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Moses Mendelssohn,

des hiéroglyphes à l’idolâtrie 1

Gideon Freudenthal

Rares sont les penseurs dont la réputation a essuyé pareil revers que celle
de Mendelssohn. Ce « Socrate allemand » n’est guère plus considéré aujourd’hui
que comme un obscur vulgarisateur. Jadis gratifié du surnom de « Rambaman »
et comparé à Maïmonide (« Rambam ») lui-même, il est désormais dédaigné
comme l’auteur d’un projet incohérent, qui participe au déclin du judaïsme. Même
Alexander Altmann, meilleur spécialiste actuel de sa pensée, et dont on aurait pu
supposer que le jugement eût été bienveillant, ne fait pas grand cas de l’apport
de Mendelssohn à la philosophie juive. À l’en croire, ses opinions étaient cimentées
par ses « allégeances et convictions personnelles » 2 plutôt que par une véritable
cohérence interne.
En quoi l’argumentaire de Mendelssohn en faveur du judaïsme est-il donc
si fragile ? D’après Mendelssohn, le judaïsme n’a pas de théologie propre et refuse
pourtant d’y renoncer. Le judaïsme partage tout simplement les vérités de la
religion naturelle – l’existence de Dieu, la vie après la mort et la providence.
Pourquoi alors se dire juif ? Autant se contenter de professer le déisme. S’il n’est
pas nécessaire de respecter les commandements pour gagner la vie éternelle, pour-
quoi s’en donner la peine ? Le nœud du problème tient à la croyance de Mendels-
sohn, typique des Lumières, en l’égalité de tous les hommes. Il estime inconcevable
que la vie éternelle dépende de la révélation. La révélation a eu lieu à un moment
déterminé, en un lieu déterminé. Comment Dieu pourrait-il gratifier les juifs de
la vie éternelle et condamner tous les autres à périr comme des bêtes pour la seule
raison qu’ils sont nés trop tôt, au mauvais endroit, ou n’ont jamais entendu parler
de la révélation sur le mont Sinaï ? Si Dieu agissait ainsi, il ferait preuve d’injustice.
La vie éternelle, en conclut Mendelssohn, ne saurait dépendre de la révélation.
Elle est le lot commun de tout homme qui croit en Dieu, en l’immortalité de

1. Cet article présente un aperçu de mon ouvrage à paraître. Je remercie la traductrice de


mon article Myriam Dennehy.
2. Alexander Altmann, Moses Mendelssohn. A Biographical Study, Londres, Routledge Kegan
Paul, 1973, p. 518.
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l’âme, en la rétribution et la punition, et qui agit moralement. Par conséquent, à


quoi bon la révélation et l’héritage juif ? Il semblerait que chez lui, rien de parti-
culier ne fasse pencher la balance au profit du judaïsme.
Mendelssohn avance néanmoins un argument décisif en faveur de l’adhésion
au judaïsme et de la pratique de ses commandements – argument que nous allons
précisément mettre ici en évidence. Le peuple juif, en tant que « dynastie de
pontifes et nation sainte », est selon lui bel et bien investi d’une mission qui
consiste à préserver le monothéisme de l’idolâtrie. Une thèse qui découle tout
naturellement de sa théorie de la représentation, et plus particulièrement de sa
théorie du langage. De fait, Mendelssohn consacre une bonne part de la deuxième
partie de Jérusalem à réexposer sa conception du langage et des signes en général.
Si le judaïsme peut servir de rempart contre l’idolâtrie, comme le prétend Mendels-
sohn, c’est précisément qu’il consiste en un ensemble de cérémonies, actes tempo-
raires voués à ne laisser aucune trace sitôt après avoir été performés. Or ce sont
justement les signes permanents, susceptibles d’être confondus avec le contenu
signifié, qui mènent à l’idolâtrie. Voilà en un mot la thèse de Mendelssohn.
À l’exception notable d’un article de Daniel Krochmalnik, ces passages de
Jérusalem n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritent. Il n’est donc pas étonnant que
l’on soit passé à côté de la philosophie du judaïsme tel qu’elle a été élaborée par
Mendelssohn. Par ailleurs, son Biour sur Exode a jusqu’à présent été ignoré, alors
que c’est précisément là que se trouvent les principaux développements sur l’ido-
lâtrie. Derechef, citons Alexander Altmann :
On ne saurait dire que Mendelssohn a défendu de façon convaincante l’idée
que l’abus des signes aurait entraîné l’idolâtrie. [...] L’ « hypothèse » de Mendelssohn
selon laquelle « le besoin de signes écrits est la première cause d’idolâtrie » est la
moins étayée de toutes les théories qu’il a jamais avancées. 3.
Voyons si nous, nous trouverons de quoi étayer la thèse de Mendelssohn.

