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DES MAUX DE LA TRISTESSE AUX MOTS DE LA VIE

Geneviève de Taisne

L’Esprit du temps | « Imaginaire & Inconscient »

2010/1 n° 25 | pages 9 à 20
ISSN 1628-9676

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ISBN 9782847951837
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Des maux de la tristesse
aux mots de la vie

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Geneviève de Taisne
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La fatigue, quand elle est un signal d’alarme ou un iceberg:


La fatigue fait partie de notre nature humaine. Elle est même salutaire car
elle nous signale nos limites physiques ou psychiques. Quand on les dépas-
se, ou « on craque », on tombe malade ou on « pète les plombs » ou si on est
top mode, on a un « burn out ».
La fatigue peut nous emmener à nous poser des questions existentielles,
autour du sens de la vie, mais aussi nous confronter à la réalité du monde du
travail quand elle rime avec stress. Elle nous emmène aussi et ce sera mon
propos de cet après midi dans les débuts de nos vies, là où se constitue notre
goût pour la vie, notre sécurité interne.
Ces fatigues là s’apparentent plus à un iceberg qu’à un signal d’alarme.
On se dit fatigué mais en fait derrière ce mot se cache un ensemble de symp-
tômes qui parlent d’un mal être dont on ne connaît pas la clé.
Une enquête menée par le professeur Cabane en 2004 auprès d’adultes
consultant pour de la fatigue montre qu’« un tiers des malades avaient une
dépression majeure, répondant positivement aux questions sur la tristesse
...ainsi que des idées de mort et de suicide. »
Mais voilà, une fois que l’on a nommé ce lien, qu’a t-on dit ? Que
recouvre le terme de dépression dans ces cas là ? Il y a autant de niveaux de
dépressions que de type de fatigues.
Claude Smadja s’interroge au cours du colloque sur la fatigue de 2004
sur cette unification dans une même conception psychopathologique de l’af-
fect dépressif et de la sensation de fatigue. « En effet, dit-il la variété cli-
nique des états de fatigue impose bien souvent de nuancer ces deux éprou-

Imaginaire & Inconscient, 2010/25, 9-20.


10 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

vés psychiques. Ce seront les manifestations sémiologiques manifestes


ainsi que la qualité du fonctionnement psychique qui vont permettre d’iden-
tifier l’état dépressif. »
La variété clinique des symptômes liés à ces états pose la question de sa
classification. La fatigue est – elle du registre de la psychosomatique, des
névroses, ou des psychoses ?
Se pencher sur la fatigue est tout à fait passionnant car cela s’assimile à
un voyage archéologique au cœur de nous-mêmes et de ces premiers pro-
cessus qui nous constituent comme sujet.

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C’est ce voyage que j’ai tenté de faire pour vous et avec vous.
C’est donc en plongée sous marine que je vous emmène cet après midi
pour aller visiter la partie immergée d’un de ces icebergs fatigue qu’on ren-
contre dans nos cabinets.
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D’abord, qu’est ce qui différencie une fatigue normale, d’une fatigue –


symptôme ?
C. Dejours dit que plutôt que de parler de fatigue, nous devrions prendre
comme critère le repos. En effet ce qui distingue la fatigue banale, normale
de celle que nous abordons est la capacité de repos.
Tout ce que Maxime aime du haut de ces dix ans ce sont les vacances à
la campagne où il enchaîne tennis, cheval, natation pour terminer dans son
lit avec une bonne B.D et où il dort dix heures avant de recommencer.
Maude aussi a des journées remplies mais elle a peur de s’endormir,
compte les moutons, regarde le réveil. Elle s’endort d’ épuisement. Le réveil
la sort de son lit tout aussi fatiguée avec en prime une migraine ou un mal
de ventre.
Cette difficulté à l’endormissement, je l’ai retrouvée chez plusieurs per-
sonnes se plaignant de fatigue. En même temps, toute personne qui a du mal
à s’endormir ne souffre pas de fatigue chronique C’est pourquoi, on ne peut
caractériser un syndrome par un seul signe. ll nous faut pour le considérer
comme le dit Claude Smadja à travers un ensemble de manifestions.
Au départ, la notion de fatigue m’a interpellée chez les enfants.
En effet, on pense souvent qu’« un enfant n’est jamais fatigué », or j’ai
été frappé de ces enfants dont les parents disent qu’ils sont fatigués, qu’ils
manquent d’entrain.
Puis je me suis rendue compte du parallélisme qui existait entre les mani-
festations à l’œuvre chez les enfants et les adultes. Leur mode d’expression
se complétant, je me suis dit que j’allais vous présenter un aller retour entre
la clinique de l’enfant et de l’adolescent et celle de l’adulte. Pour les ado-
lescents je me suis centrée sur ce qui correspondait au corpus de manifes-
tions dont on va parler. L’adolescence étant un moment de grande fatigue
liée aux transformations physiques et psychiques de cet âge.
Donc, mon premier étonnement est de trouver un ensemble de manifes-
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AUX MOTS DE LA VIE

