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Physique statistique

La masse du noyau atomique :


entre ordre et chaos
La masse du noyau atomique, qui résulte de l'énergie de liaison des protons et des neutrons qui le constituent, est
une de ses propriétés fondamentales. Plusieurs techniques expérimentales de pointe sont actuellement dédiées à
la mesure de la masse de noyaux exotiques, très éloignés de la stabilité, et fournissent une grande quantité de
données avec une excellente précision. Nos connaissances restent toutefois limitées, et des estimations théoriques
sont nécessaires pour décrire certains aspects de la nucléosynthèse stellaire. Malgré des efforts considérables, le
pouvoir de prédiction des modèles actuels n'est pas satisfaisant. Une approche théorique récente, qui met en
avant un comportement chaotique de la dynamique nucléaire, offre un éclairage nouveau.

P
ourquoi peser les atomes ? Lors des premières première estimation réaliste de l’âge du soleil compatible
mesures systématiques de leur masse dans les années avec les estimations géologiques de l’âge de la terre.
1920, Francis Aston obtient un résultat curieux. Il La masse M d’un noyau composé de N neutrons de
trouve que l’hélium est plus léger que la somme des poids masse m N et de Z protons de masse m Z peut être écrite sous
de ses constituants. En se basant sur la célèbre relation la forme
d’Einstein entre l’énergie et la masse, E = mc2 , où c est la
vitesse de la lumière, l’astronome Arthur Eddington suggè- M = N × m N + Z × m Z − B(N, Z )/c2 .
re que cette différence de masse, émise sous forme d’éner-
gie lors de la synthèse de l’hélium à partir de l’hydrogène, L’énergie de liaison B fournit des informations pré-
constitue la source d’énergie du soleil. Cette hypothèse – cieuses sur la nature des interactions nucléaires. L’énergie B
confirmée postérieurement par les travaux de H. Bethe – est positive : plus elle est grande, plus le noyau est lié et par
a permis de clairement identifier le processus physique res- conséquent plus il est stable. La masse du noyau est donc
ponsable du rayonnement du soleil, attribué au XIXe siècle à inférieure à la somme des masses de ses constituants élé-
la transformation d’énergie gravitationnelle en chaleur. Elle mentaires, en accord avec les observations de Aston. Les
a aussi clôt une polémique de l’époque, qui confrontait des mesures des masses font ressortir, comme résultat principal,
physiciens à des géologues et biologistes, en fournissant la la quasi-constance de l’énergie de liaison par nucléon pour
l’ensemble des noyaux, autour de 8.5 MeV/nucléon, avec
2 un léger maximum pour le fer 56 (Z = 26) (figure 1).
10 maximum de liaison
0
abondance (%)

10
8.5 La nucléosynthèse stellaire
B / A (MeV)

-2
10
-4 pic du fer
10 L’abondance de chaque élément dans l’univers (figure 1)
-6 8.0 dépend de sa stabilité, et la stabilité dépend de la masse. La
10
-8
masse est donc le paramètre fondamental qui détermine le
10 bilan d’énergie d’une réaction nucléaire. A partir de la pro-
-10 7.5 position d’Eddington, les différentes réactions nucléaires
10
responsables de la production d’énergie dans les étoiles ont
0 15 30 45 60 75 90
été bien identifiées. La combustion par fusion reste un
nombre atomique ( Z ) mécanisme énergétiquement favorable pour les éléments
Figure 1 - Energie de liaison par nucléon (en bleu, axe de droite), où
plus légers que le fer, où l’énergie de liaison par particule
A = Z + N , et abondance des éléments dans le système solaire (en rouge, atteint son maximum. Au-delà, la fusion n’est plus favo-
axe de gauche), en fonction du nombre atomique Z. rable.

Article proposé par :


Patick Leboeuf, leboeuf@lptms.u-psud.fr, Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques, CNRS/Université Paris Sud.
David Lunney, lunney@in2p3.fr, Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse (CSNSM), CNRS/Université Paris Sud.