3. Dans son article ultérieur, « Mendelssohn’s Concept of Judaism reexamined » (in Von der
mittelalterlichen zur modernen Aufklärung, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1987, p. 245), ainsi que dans son
édition de Jerusalem (traduction par Allan Arkush, introduction et commentaire par Alexander
Altmann, Hanovre et Londres, University Press of New England, 1983, p. 223), Altmann note que
cette théorie n’est pas de Mendelssohn, mais qu’il l’aurait empruntée à Warburton (et Tindal). Il ne
cherche cependant pas à en comprendre les motifs. Arnold Eisen (« Divine Legislation as “Ceremonial
Script” : Mendelssohn on the Commandments », in Association for Jewish Studies Review 15, 1990,
pp. 239-267) estime que la discussion sur les hiéroglyphes est « terriblement faible ». Il la trouve
d’ailleurs hors de propos : « Canaan, la Grèce et Rome – les cultures idolâtres qui reviennent le plus
souvent dans la tradition juive – avaient toutes un alphabet », et non des hiéroglyphes (p. 255).
Arkush souscrit à cette remarque et juge cette théorie « purement conjecturale » (Allan Arkush,
Moses Mendelssohn and the Enlightenment, State University of New York Press, 1994, p. 211).
Lawrence Kaplan (« Maïmonides and Mendelssohn on the Origins of Idolatry, the Election of Israel,
and the Oral Law », in Perspectives on Jewish Thought and Mysticism, pp. 423-455) évoque « l’évi-
dente faiblesse de la théorie de Mendelssohn » (p. 425), il souscrit lui aussi au jugement d’Altmann,
et explique « les faiblesses de la thèse de Mendelssohn » par la « disparité entre des moyens limités
et des fins grandioses » (pp. 440-441), étant donné que Mendelssohn prétendait également expliquer
par cette même théorie la supériorité de la loi orale. Aucun de ces critiques n’a consulté Warburton
ni le commentaire de Mendelssohn sur le Pentateuque.
Moses Mendelssohn 71

Le péché du Veau d’or


Dans la deuxième partie de Jérusalem 4, Mendelssohn esquisse sa théorie du
lien entre représentation et idolâtrie. Cette théorie est fondée sur les meilleurs
travaux ethnographiques et historiques de son époque : Mendelssohn témoigne
d’une solide érudition en ce qui concerne l’Égypte ancienne et les représentations
pré-alphabétiques des Indiens 5. Il retrace l’évolution progressive de la représen-
tation, du concret jusqu’à l’abstrait. Dans un premier temps, les concepts abstraits
étaient représentés par les « choses mêmes ». Un lion, par exemple, représentait
la bravoure, un chien la fidélité, etc. 6. Par la suite, ces choses allaient être rempla-
cées par leurs « images », à leur tour remplacées par des « esquisses », jusqu’à ce
qu’une combinaison de ces esquisses forme ce qu’on appelle les « hiéroglyphes » 7.
Ces représentations concrètes sont problématiques dans la mesure où, si on mécon-
naît leur fonction symbolique, on peut croire que l’image est dotée d’une signifi-
cation intrinsèque (nous développerons cela plus loin), au lieu de la considérer
comme une simple représentation de quelque chose d’entièrement différent d’elle.
Voici ce que Mendelssohn dit des hiéroglyphes :
D’un côté le malentendu, de l’autre l’abus transformèrent ce qui devait être
l’amélioration de la condition humaine en décomposition et aggravation. [...] À la
suite du malentendu : la grande masse des hommes n’était pas du tout, ou n’était
qu’à moitié, renseignée sur les concepts à lier aux signes sensibles. Elle ne prenait
pas les signes pour de simples signes mais pour les choses elles-mêmes 8.
L’ésotérisme de ces étranges hiéroglyphes prêtait d’ailleurs à la supercherie
des érudits. Mendelssohn estime par conséquent que la « grande masse des
hommes » est incapable de percevoir la nature arbitraire et purement convention-
nelle des signes abstraits, du moins dans le domaine religieux, et qu’elle réclame
des images plutôt que des concepts abstraits. Il s’inquiète également de ce qu’une
catégorie d’érudits puisse ainsi tirer profit de l’ignorance du commun des mortels.
C’est là une tendance constante de la société humaine, que l’on doit s’efforcer de
contrecarrer.
L’exemple typique d’idolâtrie est le péché du Veau d’or. C’est là un motif
crucial pour l’explication juive de l’idolâtrie. Les commentateurs juifs ont en effet
souligné la nature indubitable de la révélation sur le mont Sinaï qui aujourd’hui
encore légitime l’autorité religieuse. Mais s’il s’agissait bien là d’un phénomène
indubitable, pourquoi les Juifs se sont-ils empressés de retomber dans l’idolâtrie
à peine Moïse avait-il le dos tourné ? Voici ce qu’en dit Mendelssohn :

