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Le chronotope de Mikhaïl Bakhtine dans

Esthétique et théorie du roman(1978)

Notes essentielles

Troisième étude

FORMES DU TEMPS ET DU CHRONOTOPE DANS LE ROMAN

(ESSAIS DE POETIQUE HISTORIQUE)

Le chronotope (p.235)

Nous appellerons chronotope, ce qui se traduit, littéralement, par « temps-espace » : la corrélation


essentielle des rapports spatio-temporels, telle qu’elle a été assimilée par la littérature…

Ce qui compte pour nous, c’est qu’il exprime l’indissolubilité de l’espace et du temps (celui-ci
comme quatrième dimension de l’espace). Nous entendrons chronotope comme une catégorie
littéraire de la forme et du contenu, sans toucher à son rôle dans d’autres sphères de la culture.

Dans le chronotope de l’art littéraire a lieu la fusion des indices spatiaux et temporels en un tout
intelligible et concret. Ici, le temps se condense, devient compact, visible pour l’art, tandis que
l’espace s’intensifie, s’engouffre dans le mouvement du temps, du sujet, de l’histoire. Les indices
du temps se découvrent dans l’espace, celui-ci est perçu et mesuré d’après le temps. Cette
intersection des séries et cette fusion des indices caractérisent, précisément, le chronotope de l’art
littéraire.

Observations finales (p.384)

Le chronotope détermine l’unité artistique d’une œuvre littéraire dans ses rapports avec la réalité…
en art et en littérature toutes les définitions spatio-temporelles sont inséparables les unes des autres,
et comportent toujours une valeur émotionnelle…

L’art et la littérature sont imprégnés de valeurs chronotopiques, à divers degrés et dimensions. Tout
motif, tout élément privilégié d’une œuvre d’art, se présente comme l’une de ces valeurs.
La rencontre / la route

Dans la première étude il était question du chronotope de la rencontre, où prédomine la nuance


temporelle, et qui se distingue par un fort degré d’intensité et de valeur émotionnelle. Le chronotope
de la route, qui lui est lié, est plus étendu, mais moins chargé en intensité émotionnelle. Dans le
roman, les rencontres se font, habituellement, « en route », lieu de chois des contacts fortuits. Sur
« la grande route » se croisent au même point d’intersection spatio-temporel les voies d’une
quantité de personnes appartenant à toutes les classes, situations, religions, nationalités et âges.

(p.385) Là peuvent se rencontrer par hasard des gens normalement séparés par une hiérarchie
sociale, ou par l’espace, et peuvent naître toutes sortes de contrastes, se heurter ou s’emmêler
diverses destinées. Les séries des destins et de la vie de l’homme sous leur aspect spatio-temporel
peuvent y connaître des combinaisons variées, compliquées et concrétisées par des distances
sociales, ici dépassées. En ce point se nouent et s’accomplissent les événements. Il semble qu’ici le
temps se déverse dans l’espace et y coule ( en formant des chemins), d’où une si riche
métaphorisation du chemin et de la route : « le chemin de la vie », « prendre une nouvelle route »,
« faire fausse route », et ainsi de suite… Les métaphores ont variées, et de divers niveaux, mais leur
noyau initial, c’est le cours du temps.

La route

La route est particulièrement propre à la représentation d’un événement régi par le hasard (mais
pour d’autres également). ..

Dans un roman tel que le Parzifal, de Wolfram von Eschenbach, le chemin réel pris par le héros
pour se rendre à Monsalvat, devient insensiblement une métaphore de la route, du chemin de la vie,
de l’âme, qui tantôt se rapproche de Dieu, tantôt s’en éloigne, selon les erreurs et les chutes du
personnage et les occurrences survenues sur la vraie route. ..