tations identiques chez l’enfant et l’adulte qui recouvrait un état de


« fatigue ».

Fatigue et Handling

Nous allons donc regarder ces différents éléments cliniques puis les ana-
lyser au regard de la théorie.
Mon hypothèse, en lien avec les recherches actuelles, est que ce type de

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fatigue dont je vais parler renvoie aux premières relations entre le parent et
son enfant, dans le sens de Winnicott :
Selon Winnicott, la mère intervient auprès du bébé de trois manières dif-
férentes :
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Le holding: ce terme désigne tous les moyens qui donnent un support à


son Moi naissant. L’enfant et la mère sont tout d’abord imbriqués sur le plan
psychique, puisque l’enfant s’appuie totalement sur sa présence. Le soutien
fourni par la mère comprend toute la routine des soins quotidiens adaptés à
l’enfant, le protégeant contre les expériences angoissantes. Il est à la base de
l’intégration du Moi en un tout unifié.
Le Handling: il désigne la manière dont il est traité, manipulé, soigné.
C’est l’action maternelle qui conduit l’enfant à une personnalisation. Il
induira ce que Winnicott a appelé l’« interrelation psychosomatique », c’est-
à-dire qu’il permet l’installation de la psyché dans le soma ainsi que le déve-
loppement du fonctionnement mental.
L’object-presenting : c’est la réponse adaptée de la mère aux besoins du
bébé. Celui ci a l’illusion de créer l’objet désiré. Petit à petit il pourra inté-
grer la désillusion et la réalité. Le Handling et l’Object presenting demande
à la mère de pouvoir se décentrer narcissiquement pour s’adapter aux
besoins du bébé.

La fatigue viendrait comme processus défensif face à un défaut de


l’Object presenting et du Handling. Elle est comme une peau, en lien avec
le moi-peau de D. Anzieu, à la fois protectrice et contenante. Elle servirait
de « holding ». Il en serait de même avec le cadre de l’analyse qui jouerait
ce même rôle.
L’angoisse sous-jacente à ce type de symptôme est celle de l’effondre-
ment du moi, de cette première narcissisation ou personnalisation que per-
met le regard des premiers proches.
12 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

Quels sont les éléments qui composent cette fatigue?


D’abord, ça a une couleur : c’est tout gris.
Léo 8ans. 2e d’une famille de trois enfants. Ses parents sont inquiets.
Leur fils est triste, souvent fatigué, vite découragé, n’aimant que la cam-
pagne.
Léo ne parle pas, il est assis, et attend pendant que se parents parlent. Pas
un regard pour la pièce. Je lui tends une feuille.
Il me dessine un paysage de pluie. Tout est gris alors qu’il a 50 feutres

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de couleur à sa disposition. Et pour me montrer que le gris ce n’est par
hasard, il m’en dessine un autre avec un cerf volant vert, fabriqué par son
grand père, vert couleur de la vitalité. Les parents sortent. Je dis à l’enfant :
« Et bien dis donc il pleut beaucoup, il fait tout gris heureusement qu’il y a
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le cerf volant ! » Il me regarde intensément et dessine un troisième cerf


