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Ill

MA VIE POLITIQUE ET SYNDICALE


.ENTHOUSIASME E;T DECEPTIONS
1944 -1981

TOME
1
Achevé d'imprimer en décembre 1989
sur les presses de l'Imprimerie Arabe de Tunisie
pour le compte de
Alif-Editions de la Méditerranée
© Alif
Tous droits réservés pour tous les pays
3, rue de Hollande - Tunis - Tunisie
N" ISBN (éd. complète) 9973.716.25.6
No ISBN 9973.716.26.4
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PREFACE
Voici enfin à la disposition du lecteur les mémoires d'un
acteur et d'un témoin privilégié de l'histoire contemporaine de la
Tunisie . En effet, que ce soit à l'époque coloniale ou après l'indé-
pendance du pays, l'Union Générale Tunisienne du Travail
(U .G .T.T.) a été au centre des débats d'ordre économique, social,
politique voire culturel. Ce qui place celui dont le nom est intime-
ment lié à cette centrale syndicale, étant un de ses principaux fon-
dateurs en Janvier 1946 et n'ayant cessé depuis de militer pour
cette organisation à des postes de commande, dans une position
particulièrement intéressante. Ainsi, la personnalité de l'auteur,
qui est incontestablement celle qui a le plus marqué le syndica-
lisme tunisien actuel confère à elle seule à cette oeuvre une impor-
tance de document d'Histoire de grande valeur.
Militant syndicaliste mais aussi politique il nous informe à tra-
vers son récit sur l'évolution surtout syndicale et politique de la
Tunisie à partir des balbutiements d'un syndicalisme tunisien au
lendemain de la rupture avec la C.G.T. en mars 1944,- prélude à
la fondation de l'U.G.T.T. le 20 Janvier 1964-, jusqu'au Conseil
National de Novembre 1981 qui l'a vu revenir à la tête de cette
centrale. Ce retour aux responsabilités syndicales, après une
période d'emprisonnement et de résidence surveillée n'est ni le
premier, ni le dernier d'ailleurs. Il en résulte que ce livre compor-
te, entre autres, des témoignages trés précis sur les prisons, les
procès et la répression aussi bien avant, qu'après l'indépendance
de la Tunisie.
Ce travail pourrait aussi apparaître comme exceptionnel
parce qu'il est dû à cette catégorie de personnes qui, constamment
prise dans le feu de l'action, n'ont pas d'habitude le temps de rédi-
ger. C'est un hasard, à savoir une longue période de résidence sur-
veillée consécutive à un séjour en prison, qui a permis au leader

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syndicaliste d'écrire, comme il l'indique lui-même, à partir de jan-
vier 1980 ces mémoires, auxquels il a joint un certain nombre de
documents. En effet, rien ne prédisposait cet électricien de forma-
tion à succomber à la tentation d'écrire. D'abord, ce fils de garde-
pêche né en février 1913 dans un petit village de pêcheurs, El
Abbassia aux Iles Kerkennah, n'a suivi des études, après le Certi-
ficat d'Etudes Primaires obtenu en 1928, que dans un Lycée Tech-
nique: celui de Tunis (Emile Loubet). Puis, militant au Néo-Des-
tour et à la C.G.T. dès 1934, il s'est livré tout entier, aux combats
politique et syndical dans lesquels il a cotoyé maints intellectuels
qui l'ont plutôt peu marqué.
Son absence de complexe face aux intellectuels donne à mon
avis plus d'originalité, de saveur et d'intérêt à son témoignage car
il a veillé àce que son travail ne soit pas réécrit : ses souvenirs sont
relatés et sa pensée est présentée avec son style en prenant parfois
des libertés avec la langue française. Il ne se plie pas aux normes
du récit autobiographique : très discret pour ce qui est de sa jeu-
nesse et de sa vie privée, c'est surtout la rencontre entre la per-
sonne et la centrale syndicale qui est l'objet de ses préoccupations.

Au delà des souvenirs d'un homme hors du commun qui, de


par ses responsabilités, fournit une masse d'informations incom-
parables sur ses relations avec les personnalités qui ont marqué
l'histoire du pays, nous avons des données sur le fonctionnement
de l'U.G.T.T. et ses rapports avec les différentes organisations
tant nationales qu'internationales. Nous disposons même pour la
période cruciale 1973- Janvier 1978 d'un compte rendu détaillé sur
les activités de la centrale syndicale dans les différents domaines.

La dimension internationale n'est pas absente que ce soit à


l'échelle maghrébine, arabe ou autres. D'ailleurs comment peut-il
en être autrement quand on sait qu'Habib Achour a aussi longue-
ment assuré jusqu'à une date trés récente la responsabilité de vice-
président de la Confédération Internationale des Syndicats Libres
(C.I.S.L) ?!
L'intérêt de cette œuvre réside aussi dans le fait qu'homme de
conviction l'auteur émet de temps à autre son opinion sur différen-
tes questions et ces réflexions ne sont pas systématisées. Qui plus
est, les informations présentées sur les personnalités rencontrées
sont souvent suffisamment diversifiées pour nous permettre d'affi-
ner les portraits de plusieurs personnes qui ont influencé le cours
de l'Histoire contemporaine de la Tunisie, et de dépasser par la
même les schémas réducteurs proposés par des mémoires apurés
ou l'Histoire officielle.

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Doté d'une forte personnalité Habib Achour n'a jamais été,
depuis ses premiers pas dans la vie syndicale et politique, influencé
dans ses choix décisifs. Ainsi, en 1937 il reste à la C.G.T. à Sfax et
n'adhère pas à la deuxième Confédération Générale Tunisienne
du Travail fondée pourtant par un militant néo-destourien, Belga-
cem Gnaoui , bien qu'il continue à militer au Néo-Destour. Cer-
tes, son ami Farhat Hached demeure aussi à la C.G.T., mais ce
dernier avait à l'époque plutôt des sympathies socialistes. Pour ce
qui est de la période d'après guerre et de sa rupture avec le syndi-
calisme français, je préfère laisser le soin d'en parler à l'auteur lui-
même à qui je cède la parole.

Abdesslem BEN HAMIDA

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Un Anniversaire de L'U.G.T.T.
Janvier 1980

J'aurais pu en cette occasion dire beaucoup de choses sur le


passé de l'U.G.T.T, son présent, son futur et j'estime que je suis
l'un des plus qualifiés pour le faire, mais pour éviter toute mau-
vaise interprétation, et ne pas donner à nos adversaires qui atten-
dent l'occasion pour mettre en branle contre nous le système de
propagande déjà rodé et perfectionné pour ce genre de travail, j'ai
préféré me taire croyant que le temps fera son œuvre et que tout
le monde en Tunisie, aussi bien les responsables que le peuple sont
maintenant convaincus de l'innocence, de la bonne foi de la sincé-
rité et du sens de la responsabilité de ceux qui ont dirigé l'U. G. T. T
jusqu'au 26 Janvier 1978. Toutefois le discours de Tijani Abid le 20
Janvier remue le couteau dans la plaie et m'oblige de sortir du
silence que je me suis imposé afin de ne pas laisser les quelques vic-
times innocentes, qui ont pu le croire à tort ou à raison, dans l'er-
reur. En effet, dans son discours de clôture "Après avoir attribué
toute la responsabilité des crises et des convulsions internes
connues par l'U.G.T.T depuis 1956 à Habib ACHOUR, l'ex-
secrétaire général déviationniste, de la centrale syndicale", il
déclare que : "la crise la plus grave était celle du 26 Janvier 1978
dont les instigateurs cherchaient à provoquer la rupture entre les
partenaires sociaux et le gouvernement". (voir la Presse et l'Ac-
tion du 22 Janvier 1980).
D'ailleurs, depuis ma libération de prison en Août 1979, il ne se
passe pas de jour sans entendre un discours ou sans lire un article
d'un membre du gouvernement ou du parti glorifiant leur grande
victoire remportée sur les grévistes du 26 Janvier 1978 en moins de
24 heures.
Devant une telle accusation est-il permis de se taire ? Comme
tout le monde j'ai dit non et je vais essayer d'être clair et bref.

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L'accusation de Tijani Abid date de 1956 mais je préfère remon-
ter jusqu'à 1944 et je serais très heureux de comparaître devant
une tribune libre formée de syndicalistes, d'hommes politiques de
tout bord pour essayer de déterminer les responsabilités de chacun
des responsables de l'U.G.T.T depuis sa création, d'écrire sa vraie
histoire et réparer les falsifications qui y ont été portées par des
fossoyeurs, intellectuels à la recherche d'avancement et de plus
d'influence.

*
* *

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La Fondation de L'U.G. T.T.

Tout le monde sait qu'après la fin de la guerre de 1940 le mouve-


ment syndical a repris avec force, Farhat, moi et Bouraoui nous
étions responsables dans nos syndicats respectifs et membres de
l'union locale de Sfax, naturellement C.G.T.
Au congrès de 1944, nous avons assisté à une lutte acharnée
entre les socialistes et les communistes pour la direction de l'union
départementale. Les orateurs ne faisaient que s'attaquer violem-
ment sur le plan politique et ne s'interessaient nullement aux Tuni-
siens ni dans le domaine social, économique ou politique. Je ne
pouvais pas supporter cette atmosphère que je jugeais anti-Tuni-
sienne moi qui étais destourien responsable à Sfax depuis 1935.
Durant le congrès et après une séance du matin, nous nous som-
mes rendus Far hat et moi chez Mohamed Ben Romdane dans une
oukala de la grande mosquée, là j'ai dit à Farhat que je ne retourne
pas au congrès, j'ai quitté la C.G.T., notre présence dans cet orga-
nisme est contraire à l'intérêt des travailleurs, Farhat était de mon
avis pour quitter la C.G.T. mais il voulait continuer à assister
jusqu'à la fin du congrès.
De retour à Sfax chacun de nous a tenu une réunion avec son
syndicat et nous avions tous décidé la désaffiliation. Tous les res-
ponsables tunisiens des syndicats en ont fait de même et en très
peu de temps il n'existe presque plus de Tunisiens à la C.G.T.
Les nouveaux responsables de la C.G.T. à Tunis avisés ont
envoyé les meilleurs de leurs éléments afin de rétablir la situation
mais vainement.
Le syndicat des municipaux de Sfax a eu l'idée d'une pétition au
Président de la municipalité lui demandant d'accepter les camara-
des A CHOUR et PREAU pour la défense de leurs intérêts.
Pendant que les responsables de la C.G.T. doublaient d'efforts
pour faire revenir les démissionnaires, certains dirigeants de l'an-

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cienne équipe se rencontraient chaque jour pour suivre l'évolution
de la situation syndicale et prendre les mesures qui s'imposaient.
Un jour, bien que loin du bruit de la ville et alors qu'on discutait
toujours du même sujet qui commençait à nous inquiéter parce
que nous savions que les ouvriers ne pouvaient pas rester éternel-
lement sans syndicats car leurs intérêts en souffriraient, brusque-
ment, Farhat sursauta, m'attrapa par les épaules et me dit :"j'ai
trouvé la solution, mais il faudrait beaucoup de courage. Il s'arrêta
et reprit : "les syndicats sont constitués en vertu d'un décret et rien
ne nous empêche, en vertu du même décret, de constituer une
organisation syndicale autonome".
Le soir même une réunion s'est terminée dans un local en ville
arabe où un statut a été élaboré et un bureau provisoire a été formé
le 19-11-44.
Farhat a demandé son détachement et un local a été loué avec le
syndicat tunisien des cheminots. L'annonce de cet événement à
Sfax a eu un très bon effet sur les travailleurs qui ont rejoint en
vagues successives les syndicats autonomes.
Le travail se fait nuit et jour, nous étions infatigables emportés
aussi par le succés qui dépassa toutes les prévisions.
Le 1er congrès consécutif des syndicats autonomes a eu lieu en
1945 à la société de bienfaisance de Sfax, avec la présence de cer-
tains camarades de Gafsa et de Gabès où on a élargi le champ d'ac-
tion en poursuivant l'organisation de l'union des syndicats autono-
mes du Sud Tunisien.
Les journaux Tunisiens'Ennahdà'ei'Ezzohrà'donnaient un large
écho au travail syndical qui se faisait à Sfax. Du fait de mon appar-
tenance au Parti Néo-destourien, des contacts ont eu lieu avec
Hédi Chaker chef de la fédération de Sfax et membre du bureau
politique, naturellement il était très satisfait de la naissance de
cette organisation syndicale à Sfax et de sa bonne marche.
Farhat a commencé par songer à la création d'une centrale syn-
dicale nationale et pour cela il a été décidé la formation d'une
organisation syndicale autonome pour le nord.
A cet effet Farhat a fait de nombreux séjours, parfois assez longs
et c'est à la fin de l'année 1945 que le bureau provisoire a été cons-
titué avec Hechemi Bel Kadi comme secrétaire général et avec
entre autres Béchir Bellagha, Nouri Boudali et Béchir Ben Bra-
ham. Dans notre activité syndicale Farhat insistait sur le caractère
apolitique de notre mouvement ce qui nous a permis de faire un
grand pas sans être inquiétés par les autorités du protectorat.
Le départ de Bourguiba pour la Lybie a éveillé les soupçons à la
suite de mon arrestation pour avoir hébergé Bourguiba chez moi

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et participé à son évasion.
Depuis, les autorités françaises ont pris la décision de combattre
les syndicats tunisiens et de les anéantir par tous les moyens.
Pendant ce temps Farhat passait plus de temps à Tunis qu'à Sfax
et c'était moi qui le remplaçait.
Le 20 Janvier 1946 se réunissaient à la Khaldounia les délégués
des syndicats autonomes du sud et du nord pour la formation d'une
organisation syndicale nationale, qui est née après de longues dis-
cussions, elle a été dénommée l'Union Générale Tunisienne du
Travail (U.G.T.T.). Les élections enfin du congrès avaient donné
une commission Administrative composée des membres suivants :
Fadhel Ben Achour président, Farhat Hached secrétaire général,
Kilani Cherif, Sahbi Farhat, Béchir Ben Braham, Béchir Bel-
lagha, Abdelwahab Dakhil, Mahmoud Ben Tabar, Sadok Chaïbi,
Touhami Ammar, Abdelaziz Bouraoui, Hachemi Belcadhi et
moi-même.
La Presse arabe a salué cet événement heureux pour notre pays
alors que la Presse Française nous qualifiait, celle de gauche, de
diviseurs de la classe ouvrière et la Presse colonialiste d'anti-Fran-
çais et de destouriens notoires qu'il faut abattre de suite avant
d'empoisonner le pays. Presque toutes les régions étaient repré-
sentées.
Farhat, installé définitivement à Tunis fait un ex-cellent travail,
aidé en cela par les amis nombreux qu'il a connus pendant qu'il
était membre de l'union départementale, qui avait pour secrétaire
général, le socialiste Bouzanquet battu au congrès de la C.G.T. à
Tunis en 1944.
Les syndicalistes tunisiens s'organisent dans toutes les régions
au sein de l'U.G.T.T. dans les villes, comme dans les campagnes
avec un enthousiasme qui n'a d'égal que la foi ardente et notre
volonté de briser tous les obstacles, consentant pour cela les sacri-
fices les plus grands avec joie et détermination.
Far hat sillonnait le pays, avec sa simplicité, sa volonté, son intel-
ligence, sa détermination et son pouvoir de persuasion. Il réussit à
convaincre tous ceux qui prennent contact avec lui ou qui assistent
à ses meetings.
En très peu de temps l'U.G.T.T. devient l'organisation syndi-
cale la plus représentative et malgré celà le gouvernement du pro-
tectorat continue à nous combattre depuis l'évasion de Bourguiba.

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Les Premières Grèves

L'U.G.T.T. a déposé un certain nombre de revendications dont


une majoration générale des salaires. Cette revendication a été
demandée en même temps par les autres centrales syndicales : la
C.G.T. et la C.F.T.C. Les autorités comptant sur la division des
travailleurs ont fait la sourde oreille. Pendant ce temps l'U .G.T.T.
à Sfax au sommet de sa puissance a préféré se lancer dans les grè-
ves pour amener le gouvernement,qui nous a-chassés de toutes les
commissions où siègent des délégués ouvriers y compris la com-
mission régionale des salaires, à changer son attitude.
Un dimanche, alors que les cadres syndicalistes réunis à la mai-
son de l'U.G.T.T. avaient pris la décision de mettre en grève une
vingtaine de syndicats dont le règlement de salaires est en instance
pour le seul motif que les ouvriers adhèrent à I'U.G.T.T, Farhat
arrive à l'improviste d'une tournée dans les mines de Gafsa. On le
met au courant de nos décisions en lui ajoutant qu'il y aura de la
bagarre demain devant la tannerie Joppey. Les autorités feront
tout pour briser la grève afin d'éviter le pourrissement des peaux.
Il était décidé que Farhat restait à la maison de l'U.G.T.T. où se
trouvaient rassemblés les ouvriers des établissements en grève qui
devaient constituer le renfort à appeler en cas d'affrontement.
Cette tannerie employait des prisonniers allemands au nombre
de dix, les autres ouvriers de l'usine, une quarantaine, .étaient là
bien avant l'ouverture et j'étais avec eux. Les prisonniers arri-
vaient escortés de deux agents de police cyclistes. Les grévistes se
mirent à la porte empêchèrent les prisonniers d'entrer. Un agent
partit chercher du renfort. De mon côté j'envoie un petit mot à
Farhat lui demandant cent hommes car la bagarre était imminen-
te, nos camarades venaient en courant et arrivèrent avant les ren-
forts de la police qui n'étaient que de six agents. Leur sergent dis-
cutait avec moi pour libérer l'entrée mais il a constaté que c'était

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inutile et il a envoyé encore chercher du renfort. J'en faisais autant
et une fois de plus nos camarades arrivaient avant les policiers.
Cette situation se termine vers midi, toute la police était là mais il
y avait au moins 1500 ouvriers bien décidés.
Une première tentative de la police, bâtons en main, pour déga-
ger l'entrée s'est avérée inefficace, nos camarades gardaient tou-
jours leurs positions après la mêlée qui a provoqué plusieurs bles-
sés parmi les nôtres qui ne voulaient même pas aller se faire soi-
gner pour rester à leur poste de combat. Un certain calme puis un
bruit assourdissant annonçait l'arrivée de l'armée.
En même temps arrive le contrôleur civil adjoint. Il m'invite à
laisser ceux qui veulent travailler et d'aller discuter avec le contrô-
leur civil- chef de Région. Je réponds que pour l'ouverture c'est
impossible ce sont des camarades qui attendent leur réglement de
salaire depuis longtemps, ils ne peuvent l'obtenir pour le seul fait
de leur appartenance à l'U.G.T.T. qu'ils n'entendent quitter à
aucun prix. Pour la discussion avec le chef de Région le camarade
Farhat peut le rencontrer et discuter avec lui de la question qui
nous préoccupe. Il était d'accord, je suis rentré à l'U.G.T.T. où
j'ai mis Farhat au courant de la décision. Il en était content et s'est
rendu tout de suite au contrôle civil et moi au champ de bataille.
De temps en temps l'armée provoque les grévistes en avançant
sur les rassemblements qui se dispersent pour mieux encercler les
engins et envoyer des pierres sur les conducteurs.
Le Caïd qui était venu est intervenu auprès de l'armée pour lui
demander d'attendre le résultat des discussions avec le contrôleur
civil- chef de région ; craignant d'autres interventions de l'armée,
nous avons décrété la grève générale à Sfax. Les commerçants de
la ville ont fermé sur ordre de Chaker chef du Parti. Et tous,
ouvriers, commerçants et étudiants sont mobilisés.
La grande place était pleine de monde, le tout Sfax était dans
l'attente ou d'un accord ou d'un affrontement et on s'attendait
plus à l'affrontement qu'à l'accord. Il commençait à faire nuit
quand Farhat arriva à pied, il me montra un papier qu'il agitait de
la main et me dit : "c'est une victoire inespérée."
Nous étions entourés par des milliers d'hommes à qui Farhat
expliquait le contenu.
Le contrôleur civil en accord avec la résidence autorise l'U.G.T.T
à participer à toutes les commissions nationales et régionales qui
présentaient un intérêt pour les travailleurs.
Farhat a été pris en triomphe sur un parcours de 2 kms avec une
tournée triomphale en ville européenne.

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Le lendemain, les journaux français de droite annonçaient avec
amertume que la ville de Sfax a été occupée durant 2 heures par les
grévistes et ils demandaient des sanctions contre les responsables
régionaux de l'ordre pour ne pas avoir maté les grévistes.
Cette grande victoire de l'U. G. T. T. lui a permis de se renforcer
davantage dans tout le pays, elle a permis aussi à Farhat d'insister
sur une majoration générale des salaires assez consistante. La
Résidence générale ne voulait pas démordre malgré l'insistance
des 3 organisations syndicales et la campagne de presse et les mee-
tings qui ont été organisés par chacune d'elles à travers le pays.
A cet effet Farhat réunit la commission administrative de
l'U.G. T.T. qui décida le principe d'une grève générale illimitée à
partir du 4 Août 1947 si nos revendications ne sont pas satisfaites.
Pendant que la grève se préparait avec ferveur et sans oubli des
moindres détails car nous étions conscients du risque que nous
encourions, les journaux de droite annonçaient en gros titre que la
commission administrative de l'U.G.T.T. déclarait la guerre au
gouvernement, ils demandent au pouvoir de frapper fort et d'en
finir avec les agitateurs, qui, "sous couvert du syndicalisme, vou-
laient jeter les Français à la mer". Le 4 Août approche et la rési-
dence ne se prononçait pas.
Farhat m'appela à Tunis, il m'attendait à la gare et de là, nous
nous sommes rendus au jardin public pour plus de tranquilité sous
un arbre énorme, nous avons discuté durant des heures de la grè-
ve, des conséquences de la réussite, aussi bien que de l'échec.
Farhat savait que le gouvernement avait décidé d'anéantir
l'U.G.T.T. et c'est à Sfax que le coup devait être donné, il avait
peur de ne pas voir d'opposition à l'intervention de l'armée, ce
serait notre mort a-t-il dit et il préfèrait dans ce cas chercher une
autre solution.
Je lui ai répondu que les travailleurs à Sfax ont donné plus d'une
preuve de courage et de s,acrifice pour ne citer que les grèves de la
tannerie Jappet, des salines, des ports, du bâtiment, des munici-
paux ... etc. Je lui ai affirmé qu'on nous prendrait morts plutôt que
de fuir les forces d'intervention et qu'il en soit tranquille, nous
sommes décidés à faire notre devoir comme ille faut aussi.
Far hat en a été rassuré mais il demeurait inquiet quant à la tour-
nure que prendraient les événements à la suite de la grève illimitée
qui constitue l'épreuve de force jamais vue, déclenchée par une
organisation toute tunisienne dans un pays de Protectorat où la
moindre action est considérée comme une atteinte aux droits et
prérogatives de la nation protectrice.

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Après cette longue discussion où tous les détails de la grève ont
été discutés nous nous sommes dirigés vers la gare pour me per-
mettre de rentrer à Sfax qui se prépare fièvreusement pour la réus-
site de cet événement et pour en sortir victorieux. A cet effet une
douzaine de commissions ont été formées, chacune avait ses attri-
butions bien déterminées. Rien n'a été oublié ni même négligé, les
études se font dans les moindres détails, jusqu'à la popote pour 8
milles hommes pour qui nous avons demandé au syndicat des
pêches de ne pas faire la grève mais de nous vendre toute sa pro-
duction.
Les points névralgiques qui avaient besoin d'êtres soutenus et
qui pouvaient être les lieux d'interventions de la forée publique se
situaient autour du Sfax - Gafsa. Pour plus de précautions il a été
décidé par la commission supérieure de grève que je m'installe à la
porte d'entrée des ateliers, Bouraoui à la porte d'entrée de la gare
et Krayem à une autre entrée plus loin.
La grève est prévue pour le 3 Août à minuit et le rassemblement
prévu à la Place Sidi Bel Hassen à quelques mètres du local de
l'U.G.T.T.
Jamais dans l'histoire du pays un tel rassemblement n'a eu lieu.
Ce ne sont pas les dix mille syndicalistes qui sont là, mais le peu-
ple Sfaxien tout entier dela ville comme desbanlieues,leshommes,
les enfants et beaucoup de femmes. Du haut d'un magasin j'ai
expliqué cette grève et son importance dans la vie syndicale et poli-
tique et en concluant j'ai déclaré qm:> de cette grève dépend l'ave-
nir de notre péuple : c'est une question de vie ou de mort et pour
bien vivre libre, il faut accepter avec courage le sacrifice de la vie
et en chantant l'hymne national nous nous sommes rendus devant
l'entrée des ateliers du Sfax-Gafsa où une sorte d'état major de la
grève a été installée, et de là nos camarades ont été à leurs postes
respectifs conformément au plan d'organisation que détient cha-
que responsable.
C'était Ramadan. Il était 2 heures, la distribution des repas de
rupture du jeûne a commencé, les ravitaillements des piquets de
grève étaient là, des camions avec de grandes marmites font le
plein et partent aussitôt à vive allure pour ne pas risquer d'arriver
trop tard.
Les commissions de contrôle fortes de plus de 200 hommes visi-
tent les trés nombreux piquets de grève installés à l'entrée de tous
les établissements publics ou privés.
Sachant d'avance que si la force publique doit intervenir çà ne
peut se passer que devant Sfax - Gafsa, pour cette raison nous
avons laissé à chaque syndicat un nombre limité et le reste des

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camarades fut mobilisé pour le renforcement de la garde autour de
cette grande compagnie très puissante qui personnifie la colonisa-
tion.
Les piquets de grève à 3 km sur la route Tunis-Sfax et Gabès-
Sfax, ont pour mission d'annoncer aux camionneurs, l'état de
grève décidé par l'U.G.T.T. D'ailleurs il y en a eu très peu et il n'y
a eu aucun incident. Au Sfax - Gafsa comme partout ailleurs dans
la région, le mot d'ordre de grève était observé à 100 %.
Les policiers et les gendarmes ne se sont pas montrés dans la
matinée. Le contrôleur civil m'a convoqué vers 10 h. Il semblait
très affecté et se plaignait de la présence de tout ce monde autour
de Sfax-Gafsa, de l'opposition des grévistes à des ouvriers euro-
péens qui voulaient aller à leur travail, du port par les grévistes de
gourdins et de barres de fer. Il soulignait que des patrons ont été
empêchés de rentrer à leurs usines et que le Président de la muni-
cipalité lui même a été empêché.
Nous lui avons répondu que nous avons donné des instructions
pour que la grève se déroule dans le calme et si monsieur le con-
trôleur civil veut bien nous donner des cas précis, nous ne manque-
rons pas de les vérifier et de lui en parler ensuite, d'ailleurs nous ne
comprenons pas le pourquoi de cette attitude de nos camarades
surtout que la grève est à 100 % réussie. De toute façon dit le con-
trôleur civil je vous demande de ne pas entraver la liberté du tra-
vail et d'éviter les rassemblements armés qui peuvent provoquer
l'intervention des forces de l'ordre et créer des incidents et si vous
le voulez nous engageons les discussions pour examiner vos reven-
dications et vous reprenez le travail.
Nous l'avons remercié de ses bonnes intentions mais nous lui
avons dit que la grève a été décidée par l'U.G.T.T. pour tout le
pays, que les discussions doivent avoir lieu à Tunis et qu'il appar-
tient à l'éxécutifde l'U.G.T.T. et à lui seul demettre fin à la grève.
Le soir vers 11 heures le contrôleur civil nous appelle de nou-
veau. Il est entouré du Caïd, du Président de la municipalité, du
Général de la place avec 2 autres officiers supérieurs et du commis-
saire divisionnaire. Il me fixe d'un regard méchant et haineux et
me dit: "l'autorail partira comme prévu à 4 heures, si vous vous
opposez, je fais intervenir la force, les ouvriers armés de gourdins
qui encerclent la compagnie Sfax-Gafsa doivent quitter les lieux,
toute entrave à la liberté de travail sera réprimée, d'ailleurs nous
avons reçu une demande du syndicat C.G.T. pour les protéger et
leur permettre d'aller au travail".
Nous avons répondu au contrôleur civil qu'il n'y aura pas d'en-
trave à la liberté de travail mais la présence de plusieurs piquets de

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grève le long de la très vaste superficie du Sfax- Gafsa est indispen-
sable aussi bien pour nous que pour la compagnie, il y allait de la
sécurité même de la compagnie, car les camarades empêcheront
d'entrer les personnes étrangères qui pourraient créer des ennuis
même d'ordre technique. Nous avons quitté la réunion en laissant
les autres personnes qui y sont restées jusqu'à une heure très tardi-
ve, mais une heure environ après notre départ un membre du syn-
dicat dont font partie le personnel subalterne du contrôle civil
arrive et me dit : "Après votre départ le contrôleur civil a télé-
phoné à la résidence, il les a mis au courant de l'entretien qu'il a eu
avec vous, il a eu carte blanche pour intervenir et faire rétablir l'or-
dre, le général a téléphoné lui aussi pour tenir tout de suite une
réunion."
Nous avons réunis de notre côté l'exécutif, les commissions de
grève et les cadres syndicalistes. Nous leur avons parlé des deux
rencontres avec le contrôleur civil dont les paroles ont été discu-
tées et analysées. Nous étions tous d'accord que l'heure de l'af-
frontement approche. Nous étions tous également d'accord pour
renforcer les piquets de grève autour de Sfax - Gafsa et pour résis-
ter jusqu'au bout. Après la réunion qui a été courte, les camarades
sont partis chacun de son côté pour renseigner et transmettre la
décision du gouvernement d'intervenir pour briser la grève et
notre ferme détermination à nous opposer par tous les moyens mis
à notre disposition et prévus pour ces circonstances.
J'ai fait une visite éclair à certains po!nts sensibles, les camara-
des étaient là, vigilants avec un moral de fer, je me souviens de l'un
d'eux Gharbi qui m'a dit pour me rassurer : "j'ai fait ma prière, je
suis quitte avec Dieu et j'attends comme tu l'as dit la mort avec joie
et courage."
La rentrée des ateliers où je suis installé est à 15 mètres de la
porte de l'armée qui s'est réveillée tout d'un coup, à 3 heures dans
un vacarme assourdissant. Des cris à haute voix : ce sont certaine-
ment les chefs qui donnent des ordres, les nombreux engins mis en
marche au même instant, et nous attendons ce qui va arriver sans
inquiétude, je dirai même avec un désir profond de montrer notre
détermination et notre volonté de vaincre.
L'heure du départ de l'autorail approche, le jour commence à
pointer et voilà que de nombreux Half-track, sortent de la caserne.
Nous étions encerclés par une demi-douzaine qui progressaient
lentement suivis chacun d'un certain nombre de soldats en tenue
de bataille, le fusil ou la mitraillette au poing.
Les militaires jetaient des bombes lacrimogènes et tiraient en
l'air. Des Half-tracks ont été renversés, leurs occupants se sont

19
sauvés en prenant les culasses de leurs armes, des mitraillettes ont
été arrachés ensuite par les grévistes. Les.militaires ont pris la
direction de la caserne, on croyait qu'ils mettaient fin à l'agression,
mais ils se sont retirés pour nous tirer de loin faisant feu de toutes
leurs armes. Des camarades tombaient et moi-même touché griè-
vement presque à bout portant parait-il par le commissaire de
police Rouelle qui m'aurait visé comme l'a affirmé un chef d'une
délégation de syndicalistes venue de France qui m'a visité à l'hôpi-
tal. La bataille a eu lieu devant les 3 portes de Sfax - Gafsa et le
long de la clôture en bordure de la route. Les grévistes tombaient
par centaines dont au moins deux cents furent hospitalisés, il y a eu
32 morts.
Les militaires ont continué à tirer sur les passants tunisiens à l'inté-
rieur de la ville et même à 3 km sur les routes.
Le jour même les ouvriers de Sfax - Gafsa ont été réquisition-
nés, le lendemain un communiqué de la résidence annonce des
mesures en faveur des travailleurs qui en fait répondaient exacte-
ment aux revendications de l'U.G.T.T.
Malgré l'énorme perte en vies humaines et les milliers de cama-
rades licenciés de leur travail, l'U.G.T.T. considère que ce résul-
tat constitue une victoire morale non négligeable. Elle s'est
déployée à montrer que le gouvernement aurait pu éviter ce massa-
cre à Sfax s'il avait annoncé l'aboutissement de nos revendications
un jour avant ou même durant la grève.

20
La Prison

Une grande délégation de Tunis, composée de Farhat et d'au-


tres responsables syndicalistes, de Ben Youssef secrétaire général
du Néo-Destour et d'autres militants destouriens, est venue nous
rendre visite à l'hôpital. Ils étaient étonnés et très satisfaits du
moral trè~ élevé des camarades qui n'attendaient que le moment
de sortir pour reprendre leur activité syndicale. Après un peu plus
d'un mois d'hôpital j'ai été conduit en prison où l'enquête, com-
mencée depuis le premier jour des événements, a continué jour et
nuit, mais je peux dire que je n'ai subi à aucun moment ni torture
ni pression. Tous les témoins cités par la partie civile et par la
défense ont été entendus et confrontés avec les inculpués quelques
jours après la fin de l'enquête, j'étais en possession du dossier
complet, alors que la date du jugement n'était pas fixée. L'avocat
de Sfax Makni m'a laissé dix jours pour bien voir le dossier et après
c'était une séance de 2 heures de travail en commun trois fois par
semaine.
La date de l'audience a été annoncée plus de deux mois avant le
procés. J'avais déjà fini l'étude du dossier avec mon avocat et je
me sentais prêt à affronter ce grand procès que 1'U. G. T. T., le peu-
ple tunisien, nos amis à l'étranger et les colonialistes attendent les
uns pour la manifestation d'un peu de justice et notre libération,
les autres pour demander la 'dissolution de l'U.G.T.T. et la
condamnation à mort des "agitateurs". Il est vrai que dans l'incul-
pation il y a au moins 2 articles qui prévoient la peine capitale.
J'avais pour avocats :Duran- Angliviel, Ben Youssef, Nouira
et Makni. Le jour du procès le 10 Janvier 1948, la ville de Sfax était
occupée par la troupe le long du trajet entre la prison et la salle
d'audiences, les militaires étaient postés de chaque côté des rues,
l'arme au poing, les blindés étaient à tous les carrefours et sur les
places publiques. Farhat avec une délégation syndicale composée

21
des responsables syndicaux de toutes les régions ont suivi les
débats dès le premier jour. Les avocats ont été brillants, les incul-
pés au nombre de 13 ont été très courageux.
Les témoin~; cités et entendus par le juge d'instruction y compris
le contrôleur civil, le général, le caïd et tous ceux qui ont été cités
par la partie civile et la défense ont été appelés et confrontés avec
les inculpés, aucun de nous n'a été empêché de dire ce qui lui sem-
blait bon pour l'éclatement de la vérité. Nos avocats ont confondu
plus d'un témoin parmi les plus importants telle général, le con-
trôleur civil, le caïd etc ... Je n'oublierai jamais un témoin nommé
Ligna ti venu témoigner contre moi, il s'est vu poser la question par
Duran-Angliviel :"Vous connaissez bien Habib Achour, oui
répond- il depuis longtemps et l'avocat ajoute : Voulez-vous le
montrer parmi les inculpés et il fixe du doigt en disant celui-ci, et
c'était Khemayès Mahfoudh. Alors Monsieur le Président?"dit
Maître Duran et la salle se met à huer le témoin que le Président
fit sortir aussitôt.
Après la plaidoirie catastrophique du procureur Nicolas les avo-
cats à leur tête Duran-Angliviel ont brillamment démontré notre
innocence par des textes de lois, des précédents et des citations des
grands maîtres de Droit en France.
Le 19 Janvier à 20 heures la cour s'est retirée pour arrêter le
jugement, il nous a fallu attendre jusqu'à minuit pour reprendre la
séance et le Président Manoni se met à lire le verdict que le public
écoute dans un silence profond.
Habib Achour, Ali Hamami, Khemais. Mahfoudh, Béchir Ben
Naceur, Moktar Chiboub: 5 ans de travaux forcés et 10 ans d'in-
terdiction de séjour, Baklouti 3 ans de prison et quelques acquitte-
ments.
Le public 'a manifesté bruyamment, ce qui a poussé les gendar-
mes et les policiers très nombreux à intervenir et à évacuer la salle.
Alors que j'étais encore au banc des accusés le juge d'instruction
qui a instruit l'affaire est venu me dire : je regrette ce jugement,
il est vraiment trop dur, mais je connais le chef de la prison, je pas-
serai vous voir et je ferai tout pour vous rendre votre situation
moins pénible. En ce moment où mes pensées envers les juges
injustes et impitoyables me remplissent de haine, les déclarations
pleines de bonnes intentions du juge d'instruction Mr Brai m'ont
profondément touchées. Maître Ben Youssef est venu me voir lui
aussi pour me dire : je passerai te voir dans deux ou trois jours et
si tu es transféré à Tunis tu seras alors près de nous ; j'ai compris
par lâ qu'il viendrait nous rendre visite peut-être au moins une fois
par semaine.

22
Le lendemain à la tomj)ée de la nuit, on nous dit de nous prépa-
rer à partir et nous avons compris que c'était pour Tunis.
Il y avait à l'intérieur de la prison un car et une douzaine de gen-
darmes avec un lieutenant qui s'approche de moi et me dit : "voilà
ce que vous a coûté cette situation" ,je lui ai répondu :~'je suis en
prison et j'ai la conscience tranquille d'avoir fait mon devoir mais
il y a d'autres qui, s'ils ont une conscience, ils ne doivent pas dor-
mir".
Nous avons été embarqués dans le car tous enchaînés les uns aux
autres et assis entre les rangées de chaises.
Lorsque la porte de la prison s'est ouverte nous avons constaté
qu'il y avait un autre car plein de gendarmes, 4 motocyclistes qui
se mettaient 2 devant et 2 derrière, deux automitraillettes une
devant nous et une derrière et le trajet Sfax - Tunis était fait sans
arrêt. On souffrait à une limite insupportable mais nous ne vou-
lions pas le montrer pour ne pas nous diminuer aux yeux de nos
bourreaux accompagnateurs.
A la prison de Tunis on nous a logé dans une cellule qui nous
contient tout juste, les cinq camarades en longueur et moi à leurs
pieds. Khemaïs qui est grand de taille me cogne des pieds de temps
en temps.
La toilette est au coin dè la cellule et pour faire les besoins deux
camarades l'entourent d'une couverture et c'est l'occasion d'un
moment de plaisanterie.
L'U. G. T. T. avisée a chargé le chaouch Mouldi de nous ravitail-
ler, il s'en est tiré merveilleusement bien.
Plusieurs mois passent et Ben Youssef qui m'a promis de venir
nous voir dans le cas où nous serons transférés à Tunis, ne nous a
rendu aucune visite. Nous avons alors décidé de lui envoyer une
lettre pour lui dire:"Nous ne savons pas si on doit faire appel ou
non, on vous a demandé par les membres de nos familles et on ne
vous voit pas arriver, nous supposons que l'U.G.T.T. ne vous a
pas payé nous vous demandons de nous indiquer le montant de vos
frais nous interviendrons pour vous régler.
Deux jours après, Farhat obtient l'autorisation de me visiter et
c'était la première fois suite à une intervention à la Résidence. Il
a commencé par me dire qu'avez vous écrit à Ben Youssef, il était
furieux.
Je me suis senti très satisfait du résultat et c'était le but de tous
les camarades, maintenant dis-je nous ne voulons plus le voir, c'est
alors que Farhat m'annonce que Maître Duran viendra nous voir
le lendemain.

23
Je garde un très bon souvenir de l'entretien que j'ai eu avec
Duran-Angliviel qui a commencé par me parler de la façon dont
nous sommes traités, si nous bénéficions d'un régime politique et
si nous recevons les journaux. Je lui ai répondu que nous n'avons
rien de tout ça, nous logeons ensemble dans une cellule de
condamnés à mort, nous sortons au total1h30 par jour et jamais
nous n'avons reçu de journaux. C'est alors que Maître I)uran m'a
dit:" On ne m'en aja mais parlé et je croyais que Ben Youssef passe
assez souvent vous voir, j'en parlerai dès demain à la Résidence".
Je l'ai vivement remercié de cet entretien très chaleureux et de
retour à la cellule j'ai tout raconté aux camarades qui m'ont décla-
ré :"Enfin on va s'intéresser .à nous".
Quelques jours après, le chef, accompagné d'un gardien vient
nous voir et nous dit:" On va vous transférer dans une chambre
plus grande avec des lits, vous aurez des journaux et dites-moi les-
quels, vous passerez à l'avenir quatre heure~ par jour dans la cour"
Les améliorations qui ont été portées à notre condition de vie
nous ont fortement relevé le moral et nous ont donné l'espoir
d'une prochaine libération.
Le 14 Juillet approche et nous, comme tous les prisonniers
attendions une grâce ou une remise de peine car c'est la fête où les
plus larges mesures sont prises en faveur des détenus.
Ce n'est que le 17 Juillet que le chef de la prison m'appelle dans
son bureau et me dit:"je vous annonce la bonne nouvelle vous
bénéficiez d'une grâce et vous allez sortir tout de suite".
Et mes camarades ? lui dis-je. Ils ont bénéficié d'une remise de
peine de 2 ans. J'en étais vraiment peiné.
Deux inspecteurs de police sont déjà là, le chef appelle le gar-
dien et lui dit :"Allez lui chercher ses effets. J'ai insisté pour aller
voir les camarades mais en vain",

24
Départ pour Zaghouan

Les 2 inspecteurs m'ont pris dans une voiture et m'ont conduit


à la direction des services de sécurité, où on m'a demandé de choi-
sir entre deux régions où je serais en résidence surveillée, c'était
Zaghouan et Jendouba. J'ai choisi la première pour la réputation
de son climat et de ses eaux.
On m'a délivré un carnet que je devais montrer aux autorités dès
mon arrivée dans la région, prévue pour le lendemain. Il était onze
heures je me suis dirigé vers la maison de l'U.G.T.T. à Tunis où
j'ai trouvé Farhat qui a été agréablement surpris de me voir arri-
ver. Tous les camarades sont venus me voir très joyeux et c'était là
enfin un premier contact avec les syndicalistes à qui j'ai parlé de la
lutte syndicale et de notre situation en prison.
Ce jour là, Farhat n'est pas retourné à l'U.G .T.T.l'après midi,
il sait que j'aime la mer et nous sommes allés à une plage assez loin-
taine.
Bien seuls on parlait des événements du 5 Août, de leurs consé-
quences, de la situation actuelle de l'U.G.T.T., de nos relations
avec les organisations nationales et internationales, enfin j'étais
bien mis au courant de ce que je devais connaître dans les moin-
dres détails.
Le jour suivant, je me suis rendu avec Farhat au bureau du Néo-
Destour, il y avait Ali Belhouane et Nouira. Ils étaient agréable-
ment surpris de notre visite et m'ont demandé :"où est-ce qu'on t'a
désigné pour la résidence surveillée?" Je leur ai dit qu'on m'a
donné le choix entre Jendouba et Zaghouan et que j'ai choisi la
dernière, c'est alors que Belhouane me dit : tu as l'habitude de
beaucoup d'activité, tu vas t'ennuyer, le Docteur Ben Sliman (qui
était membre du bureau politique) n'a rien pu y faire.
Cette phrase est restée dans mon esprit, car pour moi les hom-
mes sont les mêmes qu'ils soient de Tunis, de Sousse, de Sfax ou

25
du Sud, mais ce qui rend les hommes plus actifs c'est le dévoue-
ment à la cause, la détermination et la sincérité que doit ressentir
la masse à l'égard du responsable, trop d'intelligence et de ruses ne
mènent pas loin, on peut tromper le peuple une ou plusieurs fois
en abusant de la confiance qu'il accorde, mais il finira par s'en
apercevoir et une fois convaincu, la colère prend la place de la
confiance et à ce moment personne ne peut imaginer la réaction de
ce peuple déçu. Alors, cette règle étant connue, les fondateurs de
l'U.G.T.T. ont réussi parce qu'ils n'ont aucune prétention de
domination, ils restent ce qu'ils sont, ils considèrent les hommes
égaux et que chacun d'eux, qu'il soit ouvrier ou intellectuel, rem-
plit son rôle pour le bien de la société et de l'humanité toute entiè-
re.
Nous avons quitté, Farhat et moi, Tunis pour Zaghouan où les
camarades de l'union régionale nous attendaient à l'entrée de la
ville, ils m'ont accompagné au commissariat où on m'a notifié de
passer tous les jours à la même heure.
Farhat est parti après une large discussion avec les responsables
après m'avoir dit, en souriant :"Te voilà libre".
A Zaghouan il n'y a pas une grande activité économique, il n'y
avait que deux mines et des travailleurs agricoles, tous les grands
domaines appartiennent à des colons français et à quelques Ita-
liens, quant aux Tunisiens ils ne dépassent pas la douzaine. Le
Résident Général avait promis à Far hat que je n'en aurai pas pour
longtemps et j'attendrais le 14 Juillet prochain pour obtenir la
levée de la mesure d'interdiction de séjour.
Je fréquentais à Zaghouan les syndicalistes et les Néo-destou-
riens, qui menaient ensemble toutes les activités régionales, syndi-
cales, politiques, et sociales. Je les aidais de temps en temps en
intervenant à Tunis pour demander à un responsable d'une organi-
sation syndicale même patronale, agricole ou industrielle, de venir
à Zaghouan pour les aider à s'organiser et leur fournir les rensei-
gnements nécessaires pour la bonne marche de leur organisation.
Les travailleurs agricoles ont constitué des syndicats dans tous
les domaines et déposent des revendications, ce qui a irrité les
colons qui ont l'habitude de diriger leur ferme en grands seigneurs.
Le 14 Juillet 1949 arrive et je n'ai eu que 2 ans de réduction de
la période d'interdiction de séjour. Je me suis mis à penser à une
occupation et j'ai eu l'idée de nie construire un kiosque et faire le
travail de revendeur de carburant, le terrain ne manque pas et c'est
alors que je me suis adressé à un grand conseiller tunisien Moha-
med Fadhel pour m'obtenir l'autorisation, il est en même temps
l'un des plus gros agriculteurs de la région. L'autorisation a été vite

26
obtenue de la société Shell dont le représentant dans la région
Maurice Taïeb est venu me contacter et me présenter un plan type
de la construction. En moins de trois mois tout était fini et j'avais
commencé le travail.
Les agriculteurs et les commerçants attendaient l'ouverture
avec impatience car il y avait un seul kiosque qui appartenait à un
Italien qui traitait les Tunisiens avec mépris. En très peu de temps
je me suis fait une grande clientèle et je livrais même des charge-
ments complets de camion- citerne.

27
La Résistance nationale

Le kiosque était devenu le lieu de rencontre des organisations


nationales, d'ailleurs très peu de jours après son retour d'Egypte,
Bourguiba m'a rendu visite, accompagné de Farhat Hached, Bra-
him Abdallah président de l'union des agriculteurs et de Jean
Rous. Les représentants des organisations nationales les atten-
daient au kiosque où on a discuté avec Bourguiba de son séjour à
l'étranger et de la situation du parti et des organisations nationa-
les. Bourguiba se plaignait des agissements de certains responsa-
bles destouriens avec, à leur tête Ben Youssef. Quand ' je leur ai
présenté les personnes présentes :les délégués de l'U. G. T. T., des
agriculteurs, du commerce et de l'industrie et des fonctionnaires,
Jean Rous a dit:"on ne trouve pas cette union des différentes cou-
ches sociales chez nous, c'est ce qui fait la force de votre parti".
Le matin nous nous sommes rendus Bourguiba et moi à la mon-
tagne, il parlait de l'embourgeoisement du Parti par une clique qui
ne veut même plus le reconnaître et de son intention de faire des
tournées avec Farhat et les chefs des organisations patronales afin
de mobiliser les masses et nous préparer à la lutte.
Il était très content de constater que l'U. G. T. T. est bien organi-
sée et qu'elle fait du travail très sérieux, c'est par les travailleurs a-
t-il ajouté que le pays doit pouvoir se libérer, d'ailleurs ce sont les
travailleurs qui ont été à la base de toute révolution à travers le
monde. J'étais parfaitement d'accord avec ce qu'il disait et ça lui
faisait grand plaisir de me voir partisan de la lutte par tous les
moyens pour aboutir à un résultat positif.
La discussion terminée en tête à tête sur l'ensemble des problè-
mes que nous devons affronter, on rentre en ville à la maison Ben
Sliman, où il a passé la nuit et d'où il reprend son périple avec les
mêmes compagnons qui sont arrivés avec lui.

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En Juillet 1950, j'ai eu encore une remise de peine de 2 ans, mon
commerce se développe de mieux en mieux et les organisations
nationales en parfaite harmonie faisaient un excellent travail dont
le résultat en très peu de temps a étonné les responsables à Tunis
et surtout ceux du Néo-destour que j'ai vu avec Farhat le jour de
notre départ de Tunis pour Zaghouan, j'étais très heureux de voir
la méthode de l'U.G.T.T. réussir, là où les grands hommes politi-
ques ont échoué et avaient désespéré d'arriver à un résultat.
Les ouvriers sont arrivés à bien s'organiser et à faire des grèves
réussies, la plus importante de ces grèves est celle des ouvriers de
Sainte-Marie. Les colons avaient fait venir des ouvriers des
régions avoisinantes pour briser les grèves, qui, une fois avisés du
rôle qu'on voulait leur faire jouer ont accepté de repartir. Les
moyens que j'utilisais pour le kiosque ont été employés pour rame-
ner les ouvriers chez-moi afin de les ravitailler et même leur appe-
ler un médecin pour soigner quelques uns malades. Ensuite on les
a amenés à la gare pour prendre le train et rentrer chez eux. Les
grèves politiques assez nombreuses à l'époque étaient suivies
comme nulle part ailleurs.
Farhat passait me voir assez souvent et surtout le dimanche
après-midi profitant de la tombée de la nuit. On faisait de temps en
temps une escapade à Tunis et l'on faisait une surprise à quelques
camarades que Farhat appelait chez lui, on parlait syndicalisme et
politique, d'ailleurs on ne pouvait dissocier l'un de l'autre car la vie
du pays était entièrement politisée et l'U.G.T.T. ne s'en cachait
pas depuis la victoire de la grève de la tannerie Joppé où nous
avons appelé à la grève pour l'existence de l'U.G.T.T.
De nombreuses grèves ont été noyées dans le sang, après le 5
Août à Sfax, il y a la grève d'Enfida-Ville, plusieurs morts dont des
femmes, Borj-Sédria, Le Kef, Béja, Zaghouan, Gafsa, Bizerte et
enfin presque partout. Les autorités agissaient toujours avec bru-
talité dans le but de démoraliser les ouvriers mais celà ne faisait
que les rendre plus combattifs et même provocateurs. La caisse de
secours de l'U.G.T.T. bien alimentée par le secours populaire et
bien gérée permettait de ne pas laisser les victimes des grèves dans
le besoin.
Le 20 Janvier 1952 à la suite d'une réunion politique une motion
a été votée, elle demandait l'autonomie de la Tunisie. Bourguiba
et presque tous les chefs destouriens ont été arrêtés. A ce moment
des mouvements de grèves générales ont été déclenchés.
Zaghouan, la ville de la colonisation jadis paisible a eu une très
large part, même des manifestations grandioses ont eu lieu. Ces
manifestations et ces grèves se répétaient presque tous les jours, le

29
ravitaillement des villes était affecté, les industries clefs étaient
paralysées. Des affrontements ont eu lieu avec la police et la gen-
darmerie qui voulaient disperser les manifestants.
Devant l'impuissance des forces de l'ordre à faire cesser les trou-
bles dans la rue, les autorités supérieures avaient donné l'ordre de
tirer sur la foule et les premières de ces interventions avaient laissé
beaucoup de morts et de blessés. Farhat, qui a été chargé par
Bourguiba de diriger les activités, a songé en accord avec les res-
ponsables d'augmenter le nombre des grèves, d'éviter les manifes-
tations et d'organiser la résistance armée. A Zaghouan j'avais déjà
organisé avec un responsable du syndicat des ouvriers agricoles,
un groupe de jeunes camarades, patriotes, courageux, connaissant
bien la manipulation et l'utilisation de toutes les armes.
Nous étions peut-être les premiers à couper les lignes téléphoni-
ques, puis l'attaque des fermes de colons et ensuite le déraillement
du train à Depienne qui a entraîné une réaction très violente dans
la presse aussi bien réactionnaire que socialiste car ils étaient tous
contre la violence et pour la répression.
Un jour monsieur Mohamed Fadhel grand conseiller qui se ravi-
taillait à mon kiosque me tient par la main, m'entraîna derrière le
kiosque et me dit : "j'ai vu ce matin le contrôleur civil, il m'a dit
que notre ville était bien paisible et ce n'est que depuis l'arrivée de
habib Achour que l'agitation a commencé, nous avons la certitude
maintenant que c'est lui qui est l'instigateur des sabotages de ces
derniers jours".
Je l'ai remercié et après sont départ j'ai envoyé chercher le chef
du groupe auquel j'ai dit : "mon arrestation est imminente mais je
vais te demander deux choses :
1/ Tu sais qu'il y a presque un mois le vice président de la municipa-
lité Cronnalia a arrêté mon neveu à son retour de la livraison aux
commerçants, qu'il l'a giflé et l'a rejoint au kiosque même où il
continuait à l'insulter. Je me suis adressé à lui en-disant: Ce n'est
pas assez de l'avoir giflé et vous le poursuivez encore jusqu'ici.
Tout furieux il me dit :Tu te.crois à Sfax où tu faisais le "Barbo"
et ajoute : si tu es un homme montes avec moi en voiture, on va se
battre plus loin.
Je rentre sans attendre dans sa voiture, il me rejoint et c'est alors
que je mets ma main gauche derrière son dos par mesure de pré-
caution, le sachant toujours armé et lui dis : "vas-y saloud".Il
conduisait, on était déjà assez loin, je lui flanquais des coups de
poing sur le côté gauche et je lui disais : "qu'est ce que tu attends
pour arrêter salaud'; c'est alors qu'il me répondit: "je suis Corse,
si je meurs mon frère me venge". Je te croyais courageux, dis-je,

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tu as peur salaud"et je lui flanquais encore des coups de poing répé-
tés de la gauche qu'il a du bien sentir.
C'est alors que le commissaire de police dans une jeep en compa-
gnie d'un agent et d'un inspecteur nous barre la route et oblige
mon compagnon de stopper. Le commissaire lui dit : "Où allez-
vous monsieur Cronnalia", il ne répondit pas et c'est à moi qu'il dit
ensuite "où allez-vous monsieur A ch our". D'un air ironique, je lui
ai dit :"on se promène monsieur le commissaire". Celui-ci a
ordonné au vice président de la municipalité de faire demi-tour, il
m'a déposé devant mon kiosque et a continué sa route.
Farhat avisé à l'U.G.T.T. à Tunis a protesté auprès de la Résie
denee surtout qu'une dizaine de jours' plus tôt des militaires étaient•
passés au kiosque qu'ils avaient saccagé après avoir frappé et
blessé le gardien.
Farhat est venu ensuite voir à Zaghouan le contrôleur civil qui lui
a dit que les militaires sont renvoyés de Zaghouan, qu'il regrette
ces incidents et qu'ils ne se renouvelleront plus à l'avenir.
Alors compte tenu du tempérament du vice président de la
municipalité, de son comportement à l'égard de la population
tunisienne, je voudrais avant d'être arrêté voir s'il est possible de
lui faire subir une attaque à la grenade ?".
Le camarade responsable du groupe a été voir et revient aussitôt
car il est à peine à 50 mètres de nous vers la ville. Il me dit: c'est
une opération très facile et ne comporte aucun risque. On s'est mis
d'accord pour le lendemain Dimanche à minuit.
La deuxième opération à faire lui dis-je, consiste après mon
arrestation, d'aller devant la propriété de Boubaker Djelouli de
couper les poteaux téléphoniques et de tirer sur le colon d'en face.
Le Dimanche à Minuit précise, les grenades éclatent l'une après
l'autre et c'est après ce moment seulement que je me suis endormi.
Le matin de bonne heure, comme d'habitude une dame vient
aider ma femme, elle nous annonce que devant le kiosque et dans
la cour devant la petite villa c'est plein de militaires, de gendarmes
et de policiers. C'était l'hiver, je me suis habillé et je suis sorti. A
un gendarme qui était près de la porte, j'ai dit qu'est-ce qu'il y a ?
il me répondit d'un ton sec :Habib Achour est là, je lui ai dit :oui
c'est moi. Il appelle trois gendarmes et me dit :venez avec nous on
va perquisitionner votre maison. Ils ont mis tout sens dessus puis
m'ont demandé de monter avec eux pour aller à la gendarmerie à
150 mètres de chez moi.

31
A nouveau la prison et un autre procès
Ils m'ont coffré dans une cellule où logeaient une dizaine de sus-
pects et dont la matière qui déborde arrive à la cheville, heureuse-
ment qu'il y avait un banc à 50 cm du sol en maçonnerie sur lequel
je me suis installé.
Les odeurs étaient insupportables à tel point que je ne pouvais rien
manger du panier que m'envoyait ma famille qui s'inquiétait de
revoir les aliments retournés tels qu'ils ont été envoyés.
La population de Zaghouan a manifesté auprès des autorités et
Farhat avisé a protesté auprès de la Résidence, il a demandé de me
rendre visite mais seule ma femme a été autorisée, quand je l'ai vu
elle tremblait et il lui fallu beaucoup d'efforts pour pouvoir me
dire : on t'a frappé ? J'ai 'soùri pour lui donner courage et je lui ai
dit non, elle me répond alors pourquoi ne manges-tu pas, je lui ai
répondu que l'odeur de la cellule m'enlève tout appétit et ça ira
mieux, je m'habituais à cette situation ; d'ailleurs on dirait que
c'est fait exprès, les femmes des gendarmes viennent chaque matin
déverser leurs eaux dans un w-c voisin qui est relié à ma cellule.
Ma femme est sortie réconfortée de me voir en bonne santé et je
lui ai recommandé de rentrer à Sfax le plus tôt possible.
Durant une semaine, j'entendais des hurlements et des lamenta-
tions des gens qu'on torturait nuit et jour et j'attendais mon tour,
dans l'angoisse de voir si ce sont bien nos camarades.
Enfin une nuit un peu après minuit, on ouvre)e cellule et on
m'amène au bureau du lieutenant qui mène l'enquête. Il com-
mence par dresser un procès-verbal, mon identité d'abord et
ensuite l'inculpation. Il me fixe et me dit :Que dites vous des faits
qui vous sont reprochés ? - C'est de la pure invention lui dis-je.
Ramenez-le à sa cellule, dit le lieutenant.
Le lendemain, on vient me chercher à 5h du matin et le lieute-
nant me dit :Vous allez parler ou non ? -Parlez de quoi ? lui dis-
je, je vous affirme que je suis tout à fait étranger aux inculpations
dont je suis l'objet.

32
C'est alors que sur un ton révélant le désir de vouloir m'effrayer il
me dit :Ce n'est pas un seul témoin qu'ily a contre vous mais qua-
rante. Je lui ai dit :je voudrais bien les voir. Il a ordonné à un· gen-
darme d'appeler-le 1er témoin, ce jour là, il en a passé quinze qui
avaient tous les visages déformés et les mains toutes noires, ils
pouvaient à peine marcher. Qu'en dites-vous ? m'a-t-il dit. Je
connais de vue quelques uns de ces témoins mais à voir leur visage
et leur état on dirait qu'ils sortent d'une grande et terrible bagarre
et j'ai insisté pour que cette phrase soit portée au procès-verbal.
Le jour suivant l'enquête était terminée, j'étais très heureux de
constater que du véritable groupe il n'y en avait pas un seul.
Deux jours après, à l'aube on vient me chercher, je croyais
qu'on allait me transférer à Tunis mais on me fait suivre la route
dans le sens opposé en traversant des montagnes et des pistes, j'ai
cru alors qu'ils allaient me liquider. Ce n'est qu'après près de 2
heures qu'on pénétre dans la gendarmerie de M'saken. J'étais sou-
lagé des appréhensions qui me torturaient. Là on m'a confronté
avec un gendarme tunisien, qui, trois jours avant mon arrestation
m'a apporté 10 dinars qui soit disant m'ont été envoyés par un pré-
venu à la gendarmerie et que j'ai refusé sachant qu'il s'agit d'un
piège ; d'ailleurs à l'enquête, il m'a été reproché que je paye les
saboteurs et les 10 dinars étaient chez-eux une pièce à conviction.
De là j'étais transféré au tribunal militaire de Tunis et entendu
immédiatement par un jeune lieutenant qui m'a pris en sympathie
parce que j'avais la même profession que son père revendeur Shell
a-t-il dit et il m'a transféré à la prison civile de Tunis. Toutes les
fois qu'il m'appelle à la confrontation il ne cessait de me dire que
l'affaire est montée et que je serai libéré.
Très peu de temps après la fin de l'enquête nous avons reçu le
dossier. Tous les inculpés qui ont témoigné contre nous se sont
rétractés. Par ailleurs les recommandations que j'ai faites au cama-
rade chef du groupe ont été respectées.
Comme je lui ai dit, ils ont été devant la propriété de Djelouli,
après avoir coupé les poteaux téléphoniques, ils ont tiré dans le
sens de l'habitation du colon voisin, c'est alors que Djelouli son
associé et une trentaine de leurs ouvriers ont été arrêtés.
La gendarmerie leur a collé la plupart des faits pour lesquels nous
avons été emprisonnés, nous sommes, après cette grave erreur de
la gendarmerie, sûrs que la peine de mort prévue par plusieurs
articles est écartée. et nous considérons même que le dossier bien
étudié et défendu par de grands avocats doit aboutir à un acquitte-
ment,'c'est pour celà que nous avons songé à Mendès-France et à
Maître Monneret de France qui ont accepté de nous défendre. Des
<

33
deux dossiers, le tribunal en a fait une seule affaire et le jour de
l'audience on était plus de soixante personnes. Tous les témoins
ont été entendus, le vice-président de la municipalité et les gendar-
mes qui ont enquêté étaient tous présents aussi.
Mendès-France posait des questions de procédure tellement perti-
nentes qu'elles faisaient rougir le Président du Tribunal. A la suite
d'une question de Mendès-France aux gendarmes qui ont mené
l'enquête et qui dit :Habib Achour a été arrêté avec 30 inculpés et
ces inculpés reconnaissent avoir fait tel et tel autre acte de sabota-
ge. Arrêtés 20 jours après, à la suite d'autres sabotages, les
ouvriers de Djelouli reconnaissent avoir commis ces sabotages
mais certains d'entre-eux reconnaissent avoir commis des sabota-
ges qui sont déjà portés à l'actif de ceux arrêtés avec Habib
Achour.
Mendès-France s'adresse aux gendarmes et leur dit : il y a au
moins une déclaration qui est fausse, alors réfléchissez ce sont les
premiers arrêtés ou les derniers qui ont commis les sabotages. Le
gendarme reste silencieux un bon moment et dit :je ne sais pas et
à bien d'autres questions il répond je ne me souviens pas. Alors
Mendès-France s'adressant au Président lui dit : je n'insiste pas,
c'est clair.
Le jour suivant la presse en gros titre annonce le procès des
amnésiques de Zaghouan. On était sûr de l'acquittement ; à la fin
du procès Maître Monneret me demande de dire lorsque le Prési-
dent vous demande si vous avez quelque chose à dire, vous lui
direz, j'ai confiance en la justice française. Je lui ai répliqué sèche-
ment : Ça jamais. C'est alors que Maître Monneret me dit : dites
alors j'ai confiance dans votre esprit de justice. Je lui réponds alors
que celà aussi est impossible, je considère que ce sont eux qui ont
tué mon ami Farhat et j'ai dit alors tout simplement rien à ajouter.
Après une longue attente la cour arrive et le Président lit la sen-
tence qui était courte, acquittement pour tous les détenus du pro-
cès. La presse colonialiste était exaspérée par ce jugement, elle
était montée contre Mendès-France et son influence sur le dérou-
lement du procès.
Le jour suivant je suis parti à Zaghouan car la période d'inter-
diction n'est pas terminée. Devant ma demeure il y avait un
groupe de gendarmes et un commissaire de police accompagné de
2 inspecteurs. Chaque groupe me demande d'aller avec lui. Je leur
réponds mettez vous d'accord et je suis prêt à aller avec l'un ou l'au-
tre mm~> pas avec les deux. Les deux chefs de groupe sont partis
pour revenir un bon moment après avec la décision d'aller au com-
missariat, après avoir rempli les formalités, on m'a avisé qu'ils

34
attendent des instructions qui ne tarderont pas à venir et enfin un
commissaire de la sûreté arrive et m'invite à monter dans sa voi-
ture en me disant votre lieu de résidence sera Tabarka, on y va tout
de suite.

A TABARKA

J'ï
De Tabarka à Béja

J'ai logé quelques jours à l'Hôtel de France, le temps de trouver


un petit logement pour ma famille déjà nombreuse. Pendant ce
temps et depuis l'assassinat de Farhat la résistance a pris une
grande ampleur, les ouvriers des mines de Gafsa, les travailleurs
agricoles, les ouvriers et les fonctionnaires des villes se sont formés
en groupes et la nuit ils se transforment en maquisards, un assassi-
nat par ci, un gendarme, un colon, un policier et souvent des indi-
cateurs tunisiens, une bombe artisanale par là dans un établisse-
ment public qui fait plus de bruit que de mal.
"La main rouge", organisme criminel colonialiste donnait coup
pour coup mais avec la différence qu'elle commet ses crimes sous
la protection de la police et souvent même ce sont les policiers qui
commettent ces crimes au nom de "la main rouge". Elle visait les
chefs politiques tunisiens, après Farhat, c'était Chaker, Nouira
aussi était visé mais il n'a pu résister et par crainte pour sa vie, il a
donné sa démission du Parti alors qu'il était l'un des plus impor-
tants responsables ; la Dépêche Tunisienne organe de la colonis<l-
tion a annoncé en gros titre cette démission qui a provoqué un pn •-
fond remous dans les milieux tunisiens patriotes et proches de la
résistance ; certains comme l'a dit maintes fois Mohamed Errai,
ont été le voir et l'ont menacé, mais il n'est pas revenu sur sa déci-
sion.
A Tabarka les hommes de la "main rouge" sont connus, ils
rodent la nuit très souvent autour de ma maison, m'a dit discrète-
ment un agent de police tunisien qui, ne pouvant me donner une
arme à feu, m'a apporté une grande épée pour me permettre de me
protéger. Durant des nuits je me relais avec ma femme derrière la
porte avec l'épée en main.
La période scolaire approche, j'ai décidé d'envoyer ma femme
et mes enfants à Sfax et je me suis installé à l'hôtel de France
croyant que là je serais plus en sécurité.

36
Un jour rentrant à l'improviste dans ma chambre j'y trouve
deux gendarmes et le propriétaire de l'hôtel. Naturellement je me
suis fâché en leur demandant ce qu'ils font dans ma chambre,
question à laquelle ils ne m'ont pas répondu, mais la nuit au restau-
rant, le Patron m'a dit :Dans votre chambre vous n'avez aucune
chance d'échapper par la porte et si vous vous jetez par la fenêtre
vous serez dévoré par les chiens et il ajoute :Est-ce clair ? et gar-
dez-le pour vous.
J'en ai parlé à un autre ami qui habite à l'hôtel et qui comme moi
était en résidence surveillée. J'en ai aussi avisé les responsables de
l'U.G.T.T. à Tunis qui m'ont envoyé deux revolvers de marque
l'un allemande et l'autre italienne.
J'ai décidé avec mon ami d'aller chaque soir un peu tard dans nos
chambres, de prendre une couverture chacun etd'aller passer la
nuit dans l'île sur un rocher au bord de la mer, bien abrité qui nous
permet de voir loin sans être aperçus.
Quelques temps après, mon camarade était libéré, c'est alors
que je me suis senti bien seul. J'ai décidé alors d'aller à Béja, mais
pour ça il faut obtenir l'autorisation. J'ai été demander au chef de
police qui m'a immédiatement dit : "c'est impossible, j'ai des ins-
tructions, je ne vous laisse pas partir." - Dans ces conditions je
vous dis que je suis menacé dans ma vie et vous le savez à ma
connaissance ? Oui, m'a t-il dit. Si celà est vrai donnez le moi par
écrit, enfin il me dit : Repassez cet après midi, on verra.
Une demi-heure après il me rejoint à l'hôtel et avec un large sou-
rire il me dit : C'est d'accord vous pourrez partir demain à Béja.
J'étais trèssatisfait car à Béja, je compte de nombreux amis syndi-
calistes et destouriens.
Là aussi, je me suis installé à l'hôtel de France et non loin de là,
habite un de mes meilleurs amis, commerçant dont le magasin a
été incendié par la "Main Rouge" parce qu'il servait de lieu de ren-
contre aux patriotes et dont la femme.était la présidente de l'union
des femmes de Béja.
De nombreux camarades ont appris ma présence à Béja et
c'était souvent des invitations tantôt chez l'un tantôt chez l'autre et
on se promenait des fois en voiture avec le président de la fédéra-
tion destourienne de Béja qui était arrêté au début puis libéré d'un
camp de concentration. Pendant ce temps la résistance plus aguer-
rie et disposant de plus de moyens frappe fort et partout atteignant
le moral des colons d<;mt les femmes et les enfants quittent les
domaines pour aller chercher la sécurité en ville, mais là aussi ils ne
sont pas bien tranquilles ; ce qui fait que bon nombre d'entre eux
quittent la Tunisie pour aller s'installer en France. Devant ce

37
résultat encourageant, les Tunisiens s'unissent de plus en plus mal-
gré la répression et souvent même des ratissages à la suite de coup
dur commis par la résistance.
Ma vie à Béja est toute différente de celle que je menais à
Tabarka où il y avait très peu de connaissances et où je ne me sen-
tais nullement en sécurité . Il y avait l'union régionale de
l'U.G.T.T. et de nombreux syndicats tant ouvriers que fonction-
naires, avec lesquels j'étais souvent en réunion. J'assistais même à
des meetings présidés par un membre de l'exécutif del'U.G.T.T.
venu de Tunis. Souvent j'étais mêlé à des discussions où il fallait
prendre des positions importantes syndicales ou politiques, mes
interventions étaient bien considérées aussi bien par les syndicalis-
tes que par les destouriens car pour eux, j'incarnais à la fois le
mouvement syndical et le Néo-Destour.
Un jour en compagnie de quelques amis on passait au marché
central, il y avait de bea•1x poissons, ça a attiré mon attention, je
me suis arrêté et j'ai dit aux camarades : je voudrais bien en ache-
ter ; l'un des camarades a dit :Nous à Béja nous ne mangeons pas
le poisson et nous ne savons pas le préparer. Bien leur dis-je ce soir
vous êtes mes invités et je vais vous préparer une bonne soupe. On
rentre à l'hôtel avec une bonne quantité de poissons et les épices
nécessaires. Nous nous sommes mis tous à faire chacun quelque
chose et voilà que notre poisson sur le feu commence à dégager la
bonne odeur que je sentais quand j'étais tout jeune auprès de ma
mère à Kerkennah. Pendant la cuisson on parlait politique et natu-
rellement on se demandait si nous allons sortir victorieux de cette
situation de guerre avec la France. On était tous d'accord mais sur
le temps, il y avait une grande différence d'estimation.
Le repas prêt, on se met à table, les camarades ne s'attendaient pas
à le trouver si bon à tel point que le président de la fédération m'a
dit : Ecoute Habib, tu viendras demain et tu donneras la recette
à ma mère, et on discutait de Béja, de ses terrains fertiles et
immenses occupés par les colons qui font la loi dans la région et
même dans le pays ; même après la victoire, les déraciner d'ici
constitue une tâche immense.
Au bon milieu de la discussion, il était environ minuit, on frappe
à la porte des coups forts et répétés. Rentrez dis-je et quel était
mon étonnement de voir le chef de la gendarmerie en compagnie
de son adjoint et d'un auxiliaire tunisien. Ah, ah dit-il vous êtes au
complet ! il est vrai qu'il y avait les représentants des organisations
nationales. Il faut bien se rencontrer de temps en temps et bavar-
der lui réplique Khemaïes, alors le gendarme lui dit :j'espère que
vous ne complotez pas et il ajoute en s'adressant à moi, cette fois

38
je vous apporte une bonne nouvelle et il continue : Vous rentrez
demain à Sfax où vous êtes autorisé à rester 3 jours avec votre
famille et après vous allez vous installer encore sous résidence sur-
veillée à Maharès.
Tous mes amis m'embrassaient de joie et les gendarmes eux
aussi m'ont félicité mais pour les premiers ce geste est considéré
comme le commencement de la victoire et pour les autres c'est
simplement le retour chez moi auprès de ma famille. J'ai invité les
gendarmes à prendre quelque chose avec nous et ensemble, révol-
tés et gendarmes avons bu à ma libération.
Avec mes amis nous avons veillé jusqu'au matin, le président de
la fédération a mis à ma disposition sa traction avant neuve.
Je me souviendrais toujours de cette scène de séparation au
départ ; tous joyeux mais émus, nous étions en larmes, c'était la
vraie communion d'idées et de cœur, d'ailleurs même après la libé--
ration nos liens n'ont jamais cessé d'être fraternels.

39
De Sfax à Mahares

Ma famille n'a pas été avisée et le long de la routè je regardais à


droite et à gauche pour voir s'il y a du changement. Me voici enfin
à Sfax que je n'ai pas revu depuis 8 ans. Il y a une transformation
radicale, le périmètre communal s'est bien élargi, les grandes haies
de cactus sont supprimées au bord de la route et remplacées par
des clotures très modernes avec de belles villas à l'intérieur et enfin
j'arrive chez moi à Sfax et précisément à la Kasbah. Il était 15 heu-
res, la porte de la maison était ouverte, je rentre et je me trouve
face à face avec ma mère, elle sursauta et cria de joie :Habib ! Ma
femme jette ce qu'elle avait dans les mains et arrive les yeux en lar-
mes et voici les enfants, les tout petits qui viennent, ceux qui ont
plus de 5 ans sont à l'école. Me voici en famille et je leur ai raconté
l'histoire, tous sont contents de savoir que nous allons nous instal-
ler à Maharès qui est à 33 km de Sfax et où nous avons de nom-
breux amis.
Durant les 3 jours que j'ai passé à Sfax, je n'ai pu quitter la mai-
son, les camarades presque tous des syndicalistes sont venus me
rendre visite et discuter avec moi de leur organisation, les uns sont
fiers de leurs activités, les autres ont des difficultés de toutes sor-
tes. Quelques uns, très peu nombreux, se plaignent de ce que
l'U. G. T. T. n'a pas trouvé quelqu'un qui puisse remplacer valable-
ment Farhat. A part un léger vieillissement des cadres, je n'ai pas
constaté un grand changement. Avec le bureau régional on parlait
de la résistance et de la participation de l'U.G.T.T. à Sfax.
Kraiem secrétaire général était en relation avec Mongi Slim res-
ponsable du bureau politique à Tunis et enfin on a parlé des pro-
blèmes et des hommes durant des heures, presque tous les jours,
pendant mon court séjour à Sfax ; ça m'a permis d'être au courant
des problèmes qui nous intéressaient le plus.

40
A Maharès, en attendant de trouver un logement, j'ai habité
chez une famille de pêcheurs Kerkenniens (Ben Ameur). Durant
presque 15 jours que j'ai passé chez eux je me suis régalé des plus
beaux poissons de la côte qui a la réputation d'avoir les meilleures
qualités.
J'ai constaté que je connaissais presque tous les hommes à
Maharès où nous avions une union locale et une demi-douzaine de
syndicats surtout agricoles. Le domaine du Châal était le plus
important de Tunisie et il appartient à la fameuse compagnie Sfax-
Gafsa.
Dès les premiers jours de mon installation, j'ai été contacté par
des commissaires de la résistance qui se trouvaient dans la région
pas très loin dans les montagnes de la Skhira. J'avais appris depuis
que j'étais à Béja qu'ils ont fait plusieurs coups dans certains
domaines appartenant à des colons et qu'ils ont eu aussi des accro-
chages avec l'armée qui se sont bien terminés. Ils avaient pour chef
un manchot très croyant, très rude et bien respecté. On a parlé de
leurs besoins, ils voulaient des armes et des médicaments. Je me
suis mis en relation avec Krayem, secrétaire de l'union régionale
de Sfax qui m'a déja annoncé que la direction du parti à Tunis lui
avait dit que sj on avait ~esoin d'armes elle pouvajt les procurer.
Krayem l'a immédiatement avisée, mais ne voyant rien arriver,
nous n()US sommes adressés aux Kerkenniens qui ont pu récupérer
de nombreuses armes sur les bateaux italiens coulés au large de
Kerkennah. Les médicaments en bonne quantité nous ont été fou-
nis par le docteur Guettat chirurgien à l'hôpital de Sfax.
Tous les jours je recevais des délégations de syndicalistes de
Sfax, de toute la région et même des régions avoisinantes Gafsa et
Gabès. Toutes les discussions portaient sur la participation de
l'U.G.T.T. à la Résistance, mes visiteurs me parlaient d'exploits et
d'actes courageux de certains camarades que je connaissais bien,
des camarades qui avaient trouvé la mort en mission de nombreux
autres emprisonnés et dont certains furent condamnés à mort
etc ... Chaque jour les nouvelles qui nous parviennent nous ren-
dent plus optimistes quant à la victoire finale.
Le Kahia de Maharès Mr Kaddour qui est lui même Sfaxien et que
je connais bien depuis qu'il était Khalifa en 1945 à Sfax m'appelait
au moins 2 fois par semaine, on discutait de la situation dans le
pays et il me donnait même des renseignements très utiles entre
autres un complot contre moi qu'il aurait déjoué en demandant au
contrôleur civil d'inviter ses auteurs pour les en dissuader ; les
gendarmes de Maharès qu'il a appelé pour les mettre en garde

41
étaient complices de la Main Rouge de Sfax dont les membres
étaient connus.
Ma famille qui était avec moi dans un petit logement de deux
pièces n'a jamais été aussi heureuse, il y avait du poisson en quan-
tité comme à Kerkennah mais il y avait en plus les fruits en abon-
dance et en particulier les pommes très réputées pour leur goût et
leur saveur. J'étais très souvent invité à me rendre dans les jardins
et je rentrais toujours avec des chargements de fruits que j'offrais
à mes nombreux visiteurs.
Un jour, le matin de bonne heure alors que j'étais encore cou-
ché, on frappe à la porte, il y avait Krayem et trois autres person-
nes dont je connaissais deux, Mohamed Ben Romdane et Moha-
med Guettat et on me présente le troisième : c'était Ahmed Ben
Salah. Naturellement je le connaissais de nom, il s'était fait remar-
qué au congrès de l'U.G.T.T. en 195llorsqu'il a pris la tête d'un
groupe qui était contre l'adhésion à la C.I.S.L. et pour l'adhésion
à la F.S.M. Sans l'intervention rapide et une argumentation solide
de Farhat, il l'aurait emporté. Quelques temps après, Farhat l'en-
voie à la C.I.S.L. où il a développé ses connaissances tant syndica-
les que politiques car il était aussi militant destourien dès son jeune
âge. Quand Farhat venait me voir à Zaghouan, il m'en parlait et
me disait qu'il fait du bon travail syndical et s'occupe aussi sérieu-
sement du problème tunisien, avec les connaissances qu'il s'est fai-
tes, il rend beaucoup de services au pays.
En me serrant la main, Ben Salah me dit : On ne s'est pas vu
mais Farhat m'a beaucoup parlé de toi, je suis très content de te
voir. Il était très jeune, dynamique et à première vue il m'a donné
une bonne impression. Krayem engage la discussion et me dit :
Ecoute Habib, nous sommes plusieurs camarades responsables à
l'U.G.T.T. qui, en discutant du tout prochain congrès de
l'U.G.T.T. avons dit que le secrétaire de l'U.G.T.T. devrait être
toi ~t nous sommes sûrs qu'il n'y aura aucune difficulté, mais dans
le cas où le gouvernement n'accepte pas les camarades qui sont là
et d'autres te proposent Ahmed Ben Salah.
S<tns réfléchir je leur ai dit : je ne suis pas le seul qualifié pour le
secrétariat, j'estime que Tlili n'est pas moins qualifié que moi,
mais Tlili se trouve éloigné, en résidence surveillée, donc dans la
même situation que moi. Le congrès aura lieu dans un mois, il est
sûr que je ne serais pas libéré avant cette date, donc du fait que
votre choix est porté sur Ahmed et que Farhat m'en a parlé aussi
je ne peux qu'appuyer votre suggestion.
C'est alors que Ben Salah s'est adressé à moi me remerciant de
cette confiance et me dit : Dès que tu seras libre je te céderai la

42
place et je me ferai le plaisir de travailler avec toi. Je lui ai souhaité
bonnè chance et déclaré que je ferai tout pour l'aider dans ces cir-
constances difficiles. Il m'a parlé du travail qu'il faisait à la
C.I.S.L. surtout la dénonciation des actes barbares commis par les
forces d'occupation de notre pays, les tortures, les ratissages, des
articles qu'il écrivait sur la cause tunisienne. Son travail était faci-
lité par l'appui de la C.I.S.L. et de tous ses affiliés européens
auprès desquels il bénéficiait d'un large soutien.
Le congrès a eu lieu les 2, 3 et 4 Juillet 1954 et Ben Salah a été
élu secrétaire général, naturellement sa première visite était à
moi, il était accompagné de Krayem qui a été élu secrétaire
adjoint. Ils sont restés à Maharès une bonne partie de la journée
durant laquelle tous les problèmes syndicaux et politiques ont été
débattus même les problèmes qui découleront de notre victoire
qui mettra fin à la colonisation.
Les jours passent et la Résistance s'intensifie toujours. Elle pas-
sionne tout le peuple surtout les jeunes et même les gamins. Un
jour, alors que j'étais chez moi un petit garçon de neuf à dix ans est
venu chez moi accompagné de son père, il me dit : votre fils et le
fils de tel sont partis rejoindre les fellaghas en suivant la iigne du
chemin de fer depuis déjà deux heures. J'ai demandé à des amis
d'aller voir avec le garçon, ils les ont trouvés à 7 kms de la ville et
ils ont eu des difficultés à les faire revenir.
Au mois de Juillet et précisément le 14, le matin vers 9 heures,
on frappe à la porte, il y avait un spahi tout essoufflé qui me dit :
si El Habib le Kahia vous dit de venir tout de suite le résident géné-
ral Boyer de La Tour va vous recevoir. Je lui ai dit : Est-ce bien
vrai ce qu'il dit là, car son patron le Kahia a l'habitude de plaisan-
ter. Il a juré par Dieu que c'est vrai en ajoutant :Vous entendez
bien le tambour et la musique, d'ailleurs, tous les habitants de la
région sont sur la place et les rues noires de monde.
Je me suis préparé en vitesse, le spahi me disait tout le long de
la route : "Un peu plus vite si El Habib", et à peine arrivé on m'in-
troduit dans le bureau du Kahia où étaient installées les autorités
régionales dont le Caïd de Sfax et le contrôleur civil le général de
la place. J'étais présenté par le Kahia au résident général qui me
dit :Mais vous vous portez bien. Oui dis-je, pas mal comme tou-
jours ; il m'invite à m'assoir et me dit : "On va parler franche-
ment, d'abord, on dit que vous êtes courageux, j'espère que
durant toute cette période d'emprisonnement et d'éloignement
vous avez eu le temps de réfléchir et de vous assagir, je suis décidé
à vous libérer si vous me promettez que vous vous conduirez
comme il faut", et il cesse de parler, me fixe et attend ma réponse .

. 43
- "Monsieur le Résident Général, j'ai toujours été compréhen-
sif ; durant toute la période depuis la création de l'U.G.T.T.
jusqu'à la veille de la grève du 5 Août, mes relations avec les auto-
rités étaient claires et même bonnes et le témoignage de moralité
du Caïd Naceur Ben Saïd pour le procès est une preuve éclatante,
d'ailleurs monsieur le Caïd et le contrôleur civil qui sont là peuvent
en attester".
Je rn' attendais à une réaction de leur part mais j'étais sûr qu'ils ne
pouvaient pas démentir parce que le Caïd ne peut pas revenir sur
son témoignage qu'il a préparé en commun avec Farhat. Lorsque
je suis sorti toute la foule m'a entouré en criant des paroles très
gentilles et j'étais dans l'obligation de faire un petit discours.
Le soir du même jour, le Kahia Kaddour m'a appelé à une heure
assez tardive et me dit : je suis venu de Sfax exprès pour te voir, au
repas de midi, on a parlé de toi et de ta libération. Le contrôleur
civil a dit que tu es un personnage très dangereux, le Résident
Général l'a arrêté net en lui disant : Achour a dit et il était tout
près de vous, que ses relations étaient bonnes avec les autorités en
vous citant, vous et le Caïd, vous aurez dû parler à ce moment et
s'adressant à Monsieur le Kahia, il lui dit : Depuis le temps qu'il
est à Maharès quel est son comportement ?
-Je le reçois une à deux fois par semaine, je n'ai rien vu d'anormal,
en discutant sur les sujets difficiles, il donne franchement son opi-
nion. Le Résident Général dit alors : C'est décidé, je le libère,
vous recevrez des instructions.

44
Le retour aux responsabilités syndicales

Une dizaine de jours après, j'étais libéré, mais depuis ma ren-


contre avec le Résident Général qui était annoncée par la presse,
les visiteurs se faisaient beaucoup plus nombreux et la population
toute entière de Maharès qui m'a pris en sympathie me recom-
mande de ne pas l'oublier et de revenir la voir le plus souvent pos-
sible.
A Sfax, à la maison des syndicats, je recevais les syndicalistes,
les commerçants, les agriculteurs et toutes les tendances politi-
ques. A la maison ma femme reçoit les parents et les femmes
d'amis, ça a duré plus d'une semaine et ensuite, le travail syndical
commence. C'était d'abord ma mise à jour et ensuite le temp& de
voir les grands problèmes de la région que Krayem connaît parfai-
tement bien, mais il y avait aussi des problèmes entre l'U.G.T.T.
et le parti comme il y en a eu entre le chef du Parti et moi à Sfax et
qui ont pour origine la jalousie de voir l'U.G.T.T. travailler et
réussir alors que les gens du Parti piètinent et n'avancent pas.
On s'est attelé à aplanir certains petits différends pour ensuite
refaire les élections à la base et aller au congrès de l'union régiona-
le. Krayem était partagé entre Tunis - où il doit aider Ben Salah à
connaître les rouages de l'U.G.T.T. que connaissent bien les syn-
dicalistes qui sont montés de la base avec une bonne expérience,
car il ne faut pas beaucoup à quelqu'un même très instruit pour
commettre une gaffe irréparable malgré lui et de bonne foi - et
Sfax.
Nous voulions que Ben Salah réussisse et faire avec lui ce que
nous avons fait avec Farhat, lui donner un appui sans réserve de la
puissante union régionale de Sfax. La date du congrès de l'union
régionale de Sfax était fixée, j'étais candidat au bureau de l'U.R.,
les autorités régionales l'ont appris et m'ont demandé que, compte

45
tenu de ma condamnation, je n'ai pas le droit d'avoir une respon-
sabilité syndicale. Je leur ai répondu que je suis condamné pour
avoir participé à une grève et la loi dit que les condamnés pour des
délits de ce genre peuvent continuer à assumer leur responsabilité.
Devant ma détermination le ministre de l'intérieur Mongi Slim
et Chadli Rehayem que je connais bien, m'ont envoyé une note me
demandant de ne pas déposer ma candiçlature afin d'éviter la réac-
tion des colons de la région. Je ne leur ai pas répondu mais j'ai lu
leur message au congrès en ajoutant : "Maintenant voilà ma posi-
tion :je dépose ma candidature, si vous l'acceptez je la laisse et si
vous dites non je la retire". La réponse ne s'est pas fait attendre,
tous les congressistes debout ont applaudi pendant un bon
moment.
Ben Salah a clôturé le congrès par un long discours où il traite de
ses relations et du travail qu'il a accompli avec Farhat dont il
cannait la ligne de conduite qu'il a promis de suivre. Il s'est félicité
de ma libération et de mon retour au syndicalisme. Il a évoqué
ensuite le programme d'action de l'U.G.T.T. qui a été élaboré au
congrès de 1954. Enfin le congrès s'est terminé dans une atmos-
phère de fête annonçant le commencement de la Libération.
Lorsque nous étions en tête à tête avec Ben Salah, il m'a suggé-
ré : Maintenant que tu es là et que les bons militants ne manquent
pas à Sfax, je voudrais que Krayem vienne à Tunis, il a déjà dirigé
l'U.G.T.T. et possède une longue expérience des problèmes syn-
dicaux. J'ai jeté un coup d'œil à Krayem pour voir sa réaction, il
semblait étonné et c'est alors que j'ai dit à Ahmed :On te répon-
dra dans quelques jours.
A l'U.G.T.T. à Sfax on s'est attaqué à des problèmes très déli-
cats, les ouvriers agricoles étaient très mal payés et exploités aussi
bien par les colons que par les gros agriculteurs tunisiens, je dirai
même que leur situation était plus mauvaise encore avec les Tuni-
siens. Il fallait commencer par organiser un meeting, discuter avec
les ouvriers et constituer un syndicat, mais où tenir ce meeting ?
Dans ce milieu de propriétaires terriens tous sont hostiles aux tra-
vailleurs qui d'ailleurs comptent dans leurs rangs presque la tota-
lité des hommes qui ont pris le maquis. En voyant de près la liste
des propriétaires j'ai vu parmi eux le docteur Charfi que je connais
bien et qui est destourien. J'ai dit au délégué syndical :Tiens c'est
là qu'on tiendra le meeting et je me suis rendu à sa clinique qui
était à quelques mètres de la maison de l'union régionale.
Il m'a très aimablement reçu croyant qu'il s'agit d'une consulta-
tion, mais lorsqu'il a appris l'objet de la visite il était choqué et m'a

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dit : Il vaudrait mieux ne pas t'occuper de ces gens, ce sont des pri-
mitifs.
Intérieurement, j'étais très en colère mais je lui ai dit : Ce sont
ceux-là, qui, l'arme à lamain ont libéré le pays. Pour un destourien
ou un simple patriote votre déclaration constitue une grave injure
au peuple tunisien tout entier et je l'ai quitté avec beaucoup de
mépris.
Nous avons tenu la réunion en plein air et nous avons entendu
parler des camarades sur la vie qu'ils mènent dans ces domaines,
la façon dont ils sont traités, les salaires si on peut dire salaires, car
ça ne représente presque rien, le travail de jour continue jusqu'à
une partie de la nuit, enfin l'esclavage dans ses formes les plus
vilaines.
Le bureau syndical a été constitué avec une majorité de mem-
bres de la Résistance donc des éléments qui ont de l'influence et
qui peuvent pvoir l'unanimité des travailleurs autour d'eux et les
agriculteurs aussi les craignaient. On a préparé les revendications
qui ont été déposées au contrôle civil car à cette époque les affaires
agricoles étaient encore dans les attributions des autorités Françai-
ses. Les agriculteurs tunisiens ne voulaient pas démordre alors
qu'avec les colons c'était vite réglé, le respect de la loi et nous
étions d'accord ; on ne demandait pas plus.
D'autres réunions entre le syndicat des ouvriers et des agricul-
teurs tunisiens ont eu lieu en présence du Caïd, mais ces derniers
persistaient à ne pas appliquer la loi en donnant des prétextes
absurdes. Les ouvriers se sont réunis et ont décidé la grève unique-
ment dans les fermes des Tunisiens, une grève qui a duré près d'un
mois, les agriculteurs comptaient sur la misère pour mettre fin à
l'arrêt du travail, mais l'U.G.T.T. donnait un secours plus impor-
tant aux ouvriers que le maigre salaire qu'ils percevaient au tra-
vail. Les agriculteurs ont employé tous les moyens pour pousser
les autorités à intervenir par la force mais déjà les temps ont
changé et les revendications ouvrières sont légitimes.
Un jour alors que j'étais dans mon bureau avec quelques res-
ponsables, un spahi du contrôle civil rentre, il est cuisinier du con-
trôleur civil et en même temps membre du bureau syndical, il me
sourit et dit : "Tant mieux pour Monsieur Gantes". Je lui ai
répondu par un méchant mot et j'ajoutais "qu'est ce qu'il a ton
monsieur Gantes ?" C'est alors qu'il dit : "toi tu fais la grève et
monsieur Gantes reçoit les cadeaux" et il ajouta : "Mr tel agricul-
teur a apporté tout un chargement de camionnette des meilleurs
produits des fermes en grève".

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-"Ce n'est pas vrai" lui dis-je. Veux tu me dit-il que j'aille cher-
cher un couffin avec un peu de chaque produit et je vous dirai les
noms de ceux qui ont fait l'offre.
-"Je t'évite cette corvée et je te crois" lui dis-je.
Enfin après plusieurs réunions sous la présidence du Caïd, il a
été décidé que les textes sont faits pour être appliqués, nous ne
demandions pas plus que ça et la grève a pris fin dans la joie des
travailleurs qui verront1eur situation s'améliorer car ils ne perce-
vaient pas la moitié du salaire légal.
Une autre grève a eu lieu un peu plus tard c'est celle du person-
nel de Mory-Mazout, une société qui dispose d'un bateau-citerne
pour ravitailler les navires et en même temps les gros camions de
distribution. Les ouvriers à bord de ce bateau-citerne ont arrêté les
livraisons et j'étais avec eux à bord.
Le commissaire de police Pierrengeli a pris un bateau de garde
côte et accompagné d'un groupe de policiers est venu rejoindre les
grévistes. Il s'est adressé à moi et s'est mis à me parler sur un ton
dont la gentillesse m'a étonné :je ne suis pas venu ici pour briser
la grève, dit-il, mais pour protéger les installations, d'ailleurs je
connais vos revendications elles sont légitimes, je suis moi-même
syndicaliste et malgré ça on dit beaucoup de mal de moi. Je lui
réponds : "c'est la première fois que je vous vois vous semblez très
gentil mais on dit que c'est vous qui avez assassiné notre camarade
Farhat".
Du coup la sueur jaillit de son nez et il se mit à dire : "On m'a
accusé d'avoir saboté la maison de monsieur tel, d'avoir tiré sur
telle autre personne alors que j'étais en France". Son visage et ses
justifications me semblaient prouver que c'était bien lui le sabo-
teur et l'assassin de Farhat. On l'aurait muté à Sfax pour l'éloigner
de la Résistance de Tunis qui l'a repéré.
Pendant ce temps Bourguiba était installé près de Pari~ où je
suis allé pour lui rendre visite. A mon retour à Tunis, j'ai trouvé la
commission administrative de l'U.G.T.T. réunie, on discutait de
la désignation des camarades à l'assemblée constituante le nombre
prévu était très important. Tous les premiers responsables à la cen-
trale et aux unions régionales étaient là tous contents d'être mem-
bres de cette assemblée.
J'ai pris la parole pour dire que la décision prise porte un grand
préjudice à la bonne marche de l'U.G.T.T. Des syndicalistes qui
viendront à l'union régionale et qui ont l'habitude de s'adresser au
secrétaire général, que feront-ils en son absence ? et les responsa-
bles qui viendront de l'intérieur du pays pour voir le secrétaire
général de l'U.G.T.T. que feront-ils pendant qu'il est à l'assem-

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blée constituante ? J'estime pour la bonne marche de notre acti-
vité syndicale que les premiers responsables de l'U.G.T.T. ne
prennent pas d'autres responsabilités. C'est alors que j'étais atta-
qué par tous les camarades présents qui étaient tous candidats à
l'assemblée et l'un d'eux de l'union régionale de Sfax, a dit : "si
nous avons été désignés à la base pour ce poste toi tu as été élu à
l'unanimité, tu es donc non seulement contre ceux qui sont là mais
tu es aussi contre la base". J'ai dit alors je marche mais je persiste
à dire que l'U.G.T.T. s'en ressentira.
Pendant ce temps le Néo-Destoùr se réorganise, des élections se
font un peu partout depuis la base d'abord et ensuite les fédéra-
tions. Des amis destouriens sont venus me demander de poser ma
candidature à la présidence de l'importante fédération de Sfax
dont l'ancien président Hédi Chaker a été assassini par la "Main
Rouge" à Nabeul. J'ai accepté devant l'insistance de nombreux
amis de tous les milieux' surtout les jeunes qui veulent sortir du
paternalisme pratiqué par l'ancienne équipe à la tête de la fédéra-
tion.
Avant même la publication de la liste des candidats, il s'est
formé deux groupes, le premier de tendance patronale avec à sa
tête Krichène et Cheikh Drira, et l'autre de tendance syndicale
paysanne et jeune. La propagande battait son plein, les autres qui
ont beaucoup de moyens tenaient réunions sur réunions à travers
toute la région et les nôtres aussi faisaient ce qu'ils pouvaient avec
leurs faibles moyens. Jamais un congrès n'a eu autant de délégués
près de 2 mille , jamais congrès n'a été aussi chaud, des critiques
de toutes sortes mais dans la limite du raisonnable, d'un. côté
comme de l'autre. Taïeb Mehiri présidait le congrès.
Le résultat du vote me donnai(heuf.cents·voix de plus que Kri-
chène le candidat de l'autre tendance et aussi les membres du
bureau élu étaient neuf sur douze de mon côté, donc il n'y avait pas
de doute, c'est à moi que devait revenir la présidence. Les au.tres
trois membres se sont opposés et Mehiri a renvoyé la réunion au
lendemain, c'est peut être pour consulter le bureau politique mais
les gens en ville ont appris l'opposition de l'autre clan et l'indéci-
sion de Mehiri et sont venus nombfèux à la réunion prévue.
Les gens criaient dehors :Habib Achour ! Dès qu'on s'est réuni
Méhiri m'a tenu par le bras pour aller un peu loin et me dit :
"Ecoute Habib, tu sais que ces gens sont racistes, d'abord ils n'ad-
mettent pas que l'U.G.T.T. dirige la fédération et encore tu es
Kerkennien et ces gens ne vous aiment pas".
Trop choqué, je. lui réponds : Tu en es encore là, ces idées sont
à combattre et il y a là des raisons pour les chasser même du Parti.