Cette route-là est profondément marquée par le cours du temps historique, par les empreintes et les
signes de son écoulement, par les indices de l’époque…

La route (fonctions)

(p.386)
Sans aborder le problème du changement des fonctions de la « route », et de la « rencontre » dans
l’histoire du roman, arrêtons-nous à un trait fort important, commun à toutes les variantes
énumérées : la route traverse le pays natal, et non un monde exotique et inconnu. (…) On nous
découvre, on nous précise les multiples aspects socio-historiques du pays natal (si bien qu’on ne
peut parler d’exotisme que s’il s’agit d’un exotisme social : « taudis », « bas-fonds », monde des
truands). Dans cette fonction-là, la route a été traitée également dans des genres « hors sujet », tels
que les récits de voyages centrés sur la vie politique ou sociale, au XVIIIe siècle (dont l’exemple
classique est le voyage de Pétersbourg à Moscou, de Radistchev, et dans les carnets de route des
publicistes du XIXe siècle, tel Henri Heine...

Le château (roman historique)

(p.387)

Est tout pénétré par le temps, une temps historique au sens étroit du mot, c'est-à-dire le temps du
passé historique. Le château est la demeure des seigneurs de l’époque féodale, et par conséquent des
figures historiques d’autrefois ; les siècles et les générations ont déposé leur empreinte visible sur
différentes parties de l’édifice, (…) galeries de portraits (…). Enfin, tous les coins du château et ses
environs sont animés par le souvenir des légendes et des traditions.

Le salon (roman réaliste)

(p.387)

Dans les romans de Stendhal et de Balzac apparaît une nouvelle et notable localisation des
péripéties : le salon (au sens large). Naturellement, ils ne sont pas les premiers à en parler, mais
c’est chez eux qu’il acquiert sa signification pleine et entière, comme lieu d’intersection des séries
spatiales et temporelles du roman. Du point de vue du sujet et de sa composition, c’est là qu’ont lieu
les rencontres qui n’ont plus l’ancien caractère spécifique des rencontres fortuites, faite « en route »,
ou « dans un monde inconnu ». Là se nouent les intrigues et ont lieu souvent les ruptures, enfin, (et
c’est très important), là s’échangent des dialogues chargés d’un sens tout particulier dans le roman,
là se révèlent les caractères, les « idées » et les « passions » des personnages.

(p.388)

( … ) Enfin, sous ses formes concrètes et visibles apparaît l’omniprésent pouvoir du nouveau maître
de la vie : l’argent !

Temps historique vs temps biographique

(p.388)
Mais le principal, ici, c’est la conjugaison de ce qui est historique, social, public, avec ce qui est
privé et même foncièrement intime, l’association de l’intrigue personnelle, commune, avec
l’intrigue politique et financière, du secret d’état avec le secret d’alcôve, la fusion de la série
historique avec la série des mœurs et la biographie. Ici, concentrées, condensées, évidentes et
visibles, se trouvent les marques d’un temps historique, d’un temps biographique ou d’un temps
quotidien, et en même temps tout cela est confondu, fondu dans les seuls indices de l’époque, et
celle-ci est perçue concrètement, comme sujet.

Stendhal - Balzac

(p.388)

Il est claie que les grands réalistes, un Stendhal, un Balzac, n’ont pas recours uniquement au salon
comme lieu d’intersection des séries spatiales et temporelles, de condensation des traces de la
marche du temps dans l’espace. C’est un lieu parmi d’autres. Balzac avait la capacité exceptionnelle
de « voir » le temps dans l’espace. Rappelons-nous ne serait-ce que sa façon de représenter les
maisons comme une incarnation de l’histoire, ses images des rues, des villes, du paysage rural, au
plan de son élaboration de l’histoire, du temps…

Le temps cyclique : Flaubert

(p.388)

Une telle ville (« petite ville de province », Madame Bovary) est le lieu du temps cyclique de la vie
quotidienne. Il ne s’y passe aucun événement, rien que la répétition de l’ordinaire. Le temps y est
privé de son cours historique progressif. Il avance en cycles étroits : le cycle du jour, de la semaine,
du mois, de toute une vie. Un jour n’est jamais un jour, une année n’est jamais une année, la vie
n’est pas une vie.

(p.389)

De jour en jour se répètent les mêmes actes habituels, les mêmes sujets de conversation, les mêmes
mots. (…)

Le temps y est dénué d’événements et semble presque arrêté. Ni « rencontres » ni « séparations ».


