Sunteți pe pagina 1din 18

L'HERMÉNEUTIQUE DE LA CONDITION HISTORIQUE SELON PAUL

RICŒUR
Alexandre Escudier

Centre Sèvres | « Archives de Philosophie »

2011/4 Tome 74 | pages 581 à 597


ISSN 0003-9632
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2011-4-page-581.htm

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Centre Sèvres.


© Centre Sèvres. Tous droits réservés pour tous pays.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Archives de Philosophie 74, 2011, 581-597

L’herméneutique de la condition historique


selon Paul Ricœur 1

ALEXANDRE ESCUDIER
CEVIPOF – FNSP, Paris

« La condition historique » (MHO 373-589), tel est l’intitulé de la troi-


sième partie de La mémoire, l’histoire, l’oubli publié par Paul Ricœur en

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


2000. Précédant l’épilogue sur « Le pardon difficile », elle fait suite à une
« phénoménologie de la mémoire » dans la première et à une « épistémologie
de l’histoire » dans la seconde partie de l’ouvrage. Et si l’on remonte en
amont dans la production ricœurienne, on constate que ces développements
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

sur la « condition historique » s’inscrivent dans le prolongement direct du


dernier chapitre (avant les « conclusions » écrites un an après la fin de la
rédaction de Temps et récit) de Temps et récit III, intitulé « Vers une hermé-
neutique de la conscience historique ». Du point de vue terminologique, la
« conscience historique » est devenue la « condition historique », mais le ques-
tionnement herméneutique englobant demeure et s’accentue de Temps et
récit III à La mémoire, l’histoire, l’oubli.
La thèse principale soutenue ci-après défend l’idée, d’une part, que
Ricœur redéploie son « herméneutique de la condition historique » à partir
de l’analyse heideggérienne de l’expérience temporelle du Dasein et, d’au-
tre part, qu’il le fait en marquant un certain nombre de désaccords fonda-
mentaux avec le cadre heideggérien initial – un cadre qu’il s’emploie en
conséquence à amender minutieusement, afin de lui construire un « vis-à-vis
épistémologique » sur le plan gnoséologique et de le lester, au plan éthico-
pratique, d’une philosophie normative de l’action sur laquelle se trouve gagé
ce que Ricœur appelle le « référent ultime » du discours historiographique.
La thèse adventice soutenue au fil de notre propos indique combien cet

1. Les abréviations utilisées ci-après sont les suivantes: TR III pour Temps et récit vol. 3,
Paris, Seuil, 1985, rééd. poche 1991; DTA pour Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II,
Paris, Seuil, 1986, rééd. 1998; SMCA pour Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990; CC
pour La critique et la conviction: entretien avec François Azouvi et Marc de Launay, Paris,
Calmann-Lévy, 1995, rééd. Hachette (Pluriel), 2005; MHO pour La mémoire, l’histoire, l’oubli,
Paris, Seuil, 2000 et PR pour Parcours de la reconnaissance. Trois études, Paris, Stock, 2004.
582 Alexandre Escudier

amendement du cadre heideggérien de départ aurait pu être encore plus


massif, si Ricœur avait reçu un texte capital de Reinhart Koselleck intitulé
« Théorie de l’histoire et herméneutique », dirigé à la fois contre l’ontologie
fondamentale de Heidegger et l’herméneutique universelle de Gadamer.
Dans le sillage direct – après amendement – de la seconde section de Sein
und Zeit de Heidegger, la « condition historique » se trouve dès l’abord défi-
nie par Ricœur comme « conditionalité existentiale » (MHO 456) ; elle est
présentée comme un existential en tant qu’elle serait la structure fondamen-
tale d’un « mode d’être indépassable » (MHO 449) propre au Dasein : « À cet
égard, il est légitime d’accepter comme concept ontologique de référence
ultime le Dasein heideggérien, caractérisé de façon différentielle par le souci,
eu égard aux modes d’être des simples choses données (Heidegger dit vor-
handen, “sous la main”) et maniables (zuhanden, “à portée de main”) »

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


(MHO 451).
À partir de là, l’« herméneutique de la condition historique » comprend
deux moments complémentaires, que Ricœur distingue nettement : l’her-
méneutique critique d’un côté et l’herméneutique ontologique de l’autre.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

1) Condition historique I: l’herméneutique « critique »

« L’herméneutique critique » (encore appelée « philosophie critique de


l’histoire » dans la lignée des travaux de Raymond Aron) a une double visée,
négative et positive.
Négative, en premier lieu, au sens où elle se donne pour tâche d’imposer
des « limites » à toute prétention totalisante à l’égard de ce qui a été dans le
temps. Négative, encore, au sens où elle s’interroge également sur les « titres
de validité d’une historiographie consciente de ses limitations » (MHO 349).
Le premier moment de cette tâche « négative » de l’herméneutique criti-
que de la condition historique fait donc écho – dans La mémoire, l’histoire,
l’oubli – à l’avant-dernier chapitre de TR III intitulé « Renoncer à Hegel » (TR
III 349 sq.). En effet, la sortie de l’hégélianisme, l’impossible totalisation de
l’histoire (avec la « liberté » comme « intrigue des intrigues » et autres membra
disjecta désormais non dialectisables, TR III 370-371) constitue pour Ricœur
un événement pour la pensée moderne qui nous inscrit, nous Modernes,
dans le projet infini d’une « herméneutique de la conscience historique » (TR
III 371) avouant et assumant la « finitude de l’acte philosophique » :
« Nous comprenons mieux maintenant en quel sens l’exode hors de l’hégélia-
nisme peut être appelé un événement de pensée. Cet événement n’affecte pas
l’histoire au sens de l’historiographie, mais la compréhension par elle-même
Herméneutique de la condition historique 583

de la conscience historique, son auto-compréhension. En ce sens, il s’inscrit


dans l’herméneutique de la conscience historique. Cet événement est même
à son tour un phénomène herméneutique. Avouer que la compréhension par
soi de la conscience historique peut être ainsi affectée par des événements
dont, encore une fois, nous ne pouvons pas dire si nous les avons produits ou
s’ils nous arrivent simplement, c’est avouer la finitude de l’acte philosophi-
que en quoi consiste la compréhension par soi de la conscience historique.
Cette finitude de l’interprétation signifie que toute pensée pensante a ses pré-
suppositions qu’elle ne maîtrise pas, et qui deviennent à leur tour des situa-
tions à partir desquelles nous pensons, sans pouvoir les penser en elles-mêmes.
Dès lors, quittant l’hégélianisme, il faut oser dire que la considération pen-
sante de l’histoire tentée par Hegel était elle-même un phénomène herméneu-
tique, une opération interprétante soumise à la même condition de finitude »
(TR III 371-372).