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Il me répond alors, que ce sont eux qui fournissent l'argent au Parti
et nous ne pouvons pas nous en passer.
Est-ce un ordre du Parti ? lui dis-je. Il acquiesce avec un signe de
la tête. C'est alors que je lui répondis : Et du désir du congrès
qu'est-ce que tu en fais ?
-Je regrette beaucoup mais ce sont les instructions.
Je prends alors du papier, j'écris au directeur du bureau politique
ma vive protestation contre la dictature de Mehiri et je dépose ma
démission du bureau de la fédération, démission que j'annonce à
ma sortie aux gens nombreux qui ont aussitôt assiégé la maison ~t
insulté Mehiri et les autres adversaires.
Depuis cette date et jusqu'à ce jour la fédération de Sfax n'ar-
rive pas à se rétablir comme il faut, d'ailleurs durant des années
toutes les fois que Bourguiba les rencontre, il les traite de racistes
et il leur en a voulu jusqu'à leur liquidation. A cette époque, j'étais
entouré d'une toute autre considération, c'était Habib Achour le
combattant mais aujourd'hui en restant combattant pour le pain,
la liberté et la dignité de la classe ouvrière, je suis un hors la loi, un
traître à la patrie et avec cela tous les slogans nombreux qu'on me
colle pour me réduire à néant, mais en vain ça ne fait que donner
plus de stimulant à la classe qui m'a élu pour la représenter et
défendre ses intérêts.
Pendant ce temps, l'union régionale de Sfax s'organise et
reprend ses forces, Krayem qui est secrétaire adjoint à Sfax et en
même temps l'adjoint du secrétaire général de l'U.G.T.T. a été
muté à Tunis sur la demande de Ben Salah. Les premiers temps ça
allait très bien, mais au fur et à mesure que le congrès de
l'U.G.T.T. approchait, Ben Salah et son entourage commencent
à se méfier de Krayem aqui il a été dit un jour qu'il est là pour pré-
parer l'élection de Habib Achour à la tête de l'U.G.T.T. Ce ne
sont que des illusions, j'aime Sfax, j'aime bien y vivre surtout
qu'elle a été toujours le berceau et la place forte de I'U.G.T.T.
C'est Sfax qui finançait l'U .G .T .T. aussi bien pour son fonctionne-
ment que pour soutenir les grèves de longue durée, entre autres la
fameuse grève générale des transports. J'ai décidé alors d'aller
voir avec Krayem, Ben Salah chez lui. On a parlé longuement et je
l'ai rassuré en lui affirmant que je n'avais pas l'intention de venir
à Tunis. Il semblait convaincu, mais l'isolement de Krayem à
l'U.G.T.T. devenait de plus en plus intenable, sa présence n'était
d'aucune utilité alors qu'il pouvait faire beaucoup à Sfax et nous
avons décidé son retour.
Depuis le retour de Krayem Ben Salah a pris la décision de déni-
grer Sfax en toute occasion, les meetings, les réunions de la corn-

50
mission administrative et ce sont des insultes grossières qu'il lan-
çait. Personnellement j'étais déçu et étonné. Jamais dans nos réu-
nions on entendait pareil langage. C'était toujours l'union et la fra-
ternité qu'on prêchait et malgré cela je n'ai jamais manœuvré con-
tre lui pour essayer de l'éliminer de la tête de l'U.G.T.T.
Au parti la lutte entre Ben Youssef et Bourguiba battait son
plein. Ben Youssef a fait scission. Il a loué un autre local sur lequel
il a placé une pancarte qui mentionnait secrétariat du Néo-Des-
tour. Il était très actif et la fédération destourienne de Tunis est
passée entièrement à lui avec toutes ses sections. Ben Youssef
tenait meeting sur meeting à Tunis et c'était des réunions grandio-
ses alors que Bourguiba n'en faisait pas du tout. Cela m'a étonné
et je me suis un jour rendu à Tunis pour lui parler de cette ques-
tion. Je me suis rendu chez lui avec Krayem, il s'est mis à m'expli-
quer la situation, en commençant par dire que la fédération l'a tra-.
hi, elle a suivi Ben Youssef: "Je ne peux pas sortir, je ne peux pas
tenir des réunions" et il ajouta : "je me sens très fatigué, je vou-
drais partir en France passer 15 jours ou 1 mois". Je lui répondis
alors :Vous êtes là et vous dites que vous n'avez rien, si vous vous
absentez et que vous les laissez seuls vous en aurez encore moins.
Il se mit à regarder dans le vague et me dit : "si je tiens un congrès
je m'en sortirai" et ajouta "mais c'est absolument impossible". Il
le disait sur un ton de désespoir. A le voir ainsi lui qui a l'habitude
d'encourager les gens, il m'a fait beaucoup de peine. C'est alors
que je lui dis: Tenez ce congrès à Sfax et j'en assume la responsa-
bilité. Il me regarda d'un air de quelqu'un en danger dont Ie salut
approche et me dit : "C'est vrai Habib ?"je lui réponds : "oui, je
m'en porte garant". Il se frotta les mains d'un air satisfait et me
dit : "alors c'est d'accord". On a fixé la date d'un autre rendez-
vous pour arrêter les modalités et le congrès a eu lieu, protégé par
plus de 2 000 ouvriers ; et depuis, avec la nouvelle formation du
bureau politique, Bourguiba s'est lancé de nouveau dans la lutte
mais cette fois il avait pour cible Ben Youssef.
Malheureusement cette lutte prit une mauvaise tournure, les
frères d'armes d'hier s'entretuent sauvagement. J'étais invité par
des amis à intervenir auprès de Ben Youssef pour lui dire s'il n'y a
pas lieu de s'arranger et s'il trouve que la politique de Bourguiba
ne lui convient pas, qu'il forme un parti mais il n'est pas normal
qu'il y ait d'un côté le Néo-Destour et de l'autre côté le sécrétariat
du Néo-Destour. C'est ça peut-être qui provoque cette lutte qui
devient armée maintenant. Si vous êtes d'accord, dis-je, j'irais ce
soir voir Bourguiba à Monastir et je le lui dirai. Le téléphone
sonna Ben Youssef s'en va et revient pour me dire :Tu sais Habib

51
c'est quelqu'un qui est très proche de Bourguiba qui me dit
débrouilles-toi pour quitter les lieux, ils vont t'arrêter ou même te
tuer, de toute façon comme je sais que tu es de bonne foi, je te dis
oui mais je sais qu'il est "sfih" (n'a pas de parole). Je suis parti lais-
sant Ben Yousseftrès embarrassé et j'étais moi-même très inquiet.
Je me suis rendu à Monastir voir Bourguiba qui m'a reçu à une
heure tardive. Il avait chez lui beaucoup de gens à qui il m'a pré-
senté comme étant un grand résistant. Ceux qui étaient là sont eux
aussi des durs. Ils avaient réussi un "bon coup" le jour même. Des
hommes de Ben Youssef ont été tués. C'est alors que je lui ai dit
que j'ai vu Ben Youssef et je lui ai raconté ce qui s'est passé. Il rn' a
répondu exactement comme Ben Youssef: c'est un "sfih". Dès cet
instant, j'ai décidé de me tenir à l'écart des deux clans, de faire
mon travail syndical ni plus ni moins.
Un jour alors que je rentrais chez moi la nuit, un homme habillé
d'un burnous de la tête aux pieds s'adressa à moi. Il se présenta :
C'est moi Ennifar. C'était un grand résistant pendant la lutte anti-
colQ_nLaliste que je connais très bien et il me dit : je voudrais avec
2 hommes de Ben Youssef te voir. Je les fais entrer et la discussion
a duré jusqu'à 2 heures du matin. Ils étaient entièrement montés
contre Bourguiba qu'ils traitaient de traître. Je n'ai pas voulu leur
dire ma décision de rester neutre et je leur disais que les accords
conclus avec la France obus donnent un grand avantage et je m'ef-
forçais de démontrer que Bourguiba a bien réussi. D'ailleurs,
c'était ma conviction profonde. En partant ils m'ont demandé de
rester neutre. Je leur répondis qu'ils connaissent mon point de vue
et s'ils veulent continuer la discussion ils viendront quand ils vou-
dront. Quelques temps après nous avons appris que Bourguiba a
échappé à Gafsa à un complot.
Un jour je me suis rendu comme d'habitude voir le gouverneur
pour parler avec lui de certains problèmes sociaux. Au lieu d'aller
vers son bureau il me tient par la main et m'entraîne au coin de la
salle et me dit en chuchotant :Cet homme qui est avec toi, c'est lui
qui allait assassiner Bourguiba, il n'a pas fini de parler quand le
bonhomme me serre, m'embrasse et me dit : j'af été désigné pour
tuer Bourguiba mais durant la nuit j'ai pensé à 'ta 'discussion que
nous avons eu chez toi et j'ai fini par te donner raison et alors j'ai
remis les armes qui devaient me servir à accomplir le crime. Je l'ai
félicité et je l'ai laissé avec le gouverneur.

52
La scission syndicale

Nous nous sommes préparés pour aller au congrès de la centrale


en 1956 exactement de la même façon qu'au moment où il y avait
Farhat à la tête de l'U.G.T.T. avec les musiciens, les jeunes tra-
vailleurs en uniforme pour les hymnes glorifiant l'U. G. T. T. et les
travailleurs. Les syndicalistes de Sousse qui avaient l'habitude de
nous attendre n'étaient pas là.
Farhat avait l'habitude de nous attendre avec une bonne déléga-
tion de l'U. G. T. T. à Grombalia. Il n'y avait personne encore ici et
on commençait par s'inquiéter mais celà n'empêche que la musi-
que et les chants retentissent dès la rentrée de chaque ville et les
gens s'arrêtent pour entendre et admirer les cars pavoisés aux cou-
leurs tunisiennes et d'énormes banderoles avec des slogans et des
revendications. Devant l'absence de délégation pour nous indi-
quer le lieu de notre hébergement nous sommes allés juste devant
la maison de l'U.G.T.T. où certains morceaux demusiqu~ ont été
joués et en descendant des cars nous avons été reçus par des cris-
hostiles émanant de gens qui nous semblaient décidés à tout faire.
Jusqu'à aujourd'hui jamais de ma vie de Tunisien patriote je n'ai
vu un spectacle aussi navrant.
Nous avons demandé à la troupe musicale ouvrière Sfaxienne
qui nous accompagnait de rentrer à Sfax et nous nous sommes diri-
gés vers l'emplacement qui a été réservé pour notre hébergement
pour le congrès. Durant toute la nuit blanche que nous avons passé
on parlait de la situ~tion où l'U.G.T.T. est arrivée. On faisait la
comparaison avec l'époque de Farhat où tous les syndicalistes du
sud au nord, de l'est et de l'ouest étaient de véritables frères dont
l'action et le langage tendaient à consolider l'union et l'action.
Jamais Ben Salah ne tenait une réunion sans lancer un flot d'inju-
res à l'encontre des personnes qui ne sont pas d'accord avec certai-
nes de ses positions.

53
Le matin à la salle du congrès au Palmarium, il y avait plus de
deux mille congressistes à part un service d'ordre de plusieurs
centaines choisi parmi les costauds et dès le début ils étaient d'une
arrogance manifeste contre les Sfaxiens.
Il y avait à l'époque dans tout le pays pas plus de soixante mille
adhérents. D'après le décompte et par rapport au nombre des con-
gressistes Sfaxiens,il ne devait pas y avoir plus de 600 congressistes.
On attendait l'arrivée de Bourguiba qui est rentré d'Alpes Duez
pour présider l'ouverture du congrès. Il avait déjà le programme
économique et social où il a relevé certaines remargues dans le
domaine économique et aussi la proposition de l'adhésion organi-
que de l'U.G.T.T. au sein du Parti Destourien. Comme toujours
il a été chaleureusement applaudi, il n'a pas manqué de faire ses
critiques au rapport moral et connaissant l'atmosphère qui règne à
l'U.G.T.T. il a recommandé l'entente et l'union de tous dans l'in-
térêt de l'U.G.T.T et du pays.
Après le discours de Bourguiba qui a pris la route de l'aéro-
drome pour repartir à Alpes Duez, nous avons repris nos places.
Ben Salah prend la parole et comme d'habitude commence ses
insinuations et les gens se déchainent contre nous Sfaxiens en lan-
çant des injures grossières de toutes sortes. Ce qui a poussé les
vrais syndicalistes à réagir en ma faveur et à scander Habib
Achour, Habib A ch our et les deux clans se regardaient comme des
adversaires prêts à sauter l'un sur l'autre.
Je monte à la tribune où il y avait aux côtés de Ben Salah Tlili qui
était non seulement responsable syndical mais aussi membre du
bureau politique. Il était chargé de sa trésorerie, c'est le 3ème rang
elu Parti. Je lui ai dit: Ecoute Tlili c'est ça I'U.G.T.T., ça te plait
cette situation, tu es doublement responsable il faut en finir et tu
dois prendre position. Il a essayé de calmer mais ça n'a rien donné.
Parmi ceux des dirigeants que suivaient Ben Salah dans l'emploi
de cette méthode forte, il y avait Mahmoud Khiari, du syndicat de
l'enseignement dont le comportement pendant la période de la
lutte pour la libération était plus que douteux, Mohâmed Errai le
chef des dockers qui distribuait de l'argent et haranguait ses hom-
mes pour plus d'agitation, Mohamed Guettat de l'union régionale
de Sousse, Slimane Zouari de l'union régionale de Tunis, Has-
souna Ben Tahar de la fédération des mines. Dans la salle, pour
intimider nos camarades les hommes du service d'ordre se lan-
çaient des rèvolvers en criant des cochonneries.
Nous avons quitté la salle à plusieurs reprises, mais nous avons
fini par reprendre nos places sans participer aux travaux du con-
grès et attendre la fin, nous n'avons pas voulu retirer notre candi-

54
dature et malgré ça nous étions trois à passer à la C.A. Bouraoui,
Krayem et moi. Nous sommes rentrés à Sfax sans attendre la for-
mation du bureau. Tous les délégués Sfaxiens qui ont vécu long-
temps avec Farhat étaient écœurés et disaient : il faut sauver
l'V. G. T. T. à n'importe quel prix, de l'intérieur c'est impossible' et
alors que faire ? Le problème nous troublait jusqu'au jour où en
réunion de la C.A. de l'union régionale la question de la scission
a été posée.
Nous étions unanimes sur ce point, on était d'accord que la scis-
sion doit se faire à Tunis et commencer par la création d'un bureau
provisoire d'une organisation centrale syndicale. Compte tenu de
ce que nous étions tous destouriens, nous avons décidéd'en parler
à Bourguiba.
Je l'ai vite rencontré car j'étais toujours le bienvenu quand j'al-
lais le voir. Je lui ai raconté. la situation que nous vivons à
l'U.G.T.T. depuis plus d'un an et la perte des acquis par un dur
labeur que nous tous, depuis Farhat jusqu'à la base avons consen-
ti. Si cette situation continue, il ne restera plus rien des principes
de cette glorieuse U. G. T. T. et ses possibilités pour la participation
à la décolonisation et à la reconstruction du pays seront limités.
Bourguiba écoutait avec beaucoup d'attention et posait de temps
en temps une question pour obtenir plus de précisions. A la fin de
l'entretien, je l'ai avisé de notre intention de créer une nouvelle
centrale syndicale qui prêchera l'union et l'entente entre lestra-
vailleurs et la collaboration sincère avec les organisations nationa-
les.
Comme Bourguiba me connaissait bien et qu'il avait une grande
confiance en moi, il a fini parme dire :si tu juges que c'e~tutilefai­
tes le et m'a rappelé les lettres qu'il a envoyé après l'assassinat de
Farhat à Mohamed El Aoun et à M'hamed Sfar leur disant : C'est
Habib Achour qui peut continuer l'œuvre de Farhat à la tête de
l'U.G.T.T.
Le soir même nous avons teilu une réunion où il y avait une qua-
rantaine de camarades dont la plupart avaient des responsabilités
syndicales avec Farhat au plus haut niveau. Nous avons arrêté le
travail à une heure très tardive pour reprendre notre réunion la
nuit suivante. Connaissant le problème, chacun de nous est venu
avec des points de vues bien précis et la réunion s'est terminée par
la formation d'un bureau provisoire composé des camarades sui-
vants: Habib Achour, Krayem Mohamed, Dachraoui Farhat,
Abdelaziz Bouraoui, Salah Boulekbech, Noureddine Thabet, M.
Boukhris, S. Cheffi, A. Mrad, A.B. Abdallah, Blel Mohamed et
Mahmoud El Ghoul.

56
La nouvelle centrale a été dénommée union Tunisienne du tra-
vail (U.T.T). On a vite trouvé un local très convenable à la rue de
Grèce qui a été la maison des syndicats C.G.T. depuis 1936 et
même avant. A la suite d'un congrès à l'échelle départementale à
la fin de 1946la C.G.T. était devenue U.S.T.T. Union Syndicale
des Travailleurs Tunisiens. Si elle a été tunisifiée, c'est pour sur-
monter les difficultés nées de la propagande de l'U.G.T.T. qui,
pour la combattre l'appelle organisation étrangère et ça influait
beaucoup parce que le nationalisme était en vogue et représentait
l'unique opposition à la colonisation.
Pendant ce temps à l'intérieur de l'U. G. T. T. règnait une grande
méfiance en l'absence. de Ben Salah parti en mission syndicale, je
crois bien au Maroc, l'exécutif de l'U.G.T.T. s'est réuni et a
décidé de désigner Tlili pour remplacer Ben Salah ·au poste de
secrétaire général de l'U.G.T.T. A la suite de ce changement
Bourguiba de son côté a fait un discours par lequel il dénonça l'in-
capacité de Ben Salah à diriger cette importante et prestigieuse
organisation nationale.
Depuis la formation de la nouvelle centrale syndicale U. T. T. ses
membres se réunissent sans désemparer à la préparation d'un
manifeste qui a été publié en même temps que la liste des membres
du bureau et qui retraçait les raisons de not~e désaffiliation en
affirmant notre opposition aux trois points suivants :
1) L'adhésion organique au néo-destour ;
2) Le cumul des responsabilités syndicales et gouvernementales,
3) L'U.G.T.T. était devenue un tremplin pour les arrivistes qui
ptilisaient tous les moyens pour arriver à leur but et Ben Salah s'est
sûrement rendu compte du changement de ses hommes dans leur
nouvelle situation.
Le manifeste a eu un large écho ainsi que la nouvelle organisa-
tion syndicale dont les membres sont tous bien connus dans les
milieux syndicalistes et politiques. Ce qui s'est traduit par la désaf-
filiation de plusieurs fédérations de l'U.G.T.T. _pour rejoindre
l'U. T. T. Les uns viennent avec meubles et bagages, les autres tien:.
nent des réunions et décident d'adhérer à la nouvelle centraie.
Ce qui s'est passé à Tunis est arrivé dans les villes d,e l'intérieur,
des unions régionales entières sont passées à l'U.T.T. et à la suite
d'une tournée des membres de l'exécutif à travers le pays, la
grande majorité des travailleurs est passée avec nous. A l'occasion
de fêtes nationales, les deux centrales organisent des meetings
dans les mêmes villes, nous faisions toujours salle èomble et les
autres malgré la présidence de leur meeting par un ministre et la

.57
présence des autorités sont obligés de faire appel aux enfants des
écoles pour faire le nombre.
L'union régionale de Tunis dont le secrétaire général est Moha-
med Krayem connu pour ses compétences en matière de législa-
tion sociale fait du bon travail et attire de plus en plus les travail-
leurs versl'U.T.T. Après quelques mois tout le monde sait à Tunis
que notre organisation est devenue de loin la plus représentative.
Devant cette situation Bourguiba me convoqua à la présidence
alors que le bureau politique était réuni et me dit :j'ai décidé de
te désigner membre du bureau politique, avant il y avait une seule
organisation syndicale elle était représentée par Tlili maintenant il
y en a deux, il est normal qu'elles soient toutes les deux représen-
tées et je sais aussi que tu as toujours été un militant destourien. Je
regarde et je ne réponds P\.IS ne voulant pas m'engager avant d'en
parler à mes camarades responsables syndicaux. Me voyant sou-
cieux Bourguiba me dit : Ne t'en fais pas c'est une bonne chose.
Comme je faisais un geste pour sortir il me fit un geste de la main
pour rester et ajouta :"Tu es membre du bureau politique, ce sont
tes camarades, je pense que tu les connais tous".
Oui, lui dis-je et je me suis installé en le remerciant. J'ai constaté
que les questions posées ne sont pas très discutées et la parole du
Président l'emporte toujours, ce qui n'est pas le cas chez nous.
La réunion terminée, les membres du bureau politique me féli-
citent en me serrant la main. Avec Tlili secrétaire de I'U.G.T.T.
c'était des embrassades, c'est lui qui a remplacé Ben Salah, je le
connais très bien au moins depuis 1945 et aussi nous avons passé
ensemble plus d'un an dans la même cellule en prison pendant la
lutte pour la libération. On est rentré ensemble dans la même voi-
ture, il m'a déposé devant notre local où des camarades m'atten-
daient pour connaître l'objet de cette convocation à la présidence
la nuit. Je leur ai rendu compte de ce qui s'est passé, ils étaient visi-
blement très satisfaits et malgré celà j'ai bien insisté si je devais
accepter ou pas. Presque tc::.s spontanément répondirent : Tu
parles, ça nous renforce dans notre travail et nous serons à égalité
de chances avec l'U.G.T.T. Depuis, j'assiste à toutes les réunions
du bureau politique à la suite desquelles je continue la discussion
avec Tlili tantôt chez lui tantôt chez moi et la plupart des fois dans
un restaurant tranquille loin de la ville et des regards indiscrets.
Les premières rencontres, on parlait de la scission et des raisons
qui nous ont poussés à la faire. Il imputait ça au manque d'expé-
rience de Ben Salah en ajoutant : C'est qu'il est trop jeune. Les
rencontres avec Tlili se multiplient et une question devient à l'or-
dre du jour de toutes les rencontres : la réunification. J'en ai parlé

58
à mes camarades, les uns sont pour et les plus nombreux disent :
Il est trop tôt pour la faire, mais des contre il n'y en avait pas.
Au mois de Juin 1957 au B.I.T., il y avait une délégation
U.G.T.T. dirigée par Tlili et une délégation U.T.T., la nouvelle
organisation dont je suis le secrétaire général. Des discussions se
déroulaient durant plusieurs jours entre Tlili et moi et lorsque les
lignes générales ont été arrêtées, je les ai discutées avec mes cama-
rades de l'U.T.T. et quelques jours après c'était la rencontre des
deux délégations.
C'était une rencontre fraternelle et tous nous étions d'accord
pour l'unification. Il restait la désigf,lation du secrétaire général.
C'était la question délicate à résoudre ; pendant un petit moment
c'était un silence profond que j'ai rompu par une petite déclaration
courte où j'ai évoqué le militantisme de Tlili tant politique que
syndical et j'ai terminé par une suggestion : "Je propose le cama-
rade Tlili". Les camarades de l'U.G.T.T. m'ont embrassé et ceux
de l'U.T.T., notre nouvelle organisation, avaient de la peine à
cacher leur émotion. Depuis, on se consultait sur tous les problè-
mes posés au B.I.T. et on faisait presque une seule délégation. Par
cette position j'ai voulu prouver que je n'avais rien contre Ben
Salah mais j'estimais que nous n'étions pas sur la voie ni dans l'es-
prit de l'U.G.T.T. telle qu'elle a été créée par Farhat et ses cama-
rades.
La nouvelle de la réunification du mouvement syndical a été
connue de tout le monde dans le pays et dès notre retour à Tunis
c'était la question à l'ordre du jour de toutes les discussions. Pour
éclairer nos camarades et prendre une décision officielle, nous
avons tenu une réunion des cadres, qui a duré plus de douze heu-
res avec des moments plus orageux mais en fin de compte la réuni-
fication a été votée mais à une très faible majorité.
Nous avons formé une délégation de liaison avec l'U. G. T. T. qui
a aussi désigné la sienne pour former une commission à nombre
égal. Cette commission a eu pour attribution, la préparation d'ùn
plan de réunification depuis la base, c'est à dire le renouvellement
des syndicats jusqu'au congrès national. Ce travail a duré plus de
trois mois, il s'est déroulé dans les formes les plus démocratiques
mais nous avons rencontré de nombreuses difficultés qui ont été
exposées et que nous avons solutionnées tant bien que mal.
Le congrès national a donné une équipe décidée de faire l'union
autour d'elle et de travailler sérieusement. J'étais chargé des affai-
œs économiques dont j'étais passionné. J'estimais que c'était aussi
utile pour les ouvriers que pour le pays. J'avais commencé d'abord
par créer une coopérative de pêche, ensuite des coopératives de

59
consommation puis des coopératives de logement ainsi que des
coopératives de bâtiment et de carrelage. Il nous a fallu envoyer
des fois des agents pour la formation professionnelle à l'étranger.
Pour la direction de ces coopératives nous choisissons parmi les
syndicalistes de la branche concernée les plus compétents, les plus
sérieux et Dieu merci nous n'avons jamais eu des histoires d'abus
de confiance ou des pertes comme il existait dans le privé ou dans
les sociétés et les coopératives étatiques.

60
Nouvel Elan Syndical et
Manœuvres Anti-U.G.T.T.

Ben Salah a été rappelé par Bourguiba comme ministre des


affaires sociales, mais son passage à ce ministère a coincidé avec un
désastre pour les salariés, la caisse de sécurité sociale qui servait
les allocations familiales aux bénéficiaires sans limitation du nom-
bre d'enfants, a limité le nombre à quatre et si un enfant est décédé
il n'est plus remplaçable. On trouve parfois des salariés dont les
quatre premiers enfants sont les uns morts les autres ayant atteint
la limite d'âge, avec quatre enfants ou même plus en bas âge pour
lesquels ils ne perçoivent rien. Cette situation représente un cas
bien pénible entre autres. Pendant ce temps la caisse de sécurité
sociale remplit ses comptes. Toutes les banques qui jouissent de la
faveur du P.D.G. de la caisse de sécurité sociale se voient confier
non des millions mais des milliards. En plus de ça toutes les sode-
tés étatiques en difficulté sont secourues par la caisse des travail-
leurs et elle participe aussi à la création de nombreuses sociétés
dont les débuts s'annoncent difficiles, mais lorsque les organisa-
tions syndicales revendiquent une augmentation de l'allocation ou
une indemnité nouvelle de maladie, le retour au nombre d'enfants
à charge illimité, l'aide à l'habitat, le chômage, le paiement des
allocations familiales aux ouvriers agricoles etc ... le P.D.G. et le
ministre répondaient qu'il va falloir faire une étude pour s'assurer
si la caisse est en mesure de supporter cette charge. Pour faire cette
étude ils ont recouru aux experts du B.I.T. et il faut attendre des
années pour que ça se termine et à la fin on nous dira : la charge est
trop lourde, elle est au dessus des moyens de la caisse. Si nous
insistons en disant : Vous n'avez pas à gaspiller notre argent dans
les sociétés en état de faillite et qu'il faudrait que l'argent versé aux
travailleurs ne serve qu'aux travailleurs eux-mêmes, on vous taxe

63
alors d'égoiste et même de traitre à la patrie et des fois même on
rapporte cette position au Président BourgUiba, qui peut dans un
discours télévisé vous traiter de tout avec ironie et même vous ridi-
culiser et que faire alors ?
Le ministre, le P.D.G., le Gouverneur et toute autre autorité
considèrent que les paroles prononcées par Bourguiba ont force
de loi et qu'elles sont applicables immédiatement. Cette situation
donne naissance à un mécontentement profond qui provoque les
grèves sauvages et qui échappent aux influences des organisations
syndicales. C'est dans cette situation pénible que Tlili, qui est non
seulement membre du bureau politique mais aussi membre du
secrétariat du bureau politique et secrétaire général de
l'U.G.T.T., a navigué durant plus de deux ans. Il était partagé
entre le travail au Parti et à l'U. G. T. T. Il avait en plus de ses acti-
vités normales découlant de ses responsabilités, la grande respon-
sabilité, pendant la guerre d'Algérie, des relations avec les organi-
sations politiques, économiques et militaires algériennes, c'était
tout un département qui grouillait de monde ayant des activités
intenses.
C'est dans ce contexte quel'U.G.T.T. a tenu soncongrè,snatio-
nal. Ben Salah avait le ministère des finances et celui du·Plan. Nos
relations se sont améliorées, il y avait à l'exécutif de l'U.G.T.T.
quelques uns de ses amis, lui comme Bourguiba savait que j'étais
candidat au Secrétariat Général. Ben Salah me disait : moi je suis
pour ton élection à la tête de l'U.G.T.T. et ajouta; Tlili a beau-
coup de travail au parti. Bourguiba lui aussi était pour mon élec-
tion comme Secrétaire Général de l'U. G. T. T. Il m'avait demandé
ce qu'il pouvait faire pour m'aider, je l'ai remercié et je lui ai dit
qu'il est préférable qu'il n'intervienne pas et c'est dans son intêret
et le mien aussi. Le congrès s'est terminé et l'ancienne équipe était
encore réélue mais les membres du bureau réunis m'ont élu Secré-
taire Général. Tlili s'en est réjoui.
Dans un discours bref coupé d'applaudissements, il a rassuré les
congressistes sur la marche de l'U.G.T.T. sur la même voie tracée
par Farhat et sa certitude que le travail d'équipe continuera avec
Habib qui bénéficie de la confiance de tous ; d'ailleurs, dit-il, qui
d'entre-nous ne le connait pas tel qu'il est, militant de la première
heure.
Je l'ai remercié en le rassurant que je continuerai l'œuvre qu'il
a entreprise et qu'avec la partlcipiùion de tous les camarades syndi-
calistes et responsables nous pourrons faire un pas vers le progrès
social ; d'ailleurs Tlili lui-même est resté responsable à l'exécutif
et si ce n'est ses grandes responsabilités au parti, il aurait continué

64
à assumer à l'U.G.T.T. ses responsabilités comme tous les cama-
rades. Le premier trimestre après le congrès, il passait nous voir
tous les jours, je le mettais au courant de tous les problèmes
importants et bien des fois on le faisait intervenir aussi auprès de
certains ministres avec lesquels il était lié d'amitié. Les camarades
de l'exécutif avec lesquels je tenais une réunion chaque matin se
sont mis à organiser leur département et à faire du travail sérieux.
J'ai gardé avec le secrétarait, le département économique, dont
j'étais chargé dans le bureau précédent. Le nombre des coopérati-
ves U.G.T.T. est devenu important, elles employaient près de
quatre mille agents. Nous étions presque boycottés par les ban-
ques qui nous donnaient des crédits au compte-gouttes. Depuis
déja des années Ben Salah a songé à créer une banque, mais elle
n'a pas vu le jour. Tlili a recruté une douzaine de spécialistes et
durant près d'un an ils dévoraient les fonds de l'U.G.T.T. mais rien
n'a été fait. Devant cette situation qui devint insupportable pour la
trésorerie nous avons décidé à l'exécutif de mettre fin à la mise à
notre disposition de ces camarades en attendant d'organiser une
souscription pour obtenir le capital de la banque. Nous avons dans
ce but tenu un conseil national, tous les membres étaient d'accord
pour intervenir efficacement auprès des travailleurs et demander
la participation de tous. Des meetings ont été tenus dans les villes,
les villages et même dans les campagnes pour exhorter tous les
salariés en insistant sur le rôle que peut jouer cette banque pour le
développement de nos coopératives ouvrières. Des bons d'actions·
déjà imprimés ont été distribués pendant les réunions, l'enthou-
siasme était au dessus de toute prévision. Ce travail a duré six mois
et nous avons obtenu 380.000 Dinars alors que le capital prévu
pour la Banque du Peuple était fixé à 250.000 Dinars.
A la suite de ce résultat nous avons décidé de créer une Coopé-
rative d'Assurance dénommée El Ittihad qui nous est aussi utile
que la banque car nous payons énormément pour assurer nos coo-
pératives déjà existantes. NciÙs avons fait appel à ceux embauchés
pour la mise en marche de la banque, mais la plupart étaient déjà
en fonction. II nous a fallu nommer un Directeur de ce groupe et
lui-même a fait l'organisation qui lui convenait en s'entourant du
personnel nécessaire et quelques temps après l'U.G.T.T. inau-
gura dans une atmosphère de fête et sa banque du peuple et son
assurance El Ittihad.
Dès les premiers jours de leur fonctionnement nos coopératives
se sont inscrites dans nos deux organisations et nous avons chargé
la banque aussi de contrôler leur gestion financière. Pour donner
plus de possibilités à la banque j'ai demandé à la caisse de sécurité

65
sociale d'ouvrir un compte dans notre banque et de la faire travail-
ler. Conformément au statut, le secrétaire général de l'U.G.T.T.
est le président de la Banque et de l'Assurance. Les autres mem-
bres du conseil d'administration sont des secrétaires généra).lx des
fédérations. Le mouvement coopératif se développe presque dans
tous les domaines facilité par les crédits sans difficultés qu'obtien-
nent les coopératives. Des visiteurs étrangers Européens et Amé-
ricains qui nous ont rendu visite étaient enthousiasmés par leur
organisation et par l'esprit d'entente qui y règnait. Ben Salah lui-
même, ministre des finances et du plan, nous a envoyé une lettre
de félicitations pour notre participation active au développement
économique du pays par la création de nombreuses coopératives
dont l'organisation et la bonne marche honorent l'U.G.T.T.
Les activités syndicales se développent surtout dans le domaine
de la formation et malgré le blocage des salaires et des prix on ne
cessait de demander aux travailleurs un rendement toujours meil-
leur. Nous avions le désir majeur et profond de sortir du sous-
développement et nous savions que le rôle de l'U.G.T.T. est
déterminant, comme il l'a été dans la lutte pour la libération de
notre pavs.
Mais plusieurs années de sécheresse, les phosphates à très bas
prix et une dévaluation en France ont poussé le gouvernement à
décider une dévaluation. La C.A. de l'U.G.T.T. s'est réunie et
après une longue discussion a voté une motion à l'unanimité qui
demande la réparation du manque à gagner provoqué rar la déva-
luation. Le soir même, les amis de Ben Salah membres de l'exécu-
tif, se sont réunis avec lui et ont envoyé au Président Bourguiba un
tél~gramme par lequel ils désavouent la motion, se désolidarisent
de Habib Achour et considèrent que cette position est contraire à
l'intérêt du Peuple Tunisien. Ce télégramme a été annoncé tard
dans la nuit par Radio-Tunis suivi d'un flot d'injures pour le "dé-
viationniste" Habib Achour.
La Presse du parti a fait paraître en bonne place ce télégramme
suivi de critiques abominables, alors qu'un jour avant la même
presse et la radio parlaient du frère Habib Achour membre du
bureau politique et secrétaire général de l'U.G.T.T. en termes
élogieux. J'étais choqué d'entendre et de lire ce que les hommes
peuvent être faux et lâches mais j'ai eu vite du mépris pour ceux
qui l'ont écrit et qui le chantent sans cesse. Ensuite, lors des réu-
nions des cellules du parti, des destouriens excités par les chefs de
file demandent mon limogeage du bureau politique et de
l'U.G.T.T.

66
. Face à face avec Bourguiba
Cette situation a duré près de trois mois jusqu'au congrès du
parti qui a eu lieu à Bizerte en 1964 sous la présidence de Bourgui-
ba. Il a parlé longuement de l'histoire du parti et des étapes qui ont
conduit à la libération du pays. Il a insisté sur les réalisations éco-
nomiques et sociales accomplies par le parti et le gouvernement
depuis l'indépendance, mais traitant du problème des organisa-
tions syndicales il a attaqué violemment l'U. G. T. T. et moi-même
pour avoir dévié de la ligne tracée par le parti pour ce qui concerne
la tutelle sur ces organisations qu'il considère comme étant l' éma-
nation de ce parti. Il a laissé aussi le doute planer quant à l'honnê-
teté des dirigeants de cette organisation (l'U.G.T.T).
Les congressistes avertis de la position qu'allait prendre le Prési-
dent, position d'ailleurs que répétaient la Radio et la Presse du
parti, ont applaudi follement tout paragraphe du Président où il se
montrait sévère à notre égard. Pendant ce temps, j'avais envie de
l'interrompre malgré le risque que cela comportait et ce n'est pas
le courage qui manque, mais j'estime, comme cela se passe chez-
nous à l'U.G.T.T., qu'on ne doit jamais arrêter un orateur quoi
qu'il dise et celui qui veut répondre est aussi libre de dire ce qu'il
veut.
A la levée de la séance je me suis rendu à l'hôtel accompagné de
Krayem. J'ai décidé de quitter le çongrès et de rentrer à Tunis, et
comme je sais que le discours du Président allait être diffusé, j'ai
téléphoné à ma femme pour lui dire que si elle entend à la Radio
le discours de Bourguiba, elle n'a pas à s'en faire pour les injures
car ce qu'il dit est faux. Au même moment Tlili, Chaker, B0ur-
guiba Junior rentrent dans ma chambre, ils ont entendu ce que je
disais. Chaker me prend le téléphone et dit à ma femme :"Ne vous
en faites pas, on va arranger ça" et il me passe la communication.
J'ajou te : je t'appellerai dans un instant. Chaker directeur du Parti
me demanda de ne pas rentrer tout de suite à Tunis : "Reste ici !
le temps de voir le Président avec son fils et nous reviendrons tout
de suite". Tlili et Krayem sont restés avec moi, nous avons
demandé le repas dans la chambre.
Après moins d'une heure, Chaker était de retour, il était étonné
de nous voir manger et dit : Moi compte tenu de cette situation, je
ne serais pas en mesure de faire passer une bouchée de pain. Je lui
répondis alors :Je te croyais plus courageux, toi tu es jeune, mais
moi, j'en ai vu d'autres et je n'ai rien à me reprocher. Il reprend la
parole et me dit :j'ai raconté au Président ta décision de quitter le
congrès, je lui ai parlé aussi de ton étonnement de le voir dire des
choses fausses à ton égard et je t'ai approuvé dans la façon de corn-·
prendre le discours. Il m'a dit alors que je n'ai eu à aucun moment

69
l'intention d'attaquer Habib sur le plan moral car je sais, et de lon-
gue date, qu'il est irréprochable dans ce domaine, c'est seulement
la marche de l'U.G.T.T. en marge du Parti qui est en cause, de
toute façon tu lui diras de ne pas quitter le congrès et qu'il entendra
ce que je dirai sur son compte en tant que personne et cela avant
la fin du congrès.
J'ai décidé alors de rester à Bizerte sans aller au congrès et d'at-
tendre le discours qu'il se proposait de faire. Au deuxième jour il
était vingt heures, j'étais dans ma chambre quand Tlili et Chaker
arrivent avec de larges sourires. Pendant que je serrais la main à
J'un d'eux l'autre me tape sm: l'épaule et me dit : lève toi et viens
avec nous, le Président te demande, il a fait un discours très élo-
gieux à ton égard à tel point que beaucoup de congressistes se
demandent : pourquoi le Président a parlé de Hàbib Achour le
matin de l'ouverture du pongrès pour venir ce soir dire le contrai-
re ?
Les ennemis de 1'U. G. T. T. en ont eu pour leur compte alors que
des destouriens syndicalistes sautaient de joie. De retour au con-
grès le Président me dit : c'est moi qui t'ai faché à la suite de mon
discours. Oui je lui ai répondu et c'est alors qu'il me dit : tu n'as
pas entendu ma déclaration de tout à l'heure, j'estime qu'il n'y a
plus de confusion et c'est fini.
Alors j'ai repris ma place à côté des membres du bureau politique
mais Sayeh, Amor Chéchia et bien d'autres destouriens menaient
une campagne toute de mensonges contre moi afin de m'empêcher
de passer aux élections en prétendant que le deuxième discours du
Président ne traduit pas sa pensée et que c'est lui-même qui les a
chargés de faire la propagande nécessaire pour que Habib A ch our
ne soit pas élu au bureau politique.
Moi, j'étais indifférent et je préférais même ne pas passer car je ne
savais pas à quoi pouvait me servir cette responsabilité alors que
depuis la dévaluation je suis l'objet d'insultes vulgaires par des
destouriens dans les réunions de cadres et même dans les meetings
populaires.
Malgre mon indifférence, des syndicalistes destouriens au con-
grès se sont lancés dans une campagne d'explication et ont fini par
me faire passer parmi les premiers de la liste. Ladligam, Mehiri,
Mongi Slim, Tlili étaient très heureux de me voir passer ils
connaissaient ceux qui intriguaient contre moi et contre
l'V. G. T. T., mais disaient-ils :ils ne pouvaient pas aller contre Ben
Salah, Sayeh et Amor Chéchia, c'étaient évidemment les hommes
forts du régime, les préférés du Président qui ne laissait aucune
occasion passer sans les présenter comme étant des êtres dotés de

70
pouvoir surhumain et que ce sont eux par leur travail qui transfor-
meront la nature de notre pays. D'ailleurs tout le monde savait en
Tunisie qu'ils parlaient au nom de Bourguiba et à ce titre ils fai-
saient la pluie et le beau temps.
Quelques jours après le congrès, je reçois une lettre de Sayeh
Directeur du bureau politique qui dit : "Objet : Application des
décisions du congrès de Bizerte en ce qui concerne les organisa-
tions nationales.
En application des décisions du congrès du Bizerte en ce qui
concerne l'objet cité ci-dessus et à la suite de la décision du bureau
politique élargi réuni le 15 Décembre à Carthage sous la prési-
dence du combattant suprême le Président Habib Bourguiba
ayant pour objet la présidence des comités de coordination pour ce
qui concerne la marche et les activités des organisations nationa-
les, nous avons envoyé une circulaire à nos frères les Présidents
des Comités de Coordination dont copie-ci-jointe.
Nous attendons donc que vous donniez les instructions nécessaires
aux sections syndicales dér';ndant de l'U.G.T.T. afin de mettre en
application la décision citée ci-dessus.

Salutations
Le Directeur du Parti
Mohamed Sayeh.

Circulaires du Parti aux comités de coordination.


Tunis, le 26 Décembre 1964
Le Frère ............... Président du Comité de Coordination de .... .
Salutations destouriennes.

Objet : Présidence des Comités de Coordination des activités des


organisations nationales.

En application de la décision du Congrès de Bizerte considérant


les organisations nationales comme étant des formations spéciali-
sées dans les domaines de leurs activités professionelles et enga-
gées dans la voie du socialisme destourien qai répond aux vœux du
peuple. En application aussi de la décisio;1 prise par le bureau poli-
tique élargi à la suite de sa dernière réunion au palais de Carthage
le 15 Décembre courant sous la présidence du Combattant
Suprême le Président du Parti et de l'Etat qui charge les Comités
rie Coordination de la Présidence effective du fonctionnement des
organes régionaux et locaux des organisations nationales et de sui-
vre leurs activités pour qu'elles soient au niveau de leur mission

71
conformément à la décision du Congrès de Bizerte. Il est demandé
aux Présidents des Comités de Coordination de commencer par
tenir des réunions de travail périodiques avec les bureaux de ces
organisations nationales séparèment parfois sous votre présidence
personnelle et d'autres fois sous la présidence des frères secrétai-
res généraux pour exposer leurs activités et coordonner dans le
sens de l'orientation générale et dans le sens de l'entraide fruc-
tueuse et engagée avec les organes du Parti.
Je compte sur la confiance placée en vous, sur votre dynamisme,
votre dévouement et votre persévérance dans l'application de
cette décision.

Salutations
Le Directeur du Parti
Mohame Sayeh

Réponse de l'U.G.T.T. au parti socialiste destourien.


Tunis, le 08 Janvier 1965

A Mohamed Sayeh Directeur du Parti Socialiste Destourien

J'ai reçu la lettre N° 17 datée du 06 Janvier 1965 et qui a pour


objet l'application des décisions du congrès de Bizerte pour ce qui
concerne les organisations nationales et l'application des décisions
du bureau politique élargi réuni le 15 Décembre 1964 à Carthage
sous la Présidence du Combattant Suprême le Président Habib
Bourguiba et qui concerne la présidence par les comités de coordi-
nation de la marche et des activités des organes dépendant, des
organisations nationales.
Je me permets de vous préciser que: l'application de ces décisions
d'une façon précipitée entraînera à coup sûr la désintégration de
I'U. G. T. T. organisation qui a été au service du pays depuis sa
création et dont nul n'ignore les nombreux sacrifices consentis
pour la libération de la patrie.
Le prestige dont elle jouit tant à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur
et qui est d'une grande utilité pour le développement politique,
économique et social du pays est aujourd'hui plus grand encore. Je
ne suis pas contre les décisions du parti socialiste destourien mais
pour donner une forme légale, il faudrait surseoir à l'application
de ces décisions et les soumettre au congrès national de
I'U.G.T.T., seul organisme de notre centrale habilité pour pren-
dre une telle décision.

72
Par ces temps, où toutes les forces vives sont engagées à la lutte
contre le sous-développement, il est de plus en plus utile d'encou-
rager encore l'U. G. T. T. qui réalise avec succès des projets écono-
miques et sociaux qui font honneur à l'U.G.T.T. et au pays et qui
ont étonné de grands responsables syndicalistes, hommes politi-
ques et économistes étrangers.

S~lutations
Habib Achour
Secrétaire Général de l'U.G.T.T.

Après le congrès de Bizerte les attaques contre l'U.G.T.T. et


particulièrement contre son secrétaire général quoique atténuées
n'ont pas cessé. Le séminaire des cellules professionnelles exigea
même la suppression du rôle essentiel· à tout syndicat, le rôle
revendicatif bien compris. Quelques jours après, j'étais avisé par
Sayeh que.le Président nous recevait ensemble.
C'était une des journées les plus pénibles de ma vie et j'en ai
vues pourtant. Nous. avons été reçus par le Président vers 10 heu-
res du matin. Il avait devant lui la motion du congrès de Bizerte,
la lettre que m'a envoyé Sayeh pour l'application des décisions du
congrès en ce qui concerne la domestication des organisations
nationales et la lettre réponse que je lui ai envoyée. Tout à coup il
me fixa du regard et me dit : je ne sais pas pourquoi tu ne veux pas
appliquer la résolution du congrès et ajouta : "D'ailleurs tu neper-
dras rien".
Je me suis senti profondément b.lessé dans mon a.mour propre,
dans ma dignité et je lui ai répondu sur un ton très sec :Depuis que
j'ai commencé le travail dans les organisations, au parti, à la
C.G.T. et ensuite à l'U.G.T.T., je n'ai jamais pensé à me servir,
j'ai toujours agi pour l'intérêt général du pays, des travailleurs, du
peuple tout entier, et vous savez bien que je n'ai jamais été profi-
teur et je ne le serai jamais.
-Pourquoi tu t'énerves? me dit-il. Je lui ai répondu :Ce que je
dois direje l'ai écrit à Sayeh et je pense que vous avez fu ma
réponse et je me dois d'ajouter que ce qui vous semble peu de
chose représente pour moi la fin de l'U.G.T.T. et vous savez ce
que représente l'U. G. T. T. pour moi et pour les patriotes dévoués
et sincères.
J'étais ému jusqu'aux larmes de voir, Bourguiba que je mettais
au dessus de tout, pour lequel j'ai mis ma vie en danger plus d'une
fois, vouloir décapiter l'U.G.T.T. Devant mon intransigeance,
Bourguiba me dit :j'ai appris que les élections dans les syndicats

73
sont truquées, tu imposes ceux· que tu préféres et j'ai des plaintes
dans ce sens. C'est alors que je lui répondis : je n'ai~jamais eu à
intervenir dans les élections syndicales et si vous voulez, nous
acceptons la présence au renouvellement des syndicats d'un repré-
sentant du gouvernement ou du parti et Bourguiba a donné à
Sayeh l'ordre de préparer une liste des gens qui pouvaient assister
à toutes les réunions de renouvellement et je suis sorti, malgré
toute la peine que j'ai ressentie durant la réunion, reconforté
d'avoir réussi à démolir l'idée diaboliquf:! du plan de tutelle du
parti sur l'U.G.T.T.
{\près plus de quinze jours, j'ai soumis au directeur du parti un
plan d'assemblées générales de renouvellement depuis la base à
tr~vers toutes les régions de la république et j'ai demandé à Sayeh
de me donner la liste des personnes que le parti veut désigner pour
assistet; au renouvellement. J'ai été très étonné de constater que le
gouverneur de Tunis a été inscrit en tête de liste et chargé de coor-
donner le travail entre tous les éléments du Parti chargés d'assister
aux assemblées générales. La présence d'une personnalité offi-
cielle de cette importance m'a intrigué et m'a rendu méfiant, d'ail-
leurs de nombreux camarades ont voulu s'opposer à cette nomina-
tion. Elle constitue une mesure q'intimidation du fait que le gou-
verneur de la région est en même temps le chef de la police.
Malgré l'opposition de certains camarades à la présence du gou-
verneur dans les réunions, la majorité a décidé de ne pas créer des
incidents dès le début et on décidera après s'ille faut.
Les premières élections se sont passées normalement avec des
résultats que le parti a estimé négatifs pour lui. C'est alors que le
gouverneur m'a demandé s'il y a lieu de faire deux listes.
-Pourquoi? lui dis-je.
-Je ne te cache pas la vérité, me dit-il, que des syndicalistes me
l'ont demandé et ils insistent.
J'ai pris le temps de consulter la C.A. élargie et nous avons pris la
décision de sélectionner les candidats et c'est une belle occasion
pour nous, sachant d'avance que le parti n'aura plus un seul élé-
ment responsable dans les syndicats. Depuis le commencement
avec ce système de liste, les réunions sont vite terminées et c'est la
nôtre qui passe toujours presque à l'unanimité. .
Un jour, alors que j'étais fatigué, il était près de quinze heures,
j'ai reçu un coup de téléphone de l'U.G.T.T. ; .on m'annonce
qu'aux élections de la S.T.E.G. le gouverneur fait voter des per-
sonnes étrangères au syndicat dont des policiers en grand nombre.
Je me suis rendu à la maison de l'U.G.T.T. Les ouvriers criaient

74
contre cette atteinte grave au droit syndical, protestaient contre
les agissements du Gouverneur.
J'ai fait fermer la porte de la maison, j'ai demandé au gouver-
neur de prendre ses hommes et de quitter les lieux tout de suite.
C'est alors qu'il me dit : "Tu me chasses" et je lui répondis :
"Prends le comme tu veux mais sors tout de suite".
- "Donne·:-moi au moins le temps de prendre ma serviette" et
ensuite il est parti avec ses hommes.
Devant la maison sur la place c'était noir de monde, d'ailleurs le
·syndicat lui-même comptait plus de six cents personnes, ils atten-
daient les instructions. Du balcon entouré de quelques membres
de l'exécutif de l'U.G.T.T. et du bureau syndical de la S.T.E.G.
j'ai fait la déclaration suivante :
"Vous savez comment nous avons été amenés à accepter la pré-
sence des membres du parti dans nos réunions évitant ainsi la
tutelle comme il a été décidé au congrès de Bizerte.
Mais cette présence lorsque je l'ai acceptée c'est dans le seul but de
montrer au Président que je ne place pas mes amis à la tête des syn-
dicats comme il me l'a dit, mais à partir du moment où le gouver-
neur qui a été désigné pour veiller à l'application desél~ctions
libres devient lui-même le fossoyeur de ces élections, nous leur
disons que nous n'avons pas besoin de leur présence et à l'avenir
les élections se feront sous la présidence des responsables de
l'U.G.T.T. et d'eux-seuls".
La foule sur la place criait et sautait de joie. Nous avons continué
nous-mêmes les élections dans une atmosphère toute de fraterni-
té, mais quelques jours après j'ai été convoqué par le Président
Bourguiba qui était à Monastir, j'ai trouvé près de lui encore
Sayeh.
Il était très aimable et m'a dit :Ecoute Habib, j'ai appris que tu
as rompu avec la présence du Parti au renouvellement des syndi-
cats, tu es toi-même du parti et j'estime que c'est une giffle que tu
lui as donné, tu as peut-être raison de te fâcher mais tu n'aurais pas
du aller jusqu'à la rupture que tu as déclaré publiquement.
- Je n'aurais pas dû prendre sùr moi la responsabilité d'accepter
même la présence du Parti au renouvellement des syndicats, j'au-
rais dû tenir au moins un conseil national en attendant le congrès
et si j'ai marché c'est dans le but de vous prouver nos bonnes inten-
.tions et voilà que ceux qui sont venus du Parti pour veiller à la léga-
lité faussent eux-mêmes les raisons de leur présence.
Bref, me dit le Président, je voudrais que les élections repren-
nent dans les formes convenues et que tu as arrêtées avec Sayeh.

75
Je ne me suis pas engagé et j'ai demandé à discuter avec!' exécu-
tif de l'U.G.T.T.
Les camarades m'attendaient jusqu'à une heure très tardive de
la nuit. Après une discussion qui n'a pas été très longue nous avons
décidé de répondre au vœu du Président et j'en ai avisé Sayeh la
nuit-même.
Les élections ont repris mais toujours avec un résultat négatif pour
le Parti, ce qui mettait Sayeh hors de lui de voir sa machination
tourner en sa défaveur.
Malgré l'échec des hommes du Parti et de Ben Salah à l'intérieur
de l'U. G. T. T., la propagande du Néo-Destour contre nous ne ces-
sait pas et même s'amplifiait. Sur instruction du Parti nos oppo-
sants ont demandé la réunion du conseil national, c'est un organe
de 1'U. G. T. T. qui a les mêmes attributions qu'un congrès national
et nous ne pouvions pas le refuser car le délai légal pour sa tenue.
est déjà dépassé de quelques mois. Quelques jours avant la réu-
nion du Conseil National, j'ai appris que les éléments du Parti et
les Ben Salhistes voulaient demander mon remplacement par Tlili
auquel je n'ai voulu rien dire malgré nos nombreuses réunions
amicales.
L'ouverture du conseil national a commencé par un incident sur
la désignation à la présidence, mais le vote a coupé court au pre-
mier problème. Après le discours du Président qui a fait appel à
l'union de tous pour surmonter la crise que vit l'U.G.T.T. la liste
des orateurs a été dressée, les uns après les autres ceux qui interve-
naient d'un clan ou de l'autre, étaient violents. Un vieux camarade
prend la parole et fait appel aux sentiments de bon sens qui doivent
nous animer tous pour la survie de la glorieuse U.G.T.T. dont il
évoqua les nombreux morts et notamment le leader Farhat
Hached. Il invita tel et tel autre à aller embrasser le camarade
Achour et d'en finir avec nos différends qui ne servent que nos
adversaires. Tous les membres du Conseil National debout
applaudissent et la plupart des camarades de l'opposition sont
venus me voir les larmes aux yeux. Devant cette scène très tou-
chante le camarade Bouraoui s'est écroulé évanoui. Transporté à
l'hopital il a été sauvé de justesse.
La séance levée, deux extrémistes non contents de cette décision
se rendirent au local du parti non loin de l'U.G.T.T. où,BenSalah
et Sayeh et je ne sais qui encore, attendaient mon limogeage et la
désignation à ma place d'un autre camarade qui devait être Tlili.
Depuis, à l'intérieur de l'U.G.T.T., il n'y a plus eu d'histoires
apparentes mais le Parti poursuivait ses attaques dirigées essen-
tiellement contre moi qui suis membre du bureau politique. Je ne

76
pouvais pas démissionner du Parti parce que les conséquences les
plus graves étaient imprévisibles, mais j'ai décidé de ne plus assis-
ter aux réunions du bureau politique. Les milieux syndicalistes
voulaient répondre aux attaques du Parti, mais la Presse du Parti
ou privée ne voulaient rien écrire même sous la responsabilité de
la personne de qui émane la déclaration ou l'article, mais on
parlait entre nous des abus de pouvoir du gouvernement et du Par-
ti.
Une nuit, je reçus la visite de Tlili, il me dit: je viens maintenant
d'une réunion du Bureau Politique présidée par Bourguiba et
convoquée spécialement par lui pour une affaire dont il est profon-
dément touché lui et sa femme et c'est de toi qu'il s'agit. Il a
déclaré que tu aurais dit à des personnes à Sou.sse des paroles infa-
mantes à son égard, c'est le délégué de Sousse Ben Romdhane qui
lui a rapporté tes déclarations et il va venir à une réunion après-
demain te confronter devant les membres du bureau politique.
Prends tes dispositions et n'en parles pas. Quelques instants après
le départ de Tlili, c'était Chaker Directeur du Parti qui était venu
me mettre au courant en me disant aussi ni vu ni entendu ça me
coâterait très cher.
Le jour de la réunion, avant l'arrivée de Bourguiba tous les
camarades du Bureau Polique avaient très mauvaise mine, ils
croyaient que je ne savais rien de l'affaire, et j'étais le seul à être
normal ; d'ailleurs après des mois d'insultes de la part du Gouver-
nement et du Parti, j'éprouvais même un réel plaisir à les sentir
touchés dans leur amour propre et énervés au moins pour une fcis.
Bourguiba prend sa place d'un air très grave, les traits tirés comme
s'il n'avait pas dormi de la nuit et il commence à parler en disant :
"Nous nous réunissons pour entendre Habib Achour à propos de
la question dont on a parlé à la réunion d'avant hier. Il a touché à
mon honneur, il a parlé à des gens à Sousse en termes dégradants
à mon égard et surtout à l'égard de ma femme. Il s'est mis à racon-
ter beaucoup de choses vraiment sales" et lorsqu'il a fini sa plaidoi-
rie, il m'a fixé d'un regard cruel et il a ajouté que dis-tu ?
-Sur un ton sec je lui répondis: C'est faux tout ce que vous avez
dit.
Il me répondit alors : Celui qui m'a rapporté cette déclaration c'est
quelqu'un pour lequel tu es intervenu auprès de moi au moins trois
fois et ajouta : Ben Romdhane qu'est ce que tu en dis ?
Je lui répondis immédiatement : c'est un brave type. Alors dit
Bourguiba : Veux-tu l'entendre ? et ille fait entrer. Il était der-
rière un rideau dans la salle où nous étions. Le Président lui dit :
Raconte ce que tu as entendu ; et il se met à parler pendant plus

'77
d'une demi-heure et lorsqu'il a fini, Bourguiba me demanda
encore qu'est ce que tu en dis ?
C'est alors que je leur ai dit que Ben Romdhane est venu là où
nous étions à peine six minutes avant la fin du repas et pendant dix
minutes on était cinq personnes à parler et à manger comment
aurais-je pu dire pendant deux ou trois minutes ce que Ben Rom-
dhane a dit pendant plus d'une demi-heure.
Bourguiba répliqua :Pourquoi alors est-il venu me dire çà ? Je lui
répondis :je ne vois qu'une raison il voudrait devenir gouverneur.
Bourguiba ordonna à Ben Romdhane de sortir et d'attendre
dehors et ensuite il me demanda si j'avais quelque chose à dire. Je
me suis mis à raconter mon militantisme au Parti depuis mon jeune
âge et les services que j'ai rendus au parti et au pays et là dessus j'ai
le beau rôle car j'en ai fait autant que les meilleurs dans ce pays et
des choses qui ont marqué l'histoire de notre vaillant peuple tuni-
sien. Pendant que je parlais je sentais dans le silence profond que
j'emportais la partie et lorsque j'ai fini le Président me demanda
d'attendre dehors.
Après près d'une heure, on me fit rentrer à nouveau. Bourguiba
se leva, m'embrassa et me dit : "Compte-tenu de ton passé les
camarades, membres du bureau politique ont décidé de considérer
qu'il n'y a rien et que cette affaire est finie". Il me tint par la main
et en sortant on trouva Ben Romdhane sur le passage, Bourguiba
.lui dit: "Embrasse Habib et l'affaire est finie".
Mais ce m(!.lheureux Ben Romdhane au lieu de s'exécuter et de se
taire me regarda et me dit : "Maintenant que c'est fini dis la véri-
té".
Je l'ai regardé du coin de l'œil avec .beaucoup de mépris et on s'est
quitté.
Dans le vestibule Ladgham premier ministre et Mehiri ministre
de l'intérieur, tous deux vieux militants du Néo-Destour m'ont
dit : Ecoute , Habib ne parle plus à n'importe qui, il y a tellement
de mouchards, si tu as quelque chose sur le cœur viens à nous,
entre vieux frères on se soulage un;bon moment et quand tu vou-
dras, tu sais tu es toujours le bienvenu chez-nous. Je les ai remer-
ciés et je suis parti avec Tlili en voiture, il était très satisfait de la
tournure de cet incident qui l'a beaucoup inquiété.
-Je t'assure Habib je n'ai pas dormi la nuit ; ilfallaitvoirdans quel
état était le Président, d'ailleurs tous les camarades membres du
bureau politique s'attendaient à tout mais pas à ce résultat. Ils sont
très contents. Ils t'ont bien appuyé encouragés par tes arguments
et les éléments de réponse qui étaient bien clairs et nets. Tu as su
te défendre, tu as de la veine et j'en suis très heureux.

78
Je croyais qu'après ce jugement si l'on peut ainsi dire, le parti
allait cesser ses attaques contre l'U.G .T.T. et contre moi surtout,
mais malheureusement ça reprend de plus belle. Nous de notre
côté, on consolide les structures de l'U.G.T.T. et on profite de nos
réunions et meetings pour répondre aux fausses accusations dont
nous sommes l'objet. Certains syndicalistes veulent passer à l'ac-
tion et c'est avec beaucoup d'efforts que nous arrivons à les maîtri-
ser.

79
"L'Affaire du Bateau" et ses suites

Comme chaque année, au mois de Juin à la réunion du Bureau


International du Travail (B.I.T.) une délégation nationale tripar-
tite composée de membres gouvernementaux, patronaux et
ouvriers se rend à Genève où la session dure un mois. Vers lé
milieu du mois, je reçois un télégramme de l'U.G.T.T. qui m'an-
nonce que le Bateau "El Habib" qui appartient à la Société de mise
en valeur des Iles Kerkennah dont je suis le Président Directeur
Général a pris feu entre Sfax et Kerkennah et qu'il y avait de nom-
breuses victimes.
J'ai pris le premier avion pour Tunis et depuis l'aérodrome j'ai
appris que la situation réelle n'était pas aussi dramatique que me
l'a annoncé le télégramme reçu à Genève. J'ai passé la nuit à Tunis
et le matin je me suis rendu auprès du Président Bourguiba pour
le saisir du cas d'un inspecteur de la société de réassurance alle-
mande "La Muenchen" déjà arrêté. Cette société m'a envoyé le
télex suivant que je présentais à Bourguiba en lui disant : l'homme
arrêté est venu nous aider à mettre en marche notre assurance "El
lttihad".
-Copie du télex :
95 Muenchen Télex 620142114114
1422 CTF 140WD S

Assurance corps et R G passagers "El Habib" protestons solen-


nellement contre enquête menée contre notre représentant Mon-
sieur Pierre E Kebayas. Enquête qui est pour nous parfaitement
incompréhensible, sur foi nos dossiers Monsieur El Kateb en sa
qualité de réprésentant de "EIIttihad" nous a demandé pendant
son séjour à Munich en Avril1965 au 22 Avril1966 Réassurance
Corps et RG passagers en vigueur déjà depuis un an. Nous consi-
dérons par conséquent engagés sur ce risque avons pris contact par

80
téléphone avec Ambassades Allemande et Grecque. Vous prions
entreprendre vous-même toutes démarches nécessaires pour obte-
nir libération de Monsieur Kebayas et nous tenir au courant. Vous
prions de charger notre part Maître Bellagha Tunis qui nous a été
recommandé par l'Ambassade Allemande pour défendre Mon-
sieur Kebayas.
Compliments : Munchae.

Après la lecture de ce télex le Président me dit : la justice fera


son travail. C'est alors et avant mon inculpation que j'ai compris
qu'on voulait ma tête.
Je me suis rendu à Sfax où se trouve le siège de la société. Il y avait
le juge d'instruction qui s'y est installé. Le directeur de la société,
les secrétaires ainsi que le capitaine du bateau et les membres de
l'équipage étaient en prison. En rentrant dans le bureau du direc-
teur que le fuge d'instruction occupait, ce dernier me dit : je ne
vous ai pas dit d'entrer.
-Pardon lui dis-je, c'est mon bureau et je ne sais pas en vertu de
quel droit vous vous êtes installés ici. C'est alors qu'il se leva et me
dit :Vous êtes inculpé dès maintenant d'outrage à magistrat dans
l'accomplissement de sa tâche.
J'ai passé la nuit à l'hôtel et je suis reparti à Genève.
Quelques jours avant la fin des travaux du B.I.T. je reçus un
télégramme du Président de l'Assemblée Nationale me deman-
dant d'assister à la réunion plénière pour la levée de l'immunité
parlementaire en vue de comparaître devant la justice. J'ai réuni la
délégation ouvrière pour discuter du développement que va pren-
dre cet accident, on était tous d'accord que le gouvernement va
saisir cette occasion pour me condamner afin de mettre la main sur
l'U.G.T.T. et la domestiquer.
A Tunis les camarades saisis de la réunion de l'Assemblée pour
la levée de l'immunité parlementaire ont voulu arrêter le travail et
se livrer à des manifestations devant la présidence et devant le
parlement; mais comme je savais qu'ils seraient reçus à coups de
fusil et comme il s'agissait de moi-même, j'ai évité d'être le pré-
texte d'une tuerie en leur demandant de nous attendre à la maison
des syndicats.
Au parlement avant l'ouverture de la séance, le Directeur du Parti
me dit : Habib, cette opération est une pure formalité, je crois
qu'il vaudrait mieux l'approuver pour éviter les histoires qui
auraient des répercussions sur le déroulement de l'enquête.
Je lui répondis alors s'il me conseille ou s'il me menace, de toute
façon bonne note est prise, mais je sais ce que j'ai à faire. Il va chu-

81
choter au Président et lui rapporta sûrt~ment ce que je lui ai répon-
du, et aussitôt la séance est ouverte. La seule question à l'ordre du
jour était la levée de l'immunité parlementaire au député Habib
Achour, alors que d'habitude des questions pareilles sont posées
en dehors de l'ordre du jour avant de commencer la réunion.
Comme d'habitude le Président pose la question suivante :Vous
devez comparaître devant le juge et pour être entendu nous
devons lever l'immunité parlementaire. Il ajouta :Avez-vous un
différend entre vous et le pouvoir ? Naturellement ils s'attendaient
comme d'habitude à un non et la question est liquidée, mais je lui
ai répondu : Oui, sur un ton sec et voici les raisons : La prise de
position de la commission administrative de l'U.G.T.T. à l'occa-
sion de la dévaluation du dinar fut combattue par )es autorifésavec
une rare violence, campagne de Presse, de Radio, etc ... Le congrès
du Parti à Bizerte, décida unilatéralement l'absorption de
1'U. G. T. T. C'est pour cela que nous parvint la lettre du Directeur
du Parti ·qui dit en substance : Contrôle des comités de coordina-
tions du Parti sur la direction et l'activité des organes des organisa-
tions nationales. j'ai rappelé notre réponse et ajouté : "le sémi-
naire des cellules professionnelles exigea même la suppression du
rôle essentiel à tout syndicat, le rôle revendicatif bien compris.
Le renouvellement des syndicats.fit ressortir le succès de la cen-
trale par l'élection d'éléments syndicalistes compétents conscients
de leurs droits et de leurs devoirs. Tout ceci ne fut pas pour plaire
et saisissant au voile regrettable accident survenu au bateau "El
Habib", les ennemis de l'U.G.T.T. s'acharnèrent contre moi pour
m'accuser des pires calomnies et me faire déférer devant la com-
mission de la levée de l'immunité parlementaire, prétexte pour
essayer de m'éloigner de mes activités . .Plusieurs camarades sont
encore éloignés ou empêchés de remplir leur devoir syndical. Plus
encore, aujourd'hui, les forces de l'ordre viennent d'investir deux
des plus anciennes coopératives créées au lendemain de l'indépen-
dance à Sfax, à savoir la coopérative de pêche (COSOUP) et la
coopérative de construction mécanique (TACOS). Devant de tels
agissements je ne peux que croire à un complot du pouvoir contre
ma personne qui vise à domestiquer l'U.G.T.T, J'espère Mon-
sieur le Président, messieurs les députés que la question est claire
et que par votre position vous éviterez une déception à la classe
ouvrière tunisienne qui par vote pourra oublier les déceptions de.
ces derniers temps".
Le camarade Tlili était le premier à prendre la parole, il a mis en
garde l'assemblée contre les conséquences que pourrait avoir la
levée de l'immunité parlementaire, il a énoncé en termes clairs les

82
causes réelles qui sont bien politiques.
Les Destouriens se déchaînent pour dénoncer les activités de
l'U.G.T.T. prétendant que Habib Achour dirige un clan politique
en dehors de l'union nationale, que c'est un ennemi du parti et du
peuple et qu'il doit encaisser une bonne leçon une fois pour toute
lui et ses semblables.
J'ai repris la parole cinq ou six fois pour essayer de ramener à la
raison les excités, mais il y a d'autres qui interviennent et leur lan-
gage est plus vulgaire encore. Le camarade Tlili a pris la parole 17
fois et c'était toujours le ton de la sagesse, de la maturité. Il rap-
pelle à la raison et évoque le risque que comporte dans ce cas la
levée de l'immunité parlementaire, mais c'était peine perdue. Le
Parti et le Gouvernement ont depuis la dévaluation tenu réunion
sur réunion et chauffé à blanc les Destouriens qui étaient décidés
à appliquer toute décision si grave soit-elle. Compte-tenu de cet
esprit et afin d'éviter des sacrifices inutiles j'avais toujours
demandé avec insistance aux travailleurs qui voulaient manifester
leur mécontentement de rester calmes acceptant d'être moi-même
la seule victime. Le vote à l'assemblée a été presque unanime pour
la levée de l'immunité parlementaire.
Je rentre avec Tlili à l'U.G.T.T., des camarades très nombreux
étaient là, on les a mis au courant de ce qui est arrivé à l'assemblée.
Naturellement nos déclarations ont été reçues par des cris hostiles
au Parti et à certains hommes du Gouvernement. Je les ai avisés de
mon départ dans deux jours à Sfax pour comparaître devant le
juge d'instruction ; malgré l'heure tardive ils ne voulaient pas par-
tir et ce n'est qu'au moment où j'ai quitté avec Tlili l'U.G.T.T.
qu'ils sont partis.
Nous avons été chercher Kraiem, un ancien syndicaliste, Direc-
teur de Tunis-Air. Tlili furieux a juré de ne plus vivre dans ce pays.
Nous avons décidé de donner à Tlili un billet d'avion dont l'itiné-
raire était le plus large possible. Kraiem s'est chargé de lui envoyer
sans limites de poids ses bagages puisqu'il s'agit d'une absence
d'une durée illimitée. La date du congrès de la C.I.S.L. était très
proche et sachant, compte tenu de l'atmosphère qui régnait, que
j'étais destiné à être emprisonné, j'ai remis à Tlili une procuration
pour le désigner comme représentant de 1'U. G. T. T. à ce congrès.
Nous nous sommes séparés pour nous revoir le lendemain matin
de bonne heure. Kraiem avait déjà expédié les bagages à l'adresse
voulue. Je suis resté avec Tlili à parler des projets d'avenir, mais
Tlili prévoyait un avenir sombre pour le pays, il évoquait les nom-
breux sacrifices que ce pauvre peuple a consenti pour vivre enfin
sous une dictature féroce qui se présente sous forme de paterna-

83
lisme bienveillant. L'heure du départ arrive, nous prenons quel-
ques bagages de Tlili et nous passons chez moi où il avait quelque
chose à prendre et saluer ma femme et l'encourager pour la
période difficile qui l'attendait.
-Dommage, dit-il qu'on soit venu ici, les policiers sont déjà instal-
lés devant la maison, je voulais, dit Tlili tout faire discrètement.
On a repris ma voiture suivie des policiers et alors nous avons
décidé de ramener Tlili chez· lui afin de dérouter les policiers qui
m'ont rejoint après avoir déposé Tlili.
Le jour suivant j'ai assisté à l'enterrement de Taieol\1ehiri
membre du bureau politique très ami de Tlili, connu pour sa fran-
chise et pour un courage exceptionnel qù'il manifestait dans les
discussions dans les circonstances difficiles avec le Président. Tout
au long du cortège funèbre je marchais à côté d'un jeune docteur
"El Aroussi" destourien mais,connu pour son libéralisme et son
indépendance. Il a été ensuite convoqué et on l'a questionné
sur ses relations avec moi. Après l'enterrement je mc suis rendu à
Sfax avec mes avocats Cheffi et Mohamed Bellalouna.
Nous nous sommes rendus à l'heure prévue au cabinet du juge
d'instruction, c'était celui là même que j'ai vu au local de la coopé-
rative ouvrière de pêche, avec lequel j'ai eu un échange de paroles
qu'il a jugé O!Jtrap.cières et qui m'ont valu une inculpation. J'avais
à répondre de plusieurs inculpations dont les principales étaient :
Bateau non assuré, capitaine sans diplôme, chèque sans provi-
sions, outrage à magistrat dans l'accomplissement de sa tâche,
bateau sans papiers réglementaires et marins non embarqués etc ...
Il était déjà minuit, le juge décida d'arrêter l'interrogatoire et
décida en même temps mon emprisonnement malgré l'opposition
de mes avocats. J'arrive en prison affamé et la première des choses
que j'ai demandé au chef, après ma prise en charge, s'il y a encore
une gamelle ? Les policiers étaient encore là, il n'avait pas répon-
du, mais dès qu'ils sont partis il m'a dit :La centrale est fermée, il
n'y a donc rien, je vais vous accompagner dans votre chambre et je
verrai ensuite. C'était la cellule que j'ai occupée à la suite de la
grève générale décrétée par l'U.G.T.T.-le 4 Août 1947.
Le gardien chef de la prison est celui-là même qui était simple
gardien à cette époque, il était aussi secrétaire du syndicat
U.G.T.T. des gardiens de prison. J'ai engagé la discussion avec
lui, iJ. s'est avéré qu'il savait que j'allais venir depuis plus d'une
semaine, il était navré de me voir là après tout ce que j'ai fait pour
le pays. Mais pour me réconforter, je n'en avais nullement besoin,
il me déclara :Vous n'en aurez pas pour longtemps et ajouta :je
vais monter chez moi pour vous apporter quelque chose à manger.

R4
Il revient après plus d'une heure avec dans les mains un grand plat
de viande grillée, de la pomme de terre frite ainsi que des tomates
et des poivrons. Il a attendu que je finisse de manger pour empor-
ter ses plats que j'ai vidés au dernier morceau, c'était délicieux et
depuis longtemps je n'avais pas mangé une si bonne viande
d'agneau.
Le matin de bonne heure un gardien est. venu me réveiller.
C'est, dit-il, pour aller au juge d'instrùction. Je me prépare et
j'avais hâte de partir, ce n'est pas que j'étais content de voir le juge
dans l'intention d'être libéré, mais pour voir les avocats et deman-
der des nouvelles de ma famille qui devait s'inquiéter car cette fois
ni moi, ni ma femme, ni ma mère, ne s'attendaient à l'emprisonne~
ment pendant cette période d'indépendance que nous avons chè-
rement payée.
Le juge était seul, il m'a fait rentrer de suite, il prenait même un air
gentil qui ne lui convenait pas d'ailleurs et dit : On reprend l'inter-
rogatoire. Après la lecture de la première question je lui demande
d'attendre l'arrivée de mes avocats et que je ne pourrai parler
qu'en leur présence. Il ferme alors ses dossiers et me dit : Vous
voulez un café en attendant ?
-Oui, si vous voulez lui dis-je et il engage une discmsion sur ce
regrettable accident, j'étais très étonné sur la différence de son
comportement entre la veille et aujourd'hui, qu'est-il donc arri-
vé ? me disais-je. Le chaouch annonce l'arrivée de mes avocats
qu'il fait rentrer de suite, l'un d'eux me demande tout bas :Tu
sembles fraterniser avec ce vilain type. Il semble revenir à de meil-
leurs sentiments lui dis-je.
L'enquête finie, nous passons à la confrontation, le juge lit la
déclaration du directeur de la Coopérative d'Assurance. Je n'étais
pas d'accord sur certains points de la déclaration et le juge lui relit
ma réponse. Il était tout tremblant et à peine s'il pouvait parler,
mais il répond au juge qu'Habib Achour a raison. Le juge furieux
se leva de sa chaise, se mit àinsulterle directeur de l'Assurance qui
avait une bonne santé et qui est devenu pourtant une véritable
loque en très peu de temps.
Ne pouvant me retenir, j'ai dit tout haut au juge d'instruction :
Mais vous ne voyez pas qu'il est malade et ensuite vous n'avez pas
le droit de l'insulter. Vous avez à faire à une personnalité respecta-
ble et si vous continuez ainsi je ne vous dirai plus un mot.
Le juge arrête les travaux et ordonna mon transfert en prison.
Quelques jours après, je reçus la visite d'un avocat de Sfax mai-
tre Hassid. C'est un israélite que je connais dès mon enfance. Je
l'ai connu compétent et sérieux et je ne l'ai pas rencontré de lon-

. 85 -
gue date et j'étais étonné de le voir. Quel bon vent t'amène ? lui
dis-Je.
Il me répondit: j'hésite à te parler, mais accepte ma mission je te
dis ce qui en est :J'ai été convoqué par le juge d'instruction, il m'a
dit :"Je sais que tu connais Habib Achour, sa femme est malade,
parait-il, je vous demande d'aller le voir de lui dire d'écrire une let-
tre au Président pour demander sa libération et au vue de cette let-
tre je le libère tout de suite".
Maître Hassid lui a répondu : "Tel que je connais Habib il ne le
fera jamais et je suis sûr qu'il se fâchera". C'est alors que le juge a
répondu : "S'il ne veut pas écrire au Président, qu'il demande l'au-
torisation d'aller voir sa femme malade. Je le libère tout de suite et
je le convoquerai cet après-midi".
Nous avons ri de ces pratiques et naturellement ma réponse était :
Pas de lettre au Président et pas de demande d'autorisation de voir
ma feinme malade. Je ne suis pas médecin pour la soigner et tu le
remercieras pour ses sentiments humanitaires à l'égard de ma fem-
me.
L'après-midi, j'ai été convoqué par le juge d'instruction ; il me
fit rentrer dans son bureau et me fait signe de m'asseoir d.ev,ant lui,
mais durant un bon moment, il semblait lire quelque chose de très
intéressant puis leva la tête et me dit : je voudrais vous demander
quélques éclaircissements sur certains points de l'enquête et il se
tait pour un bon moment, puis il repose la même question et
attend, pour renouveler ensuite la même question. Cest alors que
je lui réplique : "Mais dites-moi quelle question pour pouvoir vous
répondre". Alors comme piqué par je ne sais quoi il me dit un peu
énervé : "Mais maître Hassid qui est passé vous voir ce matin ne
vous-a-t-il rien dit ?"
- "Ecoutez monsieur le Juge vous m'avez dit dès ma première
comparution devant -vous de quoi j'étais inculpé et pour ces incul-
pations vous avez jugé nécessaire de me mettre en prison. Ce que
m'a dit maître Hassid n'a rien à voir avec ces inculpations pour les-
quelles je suis prêt à répondre même en l'absence de mes avocats".
Il sonne et ordonna de me ramener en prison.
Ce jour je mé suis mis à penser aux enquêtes menées par les
juges d'instruction lors des nombreuses affaires de l'époque colo-
niale. Jamais les juges français ne sortaient du contenu de leurs
dossiers qu'ils prenaient au sérieux. C'étaient des adversaires
durs, mais qui n'ont jamais essayé de me prendre par les senti-
ments et je pensais en même temps à ma femme qui est à Tunis
avec mes nombreux enfants. Est-elle vraiment malade ?
Le jour se lève et les visites commencent, le chef vient m'an11on-

86
cer que maître Cheffi est venu de Tunis et que ma femme aussi est
là.
-Avec qui vous voulez faire le premier parloir ?
- Si possible avec les deux à la fois.
-Très bien me dit-il, vous me facilitez le travail et le parloir se fait
dans mon bureau et en ma présence.
Je les salue tous les deux et je regarde ma femme avec étonne-
ment.
-Pourquoi me regardes-tu comme ça, me dit-elle. Je lui répondis
alors :"Tu n'as pas été malade?" Non jamais.
Et alors je leur ai raconté l'histoire, qoen a rigolé un bon moment
mais après elle m'a dit : "A ta place j'aurais écris les deux lettres à
la fois et s'adressant à l'avocat elle lui demande son avis. Ce der-
nier n'a pas hésité à lui dire qu'en le faisant j'aurais reconnu ma
culpabilité, alors que les raisons de mon incarcération sont tout·
autres que ces fausses inculpations.
·- ie gouvernement avait niis à la tête de l'U.G.T.T. le gouver-
neur de Tunis qui a tenu un congrès extraordinaire dans un délai
de vingt jours qui en réalité ne sont pas suffisants même pour un
petit syndicat de base. La cause de l'empressement pour la tenue
de ce congrès c'est d'embarrasser la C.I.S.L. qui a pris certaines
mesures efficaces d'action et de protestation contre mon arresta-
tion.
Le Président Bourguiba a présidé lui-même l'ouverture du con-
grès de l'U. G. T. T. Au chef de la prison qui vient chaque matin dis-
cuter avec moi un bon moment j'ai demandé le contenu du dis-
cours du Président, mais il n'a rien voulu dire prétextant qu'il n'a
pas entendu la radio et qu'il n'a pas encore les journaux. Quelques
instants après il revient en criant de loin et tout joyeux : Si Habib
préparez vos bagages, vous sortez.
-Non ce n'est pas vrai, lui dis-je. De la manière d'insisterj'ai fini
par le croire et de plus il a chargé le gardien de préparer mes affai-
res et de les apporter au bureau où il a accompli les formalités
nécessaires en vue de ma libération. En ce moment même le juge
d'instruction téléphona à laprison -et leur dit : "Dites à Habib
qu'une déiégation de la C.I.S.L.l'attend à l'hôtel des oliviers. Un
frère d'un gardien de prison, directeur d'école, était là en visite
familiale, il avait une voiture dans laquelle on a tout chargé et nous
sommes partis à l'hôtel où j'ai rencontré mes amis de la C.I.S.L. au
nombre de cinq personnes. Ils avaient demandé à Bourguiba de
me rendre visite en prison mais sans le dire il a ordonné ma libéra-
tion provisoire. Ils étaient très heureux de me voir en bonne santé
et riaient de ma tête rasée à la tondeuse.