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Les éléments plus lourds dans la courbe d’abondance repos, offre actuellement la meilleure précision. L’amélio-
sont associés à un autre processus de nucléosynthèse, lié à la ration apportée par l’utilisation du piège est clairement
capture radiative de neutrons. Ce type de réaction a lieu soit visible dans la figure 2 (mesures effectuées en 1995).
très lentement à basse température (processus s), soit très Toutes les données des masses obtenues par les diffé-
rapidement à haute température lors de l’effondrement rentes méthodes expérimentales sont regroupées au centre
d’une étoile massive (processus r). Le chemin du processus de données des masses atomiques à Orsay (voir www-
s se situe, dans le plan (Z , N), dans la région des noyaux csnsm.in2p3.fr /AMCD), où elles sont analysées et mises à
stables, alors que le processus r passe par des régions de jour périodiquement. Cette démarche à caractère internatio-
noyaux très riches en neutrons, qui sont très instables. Ce nal est nécessaire car, de manière générale, une masse est
type de nucléosynthèse explosive est extrêmement difficile déterminée, lors d’un bilan d’énergie par exemple, par rap-
à modéliser, compte tenu de l’inaccessibilité de l’ensemble port à la masse d’un autre noyau. La « table de masses »
des données nucléaires nécessaires. n’est donc pas une simple compilation, mais une évaluation
globale qui assure la compatibilité et la consistance des
Techniques de mesure résultats. La version de la table 2003 fournit les masses de
plus de 2000 noyaux.
Depuis les mesures d’Aston, les techniques expérimen-
tales ont énormément progressé (voir figure 2). Avec les
avancées dans la production de noyaux à forte asymétrie
Articulation théorie-expérience
neutrons/protons (noyaux exotiques), il est possible aujour-
Le cycle du processus-r passe par des régions de
d’hui de mesurer la masse de noyaux très éloignés de la sta-
nucléides extrêmement riches en neutrons – tellement loin
bilité, tout en gardant une bonne précision. La précision
de la stabilité qu’ils ne seront peut-être jamais produits dans
actuelle se situe aux alentours de 10−8 , et peut atteindre
un accélérateur. Pour la modélisation de ce processus il est
10−10 pour les noyaux stables.
indispensable de prédire la masse de noyaux exotiques. De
La précision nécessaire dépend du phénomène nucléaire manière générale, le calcul théorique des masses des élé-
que l’on veut étudier (voir Lunney, Pearson et Thibault, ments connus et inconnus est un défi important de la phy-
2003). La meilleure précision actuellement possible pour sique nucléaire.
des noyaux exotiques est requise par des tests liés à l’inter-
A travers l’énergie de liaison B, la masse donne accès
action faible.
aux différentes formes d’énergie accumulées au sein du
Différentes techniques de mesure sont à présent utilisées noyau. L’approche la plus fondamentale pour son calcul
(voir encadré). On peut obtenir la masse à travers le bilan consiste, dans un premier temps, à déterminer les forces qui
d’énergie lors d’une décroissance ou d’une réaction, mais agissent entre les nucléons. Ces forces sont déterminées par
les meilleurs résultats proviennent généralement de mesures des mesures directes de la section efficace de diffusion
de temps de vol et de fréquence cyclotron d’un ion dans un nucléon-nucléon. Une quarantaine de paramètres (ajustés
champ magnétique homogène. Deux développements aux données expérimentales) sont nécessaires pour les
récents méritent une mention particulière : l’anneau de stoc- décrire d’un point de vue théorique avec une bonne préci-
kage et le piège à ions. L’anneau de stockage, à l’intérieur sion. Dans un deuxième temps, ces forces sont utilisées pour
duquel les ions circulent à grande vitesse, est très bien résoudre numériquement le problème de A corps en interac-
adapté pour mesurer la masse de noyaux exotiques produits tion, où A = Z + N est le nombre total de nucléons. La
par fragmentation à haute énergie. En complément, le piège, complexité de ce calcul augmente exponentiellement avec le
avec sa capacité à isoler dans l’espace un ion unique au nombre de particules, et la progression par cette voie reste
donc très laborieuse. Les programmes actuels les plus per-
-4 formants, basés sur la méthode de Monte-Carlo, permettent
10
d’atteindre à peine A = 10. Les résultats sont malgré tout
precision (δ m/m)