4. Alexander Altmann, Moses Mendelssohn, 1973, p. 546 (cf. note 2). N. d. T. : Tout au long
du présent article, les références à Jérusalem renvoient à la traduction de Dominique Bourel, Paris,
Les Presses d’aujourd’hui, 1982. Les translittérations de l’hébreu à l’alphabet latin dans cet article
sont dues à Nicolas Weill.
5. Cf. son jugement sur Corneille de Pauw, Recherches sur les Américains, 2 vol., Berlin,
G. J. Decker, 1768-1769, in Lettre à Joh. David Michaelis datée du 10 avril 1771.
6. Mendelssohn s’inspire manifestement ici de la théorie de Lessing sur la fable.
7. Jérusalem, p. 147.
8. Ibid., p. 150.
72 Haskala et Aufklärung

Dans les premiers jours de la législation si miraculeuse, la nation retomba déjà


dans la folie pécheresse des Égyptiens et voulut une idole (Thierbild). [...] Israël,
voilà tes dieux, ô Israël, qui t’ont fait sortir d’Égypte ! 9
L’idolâtrie égyptienne présente ainsi un double aspect. Non seulement les
Juifs sont retombés dans l’idolâtrie des Égyptiens qui vouaient un culte aux images
d’animaux (et non aux animaux réels), mais les hiéroglyphes égyptiens eux-mêmes
favorisent l’idolâtrie en ce qu’ils se prêtent à être perçus comme sacrés en eux-
mêmes. Telle est en résumé la théorie de Mendelssohn, que peu de lecteurs ont
voulu prendre au sérieux. En effet, qui irait prendre une image pour la chose
qu’elle dépeint, l’image d’un lion pour un lion ? Il faudrait être fou pour craindre
d’être mordu par l’image d’un lion ! Si ses détracteurs avaient pris la peine de
consulter son commentaire sur Exode, ils auraient pourtant bien vu que Mendels-
sohn lui-même ne dit pas autre chose :
Personne sur terre n’est assez idiot pour croire que l’or qui ornait jusqu’alors
leurs oreilles et qui vient d’être fondu dans l’idole d’un veau est Celui qui les a
délivré d’Égypte. En revanche, ils disent que c’est le pouvoir (Koah) de cette forme
et l’esprit (Rouah) contenu en elle qui les a délivrés. Voilà véritablement l’erreur de
tous les idolâtres de bois et de pierre, créations des mains humaines 10.
Croire que les signes sont les choses mêmes ne suppose donc pas qu’ils soient
identiques ou aient les mêmes propriétés ; cela suppose que le signe partage le
pouvoir et l’esprit de ce qu’il représente. Qu’est-ce à dire ?
Au début de son commentaire d’Exode 32, Mendelssohn annonce qu’il va
suivre la lecture d’Hallévi (Kuzari I, 92-98) ainsi que les commentaires de Nach-
manide et Ibn Ezra (Commentaire d’Exode 32 :1). Ces commentateurs dont se
réclame Mendelssohn interprètent tous trois le péché du Veau d’or comme une
tentative impie de magie astrale 11. Mendelssohn commence par reprendre large-
ment l’interprétation d’Hallévi. Quand Moïse entreprend l’ascension du mont
Sinaï, le peuple s’attend à ce qu’il en ramène des signes tangibles du Dieu révélé,
comme ce sera le cas plus tard : les tablettes dans le sanctuaire devaient être
placées à l’intérieur du tabernacle, sur lequel vient se poser une nuée. Il s’agit là
de phénomènes bien perceptibles. Le peuple avait besoin d’objets tangibles pour
soutenir le récit des miracles de son Dieu. Ce désir n’est pas condamnable en soi.
Mais on y devine l’influence des astrologues et fabricants d’amulettes. 12
Israel Zamosc Halevy, le maître de Mendelssohn, dont ce dernier avait reco-
pié de sa main le commentaire sur Kuzari, voyait là une référence à ceux qui
tentent d’« attirer la plénitude divine » (horadat chèf’a èlohit) à l’aide d’une « image

9. Jérusalem, p. 173.
10. Mendelssohn, Commentaire d’Exode, 32.4. Là aussi, Mendelssohn suit son maître Zamosc.
Cf. son commentaire sur Kuzari I, 98.
11. Sur l’opposition d’Hallévi, Abrabanel et Nachmanide aux formes idolâtres de la magie
astrale et leurs références à ces formes en accord avec leur compréhension du judaïsme, voir Dov
Schwartz, Astral Magic in Medieval Jewish Thought (hébr.), Ramat-Gan, Bar-Ilan University Press,
1999.
12. Kuzari, I,97.
Moses Mendelssohn 73