87
J'ai téléphoné à ma femme qui était à Kerkennah, j'avais déjà
appris qu'elle était malade. Quand elle me parlait, elle ne voulait
pas croire que c'était moi car elle avait écouté Bourguiba dire au
congrès de l'U.G.T.T. :"Ce n'est pas deux ou trois ans de prison
qu'il aura Habib Achour, mais la pendaison". Alors, elle étouffa
de chaleur, elle déchira sa robe et se mit à rouler par terre, son
corps était tout couvert de boutons et depuis elle est atteinte d'as-
thme que les médecins n'arrivent pas à guérir malgré tous les soins
dont elle a été entourée.
-
Je suis parti le soir même à Tunis avec les camarades de la
C.I.S.L. qui m'ont parlé du congrès de la C.I.S.L., de l'interven-
tion de Tlili, de leur rencontre avec Bourguiba et du congrès de
l'U.G.T.T. ils étaient inquiets pour l'avenir de l'U.G.T.T. qui
jouissait de l'amitié et de la considération du mouvement syndical
libre pour son organisation et pour ses activités qui débordent le
plan national pour servir et collaborer avec les organisations syndi-
cales africaines et arabes.
Le jour suivant, les camarades dela C.I.S.L. que j'ai accompagnés
à l'aéroport m'ont assuré de leur soutien moral et matériel et
m'ont avisé en même temps qu'ils ont contacté maître Nicolet, un
avocat Suisse de Genève pour assurer ma défense. Je les ai remer-
ciés de leur solidarité fraternelle alors que j'étais tout ému des bon-
'
nes paroles dont j'avais vraiment besoin, compte-tenu de l'ingrati-
tude de certains de mes compatriotes à mon égard surtout des res-
ponsables qui connaissent bien les services rendus par moi-même
et mon organisation au pays en lutte contre le colonialisme et les
efforts soutenus de l'U.G.T.T. pour faire marcher la machine
administrative après l'indépendance, luttant nuit et jour contre les
fonctionnaires français qui voulaient nous mettre en échec et prou-
ver que les Tunisiens sont incapables de se diriger. L'état major de
l'U.G.T.T. dont le secrétaire général était Ben Salah est resté
mobilisé durant une bonne année, et tout le peuple se félicitait de
l'existence de cette organisation qui, par le patriotisme et le
dévouement de ses membres nous" a permis de sortir de la dépen-
dance où nous aurait placé notre incompétence à faire marcher
l'administration du pays et les sociétés privées et nationales d'inté-
rêtpublic.
Toute ma famille était à Kerkennah, je me suis pressé de pren-
dre la route seul pour Sfax afin de rattraper le bateau de 14h30
pour Kerkennah. Sur le bateau il m'a fallu sortir de voiture pour
saluer, embrasser mes compatriotes, hommes, femmes et enfants
très nombreux, ils manifestaient leur joie de diverses façons, les

88
uns, en poussant des cris de joie, les autres étaient émus jusqu'aux
larmes, j'en étais profondément touché.
Arrivé au petit village d'El Abbasia, j'ai trouvé la plupart de ses
habitants, un maXimum de deux cents, chez moi pour exprimer leur
satisfaction de me voir libéré. Ma femme était devenue mécon-
naissable à la suite du choc qu'elle a eu, il m'a fallu la transporter
à Tunis pour la soigner.
Durant mon séjour à Tunis, le secrétaire particulier du Prési-
dent Bourguiba Laouitï. m'a contacté et presque trois fois par
semaine, on veillait ensemble dans un restaurant entre Sidi Bou
Saïd et la Marsa. On se régalait de soles, de crevettes et des meil-
leures boissons. Entre temps la date de l'audience était fixée
Laouiti me dit: "Habib, si tu veux voir le Président, je te deman-
derai une audience". - "Ecoute l'ami, je vais voir le Président
pour lui dire quoi ?"c'est alors qu'il me répond :"Tu fais l'imbéci-
le, tu vas te faire coffrer". Je lui répondis alors: "Tu sais j'aime
goûter à la prison de Bourguiba ; sentir et vivre les injustices de ce
régime que nous avons construit de nos mains".
Nous nous sommes quittés sans promesse de ma part pour la visite
au Président.
Deux jours avant le jugement, nous nous sommes encore ren-
contrés et en rentrant assez tard, Laouiti me dit : "Si tu veux venir
maintenant, on ira chez le Président, c'est la dernière chance, il
partira demain au Kef, et si tu ne viens pas tu sais ce qui t'attend,
directement en prison".
-"Dieu est grand". lui dis-je et je l'ai quitté.
Maître Nicolet étilit venu de Suisse, il est rentré avec moi à Sfax.
L'audience a duré trois heures en présence d'une foule nombreu-
se. J'étais très surpris par le verdict - un acquittement - Maître
Nicolet était lui aussi très satisfait et les acclamations de la foule
montaient en l'air.
Le jour suivant je suis reparti pour Tunis avec mes trois avocats,
ils croyaient qu'il n'y a pas eu d'interventions des autorités supé-
rieures, mais quelques jours après nous apprenons que le juge a
été limogé et que le procureur a fait opposition. L'audience a été
fixée à une date assez éloignée.
Cette fois plus de rencontres nocturnes avec le chef du cabinet
du Président Bourguiba. Maître Nicolet à son départ pour la
Suisse a pris le dossier de l'affaire, il a chargé Georges Levasseur
professeur de droit criminel à la faculté de droit et des sciences
économiques de Paris, directeur adjoint de l'institut de criminolo-
gie, chargé de l'enseignement du droit pénal spécial, ancien ins-
pecteur général de l'Economie Nationale, de faire une étude sur

89
les inculpations : chèque sans provision et bateau non assuré. A
son retour pour assister à l'audience il a rapporté cette étude dont
ci-joint copie et qui a été remise au juge dans son bureau. (voir
Annexes)
Le jour de l'audience, il y avait un public très nombreux. Le Pré-
sident du tribunal en lisant l'inculpation a été pris de malaise ; il
semble qu'il ne voulait pas de cette affaire et qu'il a été contraint
de l'accepter. La séance a été suspendue pendant près d'une heure
pour reprendre ses travaux avec un autre Président qui manifesta
dès le début une arrogance que rien ne justifiait ; l'attitude des
camarades était des plus correctes. D'ailleurs, les seuls inculpés
qui restaient étaient le Directeur de la Coopérative d'Assurance,
le Directeur de la Société intéressée propriétaire du bateau, le
capitaine et moi, Président Directeur Général de la Société de
mise en valeur des Iles Kerkennah. Le Directeur de la Société était
-inculpé, 'et moi aussi d'ailleurs, de faire travailler le bateau sans
papiers réglementaires et d'employer un Capitaine sans diplôme.
Quelques jours avant l'audience, j'avais reçu la visite à mon domi-
cile à Tunis et de nuit, d'un secrétaire de la marine marchande,
monsieur Bel Hadj, qui m'a dit : "Une semaine avant l'incendie
du bateau nous avons reçu la visite de Monsieur Dewell - expert
français à la marine marchande, il nous a demandé le dossier de
votre bateau El Habib, il a pris avec lui toutes les pièces au dossier
-il y en avait 24 et il m'en a donné la liste que j'ai remise en plu-
sieurs exemplaires aux avocats constitués pour moi et mes Cama-
rades dans ce procès. Ceci explique peut-être les raisons pour les-
quelles le juge d'instruction n'a pas autorisé les avocats de l'assu-
rance à visiter le bateau aux fins d'expertises pour évaluer le sinis-
tre, et découvrir ses véritables causes. D'ailleurs, tout le milieu des
marins au port de Sfax parle de sabotage et après ma libération, un
ami Kerkenien Ali Chelly m'a dit qu'une jeune fille est venue le
voir à Tunis accompagnée de sa mère. Elle lui a cité les noms des
saboteurs qui lui auraient été fournis par son patron - haut fonc-
tionnaire aux travaux publics - le ministère duquel dépend la
marine marchande, qui a fait récupérer tous les éléments au dos-
sier du bateau El Habib, une semaine avant l'incident.
A l'audience nos avocats sont demeurés pour prouver l'inexacti-
tude des inculpations en insistant sur l'étude de Maître Levasseur,
sur l'existence de toutes les pièces du bateau en les citant une par
une, en déclarant qu'ils pouvaient fournir les preuves et même des
témoignages d'agents de la marine marchande. Les avocats mon-
traient aussi d'autres pièces dont le télégramme qui nous a été
envoyé par la société de réassurance de Munich et par lequel elle

90
me demandait d'intervenir auprès du Président Bourguiba pour la
libération d'un de ses agents arrêté lui aussi mais qui a été libéré
quelque temps avant le deuxième procès. Le télégramme précisait
que le bateau était bien réassuré par la Muenchen.
A tous ces arguments, le Président du tribunal n'accordait pas la
moindre importance ; ce qui provoquait l'indignation du public.
L'après-midi le verdict était rendu : le capitaine du bateau 1 an de
prison - Le Directeur de la Coopérative 3 mois - le Directeur de
l'Assurance 2 mois et moi 4 mois de prison.
Nous avons passé la nuit à Sfax pour laisser à Maître Nicolet le
temps de se reposer, il était malade et n'a même pas assisté à l'au-
dience, lui qui connaît le dossier a été très peiné par le verdict.
En cours de route pour Tunis, tous les avocats se sont mis d'ac-
cord pour faire opposition au jugement. Au moment de remplir
ces formalités, nous avons été surpris que le procureur lui aussi a
fait opposition, et à mon avocat de me dire :Le prochain jugement
sera encore plus sévère, je ne sais pas pourquoi cet entêtement, ce
qui les intéresse pourtant c'est l'U. G. T. T., ils l'ont prise, et il ajou-
ta : ils veulent te démoraliser pour te punir des appels qu'ils t'ont
lancés par le secrétaire particulier du Président et que tu as refu-
sés.
Et bien mon cher Maître lui dis-je, on retourne aux souffrances
que j'ai supportées durant 16 ans, et dirfl que je croyais fermement
que les injustices de ce genre ont disparu avec l'ère coloniale à
laquelle j'ai porté moi-même et mon organisation les coups les
plus terribles qui ont tracé la voie de la libération nationale. Cela
me fait de la peine de voir que ceux qui ont combattu ces méthodes
colonialistes veulent les instaurer pour museler et brimer le peuple
afin d'en faire des loques et non des hommes libres, francs et cou-
rageux.
Cette fois aussi la date de l'audience n'a pas tardé avec la dési-
gnation d'un Président que ses confrères appellaient "le dur". Mes
avocats de Tunis m'ont recommandé de recourir aux services de
l'un de leurs vieux collègues Maître - Lakhdhar - le mieux coté du
barreau de TJ.mis. Il a accepté de bon cœur et s'est mis à éplucher
le dossier. En accord avec son collègue Maître Cheffi, ils se sont
rendus à la Banque du Peuple dont j'étais le Président ; ils ont
voulu voir le Directeur pour lui demander de leur montrer le
compte de la "Soèiété de mise en valeur des Iles Kerkennah" pro-
priétaire du bateau et dont je suis aussi le Président Directeur
Général. Malgré la présentation du document prouvant qu'ils sont
constitués par moi pour ma défense et malgré une demande écrite
de ma part demandant au Directeur de la banque de remettre aux

91
Maîtres Lakhdhar et Cheffi les documents et les renseignements
qu'ils jugent utiles au bon déroulement du procès et à l'éclatement
de la vérité parce que je savais, en ma qualité de Président de la
Banque, qui me permet de donner des crédits à qui je veux et j'en
ai donné plus d'une fois, que le compte de la SOMVIK était ali-
menté, ils essuyèrent un refus.
Le Directeur s'est absenté un bon moment pour revenir déclarer
aux avocats : je n'ai pas le droit de vous donner ces renseigne-
ments. Maître Lakhdhar - lui dit alors : "Si vous Directeur qui
détenez ces pièces vous ne pouvez pas nous les remettre, qui donc
pourra le faire, elles sont utiles sinon indispensables pour éclairer
la justice et faire éclater la vérité". C'est alors que le Directeur
répondit timidement : "Je rn' excuse, j'ai des instructions du minis-
tère"- Quel ministère? lui répond un des avocats pensant pouvoir
intervenir en haut lieu mais le Directeur de la banque ne répond
pas.
Maître Nicolet arrive 2 jours avant le procès. Avec tous les avo-
cats de Tunis, nous avons tenu une réunion de plusieurs heures à
la suite de laquelle ils se sont partagés le travail - Maître Nicol et a
donné son avis à ses collègues car il a tout juste le droit d'assister
mais sans plaider.
A la salle d'audience, qui est bien plus grande que celle où ont eu
les autres jugements, la foule était aussi, bien plus nombreuse et
plus 'excitée. Dès l'ouverture, s'adressant à moi, le Président, vou-
lant m'intimider, me parlait sur un ton ironique et employait un
langage des plus vulgaires. Et, comme cette façon de parler de la
part d'un juge, m'étonne, j'ai gardé le silence pendant un instant.
Il crie alors encore plus et me dit : Réponds, qu'est ce que tu
attends?
-Je le fixe avec beaucoup de mépris et lui dis : D'abord, si vous
continuez à me parler sur ce ton, je ne parlerai pas et faites ce que
vous voulez. Sommes-nous d'accord ? Dans la salle on rit et on
applaudit.
Tout rouge, le Juge me dit :Mais qu'est ce que je vous ai fait ?
A ce moment j'ai commencé à répondre des inculpations dont je
suis l'objet. Tous les camarades sont passés les uns après les autres
et à tous ils posaient en fin d'interrogatoire la question suivante : Si
Habib Achour te dît de te jeter à la mer, est-ce que tu le fais ?"
Naturellement le président en voulait le plus à moi, il voulait avoir
le maximum de témoignages accablants et montrer aux camarades
qu'ils ont commis de grands crimes et que c'est Habib Achour qui,
en leur confiant des travaux non conformes avec la loi tel bateau
sans papiers et non assuré, chèques sans provisions, en est respon-

92
sable, et qu'ils auraient dû refuser le travail dans une telle situa-
tion. Malheureusement pour lui, le capitaine dit :"J'ai mon diplo-
me, il est à la marine marchande" et ajouta : c'est le capitaine du
port Monsieur Milad qui m'a fait passer l'examen avec beaucoup
d'autres qu'il nomme, et je dois vous dire monsieur le Président
que j'étais admis le premier.
Le Directeur de l'Assurance déclara :j'ai assuré le bateau à la
Coopérative d'Assurance "El Ittihad" et réassuré à Muenchen
pour 60.000,000 D. et j'ai fourni ces éléments à mon avocat.
Le Directeur de la Société de mise en valeur des Iles Kerkennah en
réponse à la même question lui dit : "Habib Achour ne me
demande jamais de me jeter à la mer. Je fais mon travail conscien-
cieusement et dans la régularité et ce n'est pas le secrétaire général
de l'Organisation Syndicale qui va me demander de ne pas être
juste. J'affirme que je suis en règle avec ma société, avec le person-
nel et avec l'Etat".
Le Procureur a pris ensuite la parole et en termes très savants et
philosophiques a montré et regretté que la mer bleue entre Sfax et
Kerkennah a été troublée par notre faute. Il y a eu la mort de plu-
sieurs victimes innocentes par notre faute aussi et il termine en
demandant des sanctions très sévères à notre encontre. Les avo-
cats ont pris la parole développant les circonstances de l'incident
évoquant deux accidents de la mer survenus tout récemment, l'un
en Turquie et l'autre en Grèce où il y a eu des centaines de morts
et des centaines de naufragés qui ont été repêchés et dont, ni le
capitaine, ni l'armateur n'ont été ni poursuivis, ni inquiétés ; au
contraire, selon les traditions des gens de la mer, ils ont reçu des
télégrammes d'appui et de solidarité des mouvements maritimes à
travers le monde. D'ailleurs moi-même, au moment où le gouver-
nement de mon pays a sauté sur l'occasion pour me rendre respon-
sable et m'emprisonner, j'ai reçu de nombreux télégrammes de
solidarité de plusieurs pays européens.
Maître Lakhdhar a insisté sur l'existence de tous les éléments
nécessaires dont la cour est en possession et qui prouvent d'une
façon éclatante que le bateau est assuré et que le compte de la
Société de mise en valeur des Iles Kerkennah SOMVIK, est ali-
menté et que même si le compte est à découvert le chèque signé
par le Président de la banque doit être valable car c'est lui qui auto-
rise le crédit aux particuliers et il a fait allusion à l'étude de Maître
Levasseur qu'il ne cesse de traduire et en particulier ses conclu-
sions.
Vraiment les avocats ont fait preuve de grande qualité de per·
suasion et de conviction et naturellement c'est l'acquittement pom

93.
tous qu'ils ont demandé et c'était l'avis de tous les assistants.
La cour se retire pour revenir après moins d'une demi-heure.
Le verdict: Habib Achour 6 mois de prison.
-Le Capitaine 18mois de prison.
-Le Directeur de l'Assurance 3 mois.
-Le Directeur de la "SOMVIK" 4 mois.
A l'annonce de ce verdict les visages des gens ont ~hangé ils
étaient prêts à tout, si je ne leur ai pas demandé de rester tranquil-
les. Les avocats étaient consternés surtout Maître Lakhdhar qui
était un des fondateurs du Parti. Jamais dit-il dans ma vie d'avocat,
je n'ai vu de jugement aussi scandaleux. Issu d'une famille bour-
geoise qui a beaucoup de respect pour la femme, il est rentré dans
une telle colère, m'a confié un de ses amis, qu'il s'est adressé à sa
femme -et c'est la première fois que ça lui arrivait sur un ton qui
dénotait un degré d'énervement très poussé. Il est resté aussi pen-
dant plus de quarante huit heures au lit.
Quelques jours après, j'étais arrêté par la police et conduit en
prison, mais cette fois à Tunis. Je suis passé comme tous les prison-
niers à la fouille puis aux douches pour me couper les cheveux à la
tondeuse. Ce qui ne m'est jamais arrivé pendant les nombreuses
arrestations durant la colonisation. Il y avait à cette époque un peu
d'égards par rapport aux prisonniers de droit commun. Mais le
comble fut atteint lorsque je me suis vu conduire à la petite "Kar-
raka" dont la traduction est le "Four" et qui était réservée aux
condamnés les plus sévèrement condamnés.
Quand le gardien a ouvert la porte, j'ai constaté que des gens
étaient couchés l'un à côté de l'autre comme des sardines. Je me
suis immobilisé un instant. J'avais dans mon esprit Bourguiba. Je
pensais à ce que j'ai fait pour lui et à ce qu'il venait de me faire.
Craignant d'être démoralisé, je me suis secoué la tête, je me suis
insulté pour ma faiblesse et j'ai repris conscience. Le gardien a
refermé la porte, le chef de la chambre m'a installé près de lui et
c'était les salutations d'usage en prison. Ils me parlaient en termes
très polis et avec une profonde considération.
J'entendais même des expressions qui me faisaient plaisir
comme par exemple : "Celui qui se dévoue à la cause des pauvres
n'est pas aimé par le pouvoir". D'autres m'ontdit que le matin le
chef de la prison est pass.é et il a demandé s'il y a des sfaxiens ou des
Kerkeniens. Il y en avait deux, il les a fait sortir.
La forte émotion que j'ai eu à l'entrée de la chambre n'a pas duré
longtemps et j'ai fini par comprendre que la plupart de ces pauvres
gens ne sont pas tellement mauvais. Poussés par leur milieu fami-
lial catastrophique, depuis leur jeune âge, la misère profonde où

94
ils sont plongés, le peu d'attention et même le mépris que les gens
aisés témoignent à leur égard, le désir de sortir de cette situation
par des moyens raisonnables ont presque toujours échoués et alors
ils virent vers le mauvais chemin. Pour ceux de mon âge, je suis
l'oncle Habib, pour les plus jeunes je suis le père Habib. Parmi eux
il se trouve des génies, l'un d'eux lit un roman en français pendant
le jour, et la nuit il raconte toute l'histoire en arabe, il retient
même les noms des personnes citées dans le roman et ensuite c'est
l'orchestre. D'une boite vide, on fait un tambour, les chal)teurs et
les danseurs ne manquent pas. Des fois la nuit se termine par un
match de boxe provoqué la plupart du temps par des vieilles rancu-
nes nées d'un mauvais partage des butins volés ou d'un incident
bizarre : Un détenu a reproché à son compagnon de ne pas l'avoir
laissé violer la maîtresse de maison lors d'un vol.
Ainsi passait le temps dans cette chambre, côtoyant des gens
parmi lesquels il y en a qui ont tué leur père, et d'autres les plus
nombreux leur femme. Les premiers regrettent leur crime et les
second sont satisfaits d'eu:v-mêmes, ils considèrent qu'ils ont sauvé
leu,r honneur et qu'ils ne devraient même pas être condamnés.
Après près de 3 mois d'emprisonnement, c'était le 1er Mai. Le
parti voulait donner à ce jour un aspect particulier ; il a organisé en
accord avec le syndicat fantoche, un meeting présidé par Bour-
guiba lui-même à la place de la Kasbah où à l'époque de la coloni-
sation I'U.G.T.T. tenait sous la présidence de Farhat, les grands
rassemblements de la fête du travail.
Bien avant le 1er Mai la presse du Parti et la radio n'ont cessé de
lancer appel sur appel pour la participation en masse à cette fête du
travail patronnée par le Président de la République. Dans notre
chambre il y avait une radio qu'on a l'habitude de mettre en mar-
che pour nous permettre d'entendre l'orientation du Parti. Ce jour
de 1er Mai la radio a été branchée et j'ai demandé au chef de cham-
bre d'exiger du silence pour me permettre d'entendre le discours
du Président. Le réunion a été ouverte par le secrétaire général de
l'U.G.T.T. qui n'a fait d'ailleurs que se féliciter de voir le Prési-
dent honorer de sa présence, cette fête du travail - et c'est la
preuve dit-il que le Président accorde bf'nucoup d'intérêt aux tra-
vailleurs et il lui passe la parole.
Naturellement comme toujours le président est accueilli par des
applaudissements et l'hymne révolutionnaire. A peine a-t-il dit
quelques phrases que nous entendions un bruit qu'on n'arrive pas
à distinguer; mais ça avait tout l'air d'un bruit de manifestation.
Le Président cessait de parler et j'entendais le Secrétaire du
Comité de Coordinàtion faire appel au calme et quelques instants

95
après le Président reprend la parole ; mais il était très bref à tel
point qu'au moment où il allait cesser de parler, je croyais que
c'était le moment où il allait rentrer dans le vif du sujet (la Fête du
travail).
Je me suis dit : Rien à faire, ce discours n'est pas de ceux que
Bourguiba avait 1'habitude de faire- il y a sûrement quelque chose.
Deux jours après c'était le parloir que nous faisons à travers les
grilles. J'avais reçu la visite de ma femme et de ma fille âgée de 11
ans. Ma première question était :j'ai entendu le discours de Bour-
guiba à l'occasion de la fête du 1er Mai. J'ai l'impression qu'il y a
eu quelque chose d'anormal.
Ma fille me dit : il n'a pas.terminé son discours, il y a eu une
manifestation, les gens lui criaient Habib Achour pendant un bon
moment, il s'en est suivi des bagarres - et parmi ceux que tu
connais et qui viennent souvent chez nous- il y a au moins une cin-
quantaine d'arrestations dont quelques uns sont encore en perma-
nence.
Quelques jours après j'ai été reçu par le Directeur de la Prison
qui me dit :-Vous avez entendu le discours du Président ?
-Oui lui dis-je.
-Qu'en dites-vous me dit le Directeur ?
-Avec la plus grande naïveté je lui réponds : il y a longtemps que
le Président n'a pas fait un si beau discours.
-"Bon ça va" dit-il et il ordonna au gardien de me ramener à ma
chambre.
Je me disais en moi-même : Quel était le but de son interroga-
toire ? et enfin de compte j'ai supposé qu'il voulait savoir si je suis
au courant des incidents intervenus durant le meeting. A l'enquê-
te, les camarades arrêtés ont convenu de dire que notre seul but à
cette manifestation est d'attirer l'attention du Président sur son
compagnon emprisonné le camarade Habib Achour. Le Prési-
dent Bourguiba avisé de leur déclaration les a tous fait libérer.
Dans la chambre la vie continue avec le même scénario, mais sur
la demande d'un ancien militaire condamné pour crime involon-
taire j'ai accepté de faire _l'historique du 1er Mai à condition de
soumettre la question au vote. Elle a reçu l'unanimité et comme
c'est la question que tout responsable syndical à l'U.G.T.T.
connaît le mieux, je leur en ai parlé durant deux heures environ.
Les compagnons suivaient avec beaucoup d'attention.
De nombreuses questions pertinentes ont été posées auxquelles je
répondais comme si j'étais à la réunion des cadres syndicaux.
Depuis cette conférence, j'ai eu plusieurs propositions pour traiter
des sujets divers mais toujours dans mon domaine, comme par

9(i
exemple :L'histoire du mouvement national tunisien, l'histoire de
l'U.G .T.T., la vie de M'hamed Ali et de Farhat Hached etc ... Le
chef de la prison, avisé sûrement par le chef de chambre ou quel-
ques mouchards, m'a demandé dans son bureau et m'a parlé de ces
causeries faisant semblant de voir si c'est vrai.
-"Oui, il est exact que j'ai parlé de certains sujets dont vous n'avez
rien à craindre, c'est de l'histoire". C'est alors qu'il dit "que les
autres chambres l'ont appris et les détenus voudraient que tu fas-
ses de même pour eux" et il ajouta : Malheureusement, c'est
impossible et aussi : J'ai reçu des instructions pour vous dire de
cesser de faire des causeries.
-Bien chef ! lui dis-je.
De retour dans la chambre j'ai avisé les compagnons dont la
riposte fut spontanée : la même insulte grossière qui sort de toutes
les bouches.
La veille du 1er Juin, fête nationale, le chef de la prison lui-
même est venu m'appeler. Dans son bureau il y avait deux person-
nes que je ne connais pas mais qui me tendent la main et se présen-
tent tous deux comme étant des juges. Ils commencent par me dire
qu'ils sont chargés par leur ministre de passer me voir et de me dire
que le Président m'a grâcié et ils ajoutent en me montrant une lon-
gue liste où mon nom est ajouté à la main : C'est le Président qui
a ajouté ton nom et c'est son écriture. Le ministre nous a dit de
vous dire que le Président vous estime, qu'il n'oublie pas ce vous
avez fait avec lui et qu'il a confiance en vous. J'entends, je regarde
étonné et devant mon silence un des juges me dit : "Que dites-
vous au Président ?"
-"Je suis toujours moi-même et je pense qu'il n'aura pas à regret-
ter son geste".
Les juges partent et je reste seul avec le chef qui me dit : "je
pense que vous n'aurez pas à vous plaindre de moi". C'est alors
que je lui répondis : "Vous m'avez toujours considéré un prison-
nier comme tous les autres, mais un prisonnier qui ne fait pas d'his-
toires".
Le chef appelle un gardien et un convoyeur et les charge d'aller
chercher mes bagages. Je lui dis alors de me permettre d'aller
saluer mes compagnons, mais il a refusé sous prétexte que nous
perdions beaucoup de temps. J'ai demandé à téléphoner chez moi
pour leur annoncer ma libération et demander de venir me cher-
cher. Les membres de la famille présents à la maison sont venus
dans la voiture. Je les attendais devant la prison, ma femme pleu-
rait et les enfants, les jeunes me sautaient au cou.
J'ai pris le volant de la voiture et au lieu de prendre la route exté-

97
rieure qui est la plus directe pour aller chez moi, j'ai tenq à passer
par Bab Souika et l'avenue Bourguiba. J'étais très heureux de me
sentir libre. J'étais remarqué aux arrêts par quelques camarades
qui tournaient la tête vers moi ; les uns me saluaient de la main
d'autres s'approchaient et criaient : "Quand es-tu sorti ?"
Ma libération a été annoncée par radio et depuis mon arrivée
chez-moi, il m'a fallu rester près du téléphone. be toute part on
m'appelle pour s'assurer si je suis bien chez-moi. Durant plusieurs
jours la maison fait le plein de visiteurs plusieurs fois par jour, c'est
que fétais le seul emprisonné alors que les vraies causes sont les
mêmes. L'U.G.T.T. se renforce et se veut libre dans son action,
indépendante du Parti et du Gouvernement comme nous l'avons
indiqué plus haut.
Quelques jours après ma libération, Mohamed Kraïem qui m'a
remplacé à la tête de l'Union Régionale de Sfax, après les événe-
ments du 5 Août, et qui était à la tête de l'U.G.T.T. après la mort
de Farhat puis Secrétaire adjoint de l'U.T.T., organisation née de
la scission, et qui occupait alors le poste de P.D.G. de Tunis air, est
venu me dire : Ben Salah avec q_ui j_'ai eu bien de différends et
auquel je reproche d'avoir monté ,ses amis syndicalistes pàur se
désolidariser de la position prise à la C.A. à propos de la dévalua-
tion, voulait organiser si possible un dîner d'explication et comme
c'était le Ramadan à la rupture du Jeûne. Quant à l'endroit, il pro-
posa chez Kraïem ou chez Ahmed Noureddine Ministre des Tra-
vaux Publics. J'étais très étonné et après avoir pesé le pour et le
contre, j'ai dit à Kraïem : "Oui et où vous voudrez. Après tout je
n'ai rien à me reprocher et j'ai beaucoup à dire à Ben Salah".
Quelques jours après Kraïem vient me dire : "Ce soir chez
Ahmed Noureddine". C'est un homme que je connais bien. Il est
très honnête, très sérieux et j'ai pour lui beaucoup de considéra-
tion.
Durant le dîner on s'est mis à parler de politique et de syndica-
lisme, des procès et de prison et Ahmed Noureddine de me dire :
"Ça ne doit pas être mauvais, je ne t'ai jamais vu en si bonne san-
té".
Je lui répondis alors que pour moi, j'estime que la prison ne peut-
être supportée que par le moral, si l'individu est emprisonné pour
son idéal de paix, de liberté, pour ses opinions, pour la défense des
travailleurs, à ce moment on accepte les pires situations qui ne
peuvent en aucune façon altérer le moral. Les tortures physiques
sont passagères et provoquent le mépris à l'égard de celui ou de
ceux qui les pratiquent, et la personne torturée devient à partir
d'une certaine limite insensible aux brutalités. Je regarde Ben

,98
Salah et avec le sourire je lui dis : "il est bon pour toi Ahmed de
passer un stage là-bas ; ça te donnera une idée d'un autre monde
et ça complétera ta formation". C'est à son tour de me regarder
et de dire à haute voix : "On n'est jamais sûr de ce qui peut arri-
ver ! Qui te dit que je ne passerai pas". Et effectivement il y est
passé par la grande porte, il s'est sûrement rappelé en cellule de
notre soirée et de ses déclarations. De toute façon on a longue-
ment parlé de ses responsabilités dans la domestication de
l'U.G.T.T. et il affirmait qu'il n'était pour rien dans cette affaire.
Je n'ai pas voulu polémiquer toute la nuit et on s'est quittés en
ayant renoué des relations, coupées depuis longtemps.
Quelques jours après, je suis rentré à la maison paternelle à
Kerkennah. C'est là que j'ai pu apprécié la bonté, la sincérité et
l'amitié de tous les gens de mes Iles. Ils étaient heureux de me
revoir en bonne santé parmi eux. Ils ne s'imaginaient pas que je
sortirai vivant de prison. Que de promenades en mer j'ai faites. A
combien de parties de pêches fructueuses j'ai assitées et que de
poissons des meilleures espèces nous avons mangés. Ajouté à
cette belle vie l'abondance, cette année, des fruits réputés déli-
cieux des îles Kerkennah.
C'était l'année où j'ai gouté le mieux à la douceur de la vie. Aux
îles Kerkennah, j'étais envié par les nombreux camarades qui
viennent du continent me rendre visite croyant me trouver mal-
heureux et déprimé par l'emprisonnement et mon expulsion arbi-
traire de l'U .G.T.T. On discutait de la situation de notre organisa-
tion qui s'est vidée par le comportement de ceux que le gouverne-
ment a imposé à sa direction autant que par l'éloignement de ses
véritables élus.
Un jour, Kraïem de passage à Kerkennah, m'a dit que Laouiti
Secrétaire particulier du Président a vu Ahmed Fenniche, il lui a dit
que le Président demande souvent de mes nouvelles et qu'il vou-
drait me voir. Un autre jour c'était fin juillet, je reçois un coup de
téléphone de Tunis. C'était Kraïem. Il me dit que je suis convoqué
par le premier Ministre Ladgham, qui me reçoit le 2 Août au
matin.
Je me disais qu'y a-t-il donc? Qu'est ce qu'ils me veulent ces
gens du Parti et du Gouvernement ? Ils ont excité la haine dans
mon cœur qui était si pur où il n'y avait de place ni pour la jalousie
ni pour la rancune.
Le 2 Août au matin je me suis rendu au bureau du Premier
Ministre Ladgham comme convenu, il m'a reçu en bon camarade
r<~r on se connait depuis bien longtemps. Immédiatement il rentre
dans le vif du sujet et me dit: "Ecoute Habib, le Président m'a

99
téléphoné pour me dire de t'inviter à assister le 3 Août à la récep-
tion de son anniversaire à la municipalité de Monastir et le 4 Août
il te reçoit au Palais de Skanès".
J'ai regardé Ladgham et j'ai ri de ces bonnes avances. Je lui dis :
"Je regrette de vous dire que ce que vous me demandez est impos-
sible compte tenu de ce que le Président m'a fait subir comme pires
injustices suivies de tortures physiques et morales".
Il a été confondu en excuses pour le tort qu'on m'a fait et il termina
en me disant : "Bourguiba, c'est notre aîné et tu connais son tem-
pérament, il est excusable". Devant mon refus catégorique, il
insistait toujours en me suppliant d'accepter. Il semblait si mal-
heureux de mon refus. Je lui ai dit alors :"Si j'y vais c'est pour toi
seulement, nous avoJ.Is été toujours de bons amis". Ça lui a fait
énormément plaisir. Il prit immédiatement le téléphone pour
demander Bourguiba. Il lui dit,: "Monsieur le Président, Habib
est venu ; il vous aime toujours, et il viendra demain comme
convenu". Quand il a raccroché le téléphone je lui ai dit : "si El
Bahi où as-tu su ou senti que j'aime Bourguiba dans notre discus-
sion". Il me répondit alors : "C'est une façon de parler Habib, ça
lui fait plaisir", et on s'est quitté.
Arrivé chez-moi, j'ai réfléchi. Tel que je connais le Président, il
serait capable de me dire si je le vois demain en public : "Eh bien,
tu es venu !"
Alors de deux choses l'une, ou je lui réponds de la même façon qu'il
m'a parlé et je serais peut-être abattu ; ou bien je me tais et je
serais torturé toute ma vie pour ma faiblesse voire ma lâcheté et
j'ai téléphoné le 3 Août au matin au chef du cabinet du Président
pour lui dire que je suis malade et que je ne peux pas venir
aujourd'hui. Il me répondit : "le Président m'en a parlé, je le lui
dirai et tu viendras quand tu seras guéri".
Le jour suivant je lui téléphone pour lui dire que ma santé va
mieux et que je peux me déplacer à Monastir. Le rendez-vous était
fixé pour l'après-demain à 10 heures. A l'heure précise j'étais au
Palais de "Skanès" ; j'étais rapidement introduit auprès du Prési-
dent. Il m'a rencontré à la porte faisant semblant d'être ému,
m'embrassant et me serrant d'un grand amour paternel, il prend sa
place et me dit aussitôt : "comme ça tu fais Habib, tu m'as provo-
qué beaucoup de soucis".
Je m'incline en arrière, je fais sortir ma poitrine bien forte et je dis
au Président : "Regardez Dieu merci je me porte très bien et je ne
manque de rien.
Le Président me coupa la parole et me dit : " Ecoute Habib, j'ai
appris que la C.I.S.L. a cessé de t'envoyer ta mensualité, alors je

100
vais donner des instructions pour qu'on te paye 360 Dinars par
mois. J'ai appris que tu ne rembourses pas la banque pour le crédit
de ta maison ; je sais aussi que tu aimes la pêche, l'Office recevra
bientôt des chalutiers de l'Allemagne de l'Est. Je t'en donnerai un
et tu trouveras de quoi t'occuper en attendant".
Je l'ai remercié et je lui ai dit :"Quand j'en aurai besoin, je vous
en parlerai". Le Président a appelé alors son Chef de Cabinet, ill' a
mis au courant de notre discussion et je suis parti de nouveau pour
Kerkennah.
De temps en temps je vois Kraïem, il me dit toujours que toutes
les fois qu'il rencontre le Chef de Cabinet du Président, il lui
demande de mes nouvelles, il me demande de te contacter dès que
tu rentres à Tunis. Les vacances d'été terminées, je suis rentré
avec la famille à Tunis pour préparer les enfants à la rentrée scolai-
re. J'ai avisé Laouiti de mon arrivée à Tunis. On s'est fixé un ren-
dez-vous dans son bureau à la Kasbah. On a parlé longuement de
vacances et surtout de politique. Il m'a dit que le Président lui
demande souvent de mes nouvelles, qu'il insiste pour qu'il me
règle de la façon dont nous nous sommes entendus. De toute façon
ajouta-t-il, on arrangera ça chez toi et tu nous prépareras alors une
bonne soupe kerkenienne et beaucoup de poissons pour demain à
midi. D'accord lui dis-je.
Je suis parti à la recherche dans les marchés du poisson convena-
ble ; malheureusement, il n'y en avait pas ; j'étais obligé de télé-
phoner à Sfax pour avoir du poisson frais et de qualité pour la mati-
née du jour suivant.
A l'heure précise du rendez-vous, le Chef de Cabinet du Président
était là. On s'est mis aussitôt à table à manger du début à la fin du
repas, du poisson préparé de diverses façons. Ensuite on s'est ins-
tallé au salon pour prendre le thé. C'est alors que Laouiti ouvre sa
· serviette, en tire plusieurs carnets de chèques et me dit :
-"Comme convenu avec le Président, je vais te payer les mensua-
lités à raison de 360 Dinars par mois, depuis que la C.I.S.L. a cessé
de te payer et un autre chèque pour payer la banque des retards
impayés et qui montent à près de 3.000 Dinars".
-Je lui répondis alors avec le plus grand sérieux : "Tu remercieras
le Président de ma part et tu lui diras : j'ai été condamné pour
délits et crimes, je peux être taxé de bandit, de hors de la loi et je
n'aurai pas à me plaindre puisque la justice en a décidé ainsi ; mais
malgré cela je n'accepte pas un sou gagné sans sueur".
Laouiti a jeté ce qu'il avait en main, m'a fixé d'un air blessé et me
dit : "J'entends par là que tu refuses l'offre du Président ; tu sais,
il se fachera de ton attitude".

101
-Eh bien mon cher ami lui dis-je. C'est bien ça et s'il se fâche parce
que je n'accepte pas l'argent que je n'ai pas gagné c'est son affaire.
Et le brave Laouiti de ramasser tout ce qu'il avait sur la table
comme papiers, le fourre dans sa serviette et sort en toute vitesse
sans dire même au revoir.
Depuis, je n'ai pas cessé de penser et de dire :Comment va être
la réaction du Président, de toute façon mon attitude he constitue
en aucun cas un délit qui peut être l'objet d'une poursuite judiciai-
re, mais je savais que nombreux sont ceux, parmi les membres du
bureau politique ou du gouvernement, qui ont bénéficié d'une
bonne somme d'argent de la même manière. Ils n'ont jamais refu-
sé, loin de là, ils l'ont accepté avec une grande satisfaction. Pour
ma part, j'estime avoir pris la position qu'il faut pour la défense de
mon amour propre, de ma dignité, et je me sens tout heureux
d'avoir obéi à ma conscience ainsi qu'à la logique syndicale.
Plusieurs mois après et quelques jours avant l'Aïd el Kébir, je
reçois un coup de téléphone du Président Bourguiba lui-même, il
me dit : "Ecoute Habib, à l'occasion de l'Aïd je vais réunir chez
moi tous les membres de ma famille avec leurs enfants, mes amis
aussi, je voudrais que tu viennes avec ta femme et tes enfants ; ça
me donnera l'occasion de les connaître et on passera un moment
ensemble en ce jour de, fête".
J'ai répondu à l'invitation, accompagné de ma femme et des deux
aînés, un garçon et uhe fille. Parmi un monde très nombreux de
personnes de tovt âge, nous étions placés les plus proches du Pré-
sident ; il nous entourait de beaucoup de soins à tel point que ma
femme qui l'a vu déjà une seule fois chez elle durant un repas pen-
dant le fameux Congrès de Sfax m'a dit : "Je ne croyais pas qu'il
allait être si gentil avec nous".
Comme toujours, il parlait de l'histoire et entre autres il évoquait
seulement le mérite des positions prises par nous deux. Je me sen-
tais gêné de prendre beaucoup de temps au Président et alors je lui
ai dit : "Il faut bien vous laisser vous entretenir avec les autres" qui
semblaient intéressés par notre discussion et nous nous sommes
retirés. En quittant le Palais Bourguiba m'a dit : "Tu viendras ici
quand tu voudras à n'importe quelle heure".

Depuis quelques temps, je me suis décidé de faire quelque chose


pour gagner ma vie. J'ai fini par opter pour une Agence deVoya-
ges. Il faudrait un capital de 3.000 Dinars, j'ai pu en trouver
2.500 D qui m'ont été fournis par des amis :Un de Kerkennah et
un de Maharès. Il reste 500 Dinars. Comment les trouver ? Un

102
hasard m'a fait connaître une personne- Voilà dans quelles condi-
tions. Lorsque j'ai été libéré, j'allais au café de Paris. Un jour, un
Européen vint me parler et me dit : "C'est vous Monsieur Habib
Achour". Oui lui dis-je. Il s'asseyait et me dit : "Les amis de mes
amis sont mes amis". Il ajouta : "Monsieur Kaddour qui était
Kahia à Mahrès ... vous le connaissez". Bien sûr que oui lui dis-je
et il reprend : "Il est actuellement au ministère de l'enseignement
à Paris, je le vois très souvent, il me parle de vous. Il vous cannait
de vieille date et il garde de vous un bon souvenir". Oui, oui lui dis-
je ; je le connais depuis très longtemps et surtout durant la période
que j'ai passé à Maharès en résidence surveillée jusqu'à ma libéra-
tion. Il me prend la main et me dit, nous sommes amis. On se ren-
contre d'ailleurs, vous allez souvent chez Ali Kaaniche, un com-
merçant de verrerie au Colisée, c'est mon meilleur ami à Tunis. Il
appelle le Directeur du café et lui dit : "Vous connaissez Monsieur
Achour". Oui en faisant un signe de la tête. L'ami de Monsieur
Kaddour reprend alors et dit : "Toutes les consommations de
Monsieur A chour ici seront à mon compte".
Je suis très ému pour ce geste que je n'ai pas encore vu depuis ma
libération surtout émanant d'un Européen. Il me dit :"Je me pré-
sente Palomba. Directeur de la Société Frigorifique qui est elle-
même propriétaire du Café de Paris". Je l'ai remercié et je suis
sorti confus me sentant humilié et avec les larmes aux yeux.
Quelques jours après Monsieur Kaaniche me téléphona et me
dit : "Habib on dîne ce soir avec Palomba à la Baie des Singes ; on
passera te prendre à 20 heures". Ces sorties se sont répétées plu-
sieurs fois. Nous nous sommes rendus même à Kerkennah où nous
avons passé une bonne semaine. Depuis, avec Palomba, comme
avec Kaaniche, nous sommes liés d'amitié et on se reçoit entre
familles dans nos domiciles. Les femmes et les enfants se connais-
sent et se sont liés d'amitié eux aussi.
Un jour dans le magasin de Kaaniche on discutait de l'affaire que
j'entendais monter. Je lui parlais des difficultés que j'éprouvais à
former le capital et je lui ai dit : "Ecoute!, Palomba me demande
très souvent si j'ai besoin de quelque chose, de ne pas hésiter à le
lui demander. Que penses-tu? Si je lui en parlais". Sa réponse
était "Palomba est un homme, je vais lui téléphoner il viendra tout
de suite et tu verras".
En moins d'une demi-heure, il était là, Kaaniche lui dit : "Habib
a besoin de toi" et s'adressant à moi il me dit : "Parle ". Je lui ai
exposé le projet et naturellement les difficultés à former le capital
c'est alors que Palombame demanda :"Combien il te manque ?"
500 Dinars lui dis-je. Il sort son carnet de chèques de sa poche et

103
fait un chèque du montant demandé.
Je prends aussi du papier et j'écris : "Reçu de Monsieur Palomba
la somme de 500 Dinars, à titre de prêt" et je lui donne le papier.
Ille regarde et me dit : "Cest ça notre amitié, allons Habib". Je lui
réponds alors : "On ne sait pas ce qui peut arriver, il vaudrait
mieux avoir quelque chose en main". Sa riposte était vive : "S'il
nous arrive de mourir ce n'est pas ça qu'on va regretter" et il
déchire le reçu, et on se met à discuter des agences de voyages et
des possibilités de la Tunisie en ce domaine.
Lorsque j'ai loué le local, Monsieur Palomba est venu voir pour
l'agencement, il discutait avec les représentants des compagnies
aériennes, il avait de très bonnes idées et en très peu de temps l'en-
semble des travaux étaient achevés et les bureaux installés. Le per-
sonnel était composé de 4 personnes y compris moi et mes deux fils
comme "agents de voyages". Le premier travail consiste à contac-
ter en Europe les agences de tourisme. A cet effet, je suis parti à
Bruxelles à la Confédération Internationale des Syndicats Libres
(C.I.S.L.), pour discuter avec mes amis de mes projets et naturel-
lement leur demander des interventions en ma faveur.
Le secrétaire de la C.I.S.L. et son adj,oint Raymond Gosse , se
sont mis à rire de mon nouveau travail, mais ils m'ont déclaré :
'~Tu vas bien réussir Habib et ils ajoutèrent tu sais que chez nous
à Bruxelles au siège de la maison des syndicats, le secrétaire géné-
ral de la Fédération Internationale du Tourisme Social c'est Mar-
tin Idier ; on va te fixer un rendez-vous avec lui. Il peut discuter
avec toi et te recommander aux fédérations des pays d'Europe que
tu voudras visiter". Monsieur Martin !dier avisé de la qu.estion par
le Secrétaire Général de la C.I.S.L. a préféré venir, mis au epu-
rant, il a promis de tout faire pour m'aider auprès des pays qui
envoient le plus de touristes en Tunisie : la Belgique, l'Allemagne,
la Suède et la Suisse.
Pour la Belgique le contrat était fait l'après-midi même. Il a télé-
phoné aussi aux trois autres pays, pour les aviser de mes projets et
de mon passage chez eux. Le Président de la C.LS.L., un suédois,
le camarade Guuyer a été avisé de la date de mon départ en Suède.
Il m'a envoyé son secrétaire à l'Aérodrome qui m'a dit que Guuyer
est Vice-Présient du Parlement qui siège actuellement, il m'a dit
de passer le voir avant d'aller à l'hôtel.
J'étais vite introduit dans le bureau du Président qui était vide et
quelques instants après arriva Guuyer qui était l'ami de Farhat, de
Tlili et le mien aussi et deux autres personnes. On se saluait
chaleureusement et quel fut mon étonnement quand il m'a présenté

104
les 2 autres personnes en disant : "Le premier Ministre et le Prési-
dent du Parlement". Guuyer me parlait de mon emprisonnement
en disant : "Nous avons fait ce que nous pouvions faire à la
C.I.S.L. mais malheureusement le Gouvernement de ton pays
t'en veut, pourtant nous savons que tu as été un patriote sincère et
Bourguiba le reconnaît par la déclaration qu'il a faite à notre délé-
gation qui s'est rendue au Congrès de l'U.G.T.T. D'ailleurs tu as
vite été libéré et je ne sais pas pourquoi après avoir donné l'im-
pression de l'inexistence d'éléments contre toi, ils ont relancé l'af-
faire". Je n'ai pas voulu leur dire que j'ai été sollicité pour aller
voir Bourguiba pour une explication ou plutôt pour une soumis-
sion et que j'ai refusé.
J'avais honte de parler des autorités de mon pays et surtout de
Bourguiba en termes qui les diminuent à leurs yeux car on a en
Europe, et surtout les syndicalistes à la C.I.S.L., de la Tunisie
l'image d'un jeune pays libre et démocratique.
Je suis descendu à l'hôtel des syndicats où le soir j'ai dîné avec un
groupe de responsables syndicalistes avec à leur tête le responsa-
ble des relations extérieures.
Le matin je me suis rendu à la maison des syndicats où j'ai vu le
Camarade Guuyer entouré des responsables. Il a chargé l'un des
camarades de m'accompagner à la maison du tourisme social.
C'est un grand immeuble réservé entièrement à cet effet. Avec le
Directeur, d'une quarantaine d'années, nous avons parlé durant
plus de deux heures, il connaît la Tunisie et ses sites mieux que
n'importe quel Tunisien. Ce sont les grands projets d'abord qu'il
a présentés qui ont été discutés, puis la représentation et ensuite la
construction des maisons de repos dans les oasis de Gabès et dont
les terrains ont été achetés par l'U.G.T.T.
Les syndicats suédois travaillent dans le domaine touristique en
pool avec la Hollande et le Danemark où je me suis rendu à la suite
d'un coup de téléphone exécuté en ma présence de Suède aux res-
ponsables du tourisme social. L'accord s'est vite fait autour des
suggestions du Directeur suédois du tourisme social.
Je me suis rendu le jour suivant à Dusseldorf en Allemagne où
avec l'aide du Président de la D.G.B. que je connais bien, j'ai fait
du bon travail et j'ai pris le jour même l'avion pour la Suisse où j'ai
rencontré un grand ami, le Président des syndicats suisses Bernas-
conique j'avais rencontré dans toutes les réunions à la C,LS.L., au
B. 1. T. et très souvent en Tunisie où il prend du repos deux fois par
an. Il a convoqué dans son oureau le Directeur du Tourisme popu-

105
laire Suisse (POPULARIS), Mr Ramsayer et nous avons continué
ensemble le travail qui se passait dans une atmosphère de camara-
derie.
De Berne je suis parti à Genève où j'ai voulu rester 3 jours pour
me permettre de mettre de l'ordre, d'évaluer le résultat de ma
tournée et ensuite de me reposer dans cette belle ville que je
connais très bien depuis longtemps déjà, c'est-à-dire depuis l'indé-
pendance de la Tunisie, puisque je fais partie de la délégation tri-
partite au B.I.T. chaque année au mois de juin. J'ai pu constater
que les accords engagés nécessitent un grand travail et constituent
une grande source de revenus.
Dès ma rentrée en Tunisie, j'ai réuni le personnel de l'Agence
composé de 3 personnes dont mes deux fils et nous avons organisé
a~ec l'aide d'un ami du tourisme un programme d'activités. Notre
agence marchait si bien que dès la première année elle a été agréée
par l'I.A.T.A. compte tenu de l'importance du chiffre d'affaires
qui a été réalisé, alors que d'autres agences 'en activité depuis plu-
sieurs années ne l'ont pas été. .
Compte tenu de l'importance des transferts des touristes et des
excursions, nous avons acheté du terrain pour construire un
garage et des bureaux. Le chiffre d'affaires était tellement impor-
tant que la banque nous accordait un découvert presque illimité.
Pendant ce temps, la situation agricole, industrielle et commer-
ciale se dégrade à la suite de la formation dans tous les domaines
des coopératives qui leur manquait tout pour réussir et pourtant le
Président a fait plus d'un discours où il appuyait Ben Salah dans sa
politique en le présentant comme étant l'homme providentiel pour
notre pays. Le peuple commence par bouger. Des manifestations
populaires se sont déroulées à Msaken, à Ouardanine et il y a eu
des morts et des blessés. Il y a eu aussi des poteaux téléphoniques
coupés comme au temps de la lutte contre la colonisation. Le chô-
mage bat son plein et les agriculteurs à qui le gouvernement a pris
la terre en leur promettant un meilleur niveau de vie sont dans le
dénuement le plus complet. Il y a eu parmi eux des gens qui se sont
suicidés ou devenus mendiants, voire des fous et en grand nombre.
Pour ceux qui travaillent, on ne paye jamais le salaire légal qui
était d'ailleurs très bas. On leur dit :"Patientez à la fin de l'année,
à la distribution du bénéfice "et il n'y en a presque jamais. Quant
aux travailleurs, si quelqu'un ose revendiquer quelque chose il est
vite licencié. Il se plaint à l'U.G.T.T, on lui répond va demander
des excuses à ton patron peut-être te reprendra-t-il.
Il n'y avait plus d'activité à l'U.G.T.T que les salariés désertent
parce qu'elle ne remplit aucun rôle utile dans la vie sociale du pays.

106
Bourguiba tomba malade, il se fait soigner comme toujours à
l'étranger et ceux de ses proches qui ont pu le contacter font circu-
ler le bruit du limogeage de Ben Salah. De retour en Tunisie,
Bourguiba a commencé par réduire le champ d'action de Ben
Salah. Il repart encore se soigner à Paris et les spéculations sur le
limogeage de Ben Salah reprennent.

107
Le retour à I'U.G.T.T.
Un jour j'ai été appelé par Hédi Nouira qui était à l'époque
Directeur de la Banque Centrale. On s'est mis à parler de la situa-
tion dans le pays. Nouira qui est bien placé pour le savoir,la pré-
sente commè étant catastrophique. Lorsqu'il m'a semblé que la
discussion était terminée. Nouira me dit : "Ecoute. Habib, le Pré-
sident m'a envoyé Laoùiti, il m'a demandé de te dire de reprendre
l'U.G.T.T., d'ailleurs il l'a dit aussi à Ladgham le premier minis-
tre. Est-ce qu'il t'en a avisé".
C'est la première fois que j'entends parler de cette question et je
lui dis que dans la situation où se trouve l'U.G.T.T. et de la façon
dont elle est organisée, on ne peut rien en tirer à moins d'une réor-
ganisation totale ; d'ailleurs je n'ai nullement l'intention de tra-
vailler avec les responsables du Parti et du Gouvernement qui ont
fait tant de malheurs à moi-même, aux syndicalistes sincères, à
leur organisation et à son idéal.
C'est alors que Nouira me répondit :"Réfléchis bien à la question,
le Président t'en parlera sûrement à son retour de France".
Quelques jours après, j'étais convoqué à la Présidence à la Kas-
bah par le premier ministre Ladgham, il était comme toujours avec
son air sérieux et grave, mais très souvent ouvert à ceux, vieux
militants qu'il prend en amitié. Il a commencé par me dire "et ton.
travail comment va-t-il ?"Bien lui dis-je, même très bien avec en
plus la tranquillité, loin des combines et des basses manœuvres
politiques.
Il me regarde d'un air étonné, gardant le silence pendant un bon
moment puis me déclare :"Habib, j'ai du nouveau pour toi", puis
il se tait encore, ce qui n'est pas dans sa façon de parler, je m'atten-
dais à une mauvaise nouvelle peut-être. Je me disais y a-t-il un ami
commun de décédé et voilà que son visage s'éclaire et il dit : "Le
Président Bourguiba m'a demandé pour la troisième fois de te
convoquer et de te dire de reprendre 1'U. G. T. T. J'estime que ça te
fait plaisir, je dois lui communiquer ta réponse".

108
Sans mettre trop de forme et compte tenu de ce que j'ai été avise
par Nouira, je suis rentré directement dans le vif 'Ou sujet en lui
disant : "Vous savez dans quelles conditions j'ai été limogé de
l'U.G.T.T., d'ailleurs tous les camarades qui étaient avec moi,
étaient limogés sans égards et sans aucun prétexte que celui faisant
partie de l'enquête des procès Habib Achour".
J'ai demandé au premier ministre un temps·de réflexion qu'il a fixé
lui-même à 48 heures ; il doit donner la réponse au Président dans
ce délai. De mon côté, j'ai réuni chez-moi près d'une soixantaine
de camarades, anci~ns responsables ouvriers et fonctionnaires, je
les ai mis au courant des discussions que j'ai eues avec Nouira et avec
le premier ministre Ladgham. Nous avons décidé le principe du
retour à l'U.G.T.T. avec les conditions suivantes :
1) L'indépendance du mouvement syndical ;
2) La reprise immédiate de l'U.G.T.T. ;
3) Formation d'un bureau provisoire de l'U.G.T.T. qui aura
pour mission de renouveler les élections depuis la base jusqu'au
sommet.
Une semaine après avoir soumis ces conditions, Ladgham, m'a
convoqué pour me dire qu'il est d'accord pour nos conditions. Il
m'a invité par la même occasion à me rendre avec lui à Gafsa, le
centre minier le plus important de Tunisie où il a annoncé le chan-
gement intervenu à l'U.G.T.T. ou plutôt le rétablissement de sa
situation légale et morale. Cette nouvelle a provoqué parmi les
milliers d'ouvriers présents aux meetings que présidait le premier
ministre, un éclat particulier.
De retour à Tunis, je me suis donné rendez-vous à la maison de
l'U.G.T.T. avec tous les anciens responsables. C'était un diman-
che, les syndicalistes avisés de notre retour par le discours pro-
noncé par Ladgham et diffusé par la radio et la presse étaient très
nombreux à la Place M'hamed Ali et dans les salles aménagées
pour les ~éunions et les meetings. J'étais hissé à bout de bras du
bout de la rue jusqu'au bureau du Secrétaire Général dont toutes
les portes étaient grandes ouvertes. L'ancienne équipe dirigeante
a disparu totalement. J'ai prononcé un petit discours pour dire aux
camarades que notre retour constitue, malgré le désastre causé à
l'U.G.T.T. et à ses militants, une victoire importante sur ceux qui
ont voulu domestiquer l'U.G.T.T. en la privant de ses cadres
libres et en la mettant sous la tutelle du parti. Je leur ai dit aussi que
compte tenu de la dégradation de la situation économique et socia-
le, notre tâche syndicale sera très compliquée mais nous nous en
sortirons par nos propres moyens qui ont donné leurs preuves en
plus d'une circonstance autrement difficile. Nous avons tenu

109
ensuite une réunion des cadres à la suite de laquelle nous avons
formé un bureau provisoire qui s'est mis au travail après la distri-
bution des tâches à chacun de ses membres. Nous nous sommes
fixés une réunion chaque jour à partir de 9h dans le but de nous
concerter sur le plan de travail et le programme de chacun d'entre
nous.
Dès les premiers jours, la maison de l'U.G.T.T. était envahie
par les camarades licenciés de leur travail, à la suite, les uns de la
mauvaise gestion de l'établissement qui les employait et qui était
contraint de faire une compression du personnel sans établir de
critères justes mais selon le bon désir de l'employeur, les autres
pour avoir revendiqué leur fiche de paye, le respect du salaire
légal, la tenue du travail pour le 1er Mai, un accidenté non déclaré
qui ose réclamer. Bref aucune loi sociale si maigre soit-elle n'est
respectée et les responsables de l'U.G.T.T. domestiquée vont de
meeting, en meeting, avec les chefs du Néo-destour, pour crier
tout haut le bonheur de la classe ouvrière, leur enthousiasme et
leur soutien total à la politique économique et sociale du gouver-
nement. Cela au moment même ou dans la riche plaine de l'Enfi-
da, des familles entières ne trouvent rien à mettre dans leur mar-
mite.
N'a-t-on pas vu des cas de jeunes enfants s'évanouir en classe et
vomir une maitière verte?! Le maître d'école les a réveillés grâce à
une tasse de café bien chaud.
Questionné un élève a déclaré que depuis plusieurs jours, il n'avait
rien à manger à la maison. Sa mère lui fait bouillir dans l'eau des
feuilles de cactus coupées. L'instituteur a avisé le gouverneur de
Sousse qui l'a sommé de garder le silence et encore il l'a muté dans
les 48 heures dans une autre région bien loin de l'Enfidha-Ville et
c'est le gouverneur le plus apprécié du gouvernement et le plus
détesté par le peuple pour son comportement diabolique.
L'exécutif provisoire de l'U.G.T.T. comme de coutume a
demandé une audience d'abord au premier ministre puis aux
autres ministres qui nous ont tous reçu en l'espace d'une semaine.
Nous leur avons exposé la situation dans laquelle se trouve
l'U.G.T.T. et nos grandes préoccupations, le licenciement, le
chômage, le respect de la législation sociale, surtout le paiement
des salaires légaux.
Nous avons eu par la suite plusieurs séances de travail avec le
ministre des affaires sociales pour essayer de trouver une solution
aux problèmes qui lui ont été soumis. Pour plus d'efficacité, nous
avons décidé de tenir un meeting avec la participation du ministre
et de tous les inspecteurs de travail de toutes les régions de la

110
République afin d'exposer dans les moindres détails les vues de
l'organisation syndicale et de décider en présence du ministre du
travail des mesures à prendre pour réduire le chômage et stopper,
sinon limiter, le licenciement abusif. Tous les syndicalistes qui ont
pris la parole qu'ils soient de Tunis ou de l'intérieur ont critiqué
violemment l'attitude patronale et le manque d'énergie et d'auto-
rité des inspecteurs du travail pour faire respecter la loi. Certains
délégués syndicaux de Sousse et de Sfax parlent même de compli-
cité d'inspecteurs avec le patronat.
D'autres syndicalistes déclarent : "Nous demandons l'application
de la loi et pas plus, si le gouvernement n'est pas en mesure de le
faire, il nous reste qu'à nous défendre par notre arme légale, la
grève". Enfin cette réunion contraste avec celles du passé tout
récent où des sujets de la sorte ne sont jamais discutés et traités
publiquement. Celle-ci se termine par une résolution qui fixe les
revendications et arrête les modalités d'action pour les faire abou-
tir.
J'étais convoqué par le premier ministre le jour même du mee-
ting à une heure très tardive de la soirée. Il a demandé des explica-
tions sur l'excitation des syndicalistes exprimée en termes qu'on
n'a pas l'habitude d'entendre. Je lui répondis alors : "Avant, vous
n'entendiez que les bonnes paroles mais le résultat c'est la catas-
trophe que le Président a reconnu et il a déclaré qu'on lui a caché
la vérité et que ses collaborateurs les plus proches l'ont trompé.
Alors si El Béhi les camarades responsables syndicalistes ont dit la
vérité et pas toute, car si on la déclare on ira très loin. Il est donc
préférable de chercher à trouver une solution à nos problèmes que
de cacher la vérité et faire empirer la situation et les conséquences
alors seront imprévisibles". La discussion était très franche et le
premier ministre a demandé au ministre des affaires sociales de lui
soumettre un rapport sur le meeting et lui présenter des proposi-
tions.
Deux jours après, nous étions à Monastir au palais de Skanès où
Bourguiba recevait à l'occasion de son anniversaire le gouverne-
ment, les organisations nationales et les députés. On tenait la
queue pour féliciter Bourguiba. Le ministre du travail était devant
moi, dès qu'il s'est approché du Président, celui-ci s'est mis à crier
tout fort, reprochant à son ministre d'assister à un meeting où le
gouvernement a été fortement critiqué. Alors qu'il parlait au
ministre du travail, il me fait signe de la main et me dit tout haut :
"Ahmed Ben Salah n'a pas fait plus que vous". Je lui réponds
alors : "J'a{ accepté de revenir à l'U. G. T. T. à la seule condition de
travailler librement et puis aussi faut-il cacher la vérité pour

111
retomber dans la même situation que celle dénoncée par vous-
même".
Le Président dit aussi : "Vous parlez de chômage alors qu'il y a des
ouvriers qui refusent de travailler et préfèrent aller aux chantiers
d'assistance': Il fit venir un gros agriculteur de la région de J endou-
ba. C'est un monastirien qui affirme que des ouvriers auxquels il a
donné du travail ont refusé, et le Président d'ajouter en me regar-
dant : "Que dis-tu de ces ouvriers qui ne veulent pas travailler ?"
Dans mon fort intérieur je me suis dit : "il doit se passer sûrement
quelque chose" ; mais pour couper court aux discussions, j'ai
déclaré : "Celui qui ne travaille pas ne mange pas !"Le Président
continue à se prendre au ministre du travail et dit : "Que va faire
ce pauvre type avec ces diables" ; il fait allusion aux syndicalistes.
Le soir je me suis rendu au bureau du premier ministre pour lui
dire que le ministre des affaires sociales n'est pas l'organisateur du
meeting ; il a été simplement notre invité et nous considérons à
l'U.G.T.T. toute mesure contre lui comme étant arbitraire et
dénotant de la part_du...gouvernement d'un esprit an ti-syndical. Le
jour suivant, le ministre des affaires sociales a été convoqué par le
a
premier ministre qüi lui fait part du mécontentement du Prési-
dent pour avoir présidé un meeting syndical où le gouvernement a
été violemment critiqué. Il a déclaré que les travailleurs se sont
exprimés brutalement compte-tenu de la situation qu'ils mènent,
situation vraiment déplorable dont ils sont les innocentes victi-
mes ; d'ailleurs a dit le ministre : "j'estime que nous avons pris des
positions concrètes qui nous aideraient à solutionner les problè-
mes très compl~qués que nous ont soumis les ?élégués syndicaux".
A part les inspecteurs du travail qui ont reçu des instructions pour
décourager le licenciement, les gouverneurs aussi ont reçu des ins-
tructions pour imposer aux employeurs les décisions conformes à
la loi que prendraient les responsables du ministère du travail. A
l'échelle nationale une commission a été formée, composée de
représentants du ministère, des représentants patronaux et des
représentants des syndicats ouvriers mandatés par l'U.G.T.T. Les
moyens mis en œuvre pour. combattre le licenciement et protéger
les travailleurs contre les abus de toutes sortes ont permis d'arriver
dans un temps relativement court à une amélioration du climat
social dont toutes les parties commencent par se féliciter. Lors-
qu'un différend ou un c_9nflit éclate dans une entreprise donnée, le
comité supérieur se réu11it immédiatement, sur la demande de
l'une des parties, et la solution trouvée est imposée gentiment et
acceptée non moins gentiment.

112
A l'U.G.T.T., nous avons profité de ce moment où le climat
social semblait se détendre et s'améliorer pour commencer le
renouvellement des syndicats par la base, pour arriver à notre
but : Un congrès national de l'U.G.T.T. dans le plus bref délai
possible, pour mettre fin à la direction provisoire .. Les camarades
de l'exécutif provisoire de l'U.G.T.T. ont été chargés chacun
d'une ou deux régions, selon leur importance pour suivre et s'assu-
rer du déroulement des élections dans les formes démocratiques et
légales.
Au retour de leur mission, les camarades de l'exécutif fournis-
sent chacun un rapport général sur l'activité syndicale de la région
et ils sont unanimes à déclarer que les travailleurs sont impatients
de me voir et que ni le gouvernement, ni le parti ne se sont mêlés
lors des élections syndicales pourimposer qui ce soit dans les for-
mations de base. Ils ont aussi souligné la détermination des cama-
rades à soutenir leurs revendications par tous les moyens légaux.
Tous se plaignent de l'insuffisance des salaires.
L'exécutif de l'U.G.T.T. s'est réuni pour examiner le résultat des
élections dans les régions et il s'est déclaré très satisfait. Il a fixé
aussi la date des congrès des unions régionales.
Encore une fois, les membres de l'exécutif se sont déplacés pour
présider les congrès syndicaux des plus importantes régions, qui ne
durent chacun qp'une journée, les camarades de la région organi-
sent en cette occasion des banquets et des fêtes de toutes sortes
(sportives, folkloriques, théâtrales etc.). Les seules difficultés qui
ont surgi insignifiantes d'ailleurs, eurent lieu à Tunis.
Le Directeur du Parti m'a invité à un dîner qu'il préter.dait
populaire, fait pour les circonstances parce qu'il est sur le plan
familial, loin des milieux populaires et quel repas ! Ille prétend
typiquement tunisien depuis le plat jusqu'au contenu. D'ailleurs
dans sa maison il n'y avait pas âme qui vive à part le jardinier qui
a posé les deux plats sur une petite table de cuisine. Il ne cessait de
me répéter que c'est un repas populaire. Des tout petits poissons
frits, tout noirs, que je n'ai jamais vu nulle part ailleurs même dans
les petites gargotes et des "Mhammas" tout rouges avec une bonne
quantité de poissons très piquants. J'en ai pris quelques cuillères,
les larmes me coulaient des yeux, mais il me disait : "C'est bon".
Oui, c'est très bon lui dis-je et je l'invitais à manger car il prenait
par petites quantités, il n'était pas en larmes comme moi, mais je
sais qu'il a un ulcère pour lequel le piquant n'est pas très convena-
ble, mais du fait qu'il m'a invité, il ne devait pas me laisser seul à
manger ce si bon repas populaire.
Durant le repas on parlait de renouvellement des syndicats, il me

113
recommande l'ancien syndicat des municipaux qu'il a connu pen-
dant qu'il était Président de la municipalité : Ils sont très valables
disait-il et tti peux tenir un meeting à n'importe quel moment, tu
as une masse de 1800 personnes toute prête. Celui qui a été élu
n'est pas très valable disait-iL Pourtant je le connais depuis 14 ans,
il a été toujours sérieux, c'est un jeune résistant renvoyé des éta-
blissements scolaires de tout le pays. Quelques jours après notre
ami est resté collé au lit à la suite d'une crise de son ulcère pour plu-
sieurs jours.
Après cette réception j'ai reçu plusieurs camarades dont l'an-
cien secrétaire du syndicat des municipaux envoyé par le Directeur
du Parti, mais chaque fois je lui répète la même chose :"Les élec-
tions auxquelles tu as participées sont-elles entachées d'irrégulari-
tés, avez-vous protesté pendant la réunion électorale, rien de tout
cela, alors je n'y peux rien".
Toutefois dans les réunions du bureau politique, le directeur du
parti m'en parlait. J'avais envie de lui dire : Occupe-toi de tes
affaires·! ·cette question d'immixtion du parti dans les affaires je
ne dis pas des organisations nationales, mais de l'U.G.T.T. est ter-
minée et enterrée, assez d'en parler ! Mais je répondais gentiment
pour dire la même chose.
Un groupe de mécontents, anciens responsables qui vivaient
grâce à l'U.G.T.T. en bénéficiant de nombreux avantages et que
les ouvriers ont évincé · parce qu~ils négligeaient les travailleurs,
constituait une troupe de soutien dans les meetings politiques. Ils
se rendaient très souvent au Parti et formaient une sorte d' opposi-
tion hostile à la direction syndicale légitime toutefois son poids
était négligeable. Cette opposition est entr~tenue aussi par un
autre membre du bureau politique, vice président de l'union tuni-
sienne du commerce et de l'industrie, l'U.T.I.C.A., organisation
nationale patronale qui se manifeste en toute occasion pour affai-
blir notre organisation. Cette position est inadmissible, mais ce qui
est anormal c'est que toutes les fois qu'un différend surgit entre
l'U.G.T.T. et l'U.T.I.C.A. ou entre l'U.G.T.T. et le parti, ces
deux organismes se coalisent presque toujours contre nous.
Le vice président de l'U.T.I.C.A. et membre du bureau politi-
que est très influent auprès du Président Bourguiba. Il parait qu'il
a été chargé de certaines missions très délicates et très dangereu-
ses. D'ailleurs n'a-t-on pas vu plus d'une fois quelques uns de ses
ouvriers venus se plaindre à l'U.G.T.T. portant des traces de tor-
tures. A la question que je leur posais : "Pourquoi vous vous lais-
sez frapper ?" Ils répondaient qu'il était toujours entouré de gar-
des-corps armés et que si l'on bougeait on risquait d'être abattu. Il

' 114
va plus loin que ça dans ses attaques contre l'U.G.T.T. :N'a-t-il
pas dit un jour dans un meeting d'industriels et commerçants à
Sfax que Habib Achour, revenu à l'U.G.T.T. depuis très peu de
temps commence à bouger, je l'avertis qu'on peut le faire retour-
ner en prison quand on veut et s'il faut le supprimer on le suppri-
mera. Dans les réunions du bureau politique et dans les discus-
sions, il parlait comme s'il était Bourguiba lui-même sans égard
pour ses camarades y compris le premier ministre secrétaire géné-
ral du parti. C'était l'occasion pour moi de lui dire ce que je pense
de lui et de ses agissements en termes pas très polis pour le mettre
en place. Combien de fois d'autres membres du bureau politique
me disaient en tête à tête va-t-il se corriger cet individu que per-
sonne ne peut sentir et qui nous estimposé.
Un jour j'ai été appelé par le" ministre de l'intérieur : c'était
Ahmed Mestiri ; on a parlé un peu detout ëi: à la fin de la discus-
sion il m'a conseillé d'avoir un garde-corps et de porter une arme.
w
Je lui ai répondu que n'ai jamais pensé à cette proposition, mais
suggérée par un ministre de l'intérieur et surtout Mestiri, un
homme connu pour son sérieux, il va falloir y réfléchir.
Il m'a fait délivrer une autorisation de port d'arme pour moi et
pour mon fils. Nous avons acheté deux révolvers que nous gar-
dions toujours sur nous malgré notre inexpérience. De cette situa-
tion nous n'avons parlé à personne même pas à nos amis les plus
proches de crainte d'effrayer les uns, et peut-être donner nais-
sance à une réaction brutale chez d'autres camarades,, alors que les
responsables de l'U.G.T.T. cherchent à renforcer leur organisa-
tion que nous avons trouvée agonisante:
Quant à l'Union Patronale qui n'existait presque pas pendant la
période de la socialisation totale, elle s'est montrée agressive dès
sa renaissance, avec un vice président qui sème la terreur autour
de lui et un jeune président proche parent du ministre du travail,
lui-même fils de grand commerçant. Devant cette situation sou-
vent difficile à cause de l'entêtement de certains employeurs, il à
fallu des fois avoir recours à la grève, non pour une nouvelle amé-
lioration mais pour l'application des textes en vigueur.
Parallèlement à cette lutte entre les deux organisations,
ouvrière et patronale, les dirigeants de l'U.G.T.T. dans les mee-
tings qu'ils tiennent à travers le pays ne cessent de demander aux
travailleurs d'augmenter la production pour désarmer nos adver-
saires et nous renforcer dans notre lutte pour l'amélioration du
niveau de vie. En effet, après plusieurs mois de dur labeur et avec
des moyens dérisoires la production a augmenté dans la plupart
des sociétés nationales et privées qui ont pu distribuer des primes

115
des fois assez conséquentes, provoquant l'enthousiasme parmi les
travailleurs. Depuis le meeting auquel a assisté le ministre du
travail et tous ses inspecteurs, un travail très sérieux a été accom-
pli . On ne voit plus les longues files de chômeurs ou de licenciés
qui constituaient notre principale préoccupation. On négocie déjà
avec le ministre du travail une augmentation générale des salaires.
Au début, il n'y croyait pas, mais à la suite d'une intervention de
l'U.G.T.T. auprès du premier ministre, qui a été convaincu de la
nécessité de faire quelque chose dans ce sens, une commission
nationale a été formée, composée de représentants du ministre des
c.ffaires sociales, de représentants patronaux et de représentants
ouvriers.
Durant trois mois, cette commission se réunit deux fois par semai-
ne. Elle a abouti à une augmentation horaire de 20 millimes. Ce
n'était pas tellement important mais c'est la première fois que
1'U. G. T. T. obtient une augmentation négociée ; la classe ouvrière
a célébré cette première victoire avec éclat.

116
Le congrès de ,Monastir. du Parti
et ses repercussiOns

Le local de l'U.G.T.T. déserté par les travailleurs depuis mon


limogeage et celui de tous ceux qui étaient responsables avec moi,
est de nouveau insuffisant pour contenir à toute heure de la jour-
née et même une bonne partie de la nuit, les nombreux camarades
ouvriers et fonctionnaires qui se dépensaient de gaîté de cœur à
leur activité syndicale libre.
Finies les interventions du parti en faveur de tel ou tel autre cama-
rade dans le but de lui attribuer une responsabilité syndicale ; on
cannait ma position- là dessus elle est inchangeable ; mais je sais
aussi qu'à la maison du parti, on collabore avec ceux qui sont partis
d'eux-mêmes après l'emprisonnement de Ben Salah et certains
d'entre eux ont gardé le contact avec moi et me parlent des avances
qu'on leur a faites. Ils se réjouissent de me voir à la tête de
l'U.G.T.T. Ils savent que nous la maintenons libre et qu'e!Je se
renforce de jour en jour. Ils m'ont annoncé aussi que quelques uns
de leurs camarades ont accepté de marcher contre moi au congrès
du parti qui devait avoir lieu à Monastir dans les prochains jours.
D'habitude les organisations nationales obtiennent un nombre
très important de cartes d'observateurs. Cette fois le parti nous en.
a envoyé quatre, même pas pour les membres de l'exécutif qui sont
17. Sur mon intervention on nous a donné encore deux cartes d'ob-
servateurs qui sont loin d'atteindre le quota que nous avions l'ha-
bitude d'avoir dans les réceptions ou congrès organisés par le par-
ti.
Partis la veille du congrès à Monastir nous nous sommes trouvés
déjà départagés en deux groupes dans les hôtels, les amis de Lad-
gham- Mestiri et Hassib Ben Ammar- Béchir Zarg el Ayoun d'un
côté et les autres qui comptaient parmi eux Nouira- Farhat- Sayeh
et moi aussi parmi ces derniers.

117
D'ailleurs si je suis dans ce groupe ce n'est pas par oppositio~ au
premier ministre Ladgham ou Mestiri, mais à caqse de la présence
parmi eux des responsables de l'Union Tunisienne Patronale
(U.T.I.C.A.) surtout le terrible vice Président Béchir.
Le jour du congrès tout Tunis était là, les durs par centaines
recrutés par la direction du parti pour le service d'ordre. Ils sont à
l'entrée, devant la salle et partout à l'intérieur même sur la tribu-
ne.
Le clan sahélien de Nouira - Far hat. aidé. par le gouverneur de
Sousse ont fait venir les anciens résistants de Ouardanine, qui
d'après l'autre clan étaient armés. Dès l'ouverturé du congrès par
le Président qui était très affaibli, on remarquait déjà l'existence
de deux clans de forces inégales. Le discours du Président Bour-
guiba n'a pas emballé les congressistes comme par le passé ; ni
m.ême les nombreux invités qui d'habitude surchauffaient l'atmos-
phère par leurs applaudissements frénétiques et leurs chants.
Bourguiba avait beaucoup de peine à lire son discours, très court
d'ailleurs, loin des formes habituelles et qu'il a terminé en faisant
appel à l'Union et à la sagesse.
L'après-midi, la parole était donnée au premier ministre, secré-
taire général du Parti pour lire son rapport moral. Comme pour
donner la réplique au Président, presque tous les participants dans
la salle, debout, applaudissent pendant un long moment. Ce qu'ils
n'ont pas fait au Président.
Le discours de Ladgham a duré près de six heures ; il a brossé un
tableau de la situation politique, sociale et économique dans le
pays. Il a parlé aussi de l'échec de Ben Salah dans sa politique éco-
nomique et du revirement que le parti et le gouvernement entre-
prenaient. Il n'a pas été très dur pour Ben Salah. D'ailleurs il ne
peut pas l'être car le parti et le gouvernement avec à leur tête
Bourguiba ont crié tout haut leur fierté et la chance pour le pays
d'avoir à la tête du département économique et financier Ben
Salah, 1pais cela n'a pas empêché sa condamnation à 10 ans de tra-
vaux forcés par la Cour de Sûreté de l'Etat.
Tout au long de son discours, Ladgham a été frénétiquement
applaudi. Bien que depuis sa rencontre au Caire en ma présence
avec le fils de Bourguiba à l'occasion du décès du Président Egyp-
tien Naceur, il ne jouissait plus du soutien de Bourguiba- Bour-
guiba Junior a rapporté à son père qu'en transmettant à Ladgham
ses instructions pour qu'il rentre en Tunisie, il lui a répondu :votre
père ferait mieux de s'occuper d'autres choses -le travail ici est très
compliqué et n'oubliez pas que je suis le Président de la Commis-
sion des Chefs des pays arabes.

118
Il est vrai que la situation était très délicate au Moyen-Orient à la
suite des affrontements entre la Jordanie et les Palestiniens, la par-
ticipation de la Syrie pour protéger les Palestiniens et les menaces
de l'intervention américaine dans le cas où la Syrie ne se retire pas
du territoire jordanien.
Au congrès, Ladghamn'ajamais été en aussi bonne forme, aidé en
cela par une bonne préparation du congrès. La quasi-totalité des
congressistes ont interrompu plus d'une dizaine de fois l'orateur
pour l'acclamer debout et chanter l'hymne de la révolution tuni-
sienne.
La séance de l'après-midi a été levée à la fin du discours de Lad-
gham qui, malgré son poids, a été porté en triomphe et tout le
monde -congressistes, observateurs et journalistes -se plaisait à
dire : "Il a été plébiscité".
Durant la nuit, la propagande des clans s'intensifia et on classe
dans celui de Bourguiba : Nouira · Masmoudi - Farhat - Habib
Achour - Sayeh etc ... Dans celui de Ladgham : Mestiri - Hassib
B. Am mar- Mohamed Ben Am ara- Béchir Zarg Layoun- Moha-
med Salah Bel Haj - S~clok Ben Jemâa - Caïd Sebsi - Sadok
Mokaddem- Abdesselem el Ajmi etc ...
Pour ceux qui connaissent les hommes du Parti, il est facile en exa-
minant de se rendre compte que le deuxième est plus représentatif
et c'est ce qui explique que toutes les fois que l'un d'eux intervient
il bénéficie instantanément de l'appui des congressistes. Le Prési-
dent Bourguiba avisé de la tournure du congrès, fait des appari-
tions très courtes presque deux fois par jour. Il semblait très affec-
té, il parlait péniblement- la voix enrouée, les larmes aux yeux,
loin d'emballer les gens comme par le passé. Pour les uns- il faisait
de la peine- pour d'autres il a assez dominé, il faut du nouveau.
Le clan Ladgham est sûr d'une victoire écrasante, quant à Bour-
guiba il sera naturellement élu Président du Parti, mais de sa liste
les membres à passer à la commission centrale du Parti ne seront
pas nombreux .
. Au troisième jour du congrès - Nouira est venu me dire que
Béchir Zarg el Ayoun - vice président du syndicat patronal va
prendre la parole et il va m'attaquer violemment. Nouira croyait
que cette nouvelle allait m'inquiéter CJlors que je m'en réjouis,
d'abord je n'ai rien sur la conscience, et tout le monde le sait, et
surtout que cet homme à cause de son comportement et de ses
actes est presque unanimement détesté ; mais il est craint du fait
de ses rapports étroits avec le Président qu'il a abandonné cette
fois parce qu'il était sûr que le clan Ladgham - Mestiri est le
gagnant et que physiquement Bourguiba est fini.

119
Je suivais ses activités dans la salle ; il est très souvent en contact,
chose curieuse, avec des anciens syndicalistes, anciens amis de
Ben Salah et de Tlili. Les uns ont quitté l'U.G.T.T. d'eux-mêmes
et les autres, ne furent pas réélus au renouvellement des structures
syndicales après mon retour à l'U.G.T.T. en 1969.
Des congressistes vieux destouriens avisés des intentions de Zarg
el Ayoun sont venus me dire de ne pas le critiquer dans le cas où il
accepte de revenir sur sa décision. Je leur ai déclaré clairement: Je
ne le crains pas du tout, mais je me défendrai comme je le pour-
rais.
Un instant après, les intermédiaires reviennent tout heureux me
dire qu'il a accepté, ça va leur dis-je, mais tel que je le connais- je
m'en méfiais. Un jeune instituteur congressiste qui était près de
lui, pour ne pas se faire remarquer a chargé un ami de me dire que
Béchir Zarg el Ayoun a reçu des instructions pour prendre la
parole d'un haut responsable du gouvernement qui lui a dit aussi :
il reste un peu de poussière tu vas nous en débarrasser et on partira
tous propres.
Très peu de temps après Zarg el Ayoun demande la parole qu'il
obtient aussitôt sans respect pour l'ordre des inscriptions des ora-
teurs.
Il a commencé par parler du parti comme s'il était son créateur, et
de la résistance comme s'il en était le père, aidé par quelques
applaudissements et des rires.
Puis il aborde les questions sociales et économiques en citant des
exemples des grands sacrifices des emplo~'~urs qui dit-il n'ont pas
été compris par les travailleurs qui vivaient comme des esclaves
pendant la période noire du socialisme. Maintenant ajoute-t-il, ils
se permettent même de faire des grèves, il faut les considérer
comme des traîtres à la patrie et les châtier en conséquence.
Il aborde ensuite un autre sujet, les organisations nationales, et
immédiatement il attaque l'U .G.T.T. disant qu~lle a été créée par
le parti et qu'elle doit se soumettre aux ordres du parti en accep-
tant à sa tête les hommes du parti ou alors il ne faut pas la considé-
rer comme organisation nationale et la combattre jusqu'à son
anéantissement.
A ce moment, je suis monté à la tribune, où je me suis installé
et j'ai fait comprendre au Président du Congrès, que c'était pour
le droit de réponse, puis je me suis adressé à l'orateur pour lui
dire :"Continue , tu auras ton compte" ; et il continue sur un ton
plus violent encore. Parlant de mes agissements, il déclare : "Ha-
bib Achour, depuis qu'il est revenu à I'U. G. T. T., fait la chasse aux
destouriens- tous ont été chassés de I'U.G.T.T. II n'en reste plus

120
un seul responsable - je ne sais pas pourquoi le Président l'a fait
revenir. Je ne vous dis pas des choses en l'air, j'ai des enregistre-
ments d'anciens responsables syndicalistes destouriens que je
peux vous faire entendre ; d'ailleurs ils sont là et vous pouvez les
questionner" et il termine en demandant mon exclusion du Parti.
Il n'a pas quitté la tribune et le Président du Congrès ne m'a pas
encore donné la parole que j'étais déjà au micro. Je commence par
déclarer sur un ton ironique : "Vous avez entendu parler Béchir
Zarg el Ayoun que .nous connaissons tous très bien- nul n'ignore
ses qualités s'il en a et ses graves défauts innombrables. Il matra-
que ses ouvriers, il ordonne à la police d'arrêter qui il veut. Les
administrations - municipalités ou autres - qui ne répondent pas à
ses exigences propres du profit de ses entreprises de toutes sortes,
de ses terrains à bâtir, de ses champs etc ... savent ce qui les attend.
Il peut dégrader et sanctionner, comme il peut favoriser tout fonc-
tionnaire de tout rang. Tout ça pour son bien direct mais en exploi-
tant ses relations avec Bourguiba au nom duquel il parle même
dans les réunions du bureau politique, mais aujourd'hui, il semble
oublier Bourguiba parce qu'il est malade et qu'il ne survivra pas.
Voilà le grand Béchir qui dispose aussi d'appareils très modernes
moyen très sûr de faire entendre des voix, non de ses victimes mais
de ceux qui collaborent avec lui dans le but de brimer, de dominer
la classe ouvrière et faire de la grande partie du peuple tunisien des
Khammès, au service des féodaux- Est-ce-ça que veut le Parti au
nom duquel parle Béchir Zarg el Ayoun ?"
Des gens très nombreux dans la salle crient : "non non continue "
et d'autres peu nombreux parmi lesquels j'ai remarqué quelques
anciens syndicalistes non congressistes, mais admis au congrès
pour les circonstances, chuchotaient.
"De toute façon dans notre pays, nous savons maintenant que
Béchir Zarg el Ayoun dispose d'appareils très modernes qui font
entendre la voix des opprimés et qui leur donnent leur droit puis-
que dans notre pays, il n'y a ni policiers, ni justice, ni loi. Il y a
Béchir ça veut tout dire".
Les congressistes presque la totalité m'approuvaient par des
applaudissements nourris. Je me suis mis ensuite à expliquer les
véritables problèmes de l'U.G.T.T. ses revendications très timi-
des par rapport aux gros bénéfices des sociétés et des grands pro-
priétaires terriens, avec chiffre en main j'ai parlé aussi de la parti-
cipation de l'U.G.T.T. à la libération du pays et à la bonne marche
des rouages de l'administration et des sociétés nationales après
l'indépendance et là j'abondais, la matière et les exemples ne man-
quaient pas.

121
-"C'est cette U.G.T.T., celle de M'hamed Ali de Farhat Hached
et de Tlili que Béchir Zarg el Ayoun veut tuer.
Je suis sûr que vous êtes pour le renforcement de l'U.G.T.T. et
non pour sa mort".
L'immense majorité des congressistes criaient «vive l'U.G.T.T.»
et je me suis rendu à ma place entouré de beaucoup de gens ; les
uns me félicitent d'avoir donné la réplique qu'il faut, d'autres me
disaient : -"Enfin il a trouvé quelqu'un qui le met en place".
Un groupe du clan Ladgham- Mestiri me dit en prenant l'ascen-
seur à l'hôtel : "Par ta position contre Zarg el Ayoun tu as gagné
ton élection, mais si tu avais fait autant pour Allala Laouiti, - lui
aussi se déclare protecteur de toutes les femmes,mission dont il se
dit chargé officiellement-, et la matière à dire n'est pas moins
abondante et moins importante que pour Béchir·, tu aurais été élu
à l'unanimité des voi,x". Ils m'avaient dit aussi de ne pas croire
qu'ils le comptaient parmi les leurs.
C'est alors que je leur répondis en ces termes : "Non seulement
c'est un des vôtres mais vous le considérez comme étant l'homme
le plus fort de votre équipe en ce qui concerne les intimidations et
les corrections à donner puisqu'il est chargé des résistants et à ce
titre il les utilise contre qui il veut et il l'a déjà fait combien de fois".
Le jour suivant Zarg el Ayoun n'est pas apparu au Congrès.
Nous avons appris qu'il a été malade toute la nuit et qu'un méde-
cin, lui a été appelé d'urgence. La maladie a duré des mois et
même des années. Il a cessé toute activité politique et fut remplacé
à la tête de l'organisation syndicale patronale. On n'en entendait
même plus parler. Ce n'est qu'en 1980, au mois de mars, après les
événements de Gafsa qu'il a été désigné à la tête d'un organisme
renouvelé et qui englobe les vieux résistants. A ce titre il participe
aux travaux du bureau politique.
Le dernier jour du Congrès était réservé à la discussion des réso-
lutions qui ont été toutes modifiées conformément à l'orientation
préconisée par le clan Ladgham - Mestiri. C'est pendant ces dis-
cussions et à la suite des vues différentes sur certains points des
motions qu'il a été démontré encore clairement la faiblesse du clan
Bourguiba voire son inexistence. Les élections terminées très tard
dans la nuit ont donné une très grande majorité au comité central
au clan Ladgham - Mestiri et ceux qui sont passés sur la liste Bour-
guiba étaient classés en fin de liste.
Quant à moi si j'étais bien classé c'était d'abord à cause de la
présence de nombreux délégués syndicalistes au congrès et encore
à la suite de la position que j'avais prise contre Zarg el Ayoun.
Quelques jours après, à la suite d'une réunion sous la présidence

122
de Bourguiba des membres élus, le Bureau Politique est choisi. Ce
qui est déjà en contradiction avec les résolutions votées au Con-
grès.
Nouira a été chargé par le Président de la République de former
le gouvernement. Il m'appelait tous les soirs chez lui et des fois
même dans la journée. J'ai participé activement à la recherche
d'hommes valables pour occuper des postes de ministres dont
beaucoup ont décliné l'offre même de se rendre auprès de Nouira.
Après plusieurs jours de recherches, on a réussi à avoir le nombre
et enfin le ministère a été formé. Mais il y a une autre difficulté, les
comités de coordination de Tunis et de l'intérieur ne reconnaissent
pas le bureau politique issu de ce congrès, ils le considèrent illégal.
Ils ont envoyé des télégrammes déclarant l'iilégalité du bureau
politique désigné et demandent le respect des résolutions votées
au congrès. L'appareil du parti restait entre les mains des gagnants
du congrès évincés du bureau politique et Nouira ne trouve ni à qui
parler ni à qui s'adresser. C'est un général sans troupe.
C'est alors qu'à la suite d'une réunion de l'exécutif de
l'U.G.T.T. nous avons discuté de cette situation et nous avons
décidé d'appuyer Bourguiba et Nouira. Forts de cette décision
nous avons réuni la commission administrative pour nous permet-
tre de prendre des mesures à l'échelle nationale dans ce sens.
La commission administrative dans sa réunion a décidé :
1) D'envoyer des délégations de toutes les régions à Nouira pour
lui manifester leur appui ;
2) Participer plus activement à la vie du Parti ;
3) Organiser des meetings et y inviter Nouira ;
4) A Tunis où le comité de coordination est très puissant, il a
fallu menacer pour que ses responsables cessent d'occuper le local
du parti.
Dans les discussions au bureau politique et la plupart du temps
le soir avec les ministres, Nouira se plaisait à dire : "Heureuse-
ment que nous avons l'U .G .T.T. C'est la seule organisation natio-
nal.e forte et organisée".
J'étais son grand ami, presque tous les soirs il m'invitait chez lui.
Le dimanche, il vient me prendre chez moi pour aller à sa pro-
priété près de Grombalia. On rentrait avec de grandes caisses plei-
nes de belles oranges. Il a fallu plus d'un an de dur labeur à
l'U.G.T.T. à soutenir le gouvernement et le Parti pour qu'ils se
remettent en marche tout doucement.
A ce moment même Bourguiba a décidé de confier à l 'U. G. T. T.
la charge de s'occuper des travailleurs tunisiens à l'étranger.
Connaissant les nombreuses mains qui interviennent dans leurs

123
problèmes, j'ai demandé à ce que l'U.G.T.T. soit la seule à s'en
occuper, voulant par là, éloigner les travailleurs des courants poli-
tiques internes et externes afin d'en faire un bloc dans le pays qui
les héberge, protégés par ses centrales syndicales avec lesquelles
l'U. G. T. T. entretient des relations très vieilles, amicales et sérieu-
ses. D'ailleurs presque toutes les centrales syndicales nationales
européennes m'ont demandé toutes les fois qu'on se rencontre en
Tunisie ou chez-eux pourquoi l'U.G.T.T. ne s'occupe-t-elle pas
des travailleurs immigrants ? On aurait pu faire du travail très
sérieux dont ils profiteraient.
Je leur répondais franchement à savoir que notre gouvernement et
le parti craignaient le contact des travailleurs tunisiens avec les
organisations syndicales ou politiques européennes de peur de les
voir endoctrinés. C'est pour çà qu'ils étaient encadrés par le parti,
les ambassadeurs et leurs agents.
Depuis la décision de Bourguiba de confier à l'U.G.T.T. l'enca-
drement des travailleurs tunisiens à l'étranger et que le parti a
admis que nous serons seuls à nous en occuper, nous avons écrit à
toutes les centrales syndicales européennes dont les pays
emploient des travailleurs tunisiens pour les aviser de la décision
prise en Tunisie de laisser l'U.G.T.T. seule s'occuper de leurs pro-
blèmes. Les réponses à nos lettres ont été immédiates et pleines de
promesses pour l'avenir de nos camarades et tous les expéditeurs
parlaient de la toute proche réunion au B.I.T. pour discuter des
détails du problème. Avant mon départ à Genève, j'ai parlé à
Bourguiba et au bureau politique des promesses d'aides à nos tra-
vailleurs émanant des organisations syndicales des pays qui les
emploient.
Bourguiba m'a dit : "je sais que tu feras du bon travail".
Parallèlement aux travaux du B.I.T., nous tenions chaque soir
d'autres réunions avec les responsables des organisations syndica-
les européennes pour arrêter un programme d'action en faveur des
travailleurs tunisiens dans leurs pays. On prévoyait des cours de
langue dans leurs locaux, des réunions de formation syndicale, la
formation professionnelle et dans le travail égalité des droits avec
les nationaux du pays employeur.
En bon milieu de notre séjour à Genève, Sayeh, Directeur du
Parti, arrive avec son faux sourire annonciateur d'un coup bas.
-"Quel bon vent t'emmène" lui dis-je ?
-"Le Président m'a chargé de me rendre à Paris pour tenir des réu-
nions avec les travailleurs et leur transmettre ses directives" et il
ajouta : "Veux-tu venir avec moi Habib ?"
Je suis resté un bon moment rêveur et je me disais :Déjà ils vont

125
recommencer et tout le travail qui a été fait dans ce sens, l'appel
qui m'a été fait par le Président et le bureau politique et le travail
accompli avec les responsables syndicaux européens, tout çà est
tombé à l'eau. Alors ma seule réponse était : "le Président t'a
chargé d'un travail. Je pense qu'il ne t'a pas dit de m'en parler, je
n'ai pas à aller voir les travailleurs avec ou sans toi".
J'ai avisé les membres de l'U.G.T.T. au B.I.T. et ensemble nous
avons décidé d'informer les camarades européens du revirement
du gouvernement et de notre décision de ne plus nous en occuper
tout en les remerciant de leur disposition à bien aider nos frères
tunisiens travaillant chez-eux.
Voilà des gens que nous avons sauvés d'une mort certaine et qui se
permettent déjà de revenir sur une décision prise au plus haut
niveau.
Pour la délégation de l'U.G.T.T. à Genève, ce revirement du
gouvernement et du parti était constamment l'objet de discus-
sions, nous étions tous d'accord qu'il faudrait à l'avenir agir avec
prudence dans nos relations aver. les plus hautes autorités du pays.
Le ministre du travail lui-même présent au B.I.T. et qui d'ailleurs
était membre de l'exécutif de l'U.G.T.T. s'en est étonné. Nous
l'avons tenu informé des discussions qui se sont déro~lées avec les
responsables syndicalistes européens, il était très satisfait et nous
avons même fait avec lui des projets en faveur de nos travailleurs
à l'étranger, qui, sur le plan administratif, dépendent d'un orga-
nisme géré par le ministère des affaires sociale~.
A notre retour à Tunis, j'ai parlé à certains membres du bureau
politique de la mission qui a été confiée à Sayeh par le Président.
Tous m'ont déclaré qu'ils n'en savent rien sauf Nouira qui m'a dit
que le Président ne lui en jamais parlé mais que Sayeh l'a informé
avant son départ ajoutant : "Je sais que tu ne mérites pas cet acte
le moins qu'on puisse dire inamical à tout égard, mais je ne peux
pas arrêter une décision du Président". Il semblait affecté.
Je lui ai parlé du travail qui a été fait par la délégation de
l'U.G.T.T. au B.I.T. à Genève, en faveur des travailleurs tuni-
siens à l'étranger, et malheureusement quand Sayeh nous a avisé
de la mission dont il a été chargé, nous avons décidé de ne plus
nous occuper de ce problème dont nous comprenons toutes les
complications et les difficultés qu'il comporte, que nous avons
accepté avec la détermination de réussir et d'alléger les multiples
souffrances de nos frères. Je lui ai dit encore : "Ce Sayeh qui a été
la cause de nos malheurs en 1964 ne va-t-il pas encore reprendre
son travail diabolique pour semer la discorde, la jalousie et la hai-
ne".

126
-"Oh non ! me répond Nouira ; je ne le laisserai jamais faire çà,
d'ailleurs je vais en parler au Président".
Pendant ce temps l'U.G.T.T. se réorganise, il n'y avait pas de
grèves, mais par dès discussions nous arrivions à obtenir quelques
améliorations. Le but pour nous est de réussir par un meilleur ren-
dement dans le travail à relever le pays de la ruine où il a été plongé
durant plusieurs années. L'aide de l'U.G.T.T. au gouvernement
se traduit sous diverses formes.
Un jour dans une réunion du bureau politique Masmoudi me
demande de partir avec lui en Amérique pour demander à Geor-
ges Meany, Président des syndicats Américains de nous aider à
obtenir du blé que le gouvernement américain a refusé sous pré-
texte que le contingent qui nous a été alloué est épuisé. Je lui ai
répondu que j'ai beaucoup de travail et que je ne peux pas m'ab-
senter ; c'est alors qu'il reprend avec force, ici tu travailles pour les
ouvriers et en Amérique aussi tu travailles pour les ouvriers et tout
le peuple ; il s'agit de le nourrir. J'ai accepté et je suis parti à New
York où Irving Brown m'attendait à l'aéroport. La rencontre avec
Georges Meany a été fixée au jour suivant. Je ne l'avais pas vu
depuis bien des années, depuis l'affaire du bateau qui a pris feu
alors que j'étais à Genève au B.I.T.
Il était très content de me revoir. On a parlé du syndicalisme en
Tunisie et dans le monde, de la C.I.S.L., d'où les Américains se
sont retirés et enfin de l'objet de notre visite- un contingent de blé
-et j'ai ajouté moi-même de l'huile. Il m'a déclaré qu'il fait p~rtie
de la commission de distribution qui s'est réunie il y a très peu de
jours. Si vous me l'aviez dit avant, la question aurait été réglée,
mais je ferai tout pour vous obtenir la quantité que vous demandez
et je vous aviserai.
A New York, j'étais invité tous les soirs par les fédérations pro-
fessionnelles ; j'ai assisté et j'ai pris la parole dans des meetings
syndicaux où assistait le maire de New York qui faisait sa campa-
gne électorale.
Même pas une semaine après mon retour en Tunisie, je reçois
un télégramme de l' AFL- CIO signé Georges Mean y qui dit: "J'ai
le plaisir de vous annoncer qu'à la suite de notre intervention, le
gouvernement américain accorde à la Tunisie la quantité de blé et
d'huile que vous avez demandée".
J'ai téléphoné au Président Bourguiba et je me suis rendu auprès
de lui à la Présidence. Il était très heureux de la nouvelle, on a
parlé de mon séjour à New York, qui a été l'occasion au représen-
tant de la Tunisie aux Nations-Unies d'assister presque tous les
jours midi et soir aux nombreuses réceptions organisées par les

127.
plus importantes fédérations syndicales américaines. Ce dernier
m'a déclaré :"Je suis à New York depuis plusieurs années ; je n'ai
pas eu l'occasion de connaître ces personnalités, elles sont très
influentes dans cette ville et dans les campagnes électorales, celui
des partis qui bénéficie de leur appui est sûr de gagner".
Le Président ne m'a pas soufflé mot de la mission qu'il a confié à
Sayeh auprès des travailleurs tunisiens à Paris, et dans les autres
pays ~uropéens. Mission dont il a chargé l'U.G.T.T. peu de temps
avanr. Je me suis dit Nouira lui en a certainement parlé et si le Pré-
sident garde le silence, c'est qu'il est revenu sur sa première déci-
sion, ce qui constitue un acte inquiétant pour nous à l'U.G.T.T.,
car, compte tenu de l'appui sincère et franc que nous n'avons cessé
de manifester à l'égard du gouvernement et du parti, on s'attendait
à une véritable collaboration dans l'intérêt des travailleurs et du
pays.
Pendant ce temps, le Néo Destour renouvelle les comités de
coordination dans toutes les régions, mais les secrétaires généraux
de ces comités sont désignés pc:,,· le Parti et choisis pour la plupart
d'une autre région. Ils sont le porte parole du bureau politique.
Comme toujours, les organisations nationales patronales sont
revenues au parti après que l'U.G.T. T. ait contribué à surmonter
toutes les difficultés que le parti et le gouvernement ont eu à
affronter. Comme d'habitude, elle viennent cueillir le fruit du tra-
vail des autres et elles s,e placent en champions du patriotisme et en
protecteurs désintéressés de la cause nationale. Mais ce qui
inquiète le plus les responsables de l'U.G.T.T., ce n'est pas Sayeh
dont l'adversité pour l'U.G.T.T. devient légendaire, mais la
crainte de voir Nouira très sensible aux grands possédants- car il
est lui-même gros agriculteur- pencher vers ceux auxquels il est lié
par une identité d'intérêts.
Nous constatons déjà que dans des randonnées, il est reçu et
hébergé par les grands propriétaires, industriels, commerçants et
agriculteurs, alors que les réceptions officielles et les dîners se font
d'habitude chez le gouverneur qui dispose de tous les moyens et du
confort nécessaires.
Avec tous les efforts que nous mettons tous, la situation économi-
que s'améliore mais le coût de la vie augmente.

128
Elaboration et signature d'une convention
collective cadre '

Après de nombreuses discussions en commission supérieure


avec le ministre du travail nous avons convenu d'une augmenta-
tion du salaire horaire de 20 millimes dont les travailleurs se sont
réjouis, surtout qu'elle vient après l'arrêt du licenciement, le paie-
ment des salaires légaux et l'ouverture de nouveaux chantiers qui
ont permis de diminuer le chômage.
Ces petits résultats encouragent les travailleurs, leur donnent
confiance en leur organisation syndicale à laquelle ils adhèrent trè.s
nombreux.
A travers le pays, dans toutes les régions, se tiennent des réu-
nions de cadres présidées par un membre de l'exécutif pour les
mettre au courant du travail qui se réalise à Tunis, de nos rapports
avec le gouvernement et le parti, de nos projets économiques et
sociaux, de l'avancement des discussions sur la convention collec-
tive cadre etc ...
Dans une réunion du bureau politique Sayeh soumet un projet
de constitution de cellules professionnelles. Cela permettrait au
parti de toucher toutes les couches de la population et de doubler
le nombre de ses adhérents. Encore une idée diabolique de Sayeh
me disais-je ; il revient à l'ancienne situation d'avant les incidents
de 1965 où le parti a utilisé les cellules professionnelles contre
l'U.G.T.T. pour briser son unité et son indépendance. Je me
demàndais : Certes j'ai le droit de m'opposer mais les travailleurs
tunisiens n'ont-ils pas le droit de faire de la politique dans le Parti
unique? ·
Celà ne m'a pas empéché de dire que les causes des troubles que
nous avons connus ont été provoquées par les cellules profession-
nelles, mais maintenant que l'accord est parfait entre le Parti et

129
l'U.G.T.T., pourquoi les renouveler surtout que les travailleurs-
ouvriers ou fonctionnaires- adhèrent aux cellules des quartiers. La
totalité des membres du bureau politique ont approuvé la proposi-
tion de Sayeh y compris Nouira en donnant des prétextes qui
n'avaient pas de raisons valables. Il me semblait qu'ils se sont déjà
mis d'accord sur l'ol;ljet de notre discussion. Les membres de l'exé-
cutif de l'U.G.T.T. avisés de l'adoption de cette proposition par le
bureau politique ont été unamimes à dire que si nous le voulions
ou pas, la création des cellules professionnelles sera une source
d'ennuis pour l'U. G. T. T. Certains commencent à regretter ce que
nous avons fait pour le parti et le gouvernement et nous étions tous
d'accord pour ralentir notre enthousiasme pour l'Union Nationale
et d'être prudents à l'avenir dans tout ce que nous faisons avec le
Parti qui a donné des instructions aux secrétaires des comités de
coordinations pour exécuter immédiatement la décision du bureau
politique en ce qui concerne la création des cellules professionnel-
les. Les plaintes nous parviennent des unioris régionales de
l'U.G.T.T. de toutes les régions. Les membres du bureau des cel-
lules sont désignés et choisis parmi ceux connus par leur comporte-
ment anti-syndicaliste ou choisis par l'employeur, si ce n'est l'em-
ployeur lui-même qui est désigné à la présidence de la cellule pro-
fessionnelle. Le bureau politique avisé de cette situation a décidé
qu'à l'avenir, il n'y aura pas de membres désignés mais élus et en
présence d'un responsable de l'U.G.T.T. et d'un responsable du
comité de coordination du Parti. Ainsi nous sommes sûrs que les
élus syndicalistes ont la confiance de la base et ne peuvent de la
sorte prendre des positions anti-ouvrières.
Le travail dans ces conditions a donné un bon résultat qui ne
mécontente personne, mais les gens élus ne sont pas ceux que
Sayeh peut manœuvrer à sa guise ; alors sans tapage, il a donné
l'ordre aux secrétaires des comités de coordinations de-refaire les
cellules seules, et de placer à leur tête les hommes fidèles au parti,
ce qui veut dire des marionnettes.
Pendant ce temps, le Président Bourguiba suit un traitement à
Genève d'où il revint dans le pays en bonne santé.
A la fête du 1er Mai, célébré en présence de tous les membres
du gouvernement, un camarade propose la médaille d'or du travail
au Président que lui épinglera le camarade secrétaire général.
L'idée a été approuvée et Bourguiba avisé l'a accueillie avec
satisfaction. na voulu recevoir cette décoration à Genève au mois
de juin, il sera l'hôte d'honneur du B.I.T. où. il prononcera un dis~
cours en tant' que Chef d'Etat.