-6
assez surprenants. Ils montrent que cette approche, qui
10 modélise les nucléons par des particules ponctuelles avec
des interactions à deux corps, n’est pas capable de repro-
-8
10 duire correctement la masse des noyaux à petit A. Par
exemple, l’erreur relative par rapport aux mesures expéri-
-10
10 mentales dans le calcul de l’énergie de liaison des isotopes
d’hélium (Z = 2, 4  A  10) est de l’ordre de 10−3 , qui
-12
10 est largement supérieure à l’erreur expérimentale. L’ajout
1940 1960 1980 2000 d’interactions plus compliquées, notamment à trois corps, ne
règle pourtant pas le problème.
Figure 2 - La précision de la mesure de la masse de 28Si au cours des La situation n’est guère plus encourageante en allant vers
années. On constate un gain d’un ordre de grandeur tous les dix ans. les noyaux plus lourds, qui mettent en jeu des systèmes qui

214
Physique statistique

Encadré

Techniques pour mesurer la masse


Peser un atome est un véritable tour de force sachant qu’il
s’agit d’une mesure de très haute précision. Ceci est encore
plus difficile pour les atomes radioactifs dont la mesure est faite
« en ligne » – dans la foulée de leur naissance – auprès d’un
accélérateur de particules et d’un séparateur de masse.
La masse peut être déterminée à l’aide de deux méthodes diffé-
rentes (figure 1) : soit par spectroscopie nucléaire, en mesurant
le bilan d’énergie d’une réaction nucléaire ou d’une décrois-
sance radioactive (e.g., α , β ou p), soit par spectrométrie de
masse (dans la riche tradition d’Aston). Dans les deux cas, il
est nécessaire d’établir une relation avec une – voire plusieurs
– masses connues.

Figure 2 - L’anneau de stockage (ESR) à GSI (Darmstadt) est rempli


d’un faisceau de fragments relativistes. Ces particules tournent sur une
circonférence de 108 m (jusqu’à leur décroissance) grâce aux aimants
(en bleu) et aux lentilles de focalisation. La masse est déterminée à par-
tir de la fréquence de révolution, mesurée à chaque passage de l’ion.

Figure 1 - Dans le cas d’une réaction (gauche), le bilan d’énergie est


noyaux produits sont arrêtés, les noyaux à étudier vont diffuser
mesuré par un spectromètre. Les masses de A, a et b étant connues, on
peut déterminer M B . Le principe est le même pour une décroissance thermiquement), le faisceau est envoyé dans un spectromètre
(droite), où l’énergie de la particule éjectée (une particule alpha dans magnétique où la masse est déterminée par une mesure de la
cette exemple) est mesurée. MA doit être connue afin de déterminer M B . fréquence cyclotron. Deux expériences à ISOLDE au CERN
exploitent cette méthode : MISTRAL et ISOLTRAP.
Pour les noyaux exotiques, la technique de mesure est fortement Piéger pour peser – la nouvelle mode pour mesurer la masse
liée à la méthode de production. Pour les noyaux produits par par spectrométrie : le confinement d’un ion offre la possibilité
fragmentation (donc à haute énergie) la masse est générale- de l’observer longtemps et donc de le peser avec une grande
ment déterminée par temps de vol. Deux exemples sont le spec- précision. Une particule peut être confinée soit à grande vites-
tromètre SPEG au GANIL et l’anneau de stockage ESR au GSI se dans un anneau où elle peut être observée à chaque passa-
(figure 2). Quand les noyaux sont produits par la technique ge, soit pratiquement au repos, dans un piège de Penning (figu-
ISOL (après irradiation d’une cible épaisse dans laquelle les re 3), comme dans le spectromètre ISOLTRAP au CERN.

Figure 3 - Dans un piège de Penning, les ions à mesurer sont confinés par l’action simultanée d’un champ magnétique qui agit dans le plan radial et
d’un champ électrique (quadripolaire) dans le plan axial, créé par des électrodes (gauche). Le mouvement d’un ion piégé est ainsi composé de trois
modes propres, reliés à la fréquence cyclotron f c = q B/2πm : un mouvement harmonique f z dans le puit de potentiel (milieu) et deux mouvements
radiaux f + et f − (droite). Ces fréquences sont mesurées soit après l’éjection des ions du piège, soit par la détection du signal induit sur les électrodes
par les ions confinés.