faite pour le culte des cieux » (Ozar Nechmad, ad locum) 13. Maïmonide lui aussi
établit un parallèle entre la vénération égyptienne pour les animaux, ou plutôt
leurs images, et la constellation astrale correspondante. Les anciens Égyptiens,
explique-t-il, « adoraient la constellation du Bélier ; c’est pourquoi il était interdit
chez eux d’immoler les brebis » 14. R. Abraham, le fils de Maïmonide, rapporte
l’interprétation de son père selon laquelle le peuple d’Israël partageait la croyance
des astrologues qui faisaient remonter l’Exode au signe du Taureau 15. D’après
Mendelssohn, et conformément à un large courant de la tradition hébraïque, le
péché du Veau d’or consiste donc en une pratique de magie impliquant la constel-
lation du Taureau. Entre « veau » et « taureau », la proximité est évidente :
« veau » et « bœuf » pouvaient faire emploi de synonymes, comme en témoignent
les Psaumes à propos du péché du Veau d’or, et le signe du Taureau a la forme
d’un veau ou d’un bœuf 16. À l’instar de nombreux commentateurs, Mendelssohn
estime que la tentation idolâtre des Israélites ne consistait pas tant à rendre un
culte aux étoiles au lieu de le rendre à Dieu. Au terme des quarante jours d’absence
de Moïse, ce n’est pas un autre dieu que le peuple appelle de ses vœux, mais « un
autre Moïse », « un nouveau guide », « qui soit là pour rester et ne disparaisse
pas comme lui ». Une fois adoptée cette image, le peuple voulut s’essayer à la
magie astrale en invoquant les forces du Taureau sous les traits du Veau d’or.
Comme bien d’autres commentateurs avant lui, Mendelssohn voit dans le signe

13. C’est aussi l’explication que donne Maïmonide dans son interprétation du mot tsèlèem
(image, forme, mais aussi idole). Il prétend que les idoles ne sont pas appelées tsèlèm en raison de
leur forme (bien que celle-ci puisse jouer un rôle dans leur fonction), mais en raison de leur « forme »
au sens aristotélicien, de leur essence, qui, comme le croient les idolâtres, attire l’« émanation » des
astres. Cf. Sarah Klein-Braslavy, Maïmonides’ Interpretation of the Adam Stories in Genesis (hébr.),
Jérusalem, Ruben Mass, 1986, chapitre 1, pp. 13-22.
On constate un certain nombre de similarités entre les positions de Maïmonide et celles de
Mendelssohn sur l’idolâtrie. Voir : Kaplan, « Maïmonides and Mendelssohn on the Origins of Idola-
try, the Election of Israel, and the Oral Law », in Perspectives on Jewish Thought and Mysticism,
pp. 424-455. Cependant, je doute que « le chapitre premier des Lois sur l’idolâtrie de Maïmonide
constitue la source sous-jacente du passage que Mendelssohn consacre dans Jérusalem à la législation
divine comme « écriture cérémoniale » (p. 439). Kaplan se réfère uniquement à Jérusalem de Mendels-
sohn, et non à ses développements sur le péché du Veau d’or ou aux opinions d’autres contemporains
tels que Warburton. Et quand bien même chacune de ses phrases proviendrait-elle de sources
antérieures, la synthèse d’une théorie globale et cohérente ne resterait pas moins le fait de
Mendelssohn.
14. Maïmonide, Guide des égarés, III, § 46, trad. S. Munk, Maisonneuve & Larose, 2003,
p. 362. D’après Maïmonide, l’image invoquée dans la magie astrale ne doit pas nécessairement être
semblable aux étoiles en question. Cf. son commentaire sur la Mishna, « Idolâtrie », chapitre 3,
mishna 3.
15. Commentaire sur Exode 32 :4. Cf. M. Kasher, Torah Shlema (reprint en 12 vol.), Jérusalem,
1992-1996, notes à Exode 32, vol. 6, p. 90. Cette interprétation était largement partagée. Cf. Kasher,
Supplementa, vol. 6, pp. 206-212. Cf. aussi Maïmonide, « Idolâtrie », chapitre 1.
Nachmanide tente une interprétation alternative. Se référant à Ezéchiel 1 :10 (ainsi qu’à Chemot
Rabba, 42), il suggère que les pouvoirs suprêmes censés être attirés vers la figure étaient ceux du
Charriot divin, également associé à un bœuf. Voir aussi Kimchi à propos d’Ezéchiel 1 :28.
16. Psaume 106 :19-20 : « Ils firent un veau en Horeb, ils se prosternèrent devant une image
de fonte, ils échangèrent leur gloire contre la figure d’un bœuf qui mange l’herbe ».
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l’aboutissement d’un processus : d’abord le désir innocent de produire un objet


visible quand on se réfère au dieu invisible, puis l’attribution de pouvoirs divins
à cette idole, et enfin la violation du strict monothéisme (chitouf). Le peuple
reconnaît qu’il n’y a qu’un seul Dieu suprême, mais conserve parallèlement
plusieurs « chefs » divins. En un mot : l’idolâtrie commence avec l’attribution de
propriétés divines ou de sainteté à des objets matériels.