130
Alors que les travaux du B.I.T. viennent de commencer, le
ministre du travail me demande d'aller avec lui à l'aérodrome pour
recevoir Bourguiba qui va arriver. On était une dizaine de person-
nes à l'attendre. Dès qu'il m'a vu, il a presque abandonné les
autres pour discuter avec moi. Ça va Habib, me dit-il avec une
force étonnante. ·
-Ça va, ça va bien lui-dis-je.
Quel était mon étonnement de l'entendre dire :"Quand toi tu vas
bien, tout le pays va bien". Il a continué à saluer les autres person-
nes et s'en alla dans la voiture du chargé de mission à Genève.
A mon retour au B.I.T. avec le ministre du travail, celui-ci me
dit : "Habib, je n'ai pas bien entendu ce que le Président t'a dit".
-C'est un peu bizarre lui dis-je, il m'a dit quand toi tu vas bien le
pays va bien.
Le ministre du travail remue la tête et me dit : "Il t'aime bien".
-Pourvu que ça dure.
Moi je n'y crois pas, j'ai eu dans ma vie de militant avec le Prési-
dent des hauts et des bas. Pour lui je peux être aujourd'hui le meil-
leur patriote pour devenir le lendemain le plus ignoble des
citoyens et cette situation je l'ai vécue. Il suffit de ne pas accepter
une décision qui émane de lui ou du parti qui est préjudiciable à
mon organisation - ou à moi-même.
Avant la date fixée pour la réception de Bo!Jrguiba au B.I.T. le
ministre du Travail d'un côté, et les délégations nationales
U.G.T.T. U.T.I.C.A. de l'autre, avons travaillé fermement pour
le succès de la réunion qui fit salle comble. Dès son apparition à la
tribune, Bourguiba fût chaleureusement applaudi.
Le Directeur Général du B.I.T. fit un discours très élogieux pour
Bourguiba qui prend ensuite la parole - non moins applaudi.
Avant de lire son discoqrs, il s'est mis à parler pour dire qu'il est
dans son milieu au B.I.T., qu'il a envoyé ici un grand patriote et
syndicaliste Habib Achour qui porte encore les balles des colonia-
listes dans son corps etc' est grâce à lui aussi qu'il est encore en vie.
Après la lecture de son discours, qui était soigneusement préparé
par des hommes qui connaissent bien le B.I.T. et ses principes,
presque toutes les délégations se sont pressées pour le féliciter. Il
en était très heureux, il m'a tenu par la main et nous nous sommes
dirigés vers le bureau du Directeur Général qui l'attendait et après
une courte discussion nous l'avons accompagné jusqu'à la sortie
pour retourner ensuite à notre travail dans les commissions au
B.I.T. ou à la plénière.
Durant toute la période jusqu'à la fin de la conférence, j'allais
.avec le ministre du travail voir le Président en repos en Suisse une

131
fois par semaine. Il disait toujours : Ce sont les travailleurs qui
nous feront gagner la bataille économique et c'est sur moi qu'il
comptait pour réaliser ce devoir sacré. C'est peut-être pour ça et
avec ces idées en tête qu'il m'a dit à l'aéroport: "Quand toi tu vas
bien le pays va bien".
A Genève, la délégation tunisienne profite de l'occasion pour
discuter dans une commission d'experts du B .1. T. de la convention
collective cadre dont on parle déjà depuis assez longtemps à Tunis
et dont les travaux ont bien progressé. C'est le 20 Mars 1973 qu'un
accord a été réalisé et la convention collective cadre a été signée.
Son préambule la présente en ces termes :

« L'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l' Artisa-


nat (U. T. I. C.A.) représentée par son président Monsieur Ferj ani
BEL HADJ AMMAR
d'une part.
et l'Union Générale Tunisienne du Travail (U.G.T.T.) représen-
tée par son Secrétaire Général, Monsieur Habib ACHOUR
d'autre part.

Les deux parties,


Convaincues de la nécessité de fonder les relations de travail entre
les employeurs et les travailleurs relevant de leurs organisations
respectives sur des bases saines et rationnelles,
Soucieuses de promouvoir la paix sociale et d'éviter les conflits
collectifs préjudiciables à l'intérêt bien compris de tous les intéres-
sés,
Persuadées de la valeur constructive d'un dialogue libre entre les
employeurs et les travailleurs dans le respect de l'intérêt de la col-
lectivité toute entière, en vue de résoudre toutes les difficultés qui
peuvent survenir dans leurs relations professionnelles, et cela par
une participation de toutes les parties,
Désireuses d'œuvrer pour le progrès économique et social qui
constitue l'objectif primordial des deux organisations, comme il
est aussi le souci majeur de tous les responsables du pays,
Affirmant leur commune détermination d'œuvrer en vue du déve-
loppement de la production économique et d'une juste répartition
du revenu national,
Garantissant aux travailleurs l'amélioration de leur niveau de vie
et une part équitable dans les revenus des entreprises en fonction
de l'expansion de la production et de l'accroissement de la produc-
tivité,
S'engagent à agir conjointement pour arriver à déterminer ies

133
rémunérations des travailleurs sur une base conventionnelle
compte dGment tenu des données de l'économie nationale et en
fonction des résultats des entreprises et de la conjoncture,
Affirment leur commune détermination d'améliorer le niveau de
vie des travailleurs et leurs conditions de travail notamment :

a) Par l'institution d'encouragements à la productivité et d'ac-


cessoires de salaires. Les rémunérations doivent être fixées d'un
commun accord compte tenu, d'un salaire minimum de croissance
établi sur la base du coût de la vie et en fonction de la spécialisation
des travailleurs et des normes de production.
b) Par la rationalisation et le développement de la formation
professionnelle, par la fixation d'un commun accord d'une classifi-
cation professionnelle tenant compte de la spécialisation effective
des travailleurs, ainsi que par le classement individuel des travail-
leurs dans les différentes catégories professionnelles, dans le souci
de favoriser la carrière des travailleurs et leur promotion dans les
catégories supérieures,
c) Par l'amélioration des conditions de travail en particulier, par
l'allongement des congés annuels payés, l'augmentation du nom-
bre des jours fériés chômés et payés, par le développement de l'hy-
giène et de la sécurité du travail.
d) Par le développement des œuvres sociales en vue de promou-
voir le bien être au profit des travailleurs et de leurs familles,
e) Par le développement de la sécurité sociale impliquant
notamment l'extension des prestations sociales et se traduisant par
la création ou l'amélioration des régimes couvrant les différents
risques sociaux, comme la vieillesse, l'invalidité, la maladie et le
décès.

En vue de réaliser ces objectifs, les deux parties ont conclu la


convention collective cadre ci-après et s'engagent en même temps
à donner corps dans les différentes conventions particulières aux
principes ci-dessus énoncés.
Les dispositions des conventions particulières ne peuvent être
moins favorables que celles de la convention cadre, èt aucune
convention collective présente ou à venir ne peut être révisée sans
l'accord préalable des deux parties.
En cas de désaccord sur ce point, il sera fait appel à l'arbitrage dans
les conditions prévues aux articles 3 et 4 de la convention cadre ».
Les deux premiers articles de cette convention qui en comporte 52
sont:

134
"Article Premier: Objet de la convention

La présente convention conclue dans l'esprit du préambule ci-


dessus et en application de la législation en vigueur a pour objet de
traiter dans un seul document des questions qui constituent le
contenu habituel des conventions collectives.
Elle constitue pour chaque branche d'activité la base pour l'éta-
blissement de conventions collectives particulières.
Dans le cadre des dispositions générales de la présente conven-
tion, des dispositions spéciales à chaque branche d'activité pour-
ront être prévues dans les conventions collectives particulières.

Article 2: Champ d'application professionnel et territorial

La présente convention régit sur l'ensemble du territoire de la


République Tunisienne, les rapports entre les Employeurs et les
Travailleurs occupés d'une façon permanente dans les activités
non assujetties aux dispositions du Code du Travail objet de la loi
n° 66/27 du30 Avril1966.
Les travailleurs permanents sont ceux qui sont recrutés pour
une durée indéterminée et qui ne sont pas employés pour exécuter
· des travaux occasionnels ou accidentels.
La situation des travailleurs temporaires sera étudiée par bran-
che d'activité, à travers les conventions collectives particulières."

L'après midi du jour au cours duquel a eu lieu la signature de la


convention collective cadre, lors d'une grande cérémonie au
Ministère du Travail, l'exécutif de l'U.G.T.T. s'est réuni durant
plus de six heures. Nous étions tous d'accord que nous avons
accompli une belle réalisation qui n'est pas la perfection, mais qui
nous permettra de faire beaucoup de nouvelles conquêtes sociales
si nous savons nous préparer pour les réaliser. Nous avons longue-
ment parlé des voies à suivre, des méthodes et moyens à employer
pour aboutir au meilleur résultat possible.
Quant à la commission administrative élargie elle s'est tenue
moins d'une semaine après la signature de la convention collective
cadre. Cette C.A. B. qui a siégé pendant plus de temps que d'ordi-
naire a pu dégager la détermination de tous les membres à se pré-
parer à'un travail gigantesque et qui touchera tous les secteurs de
l'activité économique dépourvus de conventions collectives secto-
rielles.
La C.A.E. a décidé l'envoi en Suisse, au B.I.T., à la C.I.S.L.,
aux syndicats beiges et français, de nombreux camarades, les plus

135
aptes et les plus qualifiés pour se documenter sur les modèles de
conventions collectives sectorielles et particulières et aussi sur
l'étude du S.M.I.G. et de sa détermination. La C.A.E. a décidé
aussi la tenue de meetings à travers le pays pour expliquer aux syn-
dicalistes la valeur de cette réalisation et le travail qui les attend
pour les discussions des conventions collectives. La télévision ne
cesse de présenter, employeurs, syndicalistes ouvriers et responsa-
bles des affaires sociales donnant leur point de vue sur cette réali-
sation.
Les négociations des conventions collectives

La situation avant la parution du décret du 26 Mai 1973 :

A mon retour àl'U.G.T.T. en 1970, il n'y avait pas possibilité de


négocier librement les conventions collectives, car la législation du
travail en vigueur à cette époque interdisait toute négociation en
matière de salaire et de classifications professionnelles. Les quel-
ques conventions qui existaient à cette date étaient conclues dans
le cadre du décret .du 4 Août 1936. Elles étaient par conséquent
très anciennes et largement dépassées. D'autre part en raison du
développement économique intervenu dans le pays, plusieurs
nouvelles branches d'activités ont vu le jour et ne se trouvaient pas
couvertes par des conventions collectives. En l'absence de tels ins-
truments juridiques, il n'existait pas au sein de ces nouvelles bran-
ches d'activité de classifications professionnelles communes à cha-
cun de ces secteurs d'activité.
D'ailleurs même les autres branches d'activité ont connu une
évolution évidente et il fallait que les anciennes classifications pro-
fessionnelles qui s'y rapportaient fussent révisées et complétées.
Cette situation résultait des textes pris initialement le 5 Novembre
1949 inspirés par la politique de dirigisme économique qui a pré-
valu après la 2ème guerre mondiale.
En 1966, lors de la promulgation du code du travail, ces mêmes
dispositions ont été maintenues et codées sous les numéros 54 et
52. Sur le plan de la législation il y avait un paradoxe, car malgré
que la Tunisie ait ratifi'é le 5 Avril 1957 ia convention internatio-
nale n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation, la législa-
tion nationale n'a pas été harmonisée en fonction de cette conven-
tion internationale et a continué à faire entrave à la libre négocia-
tion.

137
En ce qui concerne les personnes régies par des statuts, la situa-
tion n'était guère meilleure, les statuts particuliers des personnels
des services publics administratifs et assimilés ainsi que ceux des
personnels des offices et des sociétés nationales, prévus par les lois
parues en Juin 1968 sous les numéros 68/12 et 68/13 n'avaient pas
encore été négociés et publiés. Tout cela présentait de gros incon-
vénients pour les travailieurs et il était difficile de pouvoir instau-
rer, dans ces conditions, un climat de compréhension et de coopé-
ration au sein de l'entreprise. Dans de nombreuses entreprises, la
majorité des travailleurs étaient classés simplement c·omme
manœuvres sans qu'il soit tenu compte de la nature du travail
effectué. Il y avait aussi une très faible différence entre la paye
d'un ouvrier ancien et celle d'un nouveau ; pour toute récompense
de sa fidélité à l'entreprise l'ouvrier ancien percevait l'indemnité
qui lui était allouée par le code du travail à savoir Od500 millinies ·
par mois après chaque tranche d'ancienneté de 5 ans. Il fallait, par
conséquent engager une action en vue d'amender la législation et
de supprimer les limitations en matière de négociations collecti-
ves, de manière à ce que les conventions puissent remplir valable-
ment leur fonètion originelle comme facteur de développement
économique et de progrés social et de jouer pleinement leur rôle
dans l'unification des règles relatives aux conditions de travail, aux
salaires et aux classifications professionnelles pour chaque secteur
d'activité.
L'U.G.T.T. av~lit multiplié les démarches auprès de
l'U.T.I.C.A., en vue de parvenir à la conclusion d'un accord col-
lectif cadre par lequel les .deux organisations devaient exprimer
leur volonté commune d'œuvrer pour la suppression des restric-
tions dans les négociations tout en définissant des règles commu-
nes à la conclusion des conventions sectorielles. A cet effet, plu-
sieurs séances de travail ont été tenues à partir de Mai 1972 avec les
représentants de l'U.T.l.C.A. ; elles se sont déroulées tantôt dans
les locauxdel'U.G.T.T., tantôt au siègedel'U.T.I.C.A. D'autres
réunions ont eu lieu à Genève à l'occasion de la conférence inter-
nationale du travail en présence de représentants du ministère des
affaires sociales et du B.I.T. Ces négociations ont été souvent très
serrées et la rédaction définitive de certains articles a exigé de
nombreuses séances de travail. Finalement un accord fut réalisé et
la convention collective cadre a été signée à Tunis le 20 Mars 1973
au cours d'une cérémonie solennelle. La conclusion de cette
convention fut saluée comme un tournant remarquable dans les
rapports entre les deux organisations. Cet accord collectif donnait
une orientation nouvelle aux principes devant régir les relations de

138
travail entre employeurs et salariés et soulignait la nécessité de
promouvoir les conditions de vie et de travail des travailleurs.

La situation après la parution du décret du 26 Mai 1973 :

L'action entreprise en vue d'obtenir une modification de la


législation afin de la rendre plus adaptée aux exigences de l'heure
n'a pas tardé à porter ses fruits. C'est ainsi qu'un décret paru le 26
Mai 1973 a levé les restrictions en matière de négociation, un
arrêté du premier ministre du 29 Mai 1973 a fixé la composition de
la Commission Consultative des conventions collectives et un
arrêté du 29 Mai 1973 du ministre des affaires sociales a porté agré-
ment de la convention collective cadre signée le 20 Mars 1973.
Etant donné que le décret du 26 Mai 1973 a subordonné la liberté
de négociation de salaires à la fixation d'un SMIG (salaire mini-
mum interprofessionnel garanti) des pourparlers ont été engagés
avec le gouvernement en vue d'activer la formation d'une commis-
sion compétente devant formuler des suggestions en cette matière.
Une commission ad-hoc fut constituée par la suite et a siégé au
ministère de l'économie nationale. Les représentants de
l'U.G.:r.T. qui ont participé à cette commission ont joué un role
très important pour défendre le point de vue des travailleurs. Ils
ont souligné que pour la détermination des S.M.I.G., il fallait
prendre en considération les besoins réels d'une famille tuni-
sienne et ne pas se baser seulement sur l'étude présentée par le
ministère concerné qui s'appuyait sur les résultats d'une recherche
qui se limitait à une observation de la consommation effectuée en
1968, car cette dernière approche faussait le problème et ne P"U-
vait pas amener à une estimation correcte des besoins essentiels
d'une famille tunisienne composée de deux conjoints et de trois
enfants au moins. Les arguments présentés par les représentants
du gouvernement ayànt fait ressortir que les possiblités du pays, en
1973, ne permettaient pas de fixer un salaire minimum garanti
conforme au critère suggéré, l'U.G.T.T. fit alors remarquer que
les méthodes qu'elle proposait ne devaient pas être perdues de vue
et devaient être considérées comme un objectif à atteindre dès que
les possibilités du pays le permettraient. Après de longues négo-
ciations et des interventions auprès du Président de la République
a
et du premier ministre, le S.M.I.G. été fixé à 130 millimes.
l'heure à compter de Janvier 1974 soit une augmentation de l'ordre
de20%.
Le salaire minimum agricole garanti a été porté à partir de la
même date de 600 millimes à 800 millimes la journée soit 33%

.139
-
d'augmentation. Signalons en passant que le S.M.I.G. est passé à
145 millimes l'heure le 1er Juin 1975 et à 193 millimes l'heure le 1er
Février 1977, tandis que le S.M.A.G. est passé de son côté à 900
millimes puis à 1,200 aux dates sus indiquées. Après la fixation du
S.M.I.G., la voie était ouverte pour entreprendre des négocia-
tions au niveau sectoriel et ce fut l'accomplissement de l'œuvre la
plus gigantesque jamais réalisée par 1'U. G. T. T., à savoir la négo-
ciation et la conclusion des conventions concernant tous les sec-
teurs d'activité. C'est un travail colossal et de longue haleine que
les cadres syndicaux ont affronté avec courage et détermination. Il
a nécessité la préparation d'une documentation abondante qu'il
fallait mettre à la disposition des formations syndicales et la mise
en place de structures adéquates pour amener à bien les négocia-
tions.l'exécution de ce travail a exigé dela part de la Centrale Syn-
dicale, une coordination et un suivi à la fois constants et vigilants.
Ceux qui ont exprimé des doutes quant au succès de cette opéra-
tion, n'ont pas caché leur admiration lorsque ces secteurs ont com-
mencé à fonctionner avec une régularité remarquable. Il fallait au
début définir des règles générales et des principes communs à tou-
tes les conventions, ensuite élaborer des règles particulières à cha-
que branche d'activité. Le travail relatif à la détermination des
classifications professionnelles fut le plus laborieux. Ce travail
n'ayant jamais été réalisé par le passé, il fallait réunir par consé-
quent lès éléments nécessaires pour chaque secteur d'activité d
constituer des cellules de travail composées de cadres syndicaux
ayant la compétence nécessaire pour débattre efficacement de ces
questions avec les délégués désignés par l'U.T.I.C.A. Ce fut une
grosse besogne. Il y a eu certes des difficultés et des litiges qui ont
donné lieu parfois à des arrêts de travail, mais, dans l'ensemble,
l'opération a été menée dans un climat satisfaisant. Ce fut une
belle œuvre dont l'U.G.T.T. peut s'énorgueillir et qui a contribué
à donner à la Tunisie, à cette époque, une image de marque au sein
des organisations internationales du travail.
L'U.G.T.T. n'avait pas manqué de requérir l'intervention des
hautes autorités du pays, chaque fois qu'il était nécessaire et des
réunions ont eu lieu à cet effet à divers échelons pour aider à résou-
dre les difficultés rencontrées dans ce domaine. Le Chef de l'Etat
a présidé personnellement une réunion le 24 Juillet 1974 consacrée
à l'assainissement du climat social et qui a groupé les membres du
bureau politique et des bureaux exécutifs de l'U.G.T.T. et de
l'U.T.I.C.A. Cette réunion se situait dans le sens des efforts
déployés en vue d'activer la conclusion des conventions collecti-
ves. J'étais tenu régulièrement informé de l'avancement des né go-

140
ciations par le membre du bureau exécutif chargé de la législation
des conventions collectives et des statuts et aussi par les membres
des fédérations professionnelles chargés de.s négociations des
conventions en cas de difficulté.
La Centrale Syndicale accordait un intérêt considérable à la
réussite de cette opération. Des réunions presque quotidiennes se
tenaient à divers niveaux des formations syndicales. Les fédéra-
tions professionnelles étaient souvent réunies dans mon bureau en
présence du membre de l'exécutif chargé de la législation pour
débattre des questions intéressant toutes les fédérations et pour
constater l'avancement des travaux en ce qui concerne chaque sec-
teur. L'action à entreprendre pour venir à bout des difficultés ren-
contrées était arrêtée au cours de ces réunions.
Le bureau exécutif était étroitement associé à la mise en œuvre
des travaux intéressant les négociations. A chaque réunion du
bureau exécutif, un rapport était présenté à ce sujet et le point
était fait sur la situation à l'égard du secteur privé, du secteur éta-
tique et du secteur semi-étatique.
En Juin 1974, il n'y avait pas encore de conventions collectives
sectorielles signées. Pour les conventions en cours de discussion,
on se heurtait à certains problèmes parmi lesquels celui-relatif à la
date d'effet. Les délégués de l'U.G.T.T. et de l'U.T.I.C.A pré-
sents à Genève en Juin 1974 à l'occasion de la tenue de la Confé-
rence Internationale du Travail ont mis à profit leur séjour dans
cette ville pour débattre de ces problèmes et l'accord était réalisé
pour retenir la date du 1er Juin 1974 comme date d'effet des
conventions en cours de discussion. Ce fut finalement le 26 Juillet
1974 que les premières conventions ont été signées. Elles étaient
au nombre de quatre et intéressaient les secteurs des textiles, de
l'imprimerie, de la construction métallique ainsi que celui de
l'électricité et de la mécanique générale. La date d'effet retenue
pour ces conventions est celle du lér Juin 1974 comme celà a été
mentionné plus haut. Le premier train de conventions signées
aurait pu comporter plus que quatre conventions. Il y avait certes
d'autres conventions en voie d'achèvement, mais on ne voulait pas
retarder davantage le démarrage de la conclusion des conventions.
Après ces quatre conventions, ce fut le tour de six autres qui
étaient signées par les parties intéressées le 16 Janvier 1975.
Elles comportaient la même date d'effet que les précédentes. Il
s'agit des conventions intéressant les secteurs suivants : Industrie
des cuirs et peaux, Bâtiments et Travaux publics, boissons gazeu-
ses non alcoolisées sirops et eaux minérales, torréfaction, pâtes

141
alimentaires et couscous et enfin commerce du pétrole et tous ses
dérivés.
Durant les premiers jours de l'années 1975, le travail s'était
intensifié au sein des commissions car les travailleurs qui n'étaient
pas encore couverts par les conventions avaient montré une hâte à
voir paraître au Journal Officiel de la République Tunisienne
(J.O.R.T.) les conventions collectives qui leurs sont applicables
de manière à pouvoir bénéficier rapidement des nouveaux avanta-
ges qu'elles comportent. Le 29 Avril 1975, il y a eu la conclusion de
dix autres conventions ; il s'agit des branches d'activités suivan-
tes :·hôtellerie, chaussure, bonneterie et confection, confiserie,
conserves, ports et docks, industrie laitière, industrie et commerce
des boissons alcoolisées, industrie des matériaux de construction
· et enfin savonneries raffineries et extraction des huiles de gri-
gnons.
Durant le second semestre de l'année 1975 et au cours de 1976,
quatorze autres conventions ont été signées. Parmi les plus impor-
tantes figurent celles afférentes aux Banques et Etablissements
financiers, aux Assurances, à la Boulangerie, aux Fonderies, etc ...
Avant l'ouverture du XIVe-congrès national de l'U.G.T.T. qui
s'est tenu à Tunis le 24,25, 26 et 27 Mars 1977, le nombre total des
conventions collectives signées s'élevait à 34 ; ce chiffre ne com-
porte pas les conventions d'établissement. En ce qui concerne les
statuts des offices et des sociétés nationales, presque le même
mécanisme a étémis en place pour l'élaboration des projets et leur
discussion avec les parties concernées.
Au moment de la tenue du XIVe Congrès National, le nombre
de statuts approuvés soit par décret, soit par lettre du premier
ministre ou de département de tutelle, s'élevait à 74.

Principaux avantages contenus dans les conventions collectives :

Dans le domaine des salaires, l'U.G.T.T. avait proposé l'amé-


nagement d'une grille unique devant englober tous les salariés du
secteur d'activité considéré, qu'ils soient ouvriers, agents adminis-
tratifs, de maîtrise ou cadres supérieurs. Cette proposition fut
finalement retenue et la grille en question prévoyait une évalua-
tion horizontale à l'ancienneté et une évolution verticale afférente
aux diverses questions professionnelles.
Signalons à cet égard, qu'après 1' entrée en vigueur des nouvelles
conventions collectives, il y a eu la constitution de commissions
paritaires de classement, lesquelles devaient opérer la transposi-
tion dti personnel de l'entreprise dans la nouvelle grille des salaires

142
en fonction de l'emploi occupé. Des améliorations importantes
ont été réalisées au profit des travailleurs à la suite de ce reclasse-
ment. Il convient de mentionner à ce propos et seulement à titre
d'exemple que bon nombre d'ouvriers qui étaient payés sur la base
d'un salaire de simple manœuvre ont obtenu à la suite de cette
transposition l'échelle, leur revenant compte tenu de l'emploi
qu'ils occupaient.
Il en résulte pour ces ouvriers une amélioration appréciable
dans leurs traitements d'autant plus que l'octroi des échelons d'an-
cienneté a joué également au moment de la transposition dans la
nouvelle grille de salaires. Les conventions collectives ont institué
par ailleurs, de nombreuses indemnités variant selon les catégories
professiomielles. Une prime de fin d'année a été généralisée de
même qu'une prime dè rendement calculée sur la base d'une note
professionnelle avec un minimum de prime garanti. Une indem-
nité de transport a été généralisée à toutes les conventions collec-
tives. Les jours fériés chômés et payés ont été augmentés et des
congés spéciaux pour raison de famille ont été envisagés. Les
congés payés annuels ont été augmentés avec un minimum de 18
jours ouvrables par an, alors que le Code du Travail n'en prévoyait
que 12 jours. Des garanties ont été obtenues quand à l'exercice du
droit syndical au sein de l'entreprise et des panneaux ont été amé-
nagés pour l'affichage de communiqués syndicaux. Les délégués
syndicaux ont été protégés contre les mutations arbitraires dont ils
pouvaient être menacés. Des solutions ont été préconisées pour
régler la situation des ouvriers temporaires dans plusieurs secteurs
d'activité. Les sanctions disciplinaires ont été règlementées, le
nombre d'heures de travail par semaine a été arrêté en même
temps qu'étaient majorées les heures de travail de nuit et celà dans
la plupart des secteurs.
Des améliorations ont été introduites dans l'octroi des tenues de
travail et de protection. Dans plusieurs secteurs, des mutuelles
d'assurance et des fonds soc1aux ont été créés à l'effet de remédier
à bon nombre de problèmes. Les ouvriers des ports et docks ont
obtenu entre autres une indemnité de garantie pour les journées
sans travail. La convention collective du Bâtiment a énoncé le
principe de la créatiÔn d'une caisse destinée à indemniser les tra-
vailleurs du bâtiment, en cas d'interruption de travail, pour d~s
raisons atmosphériques. Il est souhaitable de voir cette clause
entrer en application afin que les ouvriers du Bâtiment ne soient
pas privés de leur salaire en cas d'interruption.

143
Principales améliorations apportées par les statuts : Statuts par-
ticuliers régis par la loi 68/12 (fonctionnaires et assimilés) :

Les efforts déployés pour l'amélioration de la situation de cette


catégorie d'agents de l'Etat ont été multiples, l'action fondamen-
tale a été dirigée dans le sens de l'harmonisation des salaires et la
revalorisation du point d'indice sur la base de la fixation de la
valeur d'un point d'indice uniforme pour ..toutes les catégories.
Depuis 1954, la valeur du point d'indice était restée figée ; d'ail-
leurs les augmentations intervenues depuis 1956 constituaient des
sommes globales qui venaient s'ajouter au traitement principal
sans incidence sur la valeur du point d'indice. Le décret du 3 Juin
1975 fixant les traitementsglobaux visait essentiellement à simpli-
fier et harmoniser le système de rémunération et assumer égale-
ment une augmentation pour les traitements modestes, trois
valeurs marginales correspondant à trois paliers d'indices ont été
préconisés, dans un premier temps, et concernaient l'ensemble de
la grille indiciaire. Les ouvriers de l'Etat et des collectivités publi-
ques qui étaient défavorisés par rapport aux autres agents de
l'Etat, ont vu leur situation s'améliorer nettement après la publica-
tion de leur statut particulier applicable à compter du 1-7-1973.
Ce statut leur a apporté entre autres les améliorations suivan-
tes : Titularisation de tous les ouvriers ayant plus d'un an de servi-
ce, fixation d'une valeur de point d'indice, mensualisation de tous
les ouvriers et agents de l'Etat, attribution d'une prime de salaire
unique, amélioration du tableau de classification et du tableau
d'avancement. Le texte sus-visé, bien qu'il ait amélioré la situation
des ouvriers a permis également de régulariser des situations parti-
culières dans certains départements tels que l'Education Nationale,
l'Agriculture, l'Equipement, les P.T.T. , etc ....
D'autres textes avaient institué d'ailleurs des primes au profit de
certaines catégories de fonctionnaires telle décret du 25/4/75 rela-
tif à l'octroi de primes d'étude, de logement et de transport. Signa-
lons enfin qu'au début de 1977, des réunions se sont tenues au Pre-
mier Ministère en vue d'entreprendre l'aménagement d'un sys-
tème qui doit tenir compte des objectifs d'harmonisation des salai-
res et d'un programme d'action approprié. D'importantes déci-
sions ont été prises au cours de ces réunions, l'incidence globale
des mesures envisagées a été échelonnée dans la réalisaiton sur 3
ou 4 ans selon les catégories des agents de l'Etat et des collectivités
publiques locales.

144
Statuts des Personnels des Offices et Sociétés Nationales régis par
la loi n° 68/13 :

Pour cette catégorie d'agents, l'élaboration de projets de statuts


et leur négociation avec les départements concernés a constitué
pour l'U.G.T.T. une œuvre très importante en raison du nombre
considérable d'organismes concernés par cette opération. A la dif-
férence.des conventions collectives qui, d'après la législation en
vigueur devaient être négociées entre organisations ouvrières et
patronales, les statuts particuliers des personnels régis par la loi 68/
13·étaient discutés directement avecles organismes intéressés ainsi
qu'avec le département de tutelle.
Lorsque de grosses difficultés étaient rencontrées, les discussions
se poursuivaient le plus souvent au niveau du premier ministère.
Ces statuts particuliers traitaient de toutes les questions relatives à
la rémunération des agents et à leurs conditions de travail. Les réa-
lisations accomplies dans ce domaine sont substantielles et consti-
tuent un acquis appréciable' ayant donné lieu à une amélioration
sensible de la condition des ouvriers et employés de ces organis-
mes. Il y a eu entre autres la généralisation de la grille des salaires
avec une évolution horizontale et verticale, du 13è mois et de la
prime de rendement. Dans plusieurs entreprises, la durée du
congé payé a été augmentée, les primes et les indemilités amélio-
rées, et l'institution de l'assurance groupe a donné lieu à dës avan~
tages supplémentaires à ceux prévus par le régime général de la
sécurité sociale.
Il faut mentionner également que dans la plupart des cas l'appli-
cation de ces statuts a été effectuée avec un effet rétroactif accom-
pagnée d'un reclassement des agents compte-tenu· des nouveaux
tableaux de classification professionnelle.

*
* *
L'évolution des conventions et des statuts et leur négociation a
. donné l'occasion aux cadres syndicaux de participer activement à
cette œuvre historique dans la vie de la centrale syndicale. L'en-
thousiasme et la compétence qu'ils ont montrés pour mener à
bien cette importante et délicate opération, ont élevé l'U.G.T.T.
au niveau des organisations syndicales des pays les plus avancés.
Comme cela a été expos'é plus haut, les conventions et les statuts
ont apporté des améliorations pour les travailleurs et contribué
dans une large mesure à asseoir les relations de travail sur des

145.
bases convenables, mais ils comportent cependant quelques insuf-
fisances qu'il faudrait régulariser. Pour leur conserver leur effica-
cité, il est nécessaire de les réviser périodiquement afin de les ren-
dre plus actuels. J'estime pour ma part que, si le résultat du travail
du département économique et social de I'U.G.T.T. peut être
qualifié pour un premier travail de très bon, le mérite revient à la
bonne direction de ce département et ensuite à l'esprit des syndi-
calistes libres qui collaborent courageusement et franchement.
Cet esprit a été à l'origine des succès dans les autres département!
de I'U .G .T.T. que je vais exposer brièvement.

146
Le renforcement de l'organisation intérieure
de I'U.G.T.T.

Tout travailleur tunisien est aujourd'hui en droit d'être fier des


importantes réalisations et des immenses acquis accumulés par
l'Union Générale Tunisienne du Travail, dans tous les domaines,
sur tous les plans tant intérieur qu'international ainsi que de l'ex-
cellente réputation dont jouit l'U.G.T.T. dans tous les milieux.

- Les structures syndicales :

L'Union Générale Tunisienne du Travail est sortie renforcée de


son XIIIe Congrès, eu égard au rétablissement de la confiance sin-
cère et effective engagée en vue de réaliser les objectifs et les aspi-
rations de l'U. G. T. T. La première action entreprise par la suite, a
consisté en la consolidation et l'organisation des structures syndi-
cales, en la coordination entre les différentes formations, en la
sensibilisation syndicale des travailleurs dans tous les secteurs éco-
nomiques, partant dans le pays et en l'élimination de la chape alié-
nante qui pesait sur les travailleurs et de l'oppression qui étouffait
leurs libertés syndicales lors de la fameuse période qui avait failli
conduire la Tunisie au néant. Grâce à la prise de conscience popu-
laire, à l'activité intense déployée et à la compréhension manifes-
tée envers leurs besoins, les travailleurs, qu'ils soient intellectuels
ou manuels, rejoignent les rangs de la centrale syndicale pour
qu'elle les protège contre toutes les éventualités et tous les risques,
à telle enseigne que les syndicats englobent90% des travailleurs et
parfois 100%, dans certaines entreprises. Il en est résulté une mul-
tiplication sensible des formations syndicales de base, et des for-
mations nationales, générales et régionales, au point que l'action
de l'Union couvre désormais tout le territoire national, aussi bien

147
dans l'entreprise que dans l'atelier, la ferme ou les différents servi-
ces, sections et administrations. Tant et si bien qu'on peut affirmer
qu'il n'existe plus un seul secteur dans le pays, qui n'ait pas un syn-
dicat. En effet, l'on compte alors près de 4.000 syndicats de base.
Ce qui a nécessité la création d'autres unions locales au niveau de
chaque délégation, à l'effet de regrouper à l'échelon local des syn-
dicats de base et de veiller sur les intérêts des travailleurs.
Face à l'accroissement des activités dans les différents domaines
et secteurs économiques, l'U.G.T.T. a du créer d'autres forma-
tions (fédérations et syndicats généraux) afin d'accorder une
attention accrue aux problèmes et aux aspirations des travailleurs.
Ces nouvelles structures sont :
- La fédération générale des textiles, des vêtements et des chaus-
sures : 31 Août 1975.
-Le syndicat général de la sécurité sociale :le 31 Août 1975.
-Le syndicat général de l'artisanat: le 31 Août 1975.
-Le syndicat général des ports tunisiens :le 22 Novembre 1975.
-Le syndicat général de la R.T.T. :le 25 Juin 1976.
-Le syndicat général de l'éducation physique et des sports: le 19
Mai 1974.
En outre, chaque fois que s'est opérée une réorganisation admi-
nistrative de certaines régions du pays, dans le sens de la politique
de décentralisation, l'U. G. T. T. a toujours été parmi les premières
structures nationales à créer une Union Régionale dans la zone
concernée. C'est ainsi qu'ont été créées les Unions Régionales ci-
après:
-L'Union Régionale du Travail de Sidi Bouzid, 7 Mars 1974 ;
-L'Union Régionale de Siliana, 20 Mars 1975 ;
-L'Union Régionale de Mahdia, 9 Mars 1975 ;
-L'Union Régionale de Monastir, 15 Décembre 1975.
De surcroit, l'Union veille au contrôle des activités de toutes les
formations et à leur assistance, en cas de nécessité, pour l'élimina-
tion de toutes les difficultés qu'elles peuvent rencontrer, de temps
à autre. Cela constitue pour notre organisation une action parfai-
tement normale et nous évite les complications qui peuvent surgir
d'un pourrissement pour négligence ou inattention.
Les responsables à tous les niveaux de l'U. G. T. T. se dépensent
à qui mieux pour aider les nombreux nouveaux venus à' notre cen-
trale syndicale, ils les accueillent avec un esprit de fraternité et de
camaraderie profondément sincères qu'ils n'ont jamais sentis
auprès des partis politiques ou même auprès de leurs familles. Ce
qui les met à l'aise pour comprendre l'activité syndicale, ses buts
immédiats et lointains. Conformément aux dispositions du statut

148
et du règlement intérieur de l'U.G.T.T., les structures syndicales
(syndicat de base -les sections fédérales -les syndicats généraux et
nationaux - les fédérations générales et nationales - les Unions
régionales etlocales) sont renouvelées dans les délais fixés, selon un
calendrier établi par la commission administrative de l'U.G.T.T.
Pour les Unions régionales, les fédérations et les syndicats géné-
raux et nationaux, leurs congrès sont supervisés par les membres
de l'exécutif. Quant au renouvellement des autres formations, il
s'effectue également sur la base d'un programme convenu à
'l'avance entre l'Union régionale et la formation générale ou natio-
nale concernée, qui est tenue de désigner ses représentants au con-
grès de la fédération.
Ces congrès se sont distingués par l'enthousiasme et la discipline
qui les ont marqués et qui ont illustré un esprit authentiquement
syndical, une démocratie véritable et une cohésion totale entre
toutes les catégories de travailleurs, lesquels ont fait part de leur
volonté de défendre notre liberté et nos nobles principes que nous
avons acquis au prixde tant de sacrifices et combien de sang versé
pour atteindre les objectifs et les acquis innombrables dont nous
jouissons aujourd'hui. Il convient de noter, par ailleurs, que cer-
taines formations ont été contraintes de tenir des cpngrès extraor-
dinaires, à la suite de l'apparition de litiges entre leurs membres;
carence dans l'accomplissement du devoir syndical, déviation par
rapport aux principes de l'Union etc ... Il s'agit des formations sui-
vantes:

Formation Date légale du Date du congrès


Congrès extraordinaire

Fédération nationale
dela santé 21, 22, 23 juillet 72 20Mai 1975
Fédération nationale
de l'agriculture 7 Décembre 1974 6 Décembre 1975
Syndicat Ens. Primaire 10Avril1976 13 Avril1974
Syndicat Ens. Secondaire 1Avril1975 29 Avril1976
Syndicat Ens. Technique
et professionnel 11 Avril1975 15 Janvier 1977
Union Régionale de
Sousse 30Mars1975 28Décembre 1975
Union Régionale de
Siliana 4 Juillet 1975

149
..:. Les grèves :
Au cours des années 1975 - 1976 - 1977, un accroissement du
nombre des grèves a été constaté dans plusieurs entreprises indus-
trielles et agricoles à travers le pays. De nombreux conflits ont
surgi par suite de malentendus au sein des entreprises entre
ouvriers et directions, surtout en ce qui concerne les entraves à
l'exercice du droit syndical, la protection sanitaire des travailleurs,
la lenteur excessive dans l'application des lois et des conventions
collectives approuvées et ratifiées. Dans l'ensemble, les résultats
obtenus par les ouvriers à la suite des grèves ont été positifs, grâce
à la fermeté et à la détermination des cadres syndicaux, à la vigi-
lance de l'Union, à la cohésion des rangs des travailleurs et à la
conjugaison des efforts au niveau national. Il est à signaler à cet
égard que l'U.G.T.T. est convaincue et rappelle que la grève est
un droit légal indiscutable, indispensable à la bonne marche du
syndicalisme libre.
Sa légitimité est reconnue aux termes mêmes de la constitution de
· notre pays, pour la protection des acquis et des droits moraux et
matériels des travailleurs.
Convaincue de la légitimité de ce droit syndical sacré, l'Union a
cautionné lfi plupart des grèves, s'est dressée aux côtés des travail-
leurs et leur a apporté toute son aide matérielle et morale jusqu'à
la conquête de leurs droits légitimes spoliés par un patronat qui se
veut intraitable.
Comme nous l'avons affirmé à maintes reprises, le droit de
grève ne peut être exercé qu'après l'échec des moyens pacifiques,
tels le dialogue entre ouvriers et chefs d'entreprises, le recours à
l'arbitrage par l'inspection du travail d'abord et ensuite au plus
haut niveau gouvernemental, et celà par souci du maintien et de la
protection de la paix sociale que nous à l'U. G. T. T., nous essayons
de maintenir malgré l'hostilité d'un patronat qui se croit seul maî-
tre dans son domaine; agissant ainsi selon son bon vouloir.

- Les contacts et réunions :

Conformément à l'heureuse tradition instaurée par l'Union, en


tant que fondement essentiel de .ses activités en milieu ouvrier,
l'U.G.T.T. s'est attachée à multiplier les contacts, les réunions et
les visites dans les différentes régions et auprès des diverses forma-
tions, tout en incitant les autres formations - fédérations et syndi-
cats généraux - à suivre son exemple, à rendre des visites périodi-
ques à leurs formations à l'intérieur du pays, à tenir des réunions
d'information et d'orientation et à prendre connaissance sur place,

150
des préoccupations des travailleurs. Nous avons constaté que cette
méthode est la seule qui permette de sensibiliser les masses ouvriè-
res en général, et les cadres syndicaux, en particulier.
Son efficacité s'est nettement révélée à travers les résultats enre-
gistrés qui ont contribué à cimenter davantage la cohésion de
l'Union à consolider ses assises et à stimuler sa progression vers la
réalisation d'autres acquis.
L'Union délègue les membres du bureau exécutif en toute cir-
constance, et en particulier lors des réunions d'information et
d'orientation, et pour les rencontres dans le cadre du dialogue et
de la concertation, etc. parfois à la demande expresse des Unions
régionales. L'on estime que les membres du bureau exécutif effec-
tuent au moins cinq visites périodiques par an, dans les régions.
Nous avons, en outre, tenu des réunions avecles syndicats de base,
de concert avec leurs fédérations et avec les Unions Régionales.
Quant à l'Union Régionale de Tunis, nos contacts avec ses mem-
bres sont très fréquents en égard à notre présence dans le même
local de l'U. G. T. T. du fait de son grand rayonnement et de la pré-
sence aussi dans le même bâtiment des fédérations profefsionnel-
les nationales qui mènent une activité intense aussi bien pour les
travailleurs de la région de Tunis que pour tous les travailleurs de
la corporation à l'échelle nationale, ce qui pousse les fédérations à
contacter très souvent les sections des fédérations à l'intérieur du
pays. Le Secrétaire Général lui aussi ne ménage pas ses efforts
lorsqu'il est désigné par l'exécutif ou demandé par une formation
syndicale qui juge que sa présence est utile pour présider des mee-
tings, des réunions de travail ou participer au règlement d'un con-
flit qui a trop duré.
Nous citerons particulièrement les suivantes :
-Réunion avec les cadres syndicaux de Sfax, le 7 Octobre 1974, à
la. suite d'un conflit qui a surgi entre les travailleurs et plusieurs
entreprises.
-Congrès de l'Union Régionale du Travail de Kasserine le 5 Avril
1975, et au cours duquel j'avais retracé longuement l'historique du
mouvement syndical et sa participation à la libération du pays du
colonialisme.
-Congrès de l'Union Régionale de Sousse, le 11 Mai 1975 au cours
duquel j'ai souligné que l'U.G.T.T. ne veut aucun mal au patro-
nat, mais demande seulement l'amélioration de la condition des
ouvriers.
-Réunion des cadres syndicaux de Tunis le 7 Novembre 1975 ; ce
fut une réunion mémorable qui illustre, une fois de plus, la cohé-

151
sion des travailleurs au sein de leur organisation et leur attache-
ment à leur Secrétaire Général.
-Réunion des cadres syndicaux du gouvernorat de Nabeul tenue
le 26 Décembre 1976 et au cours de laquelle j'ai affirmé que
l'Union est soucieuse d'obtenir l'indexation des salaires sur les
prix et que l'amélioration de la condition des travailleurs les
encourage à augmenter la production.
- Visite effectuée le 21 Janvier 1976 à Kerkennah en compagnie
des délégations syndicales représentant des fédérations et d'au-
tres délégations étrangères dont le camarade Kersten représentant
la C.I.S.L., Irving Brown représentant fes syndiqts américains et
des frères Algériens, Marocains, Libyens et Mauritaniens.
Un meeting a eu lieu à cette occasion pour célébrer l'anniversaire
de l'U.G.T.T. et aussi inaugurer la maison de l'Union locale de
l'U.G.T.T. qui venait d'être achevée.
-Le congrès extraordinaire de la fédération nationale de la santé
que j'ai présidé le 20 Mai 1975 ainsi que le congrès de l'Union
Régionale de Sfax le 21 Mai 1975.
-Cérémonie que j'ai également présidée le 21 Janvier 1977 à l'oc-
casion de la pose de la première pierre de la maison de l'U. G. T. T.,
Union Régionale de Sidi Bouzid.
-Visite rendue du 21 au 25 Janvier 1977 aux ouvriers des mines de
Metlaoui, Moularès, Redeyef, M'Dilla et Sehib (gouvernorat de
G_afsa) qui s'est terminée par une réunion des cadres synçlicaux de
la région.
-J'ai également présidé des réunions des cadres et des meetings
dans les Unions Régionales suivantes :
-17 Janvier 1977 à Sfax - 4 Février 1977 à Tunis
-14 et 15 Février 1977 au Kef - 19 Février1977 à Kasserine
-20 Février 1977 à Kairouan -22 Février 1977 à Béja
. -23Février 1977 àJendouba - 27 Février 1977 à Bizerte
-4Mars 1977 à Monastir - 5 Mars 1977 à Mahdia
-6Mars 1977 àMédenine -7 Mars 1977 à Jerba.

Ses meetings· tenus au cours de cette tournée au cours de


laquelle j'étais accompagné par presque la totalité des membres de
l'exécutif, ont démontré à quel point les travailleurs sont attachés
à leur organisation syndicale et l'appui unanime du peuple à notre
glorieuse U.G.T.T. Jamais dans notre pays une organisation syn-
dicale ou un parti politique n'ont eu pareille adhésion populaire.

-L'activité quotidienne :
L'Union Générale Tunisienne du Travail avec toutes ses forma-

152
tions et structures syndicales y compris les membres du bureau
exécutif a toujours accordé l'attention requise aux requêtes, aux
problèmes et conflits de tous les jours à caractère urgent, qui exi-
gent une étude et une solution rapide, qu'ils soient d'ordre indivi-
duel ou collectif.
Ce travail nécessite énormément de temps, des efforts soutenus
et un dialogue permanent, ainsi les difficultés, les pertes de temps
et les ennuis de toutes sortes que rencontraient les travailleurs sont
réduits presque à néant.

-Les Réunions du Bureau Exécutif :

Les réunions du Bureau Exécutif de l'U.G.T.T. se tiennent une


fois, deux, trois fois et même plus par semaine, en fonction des exi-
gences, pour des raisons syndicale, sociale ou politique.
Ces réunions sont facilitées par la présence des membres de
l'exécutif à leur poste à l'U.G.T.T à la tête de leurs départements
respectifs pour lesquels, ils ont obtenu leur détachement de leur
emploi d'origine, presque tous des fonctionnaires.

- Les réunions de la Commission Administrative :

La commission administrative est formée par les membres du


bureau exécutif, les secrétaires généraux des fédérations et des
syndicats généraux et des secrétaires généraux des Unions 'Régio-
nales. Elle se réunit à peu près une fois par trimestre, conformé-
ment aux dispositions du statut de l'U.G.T.T. C'est là, du reste,
une action très importante dans l'histoire de notre Union.
De plus, plusieurs réunions ont été tenues avec les secrétaires
généraux des fédérations et syndicats généraux.

-Les Conseils Nationaux :

-Un conseil national de l'Union s'est tenu les 11 et 12 Janvier


1974, sous la présidence d'office du Secrétaire Général et
en présence de 270 délégués. Au cours des réunions, ont été pas-
sées en revue les réalisations accomplies par l'U.G.T.T., l'accent
a été mis sur l'attention particulière que l'Union accorde aux
ouvriers agricoles et aux petits fonctionnaires ainsi que sur la
nécessité d'instaurer l'équilibre entre les salaires et les prix,
d'augmenter le salaire minimum, de développer la sécurité sociale
au profit des ouvriers agricoles et de hâter la publication des
conventions collectives et des statuts.

,153
-Un autre conseil national, tenu le 21 et 22 Juillet 1974 à l'Hôtel
Amilcar, sous ma présidence également en tant que Secrétaire
Général et en présence de 310 délégués, a renouvelé sa confiance
au Secrétaire Général et a dénoncé les rumeurs tendancieuses
visant à nuire au renom de l'Union à porter préjudice à ses princi-
pes et à ses règlements et à porter atteinte à la dignité de ses diri-
geants loyaux.
- Un conseil national, organisé les 3 et 4 Janvier 1976, à la
Bourse du Travail à Tunis, en présence de 375 délégués, représen-
tant toutes les formations syndicales de l'ensemble du pays, a
offert, une fois de plus, l'occasion, d'illustrer l'Union des travail-
leurs, leur attachement à leur organisation et leur volonté de la
défendre, tant ils sont convaincus qu'elle est la seule organisation
à protéger leurs droits et leur dignité.
Les conseils nationaux ont été autant d'occasions de proclamer
la vérité, d'exprimer le point de vue de l'Union, en toute liberté,
et de préciser la politique et les objectifs de l'Union.
Lors de ces conseils, j'ai prononcé des discours où j'ai évoqué la
situation syndicale, politique économique et sociale dans le pays.
J'ai jugé utile, eu égard à l'importance de ces assises de rappeler
certains passages qui ont été largement applaudis :
«Vous avez vécu, avec nous, le climat qui a prévalu dernièrement
à la suite de l'activité menée par notre organisation. Ainsi les
ennemis de l'Union ont profité de l'occasion pour tenter de semer
la discorde et de jeter la suspicion sur la loyauté des dirigeants de
l'organisation. En tant que syndicalistes tunisiens dévoués à notre
cause, nous avons le devoir de combattre et d'anéantir les ennemis
de l'U.G.T.T. dès à présent. Certes, des différends surgissent de
temps à autre, mais ils sont à notre sens, normaux. En effet, dans
l'action quelle soit politique ou syndicale, on ne peut être toujours
d'accord avec son partenaire, même si on appartient au même
parti politique. Les syndicalistes ayant été les libérateurs de la
patrie de l'occupation coloniale, nous sommes réso~us à poursui-
vre notre action afin de surmonter tous les différends et obstacles
qui nous barrent la route vers le progrès et le bien être des travail-
leurs. ·
L'U.G.T.T. ne s'intéresse pas seulement aux travailleurs
manuels mais aussi aux intellectuels qui ont gagné les rangs de
notre organisation depuis sa création et où ils se plaisent à travail-
ler dans une atmosphère de liberté, de démocratie et en toute fra-
ternité ...
Ensemble travailleurs et intellectuels travaillant en rangs senés
nous faisons la bonne réputation de notre organisation qui s'emi·

154
chit toujours de nombreuses nouvelles adhésions et de la sym-
pathie et de la popularité auprès des diverses tendances politiques
dans le pays.
En fait, ce que nous avons réalisé n'a pas été le fait d'un individu
ou d'un groupe, mais le résultat d'un effort collectif mené en coo-
pération avec le gouvernement et les organisations patronales et
talonné par plusieurs grèves provoquées par l'obstination de cer-
tains employeurs à ne pas respecter les lois et les conventions ...
Penrrànt ce temps, une certaine presse même du parti annonce
le remplacement du Secrétaire Général par un personnage qui
n'obéit qu'aux directives du parti. Le conseil a le droit d'adopter
une position vis à vis des rumeurs semi-officielles. Le dernier mot
vous appartient ...
Pour ma part, je n'hésiterai pas à quitter l'U.G.T.T., si vous le
décidez à la majorité seulement d'une voix, mais si aussi les travail-
leurs me renouvellent leur confiance, on ne me fera sortir que par
la force des armes.
Sur le plan des relations extérieures, l'U. G. T. T., comme vous le
savez est affiliée à la Confédération International~ des Syndicats
Libres. A notre retour à l'U.G.T.T. en 1970, nous avons été sur-
pris de trouver un accord dont volltl n'avez sans doute jamais
entendu parler' et stipulant la non évocation du problème palesti-
nien. Nous avons rejeté cet accord et nous avons manifesté notre
étonnement de voir tous les problèmes mondiaux discutés à la réu-
nion de l'exécutif de la C.I.S.L. à l'exception du problème palesti-
nien. Après une séance très orageuse, nous avons réussi à obtenir
l'inscription du problème palestinien·à l'ordre du jour des travaux
de l'exécutif de la C.I.S.L. qui a fini par voter une résolution
condamnant l'occupation des territoires par la force et le droit du
peuple palestinien à une patrie libre ...
Les travailleurs fonctionnaires et ouvriers mènent une lutte
commune et en rangs serrés pour plus de liberté et de bien-être. La
solidarité entre eux est totale, elle s'est manifestée en de nom-
breux cas, galvanisant davantage leur combativité ...
Les responsables des fédérations, des syndicats généraux ou des
Unions Régionales font eux mêmes tout leur travail et ce n'est que
par courtoisie qu'ils nous mettent au courant avec fierté du travail
qui a été réalisé-par eux, en insistant sur les difficultés rencontrées
dont certaines étaient à l'origine de grèves réussies. A notre retour
à l'U.G.T.T., il y a 5 ans nous avons constaté que les ouvriers ne
~ouchaient pas le salaire minimum qui était lui-même très bas, que
les ouvriers étaient soumis aux licenciements abusifs et que s'ils
s'adressent à leur syndicat, ils se voyaient répliquer d'aller s'adres-

155.
ser à leur patron, de lui faire des excuses et de s'arranger avec lui.
Nous avons complètement bouleversé cette situation. Nous étions
au courant de la situation misérable, dans laquelle se débattaient
les ouvriers notamment dans le secteur agricole.
En effet, les salaires étaient tombés à 200 millimes sous prétexte
que la terre appartient aux travailleurs, alors que ces derniers
mourraient de faim. Certains 'oht été réduits à manger les feuilles
de cactus, alors que les chefs des domaines se payaient de grosses
voitures et organisaient des veillées où le Whisky coule à flot.
Grâce à un travail sérieux, nous avons réalisé de bons résultats.
Notre appel aux travailleurs pour un rendement toujours meilleur
a été entendu et la proportion dans l'augmentation du rendement
a été très sensible dans plusieurs secteurs. Les conseils nationaux
ont émis plusieurs motions et messages où sont exprimés, avec
franchise et clarté, les points de vue et positions vis-à-vis de toutes
les questions qui touchent de près ou de loin l'U. G. T. T., ses prin-
cipes, les intérêts de ses adhérents et l'intérêt supérieur de la
patrie. Ce quine fait pas de doute, c'est que la plupart des revendi-
cations ont été satisfaites ... ,»

-Les cérémonies commémoratives


-20 Janvier 1946: Anniversaire de la création de ru.G.T.T.
-Fête du 1er Mai.
-Commémoration des événements du 5 Août 1947 à Sfax.
-Commémoration des événements du 21 Novembre 1951 à Enfi-
dha.
- Anniversaire du 5 Décembre 1952 (Assassinat de Farhat
Hached).
-Anniversaire de la mort d' Ahmed Tlili (25 Juin 1967),
Chaque année, l'U.G.T.T. célèbre ces dates mémorables, chè-
res à tous les citoyens tunisiens, eu égard à leurs nobles significa-
tions qui étaient l'apanage des travailleurs pendant la lutte de libé-
ration nationale ainsi qu'aux sacrifices qu'ils avaient consentis
pour la dignité et la souveraineté. Dans ce cadre, sont organisés
des meetings et des cérémonies religieuses dans les locaux des
Unions Régionales, sous la présidence d'un membre du Bureau
Exécutif de l'U.G.T.T., en vue d'honorer la mémoire de nos glo-
rieux martyrs et notamment Farhat Hached et de tirer aussi des
enseignements de leur lutte et de leurs qualités.
Voici les principales activités commémoratives de ces dates
mémorables :
- 20 Janvier 1946 (Anniversaire de la fondation de l'U. G. T. T).
En 1974, un impressionnant meeting a été organisé sous ma pré-

156
sidence et en présence des représentants des mouvements syndi-
caux maghrébins, qui ont tenu, à cette occasion, des réunions à
l'effet d'étudier la situation syndicale et de chercher les moyens
qui permettent de consolider les rapports et les liens de fraternité
qui les unissent, pour le bien des travailleurs maghrébins.
1976, à Tunis, l'U.G.T.T. a célébré cet anniversaire en organi-
sant à la Bourse du Travail, un meeting en présence de Mr. Hédi
Nouira, Premier Ministre, de tous les cadres syndicaux et de délé-
gations représentant des syndicats et des organisations étrangères
nationales et internationales. A cette occasion, j'ai prononcé un
discours dans lequel j'ai retracé l'histoire si riche en exploits
importants de l'U.G.T.T. et passé en revue les activités de l'organi-
sation qui a pu réaliser d'importants résultats au profit de toutes
les catégories de travailleurs. J'ai rappelé que les conventions Col-
lectives et les statuts ont garanti la protection de 90% des travail-
leurs.
En 1977, l'anniversaire de la création de l'U.G.T.T. a été célé-
bré à Gabès à l'occasion aussi de l'achèvement des travaux de
construction de la maison des syndicats.
A cette occasion, un meeting a été organisé sous ma présidence
et en présence de Messieurs : Moncef Bel Hadj Amor, Ministre
chargé des relations avec l'Assemblée Nationale et Secrétaire
Général du Gouvernement Tunisien et Mohamed Ennace ur,
Ministre des Affaires Sociales, ainsi que du gc;mverneur de Gabès,
des autorités locales et des représentants d'organisations syndica-
les internationales dont les camarades "Otto Kersten", représen-
tant la Confédération Internationale des Syndicats Libres, Irving
Brown, représentant les Syndicats Américains en Europe, Hamid
Aboubaker Jalloud, Secrétaire Général de l'Union des Travail-
leurs Libyens, Hassen Bezoa, représentant de l'Union Marocaine
du Travail et Khatri Ben Jeddou, représentant de l'Union des Tra-
vailleurs Mauritaniens. Ils ont tous pris la parole pour exprimer
leur amitié et leur considération pour l'action que mène
l'U.G.T.T. et pour ses belles réalisations au profit des travailleurs
surtout que cet anniversaire a coïncidé avec la proclamation des
augmentations gél)érales des salaires.

-La fête du 1er Mai

L'U.G.T.T. a célébré cette fête en 1973 et 1974 en organisant à


Tunis un imposant meeting au cours duquel, j'ai tiré les enseigne-
ments de cette journée qui consacre la solidarité entre tous lestra-
vailleurs du monde. Des galas populaires et des projections ciné-

157
matographiques ont été organisés sur les places publiques, pour
marquer cette journée et illustrer ses significations pour tous les
travailleurs partout dans le monde.
En 1975, les cérémonies ont été présidées à Sfax par le Président
de la République qui a fait un discours plein d'éloges à l'égard de
l'U.G.T.T. en traitant de son rôle joué durant l'occupation colo-
niale, sa participation à la libération du pays et la lutte qu'elle
mène aujourd'hui pour sortir du sous-développement. J'ai traité
moi aussi le même sujet que le président avec beaucoup de détails.
Devant la tribune, un impressionnant défilé est passé durant des
heures. On s'est rendu ensuite à la maison de l'U.G.T.T., un très
bel immeuble qui venait d'être achevé et que le Président a inaugu-
ré.
En 1976, une réunion publique s'est tenue à Nabeul en présence
du Ministre des Affaires Sociales. J'ai souligné, en cette occasion,
que le travailleur tunisien est en mesure d'arriver à la même pro-
ductivité que le travailleur allemand ou autre, pourvu qu'il dispose
des moyens indispensables. La Maison de l'U.G.T.T. de Nabeul a
été inaugurée en cette même circonstance.

-5 Août 1947 (Anniversaire des événements de Sfax)

En 1973, Meeting à Tunis sous ma Présidence et en présence du


Ministre des Affaires Sociales.
En 1974, Meeting à Sfax également sous ma présidence.
En 1975, Meeting à Sfax au cours duquel, j'ai annoncé, la signa-
ture d'une nouvelle série de statuts et la consécration de nouveaux
acquis pour les travailleurs.
En 1976, Meeting à Sfax. J'ai notamment déclaré: « Les sacrifi-
ces consentis par les travailleurs avaient incité les responsables
politiques du pays à réclamer l'indépendance ».
~

- 21 Novembre 1951 (Anniversaire des événements d'Enfidha) :

Dans le passé, cet anniversaire n'était célébré qu'à l'échelle


régionale et locale. Le Bureau Exécutif a décidé, compte-tenu de
l'importance de ces événements de considérer les morts de cette
bataille comme faisant partie des héros de la lutte syndicale et poli-
tique. Cette bataille a eu pour victimes de nombreux camarades
dont une femme enceinte.
J'ai tenu à présider moi-même les cérémonies marquant cet évé-
nement à Enfidha, en présence des cadres syndicaux de toutes les
Unions Régionales. J'ai prononcé un discours par lequel j'ai rap-

158
pelé la signification de cette date où on a vu l'ouvrier tunisien
démontrer, une fois de plus sa capacité et son désir de se libérer
des liens oppressants, d'affronter le colonialisme et de conquérir
sa liberté, en payant de sa personne et de son sang.

- 5 Décembre 1952 :
Cet anniversaire est constamment présent à l'esprit de tout tra-
vailleur et de tout citoyen tunisien. Aussi, sa célébration ne se
déroule pas seulement à l'échelle syndicale et régionale, mais aussi
à l'échelle nationale car Farhat, avant sa mort, était à la fois le
Secrétaire Général de l'U.G.T.T. et le Chef du Néo-Destour.
C'est à ce double titre qu'il a été assassiné par« la Main Rouge »
le 5 Décembre 1952. Il était l'homme le plus fort de Tunisie et
gênait les forces colonialistes en contrecarrant leur politique de
Francisation de la Tunisie et celà par des grèves et même par la
résistance armée.
De même, l'U.G.T.T. commémore chaque année la mort du
camarade Ahmed Tlili mort à la suite d'une maladie qu'il a con-
tractée alors qu'il était exilé pour protester contre les mesures anti-
démocratiques décidées par l'assemblée nationale malgré son
opposition.

-Les conférences - Les commissions et les réunions mixtes

20 Juillet 1974 : Conférence des partenaires sociaux à Douz,


sous la présidence de Monsieur Hédi Nouira. A cette occasion ont
été passées en revue, les réalisations sociales et économiques
1ccomplies au cours des cinq précédentes années.
11 Novembre 1974: Conférence des partenaires sociaux réunis-
;ant les membres du Bureau Politique, les membres des bureaux
~x écu tifs des organisations nationales, les secrétaires généraux des
comités de coordination, des unions régionales et des fédérations
pour la mise en vigueur du contrat du progrès.
10 Janvier 1975 : Le Président de la République a présidé une
réunion commune des membres du Bureau Politique et des
bureaux exécutifs de l'U.G.T.T. et de l'U.T.I.C.A. La réunion a
porté sur l'examen de processus d'application du contrat du pro-
grès.
9 Mai 1975: Je souligne, à l'adresse du Congrès de l'U.T.I.C.A.
qu'il importe de conclure rapidement les conventions collectives
en instance et d'asseoir la paix sociale sur des bases solides.
29 Mai 1975 : Réunion des partenaires sociaux, sous la prési-
dence du Chef de l'Etat au cours de laquelle de nouveaux acquis

.159
ont été réalisés au bénéfice des travailleurs.
13 Septembre 1975 : Réunion commune des bureaux exécutifs
de l'U.G.T.T. et de l'U.T.I.C.A. pour examiner les relations pro-
fessionnelles au sein des entreprises et les moyens permettant de
consolider la paix sociale.
6 Mars 1976 : Conférence des partenaires sociaux, à Bizerte,
sous la présidence du Premier Ministre, pour examiner la gestion
des entreprises, les conventions collectives, les accidents de tra-
vail, les/grèves et les problèmes des terres agricoles.

-La commission réglementaire

La mission de la commission règlementaire, dépendant de


l'U.G.T.T. ne s'est pas limitée au contrôle des différentes forma-
tions et de leurs dépenses, mais la commission a été également
chargée d'entreprendre des recherches sur un grand nombre de
problèmes, qu'elle a réussi à trancher, aidant ainsi le bureau exé-
cutif dans sa mission d'organisation et de contrôle de la bonne
marche de notre Union.
Les récentes modifications apportées au statut ont permis à la
commission d'assumer au mieux son rôle, sur toute l'étendue du
territoire tunisien et à tous les niveaux en tranchant les cas de mau-
vais comportement ou de mauvaise gestion de certains responsa-
bles, ou d'indiscipline au sein de certaines structures syndicales,
telle que la Fédération Nationale de la Santé et quelques unes de
ses sections, la Fédération des Professions diverses, la Fédération
de l'Agriculture, etc ... ou dans certaines Unions Régionales,
comme celles de Sfax, Sousse et Siliana, qui travaillent
aujourd'hui dans les meilleures conditions ; à la suite de Congrès
extraordinaires et du renouvellement de leurs bureaux. La com-
mission s'est vue en outre chargée d'enquêtes sur certains respon-
sables ayant commis des infractions préjudiciables aux principes et
aux intérêts de l'Union. Les coupables ont été suspendus de leur
responsabilité syndicale, par décision du Bureau Exécutif notifié à
l'intéressé par le Secrétaire Général. Ils ont été ensuite traduits
devant la commission de l'ordre général qui a présenté des rap-
ports objectifs au bureau exécutif qui prit les mesures qui s'impo-
sent- acquittement, suspension ou exclusion- Il convient de signa-
ler, dans ce contexte que la commission a toujours agi avec cir-
.conspection, en toute liberté et avec loyauté et probité, dans l'ana-
lyse des problèmes qui lui ont été soumis afin de dévoiler la vérité,
pour le plus grand bien de notre organisation et pour son rayonne-
ment.

160
La recherche et les études

A la suite de son 13ème congrès (mars 1973), l'Union Générale


Tunisienne du Travail a entrepris de porter ses efforts sur les
recherches et les études, dont elle avait pris conscience de l'impor-
tance singulière. Au fil des jours, cet effort finit par devenir l'un
des axes principaux de la politique générale adoptée par l'orga'ni-
sation syndicale et consacrée par le Bureau Exécutif, à l'effet de
cerner les questions et problèmes fondamentaux dont la solution
exige analyse approfondie, étude, réflexion et élaboration de rap-
ports scientifiques précis.
Le besoin s'en est fait particulièrement sentir à la suite de l'évo-
lution économique et sociale qu'a connue le pays, à partir de 1970,
et surtout 1973, évolution qui a donné naissance à une prise de
conscience toute nouvelle, à des besoins et à une propension au
mieux-être que l'Union Générale Tunisienne du Travail a contri-
bué et contribue sans cesse davantage à concrétiser, par l'accrois-
sement de la production et l'amélioration de la productivité. Les
nombreux problèmes engendrés par cette évolution, dans les
domaines des salaires et prix, du travail et de l'emploi, de l'ensei-
gnement, de la santé, de l'habitat et de la sécurité sociale, outre les
autres problèmes relatifs à l'ajustement du niveau de vie et du pou-
voir d'achat des travailleurs par l'indexation des salaires sur les
prix, phénomène moderne spécifique aux pays évolués, que les
responsables se sont attachés à étudier, sur la base du dialogue
franc et constructif entre tous les partenaires et dans le cadre du
pacte social et du contrat du progrès ont confirmé la nécessité de
recourir aux recherches et aux études, en tant que base fondamen-
tale et logique de la recherché des solutions adéquates à tous ces
genres de problèmes.
Si dans ce domaine précis, les secteurs d'action sont multiples et
vmiés, ils ne se bornent pas, cependant, à des études à caractère

161
économique et social, mais les dépassent pour s'étendre aux
recherches historiques et à la vulgarisation, dans ce cadre, de l'his-
toire de l'Union Générale Tunisienne du Travail, en particulier et
du mouvement syndical en général, d'autant plus que sont deve-
nus de plus en plus nombreux les jeunes ouvriers et fonctionnaires
adhérents aux différentes structures syndicales qui manifestent un
désir pressant de connaître l'histoire prestigieuse du mouvement
syndical et de l'organisation ouvrière.

-Etudes à caractère économique et social

Les premières études entreprises par la section « recherches et


études » ont consisté en un ensemble de travaux relatifs aux thè-
mes suivants :

- Définition du minimum des salaires, en fonction de critères


scientifiques, minutieusement élaborés.
- Les prix et les salaires et l'indexation des seconds sur les pre-
miers.
-Le contrat de travail, sa signification, son but.
-La production et la productivité.
-Les théories économiques relatives aux salaires.

Le but de cette première série de travaux se situe dans le sens de


la politique de formation générale des travailleurs, adoptée par
l'U.G.T.T. en même temps que sa politique relative aux recher-
ches et aux études. Toutefois, il convient de noter en ce qui
concerne l'élaboration de l'étude relative au minimum des salai-
res, que celle-ci a été commandée par les impératifs du dialogue
avec les partenaires sociaux concernés. Elle fut, à cet égard, la
base de départ d'autres études dont nous citerons notamment les
études scientifiques détaillées mises au point par la centrale syndi-
cale en prévision des négociations qui ont eu lieu (durant tout le
mois de décembre 1976) et ont débouché sur la majoration des
salaires à compter de Février 1977 et pour une durée de quatre ans.

- Etudes historiques

Al En langue arabe : la section « recherches et études »a éla-


boré« une présentation du mouvement syndical tunisien »depuis
sa fondation par M'hammed Ali El Hammi jusqu'à l'assassinat du
leader Farhat Hached, bâtisseur de l'Union Générale Tunisienne
du Travail. Ce document est accompagné d'une annexe succinte
contenant les biographies de :
- M'hammed Ali El Hammi - Farhat Hached - Ahmed Tlili.

En effet, les jeunes en particulier, et les chercheurs en général


se préoccupent très souvent ·de connaître les grandes étapes de la
vie de ces trois leaders, séparément ou ensemble.

BI En langue française : une étude sur la vie, la personnalité, le


caractère, le combat syndical et politique de Farhat Hached suivie
d'extraits de certains de ses principaux discours et propos.
Outre les syndicalistes, cette étude a profité à un grand nombre
d'élèves et d'étudiants. Biographies de:
- M'hammed Ali El Hammi - Farhat Hached - Ahmed Tlili.

-Etudes spéciales : Trois études ont été effectuées, sur des ques-
tions qui préoccupent tous les citoyens, les travailleurs et les autres
partenaires sociaux et l'ensemble de l'opinion publique.
Si l'on considère leur importance et leur but, sous le seul angle
de la sensibilisation, on peut dire qu'elles ont pleinement atteint
leur objectif.
Ces études portaient les titres suivants (dans un même fascicu-
le) :

1) L'entreprise économique, sa fonction sociale.


2) La contribution de l'U.G.T.T. à la réussite de la politique de
« planning familial et population ».
3) La politique des conventions collectives, sa portée.

-Etudes récentes : Dans le cadre de la politique moderniste sui-


vie par l'U.G.T.T. et qui lui vaut l'admiration et l'estime des
observateurs et en particulier des syndicalistes de renom mondial,
politique consistant à entreprendre des études scientifiques sur
tous les thèmes et questions économiques et sociaux qui préoccu-
pent les militants de la Centrale Syndicale, une série d'études ont
été menées avec le concours des membres du bureau exécutif de
l'Union au niveau de commissions créées à cet effet et composées
de représentants des différentes formations syndicales de techni-
ciens et de spécialistes.
Le secteur « recherches et études » a assuré dans le cadre de la
répartition des travaux, l'élaboration de deux études :

-Première étude (habitat) :Le bureau exécutif de l'U.G.T.T.


s'est penché sur l'habitat en tant que principal souci des ouvriers et

163
des fonctionnaires et en tant que problème crucial à l'échelle
nationale, exigeant, pour sa solution, la conjugaison des efforts de
tous. Pour sa part, l'U.G.T.T. s'est attach€e à réfléchir aux solu-
tions objectives et réalistes de ce problème, sur la base d'une étude
à laquelle devaient participer des représentants de toutes les fédé-
rations et de tous les syndicats généraux et nationaux, avec le
concours de l'ensemble des Unions Régionales, lesquelles présen-
tent des suggestions susceptibles d'aider à régler ce problème de
manière efficace et logique, dans les plus brefs délais et dans les
meilleures conditions. Ces études ont été basées sur les éléments
suivants :

1) Etude et évaluation de la situation de l'habitat.


2) Analyse de la conjoncture présente en matière d'habitat et de
ses répercussions sur les travailleurs.
3) Les solutions sùggérées.

Dans ce même cadre, l'Union a élaboré une deuxième étude-


modèle portant sur les solutions immédiates et à long terme au
problème de l'habitat, pour les travailleurs au revenu limité -
ouvriers et fonctionnaires. Cette étude a servi de base à la commis-
sion de l'habitat créée par l'U.G.T.T. à l'effet de dialoguer avec
les autres partenaires sociaux concernés (le Gouvernement -
l'U. T.I. C.A. -l'U .N .A. -les représentants des organismes bancai-
res, des institutions économiques et sociales, etc ... ) au sujet des
problèmes techniques, d'une part, et des questions financières
d'autre part, dont la solution peut aider à procurer au moyen de la
location ou de la propriété - un logement déct?nt aux ouvriers et
aux fonctionnaires.

-Deuxième étude (santé) :L'on sait que l'Union Générale Tuni-


sienne du Travail accorde une attention particulière à la santé et à
tous ceux qui travaillent dans ce secteur.
Les études élaborées à ce sujet visent entre autres, à:
-Développer la médecine préventive.
-Améliorer le niveau de la médecine curative.
- Permettre à tout travailleur, qu'il soit manuel ou intellectuel
de jouir d'une bonne santé physique et mentale, aux moindres
frais et dans les meilleures conditions.
- Améliorer la condition professionnelle, maternelle et morale
des agents sanitaires et permettre aux agents techniques d'accéder
aux fonctions administratives etc ...
Cette étude vise également à cerner tous les problèmes qui se

164
posent dans le domaine sanitaire et à leur trouver les solutions adé-
quates, dans les meilleurs délais, conformément aux exigences du
progrès.

- Etudes diverses

La section « recherches et études » a participé à la préparation


d'un ensemble d'articles et d'études, à l'occasion de la tenue de
conférences et de congrès d'organisations syndicales nationales ou
de pays frères et amis, dont nous citerons à titre d'exemples :
-La Conférence sur l'éducation ouvrière organisée en 1973 à
Damas par l'Union Internationale des Syndicats Ouvriers Arabes.
-Le Congrès de l'Union Générale des Travailleurs Algériens et
le Congrès de l'Union Générale des Travailleurs de Mauritanie,
tous deux en 1974.

- Etudes à caractère spécial :


De concert avec le service de l'éducation ouvrière et de la for-
mation syndicale, la section« Recherches et Etudes »a participé
à la préparation de l'émission radiophonique hebdomadaire syndi-
cale, dans son contenu et ses buts (projet approuvé par le Secréta-
riat d'Etat à l'Information et la Direction Générale de la R.T.T.
après de longues et multiples dém~rches menées à cette fin).

-Articles d'étude :

A l'occasion de la commémoration de certaines dates ou de la


célébration de certains événements syndicaux nationaux (anniver-
saires de la mort de Farhat Hached et de Ahmed Tlili, anniversaire
de la fondation de l'U.G.T.T., etc ... ). La section« Recherches et
Etudes » a pris part aux cérémonies par l'élaboration d'articles
d'étude destinés à faire connaître aux jeunes militants syndicalis-
tes, surtout l'histoire du mouvement syndical, et les hauts faits de
ses héros. Ces articles ont été publiés dans les colonnes du Journal
« Ach Chaab ».

165
La formation syndicale et l'éducation ouvrière

Notre organisation syndicale est consciente du rôle efficace que


joue l'information dans la formation des masses, l'éducation des
travailleurs et principalement des jeunes d'entre eux et la forma-
tion professionnelle, économique et sociale dont ils ont besoin et
qui touchent de près leurs problèmes spécifiques. Ceci, à partir de
la conviction que l'éducation ouvrière développe cette culture
générale qui permet aux ouvriers de saisir l'importance des problè-
mes économiques sociaux et politiques et les aide à assumer leur
rôle, en tant que citoyens responsables des acquis de la nation et
du devenir de la patrie. De la sorte, la contribution des ouvriers
devient efficace et positive parce que fondée sur la persuasion et la
conviction, les ouvriers ayant pu prendre connaissance du passé et
percevoir le présent, de manière à mieux envisager l'avenir, en le
bâtissant sur la satisfaction des besoins, sur la base de l'équité et de
la justice. Aussi, est-il indispensable que l'information syndicale
ait pour finalité de propager et d'affirmer les principes syndicalis-
tes authentiques au moyen de programmes éducatifs fondés sur
trois critères essentiels, à savoir :

1) Considérer l'ouvrier comme un citoyen à part entière et éla-


borer des études susceptibles de l'aider à comprendre les réalités
de son pays et de le sensibiliser à la contribution à la promotion de
la collectivité nationale.
2) Considérer l'ouvrier comme un membre de la structure syndi-
cale exigeant des études multiples sur le mouvement syndical, sur
ses activités, sur ses objectifs et sur ses méthodes de direction.
3) Considérer le travailleur comme étant l'un des responsables
de la produ~tion et de l'amélioration de la productivité et lui four-
nir des études sur tout ce qui se rapporte à cette question, afin de
renforcer son rôle et celui de la structure syndicale dans le déve-

166
loppement de la production et de le motiver aux plans de dévelop-
pement économique et social.
En tout état de cause, les responsables syndicaux dont le nom-
bre augmente de jour en jour et qui acquièrent sans cesse de nou-
velles expériences dans leur confrontation quotidienne avec les
exigences de l'action syndicale ont de larges possibilités pour
démontrer leur abnégation et leur loyauté envers la cause des tra-
vailleurs. Considérant leur souci d'améliorer leur condition
morale et matérielle et du moment que l'action d'éducation est,
avant tout une œuvre collective, à l'instar de l'action syndicale,
une commission restreinte de la formation syndicale et de l'éduca-
tion ouvrière a été formée.
La commission restreinte se réunit une fois par mois. Quant à la
commission nationale, elle se réunit une fois par trimestre pour
passer en revue l'activité des Unions régionales dans le domaine
de l'éducation.

-Education et formation (par correspondance)

L'éducation par correspondance vise :


1) A instruire les ouvriers qui ne peuvent rejoindre les centres
de formation dépendant des Unions régionales, soit parce que ce.s
centres sont éloignés d'eux, soit par manque d'engagement, ou
encore pour incapacité matérielle etc ...
Dès lors, c'est la culture qui va vers l'ouvrier au lieu de l'inverse.
2) A superviser les ouvriers ayant déjà suivi un stage, afin de
leur inculquer davantage de connaissances et de culture générale.
3) A comprimer les frais, les possibilités limitées de l'organisation
ne permettant pas à celle-ci de résorber tous les ouvriers désireux
de s'instruire.

-Activité des unions régionales

Nous avons adressé à chaque union régionale, par l'intermé-


diaire du responsable de la formation syndicale, un cahier élaboré
par la Confédération Internationale des Syndicats Libres
(C.I.S.L.) et contenant un ensemble de cours syndicaux que cha-
que Union régionale peut adopter dans la formation des cadres
syndicaux, tout en faisant appel au concours de certains conféren-
ciers bénévoles parmi les enseignants du primaire ou du secon-
daire ou encore parmi les responsables de l'inspection ôu travail
ou d'autres personnalités qualifiées.

167
Il convient de noter que les cours contiennent un aperçu général
du sujet et des questions de nature à inciter les participants à la
réflexion pour trouver les réponses préparant ainsi une discussion
fructueuse et profitable à tous.

- Cours de formation des cadres

La division de la formation et de l'éducation a organisé durant


le prP.mier trimestre de 1976, des conférences régionales à Tunis
Jendouba, Sousse et Gabès, avec la participation des cadres syndi-
caux de toutes les Unions Régionales. Durant trois jours, les par-
ticipants ont examiné les questions suivantes :
Les négociations et les conventions collectives, le régime de
retraite dans le secteur public, les relations professionnelles, la
suppression des articles 51 et 52 du code de travail.
Au cours des deuxième et troisième trimestres de 1975, le ser-
vice de la formation syndicale et de 1' éducation ouvrière a organisé
cinq conférences à Nabeul, Béja, Mahdia, Sfax et Kasserine.

- Thème des conférences :

-L'histoire du mouvement syndical ;


-L'information syndicale et la presse ouvrière ;
-La santé et la protection professionnelle au sein des entrepri-
ses, les maladies professionnelles ;
-Le rôle des syndicats dans le planning familial ;
-L'Organisation Internationale du Travail : sa naissance, ses
objectifs, ses structures.

Le service de la formation a remis des certificats aux participants


à toutes les conférences tenues en 1975.
En outre, la commission nationale a décidé d'organiser des
conférences sectorielles pour permettre aux cadres de se consacrer
aux problèmes des textiles (Sousse), du bâtiment (Sfax), du
pétrole (Gabès), des mines (Gafsa), de l'artisanat (Kairouan), du
tourisme (Nabeul), de l'agriculture (Béja), des industries exporta-
trices (Bizerte), de la métallurgie (Menzel Bourguiba). La confé-
rence sur les textiles s'est tenue en Juillet 1976 à Sousse.

-Les conférences :

A l'occasion de sa visite en Tunisie, le Docteur Abderraouf


Abou Alam, Expert en éducation ouvrière de l'O.I.T., au Caire,

168
a donné sous l'égide du service de la formation et de l'éducation,
trois conférences à Bizerte, Tunis et Kairouan sur l'éducation
ouvrière dans le monde arabe· et le rôle de 1'0 .I. T. dans ce domai-
ne. Le Docteur Abou Alam a pu se rendre compte de l'action
déployée par le service de la formation et de l'éducation et du fonc-
tionnement des écoles régionales de formation des cadres. Leser-
vice a également organisé, de concert avec l'Office du Planning
Familial et de la Population, pendant la période comprise entre
Octobre et Novembre 1976, des conférences à Sfax, Sousse, Jen-
douba, Tunis et Gafsa .

..:.. Thèmes des conférences :

- La politique générale de la Tunisie dans le domaine du plan-


ning familial et l'intégration de l'éducation familiale en milieu
ouvrier.
- La situation et les perspectives de la croissance démographi-
que en Tunisie.
- L'Islam et le Planning familial.
-L'éducation ouvrière.

-Stages et conférences de formation :

Dans le cadre de la coopération entre l'U. G. T. T. et la C.I.S.L.,


le service de la formation et de l'éducation a organisé trois stages
de formation à Gabès, Jendouba et Monastir. D'une durée de 5
jours chacun, ces stages ont eu lieu avec la participation des cama-
rades Tabar Bouslimi et Abdelaziz Khedouma, ainsi que le cama-
rade Facon, représentant de la C.I.S.L.

-L'Ecole régionale de la formation des cadres

Chaque Union Régionale possède une école de formation des


cadres dirigée par la commission régionale de la formation et de
l'éducation, qui se compose des secrétaires généraux adjoints,
chargés de la formation des cadres, de l'orientation, de l'informa-
tion et de l'édition; le secrétaire générale adjoint étant le respon-
sable direct du fonctionnement de l'école.

-Le programme radiophonique

Au terme de multiples démarches auprès des autorités compéten-


tes, l'U.G.T.T. a pu obtenir l'autorisation de diffuser, tous les

169
dimanches, une émission radiophonique intitulée« la voix du tra-
vailleur ».
Le programme est préparé par l'U.G.T.T. qui comptait avoir
dans les mois suivant, une émission télévisée mensuelle consacrée
à des débats entre les syndicats ouvriers et ceux du patronat, sur
diverses questions.

-A l'étranger:
Participation de l'U.G.T.T. en Février 1975 à:
1) Conférence sur l'information syndicale - Le Caire, deux
semaines, Février 1975.
2) Réunion du Bureau Arabe de l'éducation ouvrière- Le Caire,
Avrill975.
3) Conférence sur le « rôle » des syndicats dans le développe-
ment national, Alger, en Mai 1975.
4) Conférence sur l'étude des méthodes et moyens modernes de
l'éducation ouvrière- Bagdad, Octobre 1975.
5) Colloque à Bucarest sur les expériences dans le domaine de la
politique du travail et la population.
6) Conférence au Caire sur les méthodes et techniques moder-
nes de l'éducation ouvrière- Novembre 1975.
7) Deuxième congrès sur l'éducation ouvrière- Damas, du 1er
au 12 Décembre 1975.

Année 1976:
8) Congrès de l'Organisation Arabe du travail-, Alexandrie,
Mars 1976.
9) Colloque de Lomé (Togo) sur la définition d'une stratégie
d'éducation ouvrière à l'échelle du continent Africain, Avril1976.
10) Conférence de Bagdad sur l'organisation des centres d'édu-
cation ouvrière.
11) Conférence de Bangui- Septembre 1976.
12) Bourse d'études accordée par le B.I.T. à l'U.G.T.T. pour
étudier la marche des centres d'éducation ouvrière d'Egypte, de
Syrie et d'Irak durant le mois de décembre 1976.
C'est là un aperçu trés succinct sur l'activité de la division de la
formation syndicale et de l'éducation ouvrière. Nous y avons évo-
qué les principaux aspects de cette activité. Il reste à noter que le
service de la formation syndièale entretient de bonnes relations
avec de nombreux centres et instituts d'éducation ouvrière en
Afrique, dans le monde arabe et en Europe ainsi qu'avec les res-
ponsables de ce secteur au sein des organisations internationales.

170
-L'information

Depuis 1970, l'information au sein de l'U.G.T.T. a été orientée


vers le renforcement des moyens et du rôle assignés à ce secteur
dans l'extension des horizons des travailleurs, la relation entre ces
derniers, l'appui actif à leurs causes et l'affirmation de leur pré-
sence en insistant sur leurs propres réunions et leurs discussions et
en vulgarisant leurs préoccupations.
L'U.G.T.T. a jugé nécessaire de promouvoir le journal« Ach-
Chaab »de manière à lui assurer le maximum d'efficacité.
Pour que le journal puisse accomplir au mieux sa mission, il a été
question au 14è congrès (Mars 1977) de répondre aux exigences
suivantes :
1) Augmenter son volume et rapprocher ses dates de parution
afin qu'il puisse mieux cerner les évenements.
2) Enrichir et varier son contenu pour, d'une part, éviter la
monotonie et, d'autre part, répondre aux différents intérêts et
goûts des travailleurs qui sont en même temps la grande masse des
lecteurs.
3) Prendre constamment position, avec l'objectivité et toute
l'ardeur que lui dicte le devoir, en faveur de la justice et de la liber-
té, et contre la déviation d'où qu'elle vienne, de telles positions
incluant, outre les problèmes des travailleurs, les problèmes natio-
naux, arabes et mondiaux.
4) Faire en sorte que son contenu englobe des éclairicissements
sur les problèmes professionnels, pour en démonter le bien fondé
aux responsables et à l'opinion publique, aidant ainsi à la recher-
che des solutions appropriées.
Dans ce but réaliser des enquêtes journalistiques sur les entre-
prises, illustrant les relations professionnelles qui y règnent ainsi
que les lacunes ou les perfections relevées dans la satisfaction des
revendications sociales, des normes de protection sanitaire, de la
qualité de la gestion, pour l'instauration de la justice, la promotion
de la production et des qualifications professionnelles requises.
Le tirage est passé en très peu de temps de 3.500 exemplaires à
60.000 exemplaires, il devient alors le journal le plus populaire du
pays et inquiète par son langage franc et libre les hommes du gou-
vernement et du parti qui ne lui ménagent pas leurs critiques,
menaçant plus d'une fois les responsables du journal pour des arti-
cles d'un ton iu~P in~cimissible.

171
Les relations avec les organisations nationales
et internationales
- Les relations avec les organisations nationales :

Dans ce domaine, l'action de l'U.G.T.T a visé le renforcement


des liens de fraternité et de coopération avec les différentes orga-
nisations nationales, pour concrétiser la conjugaison des efforts au
service de l'intérêt du pays et des objectifs nationaux d'une part,
de la protection des intérêts des travailleurs et de la solution de
leurs problèmes, par la voie de la compréhension mutuelle et du
dialogue, en tant que méthode préférable à toutes, d'autre part.
Dans l'ensemble, les choses ont évolué de manière satisfaisante,
donnant lieu à la conclusion de la convention collective et à la réa-
lisation de bien d'autres acquis, en matière de conventions collec-
tives, de salaires, de garanties sociales, de promotion et de produc-
tion.
Si des difficultés ont surgi, elles ont cependant été surmontées,
grâce à la bonne volonté, à la conjugaison des efforts et à la consi-
dération de l'intérêt supérieur du pays.
Cette coopération et cette action commune se sont manifestées
sous plusieurs formes et notamment à travers notre participation
collective aux différentes manifestations nationales, aux congrès
et aux anniversaires de diverses organisations nationales.

- Relations internationales :

1) Les relations avec les organisations arabes:

L'U.G.T.T. accorde une attention particulière et sans cesse


accrue ·à ses relations avec les organisations arabes, et celà sur la
base des liens fraternels séculaires qui nous lient à nos frères des
autres pays arabes et de l'unification des efforts en faveur de la réa-

172
lisation de nos objectifs communs et du triomphe des causes ara-
bes.
Voici un aperçu des principales actions menées dans ce cadre :

-Au niveau du grand Maghreb

A ce niveau, a été constitué un système de coopération et d'har-


monisation des actions et des prises de position entre les Unions
des travailleurs maghrébins, composée des dirigeants des Unions
et de leurs adjoints.
Sa mission consiste à arrêter la politique d'action commune à
mener des consultations périodiques et chaque fois que nécessai-
re, afin d'unifier les prises de position lors des travaux et des ren-
contres des organisations arabes et internationales, à organiser des
conférences d'études, selon un programme annuel établi par le
comité de coordination.

-Au niveau de l'Union Internationale des Syndicats Ouvriers


Arabes

L'U.G.T.T. a officiellement été admise au sein de l'Union


Internationale des Syndicats Ouvriers Arabes, lors de son congrès
tenu en Mars 1976 au Caire. Cependant, l'adhésion effective de
l'U.G.T.T. à cette organisation remonte au mois de Mars 1973,
lors du dernier congrès de la centrale syndicale qui avait décidé de
déposer la candidature de l'U. G. T. T. Nous avions aussitôt envoyé
une demande dans ce sens, et participe aux· différentes activités,
~ans attendre l'achèvement des formalités d'adhésion lesquelles
ne devaient se terminer que par l'approbation du congrès.
Ainsi, depuis 1973, nous avons participé d'une ·manière con-
crète et efficace, aux activités de l'Union, en assistant aussi bien
aux sessions semestrielles ordinaires du Conseil Central, qu'aux
réunions extraordinaires ou aux assises des présidents des Unions
ouvrières arabes. Il est à noter à ce propos que l'organisation a
désigné l'un de nos délégués pour faire partie de la mission d'en-
quête envoyée en Syrie et au Liban, en Juin 1976, à l'effet de pro-
céder à des investigations au sujet de la situation au Liban et de
prendre contact avec les parties en conflit.
L'U. G. T. T. a en outre participé aux travaux du Vlè Congrès de
l'Union, tenu au Caire en Mars 1976. Elle a de même pris part aux
différentes activités que l'U.I.S.O.A. a organisées ou contribuées
à organiser tel que le congrès populaire arabe pour le soutien à fà

173
révolution Palestinienne, réuni du 4 au 8 Octobre 1976 dans la
capitale Libyenne.

-Au niveau de l'Organisation Arabe du Travail (0, A.T.)

L'U.G.T.T. a adhéré à l'O.A.T. en 1973. Elle a pris part au 3è


Congrès de l'organisation, tenu en Mars 1974 à Rabat et qui a
adopté plusieurs décisions importantes, relatives à l'émigration, à
la coopération technique entre les pays arabes, aux libertés syndi-
cales et à d'autres questions d'ordre général, tel que le développe-
ment économique et social du monde arabe.
Nous avons également participé au 4è Congrès, en Mars 1975 à
Tripoli, qui a eu notamment à se pencher sur l'émigration de la
main-d'œuvre des pays arabes vers l'étranger et d'un pays arabe à
un autre pays arabe, sur la femme arabe au travail, sur les niveaux
du travail dans le monde arabe, sur la stratégie du développement
des forces ouvrières arabes et sur la législation relative aux libertés
syndicales.

- L'U .G. T. T. et la cause palestinienne

L'Union Générale Tunisienne du Travail considère la cause


palestinienne comme étant sa propre cause, elle lui accorde la
priorité dans ses préoccupations, surtout lors des rencontres bila-
térales ou internationales, tant elle la perçoit comme la plus
grande injustice du XXè siècle.
A partir de cette optique, l'U.G.T.T., depuis mon retour, a tou-
jours agi et ne cesse d'agir, sur le plan extérieur, en vue de sous-
traire le peuple palestinien à la pénible tragédie qu'il endure
depuis de longues années.
Nous sommes convaincus que les efforts déployés par
l'U.G.T.T., sur la scène internationale, en faveur de cette cause
sacrée ont contribué aux victoires remportées par le peuple pales-
tinien et aux progrès sensibles qu'il a réalisés dans la voie de la con-
crétisation de la liberté, de l'indépendance et du rétablissement de
ses droits spoliés.
Les dirigeants de l'U.G.T.T. n'ont laissé passer aucune occa-
sions sans soulever le problème palestinien, et cela principalement
au cours des rencontres tenues sous l'égide de la Confédération
Internationale des Syndicats Libres, de l'Organisation Internatio-
nale du Travail ou des Syndicats Américains et Européens.
Nous considérons les syndicalistes palestiniens comme de véri-
tables frères auxquels nous présentons toute l'aide matérielle et

174
Avec Abou /y ad
morale dont nous sommes capables et en faveur desquels nous
adoptons, avec les pays amis, dans les instances internationales,
des positions conformes à leurs intérêts, c'est-à-dire ceux de tous
les Arabes.
Nous nous sommes fixés pour objectif, la condamnation d'Israël
par toutes les instances internàtionales. Nous sommes effective-
ment parvenus à modifier l'attitude des syndicats Américains vis-
à-vis de la cause palestinienne, surtout à la suite de la visite que j'ai
effectuée en Octobre 1975, aux Etats-Unis. Nous avons également
pu changer l'attitude de la Confédération Internationale des Syn-
dicats Libres. Ainsi, alors qu'avant mon retour àl'U.G.T.T., elle
soutenait sans hésitation Israël, la C.I.S.L. a par la suite modifié
son attitude et a entrepris d'appeler, à la recherche d'une solution
pacifique au problème et d'éviter d'adopter une quelconque posi-.
ti on qui ne soit pas conforme à notre conception du problème.
Cette attitude s'est nettement dégagée à travers l'affirmation
officielle par la C.I.S.L. du droit du peuple palestinien, lors de la
session de 1973, et à travers la résolution adoptée à l'issue du Con-
grès de Mexico (Octobre 1975).

-Le condamnation d'Israël sur la scène mondiale


A partir de 1970, l'U. G. T. Ta déployé une action intense en vue
de la condamnation d'Israël par la Communauté Internationale au.
sein de l'O.I.T. Dans ce but, j'ai veillé à attirer sans cesse l'atten-
tion des Etats membres de l'Organisation, sur la condition du Peu-
ple Palestinien. Finalement, nous sommes parvenus en Juin 1974,
de concert avecles autres pays frères et amis, à obtenir la condam-
nation d'Israël, et en Juin 1975, à garantir l'admission de l'organi-
sation de la Palestine au sein de l'O.I.T.
Enfin, en Juin 1976, une délégation de l'O.L.P. fut admise au con-
grès international du travail.
Il convient de noter à cet égard, que le congrès avait au départ
refusé la présence de la délégation palestinienne à ses travaux. Je
me suis aussitôt rendu à Genève et j'ai demandé avec des amis ara-
bes et syndicalistes aux congressistes de réexaminer la question
critiquant le rejet de la demande d'admission palestinienne et
usant de tout mon crédit auprès des délégations des pays frères et
amis et auprès des organisations syndicales internationales. Fina-
lement la délégation palestinienne fut admise. ·
De surcroit, nous avons apporté à nos frères palestiniens une
aide matérielle en rapport avec nos moyens financiers. Nous
avons, entre autres, organisé une campagne de collecte de sang à
Tunis et dans certaines autres régions du pays.