215
Il est utile de décomposer l’énergie de liaison en deux
4 parties. Etant donné que la densité nucléaire est constante en
différence (MeV)

première approximation, avec un nombre croissant de


2 nucléons on peut visualiser le noyau comme un fluide clas-
sique de particules en interaction, une sorte de goutte
0 liquide. La contribution principale à l’énergie de liaison B
provient de l’interaction forte entre les nucléons. Différentes
-2 corrections s’ajoutent à cette contribution. Elles correspon-
masses mesurées dent à des effets de surface, à l’interaction Coulombienne
entre protons, etc. Une expression phénoménologique qui
-4
tient compte de toutes ces contributions, notée Bmoyen ,
50 60 70 80 90 explique bien le comportement à grandes échelles de B
N ( Z = 50) observé dans la figure 1 (courbe en bleu). Pourtant, Bmoyen
n’arrive pas à expliquer toute la structure de l’énergie de liai-
Figure 3 - Ecarts dans l’énergie de liaison calculée à partir de différents son. Si l’on regarde de près les résultats expérimentaux, on
modèles théoriques pour Z = 50. La région des masses mesurées est indi- constate des fluctuations par rapport au comportement
quée par des traits verticaux.
moyen de type goutte liquide. Ces écarts sont appelés effets
de couches, Bsh , et sont définis par
peuvent aller jusqu’à 250 particules en interaction. Diffé-
rentes méthodes, plus ou moins phénoménologiques, ont été Bsh = Bmoyen − Bexp .
utilisées pour reproduire le comportement global de l’éner-
gie de liaison observé en fonction du nombre de nucléons. La différence Bsh est représentée, en fonction du nombre
Ces modèles utilisent un nombre considérable de para- de neutrons N, sur la figure 4. Elle montre l’existence d’une
mètres, typiquement de l’ordre de vingt ou trente, qui sont structure fine de la masse des noyaux, qui présente des fluc-
ajustés pour reproduire le mieux possible les masses tuations par rapport au comportement moyen. Il faut noter
connues. De manière remarquable, et malgré leurs bases que, d’après la définition précédente, les minimum locaux
conceptuelles parfois très différentes, sur l’ensemble de la (négatifs) de Bsh correspondent à des maximums de Bexp , et
carte des nucléides ces différents modèles possèdent une par conséquent à des noyaux localement plus liés et plus
précision comparable, avec un écart par rapport aux expé- stables. Cet effet se manifeste dans la courbe d’abondance
riences qui oscille entre 400 et 800 keV. Cette harmonie est de la figure 1 par des pics faibles mais bien visibles autour
cependant rompue quand on va vers « terra incognita ». En de Z = 50 et Z = 82.
effet, si l’on compare les prédictions des différents modèles L’origine physique des fluctuations de la masse est très
pour l’énergie de liaison de noyaux inconnus, qui n’ont différente de celle du comportement moyen. Les effets de
jamais été observés en laboratoire, on constate des écarts couches sont directement reliés au mouvement des nucléons
considérables (figure 3). au sein du noyau ou, plus précisément, à travers la relation
Au vu du nombre important de paramètres utilisés dans d’Einstein, à l’énergie associée à leur mouvement. D’après
le calcul théorique, et en dépit d’une erreur relative faible l’image classique du noyau comme une goutte liquide de
par rapport aux masses connues (de l’ordre de 10−5 ), cette particules en interaction, on pourrait penser qu’à l’intérieur
divergence pointe clairement vers une insuffisance de fond
des modèles utilisés. En ce qui concerne le statut des résul-
tats théoriques et de notre pouvoir de prédiction, la situation 30
est donc peu satisfaisante aussi bien pour les noyaux légers
que pour les lourds. 20
Bsh (MeV)

10 –

Approche semiclassique – Ordre et chaos


Malgré les difficultés considérables que pose ce pro- 0
blème, si l’on accepte d’analyser les données expérimen-
tales d’un point de vue qualitatif, il existe une approche qui – 10
permet de comprendre assez facilement les variations des
masses avec le nombre de nucléons, et ce pratiquement sans – 20
0 50 100 N 150
aucun paramètre ajustable. Aussi, cette approche permet
une compréhension plus fondamentale des mécanismes en
Figure 4 - Energie de liaison expérimentale des noyaux atomiques en fonc-
jeu au sein du noyau, et fournit une interprétation simple de tion du nombre N de neutrons après soustraction de la partie moyenne
l’écart type de 400-800 keV observé entre les différents (chaque point bleu représente un noyau), comparée à un modèle de cavité
modèles théoriques et l’expérience. sphérique sans (trait noir) ou avec (trait rouge) déformations possibles.