C’est un temps épais, visqueux, qui rampe dans l’espace ; c’est pourquoi il ne peut devenir le temps
principal du roman. Le romancier peut y avoir recours comme à un temps accessoire. (…) Souvent
il sert de fond contrastant aux séries temporelles énergiques et événementielles.

Le chronotope du seuil :

Il peut s’associer au thème de la rencontre, mais il est notablement plus complet : c’est le
chronotope de la crise, du tournant d’une vie. Le terme même du « seuil » a déjà acquis, dans la vie
du langage (en même temps que son sens réel) un sens métaphorique; il a été associé au moment de
changement brusque,de crise, de décision modifiant le cours de l’existence (ou d’indécision, de
crainte de « passer le seuil »). En littérature, le chronotope du seuil est toujours métaphorique et
symbolique, parfois sous une forme explicite, mais plus souvent implicite.

Chez Dostoïevski

Par exemple chez Dostoïevski le seuil et les chronotopes de l’escalier, de l’antichambre, du couloir,
qui lui sont contigus, de même que ceux de la rue et de la grand-place qui les prolongent,
apparaissent comme les principaux lieux d’action de son œuvre, lieu où s’accomplit l’événement de
la crise, de la chute, de la résurrection, du renouveau de vie, de la clairvoyance, des décisions qui
infléchissent une vie entière. En somme, dans ce chronotope le temps apparaît comme un instant,
comme s’il n’avait pas de durée, et s’était détaché du cours normal du temps biographique. (…)

Chez Tolstoï

(p.390)

A la différence de Dostoïevski, le chronotope essentiel de l’œuvre de Léon Tolstoï, c’est le temps


biographique qui s’écoule dans les espaces intérieurs des maisons et manoirs de la noblesse.
Naturellement, les œuvres de Tolstoï contiennent, elles aussi, des crises et des chutes, des
régénérations et des résurrections, mais elles ne sont pas momentanées, et n’échappent pas au cours
du temps biographique, lui étant fermement soudées. Par exemple, la crise de lucidité d’Ivan Ilitch
dure tout au long de la dernière période de sa maladie, et ne s’achève que juste avant sa mort. La
régénération de Pierre Bezoukhov (Guerre et Paix) est longue et progressive, pleinement
biographique. Moins longues, mais nullement fugaces sont la régénération et la pénitence de
Nkita, dans La Puissance des Ténèbres(…)

L’idylle

A la différence de Dostoïevski, Tolstoï prisait la durée, l’étendue du temps. Pour lui, après le temps
et l’espace biographiques, ce qui avait une importance capitale, c’étaient les chronotopes de la
nature et de l’idylle familiale, voire le chronotope de l’idylle champêtre (dans ses images du labeur
des paysans).

Signification des chronotopes


Centres organisateurs

(p.391)

Ils se présentent comme les centres organisateurs des principaux événements contenus dans le sujet
du roman, dont les « nœuds » se nouent et se dénouent dans le chronotope. C’est lui, on peut
l’affirmer, qui est le principal générateur du sujet.

En même temps, on voit au premier coup d’œil la signification figurative des chronotopes. En eux,
le temps acquiert un caractère sensuellement concret ; dans le chronotope, les événements du roman
prennent corps, se revêtent de chair, s’emplissent se sang. Om peut relater cet événement, informer
à son propos, même donner des indications précises quant au lieu et au temps de son occurrence
(…) Il sert de point principal pour le déroulement des scènes du roman, alors que d’autres éléments
de liaison qui se trouvent à l’écart du chronotope, sont présentés sous la forme sèche d’une
information, d’une communication (…)

Centre de la concrétisation figurative

De la sorte, le chronotope, principale matérialisation du temps dans l’espace, apparaît comme le


centre de la concrétisation figurative, comme l’incarnation du roman tout entier. Tous les éléments
abstraits du roman – généralisations philosophies et sociales, idées, analyses des causes et des
effets, et ainsi de suite, gravitent autour du chronotope et, par son intermédiaire, prennent chair et
sang et participent au caractère imagé de l’art littéraire. Telle est la signification figurative du
chronotope…