176
2) Les relations avec les organisations africaines

En Afrique, il y avait deux centrales syndicales régionales, l'une


la Confédération Syndicale Africaine dont le Présidènt était Tlili
et qui avait des attaches avec la Confédération des Syndicats
Libres (C.I.S.L.) ; la deuxième, l'Union Syndicale Panafricaine
(U.S.P.) présidée par Mahjoub Ben Seddik, Secrétaire Général
de l'Union Marocaine du Travail.
Durant des années, de multiples rencontres et réunions épuisan-
tes se sont succédées en vue de l'unification des deux organisations
sans cependant parvenir à un résultat satisfaisant pour tous. En
effet, il existait un point de litige fondamental portant sur le retrait
des organisations syndicales mondiales, point qui n'a pu être règlé.
Face à cet état de fait, il a été procédé à la constitution d'une com-
mission dont l'U.G.T.T. a fait partie, elle a élaboré un projet de
charte et de statut d'une organisation syndicale unifiée. A la suite
de l'action sérieuse menée par cette commission, il a été décidé de
tenir un congrès constitutif à Addis Abéba. --

-Réunion préliminaire à Tunis :

Afin de garantir le succès du congrès d'Addis Abéba, j'ai prési-


dé, le 29 Mars 1973 à Tunis, une réunion préliminaire groupant un
grand nombre de délégués africains venus à Tunis pour assister
aux travaux du Congrès de l'U.G.T.T. A cette occasion, j'ai pré-
cisé la position de l'U. G. T. T. à l'égard de l'organisation syndicale
panafricaine et son point de vue quand aux orientations sur les-
quelles pourrait être fondée l'Union.

-Le congrès d' Addis-Abeba

Le 6 Avril1973, la délégation de l'U. G. T. T que j'ai présidé moi-


même a assisté aux travaux du Congrès d'Addis-Abeba. Grande
fut alors notre surprise de constater l'absence de certaines déléga-
tions syndicales arabes des plus importantes, telles celles de
l'Egypte, de l'Algérie et du Maroc. Pourtant nous avons continué
d'assister aux travaux du congrès. Sur ces entrefaites, nous consta-
tâmes un certain nombre d'agissements que nous avons jugés con-
traires à l'esprit et aux principes du syndicalisme libre auxquels
notre organ.-isation l'U.G.T.T est fortement attachée. Notre délé-
gation a tenté alors de préciser les objectifs du congrès, de mettre
un terme aux interventions étrangères occultes et d'assurer
davantage de liberté et de démocratie aux travaux du congrès,

177
mais en vain. Notre délégation a alors été contrainte de quitter le
congrès à la suite des tentatives déployées en vue d'influencer les
travaux du congrès, de porter atteinte aux libertés syndicales et de
faire pression sur certaines délégations pour les amener à se retirer
de toutes les organisations syndicales mondiales et pour plonger
l'organisation projetée dans un isolement de nature à nuire à l'ac-
tion syndicale africaine et aux travailleurs Africains.
Dev:mt notre opposition catégorique et ferme manifestée tout au
long du congrès, le Secrétaire de l'O.U.A. m'a C_<":)nvoqué dans son
bureau et m'a parlé de la nécessité et de l'obligation des syndicats
africains de se désaffilier des organisations syndicales ouvrières
internationales. Je me suis efforcé de lui prouver que la collabora-
tion des travailleurs africains avec les autres travailleurs du monde
contribue au développement du syndicalisme dans notre continent
et que nous avons encore pour longtemps besoin de l'appui et de
la solidarité du mouvement syndical fort et bien organisé des pays
amis et démocrates. Devant l'obstination du secrétaire général à
ne pas admettre notre point de vue clair et sérieux, j'ai fini par
comprendre que les Chefs des pays Africains veulent nous mainte-
nir dans un isolement complet du monde extérieur à l'Afrique et
comme aussi la grande majorité des congressistes sont mandatés
par leur gouvernement donc favorables à la désaffiliation, nous
avons fait la déclaration suivante avant de quitter le congrès pour
rentrer dans notre pays :

Addis-Abéba, le 12 Avril1973

Camarade Président, Chers Camarades,


Je me trouve dans l'obligation de prendre la parole pour éclair-
cir le point de vue de mon organisation sur cette question qui nous
retient depuis deux jours et qui semble accueillir une grande majo-
rité à savoir la désaffiliation. Or je tiens à préciser que mon gou-
vernement a signé la Convention Internationale no 87 sur les liber-
tés syndicales. Encore notre constitution nationale reconnaît les
libertés syndicales et même le droit de grève. Or je constate depuis
que je suis venu à Addis-Abéba, l'ingérence flagrante, à ma
connaissance avec l'O.U.A. - au moins de cinq ambassades de
pays bien loin d'Afrique, et aussi des organisations professionnel-
les étrangères. Aussi la plupart des gouvernements des pays des
délégations ici présentes favorables à la désaffilia ti on poussent les
délégués ouvriers de leur pays à marcher dans ce sens. Ces ambas-
sades et ces organismes distribuent des chèques et offrent des
dîners. Ils discutent de notre congrès, orientent et forment même

178
le bureau de la nouvelle organisation. Je suis amené à conclure que
la désaffiliation est le désir des ennemis de l'Afrique et qu'elle a
pour but d'isoler les travailleurs africains du reste du monde pour
les frustrer de leurs libertés, afin de les exploiter sans pouvoir
dénoncer leurs exploiteurs réactionnaires et jeunes dictateurs
assoiffés de pouvoir et jaloux de leurs prérogatives.
Pour ces libertés syndicales, des milliers de travailleurs tunisiens
sont morts en lutte depuis 1924. Le fondateur de l'U.G.T.T. lui-
même a été assassiné par les colonialistes un matin de bonne heure
en se rendant à la maison des syndicats. Moi-même j'ai été
mitraillé lors d'une manifestation. Des balles ennemies logent
encore dans mon corps et c'est l'intervention d'un organisme syn-
dical mondial qui m'a sauvé de l'exécution. C'est pour ces raisons
et pour beaucoup d'autres non moins importantes que mon orga-
nisation est contre la désaffiliation. Devant les pressions de toutes
parts et de toutes sortes que j'ai citées plus haut, mon organisation
proteste contre ces agissements et par respect de nos principes et
de nos nombreuses victimes pour l'épanouissement du mouve-
ment syndical, elle a choisi la liberté».
Toute la délégation U.G.T.T. a quitté la salle des congrès pour
rentrer en Tunisie où les travailleurs informés des causes de notre
retrait nous ont approuvés.
Ainsi, il n'a malheureusement pas été possible, une fois de plus
de réaliser l'Unité Syndicale Africaine réelle et libre souhaitée.
Les représentants de l'organisation, l'Union Syndicale Afri-
caine (O.U.S.A.) issus du congrès d'Addis-Abéba nous ont
contacté à plusieurs reprises pour nous demander de reprendre
notre place avec eux surtout qu'après notre départ du congrès la
question-de la désaffiliation a été mise en instance.
Par la suite, des prises de position politiques d'une grande
importance ont été prises en faveur des palestiniens par l'unani-
mité des représentants des pays africains ; c'est à ce moment que
l'U.G.T.T. a décidé de reprendre son adhésion à la jeune Union
Syndicale Africaine et depuis nous avons toujours répondu à son
appel en toutes circonstances, de ce fait nos relations avec les pays
frères africains se sont largement développées.

-Les peuples d'Afrique Australe :

Fiére de l'ampleur de sa lutte contre le colonialisme et de sa con-


tribution efficace à l'élimination des forces d'oppression et d'as-
servissement, partout dans le monde et principalement en Afri-
que, l'U.G.T.T. a consta~ment manifesté et manifestera son

179
inquiétude aussi longtemps que subsistera le colonialisme ne
serait-ce que sur un seul pouce du continent africain, une telle
situation constituant une menace pour notre indépendance et pour
notre liberté. Aussi l'U.G.T.T. n'a pas ménagé et ne ménagera
aucun effort pour appuyer et aider nos frères d'Afrique du Sud, de
Namibie et du Zimbabwe.

3) Les relations avec les Organisations Mondiales, la


Confédération Internationale des Syndicats Libres :

Depuis 1951, date du deuxième congrès de la Confédération


Internationale des Syndicats Libres auquel avait pris part le fonda-
teur de l'U.G.T.T., Farhat Hached, notre organisation reste
fidèle à ses engagements dans sa coopération avec cette organisa-
tion mondiale, sur la base de la ,liberté, du respect mutuel et de la
franchise, d'autant que les principes de base sur lesquels a été édi-
fiée cette organisation et qui consistent essentiellement en la
liberté et la démocratie, concordent avec ceux de l'U.G.T.T.
Réélu vice-président de la C.I.S.L., j'assiste régulièrement aux
sessions du bureau exécutif et contribue efficacement à l'adoption
des décisions. Parmi les résultats obtenus, nous citerons les nom-
breuses décisions du congrès de Mexico en faveur des peuples
opprimés, de la paix et de la justice.

-L'Organisation Internationale du Travail :

Depuis 1956, nous participons aux travaux du B.I.T. au sein de


la délégation tripartite tunisienne. Certains membres de notre
organisation se sont spécialisés ; ils ont pu acquérir une connais-
sance profonde dans le fonctionnement de cet important orga-
nisme international. Ils bénéficient aussi d'une grande estime de
son conseil d'administration et des membres des commissions du
B.I.T. qui sont presque les mêmes chaque année. Notre activité
est très remarquée et bien appréciée surtout notre combat pour les
libertés syndicales et l'appui aux causes des peuples qui luttent
pour leur indépendance. Aussi en fin des travaux du B .1. T., les
délégations s'invitent mutuellement à visiter leurs pays respectifs
et j'estime que les avantages tirés de ces connaissances ne sont pas
moins importants que le profit des longues discussions des sujets
très importants débattus dans cet important organisme tripartite
international.

180
Le complot contre I'U.G.T.T.

Un fait bien curieux et je ne sais si c'est le hasard qui fait cette


coïncidence ou un travail bien calculé. Trois années consécutives
alors que nous sommes en plein travaux du B. 1. T., la presse tuni-
sienne du Parti et la presse française dont« le Monde » annoncent
un changement à la direction de l'U.G.T.T. La première fois
c'était en 1975 :Un journal du parti annonce le remplacement de
Habib Achour à la tête de l'U.G.T.T. En 1976 la même presse
annonce le remplacement du Secrétaire Général par Abdallah
Farhat membre du gouvernement.
En 1977, encore durant les travaux du B .1. T., la presse annonce un
«changement certain» à l'exécutif de l'U.G.T.T. : «Habib
Achour sera-t-il remplacé par Dachraoui ex ministre du travail qui
a fait une déclaration dans ce sens aprés une entrevue qu'il a eue
avec le Président Bourguiba ? ».
A mon retour de Genève à Tunis, ce fut l'occasion pour les syn-
dicalistes d'organiser une r~ception grandiose à l'aéroport où ils
manifestaient leur hostilité à ces bobards lancés par le parti et le
gouvernement pour tâter le terrain et essayer de voir la réaction
des travailleurs. Le parti voyant les syndicalistes décidés à mainte-
nir leur autonomie,a décidé de renforcer sa milice et d'aller jusqu'à
terroriser les syndicalistes. N'a-t-on pas vu des camarades suivis à
la sortie del'U.G.T.T. et, arrivés à des coins obscurs, se voir frap-
pés ?! Notre journal fut p}us d'une fois arraché des mains des reven-
deurs et déchiré. Même les lecteurs de notre journal ont été frap-
pés pour le seul crime d'avoir le journal en main. Des camarades
ont été arrêtés en plein jour sûrement par la milice et conduits au
local du comité de coordination du Parti où ils ont été frappés et
sequestrés. Voyant que ces provocations ne diminuaient en rien
l'activité de l'U.G.T.T., ils ont décidé de recourir à d'autres
méthodes.

181
Alors que j'étais en congé à Kerkennah, on m'annonce qu'un
nommé Ouerdani menace de me tuer soit devant chez.moi soit à
l'HôtelAmilcar qui appartient àl'U.G.T.T. et où je vais assez sou-
vent. Au début je n'ai pas attaché de l'importance à cette nouvelle
mais mis en contact avec celui qui l'a annoncée, j'ai vu que c'était
sérieux. J'ai consulté un avocat, et ensemble nous avons décidé de
déposer plainte après avoir parlé au ministre de l'intérieur qui était
lui aussi au courant de ces menaces.
Quelques jours après j'ai été convoqué par le Président Bour-
guiba qui m'a déclaré :
« J'ai appris que tu as déposé plainte contre El Ouardani qui t'a
menacé, je le connais bien. J'ai voulu te rassurer il n'en fera rien.
Je te demande de retirer ta plainte ».
J'étais très étonné de voir le Président intervenir dans ce cas et
dans ce sens ; je lui ai répondu alors :
« Je verrai monsieur le Président».
De retour à l'U.G.T.T., j'ai réuni l'exécutif auquel j'ai exprimé
ma surprise de voir le président intervenir en faveur de Ouardani.
La plupart des camarades se sont mis à rire et m'ont dit : «Tu ne
sais pas que ce bonhomme a été décoré publiquement par Bour-
guiba lui-même, pour des actes de bravoure dont l'assassinat du
leader Destourien Ben Youssef en Allemagne». C'est alors que
nous avons décjdé de réunir la C.A. et d'ajouter cette question à
l'ordre du jour. Il a été décidé lors de cette réunion une grève
générale tournanté.de protestation de deux heures.
Devant l'immense succès de ces grèves, le parti et le gouverne-
ment ont décidé de combattre les arrêts de travail avec la plus
grande énergie. Il s'en est suivi des centaines d'arrestations à tra-
vers le pays. La milice est intervenue avec une extrême violence.
J'ai fourni un rapport très détaillé au ministre de l'intérieur et à
son directeur, mais les innocents qui ont subi des sévices ont été
condamnés à des lourdes peines d'emprisonnement malgré les
preuves qui ont été fournies aux juges et qui démontraient, pour la
plupart des cas que les inculpés étaient bien les victimes et les
témoins les agresseurs véritables avec preuves multiples.
Les membres du bureau politique étaient divisés sur la méthode
employée par le parti pour combattre les syndicalistes. Les uns :
Nouira, Sàyah, Farhat etc ... voulaient l'emploi de la force pour
réprimer toute action de l'U.G.T.T., les autres : Belkhodj~, Koo-
li, Miali etc ... voulaient le dialogue et la persuasion pour le règle-
ment de tout conflit social.
Un jour, le Président Bourguiba mis au courant du désaccord au
sein du Bureau Politique convoque Nouira, Belkhodja et moi-

182
, Protestation des ouvriers de Pennaroya contre
la menace d'assassinat du secrétaire général.
même. Il nous a déclaré que le désaccord entre nous porte préju-
dice au pays, "je vous demande de tenir compte de l'intérêt supé-
rieur de la patrie".
Nouira a répondu favorablement aux vœux de Bourguiba et
ensuite c'était mon tour de prendre la parole pour dire que
l'U.G.T.T. qui a supporté les plus lourds sacrifices pour la libéra-
tion du pays est toujours disposée à tout faire pour le bien de notre
peuple. J'ai parlé presque dans le même sens queNouira, et Bour-
guiba semblait satisfait de nous voir parler de la sorte. En le quit-
tant, il nous dit : « Je compte sur vous pour la bonne marche du
pays ». Chacun de nous l'a tranquillisé et nous nous sommes quit-
tés, j'avais personnellement l'espoir que les provocations et les
agressions contre les syndicalistes allaient cesser. A peine arrivé à
mon bureau, Nouira me téléphone, il me dit :
«Que penses~tu si on tient une réunion du Bureau Politique».
-C'est une bonne chose lui dis-je.
Alors, Nouira me répond :
« C'est pour 12h30 çà te va ?»Oui lui dis-je.
La réunion n'a pas eu lieu à la maison du parti mais à la Prési-
dence à la Kasbah. Tous les membres du bureau politique étaient
présents. Nouira prend la parole et parle de l'entretien qu~ nous
avons eu ce matin avec le Président Bourguiba et me passe la paro-
le.
J'ai parlé exactement comme lui, tirant les mêmes conchÎsions
tendant à normaliser la situation dans le pays en accord avec les
vœux du Président. Les membres du bureau politique étaient très
satisfaits. Seul Sayeh Directeur du Parti prend la parole et regrette
l'intervention de Bourguiba. «Sans cette intervention j'aurais
montré aux syndicalistes ce dont le Parti est capable ». Illes aurait
écrasés.
L'interrompant dans sa diatribe, je lui ai dit : « je sais que tu
armes la milice, je sais qui les entraine et où ils s'entrainent; je
dois te dire que ces pauvres gens que tu veux utiliser dans une sale
besogne savent que je suis au moins aussi destourien que toi et me
racontent tout sur tes intentions criminelles».
Nouira intervient et lève la séance. Il me rejoint dans le couloir
et me dit :«Veux-tu venir dîner chez moi ce soir ; on a besoin de
discuter et d'éclairer certains problèmes».
Je me suis rendu au rendez-vous à 21h. Durant plus de 3 heures
on a évoqué l'ensemble dès litiges sociaux et le différend entre
l'U.G.T.T. et le parti. On parlait franchement et sincèrement,
avec le désir d'améliorer la situation.

184
J'ai insisté auprès de Nouira sur la nécessité, si l'on veut arriver
à une véritable solution, d'écarter du parti Ben Aïcha, Habib
Fathallah, Djérad et Sayeh. Nouira me répond : « Pour les 3 pre-
miers je peux décider et je suis d'accord ; mais pour Sayeh, je ne
peux pas le faire. C'est au Président de décider et je ne crois pas
pour le moment qu'il accepte de le faire ». Et on s'est quitté très
satisfaits de la soirée.
Durant plus d'une semaine, Nouira n'a laissé rien transpirer de
notre entretien, alors qu'il m'a laissé beaucoup d'espoir pour frei-
ner l'activité de la milice et de ses chefs que j'ai cités plus haut.
Quelques jours après cet entretien, le secrétaire de la fédération
de la métallurgie vient me voir et me soumet une lettre du P .D. G.
de la plus importante usine de la place qui dit :
« J'ai reçu du ministère de tutelle l'ordre d'arrêter toute discussion
avec le syndicat sur toute revendication qui a un effet pécunier ».
J'ai contacté le P.D.G. qui me déclare qu'il ne peut plus s'engager
au sujet des renvendications pour lesquelles il avait donné son
accord.
Le ministère concerné, coqsulté, nous a déclaré que les instruc-
tions pour cette décision émanent du premier ministre. Cette déci-
sion du premier ministre a été étendue à l'ensemble des sociétés
nationales et des offices dont la plupart étaient en discussion avec.
les syndicats depuis bien longtemps, sans difficultés, ni agitation.
La suspension des négociations, la non application des accords
intervenus ont créé aussi bien au sein des organismes concernés,
qu'à travers tous les organes de l'U.G.T.T., un profond étonne-
ment et de la colère qui n'a d'égale que l'absurdité de la décision
ministérielle.
Les syndicats concernés et les fédérations tenaient réunion sur
réunion. Pour la plupart d'entre eux, leurs réunions se terminaient
par le vote d'une motion de protestation et d'un préavis de grève.
Le gouvernement continue à faire la sourde oreille, mais la
milice devient de plus en plus menaçante, poussée par les appels à
l'anéantissement de l'U.G.T.T., lancés par la presse du parti et
par les cellules destouriennes présidées par de hauts responsables.
Un jour, dans une réunion du bureau politique dont j'étais
membre, Nouira a posé la question des activités de l'U.G.T.T.
qui, dit-il, envisage un grand nombre de grèves qui n'ont aucune
justification et conclut en déclarant que l'U.G .T.T. n'est pas une
crganisation syndicale, mais un parti politique. Sayeh prend la
~Jarole après lui et se montre encore plus violent et conclut en
disant : « Il faut en finir avec cette U.G.T.T. » Ferjani qui est en

185
même temps Président du syndicat patronal était très satisfait du
langage tenu par Nouira et Sayeh.
Je les ai laissés déverser leur haine par des flots d'injures contre
les travailleurs. Cela m'a permis d'être fixé d'une façon définitive
sur les vrais sentiments de ces messieurs, dirigeants au plus haut
niveau du parti socialiste destourien.
J'ai pris alors la parole et avec le plus grand calme que j'ai l'ha-
bitude de garder pendant les moments les plus critiques, j'ai dit :
« Pour justifier votre rupture des négociations qui durent depuis
des mois entre P.D.G. et patrons d'un côté et salariés de l'autre,
vous avez lancé la monstrueuse accusation que rien ne justifie :
l'U.G.T.T. est un parti politique et non une organisation syndica-
le. Parmi ceux qui se sont montrés tellement violents et convaincus
de cette accusation, y-a-t-il un seul qui puisse nous donner'une
seule preuve ? Peut-être cela s'est fait à mon insu, il faut m'éclai-
rer ».
J'attends une réponse, mais personne ne parle, et j'ajoute :
«Moi je peux vous fournir la preuve que l'U.G.T.T. est une orga-
nisation syndicale et rien de plus.
Pour mettre fin à cette agitation sociale, je vous propose d'annu-
ler la circulaire ministérielle qui met fin aux négociations entre
employeurs et salariés, et l'U.G.T.T. ne gardera que les projetsen
discussion avec une dizaine de sociétés et dont les parties contrac-
tantes sont d'accord sur de nombreux points, et j'ai cité aussi bien,
les noms des sociétés que les points (litigieux pour chacune d'el-
les). En dehors de ces conflits, l'U.G.T.T. fera tout en son pouvoir
pour discuter des revendications salariales chaque année, comme
il est entendu avec le gouvernement et les organisations d'em-
ployeurs au rendez-vous d'Avril.
Voilà monsieur le secn~taire général du parti en très peu de mots
la preuve la plus éclatante que l.'U.G.T.T. est loin d'être un parti
politique, mais une organisation syndicale authentique».
Monsieur Mohamed Mzali prend la parole et dit à haute voix :
« Je ne sais pas ce que vous pouvez lui demander de plus que çà ».
Puis il ajoute : «j'estime qu'il faut nous attacher à résoudre ces
quelques problèmes et vite pour en finir et prendre Habib Achour
au mot et je lui demande s'il maintient ce qu'il a dit ».
-Oui lui dis-je ; malgré la grande responsabilité je m'engage à
respecter et faire appliquer par mes camarades le point de vue qw
je viens de soumettre.
Tous les membres du bureau politique étaient satisfaits, de cett•
décision si importante. Un photographe a été appelé et mes dem
adversaires les plus cori acP~ Sayeh. Directeur du Parti et Ferjani
Manchette du journal Ech-Chaâb du 9 Décembre 1977:
"Ils" nous dressent des échafauds tandis que
nous leur voulons du bien
Président du syndicat patronal ont tenu à se photographier à mes
côtés, l'un à gauche, l'autre à droite. Cette photo parue sur la
presse du matin en bonne place a provoqué au sein de l'U. G. T. T.
de nombreux commentaires.
Le soir même, nous avons formé des commissions qui se sont
partagées les sociétés en litige. Les 3 commissions étaient prési-
dées chacune par un ministre avec des représentants de
l'U.G.T.T. et du patronat.
Nous tenions des séances de travail chaque soir avec nos repré-
sentants à ces commissions. Les discussions quoique difficiles
avançaient bien, il y avait de la compréhension mutuelle et un
désir sincère d'arriver à une solution satisfaisante. Alors qu'on
attendait la fin des travaux, les membres des commissions ont été
avisés par les ministres responsables de l'arrêt des discussions,
sans un mot sur le motif. .
J'ai contacté le ministre d'Etat auprès du premier ministre qui
avait la charge des problèmes économiques et sociaux; il m'a
déclaré avec beaucoup d'émotion :«Je ne comprends pas, Si El
Hédi, le premier ministre, m'ordonne de rompre les discussions
avec l'U.G.T.T. alors que l'accord est intervenu sur les points liti-
gieux les plus difficiles et au moment où je lui ai annoncé tout heu-
reux d'avoir surmonté les dernières difficultés en suspens pour sor-
tir de cette situation qui nous a créé tant d'ennuis. Je n'ai pas man-
qué d'attirer l'attention du premier ministre sur la réaction de
l'U.G.T.T. face à cette décision à un moment où les responsables
syndicalistes dans les diverses commissions .chargées de résoudre
les problèmes qui provoquent l'agitation sociale de ces derniers
jours, sont décidés d'aboutir à une solution, et ils s'y mettent de
tout cœur. Ils s'attendent à une décision toute proche et j'ai eu
moi-même plusieurs discussions avec le Secrétaire Général de
l'U.G.T.T. pour lui demander son intervention auprès de certains
membres de la commission lorsqu'ils ne veulent pas démordre sur
certains points pour realiser un compromis » Il ajoute : « c'est
absurde je n'y comprends rien ».
Je lui ai demandé de faire part au premier ministre de mon inter-
vention et de lui rappeler avec insistance mon désir sincère d'arri-
ver à une solution qui nous permette à tous de travailler en paix
comme il ne cesse de le répéter dans ses discours ; rien ne justifie
l'arrêt des négociations, la reprise des discussions s'impose auss.l
bien dans l'intérêt des travailleurs que dans celui de l'Etat et des
employeurs ; et nous nous sommes fixés un rendez-vpus pour le
. iour suivant.

188
A l'U.G.T.T. toutes les salles de réunion sont occupées du
matin jusqu'à une heure très tardive de la nuit, les responsables
font le point de la situation, des négociations et de la rupture que
rien ne justifie imposée par le premier ministre. Des télégrammes
de protestations ont été envoyés à Bourguiba et à Nouira, des
motions et des résolutions ont été votées, demandant aux travail-
leurs d'être vigilants face à cette provocation caractérisée de la
part du gouvernement de Nouira quidoit supporter seulles consé-
quences de sa décision de rupture, que rien ne justifie, si ce n'est
son désir de créer des ennuis aux travailleurs déjà très excités et
que les responsables syndicalistes essarent de calmer afin de res-
pecter l'engagement pris par moi-même au compromis décidé à la
suite d'une réunion du bureau politique.
La rencontre a eu lieu comme prévu avec Moncef Belhadj
Amor, Ministre qui supervise les négociations. L'entretien a été
très court, il m'a avisé que le premier ministre est formel, la déci-
sion de rupture est prise ; elle est irrévocable.
De retour à l'U.G.T.T., l'exécutif s'est réuni et a décidé la réu-
nion de la commission administrative dans le plus bref délai. Cette
réunion a eu lieu deux jours après.
Les camarades qu'ils soient des Unions régionales ou des fédé-
rations se plaignent du comportement de la milice du parti et de sa
protection par la police dans ses coups de mains contre les travail-
leurs.
Quant à la rupture des négociations prononcée par le premier
ministre, elle a provoqué des heures de discussions, durant les-
quelles la politique sociale du gouvernement a été vivement criti-
quée par tous les membres de la C.A. qui déclaraient : « N ormaie-
ment c'est nous qui ne devions pas accepter la discussion limitée à
une dizaine de sociétés alors qu'il y a de très nombreux statuts en
souffrance et si nous avons accepté, c'est pour ne pas désapprou-
ver le Secrétaire Général qui s'est ~éjà engagé ». C'était la pre-
mière fois que j'ai révèlé l'atmosphère d'hostilité qui existait au
bureau politique contre l'U.G.T.T. et si j'ai pris cet engagement
qui limite les revendications des travaill"eurs pour une certaine
période, c'est pour déjouer une manœuvre très visible de Nouira-
Sayeh et Far hat - tendant à nous pousser à faire la grève et aller à
la répression sauvage qu'ils ont minutieusement préparée, d'après
un ministre très bien placé pour le savoir. La C.A. a voté une
motion de protestation très énergique comportant une menace de
grève et demandant aux travailleurs d'être vigilants.
La C.A. a fixé aussi la date de la réunion du conseil national de
l'U.G.T.T. à l'Hôtel Amilcar pour les 8, 9 et 10 janvier 1978 .

.189
Avant la date de cette réunion, le ministre de l'intérieur a été limo-
gé, ainsi que le directeur général des services de sécurité. Ils ont
été remplacés le premier par le ministre de la défense et le
deuxième par un colonel.
A la suite de ces nominations, l'exécutif de l'U. G. T. T s'est réuni
et a fait paraître le communiqué suivant : « Le bureau exécutif de
l'U.G.T.T. réuni le samedi 24-12-77 ; après avoir examiné et dis-
cuté de la situation actuelle dans le pays et après avoir aussi
consulté les secrétaires généraux des fédérations, des syndicats
gén6raux et nationaux communique ce qui suit :
Bien que l'U.G.T.T. évite de s'immiscer dans les affaires du
gouvernement, elle pense que la nomination du ministre de la
défense nationale à la tête du ministère de l'intérieur par intérim,
ainsi que la nomination d'un colonel de l'armée à la tête de la
Direction Générale de la Sûreté Nationale, constituent un tour-
nant dans la politique du pays dans le sens du durcissement et que
les tous prochains jours qui viennent feront éclater la réalité.
L'U.G.T.T. est, et restera attachée aux principes démocrati-
ques garantis par la constitution du pays. L'U.G.T.T. organisation
de masse, fidèle à ses traditions populaires et démocratiques,
continuera son action pour la défense des intérêts de la classe
ouvrière avec plus de courage et de vigilance.

Le Secrétaire Général
Habib Achour

Notre crainte du durcissement ne s'est pas fait attendre. Le jour


même de leur prise de service, de nombreux camarades étaient en
grève et qu'ils soient assemblés à l'intérieur de l'établissement ou
réunis sur la place publique la plus proche du lieu de leur travailles
grévistes n'ont pas échappé à l'arrestation et aux vexations de tou-
tes sortes.
Le ministre de l'intérieur consulté m'a déclaré : « S'ils veulent
faire la grève qu'ils restent chez eux ». C'est alors que je lui ai
répondu avec ironie :«'Ace que je sache le droit de grève n'a pas
été abrogé alors que vous devez de par votre fonction de ministre
de l'intérieur protéger la loi ».
Les ouvriers en grève chassés de l'intérieur comme de l'exté-
rieur des usines viennent à l'U.G.T.T. dont les locaux débordent
sur la place devant l'U.G.T.T. C'était l'occasion pour les respon-
sables de la police d'encercler l'U.G.T.T. nuit et jour, de provo-
quer les ouvriers et de créer des incidents, souvent très graves au
cours desquels les policiers avec bâtons et bombes lacrymogènes

190
faisaient de nombreux blessés et rendaient la vie impossible par
l'émanation des gaz provenant des bombes lancées à l'intérieur
même de la maison de l'U.G.T.T. Les inspecteurs de police,
déguisés en ouvriers ou fonctionnaires pullulent non seulement
dans le bâtiment de l'U.G.T.T. mais aussi à l'intérieur des
bureaux. Quand ils sont repérés, ça provoque des incidents, et non
contents d'être dévoilés, ils inculpent à tord les camarades d'ou-
trage - coups et blessures à agents de la sûreté dans l'accomplisse-
ment de leur mission, et il arrive à nos camarades d'être condam-
nés à un an de prison et même plus.
Pendant ce temps des incidents très graves sont arrivés à Tozeur
dont le local de l'U.G.T.T. a été assiègé par une foule de gens,
agriculteurs, étrangers venus je ne sais d'où, jeunesse destourien-
ne, le secrétaire du comité de coordination, le délégué régional et
la police qui les protégeait.
Au camarade responsable syndical qui m'annonçait ce qui est
arrivé, j'ai donné l'ordre d'aviser les travailleurs pour qu'ils vien-
nent de suite, qu'ils les attrapent par le fond de leur culotte et qu'ils
les jettent dehors. A la suite de cette communication et avant l'ar-
rivée de nos camarades, les assaillants se sont retirés.
A Sousse, les incidents sont encore plus graves : la voiture du
secrétaire de l'union régionale a été prise entre deux voitures de la
milice du Parti dont les occupants, après avoir blessé au visage le
conducteur et le frère du secrétaire de l'union régionale, ont
détruit totalement la voiture. Pendant ce temps, une bagarre se
déroulait devant la maison de l'U.G.T.T. entre syndicalistes et
membres de la milice recrutés en grande partie parmi les gens de
Ouerdanine, village natal du ministre de la défense qui assurait en
même temps l'intérim du ministre de l'intérieur.
L'ancien ministre de l'intérieur fut limogé pour son refus d'aller
jusqu 'à interdire les grèves et tirer sur les grévistes, quitte à laisser
500 morts sur le terrain à chaque occasion. Tels sont, m'a dit Belk-
hodja, les ordres que lui donnait Nouira. D'ailleurs il m'a dit aussi
qu'il a eu une audience avec le Président quelques jours avant son
limogeage, imprévisible d'ailleurs. Il lui aurait déclaré qu'on exige
de lui qu'il fasse couler le sang. J'estime répondit-il que Bourguiba
qui a lutté pour le peuple et avec le peuple n'acceptera pas de faire
couler le sang de ce peuple, surtout que je trouve de la compréhen-
sion de la part de Habib Achour et de ses camarades. Après cet
entretien, Belkhodja est sorti avec l'impression que Bourguiba ne
marche pas pour la répression.
Jusqu'au jour de la réunion du Conseil National tenu le 8, 9 et
10 Janvier 1978 à Amilcar, les agressions à l'égard des syndicalistes

191
commises par les gens du Parti ne cessaient de s'avérer plus nom-
breuses et plus sauvages. Ces provocations ont énormément excité
les syndicalistes qui veulent riposter et que nous arrivons à calmer
avec beaucoup de peine.
C'est dans cette atmosphère que le conseil national débute,
no\IS le prévoyons très houleux. Il a été recommandé aux camara-
des membres de l'exécutif présidant les diverses commissions
d'être très prudents et d'éviter les excès. Chaque faux-pas de notre
part est cop.sidéré par nos adversaires comme étant une preuve de
nos mauvaises intentions à leur égard et une raison de plus pour
justifier le ratissage pratiqué par la milice c;Iu Parti.
J'ai ouvert la première séance du conseil national le 8 Janvier
1978. J'ai exposé la situation syndicale depuis le dernier conseil
national en insistant sur l'objet de la réunion, nos relations avec le
gouvernement, le parti et les organisations nationales patronales.
J'ai parlé des étapes qui ont conduit le gouvernement à prononcer
unilatéralement la rupture des discussions entre employeurs et
salariés sur toutes les questions ayant un effet pécunier. Cette
décision a provoqué de nombreuses grèves là où les discussions se
. sont arrêtées sur ordre du Premier Ministre Nouira qui n'était
qu'un jouet entre les mains du Directeur du Parti Mohamed
Sayeh, grand patron de la milice, partisan d'une soumission incon-
ditionnelle ou d'une répression par tous les moyens dont il dispo-
se, et ses moyens sont nombreux et variés.
J'ai parlé aussi de l'entretien que j'ai eu avec le Président Bour-
guiba en ce qui concerne le retrait de la plqinte que j'ai déposée
contre Ouerdani qui se propose de m'assassiner et du succès de la
grève tournante de 2 heures décidée par la commission administra-
tive de l'V. G. T. T. à la suite de laqu_elle il y a eu de nombreux bles-
sés par la milice et de nombreuses condamnations de syndicalistes
et de chômeurs à des peines très sévères. J'ai parlé aussi de l'entre-
tien que nous avons eu Nouira, Belkhodja et moi-même avec le
Président Bourguiba au sujet de la situation sociale dans le pays,
de l'engagement de Nouira et de moi-même auprès du Président
afin de résoudre les problèmes pour le mieux dans l'intérêt du
pays. J'ai bien insisté sur la réunion l'après midi du même jour du
bureau politique qui a dégagé l'unanimité de ses membres sauf
Sayeh qui a regretté amèrement cet engagement auprès du Prési-
dent. A vrai dire, il n'a pas réussi à cacher ses véritables intentions
de vouloir nous écraser et d'en finir avec l'U.G.T.T.
J'ai parlé au Conseil National du dîner le soir même de la réu-
nion du Bureau Politique chez Nouira en tête à tête et au cours
duquel toutes les questions objets du conflit entre le gouverne-

192
-

ment et le parti d'un côté etl'U.G.T.T. de l'autre furent passées en


revue. J'avais suggéré à Nouira les mesures à prendre qui pour-
raient mettre fin aux différends qui nous séparent. Il me semblait
prendre la discussion bien au s~rieux, approuvant même un rema-
niement radical parmi les responsables destouriens extrémistes et
provocateurs, cause du pourrissement de nos relations avec le
pouvoir.
J'ai exposé aussi au Conseil National, la fameuse réunion du
bureau politique très orageuse mais qui s'est terminée par la for-
mation de commissions mixtes présidées chacune par un ministre,
et comprenant des responsables syndicalistes membres ici pré-
sents. Ils ont accompli avec les ministres et d'autres membres gou-
vernementaux un excellent travail, qui, avant son achèvement de
très peu a été arrêté sur ordre du premier ministre Nouira. La
seule explication que j'ai pu donner à cette position de Nouira,
c'est qu'il ne s'attendait pas à voir l'U.G.T.T. marcher vers une
véritable solution et il voulait donner une raison valable à une
intervention armée que nous, à l'U.G.T.T., on voyait arriver par
des indices nombreux émanant de la milice du Parti et des autori-
tés à travers le pays. Malgré notre désir sincère d'arriver à une
solution pacifique Nouira ordonna encore l'arrêt des négociations,
décision mal accueillie par les ministres responsables qui ont pré-
féré démissionner que de perdre la face. La démission de quatre
ministres à la fois a provoqué un malaise populaire mais N ouira les
a vite remplacés comme si de rien n'était.
La répression se filit plus terrible sur l'ensemble du territoire, les
libertés conquises de haute lutte depuis la colonisation étaient
totalement ignorées. Enfin j'ai terminé ma brève intervention en
disant aux membres du conseil national que nous vivons un tour-
nant décisif qui exige de nous beaucoup de courage et surtout du
sang froid pour éviter les pièges qui nous sont tendus.
Les camarades représentants des Unions Régionales, des fédé-
rations nationales, des syndicats généraux, ont chacun lu un rap-
port préparé par les responsables de son organisation et discuté
par la base. Cela nous évite d'avoir d'abord des centaines d'ora-
teurs à prendre la parole et surtout, l'intervention préparée bien à
l'avance, tient cc,mpte des véritables problèmes qui touchent l'en-
semble des travailleurs qui, préalablement contactés, ont discuté
et formulé leurs revendications. De la sorte, les camarades qui
prennent la parole au Conseil National parlent non seulement en
tant que responsables mandatés par leur syndicat mais au nom de
tous les travailleurs de la région ou de la fédération à laquelle ils
appartiennent.

193
Tous les délégués qui ont pris la parole insistaient sur la néces-
sité de prendre les mesures qui s'imposent pour barrer la route à
nos détracteurs quel qu'ils soient. Très rares sont les camarades
qui n'ont pas exigé un déclenchement immédiat d'une grève géné-
rale, seul moyen de sortir de cette crise avec le gouvernement et le
parti. Certains camarades ont envisagé comme mesures concrètes
le boycottage économique sous diverses formes.
Jamais dans ma vie de syndicaliste, je n'ai vu se dégager dans
une atmosphère aussi lourde, une union aussi parfaite qu'enthou-
siaste. Les décisions les plus difficiles seraient les plus faciles à
prendre.
Mais que faire? L'U.G.T.T. a été le facteur déterminant pour
la libération du pays du colonialisme ; nous sommes les responsa-
bles syndicalistes pour la plupart responsables Jestouriens et nom-
breux sont parmi nous qui ont fait de nombreuses années de prison
pour avoir participé à la lutte de libération. Je veux dire par là que
notre amour pour notre pays nous pousse à éviter le pire à un
moment où nous voyons les responsables du Parti et du gouverne-
ment proclamer qu'ils sont seuls à aimer et à défendre la patrie et
pourtant les vrais patriotes ont été évincés pour leur opinion ou
pour éviter le pire, se sont écartés d'eux-mêmes. Il nous a été très
difficile d'éviter la décision de grève que certains camarades vou-
draient même illimitée. Sans la confiance dont jouit l'exécutif et
d'autres responsables auprès de la base, le pire aurait été décidé.
Au 3è jour du conseil national avec plus de 14 heures de travail
par jour des résolutions ont été votées.
La discussion des résolutions en plénière a donné souvent l'oc-
casion aux camarades de diverses formations politiques de prou-
ver leur art oratoire sans toutefois s'écarter des principes de
I'U.G.T.T. ; au contraire, ils voulaient soutenir la meilleure idée
tendant à la sauvegarde de la liberté et de la démocratie dans notre
activité syndicale.
Les motions ont en fin de compte été votées à l'unanimité moins
une abstention. Durant les 3 journées du Conseil National, j'ai
téléphoné à plusieurs reprises à la présidence afin d'obtenir un
entretien avec Bourguiba pour lui exposer les circonstances graves
que nous vivons à I'U.G.T.T. depuis la rupture des négociations
décidée par Nouira, rupture qui faisait l'objet des délibérations du
Conseil National de I'U.G.T.T. et qui ne manquerait pas d'agirsur
les orientations futures de nos relations avec le Parti et les organi-
sations nationales. Malheureusement, il n'y avait jamais le chef du
protocole pour répondre.
Compte tenu des relations détériorées entre l'U.G.T.T. et le

194
-
pouvoir, il m'a semblé qu'il m'était absolument impossible de pou-
voir continuer à siéger au bureau politique en tant que membre
tout en étant secrétaire général de l'U. G. T. T. devenue la cible du
parti et du gouvernement. J'ai alors annoncé au conseil national
ma décision de démissionner du bureau politique et je leur ai lu le
télégramme suivant :

Tunis, le 10 Janvier 1978


Monsieur le Président du Parti Socialiste Destourien,

C'est avec beaucoup d'émotion que je vous donne aujourd'hui


après plus de 40 années de militantisme bien remplies, ma démis-
sion en ma qualité de membre du Bureau Politique et du Comité
Central du Parti.
Je continuerai toutefois à servir, en dehors du Parti, l'intérêt
supérieur de la nation.
Veuillez agréer, Monsieur le Président du Parti Socialiste Des-
tourien, l'assurance de ma haute considération.

Habib Achour

Cette démission a été accueillie par les applaudissements de


l'ensemble des congressistes pendant un long moment. Des cama-
rades ont demandé à monter à la tribune pour demander à ceux qui
ont une responsabilité à n'importe quel niveau de démissionner du
Parti. J'ai pris immédiatement la parole pour dire :
«Nous ne devons pas oublier que c'est le Néo-Destour avec
l'U.G.T.T. qui ont libéré le pays du colonüilisme, ce sont ses diri-
geants qui se sont écartés de sa véritable politique. A l'V. G. T. T.,
il y a des camarades qui appartiennent à des partis différents ; c'est
leur droit sacré. Pour bien maintenir notre Union, nous respectons
toutes les tendances et les camarades ici présents sont syndicalistes
dévoués à la classe ouvrière. Depuis la création de l'U.G.T.T., j'ai
eu l'occasion de voir de nombreux travailleurs militants au Néo-
destour, au parti communiste et même au Vieux destour, aban-
donner leur parti pour ne faire que du syndicalisme et prendre
position contre leur propre parti lorsqu'il adopte une position an ti-
syndicale ».
Malgré mon intervention, de nombreux camarades ont envoyé
leur démission du Néo-Destour dont Khéreddine Salhi membre
du comité central du parti. Des journalistes tunisiens, des agences
de Presse étrangère, ayant appris ma démission du bureau politi-
que sont venus me voir pour la confirmation de cette nouvelle pour

195
diffusion immédiate ; mais étant très occupé, je leur ai demandé
d'attendre la fin de la dernière réunion du Conseil National qui est
toute proche.
Enfin j'ai prononcé un bref discours de clôture où j'ai insisté sur
la nécessité de serrer davantag~ nos rangs et de ne pas tomber dans
la provocation des gens, biens nombreux, payés pourfaire une sale
besogne et le comble c'est qu'ils agissaient au nom du parti et du
gouvernement et ce, disent-ils, pour protéger la patrie en danger.
Ce qui revient à dire en langage syndicaliste : On les paye pour les
crimes qu'ils commettent et selon l'importance du crime. J'ai ter-
min-6 mon allocution en exprimant la confiance que nous avons en
nos responsables et en notre base ouvrière, saine et confiante en
son destin, qui est celui de tout le peuple tunisien que nous voulons
libre et fier de son passé, fier pour la lutte qu'il a menée pour la
libération du pays du colonialisme, fier de son présent, par la lutte
qu'il mène pour les libertés, pour une vie démocratique et enfin
pour le bien être des masses laborieuses dont dépend l'évolution
des peuples. Notre U. G. T. T. , de par les services rendus au pays et
à l'humanité toute entière, grâce à sa collaboration dans les instan-
ces internationales est devenue immortelle et ceux qui s'attaquent
à nous, travailleurs paisibles, dont la seule arme est notre foi en
notre cause sacrée, en notre patrie et en notre organisation, per-
dent leur temps à vouloir nous diminuer par tous les moyens dia-
boliques qui ont été utilisés contre nous. Ils s'apercevront tôt ou
tard qu'ils ont commis en nous combattant, un crime odieux contre
l'humanité et contre la patrie, dont nous avons toujours été les
défenseurs loyaux.
J'ai terminé en demandant aux camarades de retourner dès que
possible dans leurs régions en apportant aux camarades la
confiance que le Conseil National et l'U. G. T. T. mettent en eux et
de proclamer notre profonde union autour d'une U.G.T.T. que
nous aimons, et qui ne cessera pas d'étonner par le travail et le
sérieux de tous et de chacun. Vive l'U.G.T.T. ! Vive la Tunisie !
Ainsi prit fin le Conseil National dans l'allégresse.
Les journalistes sont rentrés au fond de la grande salle, laques-
tion qui les intéressait le plus c'est ma démission du bureau politi-
que. Il est vrai que depuis notre indépendance, il n'y a eu aucune
démission de membre du bureau politique, alors qu'il y a eu des
limogeages en grand nombre. Je leur ai lu ma démission que
j'avais depuis deux heures envoyée à la présidence et remise en
main propre par mon fils.
J'ai remis aussi aux représentants de la presse toutes les motions
qui ont été votées à l'unanimité par le Conseil National.

196
Ils ont posé aussi un grand nombre de questions surtout sur les
relations qu'envisage d'avoir l'U.G.T.T. avecles autres organisa-
tions nationales : << Est-ce la rupture ? »demandent-ils.
A ces questions nous avons répondu comme d'habitude avec la
plus grande franchise en insistant sur la question qui les intéresse
le plus à savoir nos relations avec les organisations nationales. Je
leur ai déclaré en pesant mes mots :
« Si nos relations avec le parti et les autres organisations patro-
nales se sont détériorées depuis longtemps déjà, l'U.G.T.T. n'est
absolument pour rien ; mais c'est en réalité Nouira, qui, par son
orientation politique est de tendance réactionnaire, qui n'a fait
depuis sa nomination comme premier ministre que renforcer le
patronat et la bourgeoisie. N'a-t-il pas créé une retenue à la source
sur la masse salariale, un pourcentage au profit des deux organisa-
tions patronales l'U.T.I.C.A. et l'D.N.A. ? Cela représente une
somme très importante qui a permis aux organisations patronales
de mieux s'organiser pour mener une lutte sauvage avec le Parti
contre l'U.G.T.T. Une autre preuve non moins significative de
l'esprit antisyndicaliste de Nouira : Nous ~vons fait une souscrip-
tion au profit de la construction de la maison de l'U.G.T.T. Le
Président Bourguiba a ouvert la souscription en payant 5.000
Dinars -la Présidence a payé 1.000 Dinars. Les ministres ont tous
payé les uns 100 Dinars et d'autres 200 Dinars. Seul Nouira n'a pas
payé et il se fait un plaisir d'annoncer à un de ses ministres qu'il ne
veut pas payer et qu'il est content d'être le seul à ne pas payer,
considérant cette position comme étant un acte de courage. Il est
faux de dire que l'U.G.T.T. autour de laquelle l'Union Nationale
a été formée pour appuyer la lutte qu'elle menait seule contre le
patronat et le colonialisme veut briser cette union.
Elle lui a été d'un grand secours pendant les moments critiques
où l'U.G.T.T. était lancée corps et âme dans le combat pour la
libération nationale. Ce que je dis là, tout le monde le sait- et ceux
qui veulent ignorer la réalité ou le plus souvent la déformer comme
ces fossoyeurs de notre histoire que les Tunisiens méprisent -
seront dévoilés et le peuple les jugera en tant que responsables de
cette rupture de l'Union nationale ».
Comme prévu, les journaux du parti, la radio et la télévision
attaquent avec violence l'U.G.T.T. et ses dirigeants et appellent
les militants destouriens à mettre hors d'état de nuire par tous les
moyens « ces ennemis et ces traîtres à la patrie ».
De leur côté, les organisations patronales, l'U.T.I.C.A. et
l'D.N.A., ont réuni chacune un conseil national où elles ont

197
réclamé l'installation d'un échafaud à Bab Souika pour pendre les
syndicalistes.
Le parti a tenu une réunion du comité central pour débattre de
la situation politique, économique et sociale dans le pays. Les
membres du comité central chauffés par le directeur du parti et les
présidents des comités régionaux de coordination, ont été d'une
extrême violence contre l'U.G.T.T. Ils ont pris la décision d'en
finir avec l'U. G. T. T. par tous les moyens. Naturellement les orga-
nes d'information du gouvernement et du parti ont donné une
large diffusion aux décisions du Comité Central, dont le résultat ne
s'est pas fait attendre.
La répression s'est abattue plus forte que jamais sur la tête des
syndicalistes. Plus de liberté, ni de réunions au sein des usines, ni
sur les places avoisinantes, ni même d'attroupements devant la
maison de l'U.G.T.T. devenue trop petite pour contenir les syndi-
calistes très nombreux. En cas de grève interdiction de rester à l'in-
térieur ou à l'extérieur de l'usine, même s'il s'agit de piquets de
grève ; ils sont matraqués par la B.O.P. et conduits aux locaux de
la sûreté nationale.
Les revendeurs de notre journal et même les lecteurs sont très
souvent l'objet d'agression de la part de la milice du parti. Malgré
cette situation, j'étais très souvent en relation avec le ministre de
l'intérieur, membre du bureau politique ainsi qu'avec le directeur
des services de sécurité. Lorsque je les saisis de certains cas de vio-
lation de liberté syndicale ou d'arrestation de camarades ou de
brutalité commise à la suite de l'intervention de la police, ils me
répondent spontanément :
« Cela nous étonne, on verra ».
Un jour, le 23 Janvier de bonne heure le matin, Le Secrétaire de
l'Union Régionale de Kairouan me téléphona et me dit :
« Le Parti a décidé de rassembler des gens et plus spécialement
des membres de la milice et les anciens résistants au local du parti
en vue d'agresser la maison de l'U.G.T.T. Jusqu'à 12 heures, les
gens affluaient et l'attaque de la maison de l'U.G.T.T. se concréti-
se ».
J'ai téléphoné à plusieurs reprises au ministre de l'intérieur qui
montra chaque fois sa surprise au sujet des affirmations du secré-
taire de l'union regionale de Kairouan concernant les préparatifs
en vue de l'attaque de la maison de l'U. G. T. T. Il m'a déclaré à la
fin qu'il va voir, qu'il a demandé au gouverneur de Kairouan de se
rendre sur place et de-lui rendre compte. Mais un peu tard, l'après
midi je reçois un coup de téléphone du Secrétaire de l'Union
Régionale qui me dit :«Le gouverneur s'est rendu à la maison du

198
parti où fut rassemblée une grande foule, il a prononcé un discours
dont je ne connais pas encore le contenu, mais après son départ un
cortège a pris la route vers le siège de l'U. G. T. T. Il y a en tête deux
tracteurs avec remorques remplies de pierres. La jeunesse destou-
rienne en tête entonnait l'hymne de la révolution et de nombreu-
ses personnes portaient des barres de fer et des gourdins. Arrivés
devant la maison de l'U. G. T. T., les remorques furent déchargées
et pendant que les uns lançaient des pierres faisant sauter en éclats
vitres, fenêtres et portes, les autres, armés de gourdins et de barres
de fer, sont rentrés à l'intérieur du local blessant de nombreux
camarades et saccageant tout. En très peu de temps il ne restait du
mobilier et de tout autre instruments ou machines qu'un amas de
décombres ».
Face à cette situation, nous avons tenu une réunion du bureau
exécutif qui a décidé :
1) D'envoyer de suite une délégation à Kairouan.
2) De tenir pour le lendemain à 9h la réunion de la commission
administrative élargie.
A la réunion de la C.A., malgré l'heure tardive de la convoca-
tion, la veille, tous les camarades étaient là. J'ai exposé aux cama-
rades la situation difficile que nous vivons depuis le Conseil N atio-
nal, les arrestations opérées par la police parmi les grévistes, l'en-
cerclement de la maison de l'U. G. T. T. et les provocations devant
l'U.G.T.T. même par la milice allant jusqu'à la 'poursuite des
camarades loin du local pour les matraquer ou les amener au
comité de coordination du parti pour être interrogés. Les respon-
sables des Unions Régtonales de Sousse, de Gabès, de Béja, de
Zaghouan et de Tunis ont expliqué avec beaucoup de détails les
formes d'agressions dont ils ont été l'objet et tous parlent de la par-
ticipation très active de la milice et de la police. Leurs auteurs ont
été récompensés par un dîner de la victoire, comme c'est le cas à
Kairouan où la "victoire" fut célébrée dans un restaurant non loin
du lieu du crime.
Il est naturel que la décision dela C.A. ne pouvait être que la
grève ; mais c'est la durée de cette grève qui était en discussion et
en fin de compte c'est la sagesse, malgré les circonstances que nous
vivons, qui l'a emporté. Une grève de protestation pour 24 heures
a été décidée.
En ce moment même, le camarade Kersten, Secrétaire Général
de la C.I.S.L. était venu. Il nous tombait du ciel en ce moment cri-
tique et particulièrement grave.
Nous l'avons mis au courant de la situation et de la décision de
grève que nous venons de prendre pour le 26 Janvier. Il a fait une

199
courte déclaration pour flétrir les incursions dont les locaux de
l'U.G.T.T. ont été l'objet, déclarant que les maisons des syndicats
sont aussi sacrées que les églises, dont toute atteinte peut être
considérée comme un sacrilège. Il était reçu quelques instants
après par le Premier Ministre Nouira qui s'est montré très ferme
devant l'attitude conciliante du camarade Kersten qui avait deux
seules revendications à soumettre pour mettre fin à la décision de
grève:

1) Cesser tol.).te agression contre les maisons de l'U. G. T. T. et les


syndicalistes.·
2) Reprise des négociations engagées entre le gouvernement et
l'U.G.T.T en ce qui concerne une dizaine de sociétés et suspen-
dues sur ordre de Nouira lui-même, décision qui a eu pour consé-
quence la démission de 4 ministres mécontents et le mécontente-
ment justifié de l'U.G.T.T. qui s'est traduit par des menaces de
grève.
Le camarade Kersten est venu le soir même vers 16h, après
avoir rencontré de nouveau N ouira, expliquer à l'exécutif le point
de vue du gouvernement qui est selon Kersten très étonnant par sa
fermeté. Le gouvernement a en effet décidé qu'il ne discute pas de
ce conflit avec l'U.G.T.T. avant d'annuler la décision de grève.
C'est alors que le Secrétaire Général de laC .I.S .L.lui a fait remar-
quer que l'engagement de sa part, exigé par l'exécutif de
l'U.G.T.T., que les maisons de l'U.G.T.T. ne seront pas agressées
et violées n'est qu'une promesse et je pense a dit Kersten que le
gouvernement n'a pas l'intention de laisser persister ces agres-
sions, sinon je finirai par croire, comme me l'ont dit les camarades
responsables que la milice et la police sont mêlées directement à
cette campagne de ratissage contre l'U.G.T.T. Devant l'hostilité
de Nouira à toute solution Kersten lui a déclaré que les relations de
la C.I.S.L. avec la Tunisie que nous avons aidé plus d'une fois
étaient toujours bonnes, mais dans ce cas nous sommes solidaires
avec l'U.G.T.T. pour la défense de son existence même. Après
l'exposé fait par Kerstèn à l'exécutif, je suis allé au balcon pour
expliquer aux camarades à l'intérieur de l'U.G.T.T. dans la cour
et sur la place M'hamed Ali le résultat de l'entretien Kersten -
Nouira qui par son résultat négatif a soulevé le mécontentement
de la foule qui s'est mise à chanter l'hymne de la révolution. Après
quoi les travailleurs ont demandé Kersten qui est venu les saluer et
les assurer de la solidarité de la C.I.S.L.
Tout d'un coup, les B.O.P. en rangs serrés interviennent à la
matraque contre les camarades qui ripostent en jetant des pierres

201
et en résistant aux forces armées, qui sont passées du bâton aux
bombes lacrymogènes lancées même dans la cour interne et dans
les bureaux. La vie à l'intérieur de l'U.G.T.T. était intenable.
Nous étions tous en larmes et Kersten subissait le même sort. ll ne
croyait pas ses yeux ; il avait une toute autre idée de la politique et
de la vie en Tunisie et c'est l'image que nous, responsables syndi-
calistes, n'avons cessé de présenter dans nos réunions à la
C.I.S.L., aux congrès internationaux et au B.I.T.
Le camarade Kersten est reparti le jour suivant avec une large
documentation sur la vie difficile que mène l'U.G.T.T. depuis
longtemps déjà, il n'en était que vaguement renseigné. Sa décep-
tion est d'autant plus grande qu'il ne manquait pas d'occasion pour
dire, et il en était fier comme nous, que l'U.G.T.T. est une vérita-
ble organisation démocratique et libre et se féliciter de la politique
pratiquée par le gouvernement tunisien.
Le 25 Janvier, je me suis rendu de bonne heure à l'U.G.T.T.,
bien avant l'ouverture habituelle, tous les responsables et les
employés étaient là. J'ai pu avoir des renseignements sur la prépa-
ration de la grève à Tunis et dans toutes les autres régions. J'étais
sûr que la grève sera totale et dans un ordre parfait conformément
aux décisions de la C.A. Une grande animation régnait à l'inté-
rieur de l'U.G.T.T. où se tiennent des réunions dans toutes les sal-
les alors que d'autres syndicats attendent leur tour pour occuper
les salles qui se libèrent. Lors de ces réunions, les responsables des
syndicats transmettent les dernières instructions pour la bonne
réussite de la grève, en insistant sur les recommandations de la
C.A. pour que la grève se déroule dans le calme et la discipline-afin
de déjouer les manœuvres des provocateurs qui veulent, comme
ils se plaisent à le répéter, faire couler le sang afin d'avoir l'occa-
sion d'en finir avec l'U. G, T. T., comme il a été décidé à la réunion
du Comité Central du Parti Destourien réuni quelques jours avant
l'attaque de la maison de l'U.G.T.T. de Kairouan. Dans nos réu-
nions, on se dirait en période de fête, on ne constate aucun signe
extérieur de nervosité, cela provient de la confiance que les syndi-
calistes ont en eux et de la certitude que la grève sera générale et
réussie à 100%.
En fin de matinée, je sentais un terrible mal de tête qui m'em-
pêchait de parler. Je suis rentré chez moi en disant au camarade
responsable du secrétarait : « Je ne viendrai peut-être pas cet
après-midi s'il y a quelque chose téléphonez à la maison ».Vers 16
heures on m'appelle de l'U.G.T.T. pour me dire que les B.O.P.
commencent par arriver aux environs de l'U. G. T. T., comme tou-
jours en tenue de combat. Je réponds alors : « Attention à la pro-

203
vocation, il ne faut pas répondre même à la brutalité. L'organisa-
tion de la grève étant terminée, il ne faudrait pas laisser les cama-
rades stationner sur la place ».
Moins d'une demi-heure après on me téléphone de nouveau de
l'U.G.T.T. et on m'annonce qu'il n'y a plus personne sur la place,
mais les camarades qui étaient en réunion dans les salles ont été
empêchés de sortir de la maison de l'U. G. T. T. pour se rendre chez
eux. Ça va bien dis-je. Je vais téléphoner au ministre de l'intérieur.
Je l'ai démandé au ministère, il m'a été dit qu'il n'est pas là, j'ai
téléphoné ensuite au parti, où il se trouvait très souvent étant
membre du bureau politique, il n'était pas là aussi. J'ai téléphoné
chez lui à son domicile, il n'est pas là aussi. J'ai fini par téléphoner
au Directeur des services de sécurité, lui aussi m'a-t-on dit n'était
pas à son bureau.
Les camarades enfermés à l'intérieur de la maison de
l'U.G.T.T. me téléphonaient assez souvent, ils m'ont communi-
qué leurs noms ; ils étaient tous des responsables à tous les
niveaux. Il y avait aussi deux camarades député~ Hassen Ham-
moudia et Khéreddine Salhi pour qui on m'a demandé d'intervenir
en cette qualité auprès de la police que les tient prisonniers et pour
laisser tous ceux qui sont à l'intérieur de l'U.G.T.T. rentrer chez
eux. On voulait aussi connaître les causes de cette attitude que rien
ne justifie. Très peu de temps après on rn~ demande de
l'U. G. T. T., il y avait au téléphone les deux camarades députés qui
m'ont déclaré : « C'est tout juste si on ne nous a pas tiré dessus, ils
n'ont rien voulu entendre. Ils nous ordonnaient seulement de fer-
mer la porte et les fenêtres de l'U.G.T.T. et si quelqu'un apparait
on lui tire dessus ». Il était déjà assez tard, et il faisait très froid ;
les camarades étaient sans nourriture ni couverture. Khéreddine
était atteint d'asthme depuis assez longtemps déjà, je m'inquiétais
pour sa santé. J'ai même téléphoné à Bruxelles pour essayer de
trouver Kersten et lui raconter cette mésaventure, malheureuse-
ment il n'était pas chez lui et même s'il était là-bas que pouvait-il
faire avec des gens qui, avec nous, leurs anciens collègues, ont
coupé tout contact et pris les positions les plus inimaginables rani-
mant à ma mémoire ce que le ministre de l'intérieur limogé Belk-
hodja m'a rapporté : Nouira veut m'utiliser pour faire couler du
sang. Mais il 'a refusé en disant à Bourguiba lui-même qui l'a
convoqué : « Je ne crois pas que sous votre régime vous acceptez
que je trempe mes mains dans le sang tunisien - si tel est votre
désir, je préfère me retirer ».
Je me suis mis à téléphoner de nouveau au ministre de l'intérieur
et à son directeur jusqu'à une heure très tardive de la nuit.

204
Enfin le téléphoniste de la police me dit : « Si vous voulez dire
quelque chose au directeur, je le lui dirai». Bien merci lui dis-je.
« Vous lui direz mon étonnement de ne pas pouvoir le toucher à
son bureau ou ailleurs en ces circonstances, alors qu'il y a 4 jours
c'est lui-même qui m'a demandé chez moi vers lh du matin pour
me demander une intervention auprès d'un camarade responsable
d'un syndicat à Mégrine pour essayer de régler un différend surgi
à la suite d'une intervention de la police que les syndicalistes ont
considéré comme étant une provocation à laquelle ils se sont oppo-
sés. Le Directeur de la sûreté m'a dit aussi qu'il ne quitte jamais
son bureau avant 2h du matin et aujourd'hui à la veille d'une grève
générale, je ne fais que téléphoner depuis plus de 6 heures au
ministre et au directeur à leur travail et chez eux et la réponse est
toujours la même- il n'est pas là- voulez-vous donc leur dire que
les camarades sont à l'intérieur de l'U.G.T.T. et que la police ne
leur a pas permis de rentrer chez eux. Ils sont sans nourriture et le
froid est insupportable. Aussi le camarade Khéreddine est atteint'
d'asthme je crains beaucoup pour sa santé ».
J'ai attendu la réponse jusqu'à 4 heures du matin, il n'y avait pas
toujours de réponse. Durant ce temps, j'étais en communication
téléphonique avec les camarades. Ils se plaignaient du froid et de
la faim- même pas un café. Voilà me disais-je la récompense des
efforts des travailleurs qui par leur sang et leurs sacrifices ont
libéré le pays du colonialisme et le mènent aujourd'hui dans la voie
du développement. Cette conscience et ces efforts des travailleurs
ne se briseront pas comme le désirent les ennemis de l'U.G.T.T.
Mais ils reprendront une autre forme de lutte que nous avons cru
ne plus utiliser dans une Tunisie indépendante et libre ; notre pays
ne mérite pas une lutte fratricide, nous avons tout fait pour ne pas
répondre à leurs nombreuses provocations. N'ai-je pas dis un jour
à la C.A. de l'U. G. T. T. à la suite de nombreuses interventions des
camarades qui se plaignaient des menées antisyndicales du parti et
des organisations patronales :
« Ils nous veulent du mal ; nous leur voulons du bien et bien sin-
cèrement, mais ils ne nous croient pas ».
Le matin du 26 Janvier, les camarades membres de l'exécutif se
sont rendus à l'U. G. T. T., mais toutes les rues qui mènent au local
étaient bouchées. Ils se sont alors rendus chez moi d'où on contac-
tait les camarades et on téléphonait aussi à l'intérieur du pays.
Deux voitures de la police secrète se sont parquées juste devant la
porte d'entrée.
J'ai pu téléphoner aussi à la C.I.S.L. que j'ai mis au courant de
la situation. Vers 9h30 on a coupé mon téléphone. J'ai dit aux

205
camarades que je dois partir tout de suite à Amilcar pour conti-
nuer notre travail en leur disant de rester à la maison pour ne pas
attirer l'attention sur mon départ et j'ai quitté ma maison par une
autre porte donnant sur une autre rue. Les camarades m'ont
rejoint les uns après les autres et ensemble; nous avons continué
notre travail. La grève était bien observée et les camarades ont évi-
té, comme nous l'avons décidé, les rassemblements et les manifes-
tations, mais en ville les membres de la milice et les chômeurs
parait-il, ont été très actifs et des incidents d'une extrême gravité
ont eu lieu qui ont provoqué de nombreuses innocentes victimes
dont pas un seul syndicaliste. Même ceux qui ont été arrêtés parmi
les travailleurs, c'était chez eux ou à leur travail, démontrant ainsi
l'application rigoureuse des recommandations de la C.A. de.
l'U.G.T.T. tendant à éviter toute activité de nature à nous attirer
une réaction, occasion que nos ennemis attendent pour assouvir
leur désir profond de mater et d'en finir avec l'U.G.T.T. comme
l'a déclaré Sayeh au Bureau Politique et aussi comme il a été
décidé à la réunion d,u Comité Centr;:tl du Parti quelques jours
avant les sanglants événements du 26 Janvier.
A Amilcar, installé dans un appartement au 4è étage, l'exécutif
a pu recueillir tous les renseignements sur l'état de la grève à tra-
vers le pays. On a téléphoné à plusieurs reprises à,la C.I.S.L. et à
Irving Brown représentant des syndicats Américains à Paris. Nous
avons aussi préparé un manifeste sur la grève.

206
La répression et le déroulement de l'enquête

Le 26 Janvier après midi, >les renseignements qui nous arri-


vaient, étaient très mauvais, l'armée tirait sur les manifestants et
on nous rapporte qu'il y avait un nombre très important de victi-
mes, des incendies étaient allumés en plusieurs endroits de la ville,
l'état de siège est décrété et le couvre-feu déclaré. Nous avons pu.
contacter les camarades dèl'U.G.T.T. qui, à la tombée de la nuit,
nous ont annoncé que des policiers armés et des militaires sont
montés sur le toit de la maison et que des armes sont braquées sur
eux.
-Soyez calme et attendons.
De temps en temps, on se téléphone et les camarades qui commen-
cent par sentir la faim et le froid ont été avisés par haut parleur de
se rendre en sortant par la grande porte les mains ·sur là tête et au
moindre mouvement on les "brûle". C'était le dernier coup de
téléphone. Le matin à 5 heures, des amis qui étaient de garde sont
venus me dire qu'un gros contingent de militaires venus en camion
ont encerclé l'Hôtel de toute part mitraillette au poing.
Sept membres de l'exécutif étaient avec moi dans l'apparte-
ment ; naturellement on parlait dp ce qui pourrait arriver, mais le
moral de tous les camarades était très haut ; sûrs de notre bonne
cause et de nos bonnes intentions, croyant en la justice pour
découvrir les vrais responsables de ces événements qui sont
connus de longue date et dont les preuves ont été remises au minis-
tre de l'intérieur par moi-même. Tout à coup, on frappe à la porte,
c'est la police qui m'ordonne de rester dans la chambre en laissant
un groupe de policiers à la porte et les camarades membres de
l'exécutif ont été invités à suivre un autre groupe de policiers ; je
ne savais pas pour quelle destination.
Il était près de midi, quand un commissaire arrive avec des auxi-
liaires, ils fouillent la chambre. Ils me disent : « Vous pouvez ren-

207
trer chez vous ».En cours de route, nous avons été escortés par 2
voitures, celles-là mêmes qui stationnaient devant ma maison la
veille au matin.
Chez moi, le téléphone était toujours coupé. Le commissaire
qui était venu à Amilcar est venu me notifier que je ne dois plus
quitter la maison et que je suis sous surveillance. Le soir vers 21h
le même commissaire revient accompagné d'une douzaine de poli-
ciers en civil. Il m'avise qu'il va faire une perquisition et après
avoir visité la maison, ils se sont partagés en petits groupes pour
les fouilles et bientôt tout ce qu'il y a dans la maison est sens dessus
dessous. Malheureusement pour eux, nous leur facilitions la tâche
en leur montrant certains endroits qu'ils n'ont pas visités.
Leur perquisition terminée, ils m'ont demandé de prendre dans
une valise des vêtellJ.erlts, des couvertures et des draps. Ma femme
et mes enfants qui étajent près de moi ont compris que j'étais en
état d'arrestation. L'une d'elles qui allait pleurer s'est faite gron-
dée par ses frères et sœurs et à la porte de sortie, ma femme et mes
dix enfants se sont mis à chanter l'hymne de la révolution. Après
quoi je les ai tous embrassés en nous disant courage, en faisant des
doigts le signe de la victoire. Les voitures de la police démarrent à
toute allure pour m'amener au· ministère de l'intérieur dans un
bureau au 3è étage aménagé en chambre à coucher. Le commis-
saire a ordonné aux deux policiers de rester avec moi dans la cham-
bre, l'un est placé à la porte, l'autre au pied du lit ; chose curieuse
ils bavardaient avec moi comme si de rien p.' était et je peux dire-
même qu'ils étaient tous, membres des 4 équipes qui assuraient la
garde, très corrects, me faisant de temps en temps des indiscré-
tions qui dénotent leur sympathie envers ma personne et envers
l'U.G.T.T.
Le commissaire principal passe me voir plusieurs fois par jour.
Il prenait même avec moi de temps en temps le café que je reçois
de chez moi, il recommandait aux gardiens de ne pas hésiter de lui
parler à toute heure de ce dont je pouvais avoir besoin.
Mais à l'étage plus haut et en bas, j'entendais des cris et des
hurlements. Renseignements pris, c'était les syndicalistes que les
enquêteurs torturaient en vue de leur arracher des aveux et des
témoignages accablants contre moi afin de commencer mon inter-
rogatoire. ·
Quelques jours après mon arrestation, j'ai reçu la visite et la
seule inattendue, des camarades Kersten Secrétaire Général de la
C.I.S.L. et Wetter Président des Syndicats Allemands. C'était une
bonne surprise, ils étaient tous deux très émus, mais vite réconfor-
tés de m'entendre leur dire tout en les remerciant de leur visite,

208
que je l'aurais souhaitée dans une autre situation que celle là, que
mes camarades et moi étions des victimes innocentes d'une machi-
nation provoquée par les ennemis de l'U. G. T. T. et que la vérité ne
tardera pas à éclater au grand jour. Je veux passer devant la justice
leur dis-je.
Les camarades Wetter et Kersten m'ont rassuré de leur solida-
rité entière et de l'appui des travailleurs libres à travers le monde.
A la presse qui les attendait, ils ont déclaré que le camarade
Achour veut passer devant la justice pour faire éclater la vérité et
situer les responsabilités dans les douloureux événements du 26
Janvier. Pendant leur séjour à Tunis les camarades Kersten et
Wetter ont pu obtenir tous les renseignements nécessaires sur la
position de l'U.G.T.T. face à cette sanglante journée avec les
preuves éclatantes de sa préparation par le ministre de la défense
nationale, Abdallah Farhat et le Directeur du parti, patron de la
milice, Mohamed Sayeh. Il a été prouvé aux camarades que la
grève est syndicale et n'avait pas de but autre que la défense de
l'intérêt moral et matériel des travailleurs. Avec tous les renseigne-
ments qu'ils ont pu obtenir, ils ont pu faire à leur retour en Europe
un excellent travail d'éclair,cissement sur la véritable nature des
évènements du 26 Janvier que les organes d'information de notre
pays ont totalement déformés.
Kersten, au nom dela C.I.S.L. etWetter, aunomdelaD.G.B.
ont multiplié les déclarations et les conférences de presse qui ont
permis à tous les travailleurs à travers le monde, de nous envoyer
des motions de solidarité et au gouvernement tunisien leurs pro-
testations les plus énergiques contre notre arrestation arbitraire et
contre les tortures dont les syndicalistes ont été l'objet.
Au 15è jour de mon arrestation, je commençais par me sentir
mal, mes oreilles bourdonnaient, ma tête était lourde par manque
de sommeil - car il était très difficile de pouvoir dormir avec des
ampoules de très forte puissance allumées nuit et jour - et par la
nécessité de rester toujours assis ou debout, car il n'y avait pas plus
de 2 mètres d'espace libre dans la chambre que je n'étais pas auto-
risé à quitter pour faire quelques pas dans le couloir, même de nuit
en l'absence de tout employé.
J'ai dû demander un médecin ; il est venu au bout de 10 jours,
mais il n'était pas celui que j'avais demandé. Ma tension a
augmenté et parmi les médicaments prescrits il y avait des ampou-
les injectables. L'infirmier qui manque sûrement de pratique a
laissé après la 1ère piqure le sang couler- et je ne m'en suis aperçu
qu'assez tard, ma culotte était toute tachée de sang.
Lorsque j'ai envoyé le linge sale à ma famille, une terrible scène

209
s'est faite autour de ma culotte tâchée de sang, qu'on croyait pro-
venir de tortures.
Les avocats consultés ont fait des démarches en vue d'obtenir
que ma femme et mes enfants puissent me rendre visite pour se
ras~urer sur ma santé. Je savais, depuis l'occupation française, que
les détenus à la police ou à la gendarmerie ne reçoivent ni avocats
ni famille, mais je savais aussi que la détention dans ces locaux est
pour une période déterminée.
Un jour, de bonne heure, je reçois la visite du directeur des ser-
vices de sécurité. Il est si doux et se plaisait à me dire qu'il se consi-
dère comme mon fils et que si j'ai besoin de quelque chose je ne
devais pas hésiter de le lui dire, il se chargerait de le transmettre à
Habib, mon fils, qu'il considère, dit-il, comme un véritable frère.
Je l'ai remercié de ses bonnes dispositions et il m'a quitté. Quel-
ques minutes après quel fut mon étonnement de voir ma femme
arriver avec l'un de mes fils. Ils étaient affolés, mais à mon contact
me voyant souriant et joyeux de les recevoir, ils se sont calmés en
me disant sans attendre que le sang de ma culotte les a laissés des ·
jours et des nuits dans une mauvaise situation. C'est alors que je
leur ai expliqué l'origine de ces tâches de sang. Ils croyaient effec-
tivement qu'ils provenaient de tortures dont j'aurais été l'objet.
-Tranquillisez-vous leur dis-je, je n'ai jamais été l'objet d'un man-
quement quelconque et vous voyez que je me porte bien.
-Et les inculpations et les injures dont vous êtes l'objet ? La radio
et la télévision ne parlent que de çà. Tes anciens amis, grands res-
ponsables au Destour et au gouvernement qui venaient très sou-
vent chez nous sont particulièrement violents contre toi.
-Ce sont des arrivistes leur dis-je, en agissant ainsi ils croient faire
acte de patriotisme pour plaire aux vrais coupables et pouvoir
bénéficier de certaines faveurs, mais ils oublient que si la justice,
à laquelle je crois encore, est véritablement neutre, je suis en
mesure de lui démontrer que nous sommes l'objet d'un complot
qui vise loin et que nous disposons de suffisamment de preuves,
non seulement pour nous blanchir, mais aussi pour permettre aux
juges de mettre la main sur les vrais responsables des événements
du 26 Janvier 1978.
Pendant que je parlais le visage pale de ma femme prenait des
couleurs et je la vois ainsi que mon fils, bien crispés à l'arrivée, se
détendre petit à petit au point où je leur ai arraché des sourires, à
ma grande satisfaction et c'était Je but que je me suis attaché à
atteindre depuis leur arrivée.
Ce parloir a duré un assez bon moment durant lequel nous
n'avons été interpellés à aucun moment par le Directeur· des servi-

210
ces de sécurité qui a été présent pendant toute la rencontre. Ce
n'est qu'au moment où il a été appelé qu'il nous a demandé de met-
tre fin à notre discussion pour cette fois, en nous promettant que
ces visites pourront se renouveler si je suis encore chez eux pour
quelques temps.
En me quittant, ma femme me dit tout bas et timidement : « Je
pars tranquillisée aussi bien en ce qui concerne ta santé que pour
l'affaire elle-même. Tu sembles très confiant quant au résultat
attendu». Pour mieux la rassurer je me montre plus souriant ·et
plus détendu en me disant : Enfin un grand souci va me quitter en
sachant que la famille et par voie de conséquence les amis n'auront
pas à s'inquiéter pour moi et reprondront leur bon moral pour
pouvoir traverser cette dure et pénible crise.
Quelques jours après, c'était Akomo et Nefielsi, Président et
Secrétaire Général de l'O.U.S.A., Organisation Syndicale Afri-
caine qui étaient ven)ls me rendre visite ; ils avaient les larmes aux
yeux. Mais en quittant Tunis, ils ont fait une déclaration par
laquelle ils me faisaient beaucoup de reproches, ce qui m'a étonné.
Cependant les paroles amicales prononcées par eux deux lors de la
visite qu;ils ont rendue -à mii famille incitaient à croire à une
déformation de leur déclaration.
Moins de 15 jours après, ils sont encore revenus me voir aux
locaux de la police. On n'a pas fini de se saluer qu'ils se sont mis à
protester et démentir la déclaration qui a été faite en leur nom à la
suite de notre dernière rencontre et cela en présence d'un direc-
teur adjoint de la police qui ne s'attendait pas à voir les camarades
prononcer ce langage et de cette façon. Il a mis aussitôt fin à la ren-
contre sans donner la raison et sans tenir compte d'une autorisa-
tion accordée par le premier ministre.
Après plus d'un mois de détention dans une chambre de 3
mètres sur 3 où siègent en permanence deux policiers, ne pouvant
donc pas faire plus de 2 pas, ma . santé s'est détériorée. J'ai
demandé souvent un médecin qui ne vient qu'après plusieurs
jours. J'insistais assez souvent auprès du commissaire pour com-
mencer l'enquête ; il me répond : « Çà ne tardera plus longtemps
à venir », et ajoute : « Réfléchissez bien et préparez vous, votre
responsabilité est lourde dans ces événements».
Enfin au 40ème jour de mon arrestation et vers minuit on me
conduit dans un bureau où il y avait 4 personnes dont le commissai-
re. Ils se sont mis à me questionner d'après une note que l'un deux,
probablement le plus gradé, avait sous la main. Naturellement ils
me parlaient de la situation qui a donné naissance à la grève géné-
rale. Pour eux, ce ne sont pas les attaques. des maisons de

211
l'U.G.T.T. ; ce ne sont pas aussi les responsables de la milice pro-
vocateurs de tous les désordres qui sont à la base du désaccord
entre l'U.G.T.T. et le parti, malgré toutes les preuves que je leur
ai citées : Des actes bien précis dont plusieurs ont été accomplis
avant le 26 Janvier et qui ont fait l'objet d'un dossier assez volumi-
neux qui a été remis par moi-même à Tabar Belkhodja ancien
ministre de l'intérieur. Ce dernier avait alors appelé le Directeur
Général Bouslama auquel il avait remis ce document en lui
demandant de faire le nécessaire. Monsieur Bouslama m'avait
demandé d'aller avec lui dans son bureau où je lui avais fait un
exposé sur le contenu de ce dossier surtout les points les plus
importants : Des cas inhumains, des atrocités commises par des
membres de la milice qui ont été félicités par leurs chefs que je
n'avais cessé de nommer bien avant le 26 Janvier.
Ce dossier comme les autres est resté sans suite et quand j'inter-
pellais le ministre de l'intérieur, il me répondait : « Tu sais bien de
quoi il s'agit ; dans ces cas on enquête discrètement et le résultat
ne doit pas être divulgué avant de saisir le premier ministre qui
décide lui seul de la suite à donner».
Je croyais leur donner des éléments d'enquête qui pouvaient les
guider dans leur travail. Mais je constatais que ce que je disais ne
les intéressait pas du tout, et de temps en temps l'un d'eux m'in-
terrompt pour me dire que ce que je dis n'est d'aucune utilité.
C'est alors que je riposte un peu nerveux': Si vous voulez avoir la
vérité et aller à la source du mal, c'est par là qu'il faut commencer
et si vous me posez des questions pour vous r®pondre par oui ou
par non, inutile de parler et je répondrai par non à toutes vos ques-
tions qui varient dans la forme, mais qui tendent toutes à me ren-
dre responsable de tout ce qui est arrivé dans le domaine social
depuis plus d'un an. Les 4 enquêteurs semblaient épuisés, quant à
moi j'éprouvais un certain plaisir à cette discussion dont ils ne
tirent rien de positif à présenter à leur patron et la séance est sus-
pendue pour reprendre le lendemain à la même heure. Cette fois
a dit l'un d'eux vous n'allez pas continuer à nier, çà ne vous avan-
cera à rien. On va vous lire des procès-verbaux de quelques-uns de
vos collaborateurs dont 4 de l'union régionale de Sousse et qui sont
venus chez vous à votre retour de Bruxelles. Ils vous ont offert de
former un groupe •armé comme ceux du parti, vous les avez
approuvé et encouragé.
A un autre de Sousse aussi qui vous avait téléphoné de la part du
secrétaire de l'union régtonale pour prendre des instructions, vous
avez déclaré encore : il faut bouger. Après ce téléphone, Sousse
s'est soulevée.

212
Le secrétaire de la fédération de la métallurgie a été chargé par
vous de fabriquer une tonne de boules à fixer au bout de chaînes.
C'est une arme meurtrière pour frapper le service d'ordre.
Vous avez téléphoné au ministère de l'intérieur, vous avez dit à
la personne qui vous a parlé : « Si vous ne :libérez pas les camara-
des enfermés à la maison de l'U.G.T.T., je brûlerai la ville dans
une demi-heure » et effectivement la ville a été saccagée et incen-
diée après le délai que vous avez fixé.
Après m'avoir lu d'autres témoignages, du ministre du travail
sur une discussion qui s'est déroulée chez moi avant le 26 Janvier
ainsi que ceux émanant de membres de l'exécutif, ils ont fermé le
dossier pour me dire : « Réfléchissez encore et si cela n'est pas suf-
fisant pour vous ramener à la raison il y a d'autres témoignages
plus graves encore mais que nous tenons à vous éviter eu égard à
votre passé ».
Dans ma chambre, du fait de la présence permanente de deux
policiers qui n'hésitaient pas à se parler ou à lire à haute voix et du
fait aussi de la lumière très intense allumée jour et nuit je ne pou-
vais pas bien me concentrer pour bien réfléchir. Mais, du fait que
les déclarations contenues dans les rapports des témoins sont faux
et sans fondement, ce qu'ils peuvent dire encore ne peut être que
pure invention, c'est dire donc que je n'ai pas besoin de faire tra-
vailler ma mémoire ou de chercher un peu d'intelligence pour pou-
voir m'en sortir ; je n'avais qu'à répondre le plus simplement du
monde sans m'inquiéter de me tromper.
Quelques jours après, j'ai été appelé, de bon matin cette fois, au
bureau 4u commissaire en chef qui était à quelques mètres de ma
chambre. Il y avait déjà, installé devant sa machine à écrire, un
secrétaire assis devant un bureau et un homme avec un dossier
assez volumineux que j'ai reconnu parce qu'il faisait partie d'un
groupe de quatre personnes qui m'avaient appelé pendant plu-
sieurs nuits consécutives pour me poser plusieurs questions sur des
tons variables. Il m'a ordonné de m'asseoir devant lui. J'éprouvais
une grande joie, c'était la première fois depuis plus de 40 jours que
je voyais le soleil qui a eu sur moi un effet très salutaire ; je me suis
senti vite décrispé et même détendu. Après avoir décliné mon
identité, il s'est mis à me lire les chefs d'inculpation.
Le premier concernait la responsabilité générale. Ma réponse
était telle qu'en fin de compte, je ne sais pas s'il n'était pas plutôt
convaincu que les vrais responsables de ces événements étaient le
premier ministre Nouira, Farhat, ministre de la défense, .Sayeh
directeur du Parti et le ministre de l'intérieur Hannablia.

213
Ensuite, je lui ai cité quelques noms de chefs de la milice dont
Ameur Ben Aïcha, directeur adjoint du Parti, Mohamed Jrad,
Habib Fathallah, Hassen Kacem ; tous trois responsables aussi au
comité de coordination de Tunis.
L'enquêteur était très étonné des renseignements précis que je
lui fournissais sur leurs activités déprédatrices des biens de l'Etat
et du parti et des actes qu'ils commettent aux noms du parti et du
gouvernement et pour lesquels Sayeh les récompense de diverses
façons et les félicite.
Au bout de plus de 6 heures sans interruption, on me présente
le rapport que j'ai signé après lecture. Un inspecteur me ramène
dans ma chambre malgré le court trajet, pas plus de 9 mètres.
J'étais très satisfait de cette première enquête et je disais si çà
continue à ce rythme matin et soir j'aurai peut être fini dans pas
plus de 5 jours et même si je ne suis pas libéré, mon passage en pri-
son est une délivrance par rapport à mon séjour nuit et jour dans
ces quelques mètres carrés.
L'enquête n'a pas repris le soir mais le jour suivant. J'ai été
appelé presque au lever du soleil. Il y avait dans le bureau en plus
de l'enquêteur et du secrétaire, le commissaire principal et, dans
un coin, au fond du bureau, accroupi, déprimé, pale et maladif, le
camarade Sahbani, secrétaire de la fédération de la métallurgie
que je suis allé embrasser directement sans m'inquiéter de ce que
peuvent dire les enquêteurs et je me suis installé à ma place habi-
tuelle. L'enquêteur reprend le procès-verbal consignant les décla-
rations de Sahbani et le lit à haute voix. Il s'adresse ensuite à
Sahbani et lui dit :
« Ce sont bien tes déclarations ?», et sans attendre il reprend
une autre question. Je demande alors la parole et lui dit :
« Sahbani ne vous a pas répondu, d'ailleurs dans cet état qu'est-ce
qu'il peut vous dire ».
Sur un ton sec et dur, il me dit : « Il n'a rien et de quoi vous
mêlez-vous ».
Je lui réponds alors sur un ton non moins dur : «Il n'y a pas de
différence entre cet homme que j'ai connu en parfaite santé et mon
fils ; comment voulez-vous que je ne m'en inquiète pas ».
Plus assagi, l'enquêteur : «Ne vous inquiétez pas, il n'est pas
malade ». C'est alors que m'adressant au camarade, je lui deman-
de : « Qu'est ce que tu as Sahbani ? »D'une voix très faible, il me
·• répond : «Je suis malade ».L'enquêteur qui a fait semblant d'en-
tendre de travers m'a dit : «Voyez-vous, il n'a rien».
Pardon monsieur, le camarade a dit : « Je suis malade .. » et
l'enquêteur s'adresse de nouveau à Sahbani qui lui dit d'une voix

214
toujours faible : « je suis malade ». J'ai insisté pour qu'ille men-
tionne au procès-verbal, mais l'enquêteur a tourné la phrase en
disant que pendant l'enquête, il n'était pas malade et il a fait
approuvé ces termes par Sahbani.
Je lui répondis alors que cette tournure a besoin de beaucoup
d'explications. Sur un ton nerveux, il me dit : « Vous ferez vos
explications avec le juge d'instruction ».
Après lecture de tout le procès-verbal, Sahbani a confirmé ses
déclarations avec un geste de la tête parce qu'il n'avait pas de force
pour ouvrir la bouche.
Naturellement tout ce qu'on me reprochait dans ce procès-ver-
bal était de l'imagination et les nombreuses questions que je posais
restaient sans réponse. Je voyais que l'enquêteur avait peur de
poser ces questions à Sahbani qui, dans l'état où il était, ne pouvait
pas répondre ; et même s'il pouvait répondre, il craint de le voir
revenir sur les déclarations arrachées au prix de plusieurs jours de
torture.
Sahbani, aidé par un agent a été conduit à sa cellule tout entré-
buchant et en marchant presque à quatre pattes et avec çà il n'est
pas malade, insiste l'enquêteur auquel j'ai voulu faire la remar-
que. Mais à quoi cela pourrait nous avancer.
Le procès-verbal terminé, je l'ai lu et signé et l'enquêteur lui-
même me ramène à ma chambre et me dit : « vous ne pouvez pas
dire que vous avez été l'objet de pression d'aucune sorte ».
- Oui lui dis-je c'est vrai, mais les pressions ont été faites sur les
faux témoins pour les amener à dire ce que vous avez voulu leur
faire déclarer pour m'accabler.
Enfin et encore pour la deuxième séance de confrontation ça n'a
pas mal marché - d'ailleurs ça ne pouvait pas en être autrement
parce que nous avons donné des instructions pour que la grève se
passe dans le calme et la discipline ; et les mensonges, mêmes pré-
parés par de grands spécialistes, manquent toujours quelque cho-
se, qui peut servir à démasquer la vérité.
La nuit j'ai appris par un agent parent à d'autres camarades
arrêtés avec moi qu'il y a eu quatre camarades dont l'enquête est
terminée et qui ont été dans la journée entendus par le juge d'ins-
truction et transférés à la prison civile.
Le jour suivant, j'étais appelé assez tard. J'étais surpris de voir
un autre homme plus âgé qu,e les autres et ayant l'air d'un supé-
rieur. L'enquêteur reprend la question de Sousse et se met à lire
d'abord le procès-verbal et, avant de finir, le nouveau venu lui tire
brutalement le dossier des mains, me regarde et me dit :

215
« Tu leur imposes ce que tu veux dire. Ça ne marchera pas comme
ça ».
Je le regarde étonné et lui dis:
« Vous me dites ce que je dois répondre pour vous satisfaire »et
j'attendais sa réponse un instant.
-Parle- ! me dit-il sur un ton dur et sec.
C'est alors que je m'adresse à l'enquêteur pour lui dire :
« A ce que je sache vous n'avez pas fini de lire le procès-verbal.
Est-ce que c'est le même que celui que vous m'avez lu lors de séan-
ces de nuit en présence de 4 personnes dans un bureau au fond là-
bas ? »Ils se regardent entre eux et l'enquêteur de dire : « oui je
n'avais pas fini de lire le procès-verbal quand vous me l'avez pris
des mains ». Le supérieur lui remet le dossier et l'enquêteur
reprend la lecture là où il s'est arrêté.
J'ai demandé la parole, et pour embêter le grand monsieur j'ai
dit :
« Il y a eu tellement de choses depuis tout à l'heure, que j'ai oublié
ce qui a été dit ; je demande la reprise de la lecture depuis le com-
mencement».
Ils se regardent entre eux et à notre grand de dire à l'enquêteur :
"Reprenez par le commencement", et cette petite scène a été suf-
fisante pour que le supérieur nous abandonne, sûrement déçu', sa
petite scène ne lui ayant rien rapporté. L'enquêteur se frottait les
mains d'un air satisfait de le voir partir.
Au camarade Na ji Remadi - qui était là pour m'être confronté -
j'ai posé la question : «Mais toi tu travailles au siège de
l'U.G.T.T. à Tunis? qu'est ce que tu fais à Sousse ? Et depuis
quand tu es là bas ? A ce que je sache, tu ne m'as jamais demandé
ta mutation et personne à Sousse de l'Union Régionale ne me l'a
demandé aussi, ta présence là bas est étonnante et irrégulière ».
Naji Remadi essaye de justifier sa présence par l'accord que lui
aurait donné un simple employé de l'V. G. T. T. qui lui aurait trans-
mis une demande verbale du secrétaire de l'U.R. de Sousse. -
J'ai fait constater à l'enquêteur qu'après la certitude qu'il a
maintenant que j'ignorais totalement l'existence de Naji Remadi à
Sousse ; comment pourrais-je donner des instructions au télé-
phone à quelqu'un que je ne connais pas pour lui dire :
« Tunis est mis à feu et à Sousse, il n'y a rien encore ; il faut dire
··aux camarades qu'ils fassent leur devoir » et quelques instants
après, Sousse s'est révoltée et les travailleurs ont brûlé et saccagé
la ville. Ensuite j'ai posé la question suivante : « C'est à quelle
heure que ce prétendu coup de téléphone a eu lieu ? »
L'enquêteur regarde Naji Remadi et lui dit:« A quelle heure

216
avez vous téléphoné ?
-A 8 heures lui répond-il, à son domicile.
- « Non ; Non c'est pas 8 heures dit l'enquêteur, plus »,et le pau-
vre Naji de dire 8h30 et l'enquêteur reprend non encore plus, et au
camarade de dire entre 10h et 10h30. C'est trop a dit l'enquêteur
en ajoutant : Admettons 9h30- lOh.
Sur un ton ironique je dis à l'enquêteur : «Avec quel événement
vous vous voulez faire coïncider ces horaires. Je tiens à vous signa-
ler que pendant les horaires que vous avez imposés, je n'étais pas
chez moi, mais à Amilcar».
Encore une fois, j'étais mis en présence des intentions des res-
ponsables de vouloir par des mensonges me condamner et encore
comme par le passé pour m'empêcher de reprendre mon activité
syndicale libre ; mais cette fois il y a eu tant de crimes commis par
ceux-là même qui veulent en finir avec l'U.G.T.T et dont on me
rend responsable naturellement avec mes camarades de l'exécutif
et des responsables à tous les niveaux.
Trois jours après, l'enquête a été reprise. Il y avait dans le
bureau trois camarades :Habib Ben Achour, Secrétaire de l'U.R.
de Sousse, Sadok Quedissa, Secrétaire adjoint de l'U.R. de
Sousse qui était à l'agonie se tenant, je ne sais par quel miracle sur
sa chaise et Lahmar, Secrétaire de l'Union Locale d'Enfida-ville.
L'enquêteur déclare : «Ces personnes avec Hédi Jomâa sont
allées chez vous et vous ont demandé de recruter, comme le fait le
parti, des gens armés pour s'opposer à la miliée du parti et effecti-
vement Habib Ben Achour, Secrétaire de l'U.R. de Sousse, a
recruté bon nombre de travailleurs pour accomplir cette mis-
sion ».
Naturellement, je précise que je dirige une organisation syndi-
cale et non une organisation de terroristes et « si les camarades
avec lesquels vous me confrontez vous le disent, je voudrais bien
les entendre ».
L'enquêteur a commencé par lire les déclarations de Sadok
Quedissa. Ce camarade était incapable de parler ni même de bou-
ger la tête et de répondre par un signe approbateur.
L'enquêteur passe ensuite à Lahmar qui déclare ne rien savoir de
cette histoire et qu'il a signé ce document alors qu'il venait de subir
des séances de torture, ne sachant rien de ce qui a été écrit.
Passant au camarade Habib Ben Achour, l'enquêteur lui décla-
re : « Veux-tu démentir comme tu l'as déjà fait pour le témoi-
·snage de Guedissa et de Lahmar l'embauche d'une équipe d'ou-
vriers comme il a été dit pour combattre la milice sur ordre de
votre Secrétaire Général de l'U. G. T. T., Habib Achour ».