volant tout en couleurs, en disant comme s’il s’agissait d’un gros gâteau :
« c’est mon grand père qui me l’a fait ». A l’évocation de ce dernier un grand
sourire illumine son visage. Le gris est là aussi pour Isabelle, cette femme
d’une quarantaine d’années :
« C’est un couloir, tout est gris, comme si c’était inhabité ou plutôt
comme si c’était vide et pourtant il y a des objets partout et pas de poussiè-
re dessus. Je me vois enfant, là, agenouillée, paralysée. Comme si un voile
gris, un voile de fantôme me tenait à la peau. »
Le gris n’est pas présent tel quel chez Anna. Ravissante jeune fille, mais
elle s’habille en couleur terne, gris foncé, bleu marine, beige, comme si ses
vêtements – peau, renvoyaient au voile gris d’Isabelle. Elle dit sa difficulté
à s‘investir dans la vie, de son angoisse des groupes, des relations qui la
paralysent.
Une couleur. Une constante chez toutes ces personnes : une vie qui
roule, une profession qui marche, avec les difficultés liées à une sensation
de « retrait » par apport à la vie, à une angoisse sous-jacente.
Autre constante. Elles ont eu une famille constituée, des parents présents
dans les premiers temps de la vie de l’enfant, donc là encore rien à signaler
de précis.
Nous voilà, nous les thérapeutes, dans le brouillard, ce brouillard qui
apparaît dans un rêve d’Isabelle.
« Ce serait un groupe de personnes à l’écart desquels je me tiendrais et
autour c’est comme dans le brouillard. »
Ce brouillard, ce tout gris qui va avec une énorme difficulté à parler.
Isabelle, lors de la deuxième séance, ne parle presque pas, n’associe pas,
s’évade dans les contours des rideaux ou de la moulure du plafond, s’en
énerve, m’agresse. Quand je lui demande ce qu’elle aimerait.
De ne pas avoir à parler, que je sois un chirurgien, que je lui enlève cette
boule qu’elle a dans la gorge et au creux de l’estomac. Elle se réveillerait et
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AUX MOTS DE LA VIE

tout serait passé. Elle n’aurait plus ce poids en elle.


La fois d’après elle arrive presque joyeuse. Elle s’est sentie un peu plus
détendue. Elle a un bout de rêve : elle est dans une maison, elle descend au
sous sol » Je lui propose de se détendre et de continuer ce rêve : « il y aurait
des pièces, on voit très mal. » Je lui dis : « si vous aviez une lampe élec-
trique. Dans la première pièce, il y a des malles, fermées à double tour. » Ce
sera pareil dans les pièces qui suivent…
Maud a 8 ans. Elle n’a pas d’entrain, n’investit ni son école, ni ses acti-
vités. Elle serait fatiguée disent les parents par leurs disputes.

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« Tu veux faire un dessin ; « non »
« Tu veux jouer avec les animaux : « non »
« Tu aimes ton école ; « non »
« Le dimanche, tu fais quoi ? » Elle hausse les épaules. « Souvent, rien »
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« Il me semble que tu es une petite fille bien triste, si on faisait de la pein-


ture ensemble ? Moi j’aime bien ça. »
Elle ne dit pas non, et voilà, la mal être avait trouvé son langage : l’ima-
ge et son espace, l’imaginaire.
Maud est très attentive ; elle s’applique mais a l’air d’y prendre du plai-
sir.
Elle dessine le salon. Tout est cadré.
Je lui demande où et comment est sa chambre à elle
Elle se remet à dessiner mais là la peinture déborde, elle s’en inquiète.
Je lui dis : « ici ce n’a pas d’importance, au contraire, tu laisses ta main
faire ce qu’elle veut ».
Elle commence à dessiner des murs, puis patouille tout en vert et mar-
ron : encore un genre de brouillard !
Une adolescente me dira :
« Je me sens apathique, fatiguée. C’est comme des sables mouvants. »
Il y a certaines fatigues qui nous font penser à des sables mouvants. Ils
entraînent les personnes dans un mal être sans fond puisqu’il n’a pas de
cause. Et nous, en tant qu’analystes, nous sommes aussi parfois envahis par
cette fatigue tant ils créent chez nous de tension, d’attention.
Je vous donne un autre exemple : Patricia en thérapie depuis deux ans, la
trentaine, arrive avec deux rêves autour de la médecine. Elle dit : « je ne me
souviens pas, mais c’est normal que je rêve de médecine, je suis épuisée en
ce moment. » Ce que lui évoque les bribes de ces rêves : « rien ». Silence. Au
bout de quelques instants : « mm ? » « Je n’aime pas parler de moi. C’est un
effort. Silence… Ce moi, une image : « un mur ». Il est comment : « Gris,
avec un crépis gris. » Silence.
Le ton est sourd, les mots sortent difficilement, je me sens tendue vers
elle et enlisée.
La thérapie doit rendre perceptible ce qui est invisible et mettre du sens
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sur ce qui se dit sur un mode silencieux.