Argumentant le renoncement à Hegel via une herméneutique critique,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


Ricœur croise et utilise à maintes reprises, et abondamment – comme déjà
dans Temps et récit –, les travaux de Reinhart Koselleck (1923-2006) sur l’his-
toire du concept d’Histoire (Geschichte). Renoncer à Hegel, c’est renoncer
au savoir de soi de l’Histoire, c’est renoncer à toute téléologie englobante et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

se limiter désormais au décryptage, empiriquement toujours circonscrit, de


la dialectique effective de « l’être comme acte et comme puissance » (dans la
lignée de l’ontologie aristotélicienne longuement discutée dans Soi-même
comme un autre 2).
Cette dialectique de « l’être comme acte et comme puissance », Ricœur la
place sous le signe de ce qu’il a fini par dénommer (les dix dernières années
de sa production) son « anthropologie philosophique de l’homme capable 3 ».
Une anthropologie de l’homo capax par laquelle il entend rassembler sous un
même chef les quatre questions cardinales via lesquelles l’identité narrative
peut se dire suivant la dialectique de la mêmeté de l’idem et de l’ipséité du
soi historial/historique: qui parle? qui agit? qui se raconte? qui s’impute des
actes en responsabilité? (cf. Soi-même comme un autre, 1990).
Outre cela, l’herméneutique critique de la condition historique englobe,
dans sa face positive, une théorie de l’« interprétation » historique articulée
au problème de l’objectivité historiographique. Son lieu encyclopédique est
explicitement marqué : non pas la seconde partie de La mémoire, l’histoire,
l’oubli (MHO 303), au sein de l’épistémologie de l’histoire donc – entre la
seconde phase épistémique d’explication/compréhension et la troisième dite

2. SMCA 213 et surtout 351 sq. Comparer à MHO 450 et 452.


3. MHO 452, 239, 472 ainsi que CC p. 137, ID., « Promenade au fil d’un chemin » in
Fabrizio TUROLDO, Verità del metodo, Padoue, Il Poligrafo, 2000, p. 15-20, ici p. 15 et tout
récemment PR p. 137 sq. et 144.
584 Alexandre Escudier

de « représentation » –, mais bien la seconde phase, positive, de l’herméneu-


tique critique de la condition historique.
C’est là, à mon sens, secondariser la réflexion épistémologique par rap-
port à l’herméneutique, voire l’ontologie (puisque, après Heidegger et
Gadamer, nul lecteur de Ricœur n’ignore la contiguïté de ces deux types
d’interrogation radicalisant le programme phénoménologique husserlien) ;
c’est là rompre avec la tradition épistémologique inaugurée par l’Historik
(1857) de Johann Gustav Droysen 4 et ses développements sur l’interpréta-
tion historiographique méthodologiquement réglée. Bref, c’est là, assuré-
ment, la marque gadamérienne – en direction d’une herméneutique univer-
selle en tant que seule ontologie possible – de l’herméneutique de la
condition historique défendue par Ricœur 5.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


2) Condition historique I: l’herméneutique « ontologique » ou Heidegger
amendé

Second moment, capital, de la troisième section de La mémoire, l’his-


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

toire l’oubli, l’herméneutique ontologique de la condition historique se


déploie essentiellement suivant le schéma triadique (« Alltäglichkeit » ou
quotidienneté mise à part) de l’analyse de l’expérience temporelle du Dasein
chez Heidegger (MHO 455) : (1) « Zeitlichkeit » ou temporalité fondamen-
tale (le « Sich vorweg », l’« être en avant de soi » du Dasein) ; (2) « Geschicht-
lichkeit » ou historicité/historialité 6 (le « schon sein », l’« être déjà » du
Dasein) ; (3) « Innerzeitigkeit » ou intratemporalité (le « Sein bei », l’« être
auprès » des étants maniables et disponibles) 7.

4. Johann Gustav DROYSEN, Historik, texte établi par Peter Leyh, Stuttgart-Bad Cannstatt,
Frommann-Holzboog, 1977. Voir en français ma traduction du Grundriß de 1882 in J. G.
DROYSEN, Précis de théorie de l’histoire, Paris, Le Cerf (Humanités), 2002 ainsi que ma mise
en perspective générale de cette tradition en « De Chladenius à Droysen. Théorie et méthodo-
logie de l’histoire de langue allemande (1750-1860) », Annales H.S.S., 58e année, 4, juillet-août
2003, p. 743-777.
5. Sur ce point précis, voir ma critique in « ‘Représentation-objet’ – ‘représentation-opéra-
tion’ – ‘représentance’. La mémoire, l’histoire, l’oubli entre épistémologie et ontologie de l’his-
toire », in Andris BREITLING et Stefan ORTH éds, Erinnerungsarbeit. Zu Paul Ricœurs
Philosophie von Gedächtnis, Geschichte und Vergessen, Berlin, Berlin Verlag, 2004, p. 173-204;
version très abrégée in Le Débat, n° 122, novembre-décembre 2002, p. 12-23 (dans sa réponse
p. 45-51, P. Ricœur élude à mon sens le débat en disqualifiant frontalement, sans autre, ma criti-
que au motif d’une confusion naïve entre méthodologie et épistémologie).
6. Alors qu’il traduit encore le concept heideggérien de « Geschichtlichkeit » par « histo-
rialité » dans TR III, Ricœur le traduit et s’en explique (MHO 481) par « historicité » en 2000.
7. Cf. Sein und Zeit, 17e édition, Tübingen, Niemeyer, 1993, § 65, p. 327 : « Die
Seinsganzheit des Daseins als Sorge besagt : Sich-vorweg-schon-sein-in (einer Welt) als Sein-bei
(innverweltlich begegnendem Seienden) ».
Herméneutique de la condition historique 585

Ricœur a longuement discuté ces différents niveaux de dérivation de l’ex-


périence temporelle du Dasein dans Temps et récit III 8. Il éprouve le besoin
d’y revenir dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, mais avec un esprit de
controverse davantage marqué, qu’il convient d’apprécier en dressant la liste
des principaux points de désaccord avec Heidegger. Ces concordances et dis-
cordances avec Heidegger, Ricœur les a du reste lui-même largement mar-
quées ; elles sont à mon sens au nombre de sept qui constituent autant
d’amendements de l’ontologie heideggérienne du Dasein, acceptée comme
le fondement de toute herméneutique de la condition historique:
1.– Tout en conservant le primat de l’ek-stase possibilisante de la futurité,
la spécification du Dasein comme « être-pour-la-mort » se trouve infléchie, avec
Montaigne, Spinoza et Lévinas, comme « être-contre-la-mort » ou « être-face-à-
la-mort » (MHO 466-470, 480). Par là même, l’ontologie fondamentale se

