequel : du << flambant neuf >> (comme on en
Quelques années plus tard, le conservateur de l'écomu- trouve rarement dans les cellules de 1' établissement) !
sée revient a la charge et propase aux élus une étude his-
torique sur la prison. En ces années 1980 qui voient le
renouveau des theses de 1' extreme droite, plusieurs De la difficulté d'offrir une image consensuelle
conseillers municipaux, ne cachant pas leurs opinions de d'une prison ...
gauche, se laissent convaincre. Pourquoi ne pas utiliser les
témoignages de résistants incarcérés a Fresnes ? suggere Malgré les efforts d'objectivité des responsables de l'éco-
l'un des premiers élus convaincus par le projet. Et pour- musée, cette exposition suscita bien des réactions de rejet.
quoi ne pas évoquer aussi les détenus politiques qui y ont Les Fresnois la bouderent - plusieurs conseillers muni-
été enfermés pendant la guerre d' Algérie ? propase un cipaux ne daignerent pas s'y montrer le jour de l'inaugu-
autre él u 11 •
l'inauguration de l'exposition. J. Rispal, De la DST a Fresnes ou trente
et un mois de prison, coll. << Histoire et Témoignages >>, Fresnes, Éco-
11. Resté en contact avec certains ex-détenus, cet élu possédait d'ail- musée, 1990, 84 p.
leurs un manuscrit évoquant le séjour de l'un d'entre eux a Fresnes; 12. Notamment un membre du personnel de direction qui poursuit
édité par l'écomusée de Fresnes, celui-ci parut quelques mois avant des recherches historiques sur les prisons.

26 27
ration et certains ne la visiterent meme jamais. Quant aux ma1s la confusion était possible pour une personne non

1
quelques groupes scolaires qui firent le déplacement, ils initiée.
étaient originaires de communes plus lointaines. Stratégies Ces remarques et anecdotes disent bien a quel point il
d'occultation de ceux qui habitent pres - trop pres ? - est difficile de présenter une exposition qui donne satis-
d'une prison? Sans doute ...
Quant a ceux qui vinrent voir l'exposition, ils furent loin
1 faction a tous compte tenu de la force des dissensions qui
s'expriment des qu'on aborde le terrain des prisons. Ter-
de rester indifférents. A cet égard, le cahier d'observations
laissé a la disposition des visiteurs est particulierement élo-
,,j rain presque toujours miné ... Les tensions sont tellement
apres entre les différents groupes d'individus concernés
quent 13 • A coté des éloges, souvent signés par des person- qu'il est difficile d'en proposer une présentation a la fois
nalités d'envergure nationale, on trouve des remarques cri- analytique, globale et publique. Ce qui ne peut qu'inciter
tiques voire acerbes, qui se renvoient mutuellement la a la prudence ... et done au silence ceux qui voudraient la
halle. Trop douce pour les uns, trop dure pour les autres, faire mieux connaitre aux «profanes». Comment s'étonner
l'image proposée est toujours inadéquate : alors de ce que la pnson soit en grande partie cachée et
méconnue ? Peut-etre est-ce d'ailleurs l'une des forces de
« Qui faute, doit payer ! »,
« J'aurais aimé rencontrer ici un peu plus de vérité, on cette institution et l'un des secrets de sa pérennité ? Cela
parle de cellules a deux ou trois détenus, si c'était vrai ... permet enfin d' alimenter chez ceux qui en sont éloignés
moi j'en ai vu a six ou meme sept. Pourquoi dire des men- spatialement, les phantasmes et les images les plus extremes
songes ? », - de l'hotel « quatre étoiles » au « centre de torture »,
« On semble glorifier et favoriser les détenus a l'encontre
représentations dont les médias se font souvent les porte-
des gardie~s. S'ils sont la, c'est qu'ils ne sont pas blancs
comme ne1ge », parole.
« Apres quinze ans de vie a Fresnes, se rendre compte
qu'il y a une prison avec des habitants, une vie organisée ...
e' est étrange », Prisons et presse
« Je me demande si l'idée meme de cette exposition n'est
pas quelque peu morbide ... », etc.
11 nous paraí:t utile, pour mieux comprendre les réactions
Et que dire, pour conclure, d'un événement qui en laissa de rejet ou de déni que suscitent les établissements péni-
perplexe plus d'un : la « disparition » d'un des uniformes tentiaires, d'esquisser brievement les représentations qu'en
de surveillants qui étaient exposés la, vol dont l'auteur ne donnent les quotidiens régionaux et la presse nationale.
fut jamais identifié ? Selon certains cadres de l'administra- Nous venons de voir que dans leur vie de tous les jours,
tion pénitentiaire il pouvait s'agir d'une réaction de jeunes les voisins d'une prison tentent, faute de pouvoir la rejeter,
14
surveillants, mécontents d'etre représentés par une forme de s'accommoder de cette proximité en l'ignorant voire
de mannequin qui semblait tenir une matraque a la main en banalisant la perception qu'ils en ont. Tout autre est
il s'agissait en fait d'une barre a sonder les barreaux,
14. De leur coté, les responsables de l'établissement pénitentiaire se
satisfont fort bien de l'autonomie qui leur est ainsi garantie par les
stratégies d'évitement des autochtones. Notons que cette habituation ne
13. Notons au passage que les réactions les plus virulentes resterent peut se produire qu'au prix d'une occultation de la finalité d'un tel
anonymes. établissement : enfermer des etres humains contre leur volonté.