216
Physique statistique

du noyau chaque nucléon subit une sorte de marche aléa- mique. L’étude de ce problème montre que la contribution à
toire produite par les collisions permanentes avec les autres la masse est plus grande quand le mouvement des nucléons
nucléons. La vérité est très différente, car le libre parcours est régulier plutôt que chaotique. Cette remarque n’est pas
moyen des nucléons est plus grand que la taille du noyau. Le anodine, car tout système isolé cherche à minimiser son
mouvement réel de chaque nucléon ressemble plutôt à un énergie. Dans le cas présent, cette minimisation correspond
mouvement libre, rectiligne à l’intérieur de la goutte, avec à rendre la plus grande et négative possible l’énergie Bsh . Le
des collisions élastiques contre sa surface. Ce comporte- noyau a donc intérêt à adapter sa forme de façon à produire
ment est dû à un effet purement quantique, le principe d’ex- une dynamique régulière, qui lui offre les plus grandes cor-
clusion de Pauli, qui limite le nombre d’états accessibles rections de couches, et par conséquent la possibilité de
dans l’espace des phases et, par conséquent, inhibe forte- mieux se stabiliser.
ment la diffusion entre les nucléons. Comme paradigme de champ moyen associé à une dyna-
Le potentiel effectif à l’intérieur duquel se déplacent les mique régulière des nucléons nous considérons une cavité
nucléons est déterminé par un champ moyen. Ce champ sphérique (les nucléons bougent librement à l’intérieur d’une
décrit l’effet des interactions induit sur une particule par sphère, et rebondissent élastiquement contre sa surface). Les
toutes les autres. La taille typique d’un noyau étant compa- orbites périodiques sont dans ce cas bien connues ; certaines
rable à la longueur d’onde de De Broglie du nucléon, il est orbites courtes sont représentées dans la figure 5. La figure 4
indispensable de tenir compte les aspects ondulatoires de montre l’énergie de liaison Bsh obtenue en fonction du
leur mouvement. Il est particulièrement utile de calculer nombre de neutrons pour une cavité sphérique, qui provient
l’énergie de liaison associée aux effets de couches à l’aide essentiellement de l’interférence des orbites périodiques les
d’une théorie semiclassique de la dynamique. Cette théorie plus courtes (une vingtaine de rebonds donnent une bonne
exprime Bsh en termes d’une somme sur toutes les orbites approximation). Le seul paramètre ajusté dans le calcul est la
périodiques d’une particule qui se déplace classiquement valeur de k F R, où R est le rayon de la sphère, qui est légè-
dans le potentiel moyen. Une orbite périodique est une tra- rement différent de celui qui correspond à une sphère dure
jectoire classique qui, après un temps fini, se répète exacte- afin d’incorporer les effets de spin-orbite.
ment. Les propriétés de ces orbites, et par conséquent celles
Ce résultat montre clairement, d’une part, la pertinence
de Bsh , dépendent de la forme du champ moyen. Si ce
de l’assimilation du champ moyen à une cavité sphérique et,
potentiel est modélisé par une cavité à parois parfaitement
d’autre part, que les effets de couches résultent de la super-
réfléchissantes, l’énergie de liaison correspondante Bsh
position des contributions à l’énergie de liaison des orbites
prend la forme simple
périodiques. Comme la densité nucléaire est constante, le
Bsh = p A p sin(k F l p + ν p π/2) , rayon R de la sphère est proportionnel à A1/3 et par consé-
quent toutes les longueurs l p des orbites sont proportion-
où la somme s’effectue sur toutes les orbites périodiques p nelles à A1/3 . Ceci explique pourquoi dans la figure 4 la
de la cavité, k F est le vecteur d’onde à l’énergie de Fermi, longueur d’onde de l’oscillation augmente au fur et à
l p la longueur de l’orbite périodique, A p l’amplitude et v p mesure que le nombre de neutrons augmente. Les minima
une phase. Cette expression établit explicitement la relation observés dans la figure correspondent aux noyaux les plus
entre l’énergie de liaison et la dynamique classique des liés (stables), et aux nombres magiques Nmag . Les pics cor-
nucléons ; le contact se produit à travers un ensemble très respondants proviennent de l’interférence constructive des
particulier de trajectoires, les orbites périodiques. orbites périodiques pour ces valeurs de N. On constate un
Dans toute cavité il existe un nombre infini d’orbites très bon accord entre les nombres magiques observés et les
périodiques. On peut montrer que l’énergie Bsh est particu-
lièrement sensible aux contributions des orbites les plus
courtes, tandis que les orbites longues importent peu. Il
s’ensuit que la structure de l’énergie de liaison des noyaux
peut être décrite par quelques orbites courtes du champ
moyen. Or une propriété cruciale pour le calcul de Bsh est la
stabilité des orbites. Deux types extrêmes de dynamique (2,1) (3,1) (4,1)
sont possibles. Une première possibilité consiste en un mou-
vement régulier, ordonné, des nucléons au sein du noyau,
une sorte de révolution planétaire où chaque nucléon suit
une trajectoire à géométrie simple (prédictible et stable). A
l’autre extrême, on trouve un mouvement chaotique, désor-
donné, imprédictible et instable des nucléons. La présence
de l’un ou l’autre régime va dépendre des corrélations
nucléaires et de la forme du champ moyen. (5,2) (7,2) (7,3)
Il est donc important de déterminer quelles sont les pro- Figure 5 - Exemples d’orbites périodiques d’une cavité sphérique. Les
priétés de la masse associée aux différents types de dyna- indices représentent le nombre de rebonds et l’enroulement autour du centre.