C’est pourquoi j’ai eu envie d’associer les dessins des enfants qui eux,
représentent avec les mots des adultes quand ils arrivent à dire :
La thérapie de ces personnes me fait penser au film le « 6e sens » : cet
enfant qui perçoit le monde des non vivants, parce que lui-même est entre
les deux.
La fatigue, n’est pas un état mais un univers qui enveloppe et capte toute
l’énergie de la personne et de son entourage.
Quel processus génère ces états de fatigue dont la prise de vitamines ne

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vient pas à bout ? Ces patients qui attendent tout d’une thérapie tout en ayant
le plus grand mal à travailler sur eux. Parfois, seules les larmes coulent.
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Apathie et suractivité
L’autre versant de cette apathie pourrait être une certaine forme de sur-
activité.
Il y a deux sortes de suractivité, celle qui intervient le soir au moment du
coucher et qui ne permet le repos que lorsque l’épuisement le rend instinc-
tif.
Claude Smadja en rend compte : « Ce n’est pas un refus de la passivité
mais un défaut de passivité. Le patient ne peut se laisser aller à un état de
passivité psychique en raison d’un sentiment de terreur à l’idée de perdre le
contrôle de lui même. » Il le relie à une défaillance de « la capacité de la
mère à sublimer sa pulsionnalité en tendresse maternelle qui induit la nuit le
repli narcissique et le jour le travail du rêve. »
Et la suractivité dans la réalité autour de mille engagements bien souvent
au service des autres. Mais ces activités ne les remplissent pas et c’est en
cela que je rejoins l’analyse de Claude Smadja :
« La sexualité psychique, (la libido, ou le plaisir trouvé dans les activi-
tés) agit comme un facteur qui dissipe la fatigue. Ils sont un antidote à la
fatigue.
Et c’est en cela qu’on peut avoir mille activités et ne pas être fatigué
parce qu’elles sont source de plaisir et que la même dose d’activités génère
une fatigue à type dépressif.
« Je ne sais pas ce que je veux faire ; je n’ai pas de désir ; je voudrais res-
ter toute la journée sous la couette. »
Or cette jeune fille est la troisième de six enfants, s’occupe de tout le
monde, a mille engagements à l’extérieur.
« Si ce que vous ressentiez était une image. »
« Un palmier sur une île déserte. »
Comme une réponse à ma question sous-jacente, elle me dit la semaine
d’après qu’elle s’est énervée. Silence. Je lui demande ce qu’elle ressent.
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AUX MOTS DE LA VIE

Silence.
« Vous me demandez ce que je ressens ; je ne sais pas, mais une image
est venue. De l’eau ; je suis en train de nager. Si on nage on ne coule pas.
Ici, comme si je veux rester à la surface ; j’ai pas envie de plonger. »
« Plonger ? »
« Ne pas pouvoir respirer… être plus fragile, me perdre peut-être. »
L’énervement ? Il venait d’un manque d’attention à ce qu’elle avait fait.
Cela l’a étonnée, n’étant pas d’un tempérament colérique.
Comme si l’hyperactivité là est une course épuisante à une reconnais-

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sance, à une place, mais qu’elle ne permet pas la construction de soi.
Dans cette course, la colère n’a pas sa place.
Quand je demande à Patricia ce qu’il y a derrière le mur gris :
« Un très beau paysage, des montagnes, des volcans éteints. »
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Quant à Isabelle, jamais un mot plus haut que l’autre. Quand elle a été
obligée de vendre sa maison à laquelle elle était très attachée, elle n’a expri-
mé aucun ressentiment, juste de la tristesse. Mais elle s’est foulée la cheville
au moment où les futurs acheteurs venaient diner chez elle.
D’où le dernier élément qui fait le titre de cet exposé : des maux pour le
dire.