217
Le Secrétaire de l'Union Régionale de Sousse, d'un ton net lui
répond qu'il n'a jamais recruté de gens sur ordre du camarade
Secrétaire Général pour s'opposer à la milice ; « mais j'ai recruté
un seul gardien de nuit pour la garde de la maison de l'U. G. T. T.,
et pour recruter un agent à notre U.R.S., je n'ai pas à demander
l'autorisation ni même l'avis de la centrale, je dispose du crédit
nécessaire à l'échelle régionale pour le faire».
L'enquêteur s'adressant à moi me dit : «Qu'est ce que vous
dites ? »
-En réponse à quoi? Absolument rien lui dis-je. Vous constatez
simplement que vos enquêteurs ne cherchent qu'une chose acca-
bler Habib Achour. Mais vous constatez également qu'ils ne trou-
veront rien, comme vous le voyez vous-même.
La porte s'ouvre, un inspecteur rentre et l'enquêteur lui dit :
« Ramenez-les» eri montrant du doigt les camarades.
Après lecture et signature-du procès-verbal, l'enquêteur me dit en
souriant : « Maintenant nous pouvons dire que nous avons fini »
et ajoute en me fixant du regard : « Je pense que vous n'avez pas
à vous plaindre de la façon dont nous avons mené l'enquête »et
sans attendre, il se lève et me conduit dans ma chambre où je lui
dis : « Et vous croyez d'après ce que vous avez eu comme rensei-
gnements durant l'enquête que vous avez de quoi me garder en
état d'arrestation ? »
~C'est l'affaire du juge d'instruction.
Depuis plusieurs jours, les camarades quittent la police pour le
juge d'instruction, qui, d'après les renseignements de 'certains
policiers sympathisants n'a mis aucun des inculpés en liberté
même provisoire. Je vivais dans l'attente de mon transfert à l'ins-
truction, les journées passent très longues et rien n'arrive.
Au commissaire central qui passait me voir tous les jours, je ne
cessais de répéter : « Et mon transfert pour quand ? »
Il répond toujours : « le juge d'instruction sait que l'enquête est
terminée. Vous partirez quand il vous demandera ».
Durant ce temps, je préparais des notes dont la liste des gens à
confronter dont Nouira, Sayeh, Farhat et presque tous les minis-
tres, ainsi que tous les membres du bureau politique, et les minis-
tres démissionnaires pour protester contre la rupture entre le gou-
vernement et l'U.G.T.T., rupture qui a provoqué !a grève du 26
Janvier.
J'ai préparé aussi une liste des plus gros patrons et P .D.G. pour
être confrontés sur la forme des relations qui existait entre
l'U.G.T.T. et eux-mêmes en tant qu'employeurs.
Je prenais note aussi de certains détails dont on a parlé à la

218
sûreté et qui n'ont pas été cités aux procès-verbaux.
Un soir, vers minuit, le commissaire arrive et me dit : «Vous
vous impatientez encore d'aller à l'instruction, je suis venu exprès
pour vous dire que c'est pour demain à 6h du matin, mais vous
devez être prêt à 5 heures ».
De joie de quitter cette maudite chambre, j'ai très peu dormi et
j'ai préparé mes effets : une grande valise et un grand rouleau de
couvertures. Avant six heures, on était au palais de justice, j'étais
installé dans un tout petit bureau, gardé par 2 inspecteurs qui ont
eu la gentillesse de m'apporter un café. Ce n'est que vers 10h que
j'ai été conduit au bureau du juge d'instruction. Il y avait au moins
10 avocats volontairement constitués pour me défendre. C'étaient
Maîtres Cheffi, Ben Lallouna, El Rila, Ben Naceur, Habib Al oui,
Mohamed Mahfoudh, Brahim'R: Ali, Abada el Kéfi et Mohamed
Abid ... Ils étaient très contents de me voir en bonne santé avec un
moral, loin d'être ébranlé par les circonstances difficiles que nous
venons de traverser. Après avoir pris ensemble des boissons de
toutes sortes, le juge d'instruction qui m'a semblé gentil homme a
commencé par dicter au dactylographe mon identité que j'ai décli-
née sur sa demande.
Ensuite le juge d'instruction prend un air grave et me dit :
(< Vous êtes l'objet de lourdes inculpations, d'ailleurs j'ai lu les

procès-verbaux d'enquêtes à la police et vous savez de quoi vous


êtes inculpé dont voici les principales accusations :
-En 1977, et au mois de Janvier 1978, il a porté atteinte à la sécu-
rité de l'Etat, il a incité les habitants à s'armer et à_s'attaquer les
uns aux autres.
-Provocation de troubles, de tueries et de vols dans le pays ainsi
que le pillage des biens publics et privés.
-Distribution d'armes.
-Lutte contre les forces de l'ordre public dans l'exercice de leur
fonction.
-Provocation d'incendies avec préJOéditation ».
Les peines sont prévues d'après les articles 72-74-75 -76-77-
78 - 79 ... Il y a lieu de souligner que chacun de ces articles prévoit
la peine de mort m'a dit l'avocat qui était à ma droite. Je m'imagi-
nais le grand nombre de filets dont ils m'ont entourés rendant
toute sortie impossible. Une seule idée m'est venue à la tête et me
tracasse : Ces 4 hommes, Nouira, Farhat, Sayeh et Hannablia, qui
ont monté un dossier de toutes pièces se sachant eux-mêmes les
instigateurs des évènements du 26 Janvier et qui m'ont qualifié
plus d'une fois en termes élogieux en m'appelant frère Habib,
Achour demandent contre moi la peine capitale et organisent une

219
tuerie la plus sauvage que notre pays ait jamais connue y compris
pendant la lutte de libération nationale. Il se passait à l'époque
coloniale de temps en temps un ratissage organisé par l'armée
d'occupation pour venger un soldat, un gendarme ou un colon, tué
par la résistance, dans un endroit bien précis. Il ne s'agissait pas
comme c'est le cas pour l'U. G. T. T., qui a décrété seulement une
grève syndicale largement motivée pour une durée de 24 h, de
massacre avec acharnement dans l'ensemble du pays.
Que veulent-ils donc ces 4?
Je laisse le soin à nos écrivains et chercheurs d'étudier et de
rép0ndre à cette question qui n'a pas été clarifiée par la justice.
Le juge d'instruction dans son travail a suivi la démarche des
enquêteurs de la police en précisant point par point et en donnant
des fois des interprétations qui ne correspondent pas ou qui chan-
gent totalement le sens du procès-verbal. Je me trouve alors obligé
de demander la parole pour rectifier, mais le juge essaye de
m'obliger à accepter son point de vue, que je persiste à ne pas
admettre, entraînant par ma position l'intervention des avocats,
qui engagent une véritable lutte oratoire souvent orageuse pour
m'appuyer dans ma position. D'ailleurs, j'aifini par dire au juge :
« Vous voulez savoir le sens exact de mes propres déclarations à la
police ; ces précisions mêmes que vous me demandez ont été don-
nées à la police par moi-même et ils ont trouvé que ça correspond
bien à ce que je veux dire, à moins que vous ne voulez chercher
autre chose, à ce moment posez-moi une autre question à laquelle
je suis tout disposé à vous répondre ».
Le juge et les avocats s'accordent sur la rédaction de la réponse
à la question en discussion et on passe à une autre jusqu'à une
heure assez tardive de la nuit.
Les avocats, à l'exception de Maître Brahim Ben Ali qui n'a pas
assisté jusqu'à la fin de l'interrogatoire ont déclaré : « Vu que les
délits de leur client n'ont pas été appuyés par des preuves concrè-
tes ; ils demandent l'annulation du mandat d'arrêt ».
« Vu le passé politique glorieux de leur client et les services qu'il
a rendus au pays »,les avocats ont demandé au juge d'instruction
de le libérer et il sera à la disposition du juge d'instruction lorsque
cela s'avèrera nécessaire.
Après lectury du procès verbal et son approbation le juge m'in-
forme que je suis en état d'arrestation et tous les présents : Avo-
cats, juge d'instruction, procureur de la République, greffiers et
moi-même avons signé ce rapport.
Je me disais : « Pas possible, après tous les éclaircissements que
j'ai fournis, qui ont permis 1'éclatement de la vérité concernant les

220
inculpations dont je suis l'objet et les analyses juridiques que les
avocats ont faites démontrant mon innocence ; ne pas tenir
compte de tout cela et décider mon emprisonnement ».
J'ai commencé par douter de l'existence de certaines influences
et de croir~ à un procès politique alors que quelques jours après
mon arrestation à la police, j'avais déclaré aux camarades Kerst~n
Secrétaire Général de la C.I.S.L. et Wetter Président de la
D.G.B. venus me rendre visite que je voulais passer devant la jus-
tice et je les ai rassurés de mon innocence et de ma confiance en la
justice.
Les avocats eux-aussi étaient écœurés par cette <;lécision. Avant
de partir, le juge d'instruction a appelé deux inspecteurs auxquels
il m'a confié rompant brutalement la discussion avec mes avocats.
A la sortie du bureau du juge d'instruction, j'ai pu voir des mem-
bres de ma famille et de nombreux amis, hommes et femmes, qui
ont voulu s'approcher de moi, mais un barrage de policiers en civil
les a empêchés. C'est alors qu'ils se sont mis à crier «Vive
l'U.G.T.T. libre!»,« A bas les traîtres!»,« Vive Achour! »
J'étais enfermé dans un petit bureau avec les 2 policiers durant
plusieurs heures. Tout d'un coup un bruit de pas précipités se fit
entendre et s'approcha dans notre direction. La porte s'ouvre, on
m'ordonne de sortir, je passais entre 2 haies de policiers jusqu'à la
cour du palais de justice où on m'a embarqué dans une voiture et
c'est tout un convoi qui passe devant nous et c'était à notre tour de
sortir. A la porte, un embouteillage a obligé le conducteur à stop- .
per. Ma fille qui m'a remarqué s'est appuyée sur la vitre fermée
pour essayer de me parler. Aussitôt le chauffeur démarre en
trombe entraînant la chute de ma fille que je voyais par terre, et de
colère je n'ai pas hésité de traiter le conducteur de la voiture de
brute et de beaucoup d'autres choses. Il semblait regretter le geste
en disant : « Je n'ai pas fait exprès »,mais cela ne pouvait me cal-
mer surtout que je savais que ma fille était enceinte.
En prison, on m'a conduit directement dans une grande cham-
bre tout au fond où un petit lit a été placé dans un coin. J'étais
épuisé par le dur et long travail auquel j'étais soumis. J'ai demandé
un infirmier qui m'a pris la tension.
-Combien lui dis-je ?
-Il ne répond pas, mais me demande quelle est ma tension habi-
tuelle?
-Entre 13 et 14lui dis-je.
- Vous êtes sûrement fatigué, vous viendrez voir le médecin
demain et ajoute : « A présent vous en avez 20 ».
J'étais vraiment choqué par Ct:jtte montée en flèche de la ten-

221
sion, mais cela ne m'a pas empêché de bien dormir. Je me suis
réveillé bien en forme.
Le Directeur de la prison était venu me voir à la première heure
de la journée. C'était une tête que je connais bien mais pas dans
cette tenue. Il me parlait avec beaucoup d'égards et à l'instant où
son collaborateur s'est éloigné, il m'a dit qu'il me connait très bien
et que nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises à la mai-
son de Belkhodja ancien ministre de l'intérieur limogé.
Comme j'étais mis au secret, c'est la seule personne qui me
contacte et plusieurs fois par jour, je l'ai pris en confiance et je
parlais de tout avec lui ; d'ailleurs je n'ai jamais considéré que
dans notre affaire, il y a quelque ~hose que je dois cacher, au con-
traire, je voulais parler à n'importe qui pour démontrer l'injustice
dont nous sommes l'objet.
On m'appelle pour la visite médicale. Le médecin sûrement
avisé par son infirmier sur ma santé la veille, a commencé par
prendre la tension. Il me regarde et me dit :«C'est pas mal. Vous
avez 16-8».
C'est alors que l'infirmier me déclara que la veille, il n'a pas
voulu me dire la véritable mesure, j'avais 24.
Je l'ai remercié de n'avoir pas annoncé la véritable lecture, car
l'écart entre ma normale 13 et 24 est trop grand ; ça aurait pu peut-
être provoquer un choc et m'aurait empêché au moins de dormir.
A mon retour à ma chambre, j'ai constaté que j'ai logé durant la
lutte anticolonialiste non loin de la chambre où je viens d'être ins-
tallé, et j'ai remarqué un grand changement dans la cour : Un
grand palmier et un néflier énorme ont été arrachés. La cour, un
carré de plus de 20 mètres de côté entouré de cellules, est traversée
à une hauteur de 9 mètres par de grosses poutres en fer traversées
par du fer du plus gros diamètre et donnait l'impression d'une.
énorme cage.
Quelques jours après. J'ai vu par la fenêtre passer un camara-
de : Khéreddine, j'ai pu lui annoncer ma présence, mais ille savait
depuis 4 jours avant mon arrivée, le gardien lui avait dit que lestra-
vaux dans la cour doiv~nt être achevés dans ce délai parce que
Habib Achour doit venir. ·
Au Directeur qui passait me voir, je lui ai demandé si je pouvais
dire bonjour au camarade lorsque je le vois passer devant ma
fenêtre, il m'a immédiatement dit qu'il n'y a pas de mal à se dire
bonjour. Je l'ai remercié, et j'ai avisé le gardien qui était près, de
nous pour qu'il n'aura pas à nous en empêcher.
Le gardien était gentil. Ce n'est pas un bonjour qu'on se disait
mais de véritables discussions sur le sujet qui nous intéresse en pre-

222
mier lieu, la santé des camarades, le moral et l'enquête.
J'ai appris que les membres de l'exécutif n'ont pas été torturés,
contrairement aux autres camarades qui étaient près d'eux aux
locaux de la police : Brour, Ayoub, Chakroun et Sahbani. C'est
atroce et inimaginable ce qu'ils ont subis comme torture. Ils par-
tent à pieds, ils reviennent en hurlant à 4 pattes.
Sahbani a failli mourir, ils exigent de lui qu'illeur dise que c'est
Habib Achour qui lui a demandé de fabriquer des boules de fer
pour assommer les policiers et devant cette situation, Bouraoui ,
Baccouche etGharbi lui ont dit de dire qu'illes a commandées à la
demande de Habib Achour, pour l'hôtel Amilcar ; ~t c'est ce qu'il
a fini par déclarer. J'ai été très choqué par cette position de la part
de ces camarades surtout qu'ils ne sont pas si naïfs et j'ai ajouté :
« Vous avez enfoncé Sahbani et vous m'avez mis injustem~nt dans
une sale situation en donnant une occasion inespérée aux enquê-
teurs et il me sera très difficile de m'en tirer ».
Le temps passe et chaque jour on voit arriver dans notre secteur
un camarade, membre de l'exécutif. Quelle différence avec mon
séjour dans les locaux de la sûreté où durant 2 mois, j'ai reçu une
fois ma femme et deux fois des délégations de syndicalistes de l'In-
ternationale libre et de l'Union Syndicale Africaine. Les autres
camarades n'ont pas eu une seule visite.
En prison, les contacts étaient fréquents avec nos nombreux
avocats et des parloirs se déroulaient 2 fois par semaine avec nos
familles. Nous étions ainsi soulagés par toutes sortes de nouvelles
syndicales et politiques tant nationales qu'internationales. Les
nouvelles syndicales étaient très rassurantes. A l'intérieur du pays
les motions de solidarité émanent de toutes les branches d'activité,
malgré les menaces et la répression.
Les intellectuels des professions libérales tels les avocats, les
médecins, la ligue des droits de l'homme élèvent très souvent des
protestations contre les tortures, le maintien trop long dans les
géoles de la police, l'isolement des syndicalistes dans des cellules
d'où ils ne sortent qu'une demi-heure seulement toutes les 24 heu-
res.
La C.I.S.L., l'Union des syndicats Arabes et les Fédérations
Professionnelles Internationales nous ont appuyés de toutes leurs
forces à travers le monde. Les syndicats nationaux : la D.G.B.
(Allemagne), L.D. (Suède), Danemark et Luxembourg, la
F.G.T.B. (Belge), les 3 centrales syndicales italiennes, la Fédéra-
tion Suisse, Force Ouvrière, la C.G.T., la C.F.D.T. Ces 3 centra-
les syndicales Françaises et bien d'autres organisations nationales
à travers le monde, en Amérique comme en Asie et en Afrique ont

223
manifesté leur solidarité avec notre juste cause avec force et de
diverses manières :De la collecte d'argent à la grève de solidarité
et surtout l'envoi de télégrammes et de motions de protestations
au gouvernement tunisien ainsi que par l'envoi de délégations syn-
dicales et même des avocats qui n'ont pas été tous admis à plaider
et dont quelques uns (membres des délégations ou avocats) ont été
refoulés dès leur arrivée à l'aéroport.
Chaque jour, le soir après la fermeture de la centrale à une
heure précise après la première ronde de 20 heures, tous les cama-
rades se mettent à leur fenêtre, et chacun de nous à tour de rôle
raconte les nouvelles qu'il a pu avoir dans la journée à la suite d'un
parloir avec un avocat ou d'une visite de famille. En l'absence de
nouvelles, on parle de notre affaire, de notre dossier, de l'enquête
à la police et surtout des camarades gravement torturés : Sahbani,
Brour, Ayoub, Chakroun, etc ...
Ils parlaient des sévices tellement ignobles pratiqués par les tor-
tionnaires - spécialistes de la torture et de la réaction des camara-
des à ces tortures. Les premières fois, nous étions tous émus à les
entendre parl,er ainsi, mais à la longue, ils ont fini par en rire eux-
mêmes, mais cela ne nous empêche pas de songer et d'essayer de
pénétrer le secret de Nouira et de sa clique à aller jusque là. Est-ce
vraiment qu'ils croient à ce qu'ils ont dit à Bourguiba que nous
voulons lui prendre son fauteuil présidentiel ?
Est-ce que Nouira le réactionnaire et sa clique veulent décapiter
l'U.G.T.T. pour laisser le champ libre aux agriculteurs et gros
commerçants pour faire de la classe possédante la seule au pays à
gouverner et à faire la loi ? A mon avis, c'est cette dernière
hypothèse qui cadre le mieux avec la mentalité de Nouira, mais la
première hypothèse est lancée pour effrayer Bourguiba et le faire
marcher dans l'exécution de leur plan diabolique.
Depuis plusieurs jours tous les camarades sont passés devant le
juge d'instruction et incarcérés en prison. Aucun d'entre eux n'a
été appelé, alors quelques uns ont envoyé des explications sur cer-
tains chefs d'inculpation.
Sahbani qui a dit la vérité au juge d'instruction sur la question
des boules de fer a été de nouveau pris à charge par la police, pour
lui faire redire ce qu'ils ont arraché par la torture en employant
encore les mêmes moyens qu'il a mal supporté cette fois au point
de friser la folie.
Quant à moi, une seule fois j'ai été convoqué par le juge d'ins-
truction ; c'était pour presque rien. Je croyais qu'il s'agissait de
poursuivre l'enquête car les témoignages, les confrontations que

224
j'ai demandés n'ont pas eu lieu et donc l'instruction est loin d'être
terminée.
Entre- temps, le Parti a fait paraître un livre bleu qui constituait
un tissu de mensonges et où il se présente comme accusation- Juge
d'instruction et procureur pour accabler et prononcer un verdict.
La presse dans son ensemble a donné un large écho à ce livre en
publiant les passages présentés par le gouvernement et le parti
comme des arguments édifiants quant à notre responsabilité et qui
pour nous, étaient les mensonges ignobles les plus cruels qu'un
être humain sans scrupules puisse prononcer.
Le soir après la fermeture de « la centrale » et à l'heure habi-
tu~lle des informations, le seul sujet à discussidn était la publica-
tion .de ce livre sur les évènements du 26 Janvier édité par le parti
et les longs passages que la presse a publiés empestant ainsi davan-
tage une atmosphère déjà empoisonnée, voulant démontrer par
de faux arguments la responsabilité entière des responsables syn-
dicalistes.
Nous étions convaincus que ce livre n'est pas destiné seulement
à l'opinion publique tunisjenne, mais aussi et surtout à l'opinion
internationale qui s'inquiète des conséquences de cette grève et à
plusieurs pays à travers le monde ainsi qu'à toutes les organisa-
tions syndicales internationales et nationales de toutes tendances
qui ont protesté auprès du gouvernement tunisien et nous ont
manifesté leur appui et leur solidarité. Nous étions tous irrités par
cette publication qui a confirmé nos pronostics sur le futur dérou-
lement du procès.
Ce soir la discussion a duré bien plus que d'habitude et comme
d'habitude chaque camarade a donné son point de vue et dans l'en-
semble on était très près les uns des autres. En revenant à ma place
à la fin de la discussion, je me suis mis à penser à l'influence que
pourra avoir ce livre sur le déroulement de l'enquête et du procès.
J'ai décidé alors d'écrire au journal El Amal, sous couvert du juge
d'instruction et, la nuit suivante, j'ai lu aux camarades le projet de
rapport que j'avais préparé, et dont ils étaient très satisfaits.

Tunis, le 1er Mai 1978

Monsieur le Directeur du Journal El Amal,


J'ai lu avec beaucoup d'attention les 3 exemplaires du journal El
Amal du 25-27 et 28 Avrill978 et notamment les extr.aits du livre
édité par le Parti- Evénements de Janvier 1978- où j'estime avoir
été injurié par un tissu de mensonges. Je vous demande donc de

225
me faire bénéficier dans votre journal du droit de réponse en insé-
rant la mise au point suivante :
-Il me reproche, chose bien curieuse de rentrer dans un différend
avec Ahmed B. Salah en 1956 et d'être le leader de la scission.
C'est une histoire que toUs les militants connaissent bien.
-Pour le différend avec Ben Salah, c'est une question de méthode
de travail et de comportement.
Pour ce qui concerne la création d'une autre organisation syndi·
cale l'U.T.T., nous avons eu l'autorisation et le Président Bour-
guiba lui-même nous a donné l'ancien local de la C.G.T. à la rue
de Grèce. Il nous a remis la clef à la suite d'une réunion officielle
et inaugurale tenue au local même et quoi d'étonnant à cela ; je
suis encore pour le pluralisme syndical et politique et d'ailleurs
c'est prévu par notre constitution. Il y a presque un an, une cen-
trale syndicale a été constituée et qui s'appelle force ouvrière dont
le Secrétaire Général est Mohamed B. Saâd, fonctionnaire dépen-
dant du Ministère de l'Agriculture. Ses membres se sont déplacés
un peu partout dans le pays et notamment aux ministères de l'Edu-
cation et de l'Agriculture où ils ont tenu des réunions, protégés sur
la demande du parti m'a dit Hassen Belkhodja à la suite d'un coup
de téléphone alors qu'il y avait près de moi le secrétaire général du
comité de coordination. Durant la scission on se rencontrait pres-
que tous les soirs avec Ahmed Tlili et c'est à Genève alors qu'on
représentait chacun une centrale syndicale au B.I.T. que la déci-
sion de l'unification était prise et nous l'avons mise en application,
à notre retour à Tunis, début Juillet avec Tlili comme Secrétaire
Général.
Il venait rarement à l'U.G.T.T. Il était trop pris au Parti avec la
charge de l'administration et la trésorerie, il avait la question
Algérienne qui était très compliquée, avec beaucoup de problè-
mes.
Au congrès de l'U.G.T.T. en 1963, j'ai été élu Secrétaire Géné-
ral. Notre grande occupation était la création des coopératives.
On n'en créait pas beaucoup à l'inverse du parti et du gouverne-
ment qui en créaient surtout dans le domaine agricole mais la plu-
part échouaient parce que mal gérées.
Nous avons réussi à créer des coopératives de logement, de
consommation, de production, de services, une banque, une assu-
rance, Amilcar (Hôtellerie), la société de mise en valeur des îles
Kerkennah et bien d'autres encore. Ça nous a valu de la jalousie
de la part du Gouvernement et du Parti.
En 1964, au congrès du Parti à Bizerte, on a voté une résolution
qui considère les organisations nationales comme étant des orga-

226
nes du Parti. Peu de temps après ce congrès, je reçois une lettre du
Parti signée Sayeh, qui me rappelle la résolution votée au Congrès
du Parti et me demandait le renouvellement des syndicats sous la
présidence du Parti. Je lui ai répondu que cette décision devra être
entérinée par le Congrès de l'U.G.T.T. pour être applicable.
Sayeh va dire au Président que je refuse d'appliquer la décision
du Parti. Le Président nous appelle Sayeh et moi. Et après une
dure et pénible discussion, a été décidée la présence du Parti au
rerio·..tvellement mais non sa présidence et sa direction des élec-
tions.
Ça allait si bien ce renouvellement, ce qui ne plaisait pas à Sayeh
qui, se voyant perdant, a décidé en mon absence de faire voter les
policiers et des gens venus de je ne sais d'où au Congrès de la
S.T.E.G. J'ai été appelé d'urgence, j'ai arrêté les élections et j'ai
donné ordre aux syndicats de refaire les élections, seuls, sans la
présence du Parti. Quelques temps après, il y a eu la dévaluation,
à la suite de laquelle l'U.G.T.T a tenu la réunion de la C.A. qui
s'est terminée par une résolution votée à l'unanimité qui réclame
une augmentation des salaires pour ne pas subir une baisse dans le
pouvoir d'achat.
Le Gouvernement et le Parti ont jugé que cette position est cri-
minelle, et les attaques contre moi personnellement ont com-
mencé par la radio, la presse et les réunions des cellules destou-
riennes qui se terminaient par des télégrammes au Président
demandant les sanctions les plus sévères à mon encontre. Cela a
duré jusqu'au mois de Juin 1965, date à laquelle le bateau de la
« Société de mise en valeur des Iles Kerkennah » dont je suis le
Président a pris feu entre Sfax et Kerkennah alors que j'étais à
Genève au B.I.T. Je ne veux pas insister sur les circonstances de
l'incendie et l'enquête et les jugements.
A la séance de la levée de l'immunité parlementaire, Ahmed
Tlili a pris 17 fois la parole pour appuyer ma déclaration qui disait :
- Le Gouvernement veut me condamner pour m'éloigner de
l'U.G.T.T. et la domestiquer.
Malgré la lutte que nous avons menée à deux, la levée de l'immu-
nité était décidée.
Tlili furieux a juré de ne plus vivre dans ce pays et le lendemain
il était parti pour revenir quatre années plus tard atteint d'une
grave maladie pour mourir près des siens.
Cette U.G.T.T. que le Parti veut domestiquer en employant
tous les moyens est née libre ; les sacrifices qu'elle a consentis en
vies humaines sont incalculables. Moi-même j'y ai mis un enthou-
siasme de jeune exalté par l'amour de la Patrie et de la classe

227
ouvrière, mon sang mêlé au sang de Farhat et bien d'autres cama-
rades a arrosé le sol tunisien, sans compter les tortures et les
emprisonnements.
De ce sang renaîtra à plus ou moins brève échéance, une
U.G T.T. toujours libre qui participera encore une fois à la
reconstruction d'une Tunisie qui tiendra compte de toutes les aspi-
rations du peuple.
Je pense que cette brève mise au point est suffisante pour édifier
l'opinion publique sur la réalité des relations entre le Parti et
l'U.G.T.T. et sur ce livre que le Parti a préparé sur les événements
du 26 Jan vier, profitant de notre présence en Prison pour écrire ce
roman qui est loin de traduire la réalité, mais qui reflète leur désir
féroce de bafouer et de dénigrer les véritables responsables de
l'U.G.T.T. sincères et sérieux.
Avec ce livre qui émane du Parti donc du Gouvernement et qui.
condamne d'avance les syndicalistes, la tâche des magistrats sera
sûrement compliquée, mais malgré celà, nous avons confiance en
la justice.

Habib Achour Matricule 408.


Détenu à la Prison Civile de Tunis

Dès l'ouverture des cellules j'ai demandé au gardien à voir le


Directeur qui n'a pas tardé à venir. Il est étonnant pour un particu-
lier de voir un directeur de prison ou un responsable se déplacer au
lieu d'appeler le prisonnier. Ce n'est sûrement pas par gentillesse,
mais de par la présence de plusieurs centaines de syndicalistes dans
plusieurs pavillons. A mon passage, ils se mettaient à crier tout
haut « vive l'U. G. T. T. » et les prisonniers de droit commun com-
mencèrent à se joindre à eux. Ainsi, on me fait sortir le moins pos-
sible et des fois ils font faire rentrer les prisonniers dans leurs
chambres, le temps de faire ma visite.
Au Directeur qui me demandait ce que je voulais, je lui ai tendu
la lettre en lui disant qu'elle est destinée au Directeur du Journal
El Amal en réponse aux extraits du livre édité par le parti sur les
événements de Janvier 1978, en insistant sur la nécessité de ne pas
perdre du temps pour l'expédier.
Il m'a dit : Aujourd'hui les administrations sont fermées mais
demain à la première heure, j'envoie le courrier au juge d'instruc-
tion et votre lettre, je la porterai moi-même.
Ce jour là, j'ai eu la visite de inon avocat que j'ai mis au courant
de cette réponse après avoir discuté longuement de ce livre que le
Parti a édité. Son opinion était que les juges ne pourront pas ne pas

228
en être influencés et c'est dans ce but que le Parti l'a publié à ce
moment précis où l'enquête est en cours. De toute façon lui dis-je,
essayez de voir le juge et de lui dire d'envoyer la mise au point le
plut tôt possible.
Quatre ou cinq jours après, l'avocat revient et la première des
choses que je lui demandais était : « Le juge a-t-il envoyé la lettre
au journal ». Il s'est mis à rire pour dire que le juge qu'il a vu ce
matin même lui a déclaré qu'il n'a rien reçu encore.
J'ai vu ensuite le Directeur de la prison auquel j'ai manifesté
mon étonnement de ne pas le voir remettre la lettre au juge. Il m'a
répondu que vous pouvez être certain que ce que je vous ai dit a
été fait et moi-même, comme je vous l'ai dit, j'ai remis la lettre au
juge et cela vous pouvez le dire à votre avocat.
Je lui ai répondu alors que si d'ici quelques jours ma mise au
point ne parait pas dans le journal, j'écrirai au Président de la
République.
Toutes les fois que je vois mon avocat, il me dit que le juge lui
répète qu'il n'a encore rien reçu de la prison alors que le Directeur
persiste à dire qu'il a remis lui-même la lettre au juge d'instruction
avec lequel a-t-il dit, il a au moins une fois par semaine, une réu-
nion pour discuter des revendications des prisonniers du 26 Jan-
vier et chaque fois ille mettait' au courant de ma demande. J'ai
décidé alors d'envoyer la• lettre suivante au Président de la Répu-
blique :

Tunis, le 17 Mai 1978

Monsieur le Président de la République Tunisienne

Monsieur le Président,
J'ai l'honneur de porter à votre connaissance ce qui suit :
J'ai été arrêté et vous le savez sûrement le 28 Janvier 1978 au soir
à mon domicile sans passer devant l'Assemblée Nationale pour me
justifier la levée de l'Immunité parlementaire.
Chose bien curieuse, il parait, que pour ce qui concerne le fla-
grant délit - l'arrestation peut s'opérer, mais durant l'enquête, il
n'a jamais été question de ma présence de près ou de loin dans les
secteurs touchés par les regrettables évènements du 26 Janvier. La
seule raison que je peux donner à la réunion de l'Assemblée en
mon absence, c'est la peur des responsables d'entendre la réalité
des évènements qui est toute autre que la version que l'on entend
à travers les déclarations officielles et la presse.

229
En lisant les quelques journaux que je reçois, il n'y a pas un seul
qui n'adresse pas des injures à l'ancienne équipe de I'U.G.T.T. et
surtout à moi-même.
Dans le journal El Amal du 25-27-28 Avril qui comporte des
extraits du livre édité par le Parti sur les évènements du 26 Janvier,
j'ai relevé des contre-vérités qui appellent de ma part une mise au
point indispensable. Cette mise au point remise à la Direction de
la prison depuis plus de 15 jours n'a pas été publiée.
En défigurant mon passé que vous connaissez mieux que tout
autre, ils défigurent en même temps une partie de l'histoire que
nous avons vécue vous et moi, et qui a marqué l'histoire de notre
pays.
Tout au long de l'enquête, j'ai fait ressortir que les vrais respon-
sables des évènements du 26 Janvier sont du côté du Parti : Sayeh,
Ben Aïcha, Mohamed Jrad et Habib Fathallah.
Du côté du Gouvernement : Hédi Nouira, Abdallah Farhat,
Docteur Hannablia ...
Dans mon procès je demanderai à ines avocats de ne pas insister
sur mon passé que j'estime glorieux pour ne pas éveiller les senti-
ments patriotiques des juges, afin d'éviter toute influence, surtout
que : Quico~que peut chercher autant qu'il en veut ; il n'y trou-
vera jamais, une position, ou un acte contraire à l'intérêt de mon
pays que j'aime encore et que j'aimerai toujours avec la foi que
vous connaissez.
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République Tuni-
sienne, l'assurance de mon plus profond respect.

Habib ACHOUR
Matricule no 408, Détenu à la prison civile de Tunis.

J'ai joint une copie de la réponse au livre édité par le Parti et


j'ai remis les deux lettres au Directeur de la prison en lui disant :
« Et celles-là vont-elles arriver à leur destinataire ? »
Il me répond alors : « On ne censure pas le Président de la Répu-
blique, je pars tout de suite pour aviser mon ministère qui se char-
gera de la suite à donner à votre lettre, mais je suis sûr qu'elle par-
viendra dans le plus bref délai ».
Les jours passent et les mois aussi et rien n'apparaît sur le jour-
nal El Amal quant à ma demande de bénéficier du droit de répon-
se. J'ai décidé alors de demander au Directeur des journaux de
l'opposition« Démocratie »et« Erraï »qui étaient les seuls jour-
naux à exposer les événements du 26 Janvier d'une façon juste et
loyale, s'ils acceptent la publication des 2lettres- celle destinée au

230
journal El Amal et la plainte envoyée au Président de la Républi-
que. Sans tarder les 2 journaux les ont fait paraître en bonne place.
En prison la vie devient monotone, semblable à celle d'un
condamné qui écoule sa période d'emprisonnement. Je m'atten-
dais, compte tenu du très grand nombre de témoins à charge et à
décharge d'avoir de nombreuses audiences d'explications et de
confrontations devant le juge d'instruction. Les avocats me
parlent de nombreux témoignages de gens que, je ne connais
même pas et dont même le témoignage n'a rien à voir avec le pro-
cès. C'est disent-ils l'absence d'éléments nécessaires à ma
mndamnation qui a poussé le juge à entendre ceux que le Parti lui
envoie. Mais concernant ceux que j'ai demandés à confronter
parmi les membres du Gouvernement et du Parti et qui ont joué
une rôle très actif, avant et après les évènements du 26 Janvier, et
que j'ai cités à l'enquête, tant à la Police qu'avec le Juge d'instruc-
tion, il n'est pas question de les confronter dit le Juge d'instruc-
tion. Pour moi c'est la peur et peut-être la honte s'ils ont un peu de
.pudeur de me voir leur dire les 4 vérités qui les empêchent, de me
rencontrer. Mais, ce ne sont pas ceux-là seulement qui ne m'ont
pas été confrontés devant le Juge, mais aussi les syndicalistes qui
m'ont confronté à la police. Je me demande pourquoi, donc le
Juge d'instruction qui a pour rôle essentiel de chercher à connaître
la vérité, fait tout pour m'éviter cette confrontation si ce n'est la
peur de voir le dossier se vider des inculpations dont je suis l'ob-
jet ; ce qui entraînerait la disparition des éléments pouvant servir
à ma condamnation.
Alors les avocats ont contacté les témoins que j'ai cités dont un
nombre assez important ont envoyé au juge d'instruction par écrit
des rapports décrivant les tortures qu'ils ont subis pour dire ce que
les enquêteurs à la police ont voulu obtenir d'eux.
Cette question de torture a provoqué non seulement l'indigna-
tion des travailleurs tunisiens et du peuple tout entier sûrement à
la suite du décès du camarade Houcine El Kouki ; mais aussi les
protestations des organisations démocratiques et humanitaires à
travers le monde.
C'est surtout la publication par l'agence de Presse «la TAP» qui
a parlé de la mort du camarade EL KOUKI, comme étant
reconnue par les médecins saignants « mort naturelle » qui a
poussé 17 médecins de Sousse à protester en publiant un commu-
niqué.
Pour réduire l'effet de l'influence du travail de nos amis aussi
bien à l'étranger qu'à l'intérieur du pays l'Agence officielle de
presse T.A.P. (Tunis Afrique Presse) publie un article« A propos

231
de la torture ».A ce sujet 32 camarades envoient leurs témoigna-
ges de l'intérieur de la prison de Sousse sur la torture intitulé :
« La torture est une réalité que nous avons vécue »
Dès l'annonce de la mort du camarade KOUKI, tous les syndi-
calistes emprisonnés ont décrété la grève de la faim pour 48 heu-
res.
L'inquiétude s'est emparée de toute .fa cfasse ouvrière conster-
née par la mort brutale du camarade KOUKI que tout le monde
connait comme étant l'homme d'une force qui n'a pas d'égale et
d'une stature athlétique. C'est peut-être en raison de sa solidité
que les tortionnaires se sont acharnés sur lui.
L'inquiétude des travailleurs tunisiens a touché au plus profond
de leur âme les travailleurs du monde entier. Les organisations
syndicales internationales : CISL, Union des Syndicats Arabes,
CFDT, etc ... ainsi et surtout tous les syndicats de toutes les ten-
dances de l'Ouest européen nous ont ·manifesté leur solidarité
agissante, morale et matérielle.
Un autre témoignage du camarade Saïd Gagui, Secrétaire
Général de la Fédération Nationale des Travailleurs de l'Alimen-
tation et du Tourisme U.G.T.T. sur la torture est également parti-
culièrement précis :
« A l'occasion de la réunion de la commission syndicale de
1'0 .I. T. ; je tiens à apporter par écrit un témoignage sur les tortu-
res physiques et morales que j'ai moi-même subies dans les locaux
de la D.S.T. , sur les conditions de détention qui étaient à 1'origine
de la détérioration de mon état de santé depuis les premières
semaines de mon arrestation, et sur les véritables responsables du
massacre du 26 Janvier. · ·
C'est à la suite de déclarations faites par les responsables du
Gouvernement au plus haut niveau, niant l'existence de tortures
en Tunisie, et prétendant que les Droits de l'Homme et la dignité
humaine y sont respectés, et malgré ·les souffrances que je conti-
nue d'endurer après ma mise en « liberté provisoire » et ma
condamnation par une cour de sûreté de l'état qui ne m'a même
pas entendu, que j'ai décidé d'apporter le démenti le plus catégo-
rique aux allégations du pouvoir. Secrétaire Général de la Fédéra-
tion Nationale des Travailleurs des secteurs de l'alimentation et du
tourisme depuis 1970, j'ai été arrêté avec près de 200 camarades
militants et responsablessyndicaux le Vendredi 27 Janvier 1978
vers 1 heure du matin, au siège de l'U.G.T.T. à Tunis où nous
étions assiégés par des forces de police considérables depuis le 25
Janvier- c'est-à-dire avant la grève d'avertissement du 26, et sans

232
que le prétexte de troubles dans la rue puisse être invoqué contre
nous.
Pendant toute cette période de séquestration, nous étions privés
de toute nourriture, de tout contact avec l'extérieur, même le télé-
phone ayant été coupé ; je tiens ici à affirmer ma conviction qui si
nous n'avions pas été ainsi neutralisés, nous aurions été en mesure
d'assurer nos responsabilités dans la préparation et le déroule-
ment de la grève dans le calme et la discipline, conformément aux
directives précises de la direction de l'U.G.T.T. et du Camarade
Habib Achour. Aujourd'hui, je suis fermement convaincu que le
but de notre séquestration était précisément de nous empêcher par
tous les moyens de jouer notre rôle et de faire face aux provoca-
tions qui étaient délibérément préparées et visaient à créer des
troubles le 26 Janvier, pour essayer de masquer la réussite de la
grève, pour rendre 1'U. G. T. T. responsable des violences, et briser
le mouvement syndical.
Au moment de notre arrestation, la nuit du 26 au 27 Janvier
dans les locaux de l'U.G.T.T., les forces de police étaient particu-
lièrement brutales et hargneuses envers nous. Nous avons alors
été pour la plupart enfermés dans des cellules humides, froides, et
sans aucune aération, dans lesquelles nous avons été maintenus
pendant plusieurs semaines avant d'être transférés à la prison civile
de Tunis, à la fin du mois de mars 1978. Au cours de cette période,
j'ai subi plusieurs interrogatoires qui duraient souvent plusieurs
heures d'affilée ; et se déroulaient dans des conditions particuliè-
rement brutales, dégradantes et inhumaines. On me mettait à nu,
parfois à même le sol, on me maintenait, pieds et poings liés, sus-
pendu à un bâton posé entre deux tables et qu'on me faisait passer
entre les bras et les genoux. Dans cette position, j'étais battu lon-
guement sur la plante des pieds avec un bâton en bois. Lorsque
mes pieds s'enflaient, on me versait de l'eau froide dessus.
Cette opération appelée « balançoire » ou de « poulet rôti »
durait parfois plusieurs heures. On me menaçait avec fils électri-
ques branchés et des cigarettes allumées, sans parler des humilia-
tions constantes et du langage ordurier. On me faisait subir tous
ces « traitements » alors que j'étais affaibli par les conditions de
détention, le manque de sommeil et la sous alimentation. Ces tor-
tures étaient dirigées et exécutées par plusieurs policiers en
civil( ... ). Ils cherchaient à me faire« avouer» des faits qui n'ont
jamais existé (Dépôt d'armes à l'U .G. T. T., Instructions de Habib
Achour concernant l'utilisation de ces armes etc ... ).
En conclusion, je voudrais insister sur ce qui suit :
1) Ce n'est que, quand les autorités ont constaté que mon état de

235
santé était devenu critique, que j'ai été mis en liberté provisoire.
J'ai d'ailleurs refusé cette liberté que je n'ai jamais demandée esti-
mant que ma place était aux côtés des camarades arrêtés depuis le
26 Janvier, et que cette libération doit s'étendre à tous, collective-
ment.
2) Aujourd'hui, c'est la classe ouvrière et son organisation syndi-
cale l'U.G.T.T., c'est le mouvement syndical dans son ensemble,
qui sont frappés. Ce sont les véritables patriotes, ceux qui ont tout
sacrifié pour libérer la patrie, qui ont lutté pour l'indépendance et
la dignité nationales, qui sont aujourd'hui, poursuivis, arrêtés,
torturés. Mais, soutenu par les travailleurs, par toutes les forces
vives du pays, par la solidarité internationale des travailleurs, le
mouvement syndical saura reconstituer ses forces pour la renais-
sance d'une U.G.T.T. autonome unie et puissante au service de la
classe ouvrière du pays.
3) J'exprime ma solidarité avec le Camarade Habib Achour aux
côtés duquel j'ai milité p,endant bien longtemps, avec tous les
camarades détenus, avec les autres membres de la commission
administrative légitime, avec tous les cadres et militants syndicaux
qui assument aujourd'hui la responsabilité de la continuité du
mouvement.
Tunis, le 31 Décembre 1978
Signé : Saïd Gagui >>

Le Camarade Saïd Gagui a fait envoyer cette lettre aux organi-


sations syndicales et au Directeur Général du B.I.T. le jour même
de sa signature ; 9 jours après, il mourut, donnant par cette mort
la preuve la plus éclatante de la réalité des tortures dont il a été
l'objet.
Les travailleurs ont été fortement émus par le texte de Gagui et
encore plus quelques jours après par son décès. Il s'en est suivi une
protestation énergique de nombreuses organisations syndicales, et
la grève de la faim a été observée par les syndicalistes emprisonnés
pour lesquels Saïd Gagui représente le vrai visage de l'U.G.T.T.
libre, digne et glorieuse, pour laquelle il n'a jamais ménagé, ni son
temps, ni ses efforts, ni enfin sa vie.
Nul maintenant ne peut avoir des doutes quant à la pratique de
la torture en Tunisie, surtout après la mise au point faite par 17
médecins sur la mort du camarade Kouki et la pétition sur la tor-
ture sortie de la prison de Sousse, signée par 32 syndicalistes. La
lettre du camarade Gagui écrite 9 jours avant sa mort, pleine de
précisions sur la torture et ses exécutants, constitue un témoignage
émouvant.

236
Ces trois déclarations ont été publiées à des dates différentes par
la presse et devant leurs réalités irréfutables, les pétitionnaires
n'ont été-interpellés m par la police bien mise en cause, ni par le
juge d'instruction chargé de l'affaire du 26 Janvier et auquel la plu-
part des syndicalistes emprisonnés ont parlé de torture.
Nos nombreux avocats, tous des volontaires, pour notre défense
se sont organisés de telle sorte que tous les camarades emprison-
nés soient assistés auprès du juge d'instruction. Tous nos camara-
des reçoivent ainsi la visite d'un ou de plusieurs avocats au moins
une fois par semaine. Nous étions bien renseignés sur la marche de
l'enquête, mais les avocats se plaignent de ce que le juge d'instruc-
tion ne veut entendre que les témoins cités par le parti ou la police.
Les nôtres, très nombreux n'ont pas été entendus, et même avec
les témoins cités par eux il n'y a pas eu de confrontation. Devant
l'inquiétude des avocats à ce sujet, je leur répondais quand même
on ne peut pas aller au tribunal avec le dossier du juge d'instruc-
tion incomplet, avec la partie essentielle de l'enquête incomplète.
De crainte de ne pas être appelés, de nombreux camarades empri-
sonnés auxquels la police a arraché par la torture, des faux témoi-
gnages ont envoyé au juge d'instruction des déclarations écrites
exposant dans quelles conditions, ils ont approuvé ce que les
enquêteurs leur ont fait dire et annonçaient aussi la véritable situa-
tion.
Quant à moi ce qui m'intéressait le plus, c'est la confrontation
avec les ministres responsables qui ont été désignés à la suite d'une
réunion du bureau politique (dont je suis membre) pour présider
des commisssions mixtes gouvernementales et syndicales afin de
régler la situation de 12 sociétés où existaient des différends très
anciens sur des questions de salaires.
C'est là que ressortent les vraies intentions de Nouira, Sayeh et
Farhat en donnant aux ministres désignés l'ordre de cesser les dis-
cussions avec les membres de 1'U. G. T. T. alors qu'ils ont fait beau-
coup avancer le travail, dans une bonne atmosphère et qu'ils
étaient bien heureux de trouver une solution à ces graves et vieux
problèmes susceptible de mettre fin à la crise. Choqués par cette
décision, les ministres qui ont été chargés de cette mission :Mon-
cef Bel Hadj Am or, Mohammed Ennaceur, Azzouz Lasram,
Mongi Kooli, Habib Chatti donnèrent leur démission.
Non seulement la confrontation n'a pas eu lieu avec ces minis-
tres mais aussi aucun des membres du bureau politique n'a été
appelé à me confronter surtout Sayeh, Directeur du Parti, fonda-
teur de la milice et qui est à l'origine de tous les complots dont
l'U.G.T.T. a été l'objet depuis 1964 lors du Congrès du Parti à

237
Bizerte et lorsqu'il avait mené la campagne anti U.G.T.T. à la
suite de la dévaluation du dinar. Non seulement les syndicalistes
n'ont pas été entendus par le juge d'instruction, mais ce fut aussi
le cas des employeurs et P.D.G. que j'ai cités pour avoir leur
témoignage sur leurs relations avec I'U.G.T.T. Sayeh Directeur
du Parti a utilisé tous les moyens diaboliques contre nous. Alors
que nous sommes en régime de Parti unique, il favorise la création
d'une autre organisation syndicale dans le seul but était de nous
détruire.
Voici une copie d'une lettre adressée au juge d'instruction par le
secrétaire de la nouvelle organisation syndicale.

Tunis, le 30 Juin 1978

A Monsieur le Juge d'Instruction auprès de la Cour de


Sûreté de l'Etat, chargée de l'instruction de l'affaire des
frères syndicalistes arrêtés depuis les événements du
26 Janvier 1978.

Sujet : L'organisation des forces ouvrières tunisiennes (F.O.T.)


disposée à témoigner.

Monsieur le Juge d'instruction,

Nous, les soussignés, membres du bureau exécutif de la F.O.T.


jugeons nécessaire de présenter à votre honneur les faits suivants,
pensant que cela aidera à éclairer la vérité :
Nous avons pensé avec certains de nos frères syndicalistes à for-
mer une nouvelle organisation syndicale dans le pays, et ce, durant
le mois de Juillet 1977. Après que cette idée ait pris forme dans
notre esprit et que nous ayons déployé tous nos efforts pour la met-
tre à exécution, nous avons appris que certains anciens syndicalis-
tes, connus pour leur total attachement au parti socialiste destou-
rien (P.S.D.) tentaient eux aussi de créer un autre mouvement
syndical qu'ils auraient appelé U.T.T. (Union Tunisienne du Tra-
vail), et dont le but serait de poignarder l'U.G.T.T. dans le dos et
de couper l'herbe sous les pieds de son leadership légal.
Nous avons pris contact avec certains d'entre eux en vue de
connaître leurs intentions réelles et nous informer de la situation
générale auprès d'eux. Ils ont commencé tout d'abord par dénier
les rumeurs selon lesquelles ils nous avaient encouragés à conti-
nuer notre action en vue de mettre sur pied une deuxième organi-
sation syndicale dans le pays et nous ont fait sentir que tous les cer-

238
des officiels attendaient une telle initiative et qu'ils l'encourage-
raient sur tous les plans, matériel, moral, et de l'information.
Au mois d'octobre de la même année, certains éléments sus-
mentionnés de l'U. T. T. nous ont contacté et nous ont demandé de
présenter ensemble au Gouvernement un projet de création d'une
organisation syndicale. Mais nous avons repoussé leur proposition
et avons décidé de continuer seuls, sur le chemin que nous avions
choisi, particulièrement après nous être rendus compte que le but
de la création de cette deuxième organisation syndicale n'était pas
le même que celui que nous voulions atteindre, car nous voulions,
en créant ce deuxième mouvement syndical dans le pays, arriver à
améliorer l'action syndicale.
Au contraire de ceci, le groupe de la soi-disant U. T. T., tendait
fondamentalement à porter atteinte à l'U.G.T.T. et à enlever la
direction à ceux qui la détenaient légalement.
Le 4 Novembre 1977, l'~rganisation des forces ouvrières Tuni-
siennes (F. 0. T.) a été créée. officiellement et légalement et nous
avons contacté les cercles officiels et particulièrement le parti
socialiste destourien (P.S.D), et nous avons trouvé auprès d'eux
tout l'encouragement, ils nous ont promis l'aide nécessaire, pour
la bonne marche de notre mouvement. Mais nous avons été surpris
quelques temps après, de nous voir chargés par eux d'accomplir
des missions dont le but était fondamentalement de porter atteinte
et détruire l'action et l'existence de l'U.G.T.T., chose que nous
avons refusé de faire, car cela était en contradiction avec les buts
de notre organisation.
Par ce refus, nous nous sommes attirés leur inimité et ils ont
retiré toutes les promesses qu'ils nous avaient faites.
Nous sommes entièrement prêts, si cela était nécessaire, à éclai-
rer la justice et l'aider à suivre son cours normal, rendant ainsi ser-
vice au droit et à l'histoire.

En signature. Pour le bureau exécutif de la F.O.T.

- Mohamed Ben Saâd

- Med Mnaouar Labibi

- Med Salah Rajhi

239
Les signataires de cette lettre n'ayant pas reçu de convocation
du juge d'instruction pour être .entendus lui ont envoyé chacun une
lettre explicative dont celle-ci :

Tunis, le 14 Juillet 1978

A Monsieur le juge d'instruction auprès de


la Cour de Sûreté de l'Etat- Tunis
(Salutations d'usage)

Suite à la lettre en date du 30 Juin 1978 émanant des forces


Ouvrières Tunisiennes (F.O.T.), et dans laquelle j'avais déjà
exprimé mon empressement à présenter mon témoignage au sujet
des relations de l'organisation syndicale avec les ·cercles officiels,
et particulièrement ceux du Parti, et ceci en vue d'éclairer la jus-
tice et déterminer les responsabilités au sujet des évènements atro-
ces survenus le 26 Janvier 1978, ou avant cette date, j'ai l'honneur
de présenter à votre honneur les détails suivants sur mes contacts
et mes relations avec certains responsables du Parti et des organi-
sations nationales, dans lesquels vous pourrez peut-être trouver
une explication à la tension qu'il y a eu entre le gouvernement et
l'U.G.T.T. qui a mené le pays vers le terrible désastre et conduit
en prison un grand nombre de syndicalistes et mis certains autres
au chômage:

- Mes contacts avec M. Mohamed Sayeh, Directeur du Parti :

Mon premier contact avec Mohamed Sayeh, Directeur qu Parti


et Ministre Délégué auprès du Premier Ministre, remonte au mois
de décembre 1976.
Nous avons discuté ensemble de la situation sociale d'une façon
générale et particulièrement de la politique de l'U.G.T.T. Le
Directeur du Parti m'a fait comprendre que l'U. G. T. T. n'était pas
en harmonie avec la politique du Parti et rejetait l'Unité Nationale
malgré le fait que Habib Achour était membre du Bureau Politi-
que, et que ce dernier assistait aux réunions du Parti et y approu-
vait la politique du Gouvernement et du Parti, mais au sein de
l'U.G.T.T., il était le grand adversaire du Parti, et ceux qui
avaient le don de la plume, écrivaient dans leur journal pour atta-
quer le Gouvernement et le Parti et inciter les ouvriers à faire la
grève, avec ou sans raisons. Il était donc du devoir des éléments du
Parti à l'intérieur de l'U.G.T.T. de lutter contre ce courant et

240
d'eloigner les élémentS-communistes, baathistes et autres qui s'y
étaient infiltrés.
Ceux-ci avaient des ambitions personnelles, et les éléments du
Partl auraient trouvé auprès du Gouvernement le soutien néces-
saire pour préserver l'unité et l'harmonie.
Il m'a proposé et fait l'honneur de joindre les rangs du Parti
pour y travailler. J'ai habilement évité de répondre à cette offre, et
il m'a demandé de lui présenter un programme d'action. Le Parti
peut faire pression sur les leaders de l'U.G.T.T. en vue de modé-
rer leur intransigeance dans la défense des intérêts des ouvriers, et
pour qu'ils œuvrent en harmonie avec le Parti.
J'étais sur le point de lui exprimer mes opinions sur ce sujet,
quand l'Ambassadeur l'Egypte est arrivé pour une entrevue avec
le Directeur du Parti. J'ai alors remis à plus tard mes explications,
après avoir bien réfléchi à la question. Nous nous sommes quittés
avec l'espoir de nous revoir une deuxième fois. Après quoi, je n'ai
plus pensé à ce sujet.

-Deuxième rencontre avec le Directeur du Parti :


Au cours de la première semaine du mois de Novembre 1977,
après la création du Mouvement des Forces Ouvrières Tunisien-
nes, j'ai contacté le Directeur, du Parti, en compagnie d'autres
membres du Bureau Exécutif du Mouvement et un autre syndica-
liste militant du Parti. Les disc~ssions ont eu lieu avec le Directeur
dans son bureau en< présence de Messieurs Soussou et Tekaya. Il
nous a déclaré textuellement : "Ce que je vous dis ici ce sont des
paroles du Parti, du Bureau Politique, et du Gouvernement ; ce ne
sont pas des paroles de Mohamed Sayeh, Directeur du Parti seule-
ment. Avant de donner toute réponse, je voudrais me référer à la
lettre qu'a envoyée le Président de la République en 1965 de
Genève à M. Bahi Ladgham, dans le but de créer un deuxième
mouvement syndical pour concurrencer 1'U. G. T. T ; et cette lettre
est ici, devant moi. Sur cette base, je vous dis de poursuivre votre
action, et personne ne pourra vous gêner. En ce qui concerne la
sécurité, j'ai discuté hier à ce sujet avec le Ministre de l'Intérieur
et de ce côté, n'ayez aucune crainte".
Nous nous sommes promis de nous rencontrer de nouveau pour
fixer un programme d'action précis.

- Troisième rencontre avec le Directeur du Parti :


Cette troisième rencontre a eu lieu le 20 Novembre 1977. dans
l'après midi, dans la salle de réunion voisine du bureau du Direc-
teur. Il était accompagné de Messieurs Tekaya et Soussou ; et moi

241
de quatre personnes. Nous avons présenté au cours de cette réu-
nion un programme d'action et une liste des aides que nous atten-
dions du Parti. Nous avons également demandé au Directeur du
Parti d'intervenir pour que soient levées certaines injustices et
sanctiom contre des syndicalistes membres de notre- Mouvement.
Nous nous sommes mis d'accord pour que le Parti nous donne une
aide financière afin de louer un local et l'équiper, et qu'il mette à
notre disposition une ou deux voitures pour nos déplacements, et
permettre à certains responsables et adhérents du mouvement
F.O.T. d'être détachés afin de mener leur action syndicale à plein
temps, au moyen d'autorisations ou ordres de missions du Parti,
ou par l'intervention auprès de leurs chefs pour qu'ils ne tiennent
pas compte de leurs absences.
Néanmoins, notre opinion et celle du Directeur du Parti, en ce
qui concerne le programme d'action de notre Mouvement,
n'étaient pas identiques. Nous voulions qu'il y ait une concurrence
loyale entre nous et l'U.G.T.T., qui permettrait aux syndicats
d'améliorer le rendement de notre action et de créer une atmos-
phère démocratique au sein des deux mouvements, et permettre
par la suite aux responsables syndicaux de s'occuper des intérêts
des ouvriers et de les éloigner de la politique.
Le Directeur du Parti, lui voulait qu'on l'aide dans la campagne
qu'il avait entreprise contre I'U.G.T.T. et ses leaders et qui ten-
dait à neutraliser les leaders vis-à-vis de leurs adhérents, et de
demander la tenue d'un congrès extraordinaire tout en dénonçant
l'action menée par l'U.G.T.T. et les prises de position politiques
douteuses. Telle était l'analyse faite par le Directeur du Parti.
Seulement, comme nous avons maintenu notre position expo-
sée plus haut, et que nous nous sommes opposés au principe de le
suivre dans son plan qui tendait à lutter contre l'U.G.T.T. et ren-
verser ses leaders, le Directeur du Parti a essayé de nous convain-
cre de la complémentarité des deux positions : création de syndi-
cats indépendants d'une part et pousser les ouvriers à s'insmger
contre les leaders de I'U.G.T.T. tout en demandant que se tienne
un congrès extraordinaire et dénoncer les positions prises par
I'U.G.T.T. ; d'autre part, comme si nous étions alors convaincus
par cette idée, et en vue d'éviter une rupture, la réunion a été levée
tout en se promettant de continuer les contacts avec le Directeur
du Parti par l'intermédiaire de Tekaya, son adjoint, qui a été
chargé d'aider à résoudre les problèmes financiers, matériels et
moraux déjà exposés ou à venir.
J'ai entendu le Directeur du Parti au cours de deux réunions,
donner des ordres par téléphone à certains responsables du Parti

242
sur la nécessité de mobiliser tous les militants destouriens (syndi-
calistes et du Parti) pour réagir, et faire échouer les grèves et les
manifestations de l'U.G.T.T. par tous les moyens.

-Mes contacts avec I'U. T .I.C.A. (Organisme Patronal) :


Après la création du mouvement F.O.T., j'ai pris contact avec
certains frères et avec les responsables de l'U.T.I.C.A., qui nous
ont promis toute l'aide matérielle et morale à la condition de
convaincre les ouvriers de ne pas suivre l'U.G.T.T. dans sa politi-
que hostile au gouvernement et en contradiction avec l'Unité
Nationale. Nous n'avons reçu aucune aide de leur part ..( ... ) ··

-Mes contacts avec Ameur B. Aïcha (Directeur Adjoint du


Parti) :
Je connaissais Ameur B. Aïcha depuis fort longtemps ; je l'ai
contacté plusieurs fois pendant le mois de Juillet pour lui deman-
der d'intervenir en ma faveur auprès de la direction de la Coopéra-
tive Centrale des Grandes Cultures.
Il m'a présenté la deuxième fois à Monsieur Charchour, (lui aussi
Directeur Adjoint du Parti) et m'a demandé de leur parler de la
situation de l'U. G. T. T. et de la lutte que mène Habib Achour con-
tre les éléments nationalistes du Parti.
La troisième fois, je lui ai demandé d'intervenir en faveur d'un ami
renvoyé de son travail. Il avait alors appris que je faisais partie du
groupe qui pensait créer un mouvement syndical indépendant ; il
m'a dit qu'il était au courant, et je lui ai parlé longuement de notre
programme ; j'ai écouté ses conseils et il m'a dit que le Parti était
prêt à aider ce mouvement par tous les moyens, y compris les frais
de déplacements et de séjour dans les régions, la protection, la
couverture morale et l'aide humaine (car il m'a promis de mettre
les hommes du Parti partout et les cadres des cellules pour nous
aider, sans poser la condition de nous utiliser dans le plan de ren-
versement du Leadership de l'U.G.T.T. - chose qu'il nous a
demandée par la suite. Ceci se passait au mois d'Août (1977).
Cette position du Directeur Adjoint du Parti a encouragé un grand
nombre de membres de notre groupe, en suite de quoi le nombre
de sympathisants et de personnes qui soutenaient notre mouve-
ment a augmenté. Un grand nombre de cadres du Parti, syndicalis-
tes ou des cellules professionnelles, nous ont contactés et nous ont
dit qu'ils étaient prêts à adhérer à notre mouvement. Pendant les
mois de septembre et d'octobre, la tension entre le parti et
l'U.G.T;T. a augmenté et des divergences idéologiques ont surgi
parmi les membres de notre groupe, et l'idée de la création de

243
notre organisation s'est affaiblie. Ameur Ben Aïcha nous a
contactés par l'intermédiaire d'un ami pour nous reprocher de ne
pas avoir fait naître notre mouvement disant :
"-Vous n'êtes pas des hommes et l'on ne peut pas compter sur
vous."
Je l'ai contacté et l'ai rassuré en lui disant qu'il ne faut pas préci-
piter les choses pour arriver à un résultat, et que je m'occupais de
choisir les éléments enthousiastes et prêts à faire des sacrifices, vu-
l'importance et la délicatesse de la situation. Il m'a alors demandé
d'encourager et de pousser les ouvriers à dénoncer les prises de
position de l'U.G.T.T. en envoyant des télégrammés de protesta-
tion à l'U.G.T.T., au Gouvernement et au Chef de l'Etat. Ceci
s'est passé au moment des grèves déclenchées par l'U. G. T. T. pour
protester contre la tentative d'assassinat du Secrétaire Général de
l'U.G.T.T.

-Mes contacts avec Mohamed Djérad, responsable du P.S.D. au


Comité de Coordination de Tunis :

Je l'ai rencontré plusieurs fois au moment de la présentation des


statuts de notre organisation, et nous avons trouvé auprès de lui
toute disposition à nous aider. En effet, il a fait imprimer pour
nous tous les papiers nécessaires, il nous a donné les autorisations
du Parti pour accomplir nos activités, et a promis de nous donner
tous les moyens nécessaires à nos activités. Ceci s'est passé aux
mois de novembre et de décembre.
Quand il a appris qu'un autre groupement dirigé par Farhat
Dachraoui avait rencontré Mr Hédi Nouira et obtenu son accord
pour la création d'une organisation syndicale appelée l'U. T. T.,
son enthousiasme a diminué et il a commencé à éviter de nous ren-
contrer.
J'en ai demandé la raison et j'ai appris que c'était à cause de l'ap-
proche de la création de l'orgafi.is!.ltion soutenue par Hédi Nouira.
J'ai essayé de le convaincre, ainsi que d'autres responsables tels
que Ameur Ben Aïcha et Tekaya de surseoir à la naissance de
l'U.T.T.
En réalité, ils ont accepté et au mois de Janvier, il a recommencé
à nous donner l'aide que nous demandions, il a mis à notre diposi-
tion des voitures, et a chargé certains membres de notre mouve-
ment de missions en vue de faire échouer la grève des surveillants
et des ouvriers du secteur agricole, et peu avant les grèves des 24
et 26 Janvier 1978, il a donné des autorisations du Parti à un grand
nombre de militants de notre mouvement et leur a demandé de se

244
joindre à la milice du Parti ; mais nous l'avons informé que cela
porterait préjudice au mouvement et ferait fuir les syndicalis-
tes.( ... )
(Salutations)
Mohamed Ben Saâd - Secrétaire Général de
l'Organisation des Forces Ouvrières (F.O.T.)

D'autres -lettres-de témoignages ont été envoyées au Juge-d'ins-


truction par plusieurs membres du Bureau Exécutif de (F.O.T.)
lui exposant leurs relations avec de nombreux responsables du
Parti à tous les niveaux et les missions dont ils étaient chargés par
eux.
Chose bien curieuse, j'ai eu à faire dans ma vie politique et syn-
dicale à plusieurs juges d'instruction durant la période de l'occupa-
tion coloniale, ils n'attendaient pas qu'on insiste pour être enten-
du ; au contraire, si dans l'enquête il est fait même allusion à une
personne, elle ne tarde pas à être convoquée et entendue. Ici dans
les cas des syndicalistes de F.O.T., la première lettre qui a été
envoyée au Juge est restée sans suite, les intéressés veulent éclai-
rer le Juge d'instruction par leur témoignage. Par la deuxième let-
tre que je viens de citer, le Secrétaire Général de F.O.T. donne
des précisions qui, à mon avis, auraient donné toute autre tour-
nure à l'enquête, car il cite de nombreux faits bien précis des res-
ponsables au plus haut niveau au Parti et au Gouvernement, qui
démontrent d'une façon éclatante le complot ourdi contre
l'U. G. T. T. de vieille date mais aussi la préparation du coup de
force pratiqué par le pouvoir le 26 Janvier 1978.
Mais il n'y a pas que ces témoins qui se sont offerts et qui n'ont
pas été entendus par le Juge d'instruction, aucun de ceux cités par
nous n'a été appelé, aucune confrontation avec ceux que j'ai cités
du gouvernement ou du Parti, et quand l'avocat me disait qu'il ne
te confrontera avec personne, je prenais cela pour de la plaisante-
rie et je lui avais répondu : "Tu n'as qu'à me dire que nous allons
être jugés sans procès aussi ; car ça revient presque à ça".
Enfin dit l'Avocat on sera fixé bientôt ; maintenant que le pro-
cès de Sousse est fixé (19 Juillet 1978) et celui de Sfax (24 Juillet
1978), on se fera une idée sur les véritables intentions du Gouver-
nement quant au déroulement du procès, mais le Président de la
Haute Cour est un tout autre personnage que celui qui va présider
la Cour de Sousse. Ce dernier a la réputation d'un homme intégre
alors que pour la Haute Cour qui est appelée à juger les syndicalis-
tes de Tunis, il y avait deux noms avancés par la Présidence etc' est
celui que les avocats redoutaient qui était désigné.

245
Le procès de Sousse
Comme prévu le Procès des syndicalistes de Sousse impliqués
dans les événements du 26 Janvier 1978 a eu lieu le 19 Juillet 1978
à Sousse à la Chambre Criminelle de la Cour d'appel-101 accusés
ont comparu devant la chambre dont 59 sont en état de liberté pro-
visoire et 42 en état d'arrestation, parmi lesquels Habib Ben
Achour, Secrétaire Général de l'Union Régionale du Travail de
Sousse. A leur entrée dans la salle d'audience occupée par les
familles et camarades des inculpés, d'une seule voix et tout fort ils
se sont mis à chanter l'hymne de la révolution de la période de l'oc-
cupation coloniale. Il a fallu du temps au Président pour calmer la
situation.
Après l'appel des inculpés, le Président de la Chambre a donné
lecture de l'acte d'accusation. Le texte énonce que 39 prévenus
seront jugés pour avoir incité des habitants à s'attaquer, armés, les
uns aux autres, poussé à des rassemblements armés sur la voie
publique, disposé d'un dépôt d'armes et de munitions, collecté et
distribué des armes et perturbé l'ordre et la quiètude publiques. Et
ce en vertu des dispositions des articles 12- 74- 79 et 118 du code
pénal et des articles 42 et 43 du code de la presse, du 2è Alinéa de
l'article 31 de la loi N°4 datée du 24 Janvier 1969.
Les 62 autres inculpés seront jugés pour appartenance à un
groupe dont les membres ont convenu, d'un commun accord, d'in-
citer les habitants à s'attaquer les uns aux autres, de porter des
armes et d'en détenir sans autorisation, et ce en vertu des disposi-
tions des articles 75- 79- 77- 118 et 119 du code pénal et des arti-
cles 42 et 43 du code de la presse de la loi N° 53 datée du 12 Juin
1969, de la loi W 4 datée du 20 Janvier 1969.
Les avocats défenseurs ont ensuite pris la parole et demandé
l'ajournement du procès afin de prendre davantage connaissance
du dossier de l'affaire. Ils O'lt également demandé la liberté provi-
soire au profit de tous les inculpés. La cour a accepté conformé-

246
ment aux vœux de la défense de différer le procès au 24 Juillet cou-
rant et refusé d'accorder la liberté provisoire.
Le procès a repris non le 24 Juillet mais le 31 Juillet. Le texte
d'accusation ayant déjà été lu lors de la séance du 19 Juin, le Prési-
dent de la chambre a ouvert la séance à 8h15 par l'appel des incul-
prs. Sur les 101 accusés, 10 étaient absents. Les avocats de la
defense ayant à leur tour, répondu à l'appel, les accusés ont com-
mencé à se présenter devant le tribunal.
Habib Ben Achour, Secrétaire Général de l'Union Régionale
des Travailleurs de Sousse, était le premier à passer devant la cour.
Dans ses réponses aux questions du Président de la chambre, l'ac-
cusé a exprimé son adhésion aux termes et contenu de la conven-
tion collective faisant remarquer toutefois que cette convention
était violée par les autres partenaires sociaux. A la question de
savoir s'il était vraiment convaincu qu'il y avait une véritable ten-
tative d'assassinat du Secrétaire Général de l'U. G. T. T. l'inculpé a
refusé de répondre. Il a précisé cependant que l'U.G.T.T., à
l'époque avait manifesté son indignation à la suite de la tentative
d'assassinat du Premier Ministre.
Le président de la chambre a ensuite demandé des éclaircisse-
ments sur une liste de noms de personnes "gratifiées" par le
bureau régional de Sousse à titre de prime d'encouragement pour
participation effective à la grève. L'inculpé a répondu qu'il s'agis-
sait tout simplement d'une somme d'argent destinée à des person-
nes nécessiteuses à l'occasion de la fête de l'Aïd.
Au sujet de la grève du 9 Novembre 1977, le Secrétaire Géné-
rale de l'Union Régionale a fait remarquer qu'il avait adressé à
l'époque un télégramme d'indignation contre les incendies et les
dégâts qui en découlèrent.
Pour ce qui est du matériel utilisé pendant les événements du 26
Janvier, et présenté à la cour, l'accusé a fait remarquer que celui-ci
contenait des éléments ajoutés et d'autres retranchés. A ce sujet
plusieurs avocats sont intervenus pour faire remarquer que le
matériel saisi n'était pas scellé, provoquant ainsi une question de
procédure qui oppose durant un bon moment le Président aux avo-
cats. Ces derniers ne voulaient pas attendre la fin de l'interroga-
toire de tous les accusés pour intervenir, ils voulaient prendre la
parole au fur et à mesure ... Leur demande a été satisfaite.
Ainsi les principaux points de leur intervention ont porté essen-
tiellement sur ce qu'ils ont considéré comme étant des anormalies.
Le matériel saisi non scellé, un révolver non expertisé et dont on
ignore s'il était utilisable et ce fusil qui ne paraissait pas être un
fusil.

247
Vint ensuite le tour du deuxième inculpé, Sadok Quedissa mem-
bre de l'exécutif de l'Union Régionale. L'accusé s'est rétracté,
remarquant que ses déclarations antérieures lui furent arrachées
par les tortures les plus atroces auxquelles il ne croyait jamais sur-
vivre. Sad ok Quedissa a par ailleurs catégoriquement nié ses
déclarations portant sur la responsabilité de Habib Ben Achour.
Le troisième accusé Hafedh Gamoun, professeur d'éducation
physique, membre du Bureau de l'Union Régionale de Sousse et
sec;-étaire du syndicat régional de la jeunesse et des sports a décla-
ré : « Toute ma vie je me suis opposé à la violence. Les dégâts
occasionnés par la grève du 9 Novembre 1977 auraient été catas-
trophiques sans l'intervention du bureau syndical de l'Union
Régionale. Ma présence dans les locaux de l'U.G.T.T. de Sousse
le 26 Janvier s'explique par le fait que la veille, j'ai été chez moi
l'objet de provocations répétées de la part d'un groupe d'inconnus
mais qui ne peuvent être que des hommes de la milice du Parti
venus m'importuner, tantôt à pieds, tantôt en voiture. J'avais
d'ailleurs réussi à relever les numéros d'immatriculation de ces
voitures».
Ali Mahdhi, professeur de philosophie et Secrétaire Général du
syndicat régional de l'enseignement secondaire a rejeté la respon-
sabilité de la rédaction de l'ordre de la grève du 26 Janvier décla-
rant : "La commission administrative était unanime quant à la
décision. Mon rôle s'était limité à rédiger. J'estime n'avoir agi que
dans la légalité".
A 15h30, un avocat fit remarquer au président de la chambre
que le système de contrôle à l'entrée du tribunal était trop sévère,
que des membres des familles des accusés ainsi que des observa-
teurs étrangers ont été empêchés d'avoir accès à la
salle d'audience. Les inculpés et les auditeurs dans la salle ont pro-
testé avec force en criant des slogans contre les tortionnaires et en
chantant l'hymne national. Une fois le calme rétabli après l'inter-
vention du Secrétaire Général Habib Ben Achour, le Président du
tribunal ordonna aussitôt qu'on laisse rentrer tout le monde.
L'interrogatoire reprend :Ali Ben Salah, instituteur, Secrétaire
Général du syndicat régional de l'enseignement primaire à Sousse
déclare exprimer la volonté de la base et exécuter les ordres de la
commission administrative. Il poursuit ainsi :"l'ordre de grève du
9 Novembre s'inscrivait dans ce cadre et manifestait notre indigna-
tion contre la tentative d'assassinat du Secrétaire Général de
l'U.G.T.T. Habib Achour". Au sujet de ses déclarations à l'ins-
truction, les accusations lui ont été arrachées par la force et sa

248
signature aurait été apposée sans qu'il puisse prendre connais-.
sance du contenu.
Evoquant les sévices corporels dont il a été victime, l'inculpé a
déclaré que la demande de ses avocats tendant à le soumettre à un
examen médical n'eût pas de suite. Toutefois, même actuellement
après 7 mois d'incarcération je présente encore des traces de sévi-
ces et je suis prêt à subir tous les examens médicaux nécessaires.
Le Président lui a alors posé la question la plus délicate qui n'a
jamais été posée jusque là :
"As-tu appelé à renverser le régime ou tenté de le faire ?"
-Jamais ; je n'ai point tenté de faire cela. J'ai toujours placé les
intérêts de mon pays au dessus de toute considération.
A ce propos les avocats ont exigé la suppression de cette ques-
tion.
Ahmed Belajouza, responsable au syndicat de l'hotellerie a dû
être secouru par une chaise pour pouvoir comparaître devant la
cour. La principale accusation retenue contre lui est : Détention
d'arme, qu'il déclina catégoriquement- Habib Ben Achour ne lui
ay:;tnt jamais demandé d'utiliser des armes. A la fin de son interro-
gatoire, il insista sur les sévices corporels dont il avait été victime
à tel point dit-il qu'il ne peut plus se tenir debout et qu'il a perdu
une dent. Il a aussi demandé avec insistance à être l'objet d'un exa-
men médical.
Mounira Jameleddine, membre du syndicat de l'enseignement
secondaire a déclaré que les causes de la crise entre le Gouverne-
ment et l'U.G.T.T. ont pour origine le non respect de la classe
ouvrière et du contrat social par les autres partenaires sociaux.
Pour ce qui est de la grève du 9 Novembre elle a scindé la question
en deux : Grève à part et dégâts à part.
Parlant des chefs d'accusation elle a insisté longuement sur des
tortures dont elle a été l'objet et à la suite desquelles des aveux lui
ont été arrachés alors qu'elle se sentait plus proche de la mort que
de la vie.
Comme il sera long de rapporter toutes les déclarations des cent
un inculpés, je me permets tout en m'excusant auprès de ces cama-
rades de résumer leurs déclarations qui se manifestent d'ailleurs à
peu près de la même façon. Tout en niant les faits qui leur ont été
reprochés, ils ont insisté sur les tortures dont ils ont été l'objet et
d'ailleurs comment commettre ces faits alors qu'ils ont été pour la
plupart d'entre eùx emprisonnés depuis le 25 Janvier 1978 au soir
à la Maison de l'U.G.T.T. agressée par la milice appuyée par la
police. Si des camarades se sont opposés aux envahisseurs c'est
uniquement pour protéger leur local et les personnes qu'il conte-

249
nait contre le ravage qui a eu lieu et dont les assaillants cités aussi
bien à la police qu'à l'instruction n'ont même pas été entendus.
Après une interruption de quatre jours, la chambre criminelle
de Sousse a repris ses audiences le lundi 7 Août 1978 présidée par
Mr. Hadj B. Youssef. Le reste des inculpés au nombre de 32 (sur
104), 10 étant absents, ont tous comparu devant la cour pour inter-
rogatoire et complément d'informations selon l'acte d'accusation
dressé par l'instruction.
Les camarades interrogés ont tous nié les accusations et mani-
festé leur innocence. La défense demanda aussi que Habib
Achour, Secrétaire Général de l'U.G.T.T. et Mohamed Enna-
ceur, ancien ministre des affaires sociales soient appelés comme
témoins. Le ministère public s'opposa à cette dernière demande
en se fondant sur l'absence de lien entre elle et l'affaire en juge-
ment.
La cour répondit à ces demandes après la plaidoirie des avocats.
Ce fut ensuite au ministère publique de présenter son réquisitoire.
Après avoir dressé un historique très sévère des événements qui
ont précédé le 26 janvier, il a mis en relief la responsabilité des
accusés dans les événements qui ont secoué Sousse et les menaces
qu'ils ont fait peser sur la nation. L'enquête a ajouté le ministère
public a démontré les véritables intentions des accusés qui ont
voulu pousser les gens à s'entretuer. La saisie des armes à feu et
des armes blanches vient confirmer ces intentions et constituerait
une preuve irréfutable. En conclusion le Ministère public
demanda l'application des articles 72 et 75 conformément à l'acte
d'accusation.
Prenant la parole, les avocats défenseurs ont demandé l'ajour-
nement du procès. La cour décida alors de suspendre ses travaux
pour les reprendre le Mercredi matin.
Le Procès a repris à 9 heures. A la suite de l'intervention des
avocats appuyés par la foule des assistants et devant les positions
très courageuses des camarades, l'atmosphè,re était jugée très ten-
due pour la cour, alors que pour les syndicalistes qui ont pu prouvé
leur innocence, ainsi que leur famille et amis c'était une atmos-
phère de gaîté et de joie.
Les avocats s'étaient engagés à intervenir selon un ordre qu'ils
avaient choisi. Ils présentèrent Chtourou en tête de liste. Il com-
mence par déclarer :
« La procédure judiciaire est illégale. Ce procès peut être classé
parmi les plus importants que les annales judiciaires ont connu.
Tout ce qui s'est passé sera rapporté et jugé par l'Histoire de la jus-
tice. Il sera également un sujet d'étude pour les futurs chercheurs.

25(')
Lorsque nous avions appris de la part du pouvoir exécutif que le
procès allait être confié aux, tribunaux de droit commun, nous
avions acquis la certitude que les accusés auront la possibilité de se
défendre librement. Seulement, après ce qui s'est passé, nous
avons constaté que le procès est en train de se dérouler dans une
atmosphère spéciale. Les travaux préparatoires n'étaient pas
légaux et il est difficile d'en expliquer les raisons.
- -
Le plus important est le point de départ : Les premiers interro-
gatoires au cours de l'instruction et leurs circonstances et nous
avions entendu les accusés parler de sévices corporels. Je ne crois
pas qu'ils se soient mis d'accord pour tenir le même langage. Nous
nous étonnons par conséquent que, dans notre jeune République
à la tête de laquelle des responsables ont connu ces mêmes sévices,
de telles pratiques aient encore lieu. Quelques accusés ont pré-
senté des preuves (Mouchoir trempé de sang- ongles et dents arra-
chés, pieds gonflés etc ... ) ceux-ci n'ont pas provoqué la réaction
du représentant du Ministère Public. Quelques responsables de
cette violence ont des noms, ils ont même été reconnus par les
accusés.
Le chapitre de la violence et de la torture est politique. C'est le
pouvoir politique qui en est responsable et non pas ceux qui les ont
pratiquées. C'est donc un problème posé à la conscience des res~
ponsables et du peuple ».
Le représentant du ministère public a voulu intervenir, ce qui a
provoqué la réaction de la défense qui a fait remarquer qu'au cours
de son réquisitoire il n'a pas été interrompu par la défense.
Maître Chtourou a donc repris la parole pour ajouter que dans
la page 10 de l'Arrêt de la Cour d'accusation, le juge d'instruction
n'a pas trouvé le matériel saisi qu'il aurait demandé à plusieurs
reprises. Ainsi le juge d'instruction bien qu'étant le premier res-
ponsable n'est pas arrivé à trouver le matériel. Contrairement aux
dispositions du code de procédure pénal dans son article 76, il
aurait pu procéder à la saisie une fois que les accusés se soient
livrés à la police.
D'autre part, il élabore le procès-verbal le 20 Juin, 6 ou 7 jours
avant qu'il n'écrive l'arrêt de la cour d'accusation. Donc tout ce
qui a été fait est-illégal selon les articles 76 et 79 du code de procé-
dure pénal ? Je crois que ce qui était saisi représente une preuve
matérielle pour prouver l'accusation. Or la saisie était illégale et
':J.Ue le matériel n'était pas scellé, cette preuve tombe d'elle-même.
Puisque la procédure s'est déroulée selon la description des accu-
sés, et qu'on ne peut pas mettre en doute, il faut donc le négliger.

251
Pourquoi le 26 Janvier? Pour ce qui est des deux affaires inscri-
tes sous les numéros 3025 et 94866 et ajoutées à l'affaire essentiel-
le, je me demande quel est le lien des accusés avec ces 2 affaires.
Pour ce qui est de la justice criminelle, rien ne peut expliquer ces
2 affaires, ceci concernant la procédure. Sur un autre plan, vous
avez posé Mr. le Président des questions aux accusés concernant
les causes qui ont amené au 26 Janvier que certains ont déjà quali-
fié de Jeudi Noir (et laissons à l'histoire le soin de choisir les quali-
ficatifs). Quant à moi je lis dans l'arrêt de la Cour d'accusation que
les causes du 26 janvier s'expliquent par les différends qui sont
intervenus entre le Gouvernement et l'U.G.T.T. La cause qui a
été retenue par tous. Le déviationnisme de l'union de sa vbie syn-
dicale pour s'occuper de la politique, aboutit à la conclusion que
cette dernière est le monopole de quelques uns à l'exclusion des
autres. Je crois que pour l'histoire contemporaine, nous ne pou-
vons pas avancer que la crise a commencé en septembre ou à la
suite de la hausse des prix du mois de Ramadan. La crise s'expli-
quait plutôt par la volonté d'écarter le premier responsable de
l'U.G.T.T. Volonté qui a pris forme en 1975, lorsque ce dernier
s'est rendu à Mexico pour assister à des réunions syndicales (Con-
grès de la C.I.S.L.). A ce moment, il a été accusé de s'occuper et
de faire de la politique. Le numéro 76 du Journal (Ach- Chaab) du
16 Novembre 1975, soulignait que certains patrons ont profité de
l'absence du Secrétaire Général de l'U. G.T.T. pour provoquer les
ouvriers.
J'ai voulu donc aboutir à la conclusion que c'étaient ces tentati-
ves qui ont engendré les événements que nous connaissons. Tous
les journaux affirment qu'il n'y a ni crise, ni rupture, entre l'Union
des syndicats et le Gouvernement et que le vrai problème réside au
sein de l'Union. J'affirme sincèrement de mon côté, que la crise
réside en fait au sein même du Parti parce que les organisations
nationales ont toujours appliqué les décisions prises après un com-
mun accord que ce soit au temps du mouvement national ou après.
Mon opinion et ma conviction sont de ce côté : crise de confiance
et dans ce cas chacun demande sa liberté d'action.
Tout part de là 9 Novembre- 20 Janvier. Ce sont des événements
qui ont eu lieu à ces dates là.
L'Union a jugé utile de disposer elle-même de son sort et de
défendre son entité. D'autre part, l'arrêt de la chambre d'accusa-
tion n'a même pas évoqué les événements du 20 Janvier qui ont
une importance capitale. La casse du 20 Janvier, l'attaque des per-
sonnes expliquent les évènements du 26 Janvier. La garde de
l'Union par ses propres adhérents s'inscrivait donc dans le cadre

252
normal des choses. Ën effet, personne n'a été arrêté ou jugé après
les évènements du 20 Jan vier bien que la presse ait véhiculé l'infor-
mation d'une querelle entre les membres du syndicat.
En fait, la réalité est toute autre- cëux qui étaient responsables
de l'attaque devraient être traduits devant la justice et non ceux
qui se sont chargés de protéger leur local et les organisations syndi-
cales qui y sont installées. Si le pouvoir a manqué à ses devoirs,
pourquoi condamner ceux qui les ont faits à sa place ? Ces gens-là
étaient donc en état de légitime défense et ils n'ont pas quitté
l'Union de peur d'être attaqués par des gens en civil. C'est pour-
quoi ils se sont rendus facilement à l'appel de la police. Autre cho-
se : les accusés ont appliqué les ordres de leur organisation. Ce qui
constitue l'A.B.C. de base des organisations.
Passant ensuite à l'examen des interrogatoires, l'avocat a relevé
la question posée aux accusés concernant le caractère illégal ou
légal de la grève pour dire que le tribunal ne jugera pas les idées ou
les opinions, mais des faits concrets et précis. La Cour doit s'inté-
resser uniquement aux preuves matérielles et laisser de côté les
opinions, et puis comment peuvent-il (les accusés) exprimer leurs
opinions dans un état anormal ? a-t-il poursuivi.
En conclusion à sa plaidoirie, l'avocat a parlé successivement de
ses clients. A propos de Habib Ben Achour, il a déclaré que son
Client est décrit comme un lion par l'arrêt de la chambre d'accusa-
tion, il est présenté comme extrémiste, entraînant tout le monde
dans son sillage. Or d'après sa biographie, il ressort que Habib
Ben Achour est une personne adorant son organisation mais qui
ne peut être eu aucune manière qualifié d'extrémiste. Tous ceux
qui sont passés devant le tribunal ont déclaré que Habib B.
Achour n'a soumis personne à sa pression. Ils ont affirmé au con-
traire que toutes les décisions étaient prises unanimement, y com-
pris quelques responsables actuels de l'Union. Peut-on rendre res-
ponsable un porte parole d'une organisation des décisions prises
encommun?
Passant à son deuxième client Sadok Quedissa, Maître Chtou-
rou a fait remarquer que les mêmes observations que celles tenues
à propos du premier s'appliquent également à lui. Il s'agit d'un
groupe. Ils ont pris leurs décisions ensemble et ont reçu des ordres
de leur organisation à Tunis.
Concernant Moncef Gmar troisième client, l'avocat l'a décrit
comme une personne parlant et agissant en toute sincérité et
conviction. Il est d'ailleurs connu par ce trait de caractère dans sa
ville natale, Mahdia et à l'Union et je ne crois pas qu'on juge les
gens pour leur sincérité.

253
Pour ce qui est de Naji Remadi, il est présenté ici ou à Tunis,
comme un élément fondamental pour prouver d'une façon irréfu-
table que le premier responsable de l'U.G.T.T. Habib Achour a
transmis les ordres de l'Union au bureau de Sousse par son inter-
médiaire. Il est donc décrit comme une pièce maîtresse, mais le
Secrétaire Général de l'U.G.T.T. Habib Achour lorsqu'il a été
confronté à Remadi a déclaré ne l'avoir pas connu auparavant.
Terminant le tour de ses clients par Hédi Jemaâ qu'il a qualifié
d'outsider, selon ses déclarations et ses réponses aux questions de
la Cour, il a ajouté que si son client avait contacté Habib Achour
à Tunis et parlé avec lui, plusieurs personnes ont fait de même et
cela ne constitue ni un délit ni un crime. L'avocat a conclu en
déclarant que ses clients sont totalement innocents. Leur seul cri-
me, a-t-il, conclu, était la garde du local de leur Union syndicale
tunisienne pour le préserver de la casse eu égard aux événements
du 20 Janvier. Il s'agit donc d'une affaire politique qui ne peut pas
être tranchée par les tribunaux ou par les condamnations. La jus-
tice doit rester le dernier recours pour les citoyens lorsqu'ils per-
dent leur confiance dans les autres organismes, mais si ce dernier
recours est perdu, la porte de la violence s'ouvrira toute grande.
Ces camarades ne veulent pas perdre cet espoir. La majorité est
née après l'indépendance mais tous ont participé au développe-
ment du pays et veulent persévérer dans cette voie.

Maître Ben Romdhane prit ensuite la parole :


-Monsieur le président y-a-t-il une infraction ? Y-a-t-il un méfait
qui a été accompli par les accusés? Personnellement je ne suis pas
convaincu de leur culpabilité. Seul peut-être le Ministère Public
aurait été convaincu.
En réalité ce procès n'est pas celui des personnes qui comparais-
sent aujourd'hui, c'est plutôt celui d'une organisation
(l'U .G.T.T.). L'U.G.T.T. n'a pas été créée avec une autorisation
administrative, elle s'est imposée avec son histoire comme c'est le
cas du Parti. L'avocat devait conclure en déclarant que l'U.G .T.T.
n'a jamais recherché le pouvoir. Cette organisation syndicale a eu
plusieurs responsables qui se sont succédés dont Habib Achour et
nul n'ignore les positions de M. Habib Achour. En effet l'histoire
confirme ses positions, il a sauvé la vie du Président Bourguiba à
plusieurs reprises.
L'U.G.T.T. a-t-elle été créée pour affronter le Parti? Non au
contraire elle a toujours œuvré la main dans la main avec le Parti.
Maître Ben Romdhane aborde ensuite les événements de Sfax
durant le mois de Ramadan dernier et la hausse des prix qui l'avait

254
marqué. L'avocat traite ensuite des événements de Ksar Hellal et
des menaces de mort proférées à l'encontre de Habib Achour. Le
9 Novembre, Habib Ben Achour, Secrétaire de l'Union Régionale
de Sousse avait pris la parole pour aviser les gens. Mais en réalité
Habib Ben Achour n'avait prononcé que des paroles pacifiques
invitant a garder le calme. On peut alors se demander quelles sont
les causes des dégâts occasionnés ?
Les syndicalistes ont fait face aux agresseurs et défendu le siège
de leur organisation. Le 20 Janvier, poursuit maître Ben Romdha-
ne, il y eut aussi des dégâts et du vandalisme et le siège de
I'U.G.T.T. a été saccagé après ces évènements, le secrétaire de
l'Union régionale de Sousse a porté plainte et les agents de l'ordre
accompagnés d'un huissier notaire ont visité les lieux et évalué les
dégâts. Maître Ben Romdhane présenta alors à la Cour une copie
du constat de l'huissier notaire, ainsi que des photos des dégâts qui
ont été prises et délivrées à la sûreté nationale ; mais il n'y a
aucune traèe de ces photos tout au long de l'enquête. L'avocat
demanda alors à la cour de demander à la sûrete nationale de pré-
senter ces photos qui sont très importantes pour le procès.
Il y a eu des ordres qui ont été donnés aux syndicalistes pour gar-
der et défendre le local de l'Union Régionale de Sousse, mais de
qui ? Des civils agresseurs et non des agents de l'ordre a ajouté
l'avocat.
Pour ce qui est des armes à feu, l'enquête a confirmé qu'elles ont
été saisies aux domiciles des accusés, alors qu'ils étaient en état
d'arrestation. Ceci n'est pas légal et ces armes ne peuvent être
considérées comme faisant partie de pièces à charge. Quant aux
armes blanches, elles appartiennent à un organisme d'état, le
comité culturel. L'avocat demanda alors la comparution du res-
ponsable du Comité Culturel comme témoin. Les quelques bou-
teilles remplies d'esprit de sel font quant à elles, partie d'une com-
mande d'objets et de matières divers nécessaires à l'entretien des
locaux de l'Union Régionale qui comptent presque une centaine
de bureaux et salles de réunions avec plus de 40.000 adhérents. La
saisie a d'ailleurs été faite dans le sous-sol, dépôt habituel des
matières nécessaires à l'entretien de l'immeuble de l'U.G.T.T.
Pour ce qui est de l'incitation des habitants à s'entretuer, l'avo-
cat a déclaré que cette présomption peut-être directe ou indirecte.
Elle est indirecte si elle a eu lieu par écrit ou par imprimés, ce qui
n'est pas le cas dans la présente affaire. Elle n'est pas aussi indi-
recte puisque les accusés étaient assiégés dans le bâtiment de
l'U.R.T.S. De même le fait d'appeler à la grève générale ne peut
être considéré comme une charge d'infraction. De même les paro-

255
les dites au mégaphone "Je t'aime 6 peuple" ne peuvent consti-
tuer une infraction. Pour ce qui est de la détention d'un dépôt d'ar-
mes et de munitions, l'avocat a déclaré que les pierres et les bâtons
ne peuvent être qualifiés d'armes, qu'une fois utilisés. Maître B.
Romdhane réfuta ensuite tous les chefs d'inculpation contre
Hab.b Ben Achour- Sadok Quedissa- Hafedh Gaâmoun- Moha-
med Thabet - Sadok Lahmar - Ali B. Salah - Taïeb Bouzoumita -
Abdelaziz B. Aïcha- Amor Zaddem- Brahim Farhat- Mustapha
Rahal - Mounira J ameleddine - Am orB. Hassine - Aïssa Bouzou-
mita - Abdelmajid Sahraoui qui était à l'Hôpital Ernest Conseil à
Tunis au moment des évènements- Lahdhili - Khémaïs Khémiri -
Hassen Quedissa- Mongi B. Amor- Hédi Jomâa. Pour conclure
Maître Ben Romdhane a déclaré que toutes les accusations étaient
sans fondement et qu'elles ont été créées pour condamner les
inculpés.
Maître Ra ouf Bouker :
-Nous sommes convaincus que la Cour saura se situer au niveau
des événements, car ce procès dépasse la personne des accusés en
ce qu'il constitue une partie de l'histoire moderne de la Tunisie.
L'histoire enregistrera que l'indépendance de la justice est une
réalité concrète car votre jugement sera juste. Il est de fait que
cette affaire pose un ptoblème grave et épineux, à savoir comment
dépasser les aléas politiques ou autres pour la placer dans le cadre
juste qui est le sien, celui du droit. Nous avons besoin dans notre
pays qu'on appelle avec beaucoup d'optimisme, en voie de déve-
loppement et où nous manquons de traditions constitutionnelles
assùrant le fonctionnement des appareils dè l'état, de respecter le
droit et conséquemment l'indépendance de la justice. Pour ce fai-
re, il faut éviter les calculs et les données conjoncturelles afin
d'empêcher que les tribunaux ne se transforment en lieux de règle-
ments de comptes. L'expérience historique très proche nous ensei-
gne que "le maître" politique d'aujourd'hui peut se retrouver
accusé le lendemain (Ex. Ali Bhutto, Mme Ghandi). Il est de l'in-
térêt de nos gouvernants de veiller à respecter la règle du jeu qui
consiste essentiellement dans le respect de l'indépendance de la
justice qui régit les rapports sociaux.
Nous sommes ici convaincus que vous ne manqueriez pas d'in-
nocenter les innocents, fort de votre force et de votre conviction en
la justice du droit.
Monsieur'le Président, ce procès a 3 dimensions, la politique
(qui ést précaire), la juridique et la subjective qui relève de laper-
sonnalité de chaque prévenu et doit aider à équilibrer le juge-
ment.