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


trouve uniment dédramatisée et surtout déshéroïsée: Ricœur résiste en cela
aux investissements idéologiques toujours possibles de la « résolution devan-
çante » heideggérienne en tant que structure possibilisante authentique du
Dasein comme souci. Sur ce point, la distance affichée à l’égard de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

Heidegger n’a jamais semblé aussi grande que quand Ricœur critique l’idée
de « la résolution, terme singulièrement associé au ‘devancement’ et qui ne
comporte aucune détermination, aucune marque préférentielle concernant
un projet quelconque d’accomplissement; la conscience comme appel de soi
à soi sans indication relative au bien ou au mal, au permis ou au défendu, à
l’obligation ou à l’interdiction. De bout en bout, l’acte philosophique, transi
d’angoisse, procède du néant et se disperse dans les ténèbres » (MHO 456).
2.– À cette série d’indéterminations, Ricœur oppose le parcours de sa
« petite éthique » (les études 7, 8 et 9 de Soi-même comme un autre 9) de la
visée éthique d’une vie « bonne » avec et pour l’autre dans des institutions
justes (téléologie), au jugement pratique en situation (tragique de
l’action/sagesse pratique) en passant par la contrainte de l’obligation morale
et des normes (déontologie). La « conviction » qui se dégage du « jugement
moral en situation » apparaît alors non plus comme le fruit, non médiatisé,
de l’appel de soi à soi du Gewissen heideggérien, mais bien comme le pro-
duit de la médiatisation de la phronèsis aristotélicienne par la Sittlichkeit
hégélienne sédimentant et manifestant – dans des puissances éthiques (reli-
gions, institutions politiques et sociales, cultures) – un espace critique d’in-
tersubjectivité arrachant l’individu au décisionnisme axiologique. A ce stade,

8. Cf. tout le chapitre 3 de « l’aporétique de la temporalité » in TRIII 110-178. On lira dans


le dossier thématique de ce numéro consacré à P. Ricœur le texte fort éclairant de Françoise
Dastur critiquant la critique ricœurienne de Heidegger.
9. SMCA 199-344, avec un résumé du parcours p. 337.
586 Alexandre Escudier

c’est bien la dialectique de l’altérité qui rend possible une rééthicisation du


Gewissen heideggérien 10. Le problème est pour Ricœur de s’assurer que
l’appel intérieur de la conscience ne soit pas « mauvais » (au sens de Hegel
critiquant la terreur révolutionnaire 11) et incline finalement à faire le « mal »
à partir d’une Moralität pseudo-kantienne ou d’un « devoir-être » formel
perverti (car libre de toute intersubjectivité synchronique – l’espace public
et l’argumentation – et diachronique, la sagesse des peuples sédimentée dans
la Sittlichkeit et l’esprit objectif des institutions) 12.
Outre cela, Ricœur déplace le problème de l’« attestation » (Bezeugung)
de la « résolution devançante » (via l’appel de soi à soi de la conscience,
« Gewissen » chez Heidegger) par la thématique des instances de la recon-
naissance du soi et des autres. Ces autres sont du reste multiples: en ce sens
où, comme dans toutes ses recherches marquées par la philosophie analyti-

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


que, Ricœur ventile l’argument suivant différentes instances d’imputation
(instances d’ascription agissantes et souffrantes), jusqu’à distinguer, avec
Alfred Schütz, entre les « contemporains », les « prédécesseurs », les « succes-
seurs » (TR III 198 sq.), entre le soi (ipse changeant dont l’idem n’est que le
support biologique et – via le « caractère » – psychologique), les proches
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

(relations interpersonnelles), les lointains et finalement le « socius » politi-


que (relations institutionnellement médiatisées) appelé par l’idée de justice
comme équité. Par là même, Ricœur s’emploie à « dés-solipsiser » le Dasein
heideggérien, qu’il réinscrit dans l’horizon d’une critériologie éthique pru-
dentielle intersubjective.
3.– Ricœur infléchit la thématique de l’« être-en-dette » (Schuldigsein)
vers celle de l’être en faute (MHO 473), avec à l’horizon sa philosophie de la
promesse et du « je maintiendrai » dans les actes en dépit des inconstances
émotionnelles du soi 13. L’enracinement ontologique de la « promesse » et de
l’action dans l’existential arendtien de la « natalité » s’avère ici capital 14 alors

10. SMCA 403-406 et CC p. 141-142. On comparera ces liens tissés par Ricœur entre her-
méneutique et éthique, sous la tutelle d’Aristote, à la relecture de ce dernier par Hans Georg
Gadamer, Wahrheit und Methode, Tübingen, Mohr, 1960, IIe partie, chap. II, § 2b, p. 295 sq.
et ID., « Le problème herméneutique et l’éthique d’Aristote », in ID., Le problème de la
conscience historique [conférences de Louvain en 1958], Paris, Seuil, 1996, p. 59-71, ici p. 68.
11. Cf. HEGEL, Principes de la philosophie du droit, § 133-139 (en particulier le § 139 sur
la question du mal en écho à la critique de la Terreur révolutionnaire dans la Phénoménologie
de l’Esprit, trad. Hyppolite, Paris, Aubier, rééd. 1983, vol. 2, p. 133 sq.) et la discussion par
Ricœur des thèses hégéliennes, en marge d’Heidegger, en SMCA 396 sq.
12. Les prises de position les plus nettes de Ricœur par rapport à la Sittlichkeit hégélienne
se trouvent en SMCA 290, 295-298 et 337.
13. PR 187 sq.
14. H. ARENDT, Condition de l’homme moderne, trad. fr., rééd. Paris, Presses Pocket, 1992,
p. 314, avec le commentaire de Ricœur, ibidem, p. 31 sq. Koselleck introduira quant à lui, de
Herméneutique de la condition historique 587

qu’à un autre niveau, celui de l’herméneutique du soi, les deux modalités de


permanence du soi dans le temps – le « caractère » du côté psychologique
(pôle ipséité-mêmeté) et le « maintien de soi » du côté éthique (pôle de la
pure ipséité) – se trouvent fluidifiés par le concept « d’identité narrative 15 ».
4.– Cette thématique de l’être à la fois en dette et en faute au second niveau
de la « Geschichtlichkeit » heideggérienne rejoint celle de l’être-contre-la-mort
ou face-à-la-mort du premier niveau de la « Zeitlichkeit » fondamentale. Cela
permet à Ricœur de déployer (a) la question de l’histoire-science comme pra-
tique culturelle de sépulture (dans la grande lignée allant de Jules Michelet
à Michel de Certeau) 16, (b) la question du jugement du passé (avec le cou-
ple historien/juge et la question centrale de la juste mémoire) et (c) la ques-
tion des pratiques de commémoration situées et des identités mémorielles.
5.– Avec la distinction constamment opérée, depuis Temps et récit III,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