Evolution au niveau des fonctions

Les chronotopes examinés ont un caractère typique en ce qui concerne les genres, ils se placent à la
base de variantes précises du genre « roman », qui s’est formé et s’est développé au long des
siècles. (À dire vrai, les fonctions se modifient au cours de ce processus d’évolution, par exemple
en ce qui concerne le chronotope de « la route ».) Cependant toute image de l’art littéraire est
chronotopique, comme l’est aussi, essentiellement, le langage, trésor des images. La forme interne
du mot, le signe médiateur qui contribue à transporter les significations spatiales initiales dans les
relations temporelles (au sens le plus large), est également chronotopique. (…)

Interrelation / dialogisme

(p.892)
Nous ne parlons ici que des grands chronotopes fondamentaux, qui englobent tout. Mais chacun
d’eux peut inclure une quantité illimitée de chronotopes mineurs, et chaque thème peut avoir son
chronotope propre…

Dans les limites d’une seule œuvre et l’art d’un seul auteur, nous observons quantité de
chronotopes, et leurs différences, complexes, spécifiques de l’œuvre et de l’auteur ; il arrive au
surplus, e l’un de ces chronotopes recouvre tout, ou prédomine…

(p.393)

Ils peuvent s’imbriquer l’un dans l’autre, coexister, s’entrelacer, se succéder, se juxtaposer,
s’opposer, ou se trouver dans des relations réciproques plus compliquées. Le caractère général de
ces interrelations apparaît comme dialogique (au sens large de ce terme). Or ce dialogue ne peut
pénétrer dans l’image représentée, ni dans le monde de l’auteur, de l’exécutant, et dans celui des
auditeurs et des lecteurs, mondes chrotopiques eux aussi.

Chronotopes de l’auteur et de lauditeur-lecteur

Comment nous sont transmis les chronotopes de l’auteur et de l’auditeur-lecteur ? D’abord par le
fait extérieur, matériel de l’œuvre, par l’évidence de sa composition. Mais son matériau n’est pas
inerte, il est parlant, signifiant (ou sémiotique). Non seulement le voyons-nous, le touchons-nous,
mais nous y entendons toujours des voix, même au cours d’une lecture silencieuse, « par devers
soi ». Un texte nous est donné. Il occupe une place précise dans l’espace, ce qui veut dire qu’il est
localisé. Mais sa création, la connaissance que nous en avons, se déroulent dans le temps. Le texte,
en tant que tel, ne se présente pas comme mort : que l’on parte de n’importe quel texte pour passer
parfois par une longue suite de chaînons, intermédiaires, on parviendra, en fin de compte, à la voix
humaine, on e cognera, si l’on peut dire, à l’homme. (…)

Dans le temps et l’espace tout à fait réels où retentit l’œuvre, où se situe le manuscrit ou le volume,
l’homme réel, qui a composé ce discours, cet écrit, ce livre, se trouve aussi, ainsi que les êtres vrais
qui écoutent ou lisent le texte. De toute évidence, auteurs, auditeurs, lecteurs, peuvent se situer (et
se situent fréquemment) dans des temps et des espaces différents, séparés parfois par des siècles et
des distances énormes, mais peu importe : ils sont tous réunis dans un monde unique, réel, inachevé,
historique, séparé par une frontière brutale et rigoureuse du monde représenté dans le texte. Nous
pouvons donc présenter ce monde comme créateur du texte : tous ses éléments –tant le reflet de la
réalité, que les auteurs, (p.394) exécutants (s’ils existent), enfin les auditeurs-lecteurs qui
reconstituent et, ce faisant, renouvellent le texte, tous participent à part égale à la création d’un
monde représenté. Des chronotopes rées de ce monde créateur, se dégagent les chronotopes reflétés
et créés du monde dont l’œuvre (le texte) donne l’image.