Les symboles religieux


Il me semble que Mendelssohn a fait preuve d’une grande perspicacité en
plaçant la clé de l’idolâtrie dans la compréhension de la fonction symbolique, de
la relation entre le signifiant et le signifié. Plusieurs générations plus tard, Ernst
Cassirer, en héritier de l’esprit des Lumières que la sémiotique intéressait autant
que la philosophie, allait suggérer que la différenciation entre signifiant et signifié
est en mesure d’opérer la distinction entre le mythe et la religion 17. Dans sa
phénoménologie de la religion, Van der Leeuw soulignera également ce rapport
entre signifiant et signifié, et maintiendra qu’une religion digne de ce nom a besoin
de « symboles » qui ne soient pas arbitraires.
Le symbole est ainsi une participation du sacré dans sa forme véritable, réelle :
entre le sacré et sa forme, il y a communauté d’essence. La différence entre symbole
authentique et symbole modernisé trouve son expression la plus manifeste dans la
conception de l’eucharistie : le pain et le vin signifient-t-ils le corps et le sang du
Christ, ou bien le sont-ils aussi 18 ?
Ce que Van der Leeuw appelle ici « symbole » recoupe exactement l’intention
de Mendelssohn quand il dit de l’idolâtrie qu’elle prend le signe « non pour un
simple signe », mais pour la « chose même ». 19 Dans le symbole, signifiant et
signifié ne se distinguent pas nettement. Une communauté d’essence s’instaure
entre eux, le symbole partageant « le pouvoir et l’esprit » de la chose symbolisée.
En synthétisant les intuitions de Mendelssohn, de Cassirer et de Van der Leeuw,
il ressort que la religion ne peut pleinement surmonter le mythe, ni être totalement
libérée de l’idolâtrie.
Ayant ainsi évoqué, dans les grandes lignes, comment Mendelssohn com-
mente le péché du Veau d’or, nous pouvons à présent nous pencher sur son
interprétation des hiéroglyphes. L’association entre idolâtrie et hiéroglyphes est
tellement prégnante chez Mendelssohn qu’elle s’exprime jusque dans sa traduction

17. Ernst Cassirer, Philosophie des formes symboliques, vol. 2 : La Pensée mythique, traduit
par Jean Lacoste, Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 280 : « C’est la religion qui effectue cette
rupture, qui est étrangère au mythe en tant que tel : lorsqu’elle utilise des images sensibles et des
signes, elle les connaît comme tels, c’est-à-dire comme des moyens d’expression qui, en révélant tel
ou tel sens, restent nécessairement en recul par rapport à lui, “renvoient” à ce sens, sans jamais le
saisir intégralement et sans jamais l’épuiser ».
18. G. Van der Leeuw, Religion in Essence and Manifestation, New York, Harper Torchbooks,
1963, p. 448.
19. Jérusalem, p. 150.
Moses Mendelssohn 75

du Pentateuque, et n’est pas cantonnée à la glose. Dans son commentaire d’Exode


20 :22 (le deuxième commandement), Mendelssohn renvoie ainsi à Lévitique 26 :1 :
Ne vous faites point de faux dieux ; n’érigez ni image ni monument, et ne
mettez point de pierre symbolique dans votre pays (Evène maskit) pour vous y
prosterner.
Mendelssohn traduit :
Macht euch keine Götzen, errichtet kein Bild, kein Denkmal, und duldet in
eurem Lande keinen Stein mit Bilderschrift zur Verehrung 20.
Il interprète donc ce deuxième commandement comme se référant explici-
tement aux hiéroglyphes (Bilderschrift). Dans une note à ce passage, Mendelssohn
rappelle que les sages égyptiens avaient recours aux hiéroglyphes pour consigner
les choses qu’ils voulaient cacher au peuple, auquel ils faisaient croire qu’il s’agis-
sait là de figures sublimes dignes de vénération, afin de susciter pour elles (et par
ricochet pour eux-mêmes) le plus grand respect 21. C’est exactement ce qu’il expli-
que aussi dans Jérusalem. Dans le Lévitique, cette interprétation des hiéroglyphes
comme forme d’idolâtrie s’appuie sur la traduction et l’explication du mot
Hartome, tel qu’il apparaît dans des expressions comme hartoumey mitsrayim dans
la Genèse et l’Exode. Là où la version King James traduit hartoumim par « magi-
ciens d’Égypte », Mendelssohn le traduit quant à lui par Bilderschriftkundige,
« experts en hiéroglyphes » 22 ou encore « magiciens ». L’explication en est donnée
dans le commentaire du premier de ces versets : d’après Mendelssohn, hartome
vient de hèrèt, qui désigne un instrument de gravure.
Et nous savons qu’aux commencements de l’écriture toutes les choses et les
idées étaient écrites au moyen de dessins et de gravures appelés hiéroglyphes ou
écriture picturale (Hieroglyphen oder Bilderschrift) ; cette écriture était pratiquée par
les sages d’Égypte, qui grâce à elle dissimulaient leur savoir scientifique, leur méca-
nique et leur magie (hokhmat ha-tolédot vé-ha-tarboulot vé-ma’asèh ha-kéchafime) aux
yeux du commun des mortels, puisque seuls les prêtres et les chefs du peuple les
comprenaient, et à ce jour personne n’a réussi à les interpréter. Le hartome désignait
sans doute celui qui comprenait ces dessins et gravures, celui qui savait comment
les utiliser et les interpréter de façon adéquate : c’était donc là les sages, les magiciens,
les nécromanciens d’Égypte.
Aaron lui aussi utilise un hèrèt pour façonner le Veau d’or. Dans Exode
32 :3-4, on peut lire que les Hébreux lui avaient apporté les anneaux d’or qui
étaient à leurs oreilles :
Celui-ci les reçut de leurs mains, façonna l’or au burin et en coula la statue
d’un veau. Alors le peuple s’écria : Voici ton dieu, Israël, qui t’a fait sortir d’Égypte !