entre « avoir été » et « passé révolu », Ricœur s’inscrit dans la continuité de
la requalification par Heidegger de la « Vergangenheit » en « Gewesenheit »
en tant que cette dernière figure une des trois ek-stases du temps par les-
quelles le Dasein est constitué comme « pouvoir être un tout » dans sa dis-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

persion temporelle même (MHO 472 sq.). Le Dasein apparaît donc toujours
d’emblée dans sa dimension d’« être-affecté-par-le-passé » ; le rapport d’af-
fection préalable et anté-volitif des individus comme des groupes à l’avoir-
été décentre radicalement toute idée de subjectivité transparente à soi et sou-
veraine. Un tel décentrement récuse la coupure positiviste (Gadamer dira
« méthodologiste ») entre le sujet et l’objet :
a) au niveau de l’histoire-science, d’une part, où Ricœur retrouve la déri-
vation heideggérienne (Sein und Zeit, § 76) des intérêts de connaissance
à partir non pas du présent (ce qui équivaudrait à l’illusion de la rétros-
pection pure partagée par la mémoire et l’histoire) mais bien du futur
dans le médium duquel le Dasein s’ouvre à ses possibilités d’être ;
b) au niveau anthropologique, d’autre part, au sens où la refiguration de
l’avoir été (toujours affectant) dans des textes culturellement transmis-
sibles (textes historiographiques comme de fiction 17) rend possible la

manière comparable, l’existential de la « Generativität », en combinant l’argument de Dilthey


– repris par Heidegger dans Sein und Zeit – sur les générations et celui d’Arendt sur la
« Gebürtlichkeit », cf. R. KOSELLECK, « Théorie de l’histoire et herméneutique » [1985] in ID.,
L’expérience de l’histoire, Paris, Le Seuil/Gallimard (Hautes Études), 1997, p. 181-199, ici
p. 189.
15. SMCA 195
16. Cf. Andris BREITLING, « L’écriture de l’histoire : un acte de sépulture ? », in François
AZOUVI et Myriam REVAULT D’ALLONNES dir., Paul Ricœur, Paris, L’Herne, 2004, p. 237-245.
17. Cf. TR III 329 sq. le chapitre sur la « fictionalisation de l’histoire » et l’« historicisation
de la fiction ».
588 Alexandre Escudier

« fusion des horizons » du monde déjà constitué des récepteurs et du


monde des œuvres. Cette « fusion des horizons », par le « travail » refigu-
rant du texte, autorise dès lors le passage « du texte à l’action 18 » ; elle
engage la dialectique de l’« imagination éthique » et de l’« imagination
narrative 19 », et tout autant celle de l’idéologie et de l’utopie à travers les
pouvoirs de l’« imagination instituante 20 », par quoi s’ouvre la politique
de P. Ricœur et sa méditation sur Mannheim.
6.– Ricœur ne se satisfait pas de l’intervalle béant chez Heidegger entre
la naissance et la mort, aussi s’emploie-t-il à en spécifier les médiations empi-
riques : la chair, le corps propre agissant et souffrant – avec des références
constantes à la cinquième méditation cartésienne de Husserl et à Merleau-
Ponty (MHO 451), avec la continuité/discontinuité des générations (dans la
lignée des thèses de Dilthey et de Heidegger reprenant ce dernier), avec les

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


traditions enfin (sédimentant et sémantisant les expériences individuelles
comme collectives).
7.– Ricœur s’emploie en dernier lieu à rehausser la dignité ontologique
de l’histoire-science (Historie) comme « vis-à-vis épistémologique » de l’on-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

tologie fondamentale (MHO 456). À cela correspond le long parcours de la


« représentation-objet » (e.g. les mentalités) à la « représentation-opération »
(historiographique) qui – dans la seconde partie de La mémoire, l’histoire,
l’oubli portant sur l’épistémologie de l’histoire – permet de réaffirmer et de
préciser la notion limite (comme « vis-à-vis »/Gegenüber épistémologique
précisément) de « représentance » (lieutenance refigurant pour nous l’avoir-
été). Cette dernière notion-clef avait été avancée dans Temps et récit à par-
tir du livre de Karl Heussi de 1932 intitulé Die Krisis des Historismus 21.

3) La critique koselleckienne de l’ontologie fondamentale et de l’hermé-


neutique universelle

Depuis Temps et récit jusqu’à La mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricœur n’a


eu de cesse de discuter les travaux de Koselleck, d’une part sur l’histoire du
concept d’Histoire et d’autre part sur les deux catégories formelles de

18. C’est tout l’argument de DTA en 1986.


19. SMCA 194-195 note 1.
20. J’emprunte l’expression à Myriam Revault d’Allonnes dans son avant-propos à l’édition
française de P. RICŒUR, L’idéologie et l’utopie, Paris, Seuil, 1997, p. 15.
21. J’ai critiqué ailleurs l’usage, philologiquement très contestable, que Ricœur fait des ana-
lyses de Heussi sur le « Gegenüber », cf. « Epistémologie et ontologie de l’histoire », in Le Débat,
122, novembre-décembre 2002, p. 12-23, ici p. 16 sq.
Herméneutique de la condition historique 589

« champ d’expérience » et d’« horizon d’attente 22 ». Il est un texte, pourtant


capital, de Koselleck intitulé « Historik und Hermeneutik 23 » que Ricœur
n’a pas intégré à sa réflexion sur l’herméneutique de la condition historique
et dont on peut penser qu’il lui aurait permis d’amender Heidegger à un
niveau encore plus fondamental.
Prononcé en 1985 comme laudatio en l’honneur de Hans Georg Gadamer
lors de son 85e anniversaire, ce texte est capital pour deux raisons complé-
mentaires. Tout d’abord, parce qu’il corrige – dans sa première partie – la
liste heideggérienne des existentiaux afin de poser non plus (comme dans le
§ 76 de Sein und Zeit) la question des conditions de possibilité existentiales
de l’histoire-science (Historie) mais celle des conditions de possibilité de l’his-
toire comme procès concret (Geschichte) : Koselleck rédige là une sorte de
§ 76 bis dont le statut déborde in fine ce seul cadre jusqu’à redéfinir le

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


Dasein même à partir de l’anthropologie hobbesienne. Ce texte est en second
lieu important parce que Koselleck y attaque le statut même de l’herméneu-
tique universelle gadamérienne comme englobant tous les discours et savoirs
positifs (dont l’histoire-science) via la médiation toujours déjà là de la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

« Sprachlichkeit ». Il convient d’expliciter quelque peu ces deux points.