La fatigue, des maux pour le dire


En effet, à tous les âges on retrouve la présence de migraines, de maux
de ventre, de boule dans la gorge, de dos coincé qui viennent signifier les
affects n’ayant pas de mots pour se dire.
Le psychosomatique est pour Mc Dougall, théâtre du corps. Pour elle, il
est la conséquence d’un refus, par le psychique, de prendre en charge le
conflit pulsionnel, qui s’exprime alors dans le corps (là où, dans l’hystérie,
la conversion est conséquence d’un conflit psychique). Ce refus de traiter le
conflit pourrait être décrit comme une incapacité de représentation.
McDougall prend l’exemple d’un patient qui ne sait pas qu’il souffre « psy-
chiquement ». Cette incapacité de représentation proviendrait d’une faille,
voire plus radicalement d’une coupure, dans le processus originaire.

Alors, quel sera le rôle de la thérapie?


De permettre la plongée ai-je envie de dire sans qu’il y ait noyade ou
effondrement.
Un lieu sûr, contenant, protégé où les affects puissent se dire, se repré-
senter afin d’être élaborer.
Pouvoir aller, nommer le cœur de ces sensations qui n’ont pas de mots
pour se dire.
16 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

C’est pourquoi le rêve éveillé est un outil vraiment précieux parce qu’il
va permettre cette représentation ces affects.
Je propose à Anne de s’imaginer enfant : « Je me vois dans les bras de ma
mère. Elle me donne le biberon mais c’est comme si elle ne s’intéressait pas
à moi. »
Mère présente, mère aimante mais vide au sens qu’elle ne peut s’inté-
resser au bébé. « Qu’aimeriez vous ? »
« Qu’elle me regarde, qu’elle me parle. »

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En conclusion de cette première partie : vers où nous
emmènent tous ces signes ?
Isabelle dira combien sa mère était présente pour s’occuper physique-
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ment d’eux, mais qu’elle n’était pas attentive à leurs émotions. D’ailleurs on
ne partage jamais dans ce domaine là à la maison.
La mère de Léo travaille beaucoup. Elle dit qu’elle se sent très mère mais
pas quand ils sont petits. Quant à la mère d’Anissa, elle était soignée pour
dépression légère. Je n’ai pas parlé des pères. Souvent dans ce type de
pathologie ils sont présents absents. Dans le cas de mes patients, ou ils
étaient absents ou ils n’étaient pas distanciés par apport à leur enfant fille ce
qui introduit un élément trop complexe.
Et donc voilà ce qui m’est apparue passionnant. On parle beaucoup du
holding, la capacité de la mère à contenir l’enfant. Tous ces enfants ont eu
une famille contenante, des soins appropriés, de l’amour. Mais tous ont
manqué de ce que Winnicott a appelé le « Handling » et du « object-presen-
ting » c’est à dire la capacité de la mère à se centrer non sur elle mais sur les
besoins du bébé et de lui donner conscience de son moi naissant.
La fatigue sert de contenant comme rempart par rapport à l’extérieur,
mais aussi par rapport à un espace interne vide, fragile qui a manqué de
regard, de mots de la mère pour se dire, se trouver, se construire. « Ce serait
un château fort, à l’intérieur c’est vide ; il n’y a pas de fenêtre, ni d’accès. »
Paul Denis dit : « le sujet investit sa fatigue …comme un écran entre sa
vie et la vie. Il investit cette sensation comme lutte contre l’angoisse ou une
menace. »
Seule une capacité d’adaptation aux désirs ou aux besoins de l’environ-
nement vont permettre au self, même faux de fonctionner et de donner une
vraie adaptation à la réalité avec un sentiment de tristesse interne une peur
de l’effondrement, un manque de goût pour la vie puisque ce qui constitue
le moi est en partie ignoré.
GENEVIÈVE DE TAISNE • DES MAUX DE LA TRISTESSE 17
AUX MOTS DE LA VIE

Nous ne sommes pas dans des thérapies de lever du refou-


lement, mais de manque.
Comme s’il ne s’agit pas de la perte ou de l’absence du parent mais d’un
défaut dans le mode de prise en charge.
« J’ai du mal à être sur le divan, à ne pas voir votre regard ». « Mon
regard ? » Dis je. « Il me soutient ».
Quels sont les éléments importants de la thérapie qui peut les aider ?
J’en noterai quatre : le cadre, le thérapeute, le récit, et l’image.