256
Monsieur le Président, il serait inutile de reprendre l'historique
de la prestigieuse organisation syndicale depuis Mohamed Ali El
Hammi. Il nous suffit de rappeler son rôle combien important dans
le renforcement de la lutte de libération nationale. Hached n'est
pas mort pour la classe ouvrière seulement, mais aussi pour l'indé-
pendance de son pays ... Et Tlili et Achour et beaucoup d'autres.
Malgré toutes les crises naturelles ou provoquées, qu'a traver-
séesl'U.G.T.T. celle-ci n'a jamais abdiqué quant à la défense de
l'Unité Nationale. L'U.G.T.T. n'a d'ailleurs jamais failli à respec-
ter le principe de concertation et de cohésion avec le Parti, elle a
fourni au pays ses meilleurs hommes dont certains ont accédé aux
postes de confiance. L'U.G.T.T. a toujours été l'élément qui est
opposé aux tentatives de discorde et ses prises de position lors des
événements majeurs survenus dans notre pays, témoignent de sa
maturité.
Rappelons-nous la position ferme qu'elle a eu lors du Congrès
de Monàstir pour appuyer Monsieur Nouira. Est-ce pour tout cela
qu'elle se trouve aujourd'hui au box des accusés ?
Essayons pour plus de lumière d'évoquer les événements
récents qu'a connus le pays. L'affaire débute avec l'intervention
de l'U.G.T.T. pour résoudrele conflit Tuniso-Libyen. Interven-
tion que certains, de bonne ou de mauvaise foi ont apprécié
comme une intervention dans le domaine politique, comme si la
politique ne concernait pas les centaines de milliers d'ouvriers et le
pain des citoyens et notamment ceux travaillant à Tripoli. Ce fut le
haro sur l'U.G.T.T.
D'autre part, peut-on considérer le fait de présenter les revendi-
cations destinées à améliorer le niveau de vie, de demander le con-
trôle des prix comme une façon de mener la bataille contre le régi-
me ? On ne peut que déplorer la campagne de dénigrement menée
à travers les mass-média, ainsi que l'usage de certains vocables tels
que : Idées venues de l'extérieur, minorité égarée, groupuscules,
hérauts de la discorde, direction déviationniste, qui ont eu leur
impact sur le pourrissement de la situation. Il y a aussi cet accord
entre le gouvernement et l'U.G.T.T. pour que ce soit cette der-
nière qui intervienne toutes les fois qu'il y a grève. Malheureuse-
ment cet accord n'a pas été respecté et l'armée est intervenue
directement à Ksar Hellal sans que le gouvernement ne tente de
résoudre le conflit pacifiquement.
Ensuite vint la menace d'attenter à la vie du Secrétaire Général
de l'U.G.T.T. et la riposte du syndicat en décidant la grève. La
menace n'avait rien d'une blague quand on sait qui l'a proférée on
comprend combien la vie du menacé pouvait être en danger.

257
La réunion du conseil national en Janvier 1978 a été suivie de
provocations multiples : agressions contre les sièges de
l'U.G.T.T. et arrestation d'un certain nombre de syndicalistes
d'où la grève générale du 26 Janvier 78 ; l'on ne peut s'empêcher
de se demander si tout au long de ces événements l'U.G.T.T. a
jamais abandonné sa ligne fondamentale et surtout son attache-
ment à l'unité nationale. Les déclarations de ses responsables tout
au long dela crise démontrent que le syndicat n'a jamais dévié par
rapport à ses engagements nationaux. Il est donc difficile sinon
inconcevable d'imputer à l'U.G.T.T. la responsabilité de ce qui
s'est produit. Je demande d'ailleurs comment est-il possible de
conclure dans cette affaire quand le maillon principal de la chaîne
est encore à l'étude à Tunis ?
Peut-on juger dans cette affaire, quand toutes les données exac-
tes ne sont pas encore rassemblées ? L'hebdomadaire "Démocra-
tie" vient de publier un document important, une lettre du Secré-
taire Général au Président de la République et au quotidien "El
Amal" dans laquelle le Secrétaire Général déclare qu'il n'avait pas
de différend avec Nouira, mais avec certains responsables au sein
du Parti.
Je voudrais en outre signaler un fait grave, il s'agit du livre bleu
(édité par le Parti), un peu dans le genre de~ mille et une nuits,
avec le même penchant à l'imaginaire et au grand style. Cette
publication survenait au moment où l'affaire était encore exami-
née en justice, ce qui constitue une atteinte et une tentative d'in-
fluencer le cours de la justice, surtout que l'auteur est la partie
adverse dans cette affaire.
Maître Bouker a ensuite analysé quelques aspects du livre bleu.
Puis, il devait se demander s'il y avait conflit ou divergence entre
le gouvernement et le syndicat et auquel cas en quoi résidait ce dif-
férend. Quelles étaient les demandes du Syndicat ? L'application
des conventions collectives et des statuts. Par exemple, les statuts
du domaine de l'Enfidha qui a reçu l'approbation de la présidence
en 1974 n'a été appliqué qu'en 1976. Le contrôle de la gestion des
entreprises, l'arrêt 'des licenciements abusifs, l'alignement des
salaires sur l'évolution des prix ; tous ces problèmes n'ont pas été
résolus. Il en est de même de l'amélioration des conditions de tra-
vail et du respect de la dignité des travailleurs, de la limitation des
inégalités sociales et de l'assurance des règles minimum du dialo-
gue. Quelle fut la réponse donnée à ces questions ?
Un appel à la tuerie venant de certains patrons et un autre appel
venant de certains politiciens qui poussait à la fermeté et à la
répression. Les grèves ont été brisées par la force. Des syndicalis-

258
tes sont arrêtés et jugés. On tente de démanteler le syndicat de l'in-
térieur et par des appels à le quitter, ensuite par la tentative de
création d'un syndicat concurrent. Les locaux des bureaux régio-
naux sont attaqués et saccagés par des individus louches. L'exer-
cice des' libertés minimum et surtout des libertés syndicales est
entravé. De telles actions représentent une grave entorse au droit
et à la justice sur lesquels on ne peut se taire.
Aspect juridique :J'ai écouté dit-il et lu les demandes du repré-
sentant du Ministère Public et je dois dire qu'il y a entre nous un
gouffre immense. Je n'ai pas rencontré dans cette plaidoirie une
seule preuve matérielle à l'appui des accusations portées par le
représentant du Ministère Public.
Peut-on par ailleurs fonder ces accusations sur ce que le repré-
sentant du Ministère Public appelle' "pensées secrètes, mobiles
cachés et autres objectifs obscurs" ? Et quel jugement pourra s'en
déduire alors qu'en la matière (pénale) on ne peut se fonder que
sur des preuves palpables ? Que dire de l'affirmation selon
laquelle les grévistes ne pouvaient en aucun cas agir dans l'intérêt
de la Tunisie. Sur quoi s'appuient de telles appréciations ? Le
nationalisme serait-il pn monopole ?
Comment par ailleurs le ministère public a-t-il pu apprécier le
nombre des manifestants ; 5.000 selon ses dires, et comment a-t-il
pu deviner ce qui s'est dit lors des réunions jusqu'à parler de com-
plot diabolique pour renverser le régime à moins qu'il n'y ait un
système d'écoute, chose punissable par la loi? Comment en outre
peut-on, conclure à partir de la découverte de deux révolvers au
sérieux de la volonté de mettre à sang le pays ?
Protestations du représentant du ministère public "contre l'in-
convenance" des propos de la défense.
Le président :Demande refusée. La défense n'a pas outrepassé
les limites de la convenance juridique.
Maître Bouker poursuit alors :Autre chose comment a-t-on pu
charger la police de mener un interrogatoire, qui dans le cas pré-
sent, devait être confié à un juge d'instruction. Faut-il nommer la
torture et toutes les violences par lesquelles qnt été tirés des aveux
qui tombent d'eux- mêmes ? Faut-il croire que la dignité de laper-
sonne et ses libertés garanties par l'article 5 de la constitution
avaient besoin de la torture pour se vérifier ? Quelle est la position
de la Cour concernant tout ceci ?
Concernant la saisie, je voudrais savoir si elle a été effectuée en
présence des accusés et si le scellé légal a été apposé au moment de
l'opération ? Autre chose étonnante, pourquoi le juge d'instruc-
tion n'en-a-t-il pris livraison que cinq mois plus tard ? Cette

259
entorse au droit est étonnante et peut autoriser d'autres irrégulari-
tés.
Concernant les intentions des accusés, je voudrais poser laques-
tion : Etait-il question de faire réussir la grève, ou s'agissait-il de
commettre un crime ? Et où est le crime qui établirait l'existence
de l'intention criminelle ? D'autre part on a glosé sur la légalité de
la grève et on est même allé jusqu'à la taxer de grève politique or
il n'existe aucun texte de loi condamnant ou interdisant la grève
politique. Ceci est peut-être l'occasion pour que le légistaleur s'oc-
cupe de résoudre cette question.
On accuse les syndicalistes arrêtés d'atteinte à la sûreté de
l'Etat. Or monsieur le Président quel rapport y-a-t-il entre les
objets saisis et l'intention présumée ? Ajoutons à cela que les
accusés étaient assiégés sans eau ni électricité (Etait-ce pour non
paiement ?) C'est abusif de recourir à l'accusation d'atteinte à la
sécurité de L'Etat d'autant plus qu'en cette affaire aucun des élé-
ments constitutifs du crime n'a été établi : Ni l'intention ni l'ex-
posé de l'idée à des personnes tierces qui constituent le complot et
sa préparation, ni la tentative et le début d'exécution. Les rixes
locales ne constituent pas une guerre civile. L'aspect moral dans ce
crime réside dans la mauvaise intention tout comme il faut néces-
sairement un début d'exécution. Et il n'y a début d'exécution que
lorsque l'acte apparait à l'évidence et sans équivoque aucune, au
moment de l'arrestation de l'accusé et de façon telle que l'inten-
tion malveillante soit évidente. Il faut se demander si dans le cas
présent il y a intention criminelle à savoir appel à la tuerie, et s'il
y a accord entre tous les accusés. Les syndicalistes ont cependant
toujours condamné les actes de violence. Ajoutons à cela qu'il ne
s'est rien produit le 26 Janvier.
Les armes : Maître Bouker s'est demandé :
-Est-ce que tout ce qui a été saisi appartient bien à l'Union Régio-
nale du Travail (U. R. T.). La réponse est non parce que la saisie ne
s'est pas faite selon les normes juridiques. Peut-on d'ailleurs consi-
dérer les pièces à conviction produites ici comme étant des armes ?
Il y a une définition juridique du mot arme :Tout instrument tran-
chant et percutant.
Les armes sont de deux sortes: les armes proprement dites, tel-
les les armes à feu, et ce qui devient arme par l'usage qui en est fait.
Le premier genre est sans équivoque considéré comme tel indé-
pendamment de l'intention de celui qui le détient.
Le second genre ne peut être considéré comme arme que s'il est
utilisé comme tel. En ce qui nous concerne dans cette affaire c'est
de savoir si les bâtons et les pierres sont des armes ou pas. Ce sur

260 -
quoi les juristes ne sont pas tous d'accord. Il est courant toutefois
de les ranger dans la seconde catégorie. Mais est-ce-que les bâtons
et autres briques ont été utilisés ? Non ! Peut-on encore les consi-
dérer comme armes ?
Dimensions subjectives : Les responsabilités dans cette affaire
ne sont pas collectives, mais individuelles selon les actes de chacun
bien que ces personnes sont des responsables syndicalistes. En
conclusion et pour reprendre au début, qui de nous n'a pas déploré
le gâchis en vies humaines et qui n'a pas compati à la douleur de ces
familles. Tous les regards sont dirigés vers votre Cour et attendent
que votre jugement fasse prévaloir la force du droit et le courage
de la justice. Proclamer l'innocence des accusés serait à notre sens
la juste réponse aux demandes du représentant du ministère
public.
Maître Khantouch donne lecture de plusieurs manchettes de
l'organe de l'U.G.T.T. "Ech Chaâb":
- L'U.G.T.T. est au service de la nation et dénonce les troubles.
- L'U.G.T.T. n'aura pas recours à la grève générale sauf si elle y
est acculée.
- L'U.G.T.T. refuse la violence quelle qu'en soit l'origine.
Concernant certaines méthodes et certains abus, je voudrais atti-
rer l'attention sur la qualité des auteurs de certains faits, dit-il.
Les syndicalistes accusent la milice, je ne sais s'il y a milice, mais
il y a des déclarations du Directeur du Parti qui reconnait l'exis-
tence de 500 hommes recrutés à des fins d'ordre et bénéficiant de
subventions. Des confrères ont soulevé le cas scandaleux d'une
filature faite par rien moins que le secrétaire général de la jeunesse
destourienne et ce n'est pas un milicien, et ce personnage recon-
naît et soussigne sa position.
Maître Ab. Bouker, qui dans sa plaidoirie s'est élevé contre la
grève et ceux qui l'ont décrétée en termes assez vifs qui ont provo-
qué les accusés, dont plusieurs ont soudain levé les bras pour
déclarer qu'ils n'approuvent pas cette plaidoirie et qu'ils ne veu-
lent pas être défendus par Maître Bouker Abderrahmen.
Le Président décida alors que : "Puisque les accusés ne veulent
plus être défendus par vous vous ne pourrez pas continuer à plai-
der".
Maître Cheffi :
Monsieur le Président, nous avons ici, représentants du barreau
élevé la voix afin de faire prévaloir les principes du droit, de la jus-
tice et de la vérité, convaincus de votre probité. Il est apparu à
l'évidence après l'audition des accusés et les plaidoiries des confrè-
res qu'il existe dans cette affaire deux versions des faits, deux thè-

261
ses contradictoires. L'une fait état d'un complot de l'organisation
syndicale contre le Parti Destourien, l'autre d'un complot visant le
syndicat.
Les confrères ont déjà amplement réfuté les thèses de l'accusa-
tion. Les accusés pour leur part, ont exposé devant vous leur point
de vue dans cette affaire. Il me reste tout de même à rétablir de
nouveau les faits à leur juste place.
Maître Cheffi évoque les attaques et les agressions qui ont visé
les bureaux régionaux de l'U.G.T.T. à Sousse, à Sfax et à Tunis,
en expliquant que "si l'on a visé précisément ces centres plus que
d'autres, c'est bien parce que le travail syndical s'y faisait de façon
plus soutenue".
Puis il poursuit : Ce procès me rappelle un autre procès sembla-
ble où j'ai pris moi-même la défense de Habib Achour. la seule dif-
férence est que celui d'aujourd'hui est un procès collectif. En 1965
on a voulu abattre Achour qui avait ligué contre lui deux responsa-
bles politiques. En 1970, le Président lui-même a réhabilité
Achour. En 1978, on traduit pour les mêmes motifs non seulement
Achour, mais un grand nombre de syndicalistes.
Maître Cheffi évoque ensuite l'historique des positions de
l'U.G.T.T. depuis mon retour en 1970. Aucun incident ne vient
marquer les rapports Syndicat - Gouvernement jusqu'à la déci-
sion, en 1973, du Directeur du Parti Destourien, de réactiver les
cellules professionnelles qui visai eut à concurrencer le syndicat en
accueillant en leur sein tous les exclus de l'organisation ouvrière.
En 1975, une autre manœuvre inspirée p~r le Directeur du Parti
tentait de placer un autre responsable à la tête de l'U.G.T.T.
En 1978, alors qu'il s'agissait de veiller à l'application et au res-
pect du pacte social, le Directeur du Parti agissait dans les coulisses
en vue de former une nouvelle organisation syndicale F.O.T.
Le 20 Janvier 1978, jour de la célébration de la création de
l'U.G.T.T. et alors que les syndicaJistes devaient présider au
déroulement de ces célébrations, le comité central du Parti décide
de tenir sa réunion, ce qui a été interprété comme une volonté
·d'écarter de cette réunion les syndicalistes membres du Comité
Central.
Le 8 Janvier, Ghorbel faisait une intervention au nom de
l'Union Régionale de Sfax devant le Conseil National de
l'U.G.T.T. Cette communication interne, lors d'une réunion non
publique a été reprise exclusivement par l'organe du Parti contre
toutes les conventions. Imaginerait-on que "Ech Chaâb" fasse
publier les déclarations et les discussions du Comité Central du
Parti où il doit se dire bien de choses secrètes ? Quelles sont les

262
normes qui ont fait faire publier une communication strictement
interne et qui ont fait plus, à savoir attribuer la responsabilité de
cette communication au bureau directeur de l'U.G.T.T. ? Le
Parti n'a certes pas peu contribué à asseoir l'U.G.T.T. lors de sa
création, mais cela autorise-t-il à incriminer avec autant de facilité
des gens qui ont prouvé leurs convictions nationalistes et unitaires
pendant 22 ans, et les transformer en comploteurs ?
Cette affaire dans laquelle la défense aurait eu normalement à
réfuter ou à confirmer s'il y a eu crime ou éléments de crimes s'est
transformée en procès politique de grande gravité. Comme l'a dit
mon confrère Maître Bouraoui, ce procès est prématuré. Il aurait
dû être rattaché à l'affaire de Tunis.
Maître Cheffi s'est ensuite attaché à démontrer les facteurs à
l'origine de la crise, dont notamment certaines provocations et
agressions (qui auraient pu par le déchaînement de passions qu'el-
les ont provoqué, dégénérer en guérilla). Il a cité le cas de mon-
sieur Aouf qui a été brutalisé simplement parce qu'il tenait en
main, un exemplaire de l'hebdomadaire "Ech Chaâb". Le cas s'est
répété à plusieurs reprises. Pour se venger, une expédition est
organisée de Zaremdine, vers les locaux du comité de coordina-
tion du Parti et un membre a été agressé. Imaginez à quoi cela
aurait pu aboutir si l'escalade s'était poursuivie. Par ailleurs, il y a
des déclarations d'un des accusés faisant état d'incitation visant à
pousser certains membres du bureau exécutif à présenter leur
démission de l'U.G.T.T., de façon à rendre minoritaire le bureau
exécutif et justifier sa dissolution. Le 20 Janvier quand a eu lieu
l'agression de l'Union Régionale de Sousse (U.R.T.), Habib Ben
Achour téléphone pour aviser le Secrétaire Général de
l'U.G.T.T. qui à son tour avise le ministre de l'intérieur. Ce der-
nier ordonne de prendre les mesures nécessaires. Or se produit le
même jour une agression plus violente que la première. Une
plainte est déposée qui est demeurée jusqu'ici sans suite. Com-
ment faut-il expliquer cela ? Cette série d'agressions à travers la
République justifierait à elle seule que les syndicats organisent
leur propre défense et par des moyens encore plus importants que
les pièces à conviction ici produites. Le 22- 23- 24 et 25 Janvier
aucun des syndicalistes ne pouvait se sentir en sécurité après les
agressions perpétuées sur des militants. L'agression contre la voi-
ture de l'U.G.T.T. et qui visait la personne du Secrétaire Général
de l'Union Régionale Habib Ben Achour augurait mal du sort de
ce dernier et des autres responsables s'ils s'étaient trouvés par
coïncidence entre les mains de bandes qui appelaient à régler leur
compte à certains responsables syndicalistes. Hédi Bouraoui qui

263
-
conduisait la voiture a été malmené et brutalisé dans les locaux du
comité de coordination.
L'enquête nous apprend que les événements ont commencé à 10
heures à Sousse. Personnellement, j'ai failli douter de l'innon-
cence des syndicalistes, d'après les informations diffusées par la
radio et la télévision. A la conférence de presse du ministre de l'In-
térieur, il a été dit que ce qui c'est passé à Sousse était phénomé-
nal. On a dit que les syndicalistes auraient attaqué les agents de
l'ordre, et on a avancé le nom de Abdelmajid M. Agent de l'ordre
qui aurait été agressé par les syndicalistes. D'ailleurs un certificat
médical ordonna 20 jours de repos au nommé Abdelmajid qui
aurait été atteint par une bouteille d'esprit de sel. Mais nous lisons
dans le procès-verbal que le 20 Janvier à 23h45 l'agent en question
a dirigé l'opération d'encerclement du siège de l'U.R.T. avec
l'aide de l'armée et de la police, alors qu'à 16h du même jour
Abdelmajid aurait été agressé par les syndicalistes. Après avoir
remarqué la contradiction, l'agent a dit qu'en fait la bouteille a été
lancée à quelques mètres de lui. Aucun agent de l'ordre n'a été
agressé par les syndicalistes et aucune preuve de cela n'existe.
Alors pourquoi ces 101 inculpés sont-ils là ?
Le Directeur du Parti a annoncé en Février que les enquêtes ont
révélé beaucoup plus que ne l'imagine l'esprit. D'abord ceci est
maladroit car tant qu'un jugement n'est pas rendu, il ne faut pas
influencer la justice qui suit son cours, ou même l'opiniôn publi-
que et ensuite ce que les enquêtes ont révélé est beaucoup moins
que ce que peut imaginer l'esprit. En fait, on peut voir 3 catégories
parmi ces accusés.
1) D'abord les filles qui sont accusées parce qu'elles ont poussé des
you-you et elles ont passé 15 jours dans les locaux de la police dans
des conditions très mauvaises. L'avenir de ces jeunes filles est
troublé par leur comparution aujourd'hui devant cette cour et par
leur interrogatoire par la police.
2) La seconde catégorie comprend des personnes qui ne sont pas
responsables à l'U.R.T. et qui s'y trouvaient pour 1,1ne raison ou
une autre au siège de l'U .R. T. comme H. Trade qui {isqu,e la peine
de mort parce qu'il se trouvait à l'U .R.T. ou comme le frère de H.
Ben Achour ou encore H. Djemaâ, qui est un militant et qui risque
la peine de mort parce qu'il est l'ami de Habib Achour ou Mehdoui
qui a été chargé d'acheter des chaînes pour fermer les portes de la
maison des syndicalistes etc ...
3) Quant à la troisième catégorie elle est accusée d'avoir organisé
un attentat. Les confrères ont largement développé les points de
droit, je n'y reviendrai pas, mais je m'arrêterai aux preuves expo-

264
sées par le ministère public pour asseoir son accusation, ses
moyens sont de quatre genres :
1) L'aveu : Dans ce cas, ce n'est pas la reine des preuves et en
matière pénale, il faut se méfier de l'aveu. Nous ne pouvons nier
que les aveux n'étaient pas spontanés. Un seul détail peut montrer
que ces aveux n'ont pas été réguliers et que Habib B. Achour n'a
été interrogé par le juge d'instruction que le 12 Avril alors qu'il
était arrêté depuis le 26 Janvier.
Lorsque j'ai su par sa femme que Habib B. A chour comparaîtra
devant le juge d'instruction, j'ai été soulagé. C'est paradoxal, mais
dans ce cas particulier, c'est réconfortant que Habib B. A chour ait
pu finalement quitter les locaux de la police.
Second moyen, le témoignage çle celui-ci n'est pas probant.
-Les tracts ; En fait, il n'y a qu'un (ille lit) : Dans ce document,
il n'y a aucun indice d'appel à renverser le régime.
Quatrième moyen: les présomptions: Le Ministère public s'est
référé au livre bleu publié par le Parti. La troisième partie de ce
livre est intitulée : L'exécution de l'attentat, et l'on a qualifié la
grève du 9 Novembre de "répétition générale". Pourquoi parler
dans ce procès de la grève du 9 Novembre quand la justice a déjà
dit son mot? Si Ben Achour était impliqué dans ces événements,
pourquoi ne pas l'av~ir condamné à ce moment.
De toute façon, la protestation de I'U.G.T.T. à propos des
menaces proférées contre le Secrétaire Général de l'U.G.T.T.
Habib Achour était nécessaire et a arrêté de nouvelles tentatives
d'assassinat. D'ailleurs, même le Premier Ministre a déclaré que
l'on ne peut empêcher les syndicalistes de manifester leur solida-
rité avec leur Secrétaire Général, mais il a regretté tout comme les
syndicalistef: ce qui s'est passé. D'autre part, il est inadmissible de
déclarer que l'U. G. T. T. ait été pour quelque chose dans les événe-
ments de Ksar Hélai.
Autre type de présomption, les événements du mois de Rama-
dan à Sfax. La justice a aussi dit son mot et aucun syndicaliste n'a
été accusé et d'ailleurs s'il n'y avait pas les syndicalistes on aurait
craint le pire.
La quatrième preuve de l'accusation est tirée de la visite de
Monsieur Habib Achour en Libye. Les raisons de ces visites
étaient claires, la première pour le plateau continental et la
seconde pour la situation des ouvriers tunisiens en Libye. C'était
un devoir envers la patrie qu'Habib Achour a accompli :Il a con-
tribué à nous faire éviter une guerre.
Plus tard, ces visites ont été qualifiées de visites de trahison. On

265
a mentionné qu'il a contacté Masmoudi- Mais est-ce-que Mas-
moudi est un traître ? Aucune cour ne l'a jugé comme tel.
On a également reproché à l'U.G.T.T. d'avoir des rapports
avec la C.G.T. qui est une organisation de gauche, mais il y a près
de 20.000 ouvriers tunisiens qui y adhèrent ; il faut bien que
l'U.G.T.T. ait des contacts avec cette organisation. Monsieur le
Président, je ne serai pas plus long et je demande l'acquittement
pour tous ces accusés. Je présente à la cour le tract rédigé le 26 Jan-
vier, une liste de personnes qui ont attaqué le local de l'U. G. T. T.
et je demanderai à la cour de convoquer ces personnes, et je joins
également un article relatif à Sadok Quedissa, le présentant tel
qu'il est vraiment, et je présente aussi une photo illustrant la voi-
ture de l'U.R.T. attaquée.
Le Président reçut les pièces et demanda s'il restait quelque
chose d'autre à dire pour la défense. Celle-ci remarqua qu'il est
d'usage de reconvoquer les accusés à la barre. Le Président précisa
qu'aucun texte ne le prévoit et leva la séance pour les délibéra-
tions. Les délibérations avaient débuté à 11h30 du matin, et ce
n'est qu'à 18h45 que la Cour a rendu son arrêt.
C'est un arrêt d'incompétence que la chambre criminelle de la
cour d'appel de Sousse a rendu dans l'affaire des syndicalistes
impliqués dans les événements du 26 Janvier. Considérant les
principaux chefs d'accusations, la cour a décidé que seule la cour
de sûreté de l'Etat créée par la loi de 1968 est habilitée à juger en
matière de crimes ou délits concernant la sûreté de l'Etat. La cour
avait par ailleurs rejeté la demande de mise en liberté provisoire
présentée par la défense et placé les accusés à la djsposition du par-
quet.
A l'issue du jugement, les accusés, leurs familles et leurs amis ont
entonné ensemble l'hymne de la révolution.
Le procès des syndicalistes de Sousse par les chiffres :
- 101 inculpés
- 49 en état d'arrestation.
- 52 en liberté provisoire.
-Le dossier contient 900 pages, l'acte d'accusation 51.
-4 séances d'interrogatoires et de réquisitoires- 6 séances pour les
plaidoiries soit 29 heures avec 34 avocats,- L'interrogatoire le plus
long fût celui de Habib Ben Achour, Secrétaire Général de
l'Union Régionale de Sousse qui a duré 4 heures.
12 journalistes ont couvert le procès représentant : 7 journaux
nationaux- 2 étrangers- 3 agences de presse (T.A.P., A.F.P.,
Reuter).
Un public très nombreux dans une salle toujours archicomble. Le

266 -
procès a été déclaré ouvert le 19 Juillet 1978 et terminé le 15 Août
1978.
Quelques jours après le verdict, le Ministère public porte l'arrêt
de la chambre criminelle devant la cour de cassation. Après la
décision du parquet, la cour de cassation a la faculté soit de suivre
le ministère public et dans ce cas l'affaire sera jugée par la même
chambre criminelle de Sousse mais autrement composée, soit de
rejeter le pourvoi. Il restera dans ce dernier cas la possibilité de
saisir la cour de sûreté de l'Etat et c'est ce qui a été fait.
Le 25 Août 1978, 10 jours après le jugement, la ligue tunisienne
des Droits de l'Homme fait paraître le communiqué suivant :
- "La Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l'Homme
réunie Le 18 Août 1978 indique dans un communiqué qu'elle a
adopté, un ensemble de mesures afin de lutter contre la pratique
de la torture.
1) La Ligue dénonce avec vigueur toutes les formes de tortures et
d'atteinte à la dignité de l'individu, ainsi qu'à l'intégrité humaine.
2) La Ligue demande aux organismes humanitaires et aux organi-
sations nationales de dénoncer le recours à la torture.
3) La Ligue a décidé d'entreprendre une campagne, à large échel-
le, contre la violence et la torture. Dans ce contexte elle a décidé
de porter plainte contre x; et contre toutes les personnes qui se
seraient rendues coupables de torture. Elle a aussi décidé de pla-
cer son activité, l'année prochaine, sous le thème "non violence".
La ligue prépare actuellement un rapport détaillé sur la torture en
Tunisie.
4) La Ligue lance un appel aux organes constitutionnels en parti-
culier au gouvernement et à l'assemblée nationale, afin qu'ils s'op·
posent à ce danger réel. Ils doivent procéder rapidement à l'élabo-
ration d'une loi, qui limite la garde à vue et protège les droits de
l'homme, en réglementant les modalités de l'interrogatoire et les
conditions de la détention préventive, comme la ligue l'a demandé
à plusieurs reprises. La ligue appelle par ailleurs à des poursuites
judiciaires contre tous ceux qui ordonnent ou exécutent la tortu-
re".
Le procès de Sousse des syndicalistes et les 2 procès de Sfax ont
éclairé le peuple tunisien trompé par les organes de presse du Parti
ainsi que par la radio et la télévision sur les événements du 26 Jan-
vier 1978. Les inculpés ont courageusement répondu aux inculpa-
tions les réduisant à néant. Les 34 avocats à Sousse et les nom-
breux avocats à Sfax ont par leurs plaidoiries démontré d'une
façon claire et nette l'innocence des inculpés et le complot fomenté
contre l'U.G.T.T.

267
L'opinion publique éclairée par ces procès a commencé par
manifester son soutien de diverses formes aux syndicalistes qui,
forts de l'appui populaire ne cessent de porter le problème dont
sont victimes leurs camarades sur la scène nationale et internatio-
nale.
Pendant que se déroulait le procès de Sousse, se tenaient 3
autres procès à Sfax - où étaient inculpés les syndicalistes de Sfax
Gafsa et Tozeur.

268
Le Procès de Sfax

(Procès des syndicalistes arrêtés à la suite de la grève


du 26 Janvier 1978 à Sfax)

Le mercredi 24 Juillet vers lOb du matin s'élevaient des voix de


plusieurs centaines de syndicalistes qui attendaient l'autorisation
d'assister au procès des 12 camarades arrêtés à la suite des événe-
ments du 26 Janvier. La surveillance autour du bâtiment était très
sévère et les policiers prêts à intervenir pour disperser la foule ras-
semblée et par la même à interpeler des syndicalistes pour ensuite
les libérer de crainte que ça ne dégénère en un affrontement. Fina-
lement les syndicalistes ont eu droit à l'accès à la salle d'audience
avec les familles des détenus. Ils faisaient tous le signe de la vic-
toire en scandant Vive l'U.G.T.T. ! -C'étaient des moments trés
émouvants quand les détenus syndicalistes sont apparus menottes
en main. En dépit de ces chaînes qui empêchaient leurs mouve-
ments, ils levaient bien haut leurs bras. A ce moment précis, on
remarque les visages des femmes parentes et camarades des syndi-
calistes en larmes et lançant à la fois des cris de joie, alors que les
travailleurs scandaient : Vive l'U.G.T.T. ! - Libérez les inno-
cents, les criminels sont en liberté.
Ouverture de la séance : Bien que le pouvoir exécutif ait insisté sur
le fait que les procès des syndicalistes seront ouverts à tous, il n'en
fut rien, car les journalistes n'étaient autorisés à assister au procès
que dans le cas où ils sont munis d'une autorisation délivrée par le
Secrétariat d'Etat à l'Information. D'autre part les citoyens et
nombre de parents de détenus n'ont pu assister. Face à ces restric-
tions, la défense a demandé l'accès libre à tous, sous peine de se
retirer. Ce qui a provoqué l'interruption de la séance pour contac-
ter qui de droit.
La séance a repris en laissant la rentrée libre pour tous. Le Pré-
sident lit l'acte d'accusation qui se résume en ces points :

269
1) Crimes commis en vue d'inciter les gens à commettre des
délits sur les personnes et les biens d'autrui en vertu des articles
131 et 132 du droit criminel ; l'article 132 stipule la sanction de 5
ans de prison aux membres de cette association et 10 ans à ceux des
chefs. de cette association.
Après lecture du rapport de l'acte d'accusation, le Président du
tribunal a commencé à entendre les détenus qui ont tous démenti
les accusations dont ils sont inculpés. Mohamed Triki membre du
bureau de l'Union Régionale de Sfax a insisté sur le fait que les
grèves déclenchées étaient bien légitimes y compris la grève du 25
Janvierdécidée à la suite de l'arrestation du camarade Abderrazek
Ghorbel, Secrétaire Général de notre Union Régionale et que
cette dernière grève est comme toutes les autres dictée par la base
syndicale.
Au cours de l'interrogatoire, les détenus ont été unanimes à :
-Nier l'accusation.
-Affirmer que les conditions de traitement dont ils ont été l'objet
durant l'interrogatoire étaient particulièrement inhumaines. Que
le "comité d'ordre" existe depuis 1975 et qu'en aucun cas on ne
peut le considérer, comme étant une association de malfaiteurs.
-Qu'aucun d'entre èux n'a commis un délit quelconque:
-Ignorer l'existenc~ d'armes de quelque nature qu'elles soient.
Au cours de l'interrogatoire, il a été procédé à la présentation
du saisi sur la demande de la défense : Les fameuses armes aux-
quelles les mass-média ont réservé une place particulière.
Il y a lieu de rappeler que nombre de responsables de haut
niveau parmi les autorités ont déclaré que la police a saisi dans la
maison de l'Union Régionale de Sfax des armes offensives et
défensives et que celles-ci existent bel et bien. Ces armes présen-
tées à la Cour :
-Un' bâton;
-Un bidon en plastique de Slitres vide ;
-Une bouteilfe vide de Coca Cola ;
- Une petite barre de fer de faible diamètre pour déboucher les
conduites;
-Une chaîne ;
-Quelques pierres.
Le détenu Mohamed Boukadi interrogé, a déclaré qu'il n'a
jamais vu cette saisie à l'U.G.T.T et ajoute :On m'a parlé de 600
bâtons - alors que je ne vois qu'un seul où sont donc les autres ?
Moncef Maaloul questionné a dit en s'adressant au Président :
Où sont les armes ? J'étais torturé et j'ai été obligé de signer. Est-
ce un crime que d'appartenir à une organisation syndicale ?

270
Abdelkader Ben Tabar a déclaré :j'ai passé 52 jours sous la tor-
ture. Durant l'interrogatoire, un enquêteur m'a demandé si j'ai vu
les pierres. J'ai répondu par oui, pour m'éviter d'autres tortures
que je ne suis plus en mesure de supporter.
la cour ayant entendu les syndicalistes a donné la parole au pro-
cureur de la république qui a exprimé son attachement à l'acte
d'accusation en maintenant l'inculpation des syndicalistes.
Les plaidoiries des avocats ont analysé les causes de cette affaire
syndicale, sous ses aspects divers tant politique que juridique et
historique. Au banc de la défense, il y avait Maîtres Hédi Mahfou-
dh, Hila-Hadef - El Amouri - Mahmoud Chtourou - Ben Moussa
- Radhia Nasraoui- Mohamed Mahfoudh- Cheffi- Karoui- Gar-
gouri. La plupart de ces avocats ont rappelé et insisté sur le rôle
historique joué par l'U.G.T.T. notamment pour instaurer le fon-
dement de l'Etat. C'est pour ces raisons et bien d'autres également
non moins importantes que l'U. G. T. T. est devenue l'organisation
nationale jouissant d'une grande popularité. Son Secrétaire Géné-
ral Hached n'a-t-il pas été assassiné durant la colonisation ?
L'V. G. T. T. a été l'un des principaux partenaires dans le contrat
social. Les circonstances ayant évoluées, l'V. G. T. T. a demandé la
révision de ce contrat; ce qui a provoqué un différend que les auto-
rités ont négligé. C'est là le cadre réel du problème que la cour est
appelée à juger.
Maître Hila a commencé sa plaidoirie en disant : Je défends
aujourd'hui un groupe de syndicalistes libres déférés devant la jus-
tice selon les articles 131 et 132 du code pénal ; j'ai plus d'une fois
lu le rapport de l'interrogatoire sans jamais réussir à avoir les
mêmes conclusions que le procureur. Il n'en demeure pas moins
que l'effort de celui-ci dans ses investigations à vouloir trouver un
article qui s'appliquerait aux détenus demeure vain. Hélas l'article
131 n'est pas le bon.
Maître Hila explique par ailleurs que la grève déclenchée par les
syndicalistes de Sfax et qui a duré 2 jours -par solidarité avec une
personne arrêtée n'a provoqué aucun incident. En réalité, les syn-
dicalistes s'attendaient à juste titre à une attaque de l'extérieur,
compte tenu de ce qui s'est passé à Kairouan - Sousse - Tozeur
etc .... où toutes les maisons de l'U. G. T. T. ont été assiégées et sac-
cagées. Cette réalité a rendu les syndicalistes plus obstinés à défen-
dre leurs maisons qui constituent pour eux le symbole matériel de
leur organisation.
Il n'y a donc pas à s'étonner de les voir rassemblés dans la mai-
son de l'Union Régionale de Sfax. Toutefois la demande du procu-
reur est des plus étonnantes lorsqu'il dit que les travailleurs

.. ill
auraient dû retourner chez eux et y rester. D'autre part ajoute
Maître Rila ; en aucun cas on ne peut qualifier "le comité d'ordre"
faisant partie de l'organisation syndicale, d'association de malfai-
teurs, et cela pour une raison bien simple que ce comité en ques-
tion date de 1975 et que le but de sa constitution était l'instauration
de l'0rdre et non les attentats sur les personnes et les biens d'au-
trui.
En outre, Maître Rila énumère les 3 conditions qui doivent être
réunies pour pouvoir appliquer les 2 articles en question :
1) Accord entre 2 personnes et plus pour la constitution d'une
association de malfaiteurs, ce qui n'est pas le cas puisque ce comité
est légal et que son rôle se limite à maintenir l'ordre et repousser
les saboteurs.
2) Incitation au crime commis sur des personnes ou des biens
d'autrui avec l'accord préalable de piller, voler et porter préjudice
à autrui - : Où sont donc les faits qui corroborent cette inculpa-
tion ? En effet l'inexistence de preuves est frappante, car il y a une
différence entre se protéger et porter atteinte à autrui. Et si même
l'intention était de constituer la dite association, les membres ne
peuvent-ils pas trouver autre chose que ce bâton risible ? qu'il
indique du doigt parmi les objets saisis.
3) L'intention criminelle est également absente.

Maître Mohamed Mahfoudh :J'ai relevé certaines irrégularités


dans cette affaire. La police s'est occupée de l'instruction ; ce qui
est en contradiction avec la législation tunisienne qui prévoit 3
autorités distinctes. La magistrature est seule habilitée à s'occuper
de ce genre d'interrogatoire pour garantir son indépendance. L'in-
terrogatoire auprès de la police relève l'existence d'instruments
d'attaques ; en réalité ce sont de fausses accusations faites dans le
but de justifier le crime.
Pour ce qui concerne le "comité d'ordre", Maître Mahfoudh
déclare: N'existe-t-il pas des services d'ordre dans les autres orga-
nisations ? On les retrouve dans toutes les autres organisations
syndicales patronales et également au Parti Socialiste Destourien
(P.S. D) où 1' appellation était comité de protection puis- comité de
défense ensuite et surtout au parti où la milice a été instaurée. Il
importe de signaler que cette milice de par son importance numé-
rique, joue plusieurs rôles dont essentiellement celui de son utili-
sation contre les travailleurs et les étudiants, activités qui dépas-
saient parfois les attributions de la police. De là, on comprend
mal, comment on accuse dans cette ville le service d'ordre de
l'U.G.T.T. en lui reprochant d'être un comité de destructeurs,

272
alors que dans toute la ville de Sfax pas une seule vitre ne fût bri-
sée. Au contraire comme l'a d'ailleurs déclaré l'un des détenus, il
serait plus opportun de décorer ce service d'ordre eu égard à l'ef-
fort qu'il a déployé pour le maintien de la tranquilité. Dès lors, on
pourrait se demander sur ce qu'est en réalité cette affaire. Il existe
un conflit entre deux organisations, ce conflit a pris son départ par
la tentative de vouloir éloigner Habib Achour et le remplacer par
Farhat Dachraoui. Le conflit se développant de plus en plus, a
duré jusqu'à l'avènement de la crise économique. Ce fut le
moment où a pris fin le dialogue et où il a été décidé le remplace-
ment des dirigeants syndicalistes qualifiés par la suite de déviation-
nistes. A présent, on peut se dire pourquoi ce procès alors que tout
est fini. Les dirigeants syndicalistes se trouvent en prison, y com-
pris Habib Achour ; celui-là même qui était considéré le héros des
événements du .5 Août, de la consolidation du mouvement syndi-
cal national et international et aussi de la consolidation des assises
de l'Etat.
, En réalité, une tendance politique dans le pays veut avoir la
mainmise sur le mouvement syndical qui tient à l'indépendance de
son organisation l'U.G.T.T. Etant donné le caractère politique
que révèlent ces tendances, le cadre réel de l'affaire serait en
dehors du palais de justice, et de ce fait, la cour éviterait de rentrer
dans des considérations politiques en se prononçant pour un
acquittement.

Maître Manso ur Cheffi a insisté sur le caractère politique de l' af~


faire et s'est demandé, en ce qui concerne le déroulement de l'in-
terrogatoire, si c'est le juge d'instruction qui avait délégué des
pouvoirs judiciaires à la police ? Je ne crois pas dit Maître Cheffi
et ajoute : je voudrais également rappeler la déclaration du Minis
tre de l'Intérieur qui disait qu'on a trouvé des équipements, des
instruments de guerre et des pistolets. L'on remarque face à la sai-
sie qu'on est loin de ce qu'ont diffusé les moyens d'information et
de ce qui a été raconté à l'opinion publique. Tout n'est que pure
invention. La raison découle de ce que le Ministre de l'intérieur
avait devancé l'autorité judiciaire dans son domaine. Les opéra-
tions de perquisition n'ayant pas été réglementaires, il s'en suit
que la saisie est également illégale.
Il a signalé en outre qu'on peut rencontrer dans toutes les mai-
sons des objets identiques à cette saisie qui ne peut en aucun cas
constituer aux vues de la loi une preuve contre les détenus de par
leur absence, lors de l'opération de perquisition. Il existe 3 thèses :

273
1) Celle d'abord du ministère de l'intérieur, que le premier
ministre lui-même a réitéré le 28 Mars 1978 dans une interview au
journal Maroc - soir qu'il existe un dépôt d'armes au local de
l'U.G.T.T. Malheureusement pour eux, rien n'existe de ces
armes.
2) La thèse du rapport d'acte d'accusation disait qu'il existe des
boutèilles, des verres, des barres de fer, et des bâtons, d'où à la
lumière de cette deuxième thèse, nous ne sommes plus devant un
arsenal, mais nous sommes loin aussi de la première thèse diffusée
tambour battant par les moyens d'information de l'Etat.
3) Aujourd'hui nous nous trouvons face à un seul bâton, une
seule barre de fer, un bibelot et un flambeau. Ajouté à cel à que la
saisie n'a jamais été présentée aux accusés auparavant. C'est ainsi
que les thèses présentées, ont été inventées de toutes pièces.
Maître Cheffi poursuit sa plaidoirie en se demandant si ses
clients ont raison de repousser une attaque prévisible ? Etaient-ils
obligés de subir des envahissements perpétrés contre les maisons
des syndicats de Sousse - Tozeur -Kairouan- Tunis etc ... Ensuite
pourquoi rien n'a été fait du côté des autorités pour empêcher ces
attaques des locaux des syndicats. Les accusés sont donc dans leur
droit d'utiliser même plus que ces choses pour défendre leur orga-
nisation surtout après le silence manifesté par le pouvoir.
Maître Cheffi conclut en disant que le rôle de la défense consiste
à éclairer la magistrature, à cet égard la saisie ne constitue pas une
preuve de crime d'autant plus qu'aucun des détenus n'a reconnu
avoir eu l'intention de commettre un crime·, quel qu'il soit. Aussi
l'article 118 ne classe pas dans sa définition des armes :la pierre,
le bâton etc ... Maître Cheffi a donc demandé l'acquittement de
tous les détenus.
Maître Gargouri est le dernier à plaider. Il a insisté sur l'impor-
tance de l'indépendance de la magistrature. En outre, le dossier
présenté constitue selon lui une tentative de fourvoyer la justice,
surtout avec la saisie ridicule présentée à l'attention de la cour.
Même le contenu de l'acte d'accusation incarne bien un des édito-
riaux du journal El Amal consacrés aux sombres journées de Jan-
vier 1978.

Maître Gargouri a terminé en s'adressant à la cour :


-Votre jugement doit être prononcé au nom de Dieu, au nom du
peuple et jamais au nom d'un régime quel qu'il soit.

274
A une héure tardive de la nuit et après que la séance fut levée,
la cour sous la présidence çle Mohamed Msani a prononcé le ver-
dict suivant :
- Mohamed Chaabène, Mohamed Triki, Mohamed Quadri,
Abdelkader B. Tabar et Mongi Nasri 2 ans de prison.
- Mohamed Fathi Boukati et Moncef Maaloul2 ans avec sursis.
Quant aux camarades Morched Boukati, Mohamed Fakhfakh,
Tabar Ta! bi, Hé di Frikha, ils furent acquittés.

275
Le Procès des Syndicalistes de Gafsa
La chambre criminelle de la cour d'appel de Sfax a examiné le 27
Juillet 1978l'affaire de 27 syndicalistes impliqués dans les troubles
du 12 Novembre 1977 à Gafsa. 12 en état d'arrestation, 13 en
liberté provisoire et 2 absents. Les chefs d'inculpation retenus con-
tre eux sont :
-Attroupement dans des lieux publics ;
-Atteinte au bien d'autrui ;
-Incitation aux manifestations ;
-Incendie.
Selon l'acte d'accusation, à la suite de la découverte d'un pré-
tendu complot visant à attenter à la vie du Secrétaire Général de
l'U.G.T.T. Habib Achour, une grève générale de 2 heures fut
décidée par l'Union Régionale des travailleurs de Gafsa.
Arrêtés sous l'inculpation de ces actes, 25 des prévenus auraient
avoué devant la police et le juge d'instruction. Au tribunal tous les
accusés s'étaient rétractés affirmant que ces aveux leur furent
extorqués par la torture. Dans son réquisitoire, le représentant du
m!nistère public, Mahmoud Hammouda, a tout d'abord déclaré
apprécier les hommes et les événements.
En ordonnant à des gens comme ceux de la présente affaire de
faire une grève, on doit en même temps en prévoir les conséquen-
ces. Or certaines personnes, surtout dans les régions rurales,
vivent dans les montagnes, coupées da la réalité du pays. Certains
ne savent même pas ce qu'est une voiture. C'est ainsi qu'à Gafsa,
des personnes venues des alentours ont manifesté sans respect
aucun pour la loi et pour l'ordre, qu'au reste elles ignorent entrai-
nant ainsi des dégâts énormes. La réaction aux rumeurs faisant
état d'un prétendu complot contre la personne du Secrétaire
Général de l'U.G.T.T. Habib Achour était plus grave que la ten-
tative elle-même. Il a demandé enfin l'application des articles 304-
305 et ceux concernant les attroupements et les incendies volontai-
res (entre 2 et 5 ans de pri;;on).

276
La parole fut ensuite donnée à la défense. Maître H. Mahfoudh
s'est posé la question de savoir à qui bénéficient ces procès tout en
remarquant que seule l'histoire saura le dire. Ce genre d'affaire ;
a-t-il ajouté est le résultat d'une crise entre l'U.G.T.T. et le P.S.D.
qui a engendré de graves conséquences et nous en cherchons tou-
iours les responsables.
Dans la présente affaire, la grève décrétée par l'U.G.T.T. était
légitime, toutefois, certaines personnes se sont infiltrées dans les
rangs des travailleurs et ont été à l'origine des troubles et des
déprédations qui ont suivi la grève. Maître Mahfoudh a d'autre
part attiré l'attention des juges sur le fait qu'aucune preuve n'a été
apportée à l'encontre des accusés si ce n'était les aveux arrachés
par la force. Il a demandé l'acquittement de ses clients.
Lui succédant Maître Zouari a analysé les circonstances de l'af-
faire en affirmant que rien ne prouve que les accusés en sont les
responsables. Quant à Maître Nouri, il a relevé la confusion dans
laquelle est tombée la chambre d'accusation qui confond entre
manifestations, attroupements et réunions, car chaque cas a-t-il
dit, a ses propres conditions juridiques. Il a par ailleurs insisté sur
la violation de la procédure au cours de l'instruction. Pour sa part
Maître Ouelha a analysé les attroupements tels qu'ils sont prévus
par la loi en démontrant que les conditions de ces délits font défaut
dans la présente' affaire. Quant à Maître Nasraoui, qui avait
demandé au nom des avocats, le report de l'affaire afin d'examiner
les dossiers, elle a fait remarquer que le refus de la cour constitue
une atteinte aux droits de la défense, droits déjà atteints au niveau
de l'instruction "puisqu'on a fait dire aux accusés ce qu'ils
n'avaient jamais dit ".Enfin, Maître A. Ben Moussa a analysé de
son côté, le climat politique qui a entouré l'affaire. Il a regretté que
"le représentant du Ministère Public ait assimilé dans son réquisi-
toire, des hommes à des animaux", car a-t-il dit" la Tunisie a évo-
lué et les mentalités aussi".

Le verdict a été rendu après une courte durée :


- Mehrez-Ismaïl El Bouallagui : acquittés.
- Béchir ben Ahmed, Tabar El Caïd, Ennafaâ Daâd, Ismaïl
Sebti, Badreddine Derouiche: 1 an et six mois de prison.
- Guezal El Haji : 6 mois de prison.
- Abderrazek Knoudi : 15 mois de prison.
- Lazhar Zehari - Taha Hammoudi : 1 an de prison.
:- Abdelkader Gharbi, Choukri Mallouche : 8 mois de prison
avec sursis.
- Noureddine Nouri : 1 an 8 mois de prison.

277 -
- Ahmed Ellafi : 2 ans 6 mois de prison.
- Ouafak Ben Mohamed Salah, Mohamed Rouached : 10 mois
de prison.
- Samir ben Abdelhafidh, Faïçal Belgacem, Mabrouk Slil,
Mehrez Sanakli, Amor ben Klil: Acquittés.

278
Le procès de Tunis
Durant les procès de Sousse et de Sfax presque tous nos avocats
du barreau de Tunis ne sont pas venus nous rendre visite en prison.
Ils s'étaient portés volontaires pour défendre les syndicalistes qui
ont comparu devant les tribunaux de Sousse et de Sfax. Nous sui-
vions avec beaucoup d'intérêt et de satisfaction le bon déroule-
ment des procès, le courage des inculpés et l'appui populaire mani-
festé à l'égard de nos camarades.
De retour à Tunis nos avocats se sont dépêchés de nous rendre
visite et de nous raconter beaucoup de bonnes choses vraiment
réconfortantes que la presse n'a pas publiées. Après discussion,
chacun de nous pose la question à son avocat : "Et notre affaire ?"
L'enquête n'est pas encore terminée disent les avocats et le juge
d'instruction ne veut rien donner tant que le dossier n'est pas com-
plet.
Quel était notre éton.nement d'apprendre un jour par la presse
que c'est le Jeudi 14-9-1978 que la cour de Sûreté de l'Etat enta-
mera la procès des dirigeants syndicalistes arrêtés depuis les évé-
nements du 26-1-78. Ces syndicalistes qui devront comparaître
devant cette cour sont au nombre de 34, dont 4 en liberté provisoi-
re. Parmi les syndicalistes incarcérés, on compte onze camarades
membres du bureau exécutif et 16 membres de la C.A .. Tous sont
déférés devant la Cour de Sûreté de l'Etat en vertu de l'article 72
du code pénal.
Les avocats appelés à prendre la défense des syndicalistes sont
au nombre de 72. Tous n'ont eu la possibilité d'examinerle dossier
de cette affaire, qui comporte plus de 7.000 pages, que seulement
2 jours avant le procès. Des avocats envisagent de présenter à la
cour une demande, en vue de différer le procés jusqu'à une date
leur permettant d'étudier sérieusement le dossier, et dans le cas où
on leur oppose une fin de non recevoir, ils se retireront. Dans ces
conditions, le ministère public aura à nommer des avocats d'office.

279
D'autre part les syndicalistes détenus insistent sur la nécessité de
la présence d'un nombre de témoins notamment messieurs Tahar
Belkhodja, Habib Chatti, Abou Iyad, Otto Kersten, Irving Brown
et également d'autres personnes faisant partie de la F.O.T ..
Par ailleurs, ils exigent qu'on leur fasse une confrontation avec
messieurs Mohamed Sayeh, Abdallah Farhat, Mohamd Jomâa,
Mohamed Ennaceur et Moncef Bel Hadj Amor.
Il est à noter que les camarades membres de la C.A. ont refusé
d'apposer leur signature sur le rapport de l'acte d'accusation, car
ils le considèrent comme étant un document inspiré par l'interro-
gatoire de la police qui, du reste s'est déroulé sous la pression et la
menace.
La cour a décidé de différer l'examen de cette affaire auJeudi28
Septembre, toutefois elle a refusé les demandes de récusation de
2 membres de l'assemblée nationale nommés parmi la formation
de la cour et aussi refusé une autre demande de la défense qui
consiste à octroyer à tous les détenus syndicalistes la libération
provisoire.
Le 28-9-1978, la séance est ouverte vers 9 heures du matin. La
première des surprises fut l'absence de Monsieur Mohamed Salah
Ayari, Président de la éour de Sûreté de l'Etat, celui-ci étant rem-
placé par Mohamed Tahar Boulaâba El Fatimi.
Les syndicalistes, dès leur apparition dans la salle d'audience
ont été accueillis par des applaudissements. L'assistance a entamé
ensuite l'hymne national et a scandé des slogans tels que: "Justice
soit juste".
Avant que le Président n'ait pris la parole, la défense lui
demanda d'ordonner l'évacuation des agents de police qui for-
maient un obstacle entre eux et les syndicalistes. Ils lui ont pré-
senté de même une demande de récusation des deux membres de
l'Assemblée Nationale. Le Président a commencé par dire aux
inculpés de faire preuve de sincérité et de courage et aux avocats
d'éviter les interventions diffuses et fastidieuses et aussi les inter-
ventions courtes et défaillantes, ajoutant que la cour ne constitue
pas un lieu où l'on exhibe son art oratoire. Le Président a rappelé
également aux avocats l'existence de l'article 17 conçu pour le tri-
bunal de la sûreté de l'Etat lui donnant le pouvoir de punir tout
avocat séance tenante.
Ce rappel de la part du Président a suscité la protestation de la
défense. Maître Bellalouna avait riposté en disant : «Nous som-
mes ici présents pour assumer notre devoir tout entier et non pour
faire de la figuration. Nous nous étonnons de voir les avocats

280
menacés par l'article 17 et ce pour la première fois depuis la créa-
tion de ce tribunal d'exception».
Après l'appel par le Président des détenus et des avocats, Maî-
tre Hila a pris la parole pour demander de surseoir à l'examen de
cette affaire attendu que la défense n'a pas eu la possibilité d'exa-
mir.er le dossier, qui lui a été communiqué seulement deux jours
auparavant. De même Maître Hila a signalé à la cour que l'examen
du dit dossier d'une façon sérieuse demande au minimum 60 jours.
C'est ce qu'il a d'ailleurs demandé à la cour.
A la fin de son intervention Maître Hila a indiqué que l'article
17 ne peut être appliqué et compte tenu de la demande du renvoi
de l'affaire, la défense a demandé de ne pas entamer la lecture du
texte de l'acte d'accusation. D'une part, en lisant l'acte d'accusa-
tion le procès sera considéré comme étant commencé ; d'autre
part les avocats ne disposent pas des documents en question.
Face à l'obstination du Président du tribunal à vouloir procéder
à la lecture de l'acte d'accusation, une grande majorité d'avocats
s'est retirée de la salle. Par la suite un grand nombre de parents de
syndicalistes a suivi les avocats pour revenir à la salle quelque
temps après. De temps à autre des parents de syndicalistes chan-
tent l'hymne national et terminent au cri de : "Vive l'U.G.T.T.
libre".
Il est à rappeler que les syndicalistes étaient rentrés dans la salle
les mains bien hautes faisant le signe de la victoire. Ils avaient eu
l'occasion d'échanger quelques paroles avec leur famille et aussi
avec quelques journalistes. Tous laissaient entrevoir dans leur
physionomie et leurs gestes un moral bien haut.
Après lecture de l'acte d'accusation qui a duré près de 4h30mn,
la séance a été levée pour examiner la demande des avocats en vue
du renvoi de l'affaire. Quelques minutes après, la cour a repris et
son Président avait informé l'assistance qu'il a reçu une réponse de
la part du Président de la cour d'appel concernant les demandes de
récusation des Z députés qui sc>nt Houcine Maghrébi et Mustapha
Ayed. Ces demandes émanaient de Abderrazek Ghorbel et de
moi-même. Monsieur le Président de la cour poursuit en déclarant
que ces demandes ont été rejetées et que chacun des 2 plaignants
est tenu de payer la somme de 20 Dinars.
Il est à signaler que l'enthousiasme des parents des syndicalistes
a régné dans la salle, ce qui a amené l'avocat général à demander
au tribunal d'ordonner l'évacuation de ceux qui ne veulent pas se
;:aire. D'autre part une importante force de police et de B.O.P. a
été placée autour de la salle d'audience et même à l'intérieur
durant le procès.

281
La cour a repris après une séance d'interruption, les 2 députés
membres du Parti Socialiste Destourien avaient approuvé le dis-
cours du Premier Ministre Hédi Nouira prononcé le 31-1-78 à l'as-
sembl~e nationale par lequel il a fait endosser aux détenus syndica-
listes la responsabilité des événements du 26 Janvier. Ainsi les
deux juges membres de l'Assemblée Nationale avaient déjà rendu
leur jugement en dehors de la haute cour par le truchement de la
plus haute instance du pays -l'Assemblée Nationale-Plus encore
Monsieur Houcine Maghrébi était très clair dans son allocution
prononcée lors d'une réunion d'information tenue à la société
PENNAROYA. Il disait : "Le dernier déviationnisme émanant
des responsables de I'U.G.T.T. avait pour objectif la liquidation
de l'Etat, après que des éléments communistes se sont infiltrés au
sein de l'organisation syndicale".
Le Président de la cour d'appel avec son refus de la demande de
récusation avait considéré que le discours du Premier Ministre ne
constitue pas un avis de jugement.
C'est dans ces conditions que les syndicalistes ont à répondre
des graves accusations dont ils sont l'objet.
Parmi les articles d'inculpation, on compte notamment l'article
72 du code pénal qui stipule la peine de mort à l'encontre de ceux
qui ont porté atteinte à l'Etat, en vue de changer sa forme ou d'in-
citer les habitants à s'attaquer les uns les autres par les armes, ou
bien fomenter des troubles, des tueries, du pillage sur le sol tuni-
sien. il était prévu que les syndicalistes passeront devant le tribunal
de droit criminel, néanmoins la décision prise par le tribunal de
Sousse concernant l'affaire des syndicalistes de cette région et
appuyée par la cour de cassation a changé le cours des événements
en présentant les dirigeants syndicalistes devant une cour d'excep-
tion.
Le deuxième jour, du procès. Très tôt le matin, la sall0 d'au-
dience fut cernée avec également les quartiers avoisinants par les
forces de la police de tout genre et aussi par l'armée. La force de
police installée au niveau de l'avenue de la liberté et débouchant
sur la rue du 20 Mars du Bardo, avait défendu aux parents des syn-
dicalistes de s'approcher de la salle d'audience et les avait obligés
d'attendre dans la rue.
Tandis que la surveillance et le contrôle étaient des plus draco-
niens, - on arrêtait même les avocats pour leur demander leur
carte professionnelle- on permettait à des gens inconnus, une cen-
taine environ qui n'étaient ni parents, ni syndicalistes de remplir la
salle.

282
Les parents des syndicalistes attendaient encore l'autorisation
d'accès à la salle d'audience, qui aux dires de la police ne tardera
pas à venir. Mais la surprise fut grande quand on s'est aperçu que
la police armée jusqu'aux dents a organisé à l'encontre des familles
des syndicalistes : hommes, femmes et enfants une vraie opération
de !!Uerre qu'elle a remporté vaillamment ! ... Le résultat fut les
parents des syndicalistes rentreront chez eux avec un nombre
réduit de 20 personnes. Ces derniers, arrêtés, furent conduits en
des lieux inconnus.
L'audience est ouverte en l'absence des détenus. Le Président a
déclaré que la cour procédera à l'interrogatoire des accusés se
trouvant en liberté provisoire; ce sont : Béchir Mabrouk -Mes-
saoud Klila - Mohamed Chelli et Saïd Gagui (alité à l'hôpital).
Après l'appel des noms des accusés et des avocats, le Présipent du
tribunal a lu la réponse du Président de la cour de Sûreté de l'Etat
à la demande de récusation de 2 députés et a décidé qu'il ne don-
nera pas son avis à ce sujet.
Maître Lazhar Chelli a lu par la suite une pétition émanant du
comité national des avocats en signe de protestation contre le com-
portement du tribunal durant le premier jour du procès pour les
positions qu'il avait prises.
Maître Chabbi a demandé aux noms de tous ses collègues leren-
voi de l'affaire précisant que la défense n'a pas examiné plus du
cinquième du dossier. La cour après consultation a refusé la
demande.
Maître Mansour Cheffi avait demandé à la cour de faire sortir
les boules de fer de la salle, affirmant que seule une boule attachée
à une chaîne avait été saisie dans la maison dul'U.G.T.T .. Le Pré-
sident a alors demandé qu'on lui présente cette saisie.
Maître Cheffi a ensuite demandé une réponse aux demandes de
récusation que la défense avait transmises le 27 Septembre 1978 au
Président de la cour de cassation. Enfin il avait attiré l'attention de
la cour sur le fait que les parents des syndicalistes ont été empêchés
d'accéder à la salle alors que d'une part, l'audience est publique et
d'autre part les personnes ici présentes sont étrangères aux syndi-
calistes. De même Maître Cheffi avait fait remarquer à la cour que
même les avocats ne furent pas épargnés par les abus de la police
en dehors de la salle d'audience.
Maître Mohamed Bellalouna avait exprimé la nécessité de pré-
senter tous les accusés ensemble, d'autre part, a-t-il indiqué :Les
jispositions du procès avaient été prises d'avance et que celà ne lui
a pas échappé. La discussion entre Maître Bellalouna et le Prési-
dent était des plus virulentes à tel point que l'avocat après qu'il fut

283
maintes fois interrompu par le Président et se trouvant dans l'obli-
gation de garder le silence avait menacé de se retirer.
Le Président lui répondit spontanément qu'il pouvait le faire. Sur
ces entrefaites Bellalouna quitta la salle et en même temps que lui
tous ses collègues. La cour s'est isolée 3 heures durant pour revenir
ensuite déclarer son refus de la pétition émanant des avocats et la
désignation d'office de 18 avocats devant prendre la défense des
syndicalistes dans cette affaire. C'est ainsi que prit fin le concours
des avocats volontaires.
Le jour suivant, les mesures prises par la police étaient plus
sévères encore que les jours précédents, ses points de contrôle de
plus en plus nombreux notamment autour de la salle d'audience ...
Les avocats nommés d'office, au nombre de 15 se plaçaient juste
derrière le banc des accusés demeuré vide. Aux places réservées
aux observateurs étaient installés Messieurs Otto Kersten- Irving
Brown et d'autres personnalités.
Le bâtonnier, Maître Fathi Zouhir, a fait remarquer à la cour
qu'il regrette que certains journaux prétendent à tort que la prise
de position des accusés leur a été dictée par les avocats. Puis il
ajoute : Cela est inadmissible d'autant plus que les accusés en état
de liberté provisoire ont bien voulu répondre à l'interrogatoire de
la cour et si les autres ont pris une toute aut~e position, celle que
vous connaissez-cela les regarde. Cela étant je proteste, je pro-
teste contre cette fausse inculpation méprisable et de nature à
induire l'opinion publique en erreur.
Le bâtonnier fut interrompu par le président qui a indiqué que
ce problème intéresse la presse et que les avocats peuvent prendre
les dispositions permises par la loi.
Maître Mohamed Mahfoudh a demandé au président de le
décharger de sa nomination d'office eu égard à l'infection qu'il a
eu à la bouche lui causant des douleurs au c.œur avec une hausse de
température. Il a demandé en outre de quitter la salle pour aller se
soigner. Le Président demanda l'avis de l'avocat général Monsieur
Abdelaziz Hamzaoui qui répondait que Maître Mahfoudh est
désigné d'office, et' est capable de défendre et de parler. Maître
Hila expliqua que son collègue est malade. L'avocat général lui a
répondu que Maître Mahfoudh est avocat et de ce fait n'a pas
besoin qu'on le défende,
Maître Hila : "La défense est une unité indécomposable".
Après une longue discussion, Maître Mahfoudh fut autorisé à
contacter un médecin pour consultation.
Maîtres Chtourou et Khantouche avaient présenté à la cour les
traductions officielles des témoignages de Messieurs Kersten et

284
Irving Brown. Le Président, après concertation avec l'avocat
général et les membres du tribunal, a informé que le tribunal était
prêt à entendre ces 2 témoins dont seul Monsieur Irving Brown
était présent. Monsieur Kersten qui s'apprêtait à quitter le pays a
été appelé par son adjoint Monsieur Vanderveken.
Le Président a entendu Abderrazek Ghorbel, Secrétaire Géné-
ral de l'Union Régionale de Sfax qui a refusé d~ répondre aux
questions qui lui sont posées en déclarant que la défense est dési-
gnée d'office et que les raisons qui ont motivé le retrait des avocats
ne sont pas aujourd'hui satisfaites et qu'en outre les avocats n'ont
pas examiné le dossier.
Néanmoins, Monsieur Ghorbel avait expliqué que les accusa-
tions dont il est l'objet sont très graves et qu'il a attendu ce jour
depuis Janvier pour établir la vérité, ajoutant qu'il détient de nom-
breuses preuves de nature à révéler son innocence.
Je passe devant le tribunal a-t-il dit pour avoir lu un papier au
conseil national de l'U.G.T.T .. Nul n'ignore qu'aucun texte en
discussion dans une assemblée ne peut être retenu, seule la motion
finale est prise en considération après avoir remporté la majorité
des voix. Je demande d'autres avocats pour ma défense.
La cour ayant ainsi refusé sa demande, Ghorbel a persisté dans
son mutisme.
Bouraoui appelé à son tour a exprimé son innocence de toutes les
inculpations dont il est accusé, tout en précisant qu'il ne peut pas
répondre aux questions posées si la défense n'estpas entourée de
garanties nécessaires. En outre, il a signalé à la cour qu'en sa qua-
lité de membre de l'assemblée nationale, il jouit de l'immunité
parlementaire, mais rien de tel ne fut respecté, attendu que son
arrestation s'est passée le 27 Janvier à Sfax où il n'y a eu aucune
manifestation.
Irving Brown, représentant des Syndicats Américains en
Europe est appelé par le Président pour témoignage.
-Le Président : Pourquoi et quand étiez-vous venu à Tunis ?
-Brown :Je suis arrivé mercredi à seule fin d'assister au procès
en tant qu'observateur; le premier ministre m'y a autorisé.
-Le Président : Dans quel but êtes-vous présent ?
- Brown : Au départ comme observateur, maintenant comme
témoin.
-Le Président : Quelle est la raison de votre arrivée en Tunisie
entre le mois de Mai et Septembre 1977 et qui vous a invité ?
-Brown :J'ai visité Tunis plusieurs fois sur invitation de Habib
Achour afin de discuter avec lui et avec le Premier Ministre sur
plusieurs sujets.

285
-Le Président : Avez-vous discuté avec Achour au sujet de son
voyage en Libye ?
-Brown : Non.
-Le Président : De quoi avez-vous discuté ?
-Brown: Je suis venu discuter avecle Premier Ministre, en tant
qu'ami de la Tunisie et aussi en tant que syndicaliste expérimenté,
de quelques problèmes syndicaux.
-Le Président : Vous rappelez-vous de cette discussion ?
-Brown: Je suis doté d'une bonne mémoire ; toutefois, je ne
puis pas en ce lieu parler de ce qui s'est passé entre nous.
-Le Président: Qu'avez-vous discuté avec Habib Achour ?
- Brown : Je ne suis pas venu là dans ce but. Vous m'avez
demandé la raison de ma présence et je vous ai répondu que c'était
en tant qu'observateur, ensuite comme témoin. Je vous ai pré-
senté un écrit par lequel je vous faisais mention des demandes
émanant du premier ministre et d' Achour me demandant d'inter-
venir en faveur de la Tunisie, en vue d'accroître l'aide américaine
dans les domaines économique et militaire.
- Le Président : Si celà est vrai le gouvernement tunisien est
capable de contacter directement le gouvernement américain.
- Brown : Posez la question au gouvernement tunisien ; seule-
ment le gouvernement tunisien m'a bel et bien demandé ce service
et je l'ai fait. Achour m'a entretenu à ce sujet- c~est m'avait-t-il dit
le Premier Ministre qui lui a demandé celà.
Entre temps la défense se rendant compte de la défaillance dans
la traduction avait protesté auprès de la cour et ce fut le bâtonnier
Fethi Zouhir qui a pris la relève du traducteur.
- Le Président : En matière d'armes, Achour vous a-t-il
demandé de l'aide ?
-Brown : A qui ? au syndicat ?
-Le Président: Vous a-t-il entretenu à ce sujet?
-Brown :Habib Achour m'avait dit que c'est le Premier Minis-
tre qui l'a chargé de me demander à ce que j'intervienne auprès du
Gouvernement Américain pour appuyer les demandes du Gou-
vernement Tunisien. '
-Le Président : Notre question ne concerne pas ce sujet. Habib
Achour vous-a-t-il demandé d'intervenir pour fournir à la Tunisie
des armes ou l'utilisation.de ces armes par la Tunisie contre un
autre Etat ? D'autre part, vous-a-t-il mis au courant de l'alliance
entre l'U.G.T.T. et la Libye- L'U.G.T.T. et le front du refus- et
l'Union Tuniso-Libyenne et autres choses similaires? Considérez-
vous que cette alliance est normale ?
-Brown: Je ne suis pas venu à Tunis pour répondre à ces ques-

286
tians qui doivent être posées à Monsieur Habib Achour.
-L'avocat général s'adressant à Irving Brown lui dit: "Nous vous
souhaitons la bienvenue en Tunisie et vous demandons si au cours
de votre entretien à Bruxelles avec Achour vous avez discuté de la
grève générale et de sa légitimité ?"
-Brown: Je ne veux pas parler de ce que j'ai dit à Achour sauf
s'il est présent. En outre ma présence devant vous n'a d'autre but
que de mettre en évidence les positions patriotiques de Habib
A chour quand il m'a demandé d'intervenir en faveur de la Tunisie.
--::L'avocat général : La cour vous a posé la question sur l'alliance
de l'U.G.T.T. et la Libye, l'U.G.T.T. et le front du refus. Ne
considérez-vous pas que cette alliance constitue un acte politique.
-Brown: Ma présence en Tunisie n'a d'autre but que de souli-
gner dans ma déposition les positions ·patriotiques de Habib
Achour. Il m'a demandé d'intervenir en faveur de la Tunisie et
non en faveur d'autres groupements.
Le Président appelle le camarade Kersten et lui dit :
"Vous êtes venu en Tunisie le 22 Janvier 1978. Voulez-vous
nous en parler ?".
- Kersten : En effet je suis venu en Tunisie le 22 Janvier 1978.
J'ai rencontré à deux rep'rises le Premier Ministre et c'était dans le
but d'arriver à une conciliation entre le gouvernement tunisien et
l'U.G.T.T .. La conciliation était impossible.
-Le Président: Pourquoi était-elle impossible ?
- Kersten : Le Premier Ministre ne voyait la nécessité d'un
arrangement avec Achour qu'à condition de se rétracter sur la
grève générale.
-L'Avocat Général: Le Premier Ministre vous-a-t-il dit que le
dialogue était possible si on se rétracte sur la grève ?
- Kersten : Oui.
-L'Avocat Général: Ne voyez-vous pas une promptitude dans
la position de l'U.G.T.T ..
- Kersten : J'avais dis au Premier Ministre que tous les syndica-
listes du monde annoncent la grève et négocient avec les re~ponsa­
bles en v.ue de trouver des solutions aux problèmes posés.
En ce qui concerne la 2ème question, j'aimerais dire que la posi-
tion de l'U.G.T.T. était consécutive à l'envahissement de ses mai-
sons dans diverses régions du pays et principalement celle de Kai-
rouan et cet emportement est chose normale et compréhensible.
-Le Président : La grève s'assujettit à des dispositions régle-
mentaires et ne vient pas à la suite d'une attaC}!le d'une maison de
l'U.G.T.T .. L'annonce de à la grève n'était pas raisonnable.
- Kersten : Les agressions perpétuées contre les maisons de

287
l'U.G.T.T. ont conduit cette organisation au durcissement.
J'avais montré aux membres de la C.A. que la grève doit-être limi-
tée dans le temps et édifiée sur des demandes sociales et économi-
ques.
-Le Président :Dans ces conditions la grève n'est pas légale.
- Kersten: La grève est bien légale, d'ailleurs le Premier Minis-
tre m'avait dit personnellement que la grève était légale, mais ce
qui ne l'étaient pas ce sont les attentats contre les biens d'autrui.
-Le Président : Que pensez-vous de ce qui est arrivé le 26 Jan-
vier à Tunis. Ensuite savez-vous que la grève générale n'est pas
réglementaire en Tunisie ?
- Kersten :Je ne dis pas que la grève générale est réglementaire
ou pas, mais je dis qu'elle est légitime surtout que les syndicalistes
ont utilisé vainement tous les autres moyens. Certes, je ne connais
pas la constitution tunisienne, mais je n'ignore pas la convention
n° 87 qui est est mon seul guide. D'autre part la grève étant le
moyen d'arriver aux négociations, nombreuses sont les régions du
monde qui l'utilisent.
- Le Président : En admettant que la grève dans le monde et en
Tunisie est un droit en vertu de la convention no 87 du B.I.T. à
laquelle la Tunisie avait souscrit. Que pensez-vous de l'article 8 de
cette même convention qui stipule la nécessité du respect de la loi
par les travailleurs ? Dans cette grève les réglements locaux
avaient été dépassés et de ce fait la grève est illégale.
- Kersten : Je. crois que la convention n° 87 est au dessus des
règlements locaux aussi est-il d'usage que les grèves qui ne respec-
tent pas ces règlements n'en restent pas moins légales.
-Le Président :Tant qu'il y a là, un texte de loi, il est donc obli-
gatoire de se réfugier au droit coutumier.
- Kersten : La loi est une chose et le travail quotidien en est une
autre et j'aimerais réitérer que la grève déclenchée parl'U.G.T.T.
est légitime.
- Le Président : Les syndicalistes ne sont pas arrêtés à cause de
l'inobservation de l'article n° 388 du droit du travail, mais selon les
actes criminels qui leurs sont imputés dans le cadre de l'article 72.
-
- Kersten : Je m'oppose à cette inculpation de l'article 72,
attendu que j'avais vécu cette situation et je ne crois pas que les
syndicalistes aient pu commettre de pareils actes.
- Le Président : Quelle liaison faites-vous entre la grève géné-
rale et les événements qui ont conduit le gouvernement d'abord à
demander secours à l'armée, ensuite à proclamer l'état d'alerte et
le couvre feu ?

288
- Kersten : A ce que je sache aucun des syndicalistes ne fut
arrêté en flagrant délit. D'autre part j'étais présent à la réunion du
bureau exécutif où la grève a été votée à l'unanimité, et je puis
confirmer que les syndicalistes et les leaders de l'U.G.T.T. ont
donné l'ordre d'une grève pacifique, d'une période déterminée et
cela sans violence.
-Le Président : Le 24 Janvier vous vous êtes montré en compa-
gnie de Achour sur le balcon de l'U.G.T.Tpour annoncer la grè-
ve. Ensuite vous avez levé votre main en faisant le signe de la vic-
toire, ce qui a provoqué l'éloignement du public de la place Moha-
med Ali et il s'est livré à des actes de destruction.
-Kersten: Je sais comment me comporter et je sais ce que je dis.
J'étais au balcon et j'ai dit : "Votre grève est légale et compréhen-
sible, que la victoire est aux travailleurs". Cela dans le cadre de
cette légitimité. Je me suis adressé au public en ma qualité de
Secrétaire Général de la C.I.S.L.
-Le Président: N'ont-ils pas dévié de vos instructions et pour-
quoi se sont-ils livrés par la suite au pillage outrepassant ainsi leur
rôle de syndicaliste.
- Kersten : Vous avez raison. Je pourrais être ferme là-dessus,
parmi le public, il n'existe pas un grand nombre de syndicalistes.
D'autre part Achour est intervenu par la suite pour demander au
public de rentrer chez lui.
-Le Président: Est-ce que celui qui annonce la grève n'est pas
responsable des événements ?
- Kersten : Quand on organise une rencontre de football et que
vient une personne parmi le public et lance une bombe dans lesta-
de. Est-ce que l'organisateur de cette rencontre est le responsable
de l'accident et des actes des spectateurs. Les dirigeants syndicalis-
tes ne sont pas responsables de ce qui se passe dans la rue d'autant
plus qu'ils furent empêchés d'établir l'ordre. C'est ainsi que les
événements n'ont pu être évités.
-Le Président : Habib Achour a contacté par téléphone dans la
matinée du 26 Janvier la direction de la sûreté et ·a informé son
interlocuteur que s'il ne sera pas procédé à la levée de l'encercle-
ment de la maison de l'U.G.T.T. Tunis brûlera et que les choses
pourrissent et effectivement la situation s'est détériorée.
--- Kersten : Quand cela s'est-il produit ?
-Le Président : Le 26 Jan vier à 9h30 du matin.
- Kersten: Je n'étais pas à Tunis à cette date, par contre j'avais
reçu un coup de téléphone de la part de Mr. Habib Achour de
l'Hôtel Amilcar et il m'avait raconté qu'il était encerclé par la
police me demandant de l'assister :"Aidez-nous m'a-t-il dit, on va

289
nous conduire en prison". Je ne pense pas croire du reste à la thèse
précitée de par ma connaissance de Habib Achour et de l'amitié
qui me lie à lui. Il est impossible qu'il se soit livré à des actes crimi-
nels. Monsieur Achour est de tempérament enthousiaste et senti-
mental et je crois que celà est positif et en sa faveur. En général,
les criminels sont dotés d'un sang froid et dépourvus de sentiments
et d'enthousiasme. Cela est en contradiction avec le caractère de
A chour, qui de surcroît a présenté de nobles services au mouve-
ment national tunisien.
- Le Président : N'y a-t-il pas de visée politique à travers le
déclenchement de la grève générale par Achour ?
- Kersten : J'ai pu dire dans la conférence de presse que j'ai
organisé hier que j'assume ma responsabilité en disant non à la
grève générale illimitée. Tandis que j'ai approuvé la grève déclen-
chée par l'U.G.T.T. Celle-ci n'ayant pas de dessein politique.
-Le Président : Les autorités tunisiennes vous-ont-elles auto-
risé à organiser cette conférence de presse ?
- Kersten: Oui.
-Le Président: Vous avez cité dans votre déposition écrite que
le gouvernement agit dans le sens de l'affrontement avec
l'U.G.T.T. et le discrédit de ses dirigeants. Ne considérez-vous
pas cela comme une ingérence dans les affaires intérieures tuni-
siennes ?
- Kersten : Le procès est bien politique et il m'est autorisé d'in-
tervenir pour des collègues, même si cela est considéré comme
étant une ingérence et cela me parait chose naturelle.
-Le Président : En admettant que cette ingérence est possible,
il n'en demeure pas moins que ce que vous avez mentionné dans
votre déposition correspond à une atteinte au respect du gouver-
nement.
- Kersten : Tels furent mes sentiments la dernière fois que j'ai
contacté le Premier Ministre.
-Le Président: Dans votre déposition, vous dites que vous êtes
témoin oculaire, que vous avez assisté au lancement de bombes
lacrymogènes par la police en direction de plusieurs groupes de
syndicalistes. La police ne serait-elle pas tenue à établir l'ordre ?
Et même l'utilisation de bombes n'a pas empêché pour autant d'at-
taquer les magasins de la rue Mohamed Ali.
- Kersten : J'étais dans le bureau de Habib Achour quand cela
s'est produit. Je ne comprends pas pourquoi on a utilisé les bom-
bes contre la maison de l'U.G.T.T. et Je bureau de Habib Achour.
Ensuite comment utilise-t-on les bombes contre les syndicalistes
qui se trouvent à la maison de l'U.G.T.T.

290
-Le Président : Vous avez fait mention également de l'interven-
tion sauvage des autorités et de leur désir de réduire l'U. G. T. T. à
la soumission ; chose qui ne peut être d'après vous que dénoncée
avec force, et ces déclarations sont en contradiction avec votre
mission syndicale.
- Kersten :Maintes fois, j'ai eu à attaquer les gouvernements
d'Amérique, d'Afrique, d'Asie et d'Europe pour ces mêmes rai-
sons. D'ailleurs nous avons attaqué l'Union Soviétique en justice.
Celle-ci nous ayant reproché notre ingérence dans ses affaires inté-
rieures. Il no11s arrive d'intervenir contre des amis quand la liberté
syndicale est enjeu et jeprends ma responsabilité dans cette inter-
vention même.

- L'Avocat Général : Les grèves existent dans de nombreux


pays, seulement on ne rencontre pas de syndicats qui attentent à la
sûreté économique du pays. Le témoin reconnaissant cela, l'af-
faire devient une expérience personnelle qu'il a voulu appliquer en
Tunisie. L'on ne peut appliquer une telle expérience en Tunisie
qui est un pays civilisé et par la même ne peut admettre la loi de la
jungle.

- Kersten : Ce sont là des propos banals , cependant je respecte


ce qu'avait dit le ministère public, sans partager pour autant son
avis. concernant mon expérience personnelle.
Je suis venu ici pour négocier, étant syndicaliste et fier de l'être.
J'ai également des relations avec nombre de responsables tuni-
siens. J'avais reçu Mohamed Sayeh qui était venu pour étudier les
relations existantes entre les syndicats allemands et le parti socia-
liste allemand. Celà étant, je considère que ces paroles portent
atteinte à mon honneur.
- L'Avocat Général : Vous êtes devenu "partie" dans cette
affaire et ce qui figure dans votre témoignage est contraire à la
vérité.
- Kersten : Effectivement, je suis concerné par cette affaire
étant venu spécialement pour témoigner en faveur de Achour.
Aussi les vérités dont avait fait mention l'Avocat Général n'ont
aucun rapport avec les positions du camarade Habib A chour,
d'ailleurs l'opinion publique internationale est de cet avis.
-L'Avocat Général : Cela est un jugement préconçu.
- Kersten : Cela est une affaire que je confie au tribunal et Fes-
père qu'elle sera prise en considération.

291
-L'Avocat Général : Etes-vous sûr de l'attaque de la maison de
l'Union Régionale de Kairouan.
- Kersten : J'ai examiné un grand nombre de photos 30 ou 40
ayant trait à ces agressions. Celles-ci m'ayant paru d'une rare vio-
lence.

La cour de sûreté de l'état a levé la séance pour reprendre le jour


suivant.
Le Président a repris l'interrogatoire des inculpés membres du
bureau exécutif. Ils ont tous refusé de répondre aux questions qui
leur sont posées eu égard aux garanties réglementaires qui leur fai-
saient défaut.
Le Président de la cour avait fait état des chefs d'inculpations
retenus contre les syndicalistes à savoir :
-Atteinte à la sûreté de l'Etat.
-Incitation des habitants à s'attaquer les uns les autres.
-Fomentation de troubles ayant entraîné le pillage, l'incendie et
les tueries.
Tous les syndicalistes comparus Samedi devant le tribunal ont
exprimé leur innocence de toute culpabilité. De même qu'ils ont
affirmé leur détermination à vouloir éclairer la justice et l'aider à
atteindre la vérité.
-L'Inculpé Hassen Hammoudia a déclaré :Je détiens des preu-
ves irréfutables de mon innocence ; elles sont de nature à aider la
justice à faire ressortir la vérité, néanmoins ma privation de mes
avocats m'empêche de me défendre. J'ai communiqué à mes avo-
cats initiaux des déclarations pour consolider mon innocence.
Maintenant mon espoir reste à ce que vous me rendiez mes avocats
attendu que leur retrait ne signifie guère une renonciation de leur
part. Enfin, compte-tenu de l'inexistence de garanties suffisantes
de défense, il m'est pénible de ne pas pouvoir répondre à l'interro-
gatoire de la cour.
-L'inculpé suivant était Khéreddine Salhi qui déclare : "Je vou-
drais parler en présence de mes avocats pour me défendre des
lourdes accusations".
-Le Président : Vos avocats se sont désistés et le tribunal en
application de sa décision a désigné pour vous d'autres avocats.
- Khéreddine Salhi : J'ai selon la loi la possibilité de désigner
moi-même les avocats que je désire après le retrait des premiers.
-Le Président : Le tribunal sait ce qu'il fait. Allez-vous répon-
dre maintenant ?
- Khereddine Salhi: Je ne peux le faire sans mes avocats.

292
-L'inculpé suivant Ben Kaddour : Je suis innocent et je détiens
des preuves irréfutables pouvant confirmer mon innocence, seule-
ment j'ai une remarque à faire. J'aimerais contacter mes avocats
pour m'informer des aspects juridiques du dossier. J'avais attendu
impatiemment ce procès pour mettre au jour la vérité.
- Le Président : Le tribunal a désigné pour vous des avocats et
qui sont comme vous de Gafsa. Vous êtes donc soutenu et rien ne
vous empêche de répondre.
-Ben Kaddour : Ces avocats, je les connais, mais afin que mes
réponses puissent éclairer la vérité, je demande à avoir mes avo-
cats initiaux. Cela dit j'ai adressé une demande au juge d'instruc-
tion pour la participation des témoins.
-Le Président : Réponds aux accusations.
-Ben Kaddour : J'ai soulevé le problème des témoins et j'en
détiens des preuves irréfutables de mon travail syndical irrépro-
chable. Je demande à la cour de me confier le dossier pour que je
puisse l'examiner et le discuter avec mes avocats.
-L'Avocat Général : Pour qu'il ait des suggestions.
La défense et le bâtonnier Fathi Zouhir indignés, ont protesté
contre l'intervention de l'avocat général et ont demandé à la cour
de ne pas considérer ses propos.
-Le Président : S'adressant à Ben Kaddour lui dit : Allez-vous
répondre?
-Ben Kaddour: Après consultation de mes avocats.
- Abdelhamid Belaïd déclare en réponse au Président: Cela fait
8 mois que j'attends ce jour pour prouver mon innocence de ces
inculpations. Personnellement, il m'était possible, si je l'avais vou-
lu, de ne pas comparaître devant votre tribunal. En effet, le gou-
verneur de Gafsa Mokhtar Chouari et le' Ministre de l'agriculture
Hassen Belkhodj a m'avaient proposé de dénoncer l'U. G. T. T. Ma
présence ici s'explique par mon refus.
-Le Président: Vous ! vous avez décidé la grève.
- Belaïd : Oui.
-Le Président : Tu t'es rendu à Gafsa et Kasserine pour appeler
à la grève.
- Belaïd : Où sont les avocats que j'ai chargés de ma défense.
-Le Président: Le tribunal a désigné pour vous des avocats.
- Belaïd : Afin de prouver mon innocence, je vous demande la
présence de mes avocats initiaux.
-Le Président: Juridiquement, cela est impossible.
-Mustapha El Gharbi répondant à la question qui lui est posée :
"Je nie toutes les inculpations et me demandecomment l'avocat
qui était incapable de me défendre le jour du 28 Septembre est

293
aujourd'hui après sa désignation d'office en mesure d'assurer ma
défense. Je ne peux en dépit de mon respect à la cour répondre à
ces questions."
- Taïeb Baccouche déclare : Je nie toutes les accusations parce
qu'elles sont en contradiction avec tous les principes auxquels je
crois.
-Le Président : Toi ! Tu as décidé la grève générale.
- Baccouche : J'ai déjà répondu à la première partie des ques-
tions et voudrais me renseigner auprès de la cour sur mes avocats
car je me sens presque en isolement d'autant plus que ce que j'ai
lu dans certaines presses gouvernementales n'est pas clair et j'ai-
merais qu'on m'explique l'absence de mes avocats.
-Le Président : Tes avocats s'étant retirés', la cour a désigné
pour toi 3 avocats, ton silence n'aura donc pas de justification.
- Baccouche :Je ne refuse pas de répondre, néanmoins j'aime-
rais savoir la raison de ma privation de mes avocats.
- Le Président : En application de la décision du tribunal qui a
été prise après le retrait des avocats.
- Baccouche: Je m'étopne de cela. Suis-je incapable de désigner
moi-même mes avocats? Pourquoi ne fus-je pas informé? Suis-je
"Partie" dans cette affaire ou bien une machine ?
-Le Président : Vous êtes bien défendu.
- Baccouche: Je suis bien défendu et moi je n'ai pas encore exa-
miné le dossier.
-Le Président : Maître Jazi ne t'a-t' -il pas fourni les documents?
- Baccouche: L'acte d'accusation que j'ai écouté avec beaucoup
d'intérêt reste ma seule information. Je n'ai pas trouvé un mot de
vrai dans tout l'acte qui n'est du reste qu'invention, car construit
sur des rumeurs, en outre on m'a imputé une seule déclaration qui
est elle-même controversée.
-Le Président : As-tu décidé la grève ? T'es-tu rendu à Gafsa ?
- Baccouche : Je ne suis pas allé à Gafsa.
-Le Président : Es-tu bien Taïeb Baccouche ?
Celui-ci n'a pas répondu à la question.
-Le Président : Toi, tu t'es rendu à Kairouan !
- Baccouche : Ce n'est pas juste et je ne détiens pas de docu-
ments pouvant vous.prouver mes dires ; il me reste cependant une
dernière chose pour que je sois convaincu. Il est de mon droit de
savoir pourquoi vous avez désigné des avocats pour ma défense
sans pour autant les désigner pour me contacter.
-Le Président : Il vous est possible de les contacter par la suite.
- Baccouche : Après le verdict !
-Le Président: Peut-être demain.

294
Le Président appelle le détenu suivant Sadok Besbes et lui
demande: «Pourquoi as-tu commis ces crimes?»
- Besbes : Je refuse ces accusations et je les nie.
-Le Président : Tu refuses les accusations ou bien les réponses ?
- Besbes : Il m'est impossible de .répondre attendu que je me
trouve sans les avocats que j'ai constitués pour ma défense.
-Le Président : Maître Chtourou prendra ta défense.
- Besbes : Maître Chtourou m'a rendu visite seulement une fois.
C'était une visite de courtoisie; au cours de laquelle nous avons
évoqué des souvenirs de notre incarcération. En effet, je me
trouve ajourd'hui enfermé dans la même cellule que nous avons
occupé ensemble en 1952.
-Le Président : Et Maître Bennaceur.
- Besbes : Je le connais, il m'a conduit à la montagne auprès des
résistants armés. C'est une connaissance toute particulière.
-Le ]>résident : Cela ne nous regarde pas.
- Bèsbes: Je ne peux vous répondre.
Maître Chtourou intervient pour confirmer les déclarations de
Besbes.
Le détenu Mohamed Ezzedine déclare à la questio'n du Prési-
dent :«Je suis innocent deces accusations toutcommel'U.G.T.T.
En effet, ces crimes ~ont étrangers même à mon imagination et de
ce fait ne peuvent me passer par l'esprit. En outre, je me considère
sans défense étant donné l'absence de garanties réglementaires et
je ne peux de ce fait répondre dans ces conditions. Il est de mon
droit de choisir moi-même mes avocats conformément à l'article
141 du code de procédure pénale. Alors'pourquoi le tribunal le
fait-il à ma place ?».
-Le Président : Le tribunal vous a épargné ce dérangement.
-Mo ham éd Ezzeddine: Non Monsieur le Président, je voudrais
procéder par étape réglementaire et l'article 141 stipule que s'il
m'était impossible de choisir moi-même mes avocats je répondrais
à la décision du tribunal.
Le Président appelle le détenu suivant. C'était moi et me dit en
m'appelant par mon petit nom.
-Le Président : Habib
-Oui.
-Le Président : Ton état civil.
-Je décline mon état civil.
-Le Président : Es-tu de nationalité tunisienne ?
-Tunisien et demi.
-Le Président : Ta profession ?
-Secrétaire Général de l'U.G.T.T., membre de l'assemblée

295
nationale et Vice-Président de la C.I.S.L.
-Le Président lit d'abord les accusations et demande pourquoi
fais-tu celà ?
-Ou bien que celui qui m'a accusé ne me cannait pas ou bien il
est lui-même criminel.
- Le Président : Ce sont les accusations retenues par le juge
d'instruction.
-L'instruction n'est pas achevée et si elle l'était vous ne me trou-
veriez pas là devantvous.Je vous ai déjà dit à l'audience précédente
qu'il était possible au tribunal d'achever l'instruction. Le pays que
l'on m'accuse aujourd'hui d'avoir brûlé a profité de plus de la moi-
tié de mon sang qui a arrosé son sol en vue de sa libération.
-Le Président : Chaque circontance ayant ses raisons !
-D'ores et déjà je vous apprends que je ne répondrai pas aux
questions. Nous avons chez nous à Kerkennah un dicton qui dit "Il
me bat et se met à pleurer et me devance pour aller porter plainte".
De notre côté nous avons été malmenés et de surcroît on nous tra-
duits en justice. J'avais adressé au Président de la République une
lettre dans laquelle j'avais cité les noms de quelques vrais crimi-
nels. Bien plus je suis capable de faire ressortir par des preuves
irréfutables les vrais tueurs. Pour ce faire je demande l'achève-
ment de l'interrogatoire attendu que ce qui est arrivé, je le consi-
dère comme étant un complot ourdi contre ma personne pour
domestiquer l'U.G.T.T.
- Le Président : As-tu déclenché la grève générale ? Réponds
par oui ou par non.
-je ne réponds pas par oui ou par non et j'ai consenti pour ce
pays ma part de sacrifices tout comme Bourguiba.
-Le Président :Ne sors pas du sujet. L'affaire est liée à un dos-
sier.
-L'accusation est politique, elle repose sur des motifs politi-
ques. J'avais mille fois dit à Hédi Nouira que je ne veux pas le pou-
voir. Celui-ci m'ayant toujours demandé des syndicalistes en vue
de les nommer Ministres. Et le dernier qui a comparu devant vous
m'a été demandé par Nouira pour être nommé Ministre et j'ai
refusé pour la simple raison que nous ne voulons pas le pouvoir.
Cela dit la criminalité n'est pas dans ma nature.
-Le Président: T'es-tu livré aux actes qui te sont attribués.
-Vous n'avez pas le droit de me poser une pareille question. Pas
plus que vous n'avez le droit de m'interroger sur cette accusation.
-Le Président : Pourquoi à ton avis, il y a eu crime le jour du
26 Janvier?