28 29
l'image de l'univers carcéral qui se constitue a distance des Chaque évasion, surtout s'il"'s'agit de détenus présumés
batiments pénitentiaires et, a cet égard, les organes de dangereux 15 , fournit également l'occasion de revenir sur la
presse fa~onnent vraisemblablement, autant qu'ils les refle- question de la peine capitale. « Prison = attention, prise
tent, ces différences de perception. d'otages ! » et si celle-ci tourne mal, on ravivera la
mémoire du drame encore bien longtemps apres. Des
- Presse locale - Presse nationale
La presse locale relate les différentes activités de la pri- 1
j
sévices dans les prisons ? Des suicides a répétition ? En
sont-ils informés, certains quotidiens nationaux se feront
son comme s'il s'agissait d'une « entreprise » ordinaire : on
y rend compte de la vie associative du personnel, des ren-
1 fort de dénoncer ces violences. Ainsi s'impose une image
i essentiellement dramatique de la prison.
contres que gagnent ou perdent les équipes sportives péni- En résumé, passé le filtre occultant du périmetre qui
tentiaires, des expositions ou sont présentées les ceuvres environne chaque établissement pénitentiaire, au sein
d'art ou l'artisanat produits par les reclus comme on le fait duquel l'image de l'institution voisine est relativement pai-
ailleurs des activités du club de poterie d'une maison des sible, on voit se dessiner dans la presse un monde carcéral
jeunes et de la culture. A lire les lignes qui luí sont consa-
tout pétri de dangerosité.
crées, la prison ne serait en quelque sorte qu'une anodine Été 1994 : les détentions sont calmes et le quotidien Le
« maison des détenus ».
M ande parle de prison en premiere page, une premiere !
Dans son environnement proche, la prison a done une Cenes l'équipe rédactionnelle n'a pas choisi n'importe quel
image parfois imposante mais relativement paisible. Toute établissement, mais le projet se voulait novateur qui pro-
différente est celle qui circule en dehors du périmetre posait au lecteur, deux jours de suite, un peu comme un
immédiat de chaque établissement. Si la presse locale sou- feuilleton : « La prison de Clairvaux, au jour le jour. » Il
ligne, a l'occasion, les activités «honorables » des détenus était question dans ces deux articles d'événements ordi-
(leurs cotisations pour offrir des chiens aux aveugles, leurs naires qui ne sont rapportés d'habitude que dans les bis-
réussites aux examens, etc.), ce n'est bien entendu trots des environs, dans les journaux régionaux ou dans les
qu' exceptionnellement que la presse nationale reproduit ce recherches a caractere ethnographique. Et pourtant, des le
type d'informations « banales » (trop ?). premier de ces articles, on présenta également un drame,
« Prison = violence », « prison = danger » ! Voila l'image pourtant vieux de plus de vingt ans, au cours duquel deux
qui est le plus souvent diffusée par les différents 6rganes détenus avaient égorgé deux membres du personnel péni-
de la presse nationale. On parle de la prison lorsqu'une tentiaire (l'affaire dite « Buffet-Bontems » ). Et rebelote le
greve la paralyse, lorsque des détenus sont sur les toits et lendemain ! Comme si une fois ne suffisait pas a l'infor-
refusent de réintégrer leur cellule, et encore plus mation du public, ce drame sanglant fut a nouveau évoqué
lorsqu'une évasion, spectaculaire de préférence, s'est pro- dans la suite de cet article censé présenter cet établissement
duite. Alors on entendra le ministre de la Justice faire des pénitentiaire « au jour le jour ».
suggestions draconiennes : ouvrir le feu sur d'éventuels Mais si la presse, meme réputée sérieuse, a toujours ten-
hélicopteres qui viendraient assister une évasion - au
mépris de la sécurité de 1' ensemble des personnes qui sont
15. Mais un fugitif ne l'est-il pas par définition, puisque le code de
dans les parages (détenus non fugitifs et personnel péni- procédure pénale prévoit la possibilité de tirer sur lui sans qu'il soit
tentiaire), ou enterrer des lieux de détention en sous-sol. besoin d'etre en état de légitime défense ?