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D’abord, il y a le cadre. L’antre du thérapeute est tout d’abord un espa-
ce, un lieu, un temps.
Puis, le thérapeute une personne entièrement consacrée à « ça ».
A ça qui ne peut pas se dire, et que là, Il, le thérapeute devra percevoir
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dans le non dit des maux physiques ou les bribes de rêves ou les jeux trans-
férentiels.
« Je vous entends bouger. J’ai l’impression que vous ne m’écoutez pas. »
« Vous êtes là et c’est comme si vous n’y étiez pas. Je ne sens pas de rela-
tion. En moi, c’est comme fermé. Je me sens seule, toute seule »
Cette fragilité est « fatigante » pour l’analyste mais combien émouvante.
Elle nous renvoie à la détresse du petit enfant qui a besoin pour s’ouvrir
à la vie de cette qualité d’attention qui lui permet de s’habiter lui même.
Le thérapeute est comme un funambule, sur le fil des émotions para-
doxales du patient, toujours tendu de peur qu’un mot ne réactive une bles-
sure, ou qu’il soit prononcé trop tôt, trot tard, et qu’il conduise l’inconscient
à tout renfermer. Cette fatigue est comme un manteau qui protège du froid
du non regard mais aussi un cri silencieux. Ce cri vient de loin, très loin.
Alors bien souvent il m’est arrivé de remplacer les interprétations par des
récits.
« Ce que vous me dites me donne à imaginer cette petite fille qui reve-
nait de l’école avec tous ses soucis et qui avait tellement envie d’en parler
et qui tout d’un coup ne trouvait pas d’oreilles adultes. Peut être avait – elle
un nounours ? » « Oui, se met – elle à dire un gros ; je l’ai gardé longtemps. »
Comme si je remplaçais l’enveloppe fatigue par celle des mots.
Le rêve éveillé dans sa fonction de laisser venir les images, de mettre en
mouvements, puis de nommer va faire fonction de miroir interne et de mère
intériorisée. Ma pratique rejoint ce que dit P. Marty dans son article sur la
fatigue, à propos d’un patient.
« La pensée suppose de laisser venir, laisser faire, se laisser faire, posi-
tion des plus difficiles mais que je peux vivre avec M. B.
Avec lui, la rêverie permet la reprise du travail psychique.
Comme si, aussi, j’avais envie de lui raconter ce rêve, d’apporter de la
pulsion au vide de ses souvenirs, d’insuffler du désir de vivre à son désir de
non-vie, face à la présence constante de la mort et de la souffrance en lui. »
18 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

« La mise en récit, ou tout au moins la mise en mots, de ces images leur


donne ensuite un statut différent, celui d’un rêve qui se construit véritable-
ment dans le moment même où il se raconte (comme ferait le rêve d’un
patient en séance), qui acquiert son sens peu à peu. ».

Le rêve-image s’est imposé comme venant du dehors, j’en fais mainte-


nant une expérience du dedans, dans le corps, dans la psyché, dans l’espace
de la séance, moment d’« appropriation psychique », nous précise Françoise
Rabaté.

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Le rêve se raconte, l’image devient récit, l’image hallucinatoire devient rêve.

On ne peut mieux définir ce que nous appelons le rêve éveillé : à l’inté-


rieur du cadre de l’analyse donner à la personne la possibilité de voir, de
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vivre et de verbaliser, selon la formule de N. Fabre.