20. Luther : « Ihr sollt euch keinen Götzen machen noch Bild, und sollt euch keine Säule
aufrichten, noch keinen Malstein setzen in eurem Lande, daß ihr davor anbetet ; denn ich bin der
Herr, euer Gott ».
21. Voir l’ajout de Mendelssohn en marge du commentaire du passage en question.
22. Voir Genèse 41/8, Exode 7/11, 22.
76 Haskala et Aufklärung

Commentant ce verset, Mendelssohn revient sur le hèrèt : « Un outil d’orfè-


vrerie qui sert à graver des formes dans l’or, tout comme la plume du scribe trace
des lettres sur les tablettes et les livres » 23.
Les hartoumim sont donc des scribes, des sages et des magiciens qui utilisent
un hèrèt, un burin, d’où leur nom, pour graver ou tracer des hiéroglyphes. Ils
peuvent utiliser la magie pour attirer « la plénitude divine », en traçant par exem-
ple l’image d’un veau pour invoquer les pouvoirs divins de la constellation du
Taureau. Prenons le signe du Taureau et comparons-le à l’ancien aleph , ou
au ‫ א‬plus tardif. Dans les deux cas, il s’agit là de pictogrammes ou d’« esquisses »
d’un taureau, qu’ils proviennent l’un de l’autre ou d’une source commune ou bien
qu’ils soient indépendants l’un de l’autre. Mendelssohn suggère que la révélation
est contemporaine de la transition entre hiéroglyphes et écriture alphabétique, et
que l’alphabet hébraïque dérive de pictogrammes hiéroglyphiques. Le picto-
gramme du veau représentait initialement un veau, puis ce même pictogramme
(ou une de ses variantes stylisées) a représenté la syllabe initiale du mot « veau »
ou taureau. Désormais, « taureau » se dit en hébreu alouf ou èlèf, qui s’écrit
exactement pareil que la lettre « aleph » (voir Deutéronome 7 :13, 28 :4, 18, 51).
Ce signe est donc soit un pictogramme désignant le taureau, soit déjà la lettre de
l’alphabet « aleph » représentant la syllabe « ‫ » א‬par laquelle commence le mot
alouf ou èlèf, taureau. Le péché du Veau d’or consiste à employer un pictogramme
du veau ou un aleph (si tant est qu’ils puissent se distinguer l’un de l’autre) pour
se référer à la constellation du Taureau, afin d’invoquer des forces divines par le
biais de l’affinité entre les étoiles et cette représentation, ou de mettre ces pouvoirs
au service des hommes.
Dans son commentaire du Deutéronome, Mendelssohn résume sa théorie en
ces termes :
Je vous ai déjà parlé de la coutume des anciennes nations (qui ne connaissaient
pas encore l’art de l’écriture) consistant à graver des formes, des images et diverses
figures, chacune désignant quelque chose dont elles voulaient informer la postérité.
Les sages, ceux qui avaient des connaissances historiques, savaient à quoi faisaient
référence chacune de ces figures ; comme nous l’avons déjà dit dans notre commen-
taire, parmi eux se trouvaient les hartoumime d’Égypte et les sages capables d’inter-
préter ces figures et d’annoncer ce qu’ils voyaient en elles. Au début, ces formes
n’étaient que des signes d’écriture se référant à quelque chose, semblables aux lettres
de notre alphabet qui n’ont aucune signification intrinsèque mais ne font que signifier
(chéeyne bahème horaa átsmit ki ime horaa simanit). Mais, au fil du temps et de la
dégradation des Ages, ces hartoumime ont leurré la foule avec des opinions corrom-
pues et des faussetés, ils ont prétendu que ces figures avaient une signification
intrinsèque, ils leur ont attribué des qualités occultes et des effets mensongers. Et
de là vient l’erreur des idoles et des talismans qui, comme on le sait, égarent la
plupart des gens sur des chemins tortueux et les poussent à des actes révoltants, à
l’exception des patriarches et de leurs fils que Dieu, béni soit-Il, a désignés comme

23. Dans son commentaire, Mendelssohn suggère pour traduction quelques mots allemands :
Ziesel, Meissel et Grabstichel.
Moses Mendelssohn 77

peuple élu et auxquels Il a donné la Torah et les Mitzwot pour les prémunir contre
ces choses révoltantes 24.
Torah et Mitzwot, piliers de la « loi cérémonielle », forment donc un rempart
contre l’idolâtrie.