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prédictions du modèle de la sphère dure. En pratique, leur paramètre ajustable, tel que le volume de la zone chaotique
position théorique est assez bien décrite en considérant seu- dans l’espace des phases. La comparaison avec les résultats
lement la contribution de deux orbites, le triangle et le carré de la sphère montre que les contributions à la masse du
(orbites (3,1) et (4,1) dans la figure 5). On trouve dans ce mouvement chaotique sont plus petites que celles du mou-
cas que les nombres magiques sont donnés par l’équation vement régulier. Leur importance diminue en allant vers les
Nmag = ((2n + 1)π/10.77)3 = 9, 18, 33, 55, 84,122,… (n noyaux les plus lourds.
est un entier arbitraire ; le résultat est arrondi à l’entier le
plus proche). Etant donnée la simplicité du modèle, l’accord 1.5
observé avec les nombres magiques expérimentaux, 2, 8,
20, 28, 50, 82, 126 est remarquable.

ECART TYPE (MeV)


Qualitativement, le modèle de la sphère dure est donc
capable de reproduire les caractéristiques principales des 1.0

mesures expérimentales, et illustre bien le lien entre effets


de couches et dynamique des nucléons. Son défaut princi-
pal, clairement visible dans la figure 4, est la surestimation
0.5
des parties positives de Bsh . Un Bsh positif est désavanta-
geux d’un point de vue énergétique, car l’énergie de liaison
B est dans ce cas diminuée par rapport à son comportement
moyen, ce qui rend le noyau moins stable. Pour certaines
0.0
valeurs de N et de Z une forme sphérique n’est pas avanta- 0 50 100 150 200 250
geuse. La solution naturelle pour le noyau est, dans ce cas, A
de se déformer par rapport à la forme sphérique, et ainsi évi-
Figure 6 - Ecart type entre théorie et expérience en fonction de A (points,
ter que Bsh ne soit positif. Ceci explique l’écart soudain
d’après les travaux de Möller et al.), comparée à la taille typique des contri-
observé dans les points expérimentaux par rapport aux pré- butions à la masse liées à une dynamique chaotique des nucléons (trait
dictions du modèle sphérique, par exemple dans l’intervalle continu).
N = 90 − 115 . Une théorie de Bsh qui incorpore les défor-
mations et qui, pour chaque valeur de N, minimise l’éner- Il est naturel de penser que les différents modèles théo-
gie, produit la courbe en rouge de la figure 4. riques qui ont été utilisés jusqu’à présent reproduisent cor-
La contribution à la masse des noyaux atomiques direc- rectement la partie régulière de la masse mais pas la com-
tement liée au mouvement des nucléons est donc bien posante chaotique, car celle-ci traduit vraisemblablement
décrite par des modèles qui supposent une dynamique des effets d’interactions résiduelles, qui sont mal compris
simple et régulière des nucléons. Est-ce que cela signifie actuellement. Ce raisonnement suggère donc de comparer
pour autant qu’il n’y a aucune trace de chaos dans leur mou- σch à l’écart type observé entre les données expérimentales
vement, et par conséquent dans la masse ? Cela serait éton- et les meilleurs calculs théoriques dont on dispose. Ce der-
nant compte tenu de la complexité de la dynamique du nier est, comme nous l’avons vu plus haut, de l’ordre de
noyau et des interactions entre les nucléons. De plus, on sait 400-800 keV. Il montre aussi une dépendance en A
que le chaos est omniprésent dans la nature, et qu’une dyna- (figure 6). Cette figure montre qu’un très bon accord global
mique générique consiste toujours en une coexistence des est obtenu (les méthodes utilisées pour calculer σch sont