30 31
dance a mettre en avant le sensationnel, la violence, le viseront un électorat diplomé et citadin ou un électorat
désordre ... et a négliger le quotidien ordinaire et « sans rural et agé, ils développeront une image de la prison dia-
histoire » qui pourtant fait l'histoire de fa¡;on réguliere, métralement opposée 16 • Et le profane qui ne connait pas
mais a contrario ne fait pas « l'événement », on se doute ce milieu se trouvera bien en peine de s' en faire une image
bien que pas plus sur ce sujet que sur d'autres themes bn1- juste et précise. D'autant plus que, nous le verrons dans
lants, des quotidiens aussi dissemblables que France-Soir le chapitre suivant, ces deux « perceptions » de la prison
ou Le Monde, aux lectorats fort différents, ne diffusent une conduisent bien souvent et paradoxalement - pour des
image univoque de la prison. raisons différentes bien sur - leurs supporters a s' accorder
sur la nécessité de construire de nouveaux établissements
pénitentiaires.

DEUX POPULATIONS, DEUX IMAGES

Des qu'on s'éloigne de son périmetre immédiat, des


qu'on oublie ceux qui la (mé)connaissent pour la cotoyer
quotidiennement, l'image de la prison - opinion politique,
culture et médias obligent - se dédouble. Les uns, plutot
plus diplomés, plus urbains, plus jeunes, plus salariés,
l'imaginent particulierement dure et pénible. Les autres,
plus souvent chefs d'entreprise ou travailleurs indépen-
dants, moins urbains, plus agés et moins diplomés, s' en
font l'image d'une institution « trop confortable », comple-
tement inadaptée a ce qu'ils considerent comme sa fonction
premiere : punir.
On comprend ainsi les difficultés que rencontrent ceux
qui tentent de faire connaitre avec précision et objectivité
la prison comme l'illustre bien la diversité des réactions
que suscita l'exposition « Fresnes la prison ».
Ainsi l'image publique de la prison, quand elle n'est pas
tout simplement occultée, est-elle forcément tronquée,
biaisée par la logique propre du vecteur de communication
qui est amené a en parler. La presse a diffusion nationale
favorise 1' exceptionnel et le violent, la presse local e met en
avant une image positive des activités qui y sont déve- 16. Certains d'entre eux, pour parfaire leur image aupres d'un élec-
torat disparate, confient a leur épouse certaines taches de bénévolat
loppées comme elle le ferait de toute autre institution aupres des prisonniers tandis qu'eux-memes développent des discours
régionale. Quant aux hommes politiques, suivant qu'ils plutot sécuritaires.

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