Dans un premier temps, Koselleck modifie Heidegger à partir de Hobbes
(sans l’affirmer explicitement certes, mais cela est manifeste au regard de la
biographie intellectuelle de Koselleck et de ses autres travaux, en particulier
Kritik und Krise/Le règne de la critique de 1954-1959). C’est dès lors l’exis-
tential du « Totschlagenkönnen 24 » (le pouvoir de mettre à mort) qui devient
premier et définitoire pour le Dasein. « En suivant la terminologie de
Heidegger, on peut très bien dire que le pouvoir-de-s’entre-tuer (das gegen-
seitige Sichumbringenkönnen) est tout aussi originaire que le devancement
de la mort, pour autant qu’il s’agit du Dasein comme Dasein historique 25 ».
Le couple d’opposés existentiaux suivant en découle directement :
« Tötenkönnen » (Hobbes)/« Sterbenmüssen » (Heidegger). Et derrière ce
couple, se dégage – à partir de la futurité, i.e. l’anticipation par chacun de
sa propre mise à mort – une autre structure formelle bipolaire, préalable à
toute histoire empirique: l’opposition schmittienne « ami »/« ennemi »: « Du

22. Les principaux textes de Koselleck disponibles en français sont réunis dans Le futur
passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, MSH, 1990 et L’expérience
de l’histoire, Paris, Seuil/Gallimard, 1997.
23. Reinhart KOSELLECK, « Historik und Hermeneutik » [16 février 1985], in ID.,
Zeitschichten. Studien zur Historik, Francfort/Main, Suhrkamp, 2000, p. 97-118 [Réplique de
Gadamer : ibid., p. 119-127]. Traduction française: « Théorie de l’histoire et herméneutique »
in ID., L’expérience de l’histoire, op. cit., p. 181-199.
24. KOSELLECK, Zeitschichten, p. 101 (trad. fr., p. 185).
25. KOSELLECK, Zeitschichten, p. 102 (trad. fr., p. 186).
590 Alexandre Escudier

point de vue des catégories, il s’agit là d’une opposition formelle qui demeure
ouverte à tous les contenus possibles, il s’agit donc d’une sorte de catégorie
transcendantale pour toute histoire possible 26 ». « Ami et ennemi contien-
nent des déterminations temporelles à venir dans lesquelles das Sein zum
Tode peut à tout moment être dépassé par das Sein zum Totschlagen 27 ».
L’état de nature hobbesien est ici le modèle anthropologique sous-jacent
au sens où la potentialité originaire de la guerre de tous contre tous consti-
tuerait la temporalité fondamentale de l’homme. Le chapitre XIII du
Léviathan l’indique en 1651 :
« Par cela, il est manifeste que pendant ce temps où les humains vivent sans
qu’une puissance commune ne leur impose à tous un respect mêlé d’effroi,
leur condition est ce qu’on appelle la guerre: et celle-ci est telle qu’elle est une
guerre de chacun contre chacun. En effet, la Guerre ne consiste pas seulement

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


dans la bataille ou dans l’acte de combattre, mais dans cet espace de temps
pendant lequel la volonté d’en découdre par un combat est suffisamment
connue ; et donc, la notion de temps [time] doit être prise en compte dans la
nature de la guerre, comme c’est le cas dans la nature du temps qu’il fait [wea-
ther]. Car, de même que la nature du mauvais temps ne consiste pas en une
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

ou deux averses, mais en une tendance au mauvais temps, qui s’étale sur plu-
sieurs jours, de même, en ce qui concerne la nature de la guerre, celle-ci ne
consiste pas en une bataille effective, mais en la disposition reconnue au com-
bat, pendant tout le temps qu’il n’y a pas d’assurance du contraire. Tout autre
temps est la Paix 28 ».

À l’instar de l’hypothétique état de nature hobbésien, tous les binômes


existentiaux koselleckiens sont à la fois non ou pré-langagiers et méta-empi-
riques (au sens où ils préstructurent toute empirie historique possible).
Surplombés ontologiquement par le premier, ils sont au nombre de cinq: (a)
Totschlagenkönnen/Sterbenmüssen; (b) ami/ennemi ; (c) dedans/dehors
(à quoi est subordonnée l’opposition secret/public) ; (d) générativité/être-
jeté (Geworfenheit) ; (e) haut/bas (à quoi se trouve subordonnée l’opposi-
tion seigneur/serviteur, i.e. dominant/dominé).
Dans un second temps – la seconde partie de son texte –, Koselleck s’em-
ploie à mettre en cause le statut central de la « Sprachlichkeit » par laquelle
Gadamer a infléchi l’ontologie fondamentale heideggérienne en direction
d’une herméneutique universelle. La question est alors de savoir si l’hermé-
neutique universelle gadamérienne ne fait que réagir ou non aux conditions

26. KOSELLECK, Zeitschichten, p. 103 (trad. fr., p. 186).


27. KOSELLECK, Zeitschichten, p. 103 (trad. fr., p. 187).
28. HOBBES, Léviathan ou Matière, forme et puissance de l’État chrétien et civil, traduc-
tion sur l’édition anglaise, introduction, notes et notices par Gérard Mairet, Paris, Gallimard
(folio essais), 2000, p. 224-225.
Herméneutique de la condition historique 591

de possibilité existentiales pré- ou extra-langagières de l’histoire telles que


l’« Historik » comme genre (i.e. théorie non strictement épistémologique de
l’histoire, dont la « Systematik » de Droysen est le modèle inaugural en 1857)
les thématise.
L’enjeu est considérable car s’il s’avère que l’herméneutique ne fait que
réagir ex post à partir des paroles dites à propos d’une factualité pour par-
tie anté-prédicative, alors l’herméneutique gadamérienne devra abandonner
sa prétention universelle allant jusqu’à englober la théorie de l’histoire elle-
même, en en faisant un cas particulier d’application de l’herméneutique.
Alors, en effet, c’est l’herméneutique qui se trouverait secondarisée par
l’« Historik », laquelle s’enracinerait dans une anthropologie de type hobbé-
sien préalable à toute philosophie politique, quelle que soit la manière de la
spécifier ensuite au niveau des formes et régimes politiques, des institutions,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


du constitutionalisme, etc.