La « loi cérémonielle », rempart contre l’idolâtrie


Le judaïsme n’a pas de théologie propre, affirme Mendelssohn. Ses vérités
éternelles, communes à toutes les religions, ne sont autres que celles de la religion
naturelle. Le judaïsme se caractérise en outre par un ensemble de vérités histori-
ques et de « législation révélée », ou « loi cérémonielle ». Les vérités historiques
du judaïsme forment le récit de l’élection d’Israël comme « dynastie de pontifes
et nation sainte » 25, de sa conduite ultérieure et de son destin. La « loi cérémo-
nielle » prescrit seulement des actions (97 ; 102) :
Je crois que le judaïsme ne connaît pas de religion révélée au sens où les
chrétiens l’entendent. Les Israélites ont une législation divine : lois, injonctions, règles
de vie [...] ; mais on ne nous a pas révélé des doctrines, des vérités salvifiques ni
d’axiomes raisonnables universels (Jérusalem, p. 123) 26.
Et pourtant, la religion « n’exige les actions que dans la mesure où elles
mènent à des convictions » (Jérusalem, p. 103). Si le judaïsme présente l’avantage
de ne pas avoir d’ « articles de foi » mais seulement des cérémonies, Mendelssohn
n’en maintient pas moins que des convictions sur la signification religieuse des
rites, des convictions théologiques, sont indispensables à l’application de la loi
religieuse. Sans de telles convictions, nous pouvons suivre la loi de l’État mais
non la loi religieuse.
L’État se contente à la rigueur des actions mortes, des œuvres sans esprit, de
l’harmonie dans l’agir sans l’harmonie dans les pensées. Celui qui ne croit pas aux
lois doit agir selon la loi dès qu’elle entre en vigueur. [...] Ce qui n’est pas le cas
en matière de religion, bien au contraire ! Celle-ci ne connaît pas d’action sans
conviction, pas d’œuvre sans esprit, pas d’harmonie dans l’agir sans harmonie dans
le sens. Actions religieuses sans pensée religieuse sont un jeu vide de marionnettes,
non un culte 27.

24. La note de Mendelssohn au commentaire sur Nombres 15 :37(8)-41


25. Exode, 19 :6.
26. La distinction bien tranchée de Mendelssohn entre « opinions doctrinales » et « comman-
dements » est contestable. Mendelssohn prétend que la voix qui se fit entendre sur le mont Sinaï ne
disait pas : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, l’être nécessaire et autonome qui est toute-puissance et
omniscience, celui qui récompense les hommes selon leurs actes dans une vie future » (Jérusalem,
p. 133). C’est certainement vrai. Mais qu’en est-il du verset 6 :4 dans le Deutéronome ? « Écoute
Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un ». Il s’agit assurément là d’une assertion à propos de
Dieu et une vérité éternelle, et il est pourtant considéré comme un commandement. Sèfèr Ha-hinoukh
le met même au nombre des 613 commandements (417 et 418) et Maïmonide l’inclut en deuxième
position de ses treize principes. La distinction entre vérités éternelles et commandements est peut-être
moins nette que ne le souhaitait Mendelssohn.
27. Jérusalem, p. 70. Cf. Kuzari, II, 24.
78 Haskala et Aufklärung

Cependant, comme le remarque Mendelssohn dans un autre contexte, la


langue hébraïque ne dispose d’aucun mot pour « religion ». En effet, dat, din et
Torah signifient respectivement la loi et l’enseignement, non la croyance 28. Le terme
généralement usité pour traduire « foi » en hébreu signifie en réalité « confiance »,
« abandon » 29. Il semblerait qu’il y ait là une contradiction : d’un côté Mendels-
sohn soutient que le judaïsme se résume à des actions prescrites ; d’un autre, il
stipule que, pour valoir comme actions religieuses, elles doivent être motivées par
des pensées religieuses. Cette contradiction apparente trouve néanmoins sa réso-
lution : si Mendelssohn exige des pensées religieuses, il n’en donne pas de défi-
nition spécifique. Les actions religieuses sont prescrites, les pensées religieuses
sont libres – il suffit qu’elles soient présentes. Cette conception est lourde de
conséquences. Mais commençons par examiner la loi cérémonielle elle-même.
Dans Jérusalem, Mendelssohn pose une équivalence tacite entre les « pres-
criptions et ordonnances » du judaïsme et la « loi cérémonielle » 30, autrement dit
les prescriptions portant sur des actions solennelles accomplies dans le cadre d’un
rite religieux. Il passe sous silence des centaines d’autres commandements du
judaïsme qui n’ont trait ni aux cérémonies ni à l’ordre moral ou social mais
régissent les détails infimes de la vie quotidienne des juifs pratiquants : lois alimen-
taires, prescriptions vestimentaires, le pur et l’impur, etc. Tous les exemples de
« prescriptions et ordonnances » cités dans Jérusalem concernent exclusivement
les cérémonies. Mendelssohn joue ici de l’ambiguïté de la formule « lois cérémo-
nielles », qui au sens large peut englober l’ensemble des règles et prescriptions
religieuses, mais au sens restreint concerne uniquement les cérémonies 31. Ainsi, la
définition que Mendelssohn donne des lois cérémonielles en tant que signes,
destinés à nous rappeler l’existence de Dieu, Sa providence et Son lien au peuple
juif 32, ne s’applique guère aux commandements qui ne relèvent pas des cérémo-
nies.
Mendelssohn a-t-il choisi de se concentrer sur les commandements rituels au
motif qu’il avait une bonne explication à en fournir ? Ou est-ce qu’il tenait à
préserver le rituel juif mais pas les autres commandements qui pèsent lourdement
sur le quotidien des juifs pratiquants et entravent leur commerce avec les non-
Juifs ? Quoi qu’il en soit, jamais Mendelssohn n’invoque la valeur intrinsèque d’un