Frontière:

Radicale…
Entre ces deux mondes, nous l’avons dit, passe une frontière radicale. Il ne faut pas l’oublier. On ne
peut confondre, comme on l’a fait jusqu’à présent (comme on le fait encore), le monde représenté le
monde représentant (réalisme naïf), ni l’auteur-créateur de l’œuvre avec l’auteur individu
(biographisme naïf), ni davantage l’auditeur-lecteur de diverses (et nombreuses) époques, qui recrée
et renouvelle l’œuvre, avec l’auteur-lecteur contemporain. (Conception et jugement dogmatiques.)
Les confusions de cet ordre sont tout à fait inadmissibles du pont de vue de la méthodologie.

… mais pas absolue

Toutefois, il n’est pas plus admissible de concevoir cette frontière radicale comme absolue et
impénétrable (spécification d’un dogmatisme simpliste). En dépit de l’impossibilité de confondre le
monde représenté et le monde représentant, en dépit de la présence immuable de la frontière
rigoureuse qui les sépare, ils sont indissolublement liés l’un à l’autre, et se trouvent dans une action
réciproque constante : entre eux ont lieu des échanges ininterrompus, pareils à ceux de l’organisme
vivant avec son milieu ambiant : tant que cet organisme reste en vie, il ne se confond pas avec son
milieu, mais il mourra si on l’en arrache.

Chronotope créateur

L’œuvre et le monde dont elle donne l’image pénètrent dans le monde réel et l’enrichissent. Et le
monde réel pénètre dans l’œuvre et dans le monde qu’elle représente, tant au moment de sa
création, que par la suite, renouvelant continuellement l’oeuvre au moyen de la perception créative
des auditeurs-lecteurs. Ce processus d’échanges est, par lui-même, chronotopique, de toute
évidence : il s’accomplit dans un monde social qui évolue selon l’histoire, mais jamais séparé de
l’espace théorique changeant. On pourrait même parler d’un chronotope particulier, créateur, au-
dedans duquel a lieu cet échange entre l’œuvre et la vie, où se passe la vie singulière d’une œuvre.

L’auteur (créateur de l’œuvre)

Cet auteur, nous le rencontrons hors de son œuvre, en tant qu’homme qui vit son existence
biographique ; mais nous le rencontrons en tant que créateur dans l’œuvre elle-même, toutefois en-
dehors des chronotopes représentés, comme sur leur tangente.

(p.395)

Nous le trouvons (nous trouvons son activité), en premier lieu dans la composition de son ouvrage,
qu’il divise en parties (chants, chapitres, etc.), ceux-ci bien entendu reçoivent une expression
extérieure, qui, toutefois, ne trouve pas un reflet direct dans les chronotopes. (…)
Le chantre et son auditoire

C’est ainsi que nous distinguons assez nettement le chronotope du chantre et de son auditoire dans
l’articulation des chants épiques de l’antiquité, ou celui de la narration dans les contes.

Monde représenté vs monde représentant

Mais dans l’articulation des œuvres des temps modernes, on prend en considération tant les
chronotopes du monde représenté, que ceux des lecteurs et des créateurs d’œuvres ; autrement dit,
l’interaction du monde représentant et du monde représenté s’y accomplit également. Elle se
découvre clairement dans certains aspects compositionnels élémentaires: toute œuvre a un début et
une fin, de même l’événement qui s’y trouve représenté. (…) On pourrait dire que nous avons,
devant nous, deux événements : celui qui nous est raconté dans l’œuvre, et celui de la narration elle-
même (et nous participons nous-mêmes à ce dernier, comme auditeurs-lecteurs). Ces événements se
déroulent à des moments différents (par leur durée, aussi) et en des lieux différents. Simultanément
ils sont inséparablement réunis dans un événement unique, mais compliqué, que nous pourrions
désigner comme l‘œuvre dans sa plénitude événementielle, en y incluant sa donnée matérielle,
externe, son texte, le monde dont elle donne l’image, l’auteur- créateur et l’auditeur-lecteur…

L’auteur-créateur et l’auditeur-lecteur

L’auteur-créateur se meut librement dans son époque. Il peut commencer son récit par le
commencement, la fin, le milieu, partir de n’importe quel moment des événements qu’il représente,
sans détruire pour autant le cours objectif du temps. C’est là que se révèle avec une grande clarté la
différence entre le temps qui représente et celui qui est représenté. Mais ici surgit un problème plus
général : à partir de quel point spatio-temporel l’auteur considère-t-il les événements qu’il
représente ? (p.396)

D’abord, il les regarde à partir de son époque contemporaine inachevée, dans toute sa complexité et
son entité, se trouvant lui-même comme sur la tangente de l’actualité dont il donne l’image.