4) L’enracinement pragmatique et éthique de l’herméneutique ricœurienne


de la condition historique
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

La singularité de la réflexion ricœurienne est de ne pas en rester à un


niveau herméneutique et ontologique général, mais d’opérer un long détour
par les sciences humaines positives. La chose ne va assurément pas de soi.
En effet, une des thèses critiques communément formulées à l’encontre de
P. Ricœur quant au rapport qu’il entretient avec les sciences humaines
consiste à affirmer que ledit rapport demeurerait in fine indirect et, à la
limite, instrumental. De la même manière que sa théorie herméneutique ne
tendrait pas à élaborer une méthode réglée d’interprétation, mais à simple-
ment positionner la question du « Verstehen » (après Heidegger et Gadamer)
à un niveau bien plus fondamental comme marque de notre finitude ontolo-
gique, le détour par les savoirs positifs (sciences humaines et sociales), lui
reproche-t-on, ne lui servirait finalement qu’à confirmer sa thèse récurrente
d’un sujet blessé, décentré par rapport à la transparence à soi du cogito car-
tésien. Ce détour par les sciences humaines ne lui servirait ainsi qu’à creu-
ser un espace, une voie médiane, entre le « sujet exalté » des philosophies de
la réflexion et le « sujet humilié » des philosophies du soupçon dans la lignée
de Nietzsche 29. Bref, ce détour positif lui permettrait d’argumenter la
nécessité de déplacer sur le terrain d’une herméneutique universelle post-
gadamérienne les philosophies de la conscience et leurs présupposés 30.

29. Cf. la préface à SMCA 15 sq.


30. Cf. par exemple Denis THOUARD, « Herméneutique », in Sylvie MESURE et Patrick
SAVIDAN éds., Le dictionnaire des sciences humaines, Paris, PUF, 2006, ici p. 538.
592 Alexandre Escudier

La critique porte à certains égards, mais elle ne doit cependant pas mas-
quer le fait que Ricœur procède à un tel détour pour des motifs systémati-
ques et en raison de son souci ultime de réancrer l’ontologie dans une éthi-
que de type aristotélicien. C’est là ce que l’on pourrait appeler sa visée
normative ultime ; elle se décline à mon sens sur deux registres différents,
qui sont en fait « les deux faces d’une même tâche 31 ».
Au niveau politique tout d’abord, dès Temps et récit III, il s’agit pour
Ricœur d’éviter toute disjonction radicale entre champ d’expérience et hori-
zon d’attente ; on peut lire là sa critique des utopies politiques à laquelle fait
écho la recherche prudentielle du juste et du bien, en situation critique, que
Ricœur thématise dans la « petite éthique » de Soi-même comme un autre :
Il faut résister à la séduction d’attentes purement utopiques; elles ne peuvent
que désespérer l’action; car, faute d’ancrage dans l’expérience en cours, elles

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


sont incapables de formuler un chemin praticable dirigé vers les idéaux qu’el-
les situent ‘ailleurs’. Des attentes doivent être déterminées, donc finies et rela-
tivement modestes, si elles doivent pouvoir susciter un engagement responsa-
ble. Oui, il faut empêcher l’horizon d’attente de fuir ; il faut le rapprocher du
présent par un échelonnement de projets intermédiaires à portée d’action. Ce
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

premier impératif nous reconduit en fait de Hegel à Kant, selon le style kan-
tien post-hégélien que je préconise. Comme Kant, je tiens que toute attente
doit être un espoir pour l’humanité entière; que l’humanité n’est une espèce
que dans la mesure où elle est une histoire; réciproquement que, pour qu’il
y ait histoire, l’humanité entière doit en être le sujet au titre de singulier col-
lectif 32.

Au niveau existentiel, pluralisé et pluralisable suivant ses ordres d’actua-


lisation (esthétique, éthique, politique, etc.) ensuite, il convient pour Ricœur
de « résister au rétrécissement de l’espace d’expérience. Pour cela, il faut lut-
ter contre la tendance à ne considérer le passé que sous l’angle de l’achevé,
de l’inchangeable, du révolu. Il faut rouvrir le passé, raviver en lui des poten-
tialités inaccomplies, empêchées, voire massacrées. Bref, à l’encontre de
l’adage qui veut que l’avenir soit à tous égards ouvert et contingent, et le
passé univoquement clos et nécessaire, il faut rendre nos attentes plus déter-
minées et notre expérience plus indéterminée ». L’avoir-été du passé ressur-
git ici comme « tradition vivante 33 », permettant de relancer notre mode
d’être à proportion de nos attentes déterminées en responsabilité. Le thème
gadamérien de la « tradition » réapparaît en ce point de tension entre champ
d’expérience et horizon d’attente. P. Ricœur le spécifie par la triade tradi-
tionalité – les traditions – la tradition :

31. TR III 389 sq. et 422 sq.


32. TR III 389. Sur ce style « kantien post-hégélien », cf. la remarque ironique in CC 128.
33. TR III 390.
Herméneutique de la condition historique 593

1) la traditionalité désigne un style formel d’enchaînement qui assure la


continuité de la réception du passé; à ce titre, elle désigne la réciprocité entre
l’efficience de l’histoire et notre être-affecté-par-le-passé ; 2) les traditions
consistent dans les contenus transmis en tant que porteurs de sens ; elles pla-
cent tous les héritages reçus dans l’ordre du symbolique et, virtuellement,
dans une dimension langagière et textuelle ; à ce titre, les traditions sont des
propositions de sens ; 3) la tradition, en tant qu’instance de légitimité, dési-
gne la prétention à la vérité (le tenir-pour-vrai) offerte à l’argumentation dans
l’espace public de la discussion 34.

On le voit: ni absorption de l’expérience et des possibilités pratiques par


des attentes politiques démesurées (hubris pratique), ni clôture sur lui-même
du passé révolu (la « Gewesenheit » heideggérienne l’emportant ici aussi sur
la « Vergangenheit » historiciste), mais bien plutôt une double tâche d’auto-
limitation pratique et de dialogue incessant (à partir d’une structure globale

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


d’anticipation constituée de la futurité des attentes et des affections présen-
tes venues du passé) avec « les » traditions historico-culturelles de sens et « la »
tradition comme pré-jugement (Vor-urteil; Gadamer) toujours déjà là et dont
la « présomption de vérité » (TR III 410) est offerte à la validation et/ou
contestation dans l’espace critique des contemporains (Habermas).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

De cette double tâche dialectique découle la définition même de « l’ini-


tiative », moment à partir duquel s’enclenche la réflexion ricœurienne sur
l’innovation de sens, la liberté réglée, le « présent historique 35 »: « L’initiative,
au plan historique, ne consiste pas en autre chose que dans l’incessante trans-
action entre ces deux tâches. Mais, pour que cette transaction n’exprime pas
seulement une volonté réactive, mais un affrontement de la crise, il faut
qu’elle exprime la forme même du présent 36 ». La « critique idéologique »
habermassienne comme philosophie de l’émancipation et la « conscience des
effets » gadamérienne (wirkungsgeschichtliches Bewußtsein) 37 se trouvent
ici réconciliées et subsumées au plan théorique comme pratique 38. Ce temps
de l’initiative est explicitement pensé par Ricœur comme « temps de crise »,
et partant de jugement en situation, de décision et de choix, face à la disten-
tio animi koselleckienne (explicitement néo-augustinienne 39) de l’expé-
rience et de l’attente.