deux types de mouvement (certaines trajectoires sont régu- moins précises pour un faible nombre de nucléons).
lières, d’autres chaotiques). Si l’on suppose donc qu’au sein Ce résultat constitue donc une évidence en faveur de l’in-
du noyau la dynamique des nucléons consiste en une coex- terprétation de l’erreur entre théorie et expérience basée sur la
istence des deux mouvements, quelle est l’influence des tra- présence d’une composante « chaotique » dans la dynamique
jectoires chaotiques sur la masse ? La contribution à la des nucléons dans l’état fondamental du noyau atomique.
masse de la composante chaotique sera elle aussi exprimée
comme une somme de termes oscillants en fonction de A,
mais cette fois-ci la somme portera sur les orbites pério-
Conclusion
diques instables et chaotiques. Il est possible de calculer la La masse des noyaux est un paramètre clé dans un
taille typique σch des oscillations liées à ces trajectoires. On nombre important de problèmes de physique et d’astrophy-
obtient, sique. En particulier, dans la nucléosynthèse stellaire la cap-
ture rapide de neutrons par des noyaux riches en neutrons
σch = 2.8/A1/3 MeV . est un processus déterminant pour expliquer la production
d’éléments lourds dans le système solaire. Ces processus
Ce résultat possède plusieurs caractéristiques impor- rapides mettent en jeu des noyaux qu’il est très difficile (ou
tantes : il est basé sur des propriétés globales de tout mou- impossible) de produire en laboratoire. Il est donc important
vement chaotique, et ne requiert aucune précision sur la de disposer de modèles théoriques fiables, ce qui n’est pas
forme exacte du potentiel. De plus, il ne dépend d’aucun le cas actuellement.

218
Physique statistique

Une des contributions importantes à la masse est direc- contribution est plus faible. Cette contribution chaotique est
tement reliée au mouvement des nucléons au sein du noyau. précisément du même ordre de grandeur que la précision
Des liens profonds existent entre les fluctuations de la globale actuelle des meilleurs modèles de masses. Ceci
masse observées expérimentalement en fonction du nombre suggère qu’une échelle d’énergie importante a été atteinte,
de nucléons et leur dynamique. Il y a deux grandes classes où des phénomènes physiques de nature différente se mani-
de dynamiques possibles, la régulière et la chaotique. L’ana- festent. On pourrait penser que cette nouvelle échelle pré-
lyse montre que la contribution principale à la masse vient sente une limitation fondamentale infranchissable pour
d’un mouvement régulier des nucléons ; à ce mouvement notre compréhension. Rien n’est moins sûr. Pour aller au-
régulier se superpose un mouvement chaotique dont la delà, il faudra donc « maîtriser » le chaos.

Pour en savoir plus


MÖLLER (P.), NIX (J.R.), MYERS (W.D.), SWIATECKI (W.J.), Nuclear ground-state masses and deformations, At. Data Nucl.
Data Tables 59 (1995) 185.
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drecht, 2001) ; et Hyperfine Interactions 132 (2001) 1.
BOHIGAS (O.), LEBOEUF (P.), Nuclear Masses: Evidence of Order-Chaos Coexistence, Phys. Rev. Lett. 88 (2002) 092502.
LEBOEUF (P.), MONASTRA (A.G.), Thermodynamics of small Fermi systems: quantum statistical fluctuations, Ann. Phys. 297
(2002) 127.
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LEBOEUF (P.), Regularity and Chaos in the Nuclear Masses, cours donné à Séville, Espagne (2003), nucl-th/0406064.

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