La contemporanéité

La contemporanéité de l’auteur comprend, tout d’abord, le domaine de la littérature, non seulement


contemporaine, au sens restreint du mot, mais celle du passé, qui continue à vivre et à se renouveler
dans le présent. Le domaine littéraire, et, plus largement, celui de la culture (dont on ne peut séparer
la littérature) constitue le contexte indispensable de l’œuvre littéraire, et de la position, en son sein,
de l’auteur ; hors de ce contexte, on ne peut comprendre ni une œuvre, ni les intentions de l’auteur
qu’elle reflète. (…)

… l’auteur-créateur, tout en se trouvant hors des chronotopes du monde qu’il représente, est comme
sur la même tangente. Il donne l’image de son monde soit du point de vue d’un personnage
participant à l’événement évoqué, soit du narrateur, ou de l’auteur-substitut ; enfin, ne recourant à
aucun intermédiaire, il conduit sa narration directement, comme venant de lui, de l’auteur en tant
que tel (dans un discours direct, et dans ce cas aussi, il lui est possible de représenter un monde
spatio-temporel, avec ses événements, comme s’il le voyait, l’observait, comme s’il en était le
témoin omniscient. Même dans le cas où il composerait une autobiographie, ou la plus authentique
des confessions, il resterait tout de même en dehors du monde qui y serait représenté, car il en serait
le créateur. Si je narre (ou relate par écrit) un événement qui vient de m’arriver, je me trouve déjà,
comme narrateur (ou écrivain), hors du temps et de l’espace où l’épisode a eu lieu. L’identité
absolue de mon « moi » avec le « moi » dont je parle, est aussi impossible que de suspendre soi-
même par les cheveux ! Si véridique, si réaliste que soit le monde représenté, il ne peut jamais être
identique, du point de vue spatio-temporel, au monde réel, représentant, celui où se trouve l’auteur
qui a créé cette image…

L’auditeur-lecteur

(397)

…Nous n’aborderons pas ici le problème compliqué de l’auditeur-lecteur, de sa situation spatio-


temporelle et de son rôle de rénovateur de l’œuvre (dans le processus de sa durée). Nous voulons
simplement indiquer que toute œuvre littéraire est tournée en dehors, non vers elle, mais vers les
auditeurs-lecteurs, et qu’elle anticipe, en une certaine mesure, ses réactions éventuelles.

Limites de l’analyse des chronotopes

Les idées abstraites

La science, l’art et la littérature ont à faire à des éléments sémantiques qui, en tant que tels, ne se
prêtent pas à des définitions temporelles et spatiales. Telles sont par exemple, toutes les notions des
mathématiques : nous y avons recours pour mesurer les manifestations du temps et de l’espace,
mais en elles-mêmes, elles n’ont pas de définitions spatio-temporelles : il s’agit pour nous d’un
objet de réflexion abstraite : la réflexion artistique est concernée également. Ces sens artistiques ne
se prêtent pas davantage à des définitions spatio-temporelles (…)

Ce qui importe
(p.398)

L’important pour nous, c’est ceci : pour faire partie de notre existence (qui est, de plus, sociale), les
sens, quels qu’ils soient, doivent assumer une expression spatio-temporelle quelconque, autrement
dit, une forme sémiotique, audible, visible pour nous : un hiéroglyphe, une formule mathématique,
une expression verbale, linguistique, un dessin, etc. sans cela, même la réflexion la plus abstraite est
impossible. En conséquence, toute pénétration dans la sphère des sens ne peut se faire qu’en passant
par la porte des chronotopes.

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