34. TR III 410 ; voir également p. 397 sq. Comparer à SMCA 333 note 2.
35. TR III 414 sq.
36. TR III 423.
37. Gadamer a lui-même proposé, en français, l’expression de « conscience de la producti-
vité historique », en ID., Le problème de la conscience historique, op. cit., p. 91.
38. Cette réconciliation-dépassement est discutée en TR III 402-411 et DTA 367 sq. Les
textes du débat allemand en question sont rassemblés en Karl-Otto APEL et alii, Hermeneutik
und Ideologiekritik, Francfort/Main, Suhrkamp, 1971.
39. R. KOSELLECK, Le futur passé, op. cit., p. 328 note 4.
594 Alexandre Escudier

Mais si la notion d’« initiative » découle chez Ricœur de la « reprise/répé-


tition » (Wiederholung) des possibilités d’être que recèle la « Gewesenheit »
heideggérienne (avec ses notions connexes d’être-en-dette, d’héritage, de
Schicksal individuel et de Geschick collectif), elle ne s’y réduit néanmoins
pas. Ricœur accorde en effet une place plus grande à l’innovation réglée, à
la critique, bref à la faculté humaine de « refiguration » – via le récit de fic-
tion comme d’histoire-science, via la mémoire socialisée, le pardon, l’oubli,
la reconnaissance, bref l’éthique de l’altérité ressortissant au régime onto-
logique ultime, à mi chemin de Heidegger et de Levinas, de « l’être-enjoint
en tant que structure de l’ipséité 40 ».
Certes – comme dans le registre sémantique de la métaphore (La méta-
phore vive) ou le registre discursif du temps raconté (Temps et récit) –, l’in-
novation de sens ne saurait advenir ex nihilo, mais seulement comme écart

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


par rapport à des règles sédimentées, historiques et historicisables comme
telles (les « puissances éthiques » hégéliennes et droyséennes 41), mais ce pou-
voir limité d’innovation demeure « dans le temps ». Et en cela, justement,
Ricœur s’emploie à arracher l’intratemporalité (Innerzeitigkeit) à la pente
raide, inauthentique, du concept vulgaire de temps fustigé par Heidegger à
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

partir du livre IV de la Physique d’Aristote et à travers toute l’histoire de la


métaphysique occidentale (MHO 458 ; 463). Il s’emploie ainsi à réévaluer le
« présent » et la « préoccupation » (Besorgung) en tant que modalité authen-
tique de l’attestation (Bezeugung) au niveau effectif des structures existen-
tiales de l’être-pour-la-mort.
Ce cadre ontologique heideggérien amendé est à mon sens la raison
ultime pour laquelle P. Ricœur fait ostensiblement le choix d’une certaine
historiographie dans La mémoire, l’histoire, l’oubli 42 : celle des héritiers des
Annales d’après le tournant critique et pragmatique de cette école d’histo-
riens à la fin des années 1989 43. Et c’est pour cela également qu’il a privilé-
gié entre tous les objets historicisables du passé un référent historique par-
ticulier, et de rang déclaré supérieur à tous les autres objets : « Selon
l’orientation générale de l’historiographie à laquelle nous avons donné la pré-
férence, le référent dernier du discours de l’histoire est l’action sociale dans
sa capacité à produire du lien social et des identités. Sont ainsi portés en

40. SMCA 409.


41. Soit la philosophie hégélienne du droit et sa reprise par Droysen dans la seconde partie
de son Historik appelée « Systematik ».
42. Voir également PR p. 200-206.
43. Sur cette évolution, cf. la présentation dense de Christian DELACROIX, « Tournant cri-
tique », in Dictionnaire des idées, Paris, Encyclopædia universalis (Les notionnaires. 2), 2005,
p. 796-798 ainsi que ID., « La falaise et le rivage. Histoire du ‘tournant critique’ », in
EspacesTemps, n°59-60-61, 1995, p. 59-61 et 86-111.
Herméneutique de la condition historique 595

avant des agents capables d’initiative, d’orientation, dans des situations d’in-
certitude, en réplique à des contraintes, des normes, des institutions 44 » –
l’analyse des « jeux d’échelle 45 » permettant ensuite de redéployer l’argu-
ment au plan individuel (comportements) et collectif (représentations-
objets).
On peut certes critiquer – il m’est arrivé de le faire ailleurs du strict point
de vue épistémologique 46 – une telle prise de position au motif que le
domaine d’objets de l’histoire ne serait nullement restrictible en droit à une
classe d’événements particulière; il nous faut néanmoins comprendre que –
au niveau où Ricœur décide de se placer avec son « herméneutique de la
condition historique » – c’est la capacité d’initiative historiquement condi-
tionnée des sujets qui demeure l’enjeu cognitif et pratique ultime : à ce
stade, l’anthropologie ricœurienne de l’homme capable (déplaçant radicale-

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


ment les philosophies de la réflexion et du sujet) ne se satisfait plus du nihi-
lisme axiologique sous-jacent au « tout est intéressant » de l’historien 47.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

5) Conclusion

1.– La tension existant entre la mémoire et l’histoire-science ainsi que le


problème général de la représentation ont donné à Paul Ricœur, dans La
mémoire, l’histoire, l’oubli, l’occasion de formaliser son « épistémologie de
l’histoire » bien au-delà de la seule dimension du narratif, des modalités de
mise en intrigue et de construction d’un tiers temps historique raconté
(entre le temps phénoménologique et le temps cosmologique), comme c’était
encore strictement le cas dans Temps et récit.
2.– Ce faisant, Ricœur a repris de fait le fil de la tradition néokantienne
badoise consistant à abstraire en partant du « Faktum » des sciences histori-
ques afin d’en dégager les conditions de possibilité épistémique, jusqu’à leur
donner la forme générale d’une « logique de l’histoire » (Geschichtslogik)
dont le grand modèle demeure le livre de Heinrich Rickert sur Les limites