28. Cf. An die Freunde Lessings, JubA III.2, p. 197.


29. Jérusalem, pp. 136-137.
30. Mendelssohn aurait emprunté le terme à Spinoza (cf. Altmann, Jerusalem, pp. 220-221,
voir note 2)
31. Cette ambiguïté avait sans doute des conséquences sur les relations entre les autorités
étatiques et les communautés juives. Les Juifs se plaignaient que les tribunaux d’État statuaient sur
des affaires relevant de la loi cérémonielle, tandis que l’État maintenait que les rabbins devaient
statuer sur des affaires relevant des finances. Il semble que chaque parti ait compris la formule « loi
cérémonielle » différemment : les rabbins au sens large, l’État au sens restreint. Voir Azriel Shohet,
Beginnings of the Haskalah (hébr.), Jérusalem, Bialik, 1960, pp. 87-88, et note 81, p. 292.
32. On trouvera une excellente discussion des « raisons des commandements » selon Mendels-
sohn dans Isaac Heinemann, Ta’amey Hamitzwot be-sifrut Israel, 2 vol., Jérusalem, Jewish Agency,
4e édition, 1956, vol. 2, pp. 9-46.
Moses Mendelssohn 79

commandement comme raison pour le mettre en application. Certains comman-


dements nous rappellent d’importantes vérités religieuses, d’autres sont appliqués
simplement parce qu’ils ont été ordonnés par Dieu 33. Les commandements ne
sont pas des sacrements. Il n’y a rien de sacré en eux en tant que tels. C’est là
une critique radicale des courants influents du judaïsme (inspirés par la Kabbale,
notamment) qui imposent leur compréhension implicite et explicite du rituel. Cette
critique de Mendelssohn apporte une contribution importante à l’esprit des Lumiè-
res appliqué au mythe et à la pratique religieuse.
La loi cérémonielle est un ensemble d’actions qui renvoient à des pensées
religieuses (sans détermination précise). C’est une « écriture vivante », pleine de
sens :
La loi cérémonielle elle-même est une sorte d’écriture vivante, éveillant l’esprit
et le cœur, elle est pleine de sens et provoque sans relâche l’observation et donne
lieu et occasion à l’enseignement oral 34.
Plus important encore, une fois les cérémonies accomplies, elles ne laissent
derrière elles aucun objet résiduel. Rien ici qui prête à l’abus et à l’idolâtrie.
Contrairement à sa réputation, la philosophie du judaïsme élaborée par Mendels-
sohn est solidement ancrée sur une synthèse de sa sémiotique, de son érudition
biblique (médiévale aussi bien que contemporaine) et de son ethnographie.
Mendelssohn envisage un judaïsme éclairé, opposé à l’idolâtrie et au mythe,
permettant au peuple juif d’honorer sa mission de « dynastie de pontifes et nation
sainte » (Exode 19 :6, mamlèkhèt kohanime vé-goy qadoche). Voilà précisément la
raison d’être du judaïsme, malgré son absence de théologie propre. Le judaïsme
éclairé sert de rempart contre l’idolâtrie qui menace les autres nations et le
judaïsme même. Il ne nie pas les droits égaux des non-Juifs, mais interprète
l’élection d’Israël comme impliquant des devoirs particuliers, non des privilèges
supplémentaires. Mendelssohn a intégré la philosophie des Lumières, la philoso-
phie juive médiévale et les commentaires bibliques pour élaborer une philosophie
globale du judaïsme. C’est bien là un projet systématique, cohérent et digne
d’intérêt.

Traduit de l’anglais par Myriam Dennehy

33. Si Mendelssohn n’évoque jamais cette distinction dans Jérusalem, dans son commentaire
de la Bible en revanche il s’interroge sur la raison des commandements qui ne sont pas des « signes »,
comme par exemple l’interdiction de cuire un agneau dans le lait de sa mère (Exode 23 :19). Les
justifications de cette interdiction par des raisons rationnelles ne sont selon lui « que de très subtiles
présomptions sans fondements et inacceptables dans le cœur ». Dès lors que nous avons accepté le
joug de Sa royauté, dit Mendelssohn, nous sommes tenus de faire Sa volonté, et le bénéfice des
commandements réside dans leur application plutôt que dans la connaissance de leurs raisons.
34. Jérusalem, pp. 136-137.

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