CONCLUSION
Comment conclure ? La fatigue dont on vient de parler a des liens avec
la tristesse ; celle de l’enfant seul en lui même, perdu au creux de son être
en devenir.
La tristesse n’est pas qu’un état, un mot, d’ailleurs elle a peu de mots.
Elle est vivante ; elle a un corps, toute en sensibilité.
Pour se déployer la tristesse a besoin d’espace et on la comprend car
l’histoire de toute tristesse c’est l’écrasement, justement le non espace de
parole, d’écoute, de compréhension.
Alors se déployer n’est pas une mince affaire, une affaire fragile, très
fragile car on risque de la froisser, de la casser de l’abîmer encore plus si
on ne laisse pas se déployer l’immensité du chagrin qui la tisse. La tristesse
s’accommode mal du cadre analytique qui limite le temps, celui de se dire.
Elle agit le contre transfert du thérapeute le laissant lui même dans la tristesse
déposée, fatigué qui voit partir l’autre déçu, frustré. L’enfant lui est malin !
Ou il s’arrange pour emmener un pétale de fleur, un bout de pâte à modeler,
ou il laisse un tel bazar qu’il sait qu’il va être là encore bien après lui ! Notre
inconscient sait prendre tout ce qui lui fait du bien. Alors pour nous tous il
est bon de se souvenir que ce qui est le meilleur vaccin à cette fatigue là,
ce sont nos liens d’affection, c’est le rire partagé, c’est le plaisir d’être
ensemble. Plaisir que je viens d’avoir. Merci de votre écoute.

Geneviève de TAISNE
Psychanalyste Rêve éveillé
5, rue de Turbigo
75001 Paris
GENEVIÈVE DE TAISNE • DES MAUX DE LA TRISTESSE 19
AUX MOTS DE LA VIE

BIBLIOGRAPHIE

ANZIEU DIDIER (1985). Le Moi peau. Dunod


FABRE NICOLE. (2001). Au miroir des rêves. Desclée de Brouwer
MARTY PIERRE (2004). Revue française de psychosomatique. N° 24. Puf
RABATE FRANCOISE (2004). Revue française de psychosomatique N°24. Puf
SMADJA CLAUDE (2004). Revue française de psychosomatique N° 24 Puf
WINNICOTT DONALD (1969). De la pédiatrie à la psychanalyse.Payot

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Geneviève de Taisne – Des maux de la tristesse
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aux mots de la vie

Résumé : La fatigue fait partie de notre vie quotidienne. Elle


est un signal d’alarme de l’épuisement. Elle peut être aussi un
symptôme qui nous renvoie aux premières relations entre
l’enfant et sa mère. Elle fait appel à la notion de handling
développée par Winnicott. Ces personnes ont manqué de l’at-
tention nécessaire pour investir leur propre personnalité et
leur vie. Elles protègent leur sentiment de vide intérieur par
un halo de fatigue qui leur sert de holding ou de moi-peau. Le
transfert sert d’étayage à ce défaut de narcissisation et l’ima-
ge permet la représentation et le déploiement de ces sensa-
tions.
Mots-clés : Handling – Représentation – Manque – Vide –
Tristesse.

Geneviève de Taisne – From sadness words to life


words

Summary : Fatigue is part of our daily life. It’s a signal of


exhaustion. It might also be a symptom linked to primary rela-
tionships between the child and his mother. It’s related to to
the idea of « Handling » as developed by Winnicott. These
people missed the attention necessary for the process of
embodying one’s personality and destiny. They contend with
their feeling of internal vacuum by a cloud of fatigue which
acts as a « holding » or « self skin. The transfer helps to build
an adjustment to this deficiency in narcissisation, and the
image enables the representation and the perception of these
feelings.
Key-words : Handling – Representation – Vacuum – Sadness.
20 IMAGINAIRE & INCONSCIENT

Geneviève de Taisne – Dalle parole della tristezza


alle parole della vita

Riassunto : La stanchezza fa parte della nostra vita quotidia-


na. È un segnale d’allarme dell’esaurimento. Può anche esse-
re un sintomo che ci rimanda alle prime relazioni tra il bam-
bino e la madre. Richiama la nozione di handling sviluppata
da Winnicot. Chi ne soffre è stato privo dell’attenzione neces-
saria per impadronirsi della sua personalità e della sua vita.

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Protegge il suo senso di vuoto interno con un alone di stan-
chezza che gli funge da holding o da io-pelle. Il transfert
funge da appoggio a questo difetto di narcisizzazione e l’im-
magine permette la rappresentazione e l’ampliamento di ques-
te sensazioni.
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Parole chiavi : Handling – Rappresentazione – Mancanza –


Vuoto – Tristezza.

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