44. MHO 501, avec d’autres occurrences similaires p. 232, 278, 284, 289, 450-451, 462 et 494.
45. Cf. la référence répétée aux livres respectivement dirigés par Bernard L EPETIT (dir.),
Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel (Évolution de l’hu-
manité), 1995 et Jacques REVEL dir., Jeux d’échelles. La microanalyse à l’expérience, Paris,
Seuil/Gallimard (Hautes Études), 1996.
46. A. ESCUDIER, « Épistémologie et ontologie de l’histoire », in Le Débat, 122, novembre-
décembre 2002, ici p. 19-20.
47. Le contre-modèle est ici implicitement Paul VEYNE, Le quotidien et l’intéressant, entre-
tiens avec Catherine Darbo-Peschanski, Paris, Belles-Lettres, 1995.
596 Alexandre Escudier

de la conceptualisation dans les sciences de la nature 48. Bien sûr, Ricœur


reste bien en deçà du degré de formalisation logique atteint par H. Rickert,
et même par R. Aron en France dans ses deux thèses. Il demeure que le style
avec lequel il renoue, néokantien, fait droit à l’épistémologie de l’histoire, et
donc à la représentation historienne, et qu’il équivaut en ce sens à une cor-
rection manifeste et délibérée par rapport à Heidegger, qui – ayant selon
Ricœur jeté l’anathème sur le concept vulgaire de temps et tous ses avatars
– ne consentait explicitement à abstraire, au niveau ontologique existential,
qu’à partir du « Faktum ontique » des existences 49.
3.– N’évacuant plus, comme Heidegger, la question véritative de l’his-
toire ni ses effets éthiques comme pratiques au titre même de la « poétique
du récit » qu’il opposait clairement à « l’aporétique de la temporalité » dans
Temps et récit, Ricœur réarticule à nouveaux frais le rapport entre théorie

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


et pratique jusqu’à rejoindre la question du mal politique, du « paradoxe
politique » vis-à-vis duquel Heidegger aura finalement été structurellement
vulnérable. C’est assurément sur ce point que l’affect anti-heideggérien de
Ricœur s’avère le plus prononcé malgré la reprise à la marge du même cadre
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

existential.
4.– Enfin, tentant de tenir ensemble tous les fils (au risque de perdre le
lecteur et en multipliant les introductions et résumés pédagogiques afin de
réactiver son attention), La mémoire, l’histoire, l’oubli s’emploie à sauver
ce qui peut être sauvé de l’ontologie heideggérienne au titre d’une hermé-
neutique de la condition historique, mais en l’encadrant triplement :
a) en amont, au niveau antéprédicatif, par une phénoménologie de la
mémoire ;
b) au centre, par un rapport cognitif réglé, véritatif, au passé (tout le dia-
logue avec l’histoire-science contemporaine et l’histoire de son épistémo-
logie) ;
c) en aval enfin, par une éthique (opposée au solipsisme héroïque de la
« résolution devançante » heideggérienne, soit tout le détour par la « petite
éthique » de Soi-même comme un autre), une esthétique (le monde de la
refiguration ou Mimesis III – historiographique ou fictionnelle – refluant
dans le monde pratique) et une philosophie politique (capable de pen-
ser le « mal » politique, la justice comme équité, les capacités comme les
conditions d’une politique de la reconnaissance, l’oubli et finalement la
juste mémoire).

48. Heinrich RICKERT, Die Grenzen der naturwissenschaftlichen Begriffsbildung. Eine


logische Einleitung in die historischen Wissenschaften, 2 parties, Fribourg/Brisgau, Tübingen
& Leipzig, Mohr, 1896-1902 ; 5e et dernière édition revue et augmentée 1929.
49. Sein und Zeit, op. cit., § 73, p. 382.
Herméneutique de la condition historique 597

À n’en pas douter, « l’herméneutique de la condition historique » occupe


dans l’œuvre de Ricœur une place de choix; elle constitue à mon sens le prin-
cipal pivot de son projet d’anthropologie générale de l’homme capable. On
pourrait même se risquer à affirmer qu’elle joue pour Ricœur – au titre
d’une « philosophie seconde » explicitée comme telle – le rôle d’une désor-
mais impossible « philosophie première » (à prétention fondationnelle)
d’après les philosophies modernes de la réflexion 50. À la condition expresse
d’en marquer le moment éthique et pratique, on peut y voir une manière
originale d’entériner la conscience radicale d’historicité (en tant que rapport
à soi privilégié des Modernes) sans pour autant sombrer dans les apories du
relativisme et de l’historicisme.

Résumé : ‘L’herméneutique de la condition historique’ est un thème central de l’anthropolo-

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres


gie philosophique de Paul Ricœur. Le présent article s’emploie à montrer, d’une part, que
Ricœur redéploie son « herméneutique de la condition historique » à partir de l’analyse
heideggérienne de l’expérience temporelle du Dasein et, d’autre part, qu’il le fait en mar-
quant un certain nombre de désaccords fondamentaux (essentiellement sur les plans épis-
témologique et éthique) avec le cadre heideggérien initial. La thèse adventice soutenue
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.206.164.102 - 28/05/2019 12h34. © Centre Sèvres

dans l’article consiste à indiquer combien cet amendement du cadre heideggérien de départ
aurait pu être encore plus massif, si Ricœur avait reçu un texte capital de Reinhart
Koselleck intitulé « Théorie de l’histoire et herméneutique », dirigé à la fois contre l’on-
tologie fondamentale de Heidegger et l’herméneutique universelle de Gadamer.
Mots-clés : Condition historique. Herméneutique critique. Historicité. Théorie de l’histoire.

Abstract : ‘Hermeneutics of the historical condition’ is a central theme of Ricœur’s philoso-


phical anthropology. The present article seeks to show, first, that Ricœur sketched up its
« hermeneutics of the historical condition » on the very basis of Heidegger’s analysis of
the temporal experience of Dasein and, secondly, that he did so by marking some funda-
mental disagreements with the initial Heideggerian framework (basically from both the
epistemological and ethical point of view). The second thesis argued in this article is that
Ricœur ’s critic addressed to Heidegger’s framework could have been even more massive,
if Ricœur had received the major text of Reinhart Koselleck entitled « Theory of history
and hermeneutics, » which consists in a twofold attack against both the fundamental onto-
logy of Heidegger and Gadamer's universal hermeneutics.
Key words : Historical condition. Critical hermeneutics. Historicity. Theory of history.

50. Ricœur est explicite sur ce point en SMCA 31 ainsi que dans le texte récapitulatif inti-
tulé « De l’interprétation », in DTA 13-39.

S-ar putea să vă placă și