296
-Je n'aborderai pas ce sujet pour deux raisons. D'abord parce
que l'interrogatoire n'est pas achevé. Ensuite parce que je ne vois
pas les avocats que j'ai désignés pour ma défense.
- Le Président : La défense est bien présente avec toi et de ce
côté là tu es soutenu.
-Je demande à entendre des témoins à savoir tous les membres
du bureau politique.
-Le Président : Qui sont-ils ?
-Ne les connaissez-vous pas ?
-Le Président : Non. ·
-Je pense que tous les Tunisiens les connaissent.
-Le Président : Donnez-nous leurs noms.
- Nouira- Sayeh -Tahar Belkhodja- Mohamed Mzali- Fitouri
- Tijani Makni- Mohamed Ghédira- Foued Mebazzaa- Sadok
Mokaddem- Abdallah Farhat- Ferj ani Bel Hadj Ammar- Slahed-
dine Bali.
-Le Président: Nous avons enregistré ta demande.
-Leur témoignage est nécessaire au tribunal, d'autant plus que
je vous parlerai de la conciliation scellée en présence du Président
Bourguiba et conclue dans le cadre du bureau politique. Et si je
citerais ces faits en leur absence, cela demanderait 2 journées de
travaux.
-Le Président : Chacune des parties ayant le droit de présenter
ses demandes, il revient à la cour de les examiner.
- Quand procèdera-t-elle à ces examens ? Il faut les assigner
séance tenante dans la salle.
-Le Président: La cour te demande de répondre.
- Je demande 1'assignation d'autres témoins à savoir : Abou
Iyad - Mhammed Sfar - Palomba - Rachid Chatti - Lakhdar Tlili -
Hammadi Lasram.
- Le Président : La cour a enregistré ta demande et a désigné
pour toi quatre des plus distingués des avocats.
-Je suis au courant de ce qui s'est passé.
-Le Président :Tu es libre d'émettre toutes les remarques que
tu veux.
-Suis-je réellement libre ?
-Le Président : Tu as demandé d'entendre les témoins et nous
avons enregistré cela.
- Les avocats m'avaient fait part de l'impossibilité de pouvoir
lire le dossier. Aussi m'avaient-ils dit qu'ils sont incapables de me
défendre normalement et vous Monsieur le Président vous avez
chargé un groupe d'avocats qui a également déclaré qu'il est inca-
pable d'assumer correctement la défense.

297
-Le Président : Le tribunal a désigné pour toi des avocats com-
pétents.
-Dieu vous bénisse ! Mais comment vont-ils prendre ma défen-
se ? Sont-ils devenus capables de le faire parce qu'ils sont désignés
d'office. D'autre part la loi stipule la consultation de l'accusé ;
pourquoi donc ne m'avez-vous pas consulté?
A cet instant Maître Hila intervient pour confirmer mes dires en
déclarant qu'il n'a pas jusqu'ici examiné le dossier.
-Je reprends la parole en disant : «J'avais souhaité poser une
question aùx avocats à savoir s'ils sont en mesure d'assurer notre
défense avec la conscience tranquille d'avoir rempli leur devoir
d'avocat. Mais voilà que Maître Hila a répondu à ma question.
Quant à moi j'ai toujours appris à me sacrifier et sila sanction rela-
tive à cette accusation correspond à un ou deux mois de prison, je
l'aurais acceptée. Mais à présent il en est tout autrement, car les
accusations relèvent de l'article 72 qui stipule la peine capitale et
la défense se trouve incapable d'assumer son devoir. Et vous mon-
sieur le Président vous avez accepté cette situation.
-Le Président : Nous avons enregistré tes dires.
· Le président lève la séance et renvoie l'audience à 4 jours plus
tard. La cour reprend ses travaux en donnant laparole aux avocats
et aux détenus syndicalistes.
-L'Avocat Général à demandé l'application de l'article 17 à
l'encontre de Maîtres Mohamed Bellalouna et Noureddine Bou-
dali, leur reprochant d'avoir tenu des propos inconvenants et par
la même a demandé de les punir conformément à l' articfe précité.
Je me suis alors adressé à la cour en lui fàisant cette remarque :
"Je n'ai pas d'avocats! Me coupez-vous la tête aussi simplement".
-Le Président : Tu as un avocat.
-L'avocat n'a pas pris ma défense et je l'ai refusé. Néanmoins
je voudrais m'occuper moi-même de ma défense. Je dirai tout ce
que je sais.
-Le Président : As-tu commis cés crimes oui ou non ?
-Monsieur le Président, vous m'avez désigné un avocat qui a
lui-même déclaré son incapacité de me défendre. De plus je vous
ai déclaré depuis le début du prQcès que l'instruction n'était pas
achevée. Y a-t-il du mal à cela? Je n'évoquerai ni ne dénigrerai
aucune personne. Ensuite mon innocence et celle de l'U.G.T.T.
dépendent des témoins que vous n'avez pas voulu convoquer.
-Le Président: Habib, dois-tu suivre le tribunal ou est-ce le tri-
bunal qui doit te suivre ?
-Mendès- France, lors d'un de mes procès durant l'occupation
coloniale au procès de Zaghouan a convoqué tous les témoins qu'il

298
a jugé utile dont le contrôleur civil, des gendarmes, le Président de
la Municipalité etc ...
Le Président s'adressant aux agents de police : "Faites-le sor-
tir", alors que je continuais à protester contre ces méthodes que les
colonialistes mêmes n'avaient pas utilisées.
A la question du Président, Abdelaziz Bouraoui répond: Vous
allez me juger sans qu'il me soit possible de me défendre alors que
l'article 141 me donne le droit de désigner un avocat pour ma
défense.
-Le Président : Le tribunal vous a permis cela.
- Khéreddine Salhi: Je ne jouis pas des garanties n~cessaires à ma
défense, même l'avocat qui m'était désigné par le tribunal est parti
en pélerinage. Ce jugement n'est pas loyal et je suis innocent de
toutes les accusations.
- Hassen Hammoudia : En insistant sur mon innocence et celle
de l'U.G.T.T., je voudrais faire quelques remarques:
1) L'interrogatoire n'a pas été achevé.
2) Les témoins n'ont pas été entendus et là je cite un exemple
dont le témoignage de Gabès qui compte un minimum de 30 per-
sonnes, une seule fut entendue encore que l'accusation m'avait été
adressée alors que j'étais à 280 km du lieu des événements. Enfin,
je dis que ces accusations sont fondées sur des présomptions et
l'examen du dossier que je n'ai pas encore vu demande un travail
intense. '
- Sadok Bé&bès : Je considère l'interrogatoire inachevé. J'avais
demandé à entendre des témoins de Béja et du Kef pour montrer
la méthode que nous avons suivie pour l'appel à la grève. De plus
l'U.G.T.T. est innocente de ces accusations et je considère égale-
ment que ce qui se passe est un complot ourdi contre l'U. G. T. T ..
- Taïeb Baccouche : Il apparaît dans ce jugement des lacunes
accablantes tant en ce qui concerne les témoins et les confronta-
tions qu'en ce qui concerne l'examen du dossier et la défense.
Enfin je termine ma remarque en m'exprimant du plus profond de
moi-même que ce procès demeurera une marque de déshonneur
inscrite sur le front de la magistrature et du peuple tunisien et que
l'histoire retiendra.
- Mohamed Ezzeddine : Il est apparu aujourd'hui à nos yeux
que la défense est incapable de jouer son rôle. Ajouter à cela que
tout ce dont on m'accuse est fondé sur des suppositions. Je termine
en disant que tout comme moi l'U.G.T.T. est innocente.
-Ben Kaddour: Il existe une nouvelle accusation que l'avocat
général m'a attribuée. J'aimerais porter un commentaire à ce sujet.
"Il dit sur mon compte ... Nous aimerons une grève d'hommes et

299
non une grève de faiblards". Mais d'où a-t-il pris cela, surtout que
lui n'aime pas les suggestions ! Je voudrais également dire que je
ne bénéficie pas des garanties de la défense, et en tant que syndica-
liste, enseignant et véritable nationaliste, j'estime avoir assumé
mon devoir envers les travailleurs et envers tout le peuple et pour
le bien de toute l'humanité.
-Mustapha El Gharbi : J'avais expliqué à la cour que je ne pou-
vais pas me défendre en l'absence de mes avocats initiaux. Pour
ces raisons je m'en remets à votre tribunal.
- Sadok Allouche: Je ne pensais pas comparaître devant la cour
de sûreté de l'Etat, j'estime avoir assumé mon devoir à l'U. G. T. T.
qui consiste à faire appliquer les plans et directives du gouverne-
ment. Quant à l'accusation dont je suis l'objet, elle consiste à mon
approbation de la grève décidée par la C.A .. Je crois que la C.A.
est formée de plus de 80 personnes, où sont donc les autres ?
Ensuite Monsieur l'Avocat Général me reproche cette approba-
tion de la motion et ma présence à l'hôtel Amilcar.
- Abdelhamid Belaïd : Moi je suis rentré en prison de mon pro-
pre gré et avec tout mon regret j'avais pensé démontrer mon inno-
cence et aussi l'innocence de l'U.G.T.T., mais le tribunal m'a
privé de cela.
- Abderrazak Ghorbel : J'aimerais dire que l'accusation relative
à l'article 72 m'avait rejoint en prison car je suis incarcéré depuis
le 24 Janvier. Maintenant on me juge à cause d'un papier que j'ai
lu dans une réunion privée à l'U.G.T.T .. Ce papier comporte des
propositions et non des décisions. Cela dit, et dans le comité cen-
tral du parti qui est la plus haute instance après le congrès, on tient
des propos bien plus violents que ce qu'il y a dans mon papier.
Enfin je déclare que Abderrazek Ghorbel, l'U.G.T.T. et les
cadres syndicaux de Sfax sont innocents des accusations dont ils
sont l'objet.
- Salah Brour: Dès la première audience, j'avais dit qu'il existe
des témoignages devant être lus par la cour. Je voudrais d'autre
part attirer l'attention sur le fait que mon interrogatoire s'était
déroulé sous la torture intense, même la bague que je porte au
doigt s'est brisée. Il faut informer l'opinion publique sur la réalité
de la torture. Avant le commencement du procès, j'avais pensé
qu'il y avait quelque chose contre Salah Brour etj 'imaginais que le ..
jugement sera public. Seulement maintenant mon frère a été mis
en prison pour la durée d'une année et ce pour la seule raison qu'il
est venu assister à ce procés. Même ma femme a été menacée par
l'avocat général de 6 mois de prison. Enfin je dirai que ces accusa-
tions sont inventées de toutes pièces à seule fin d'anéantir

300
l'U.G.T.T. et par suite la démocratie.
- Aberrazek Ayoub s'adressant au juge :
Vous avez dit lors de la première audiencè que nous allons nous
entraider pour arriver au dénouement de cette affaire. Malheu-
reusement rien n'est arrivé de cela. Dieu sait ce qu'on a pu faire
comme sacrifices pour ce régime. L'interrogatoire s'est passé sous
la torture et la menace de mort. J'étais alité pendant 19 jours à la
D.S.T. sans aucun secours. Nous ne sommes pas intéressés par le
pouvoir, pas plus que nous ne travaillons pour les intérêts person-
nels. Voilà vingt et un ans que j'assume une responsabilité syndi-
cale et je ne posséde même pas un mètre de terrain.
- Noureddine Bahri : Il n'existe aucune connexité entre moi et
les événements du 26 Janvier et je ne sais d'ailleurs pas pourquoi
je me trouve là.
- Mohamed Berhouma : Moi je n'ai commis aucun crime.
- Mohamed Salah Kheriji: j'ai quelques remarques à faire:
1) Je n'ai pas refusé de répondre mais j'ai demandé d'être
entouré de garanties, afin de pouvoir me défendre.
2) Mon frère se trouve en prison parce qu'il est venu assister à ce
procès, il est à noter que la police a arrêté d'abord ma soeur et ma
belle-soeur qu'elle a libérées pour garder mon frère.
-Le Président : Tu sors du sujet.
-El Kheriji reprend : J'espère que l'affaire de l'U.G.T.T. ne
sera pas comparable à l'affaire Dreyfus dont le dossier a été réou-
vert après qu'il eût été fermé. J'espère également que notre juge-
ment ne sera pas co~me celui de Dreyfus.
- Ahmed Kahlaoui : Monsieur le Président, celà fait 20 heures
que je vousécoute.J'espère que vous m'écouterez 5 minutes seule-
ment. Au début du procès nous n'étions pas tranquilles. Seule·
ment à peine nous avons écouté votre mot d'introduction que nous
nous sommes dits "La porte du paradis est ouverte".
C'est regrettable, nous à l'U.G.T.T. nou~ œuvrons en vue d'une
répartition équitable des biens, pour la libe.t:,té et la démocratie.
Cela bien entendu ne peut être accompli que si on respe~te l'indé-
pendance de l'U.G.T.T. et aussi si l'on respecte ses principes.
-Le Président s'adressant à Kahlaoui lui dit : "C'est toi qui es
accusé et non l'U.G.T.T."
- Kahlaoui : Si je n'étais pas responsable syndical, je ne serais
pas là. Je représente maintenant 3.000 professeurs de l'enseigne-
ment professionnel et technique.
-Allal a El Amri : Le nombre de ceux qui ont approuvé la grève
générale dépasse les 80personnes et quand j'ai posé la question au
juge d'instruction : Où sont-ils ces gens là ? Il m'avait répondu

301
qu'ils avaient présenté des télégrammes de dénonciation. Je lui ai
répondu aussi : Comment l'individu peut-il dénoncer ses propres
décisions ? Nous sommes innoèents de toutes les accusations et le
travail syndical est noble.
- Saïd Haddad: J'ai 5 avocats et le tribunal dans sa désignation
d'office n'a choisi aucun d'eux pour ma défense, alors que ceux-là
détiennent la preuve de mon innocence. Mon arrestation a été
opérée le 30 Janvier après que mon domicile fut attaqué en plein
jour par la milice au nombre de 25 personnes et sans l'intervention
de mes voisins le pire serait arrivé. J'ai demandé la police pour
venir à mon secours et voilà qu'elle m'a mis en prison.
- Abdesselem Djérad: Je voudrais faire remarquer que je fus
torturé à tel point que j'ai perdu connaissance des dizaines de fois.
Je fus suspendu entre deux tables et brutalement frappé jusqu'à
mon évanouissement.
- Néji Chaari: Je ne peux réaliser ma présence ici devant le tri-
bunal. J'insiste sur mon innocence et celle de l'U.G.T.T. A pré-
sent j'ai une incapacité de la jambe et aussi de l'oreille. C'est le
résultat des tortures que j'ai subies durant l'interrogatoire. Un
dossier médical en possession de l'administration pénitentiaire
peut en témoigner.
-MohamedDami: Je suis accusé d'attenter au régime à l'âge de
54 ans. J'ai milité avec ma famille pour l'indépendance de ce pays.
- Ismaïl Sahbani : Permettez-moi de m'exprimer monsieur le
Président. Cela fait 8 mois que j'attends ce jour ; même l'avocat
que vous m'avez désigné est nouveau et de ce fait ne connait pas le
dossier. J'ai assumé ma responsabilité au sein de l'U.G.T.T.
durant 8 mois et voilà que je passe en prison un temps plus impor-
tant. Jusqu'à présent j'ignore pourquoi je suis incarcéré. Je vous
demande d'assigner le P.D.G. de la Société où je travaille, il vous
éclairera sur ces boules de fer. L'affaire n'est pas simple, en effet
.la fabrication de ces boules exige le passage par 3 services ; d'autre
part le premier interrogatoire s'est déroulé sous la torture. J'ai été
près de 2 mois, soumis à la torture. On me suspend et on me dicte
ce qu'on désire. Je déclare également qu'on a utilisé le "courant"
(électrique) pour ma torture. Oui le "courant" !
Enfin ces boules dé.fer n'ont pas été à l'U.G.T.T. mais à l'usine
même qui les fabrique.
- Mohamed Chakroun : Je fus torturé dans les locaux de la
D.S.T. Ensuite on m'a transféré à la prison pour me ramener quel-
ques temps après à la D.S.T. Même le médecin de la prison a
déclaré que ma santé est très critique et que je ne pouvais pas vivre
isolé. Enfin ces boules de fer n'appartiennent pas à l'U.G.T.T.

302
- Azzouz Dhaouadi : Je considère que je suis' innocent et je
laisse l'appréciation au tribunal.
- Messaoud Klila: Monsieur le Président. La police m'a arraché
les dents. Je suis innocent et l'U.G.T.T. est innocente.
- Saïd Gagui. Absent, est alité à l'hôpital de l'Ariana.
- Béchir Mabrouk : Ces crimes sont à l'antipode des syndicalis-
tes et je ne peux les imaginer.
- Mohamed Chelly : Il est impossible que les syndicalistes se
livrent à de tels crimes. Nous avons pris position en faveur du gou-
vernement en 1971 alors qu'il était dans l'isolement. Je fus de nou-
veau introduit dans la salle et questionné par le Président sur les
accusations. J'ai déclaré que l'U.G.T.T. ne compte pas de crimi-
nels dans· ses rangs et tous ceux qui sont devant vous sont inno-
cents.
Le cour s'est retirée pour revenir après de longues heures d'at-
tente pour rendre le verdict. Les accusations retenues contre cha-
cun de nous étaient celles figurant au livre bleu édité par le Parti.
A ce moment même où j'entendais ces inculpations monstrueuses
je ni 'imaginais ce que les hommes politiques avec lesquels j'ai vécu
de très nombreuses années peuvent fomenter comme combines
pour envoyer des innocents à la potence et le Président, en récitant
le verdict sur un ton qui me semblait moqueur mêlé de joie, per-
sonnifiait à mes yeux le diable.

LE VERDICT:
-Habib Achour et Abderrazek GhorbellO ans de travaux forcés
- Khéreddine Salhi, Hassen Hammoudia, Sadok Besbes: 8 ans de
travaux forcés.
- Ben Kaddour, Mustapha El Gharbi, Taïeb Baccouche, Salah
Brour : 6 ans de travaux forcés.
- Mohamed Ezzeddine, Abdelhamid Belaïd, Ismaïl Sahbani,
Mohamed Chakroun, Mohamed Naji Chaari, Abderrazek
Ayoub : 5 ans de travaux forcés.
- Abdelaziz Bouraoui, Abdesselem Djérad, Saïd Gagui, Saïd
Haddad, Allala Amri, Noureddine El Bahri, Ahmed Kahlaoui,
Mohamed Salah El Kheriji, Mohamed Dami : 6 mois de prison
avec sursis.
- Sadok ABouche, Messaoud Klila, Béchir Mabrouk, Mohamed
Chelly, Hassen Ben Rhouma, Azouz Dhaouadi : acquittement.
Pendant que le Président de la cour annonçait les jugements on
entendait dans la salle diverses réactions, des protestations, des
sanglots, des cris de douleurs etc ... A peine, le Président a-t-il fini
qu'un brouhaha envahit la salle, c'est un vif accrochage entre les

303
policiers et les membres de nos familles qui voulaient s'approcher
de nous, mais nous étions entourés de deux rangées de policiers.
La salle fut vite évacuée et nous étions aussi vite embarqués et
ramenés en prison dont "le chef' a eu la gentillesse de nous laisser
rencontrer les camarades libérés. J'ai recommandé particulière-
ment à Bouraoui que j'ai contacté d'agir à l'assemblée nationale
de par sa qualité de Député.
Il y avait déjà à l'assemblée le camarade Khélifa Abid membre
de l'exécutif de l'U.G.T.T qui était malade et hospitalisé le26Jan-
vier 1978 et dont les interventions à l'assemblée étaient pertinen-
tes et courageuses. Malheureusement Bouraoui, non seulement
n'a pas aidé Khélifa Ab id à l'Assemblée Nationale, mais 1' a poussé
à cesser ses interventions contre ceux, nombreux à l'assemblée
nationale, qui ne ratent aucune occasion pour présenter les syndi-
calistes du 26 Janvier 1978 comme étant des criminels. J'ai envoyé
plusieurs lettres de prison, pour avoir des explications de Bou-
raoui sur son attitude, mais je n'ai jamais eu de réponse écrite et
s'il répond verbalement c'était pour dire : "C'est une tactique".

304
Au Bagne du Nador

En prison, la vie est monotone. Nous étions rassemblés en trois


groupes, avec la même cour et les chambres restaient ouvertes
durant toute la journée, ce qui fait que nous vivions presque tous
ensemble en bonne harmonie. On avait deux jours par semaine de
parloir avec une visite le matin et une autre l'après-midi. Ce qui
fait que nous étions bien renseignés sur la situation de l'U.G.T.T.
et aus·si sur les interventions en notre faveur du monde syndical
extérieur et aussi de la ligue internationale des droits de l'homme
ainsi que sur les motions votées par les partis sociaùstes dans divers
pays.
Un jour, un gardien m'a déclaré très discrètement que l'équipe
de maçons et de ferrailleurs qui ont couvert la cour de grosses pou-
tres en fer traversées par du fer rond de gros diamètre sont partis
pour Bizerte pour faire le même travail qu'ici, et je crois que c'est
en vue de vous transférer au bagne du Nador. Je l'ai dit aux cama-
rades dont quelques uns ont été très inquiets. On s'est même orga-
nisé et nous avons préparé ce qu'il faut pour ne pas souffrir de
modification dans notre vie dans le cas d'un transfert à l'impro-
viste. J'ai chargé mes fils de mettre un petit camion à la disposition
des familles chaque jour pour collecter les paniers et les ramener
à Bizerte. Après plus de deux mois, il n'y a rien eu, on commençait
à croire qu'il n'y a rien de cette question de notre transfert au sinis-
tre bagne du Nador.
Quelques jours après plus précisément le 11 décembre à 2 heu-
res de l'après-midi, un gardien est venu dire : "Habib Achour et
Abderrazek Ghorbel sont convoqués par le Directeur et tout de
suite". Ghorbel a été se changer- moi j'ai dit :Je suis prêt. Taïeb
Baccouche et d'autres camarades ont insisté pour que j'aille me
changer - C'est sûrement un entretien avec Nouira à la Présidence.
Détrompez-vous leur dis-je ça ne peut être que notre transfert
pour Bizerte.

305
Le gardien, au lieu de nous amener au bureau du Directeur,
nous conduit au couloir de sortie et nous confie à 6 inspecteurs de
police qui nous ont immédiatement embarqués dans une voiture
cellulaire escortée par deux autres voitures l'une devant, l'autre
derrière.
En cours de route, il y a eu tellement de détours que nous ne
savions pas où on rious amenait surtout qu'il était impossible de
voir l'extérieur car la voiture cellulaire était hermétiquement clo-
se, comme je n'en ai jamais vu.
Après environ deux heures de route, la voiture s'arrête. J'en-
tends une sonnerie, puis le grincement d'une grande porte qui
s'ouvre et notre voiture cellulaire démarre de nouveau pour s'ar-
rêter quelques mètres plus loin. On nous fait descendre. Il y avait
des gardiens et des policiers en grand nombre dont je connais quel-
ques uns. Je leur ai demandé: "Où sommes-nous ?"-L'un d'eux me
répond à voix basse presque gêné: "C'est le Nador". Ah oui
repris-je. C'est le bagne du Nador ! Le chef de la prison, un bon-
homme grand et gros d'une cinquantaine d'années s'approche de
nous en compagnie de trois gardiens et nous conduit à notre cellule
qui donne sur une cour de 4 mètres sur 3 entourée cie murs très
hauts et plafonnée par des poutres traversées par des pièces de fer
rond de gros diamètre.
La cellule de 3 mètres sur 3 creusée dans la montagne avait les
murs ruisselants. Etait-ce de l'eau, de l'humidité ? Que sais-je ?
Deux lits étaient placés l'un à côté de l'autre avec un matelas déla-
bré et des co-uvertures des services pénitenciers qui semblaient en
bon état. Le chef de prison m'a appelé dans la cour et à voix basse
m'a déclaré : Comme vous le savez, cette prison est réservée à
ceux des prisonniers qui ont un mauvais comportement ailleurs,
on les fait venir ici pour les dresser, mais ce n'est pas le cas pour
vous. Je suis vieux destourien, je vous connais très bien et je consi-
dère que dans ce domaine vous êtes encore mon chef. Je ferai tout
pour alléger votre séjour ici. Un infirmier et moi-même sommes à
votre disposition, vous pouvez ainsi nous appeler à toute heure du
jour et de la nuit. Pour cela, il vous suffit d'appuyer sur ce bouton
qui actionne une sonnerie chez le gardien de permanence qui est
autorisé à nous contacter à toute heure.
Et nos effets lui dis-je ?
Ils ne tarderont pas à arriver répondit le chef.
C'était l'hiver, la chambre était un véritable "frigo" et ce que je
craignais le plus, c'était l'humidité, surtout que je souffre d'un rhu-
matisme chronique.

306
On n'avait pas fini de discuter, que déjà nos effets laissés à la pri-
son de Tunis étaient arrivés. Il y avait de quoi garnir cette chambre
et surtout de quoi nous protéger du froid et de l'humidité, une
chaufferette électrique assez puissante et un réchaud électrique
qui permet de chauffer l'eau et de préparer le thé, le café et aussi
cha affer les repas que nous recevions de nos familles.
Dans la chambre, il n'y avait pas l'installation électrique néces-
saire pour faire fonctionner l'appareil de chauffage, mais le direc-
teur m'a promis que le lendemain, à l'ouverture de la "centrale",
on commencera l'exécution de ces travaux.
Malgré ce changement, avec une différence énorme entre la cel-
lule sombre et humide d'ici et la grande chambre de 18 mètres de
long sur 5 de large avec 4 grandes fenêtres donnant sur la cour et
plusieurs autres ouvertures du côté opposé de la prison de Tunis,
nous nous sommes couchés tard, mais nous avons bien dormi.
C'est le cliquetis des clés à l'ouverture de la porte extérieure qui
nous a réveillé. C'était le Directeur lui-même qui était arrivé
accompagné d'un gardien et d'une équipe d'électriciens tous pri-
sonniers.
J'ai demandé au directeur si nous pouvons utiliser les couvertu-
res de la prison pour couvrir les murs afin de ne pas souffrir de l'hu-
midité. D'ailleurs la çellule avait à peine un mètre, 90 cm de hau-
teur ce qui fait que la couverture allait tout juste pour couvrir le
mur jusqu'au plafond. Le directeur m'a répondu que ces couvertu-
res sont à nous et qu'il ne voit pas d'inconvénient à cela. Il a chargé
de ce fait le gardien de répondre à nos revendications et de passer
à la réalisation.
Le mur couvert par ces couvertures et le chauffage aidant, la
température à l'intérieur de la cellule devenait assez agréable.
Mais la couleur grise des couvertures, semblable à la couleur du
ciment donne un cachet triste. Au premier parloir avec ma famille,
je leur ai demandé de nous acheter du tissu de couleur verte pour
couvrir les couvertures et le gardien aidant nous avons pu transfor-
mer cette cellule, naguère si triste, en un coin gai et vivable.
Nous avons même fait venir deux grands drapeaux dont l'un est
tunisien et l'autre portantl'embleme de l'U.G.T.T. Il y avait d'au-
tre part une cour de 4 mètres sur 4 environ où la marche si indis-
pensable est impossible. A tourner pendant plus d'une demi-heure
dans ce petit carré on attrape le vertige. Dès le premier jour nous
avons demandé à aller ailleurs où parait-il, il y a même un terrain
de sport.
Quelques temps après, nous avons appris par des prisonniers
que des travaux sont en cours et qui consistent à couvrir comme à

307
la prison de Tunis une grande cour par des poutres et du fer rond
de gros diamètre.
Un jour, pendant que nous étions dans le petit carré, on enten-
dit des coups de pioche sur le mur du côté nord. L'ouverture était
faite et le gardien qui n'a jamais voulu rien dire nous apprend que
le nouveau espace est à nous et qu'on peut y aller. La cour est lon-
gue de plus de 20 mètres sur 8 de large, quant à la hauteur, elle ne
doit pas dépasser les 2 mètres, donnant ainsi l'aspect d'une grande
cage de bête sauvage. Nous avons pu constater qu'il y avait sur le
toit de notre cellule et le long de la cour deux gardiens mitraillette
au poing et d'une façon permanente. Enfin, on respire et on fait le
maximum de marche et de mouvement, notre santé s'en est res-
sentie et on dort mieux.
On commence par nous familiariser avec les gardiens qui sont :
1) De vrais gardiens compréhensifs et raisonnables.
2) Des inspecteurs de la sûreté de l'Etat en uniforme de gardiens
de prison- ceux-là sont inabordables.
3) Les agents du parti -la milice- eux aussi en uniforme sont pro-
vocateurs et impolis. Les gardiens s'en méfient.
Au parloir, deux jours par semaine, un gardien chef vient s'in-
terposer entre moi et les membres de ma famille sur le même
banc ; il m'a fallu protester pour qu'il se place à l'extrémité du
banc, exigeant de nous de parler fort ; mais nous avons continué à
parler à voix basse avec ma femme et mon fils à mes côtés. J'ai
appris par la suite par le spécialiste qui a fait l'installation que des
écoutes sont installées dans la salle du parloir, il m'a même indiqué
leur emplacement. Aussi avant chacune de mes visites, un inspec-
teur de la police de Bizerte arrive en prison et branche son appareil
d'enregistrement dans un bureau contigu à la salle du parloir.
Les effets et la nourriture que m'apporte ma famille sont fouillés
minutieusement par ce gardien chef et lorsqu'il y a un thermos de
boisson chaude, ille vide dans une gamelle souvent sale. Ce qui me
pousse à rèfuser cette boisson, mais cela le laisse indifférent.
Quant au thermos, ille dévisse pour voir ce qu'il y a dedans et sou-
vent, ille remonte mal et provoque plus d'une fois la cassure de, la
bouteille en verre. Lorsqu'il s'agit d'un plat de couscous ou de riz,
il est remué dans tous les sens à l'aide d'une grande cuillère en bois
noircie par le temps et les différents produits où elle a trempé.
Ce travail, ille fait devant moi et ma famille qui proteste contre
ce comportement humiliant, mais le monsieur semble éprouver un
réel plaisir à nous taquiner. Je dis à ma,famille en faisant semblant
de ne pas m'en faire : C'est son travail. N'y attachez aucune
importance, cela le rend intéressant et il ira de l'avant.

308
A chaque parloir c'est le plaisir pour moi de voir ma famille,
d'avoir le maximum de renseignements sur l'U.G.T.T, les amis,
nos c·amarades à l'étranger, les interventions en notre faveur etc ...
Quant à ma femme et mes enfants, ils sont contents de me voir
en bonne santé avec un bon moral et très optimiste, mais ils ren-
trent toujours inquiets du côté du gardien chef. Malgré la sévérité
de cet agent, ma famille et moi-même avons toujours passé les
messages écrits que nous avons voulu transmettre. C'est aux
embrassades de la rencontre ou au départ que les messages sont
placés dans les poches des vestes alors qu'un membre ou deux de
ma famille se placent de telle sorte à fermer la vue au gardien et
surtout que cette opération ne dure que quelques fractions de
seconde. Nous étions ainsi.bien renseignés sur tout ce qui est sus-
ceptible de nous intéresser . Nous recevions même des lettres de
Salah Brour, membre de la C.A. de l'U.G.T.T. et mon secrétaire
particulier qui a été le plus résistant et le plus audacieux des cama-
rades ayant subi des tortures à la police et pourtant, on n'a pas
réussi malgré les plus grands moyens de torture dont il a été l'objet
à lui extorquer de faux aveux.
Combien j'ai été content et touché d'apprendre qu'au moment
où on allait nous conduire au bagne du "Nador", certains et
notamment Brour avaient exigé lors d'une discussion à ce sujet
avec les autres syndicalistes incarcérés à la prison de Tunis soit de
demander mon retour et celui de Ghorbel et d'appuyer alors cette
revendication par une grève de la faim illimitée soit de demander
de nous rejoindre au Nador.
La discussion a duré près de trois heures pour aboutir à un
désaccord qui a failli mener aux coups. On a entendu dire Sadok
Bésbès : "Je ne suis pas disposé à aller au "Nador".
D'autres camarades l'ont suivi dans sa position et ce sont : Taïeb
Baccouche - Khéreddine Salhi - Mustapha El Gharbi - Abdelha-
mid Belaïd- Abderrazek Ayoub- Houcine Ben Kaddour- Naji
Chaari. Quant aux partisans de la grève de la faim et de notre ras-
semblement au Nador c'étaient : Salah Brour- Hassen Hammou-
dia - Mohamed Ezzeddine - Sahbani et Chakroun. Depuis cette
date les camarades en prison à Tunis ont perdu tout esprit de fra-
ternité et de solidarité. La direction de la prison a eu vent de cette
situation et s'est mise aussitôt par ses nombreux moyens à amplifier•
le différend, à commencer par user de représailles contre les durs.
Je leur écrivais pour leur dire sans faire allusion à leur différend
que notre moral au "Nador" est très bon, que notre santé s'amé-
liore depuis que la sortie se passe dans une cage bien plus grande
que la première, ayant presque les dimensions de la cage de Tunis.

309
D'ailleurs, j'ai écrit une lettre qui était destinée aussi bien à ma
famille qu'a4x syndicalistes, elle s'intitulait "De cage en cage" ;
elle a été publiée dans des journaux tunisiens et également suisses
et français :
Salutations dans les prisons.
De cage en cage.
J'ai été arrêté le 28 Janvier 1978 vers 21h30 à mon domicile après
une perquisition très minutieuse et conduit dans les locaux de la
police (D.S.T.). Un bureau de 3,5 mètres sur 3 près de celui du
commissaire divisionnaire a été aménagé pour mon séjour.
Une fenêtre dont les volets et persiennes ont été durant mon
séjour constamment fermés, renforcés par des barres de fer plat
très épais avec à l'extérieur des cadenas très solides. Une lumière
très vive est allumée jour et nuit,
Malgré la proximité du bureau du commissaire divisionnaire et de
ses services, j'étais constamment gardé par deux inspecteurs dont
la relève se faisait toutes les six heures, ces inspecteurs étaient pla-
cés l'un au pied du lit, à l'intérieur de la chambre, l'autre assis sur
une chaise devant la porte d'entrée.
L'enquête terminée, il m'a fallu attendre assez longtemps ma
comparution devant le juge d'instruction et chaque jour on me
disait : "Ce sera peut-être demain".
Enfin, ce jour arrive et j'ai été écroué à la prison civile de Tunis.
J'étais mis au secret, tnais quel a été mon étonnement, quand les
gardiens ont ouvert un matin la porte pour la sortie dans la cour,
cette cour que j'ai connue durant la lutte pour la libération et où il
y avait alors un gros palmier et un neflier.
Ces deux arbres n'existent plus et la cour à quelques mètres de
haut était traversée par de grosses poutres percées et traversées
par du fer rond de gros diamètre.
Les camarades qui étaient tenus là, au secret également,
savaient pertinemment qu'on préparait ça pour moi et que letra-
vail se faisait jour et nuit.
Après le jugement dont l'absurdité et le but inavoué ont éclatés
aux yeux de tout le monde, on s'attendait à une reprise de cons-
cience, mais voilà de nouveau le durcissement.· ·
Nous avons appris à la prison de Tunis ,que l'équipe qui a fait de
la cour devant nos cellules à Tunis un~ cage est partie pour le
bagne du "Nador". Nous étions inquiets et on attendait, mais à la
suite de l'intervention de Meany Président des syndicats Améri-
cains A.F.L. - C.I.O., de Blanchard, Directeur Général du
B.I.T., de la C.I.S.L. et d'autres organisations syndicales nationa-
les et internationales, nous avons commencé à croire à la libéra-

310
tion et voilà que le 11 Décembre vers 15h30, on m'appelle avec le
camarade Ghorbel au bureau du Directeur, les camarades nous
disaient : - Revenez avec une bonne nouvelle, mais notre surprise
a été grande quand on nous a emmenés directement dans une voi-
ture cellulaire escortée par de nombreuses voitures de police et
nous avons compris alors que c'était pour le bagne. La cellule
froide laissait ruisseler l'humidité, le soleil n'y pénétrait jamais.
De la cellule, une petite cour de 6m x 4m dont les murs sont très
hauts et malgré cette hauteur, ils l'ont plafonnée et renforcée de
poutres et de grosses barres de fer rond, transformant cette cou-
rette en une petite cage, qui elle aussi ne reçoit pas le soleil.
A la suite de nos nombreuses plaintes, on nous a promis de faire
quelque chose et voilà qu'on nous a ouvert un passage qui mène à
une autre cour plus grande qui, il est vrai, reçoit un peu de soleil
mais ce qui est très mauvais et même déprimant; c'est qu'on a l'im-
pression qu'on est dans une véritable cage du fait du niveau très
bas où se trouvent les poutres percées et traversées de fer rond de
gros diamètre qui forment le plafond.
Nous avons toujours cru en l'indépendance du mouvement syn-
dical. La position que nous avons prise au congrès des syndicats
Africains réunis à Addis Abéba sous le patronage de l'O.U.A. en
témoigne. Le camarade Kersten, Secrétaire Général de la
C.I.S.L. a pu voir de ses propres yeux en Tunisie quelques formes
de lutte que nous menions pour l'indépendance de notre mouve-
ment syndical.
N'ayant pas réussi à nous abattre par tous les moyens diaboli-
ques qui ont été utilisés contre nous et qui ont suscité l'indignation
du monde libre, ils veulent aujourd'hui dans les prisons, en cons-
truisant spécialement pour nous des cages et rien que pour les res-
ponsables syndicalistes atteindre notre moral. Nous répondons à
ces messieurs que notre mouvement syndical est plus uni que
jamais et notre moral est inébranlable.

Habib Achour
Le 4 Janvier 1979
Bagne du Nador.

311
Le mouvement de solidarité
Durant toute la période de notre emprisonnement, le soutien
moral et matériel, tant à l'intérieur du pays que de l'extérieur allait
en s'amplifiant ; c'est ainsi que les partis socialistes et organisa-
tions progressistes des pays du bassin méditerranéen, réunis à
Athènes du 15 au 18 Mai 1979 ont signé une pétition sur la situa-
tion syndicale en Tunisie. En voici le texte :
Les participants à la troisième conférence des organisations et
partis socialistes et progressistes du bassin méditerranéen soussi-
gnés profitent de l'occasion offerte par cette grande manifestation
pour exprimer leur profonde inquiétude au sujet de l'état des syn-
dicalistes tunisiens emprisonnés depuis 16 mois, dont l'arrestation
fait suite à la grève générale du 26 Janvier 1978 et aux mesures
répressives qui l'ont suivie .
Cette opération répressive a privé les structures légitimes de
1'U. G. T. T. de leur direction légitime dont la plupart des membres
ont été sévérement condamnés lors du procès du 15 octobre 1978.
Les participants profitent aussi de cette occasion pour souligner la
résistance des structures syndicales de l'U.G.T.T. qui font face à
la répression et à l'intimidation avec un sens aigu des responsabili-
tés. Les participants à la 3ème Conférence appuient la juste
demande des forces démocratiques, nationales et socialistes pour
la libération de tous les prisonniers politiques et syndicalistes et le
retour de ceux qui sont en dehors de leur patrie.
Ils affirment que l'application et le respect des libertés démocra-
tiques en Tunisie constituent la base de toute lutte populaire en
faveur des peuples du bassin méditerranéen et contre l'impéria-
lisme, le sionisme et le néo-colonialisme.
Parmi les signataires il y avait :
Parti Socialiste de Grèce, Conseil Portugais de la paix, Parti Socia-
liste Espagnol, Organisation des Chrétiens démocrates du Liban,
Parti Socialiste du Liban, F.P.L.P. (Palestine), F.D.P.L.P. (Pa-

' 312
lestine), Rassemblement nationaliste et progressiste d'Egypte,
Parti socialiste Italien, Parti communiste Italien, U.N.F.P. (Ma-
roc), U.S.F.P. (Maroc), Union Générale des étudiants de Palesti-
ne, Parti du Progrès et du socialisme (Maroc), P.S.U. (France),
Parti socialiste (France), P.C.F. (France), Parti socialiste Chy-
priote, Parti communiste Chypriote, Parti communiste Grec,
tTnion des femmes de Grèce, Congrès général du Peuple Libyen,
P'lrti Baath (Irak).

-Conférence Internationale du Travail (65ème session 1979)


Plainte syndicale contre la Tunisie

La 65ème session de l'O.I.T. a connu une grande activité lors de


la discussion de la plainte déposée par la délégation des travail-
leurs algériens contre la Tunisie. Le camarade Hassen Nouri entre
autres a remis à toutes les délégations une note de protestation exi-
geant la libération de tous les détenus.
Un membre du syndicat de l'enseignement supérieur en Tunisie
a remis aux délégations, un dossier sur l'arrestation des syndicalis-
tes et la répression gui s'est abattue sur les travailleurs.
La Conférence générale de l'Organisation Internationale du
Travail : Exprimant sa profonde inquiétude devant la grave situa-
tion qui prévaut en Tunisie après que la grève du 26 Janvier 1978
eût donné lieu à l'arrestation des principaux responsables et de
centaines de militants de l'U.G.T.T ..
Considérant que la Tunisie est membre de 1'0 .I. T., qu'elle s'est
engagée à ce titre à respecter les principes et dispositions contenus
dans la constitution et dans la déclaration de Philadelphie, et qu'au
surplus, elle a ratifié les conventions N° 87, sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical1948, et N° 98 sur le droit d'orga-
nisation et de négociation collective 1949.
Se référant aux rapports du comité de la liberté syndicale du
conseil d'administration et adoptés par lui en ses 206è- 208è- 209è
et 210è sessions, rapports faisant état de ces événements, des
conditions de détention prolongée, des mauvais traitements dont
font l'objet les syndicalistes tunisiens incarcérés, de leur sévère
condamnation par un tribunal d'exception, de l'atteinte aux droits
•de la défense. Constatant que des sentences arbitraires ont été
prononcées, sans le moindre égard envers le passé de patriotes et
l'âge de ces hommes en particulier Habib Achour, Secrétaire

313
Général de l'U.G.T.T. dont les conditions de détention se sont
aggravées ces derniers mois.
Considérant, avec le comité de la liberté syndicale du conseil
d'administration, que ces condamnations ont privé le mouvement
syndical tunisien de ses principaux dirigeants, qu'elles ont été pro-
fondément ressenties par les militants syndicaux, par l'ensemble
des travailleurs tunisiens et par de nombreux sympathisants.
Considérant que des événements et des tensions aussi graves ont
laissé des souvenirs pénibles au sein de la population.
Approuvant le comité de la liberté syndicale du conseil d'admi-
nistration du B.I.T., lorsqu'il constate en son 190è rapport que
plus d'une année après ces événements, des mesures de clémence
ne pourraient que contribuer à atténuer les effets qu'ils ont engen-
drés.
Invite instamment les autorités tunisiennes :
a) A décréter la libération générale et sans conditions, des syndica-
listes condamnés ou qui restent encore inculpés dans le cadre des
poursuites engagées, en relation avec la grève générale du 26 Jan-
vier 1978.
b) A restituer aux intéressés tous leurs droits civils et syndicaux.

-Confédération Internationale des Syndicats Libres (C.I.S.L.)


Lors de la réunion du comité exécutif de la conférence interna-
tionale des syndicats libres qui a eu lieu à Bruxelles du 9 au 11 Mai
1979, une résolution sur la Tunisie a été adoptée dont voici le tex-
te :
Le comité exécutif de la C.I.S.L. constate :
- Que la majorité des membres de la direction légitime de
l'U.G.T.T. est toujours en prison, en violation des droits syndi-
caux fondamentaux reconnus par les conventions N° 27 et 98 de
l'Organisation Internationale du Travail, ratifiées par la Tunisie.
Réaffirme : - Que le mouvement syndical libre poursuivra son
action en faveur de la libération des syndicalistes emprisonnés et
du rétablissement du plein exercice de la liberté syndicale, et lance
un appel pressant à toutes ses organisations affiliées et à tous les
secrétariats professionnels internationaux pour qu'ils continuent
leur action de solidarité et de soutien aux syndicalistes emprison-
nés et à leur famille.
- 0.1. T. : La F.S.M. conteste la représentativité de la délégation
tunisienne.
A l'occasion de la tenue de la 65è session de la conférence de
l'O.I.T., à Genève, la F.S.M. (Fédération Syndicale Mondiale) a
adressé au Président de la session, une note de contestation des

314
pouvoirs de la délégation des travailleurs de Tunisie dont voici le
texte :
Monsieur le Président,
La Fédération Syndicale Mondiale présente la contestation des
pouvoirs de la délégation des travailleurs de Tunisie à la 65è ses-
sion de la conférence internationale du travail, en particulier de
Messieurs AbidTijani- Dachraoui Farhat- MakhloufMustapha-
Chaouch Habib - Lejri lsmaîl - El Oueslati M'hammed - Djélidi
Lakhdar - Mansour Taîeb - Amara Ahmed.
A la suite des événements sanglants du 26 Janvier 1978 et la
répression violente qui s'est abattue sur les travailleurs et leur
puissante organisation syndicale, l'U.G.T.T., le gouvernement a
procédé à l'arrestation de la plupart des membres de la direction
légitime de l'U.G.T.T. notamment Habib Achour, son Secrétaire
Général, après la proclamation de l'Etat d'urgence sur l'ensemble
du territoire de la République tunisienne et du couvre-feu dans la
capitale et sa banlieue.
C'est dans ces conditions que Monsieur Tijani Abid fut nommé
le 2-2-78 Secrétaire Général de l'U.G.T.T. par intérim, dans une
réunion tenue au siège central du Parti au pouvoir, le P.S.D. et
qu'un comité provisoire fut désigné pour prendre en mains une
organisation syndicale privée de ses principaux dirigeants et de
centaines de militants syndicaux arrêtés et jetés en prison. C'est le
25 Février 1978, alors que l'Etat d'urgence était encore en vigueur
qu'un "congrès extraordinaire" qui ne dura que quelques heures,
fut organisé pour entériner la situation et "élire" une prétendue
direction chargée de poursuivre le démantèlement du mouvement
syndical dans le pays. Cette "direction", qui prétend aujourd'hui
représenter les travailleurs tunisiens à la présente session de la
conférence internationale du travail, a profité du maintien en pri-
son des principaux dirigeants et cadres de l'U.G.T.T. pour s'atte-
ler, depuis sa nomination à la tâche de liquidation des organisa-
tions librement choisies par les travailleurs et leur remplacement
par des structures "nouvelles" afin de donner l'apparence d'orga-
nisation représentative des travailleurs et l'illusion de la "normali-
sation" de la situation syndicale en Tunisie.
Parallèlement, la direction légitime et réellement représenta-
tive de l'U.G.T.T. ainsi que de nombreux militants et cadres syn-
dicaux, ont été condamnés dans des procès entachés de graves
irrégularités à de lourdes peines allant jusqu'à 10 ans de travaux
forcés.
La dernière session du comité de la liberté syndicale du conseil
d'administration du B.I.T., lors de sa réunion spéciale a pu se ren-

315
dre compte à la suite de nombreuses plaintes déposées au sujet des
infractions aux conventions 87 et 98 et des réponses données par le
Gouvernement tunisien, que les informations fournies par les plai-
gnants et par le gouvernement sont largement contradictoires.
La fédération syndicale mondiale attire l'attention des membres
de la commission de vérification des pouvoirs sur le fait que le
conseil d'administration ait envisagé la réalisation d'un examen
plus approfondi de la situation en matière de liberté syndicale en
Tunisie, en recourant à la commission d'investigation et de conci-
liation.
Dans ces conditions, la F.S.M. indique que les soi-disants repré-
sentants des travailleurs de Tunisie mentionnés plus haut n'ont pas
été choisis conformément aux principes de la constitution de
l'O.I.T. du fait que les élections syndicales et l'activité syndicale
en général sont considérablement limités depuis le 26 Janvier
1978.
Face à la situation décrite, la F.S.M. demande que la commis-
sion des pouvoirs rejette les nominations de la délégation des tra-
vailleurs de Tunisie.

-L'affaire de "l'intoxication"
Si je dois citer toutes les prises de position en notre faveur des
délégations ouvrières au B.I.T., je nommerai toutes les organisa-
tions nationales de tous les pays du monde, car la représentation
au B.I.T. est tripartite- Gouvernement- Patronat et Travailleurs.
Toutes les organisations syndicales internationales de toutes les
tendances nous ont apporté un appui fraternel qui a d'abord fait
durcir la position des responsables du pays en me transférant avec
le camarade Ghorbel au bagne du "Nador" où je fus intoxiqué et
sauvé in-extrémis d'une mort certaine grâce à l'intervention rapide
du médecin de la prison que les circonstances ont voulu qu'il soit
là dès la manifestation du mal qui brusquement est devenu atroce,
malgré tous les soins dont j'ai été l'objet. Ce n'est qu'après plus de
3 heures après une transpiration et des vomissements que je me
suis senti mieux.
Le jour suivant à la tombée de la nuit, le chef de la prison accom-
pagné d'un gardien est venu me voir, il rn 'a dit qu'un juge est venu
de Tunis pour enquêter sur la question de l'intoxication d'hier. En
réalité, ce n'était pas un juge mais le policier qui m'a interrogé
durant la période où j'étais arrêté dans les locaux de la police.
J'étais très étonné de le voir s'enquérir de ma santé, puis il me dit :
"je vais faire un procès-verbal, vous me répondez à quelques ques-
tions".

317
-Je ne comprends pas ce que v~us voulez me dire lui dis-je et je ne
sais pas aussi de quoi il s'agit.
Il dit ql.J'il a été chargé par le procureur de la république pour
enquêter sur la question de l'intoxication d'hier. On en parle à
Tunis et c'est ma famille qui aurait propagé la nouvelle.
Questions:
1) A quelle heure vous avez mangé ?
-Entre midi et une heure lui dis-je.
2) A quelle heure vous avez reçu votre panier ?
-Entre 10h et llh.
3) Qu'est-ce que vous avez mangé ?
-Du couscous et des petits pois.
4) Les aliments étaient-ils chauds ou froids ?
-Ils étaient encore assez chauds.
Après ces questions et réponses, l'enquêteur s'est retiré pour
revenir avec une feuille dactylographiée et me demande de signer.
J'étais encore faible, je pouvais à peine marcher et ma vue était
assez sombre, je lui ai demandé de lire ce qu'il a écrit. Ce n'était
pas du tout mes réponses à ces questions et alors j'ai refusé de
signer. Je me sentais malade ; le sang me montait à la tête et j'ai
demandé au chef de la prison de m'amener à l'infirmerie alors que
l'enquêteur insistait toujours pour que je signe.
A l'infirmerie où je me suis étendu sur le lit on a pu constater
que la tension a trop monté. Là aussi l'enquêteur me rejoint ; il
tient encore à ce que je signe son procès-verbal, alors que je pou-
vais à peine parler. J'entendais le chef lui dire : "Il vaudrait mieux
cesser de lui demander de signer, vous voyez bien qu'il est mala-
de". Ce n'est qu'après 2 heures de temps que j'ai pu regagner ma
cellule tout en m'appuyant sur l'infirmier.
La presse fut saisie de cette affaire par l'enquêteur lui-même qui
a fait paraître la déclaration qu'il a écrite en prétendant qu'elle
émanait de moi. Ma famille saisie de la réalité a fait une mise au
point à certains journaux qui l'ont publiée.
Le médecin de la prison auquel je demande si c'est bien un
empoisonnement me répond : «Je ne peux pas me prononcer
d'une façon précise, nous n'avons pas fait les analyses nécessai-
res». .
Durant des semaines, cette affaire à laquelle je n'attachais pas
de l'importance était devenue un cauchemar et depuis j'étais
devenu nerveux et la tension montait et baissait sensiblement, ce
qui inquiétait le médecin. Après cet incident, un Directeur adjoint
du B.I.T. et Irving Brown représentant de l'A.F.L. -C.I.O. en
Europe ont été autorisés à me rendre visite. Les nouvelles que

318
nous recevions quant à l'appui à notre cause tant à l'échelle natio-
nale qu'internationale sont très encourageantes.

-Sur le plan national :


Le ralliement aux mots d'ordre de boycott de la direction fanto-
che imposée à la têtede l'U.G.T.T, et d'autre part l'ensemble des
actions revendicatives qui ne cessent de se développer dans tous
les domaines. La résistance syndicale s'est organisée dès les lende-
mains du 26 Janvier 1978, et en particulier à l'occasion du congrès
illégal de l'U.G.T.T. qui s'est tenu le 25 Février 1978.
Les syndicalistes responsables qui ont échappé à la répression
ont appelé les travailleurs à boycotter et à dénoncer le congrès
extraordinaire qui n'était que le congrès de la trahison.
Ainsi, en dépit du soutien considérable de l'appareil du parti
unique, la direction fantoche et à sa tête Tijani Abid, a échoué
dans ses tentatives de substituer des structures offrant la "garantie
de la soumission et de l'allégeance", à celles démocratiquement
élues lors du congrès de mars 1977. Le 1er Mai 1978, plusieurs syn-
dicats ont publié la déclaration suivante :
«Le 1er Mai constitue la fête des travailleurs dans le monde entier,
et le symbole de leur lutte pour la conquête de leurs droits maté-
riels et moraux.
Il constitue aussi pour les travailleurs, l'occasion de mesurer le
chemin parcouru et les sacrifices soutenus.
Cette année lq fête du travail revêt en Tunisie un aspect particu-
lier, du fait des lourds sacrifices consentis par les travailleurs et les
syndicalistes à la suite de l'attaque brutale, dont a été victime le
mouvement syndical de notre pays.
A cette occasion, les structures syndicales soussignées groupant
des travailleurs manuels et des travailleurs intellectuels unis dans
le même combat, adressent à tous les travailleurs et à toutes les
forces démocratiques, la déclaration suivante :
1) Nous adressons nos salutations syndicales les plus chaleureu-
ses aux dirigeants syndicaux, et à leur tête le camarade Habib
Achour, et à tous les syndicalistes arrêtés. Nous leur exprimons
notre entière solidarité et réaffirmons notre attachement aux prin-
cipes syndicaux pour lesquels nous avons milité ensemble pour
défendre l'existence et l'intégrité de l'U.G.T.T., face aux multiples
attaques délibérées dont elle a été l'objet. Attaques contre les-
quelles la grève du 26 Jan vier 1978 constituait une riposte légitime.
2) Nous condamnons toutes les mesures dirigées contre le mou-
vement syndical, en particulier les arrestations, les licenciements
et les mutations arbitraires, toutes les formes de pression et les

319
actes de vengeance, dont sont l'objet travailleurs et syndicalistes.
Nous demandons que toutes ces mesures soient rapportées, que
tous les syndicalistes arrêtés soient libérés et retrouvent leurs res-
ponsabilités syndicales, et que soient réintégrés dans leur travail
tous les travailleurs licenciés.
3) Nous considérons que les résultats des "négociations salaria-
les d'Avril 77" confirment le peu de cas qui est fait des aspirations
légitimes des travailleurs et de leurs revendications pressantes,
pour l'amélioration de leurs conditions de vie.
4) Nous sommes convaincus que l'intérêt de notre pays exige
l'existence d'une· organisation syndicale puissantt et autonome,
qui défende les intérêts de la classe ouvrière et exprime fidèlement
ses préoccupations et ses aspirations : Vouloir installer, comme
cela se passe aujourd'hui des directions imposées à la tête des
structures syndicales, ne permet en aucune manière d'atteindre
ces objectifs ».

Les structures signataires sont :


-Syndicat National de l'Enseignement Supérieur et de la Recher-
che Scientifique.
-Syndicat National de l'Enseignement Secondaire.
-Syndicat National de l'Enseignement Technique et profession-
nel. '
-Syndicat National des Facteurs (Fédération P.T.T.).
-Syndicat National du Tourisme et des Industries Alimentaires.
- Syndicat de la Compagnie Electronique "El Athir" ouvriers-
employés.
-Syndicat des ouvriers et employés de l'Hôtel Amilcar.
-Syndicat National des Maîtres de Conférences et des Professeurs
de l'Enseignement Supérieur. ·
Cette déclaration constitue une preuve de l'attachement de la
base à sa direction légitime, et la fidélité aux motions du conseil
national de l'U.G.T ..T., qui s'est tenu le 9- 10 Janvier 1978 et qui
a marqué un tournant historique dans la lutte contre les orienta-
tions du Gouvernement Nouira.
Après le coup porté au mouvement syndical, et, à travers lui, à
l'ensemble des couches laborieuses, la tentation était forte pour le
patronat et les affairistes de bafouer et d'ignorer les acquis et les
avantages détenus par les travailleurs, au prix de longues luttes.
Profitant de l'effet de stupeur provoqué par la répression meur-
trière du "Jeudi Noir" et tablant sur la capitulation des forces
populaires, beaucoup pensaient entamer (tranquillement) une

320
nouvelle page dans le dossier- déjà trop chargé- de l'exploitation
éhontée et de l'aliénation des forces vives du pays.
Dès lors, les travailleurs, par leurs actions revend4:atives et les
mouvements de grèves qui ont repris dans plusieurs branches d'ac-
tivités, les mois de Mars- Avril1978, mettent en échec ces tentati-
ves anti-ouvrières, encouragées et protégées par le gouvernement
et le Parti.
Ils combattent, par ailleurs l'arbitraire patronal qui vise des cen-
taines de travailleurs expulsés de leurs emplois en raison de leurs
activités syndicales. La riposte syndicale s'est encore accrue pen-
dant la série de procès à Sfax - Gafsa - Sousse - Tunis etc ...
De nombreuses pétitions, déclarations ont été largement diffu-
sées dans le pays, elles constituent une extraordinaire manifesta-
tion de solidarité nationalé, et témoignent du profond attache-
ment populaire à la liberté, à la démocratie et à la dignité.
A l'occasion du procès de Sousse, une pétition qui a recueillie
plus de 2500 signatures, réclamait la libération immédiate et
inconditionnelle des syndicalistes emprisonnés, et leur réintégra-
tion dans leur fonction .
L'Association des Jeunes Avocats, dans une lettre envoyée au
Président de la République, réclame la libération des syndicalistes
arrêtés à la suite du 26 Janvier 1978 ainsi que de tous les détenus
politiques, par une mesure d'amnistie générale.
Les cadres et la base syndicale de Kerkennah, ainsi que les
dockers de Sfax, ont exprimé dans des pétitions massivement
signées leur refus des nouvelles structures syndicales, et ont
demandé la libération de tous les syndicalistes emprisonnés, ainsi
que la garantie du libre exercice des droits syndicaux. Le syndicat
des médecins de la santé publique, après avoir indiqué que les pro-
cès en cours ne touchent pas les véritables responsables du massa-
cre du 26 Janvier, demande la libération inconditionnelle de tous
les syndicalistes et leur rétablissement dans leur fonction .
A la suite du procès de Tunis, de nombreuses pétitions, éma-
nant des travailleurs de plusieurs secteurs d'activité : S.N .C.F.T.,
Mines, Enseignement, -santé, professions diverses, agriculteurs,
etc ... avaient vigoureusement dénoncé l'iniquité de ces procès,
ainsi que les lourdes peines prononcées par la cour de sûreté de
l'état. Ces multiples appels émanaient aussi bien de la base que des
cadres syndicaux ; l'écho et le ralliement qu'ils ont rencontrés
auprès des couches laborieuses, constituent la preuve de la dyna-
mique populaire qui s'est créée autour du mouvement syndical et
de ses seules structures légitimes.

321
-La résistance des familles et le "salaire de la honte"
On ne peut évoquer la solidarité nationale qui s'est développée
en faveur des victimes de la répression du 26 Janvier 1978, sans
noter le rôle extrêmement important joué par les familles des syn-
dicalistes et des travailleurs emprisonnés. En effet, malgré les inti-
midations et la terreur exercées par les hommes du parti unique et
la direction fantoche de l'U.G.T.T., la résistance des enfants, des
parents et des femmes des syndicalistes détenus dans les locaux de
la police d'abord, dans· les prisons, ensuite, a été marquée par une
attitude digne et déterminée. Ainsi, malgré les conditions maté-
rielles précaires, cette résistance s'est organisée aussitôt après le
déclenchement de la répression anti-syndicale, et a abouti à des
initiatives qui ont contribué à alerter l'opinion nationale et inter-
nationale. Les femmes des prisonniers ont adressé de~ lettres de
protestation aux autorités, aux instances judiciaires et pénitentiai-
res ainsi qu'aux organisations internationales et humanitaires :
Amnesty International, Ligue des droits de l'homme, etc ...
Elles ont organisé plusieurs rassemblements publics, tel que
celui qui eut lieu devant la prison civile de Tunis, pour clamer l'in-
nocence des leurs et exiger leur libération. Par ailleurs, elles ont
tenu une conférence de presse au cour de laquelle elles ont réaf-
firmé leurs revendications. Elles ont aussi alerté l'opinion publique
sur les conditions de détention, particulièrement pénibles des
leurs, et dénoncé les tracasseries et les procédures administratives,
relevant de l'intimidation, qu'elles subissent pour rendre visite à
leurs proches et époux.
Ces actions ont valu aux femmes et aux parents des détenus un
resserrement de l'encerclement policier et une augmentation des
menaces et des intimidations mais rien n'ébranla leur activité d'in-
formation et de défense.
Cette détermination s'est du-reste confirmée par l'échec infligé
à la direction fantoche qui, croyant récupérer ce mouvement, a
déclaré par la voix du renégat Tijani Abid, qu'elle apportait un
soutien matériel aux familles des syndicalistes. Ces familles seran-
geant aux côtés de tous ceux qui rejettent la direction imposée à la
tête de l'U.G.T.T., ont opposé un démenti à ces déclarations en
refusant le soutien proposé comme étant le "salaire de la honte".
- Sur la scène internationale :
L'image de marque que le Néo-Destour a réussi à se préserver
durant de longues années, a été considérablement ternie, à la suite
des événements du 26 Janvier 1978.
L'opinion mondiale a eu connaissance de la réalité par le peuple
tunisien. Une réalité nettement moins attirante que les clichés tou-

322
ristiques abondamment diffusés et en contradiction avec les
mythes de la stabilité politique et le sens du "juste milieu" des diri-
geants tunisiens etc ...
Il est vrai que d'autres affrontements, certes moins violents
sévèrement réprimés, avaient eu lieu dans le pays sans que la
grande majorité de l'opinion mondiale n'en soit informée. Car, si
l'ampleur du mouvement de contestation populaire, exprimée par
la grève générale du 26 Janvier' ainsi que la violence de la répres-
sion qui a déferlé sur le pays expliquent une bonne pMtie de cet
intérêt, d'autres facteurs relevant de la stratégie politique doivent
être pris en considération. Les choix du pouvoir dans le pays, en
matière de politique extérieure, lui ont valu auprès des régimes
occidentaux, une affection dépouvue de sens, compte tenu du flot-
tement de l'intérêt qu'il accorde aux principes de la démocratie.
·-
L'opinion démocratique et progressiste par la voix de ses orga-
nisations syndicales, politiques ou humanitaires, a apporté un sou-
tien considérable au peuple tunisien martyrisé. Elle a dénoncé
avec vigueur les manœuvres du pouvoir destourien qui, par des
parodies de justice, tente de jeter la responsabilité des massacres
du 26 Janvier sur les dirigeants de l'U.G.T.T.
En dépit des campagnes tapageuses de la presse officielle, et des
longues tentatives de "justification" du pouvoir, l'opinion mon-
diale sait maintenant que les vrais responsables de la tuerie et du
bain de sang n'étaient pas devant les juges qui ont infligé de lour-
des peines aux victimes du véritable complot,-celui organisé et exé-
cuté par le parti unique contre les forces populaires. Je rappelle ici
certaines parmi les multiples actions syndicales, politiques et
humanitaires qui ont contribué efficacement à soutenir les travail-
leurs tunisiens en lutte et à véhiculer au niveau international, la
dénonciation d'un régime qui a provoqué la tuerie du 26 Janvier
1978.

Le Congrès du Peuple Arabe :


Il a pris position sur les événements du 26 Janvier 1978 par la
résolution suivante :
« Les membres du Secrétariat permanent déplorent les événe-
ments tragiques qui viennent d'avoir lieu en Tunisie et affirment
que la 'liberté d'action des masses est devenue une question pri-
mordiale qui intéresse la nation arabe du Golfe à l'Océan et qu'elle
est l'un des facteurs de notre victoire dans la bataille décisive qui
nous oppose à l'impérialisme, le sionisme et la réaction. Par consé-
quent, il est de notre devoir à nous tous de prendre une position

323
ferme pour la liberté d'action syndicale, l'action populaire et la
.libération des détenus ». ·
A cet effet, le secrétariat décide de dépêcher en Tunisie, une
délégation chargée de se mettre en contact avec toutes les parties
pour faire toute la lumière sur les récents événements. Le secréta-
riat recommande de charger une délégation des Unions des Juris-
tes et des Avocats arabes de défendre les détenus. En outre, dans
son congrès réuni à Damas, auquel le mouvement d'Union popu-
laire tunisien- M.U.P.- assistait activement, le congrès du peuple
arabe a condamné la politique répressive et anti-démocratique du
régime tunisien et demanda la libération des syndicalistes.

Le Parlement Européen :
Le Parlement Européen, alerté sur la situation grave en Tunisie
par le Mouvement d'Unité Populaire, par la C.I.S.L. et les organi-
sations syndicales des différents pays d'Europe, a voté le 11 Octo-
bre 1978, une résolution présentée par les groupes socialistes,
communistes et démocrates chrétiens :
« Le Parlement Européen préoccupé par les dures condamnations
des syndicalistes tunisiens notamment par les peines infligées à
Monsieur Habib Achour, Secrétaire Général de l'U.G.T.T. et
vice-Président de la CISL, et à Monsieur Abderrazek Ghorbel.
- Réaffirme que, dans un régime démocratique, on ne peut pas
mettre fin aux conflits sociaux par l'usage des armes et l'emprison-
nement des syndicalistes.
1) Demande que, dans un esprit de clémence, une amnistie soit
déclarée et tous les détenus politiques libérés.
2) Rappelle la nécessité de sauvegarder les libertés fondamenta-
les et notamment la liber-té syndicale, la liberté d'association et la
liberté de la presse, qui doivent être reconnues à tous les citoyens
tunisiens.
3) Demande aux ministres des affaires étrangères des neuf réu-
nis dans le cadre de la coopération politique d'entreprendre
conjointement les démarches diplomatiques nécessaires pour
obtenir la libération immédiate des syndicalistes emprisonnés.
4) Charge son Président de transmettre la présente.résolution à
la commission, au conseil, ainsi qu'aux ministres des affaires
étrangères réunis dans le cadre de la coopération politique.»
Auparavant, le groupe socialiste du Parlement Européen, a
reçu une délégation du M.U.P. le 5 Octobre 1978 à Bruxelles et
publié le communiqué suivant :
« Le groupe socialiste a reçu en séance plénière une délégation du

324
Mouvement d'Unité Populaire Tunisien dirigé par Mr. Ahmed
Ben Salah.
Les entretiens qui faisaient suite à d'autres contacts avec une délé-
gation du groupe socialiste, ont été très amicaux. Le groupe socia-
liste a exprimé sa profonde préoccupation pour l'évolution de la
situation en Tunisie.
En conclusion de ces entretiens, le groupe socialiste à l'unani-
mité demande :
-Qu'une amnistie générale puisse être déclarée.
-Que tous les détenus politiques soient libérés.
-Que les libertés fondamentales, notamment la liberté syndicale,
la liberté d'association et la liberté de presse soient reconnues et
accordées à tous.
Le groupe socialiste qui suivra de près le développement en
Tunisie, enregistrera avec beaucoup de satisfaction toute évolu-
tion dans la voie souhaitée ».

L'Internationale Socialiste :
L'Internationale Socialiste a envoyé une mission d'iQformatibn
en Tunisie en Juin 1978.
A la suite de cette mission, le bureau de l'I.S., réuni à Paris le 28
Septembre 1978, le jour même où reprend à Tunis le Procès, a
enteQdu le rapport de la mission de l'Internationale Socialiste
envoyée en Tunisie au mois de Juin et fait siennes les positions sui-
vantes :
-Envoi d'un observateur de l'Internationale Socialiste au procès
des dirigeants de l'U.G.T.T.
- Demande que soit strictement garanti en Tunisie le respect des
droits de l'homme (notamment à l'occasion des procès en cours).
- Démarche de l'Internationale Socialiste auprès des autorités
tunisiennes afin que s'engage un processus d'ouverture politique
dans un esprit de démocratisation.
Le Mouvement d'Unité Populaire a remis, à cette occasion, aux
délégations présentes, une note sur la situation générale en Tuni-
sie, sur la répression et les procès en cours.
Lors de son congrès réuni à Vancouver du 3 au 5 Novembre
1978, l'Internationale Socialiste adoptait la résolution suivante :
« L'Internationale Socialiste déplore les récents événements de
Tunisie et en réaffirmant sa solidarité fondamentale avec le syndi-
calisme libre, lance un appel au Gouvernement tunisien afin qu'il
fasse libérer immédiatement H. Achour et ses compagnons syndi-
calistes, ainsi que les détenus politiques, et qu'il rétablisse la

325
liberté syndicale avec le respect total des normes internationales
du travail».
Une délégation du M. U .P conduite par Ahmed Ben Salah a assisté
à titre d'observateur à ce congrès. Le Destour, quant à lui, vues les
réserves et l'opposition qu'il a rencontrées auprès de plusieurs
délégations, a préféré ne pas y assister.

Confédération Internationale des Syndicats Libres :


Au cours d'une réunion qui s'est tenue le 12 Janvier 1978 à
Bruxelles j'ai informé Otto Kersten de la situation en Tunisie. Le
Secrétaire Général de la C.I.S.L. a déclaré que les résolutions du
Conseil National de I'U.G.T.T. n'étaient pas en contradiction
avec les principes de la C.I.S.L. et que le syndicat tunisien luttait
pour une plus juste distribution des revenus. Kersten se rend à
Tunis les 23 et 24 Janvier au moment où les milices du parti atta-
quaient les bureaux de l'U. G. T. T. dans les principales villes du
pays.
A la suite des événements du 26 Janvier et de l'arrestation de la
direction de I'U.G.T.T., la C.I.S.L. a dépêché à Tunis son Secré-
taire Général adjoint John Vanderveken, après avoir télégraphié
à Nouira pour lui demander la libération des syndicalistes.
Une délégation de la C.I.S.L., conduite par Kersten et compo-
sée notamment d'Oscar Wetter, Président du syndicat Allemand
D.G.B. et d'André Bergeron, Secrétaire Général de F.O. se ren-
dit à Tunis le 19 Février pour demander la libération des syndica-
listes emprisonnés. Entre-temps la C.I.S.L. s'est assurée les servi-
ces de Maître François Sarda pour assister les syndicalistes au cas
où le gouvernement insiste pour ouvrir un procès. Lors de la réu-
nion du Bureau de l'Internationale Socialiste à Hambourg les 10 et
11 Février 1978, à laquelle assistait Otto Kersten, les participants
ont demandé la libération des syndicalistes.
En Mars 1978, la C.I.S.L. dépose une plainte contre la Tunisie
auprès du Bureau International du Travail, pour infraction à la
liberté syndicale, à la suite de la visite de la délégation de la
C.I.S.L. en Tunisie le 19 Février.
Reçus par le Premier Ministre tunisien Hédi Nouira, les mem-
bres de la délégation ont déclaré combien ils étaient choqués par
le fait qu'aucune inculpation n'ait été retenue contre les dirigeants
syndicalistes arrêtés, dont Habib Achour, Secrétaire Général de
I'U.G.T.T. et VicecPrésident de la C.I.S.L. Des membres de la
délégation Oscar Wetter et Otto Kersten ont pu me rendre visite
et je leur ai déclaré que les allégations de conspirations politiques
de la part de I'U.G.T.T. étaient sans aucun fondement.

326
Le 15 Mars 1978, Maître Sarda, avocat choisi par la C.I.S.L. se
rend à Tunis. Des représentants des secrétariats professionnels
internatiorwux, réunis les 6 et 7 Mars à Bruxelles ont confirmé leur
soutien anx dirigeants syndicalistes emprisonnés. J'étais avec de
nombreux dirigeants de l'U.G.T.T. inculpé, fin Mars, d'atteinte à
la sûreté de l'Etat et nous étions passibles de la peine de mort. Otto
Kersten déclara alors à cette occasion : « Tant que les accusés
n'auront pas été condamnés par un tribunal indépendant, en
stricte application de la loi, la C.I.S.L. les présumera innocents ».
L'organisation fournit une aide matérielle aux familles des déte-
nus.
En Juin 1978, le Secrétaire Général de la C.I.S.L. Otto Kersten
demande à tous les affiliés de faire de nouvelles démarches auprès
du Gouvernement Tunisien et d'insister, pour que les prisonniers
soient ),ibérés ou rapidement jugés.
En Août 1978, la C.I.S.L. se déclare profondément choquée par
la décision du tribunal de Sousse de renvoyer à la cour de sûreté de
l'Etat le procès intenté à une centaine de syndicalistes de la région,
à la suite de la grève du 26 Janvier 1978.
Avant ce procès, Maître Sarda avait été refoulé de Tunisie (16
Juillet 1978) puis autorisé à y pénétrer à la suite des protestations
de la C.I.S.L., auprès du Gouvernement. Kersten demanda de
témoigner en faveur de l'exécutif de l'U.G.T.T.
La C.I.S.L. déclare le 25 Août 1978 que la récente déclaration
de Tijani Abid parue dans la presse et faisant état d'un accord
entre l'U.G.T.T. et la C.I.S.L. est sans fondement.
Le procès des syndicalistes s'ouvre le 14 Septembre 1978 devant
la cour de sûreté de l'Etat, à la demande de la défense, il est
reporté au 28 Septembre. Le Secrétaire Général adjoint de la
C.I.S.L. John Vanderveken et Maître Sarda assistent à l'ouver-
ture du procès.
A la réouverture du procès, Otto Kersten est présent et présente
son témoignage : « Je me trouvais avec H. Achour, le Secrétaire
Général de l'U.G.T.T.lorsqu'il apprit que des éléments irrespon-
sables s'apprêtaient à attaquer le siège de l'Union Régionale de
Kairouan. Il téléphona aussitôt en ma présence au Ministre de
l'Intérieur qui lui affirme qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter et
qu'il ne s'agissait que d'une rumeur sans fondement. Et cependant
l'attaque eut bien lieu dans l'après-midi.
Le Premier Ministre affirma tout ignorer de cette attaque, ce qui
ne diminuait en rien la gravité de l'incident. Je lui ai en outre dit
clairement que pour le syndicalisme libre du monde, un local syn-
dical est chose sacrée et que le moment était particulièrement mal-

327
venu pour s'y attaquer, d'autant plus que le 24 au soir, je fus
témoin d'assauts à la bombe lacrymogène de la part de la police,
contre la foule massée devant l'immeuble de I'U.G.T.T.
Je fus d'ailleurs moi-même affecté par les conséquences des gaz
lacrymogènes. J'ai la profonde conviction, que si les autorités
avaient accepté de faire une simple déclaration de principe, afin
que la discussion soit relancée, et en démontrant le désir des auto-
rités publiques d'empêcher la provocation contre I'U.G.T.T., la
grève aurait pu être évitée. D'autre part, comme le camarade
Achour l'avait déjà fait à maintes reprises lors des différents entre-
tiens que j'eus avec lui durant mon séjour, il a rejeté avec vigueur,
lors d'une conférence de presse que nous avons tenue conjointe-
ment la veille de mon départ, toutes les manœuvres menées par
des hommes politiques de l'opposition tendant à exploiter l'action
syndicale à des fins politiques. Les responsables de I'U.Q.T.T.,
n'ont jamais visé avec leur action ni le Président de la République,
ni les institutions du pays, leur seul objectif étant de servir les inté-
rêts des travailleurs. L'attaque du siège de I'U.G.T.T. de Kai-
rouan, particulièrement brutale, fut la goutte qui fit déborder la
coupe.
C'est ainsi que le bureau exécutif s'est vu contraint d'exécuter la
décision de la commission administrative et de fixer la date d'une
grève générale d'avertissement limitée à 24 heures.
Légitime, cette grève n'était pas illimitée et ne justifiait en
aucune manière l'intervention brutale des autorités qui semblaient
malheureusement vouloir profiter de l'occasion pour réprimer le
syndicalisme libre en Tunisie, répression que la C.I.S.L. amie de
la Tunisie depuis la lutte pour l'indépendance, ne pouvait que
condamner avec vigueur ».
Puis au congrès de l'Internationale Socialiste réuni à Vancouver
les 3 et 5 Novembre 1978, Otto Kersten présente un long témoi-
gnage sur la situation en Tunisie et sur les procès intentés aux syn-
dicalistes.
Une délégation du M.U.P. conduite par Ahmed Ben Salah
prend contact avec les différentes organisations pour les informer
de la répression en Tunisie. L'Internationale Socialiste adopte une
résolution demandant la libération des syndicalistes. Des télé-
grammes de protestation et d'indignatiOn sont envoyés du monde
entier à Bourguiba et à Nouira. Des fédérations ouvrière~ déci-
dent des mesu~t:s de boycottage contre la Tunisie.
En Décembre 1978, la C.I.S.L. exprime son inquiétude devant
mon transfert et celui de A. Ghorbel au bagne du Nador. Otto

328
Kersten déclare que la C.I.S.L. est convaincue que l'U.G.T.T. est
innocente des crimes dont elle est accusée.
Auparavant le comité exécutif de la C.I.S.L. réuni à Hambourg
du 17 au 19 Mai pour sa 70è session, ayant examiné les informa-
tions concernant la Tunisie et notamment les rapports des missions
effectuées à ce jour :
Déplore :que les dirigeants syndicalistes tunisiens arrêtés en Jan-
vier 1978 soient toujours détenus dans des conditions d'isolement
pénibles, et que l'instruction de leur cas par les autorités judiciai-
res ne s'effectue qu'avec lenteur.
S'indigne :que le camarade Habib Achour, Vice-Président de la
C.I.S.L. n'ait pu, dans ces conditions, être présent à cette réunion.
S'alarme : des rapports parvenus au sujet de syndicalistes maltrai-
tés et même torturés pendant les enquêtes policières.
Demande: la libération immédiate de ces camarades.
Rappelle : à défaut de cette libération, les assurances formelles
données par le gouvernement tunisien quant à la régularité de
l'instruction au respect des droits de la défense et au déroulement
normal et public des prpcès éventuels.
Appuie: pleinement l'action de la C.I.S.L. à ce jour.
Décide: dè continuer et d'intensifier cette action pour le rétablisse-
ment de la liberté syndicale en Tunisie. »
Le comité exécutif de la C.I.S.L., réuni à Bruxelles du 29
Novembre au 1er Décembre 1978 adopte une autre résolution sur
la Tunisie :
« Exprime : l'indignation des syndicats libres devant les condam-
nations foncièrement injustes qui ont frappé Habib Achour et ses
camarades de l'U.G.T.T.
Considère : que rien dans le déroulement du procès de Tunis
devant la cour de sûreté de l'Etat n'a pu entamer sa conviction pro-
fonde que les syndicalistes condamnés étaient innocents du crime
dont ils étaient accusés, au contraire, la démonstration a été faite
que Habib Achoui et ses compagnons ont été condamnés du fait
de leurs activités syndicales.
Fait appel : à toutes les organisations syndicales libres pour qu'el-
les poursuivent sans relâche leur action tant au plan national qu'in-
ternational en faveur de la libération de Habib Achour et des
autres syndicalistes condamnés.
Charge : le Secrétaire Général de prendre toutes les mesures
nécessaires en coopération avec les organisations affiliées et 1;!S
S.P.I. intéressés pour apporter une aide aux familles des syndica-
listes emprisonnés.
Le charge: en outre de continuer à suivre de très près l'évolution

329
de la situation syndicale en Tunisie et de lui faire un rapport à ce
sujet lors de sa prochaine réunion ».

La Confédération Mondiale du Travail (C.M. T.)


La C.M.T. a réagi aux événements sanglants du 26 Janvier 1978
par un communiqué en date du 3 - 2- 78.
« Le Bureau exécutif de la Confédération Mondiale du Travail
(C.M.T.) réuni à Bruxelles les 2 et 3 Février 1978 apprend avec
consternation les nouvelles concernant les événements qui sont en
train de se dérouler en Tunisie. De nombreux dirigeants syndicaux
ont été arrêtés, entre autres le Secrétaire Général de I'U.G.T.T.,
Habib Achour et la situation reste préoccupante. Ce qui est en jeu
c'est l'autonomie et l'indépendance syndicale à l'égard du pouvoir
et du parti unique. La C.M.T. soutient de toutes ses forces l'action
qui est menée dans ce sens par l'U.G.T.T.
Compte tenu des buts poursuivis par le syndicalisme tunisien et
des événements sanglants qui se sont produits ces derniers jours,
la C.M. T. est disposée à toute action unitaire d'appui aux syndica-
listes tunisiens conjointement avec d'autres organisations syndica-
les, notamment la C.I.S.L. (Confédération Internationale des
Syndicats Libres) et la C.I.S.A. (Confédération Internationale
des syndicats Arabes) auxquelles I'U.G.T.T. est affiliée au niveau
mondial et régional.
Déjà le 30 Janvier 1978, la C.M.T. s'est adressée au Directeur
Général du B.I.T. Mr. Francis Blanchard, pour lui exprimer sa
vive préoccupation devant la répression syndicale en Tunisie et lui
demander d'intervenir pour venir en aide aux syndicalistes tuni-
siens ».

La Confédération Internationale des Syndicats Arabes :


La C.I.S.A. a pour sa part condamné la répression sanglante qui
a déferlé sur le peuple arabe en Tunisie et affirmé son soutien aux
travailleurs tunisiens et leur organisation syndicale. La C.I.S.A. a
contribué activement à l'action d'information et de solidarité avec
le peuple tunisien en lutte.
En coordination avec d'autres centrales syndicales internationa-
les, elle a contribué, aux missions en Tunisie pour la défense des
syndicalistes jugés devant les tribunaux politisés.

La Fédération Syndicale Mondiale (F.S.M.) :


La F.S.M. a, dès le 31 Janvier 1978, dans un télégramme qu'elle
m'a envoyé, témoigné sa solidarité avec tous les travailleurs tuni-
siens en lutte pour leurs revendications et la défense des libertés

330
syndicales et démocratiques. Dans un communiqué du même
jour, elle a appelé tous les travailleurs du monde et notamment les
centrales syndicales internationales à une action urgente, com-
mune et coordonnée. A l'occasion des procès de Sfax et de Sousse,
la F.S.M. a appelé le 11 Août la C.I.S.L., la C.M.T., l'O.U.S.A.
et tous les travailleurs à manifester le même jour, dans le même
but pour :
"Sauver la vie et imposer la libération immédiate des syndicalistes
tunisiens et leur réintégration, dans leurs responsabilités syndica-
les". La journée du 23 Août a vu se développer, notamment en
France, à l'initiative commune de la C.G.T. et de la C.I.S.A.
diverses actions de solidarité conformément à l'appel de la F.S.M.
Par ailleurs, la F.S.M. lors de la réunion de la 19è session de son
bureau à Nicosie a voté la résolution suivante :
<< La 19è session du Bureau de la F.S.M., tenue à Nicosie du 18 au
20 Octobre 1978, a accordé une attention particulière à la grave et
dramatique situation que cannait le mouvement syndical tunisien,
suite aux graves sentences prononcées par la cour de sûreté de
l'Etat contre Habib Achour, Secrétaire Général de l'U.G.T.T. et
ses 15 camarades au cours d'une parodie de procès qui s'est
déroulé en violation flagrante de toutes les conventions internatio-
nales, de la déclaration universelle des droits de l'homme, de la
charte de l'O.N. U., et de la déclaration universelle des droits syn-
dicaux adoptée par les représentants de plus de 230 millions de tra-
vailleurs au IXè Congrès Syndical Mondial.
Se référant à la déclaration commune C.I.S.A. - F.S.M., ainsi
qu'aux diverses prises de positions du Secrétariat de la F.S.M. sur
la situation syndicale en Tunisie, la 19è session du Bureau de la
F.S.M. condamne vigoureusement les peines de travaux forcés
prononcées arbitrairement contre Habib Achour et ses camarades
par la cour de sûreté de l'Etat de Tunis.
Elle exige la libération immédiate de tous les détenus, la cessation
de la répression barbare qui frappe les travailleurs tunisiens et leur
organisation syndicale.
Le Bureau de la F.S.M. appelle tous les travailleurs du monde
et leurs organisations syndicales, à développer unitairement les
actions immédiates de solidarité internationale envers la lutte des
travailleurs de Tunisie, protester auprès des autorités tunisiennes
et enfin exiger la libération immédiate et inconditionnelle de tous
les détenus, ainsi que le respect strict des libertés syndicales et des
droits démocratiques en Tunisie ».
Le Parti Socialiste Français :
Dès le 1er Février 1978 il a publié le communiqué suivant : « La

331
Tunisie vient de vivre sa crise la plus grave depuis l'indépendance.
Les événements de ces derniers jours manifestent à la fois la pro-
testation de tous ceux que menace la crise économique et les aspi-
rations de plus en plus partagées à une démocratisation de la vie
publique." A cela, le Gouvernement tunisien a répondu par le refus
du dialogue, l'appel à l'armée et une répression brutale à l'encon-
tre de la tradition du socialisme démocratique dont il prétend se
réclamer.
Le Parti Socialiste, que des liens multiples rattachent au peuple
tunisien et à son histoire, et qui est conscient de la particulière gra-
vité de la situation, souhaite que toute la vérité soit faite sur la réa-
lité des incidents, le nombre des victimes et les véritables respon-
sables.
Il estime indispensable que Habib Achour et les syndicalistes
emprisonnés soient immédiatement libérés, qu'intervienne une
très large amnistie et que s'instaure entre toutes les forces vives du
pays l'indispensable débat démocratique auquel aspire, face aux
graves problèmes que doit affronter le pays, l'opinion tunisien-
ne».
Il a réagi à la décision des juges de Sousse par un autre commu-
niqué en date du 18 Août 1978 :
« La décision de la chambre criminelle de Sousse, se déclarant
incompétente et suggérant le renvoi à une juridiction d'exception,
la cour de sûreté de l'Etat, marque bien la nature politique du pro-
cès intenté à 101 syndicalistes de l'Union Générale des Travail-
leurs Tunisiens, et la difficulté pour l'accusation d'apporter des
éléments matériels convaincants à l'appui de sa thèse.
L'arrêt de la cour place le Gouvernement Tunisien devant un
choix, celui de poursuivre la répression ou de prendre une décision
d'apaisement.
Le parti socialiste, qui a déjà à plusieurs reprises souhaité la
libération des prisonniers politiques, demande que soit mis fin à la
détention provisoire des inculpés ainsi qu'à toutes les poursui-
tes ».
A la suite du verdict de la cour de sûreté de l'Etat de Tunis, le
P.S.F. déclare : >

« Le vaste mouvement de solidarité internationale en faveur de


Habib Achour et de ses camarades, a peut-être empêché la cour de
sûreté de l'Etat de prononcer les peines de mort requises par le
Procureur Général, mais les dirigeants syndicaux viennent d'être
condamnés à de lourdes peines de prison.
Ce procès, qui n'a apporté aucune preuve à l'encontre des accu-
sés et où ceux-ci, privés du secours des avocats qu'ils avaient choi-

332
sis, n'ont pu véritablement se défendre, apparaît comme un déni
de justice.
Après la répression sanglante du 26 Janvier 1978, le Gouverne-
ment tunisien prend une fois encore le risque de bloquer toute
ouverture possible vers le pluralisme démocratique en Tunisie. Le
Parti Socialiste Français condamne fermement ce verdict et conti-
nuera à demander l'amnistie générale et l'ouverture démocrati-
que.
Paris, le 10 Octobre 1978 ».

Parti Socialiste Suisse


Télégramme à Bourguiba en date du 11 Octobre 1978.
« Excellence. Parti Socialiste Suisse a pris connaissance avec
consternation du verdict prononcé lors du procès contre Habib
Achour et autres syndicalistes. P.S.S. estime que les droits de
l'homme et droits syndicaux ont été grossièrement violés et
demande libération immédiate de tous les prévenus ».

Le Parti Communiste Français (P.C.F.) :


Le P.C.F. a, dès la fin du mois de Janvier, exprimé sa solidarité
avec le peuple tunisien par la déclaration suivante :
« Aux travailleurs de Tunisie en lutte pour leurs revendications
sociales et démocratiques, les autorités de ce pays répondent par
une sanglante répression.
A l'issue de grandes manifestations populaires, plus d'une cen-
taine de morts, des milliers de blessés ont été relevés.
Les arrestations de militants et de responsables syndicaux se mul-
tiplient. l'Etat d'urgence avec tout ce qu'il permet d'arbitraire de
la part du pouvoir a été décrété.
Un vaste procès politique est annoncé. Le Parti Communiste
Français exprime son indignation devant des actes si ouvertement
contraires aux principes démocratiques.
Le recours à l'autoritarisme, à la répression, à la violence ne
saurait résoudre les problèmes que connait la Tunisie. Il ne peut
constituer une réponse aux aspirations de son peuple, au progrès
social et à la démocratie.
Solidaire des travailleurs du peuple tunisien auquel il est lié par
une longue lutte commune contre le colonialisme, attaché à l'ami-
tié et à la coopération entre la France et la Tunisie, le P.C.F.
demande:
-La levée de l'état d'urgence.
- La' libération de Habib A ch our, Secrétaire Général de
l'U.G.T.T., des syndicalistes, de tous les détenus politiques.

333
-Le rétablissement des libertés démocratiques.
- Le respect des libertés syndicales et de la libre activité de
l'U.G.T.T.
-La légalisation du Parti Communiste Tunisien et des autres partis
politiques ».
Les motions de protestation, les délégations auprès de l'ambas-
sade et des consulats de Tunisie en France, ainsi que les multiples
appels aux actions de soiidarité lancées par le P.C.F. notamment
à l'occasion des procès de Sfax et de Sousse, ont largement
informé l'opinion française et mobilisé les travailleurs.
A la suite du procès de Tunis, le Secrétariat du comité central a
publié un communiqué dans lequel il a exprimé sa profonde indi-
gnation devant "le déni de justice que constitue la condamnation
à de lourdes peines aux travaux forcés du dirigeant syndicaliste
tunisien H. Achour et des autres militants de l'U.G.T.T. ".Il sou-
lignait que le P.C.F. poursuivra la lutte pour faire annuler çe juge-
ment arbitraire et "obtenir la libération immédiate d'H. Achour et
de ses camarades".

Le Parti Socialiste Unifié (P.S.U) :


Le Parti Socialiste Unifié a vigoureusement dénoncé la répres-
sion qui s'est abattue sur les travailleurs tunisiens, et s'est joint à
toutes les actions de solidarité avec le peuple de Tunisie en lutte.
Il a notamment offert, dans le cadre de sa fête annuelle à Paris,
la possibilité pour les organisations progressistes et démocratiques
tunisiennes d'intensifier la campagne de dénonciation du pouvoir
destourien, contribuant ainsi à sensibiliser l'opinion française sur
la situation en Tunisie.
Le P.S.U. a participé à tous les meetings de solidarité organisés
à Paris, notamment ceux du 29 Avril1977 à la suite de l'arrestation
des militants du M. U.P., du 3 Février 1978 au lendemain des mas-
sacres du 26 Janvier et du 25 Janvier 1979 à l'occasion de la pre-
mière. commémoration des événements sanglants du 26 Jaiwier
1978.
Il a réaffirmé à ces occasions, comme lors de son Ilè Congrès du
12 et 13 Janvier 1979 auquel participait une délégation du M. U.P.,
sa solidarité active avec les travailleurs, les démocrates et l'ensem-
ble du peuple tunisien.

Le Parti Communiste Italien :


Dans un télégramme adressé aux participants du meeting du 3
Février 1978 organisé à Paris par le M.U.P. et le parti communiste
tunisien le P.C.I. déclare :

334
« Les communistes italiens unissent leur voix à celle des travail-
leurs et des démocrates tunisiens pour exiger la libération de tous
les militants et de tous les dirigeants syndicalistes et en premier du
Secrétaire Général de l'U.G.T.T. Habib Achour, Vice-Président
de la C.I.S.L., l'amnistie générale pour tous les détenus politiques
et l'annulation de tous les procès en cours contre les syndicalistes
et les démocrates ».

L'Union Générale des Travailleurs Algériens (U.G.T.A.):


L'U.G.T.A. a apporté un soutien aux victimes de la répression
destourienne. Dans un télégramme adressé au Chef de l'Etat
Tunisien, lors du déroulement de son congrès en 1978, elle a fer-
mement dénoncé l'arrestation des syndicalistes et a demandé leur
libération immédiate.
Il est à noter que le congrès de l'U.G.T.A. n'a pas reconnu la
direction fantoche de Tijani Abid, qui n'a pas été invité à y assis-
ter.

Les Organisations Syndicales Françaises :


En France, les travailleurs et leurs organisations syndicales
(C.G.T.- C.F.D.T.- F.E.N.- F.O .... ) ont, dès les lendemains de
la tuerie du 26 Janvier 1978, manifesté leur solidarité avec leurs
camarades en Tunisie, frappés par une répression sanglante et
meurtrière.
Nombre d'initiatives et démarches regroupant la C.G.T., la
C.F.D.T., la F.E.N. et la C.I.S.A. ont contribué à alerter l'opi-
nion française et internationale sur les pratiques répressives et
anti-démocratiques du pouvoir en Tunisie. Nous rappelons ici
quelques initiatives communes :
-Une mission d'information en Tunisie a été entreprise du 2 au 4
Février 1978 H. Sardian (C.G.T.) et V. Klener (A.T.I.D.).
-Une assemblée de protestation a été organisée le 10 Février 1978
par la C.G.T., la C.F.D.T. et la F.E.N. p·our exiger la libération
des syndicalistes, la levée de l'état d'urgence et le respect des liber-
tés syndicales et démocratiques.
A l'occasion du procès de Sousse, la C.G.T., la C.F.D.T. et la
C.I.S.A. ont exprimé leur soutien aux syndicats tunisiens, en
envoyant une mission d'avocats pour participer à la défense des
syndicalistes. Après le retour de cette délégation, les trois organi-
sations syndicales sont intervenues auprès de l'O.M.S. et de la
"Croix Rouge", afin de les sensibiliser sur la situation précaire des
détenus syndicalistes et politiques, et leurs conditions de détention
dans les prisons tunisiennes.

335
Les trois organisations ont, en outre entrepris des démarches
auprès des autorités françaises pour leur demander de sortir de
leur mutisme vis-à-vis des événements graves qui se déroulent en
Tunisie. Ainsi, une délégation syndicale regroupant des représen-
tants de la C.G.T., de la C.F.D.T. et de IaF.E.N. a été reçue le 18
Août 1978 par le Directeur de Cabinet du Ministre Français des
Affaires Etrangères.
Au cours de cet entretien, la délégation à insisté sur l'action que
devrait entreprendre le Gouvernement Français pour que soient
respectés les droits de l'homme en Tunisie. La délégation a rap-
pelé à cette occasion que les expulsions d'avocats étaient contrai-
res aux accords franco-tunisiens d'assistance judiciaire. Les 2
représentants, de la C.G.T. Me Caille, de la C.F.D.T. M. Roland,
qui devaient suivre- à titre d'observateurs -le procès des syndica-
listes de Tunis ont été victimes d'une mesure d'expulsion précédée
d'une longue séance "d'interrogatoire" dans les locaux de la police
de l'Aéroport de Tunis- Carthage.
Outre ces actions et initiatives communes chacune des centrales
syndicales a pris position sur les événements qui se sont déroulés
en Tunisie.
La C.G.T. a réagi aux événements du mois de Janvier 1978, dès
le 31 de ce mois. Dans un communiqué publié par son bureau
confédéral, elle a déuoncé la répression qui frappe les travailleurs
tunisiens, assuré 1'U. G. T. T. de sa solidarité, et exigé la libération
des syndicalistes emprisonnés. La confédération française n'a
cessé, depuis, de confirmer cette solidarité avec les travailleurs et
le mouvement syndical tunisien. ·
A la suite de l'instauration de la loi sur le service civil et le ser-
vice national, les jeunes syndicalistes de la C.G.T. ont déclaré, par
la voix de A. Guinot : « Nous craignons que cette loi soit utilisée
pour effectuer des pressions intolérables sur les jeunes lycéens,
étudiants et travailleurs en vue d'éviter toute contestation mettant
en cause la politique du Gouvernement Tunisien ».
La C.G.T. a déployé un effort considérable de solidarité et de
défense, notamment pendant le procès de Tunis. Dès mon incul-
pation et celle de mes camarades, dans une déclaration du 23 Mars
1978, elle a manifesté sa plus vive inquiétude devant la décision de
la cour de justice tunisienne de m~inculper d'atteinte à la sûreté
intérieure de l'Etat, pour la seule raison d'avoir, en tant que Secré-
taire Général de l'U. G. T. T., assumé la prise en charge et la
défense des revendications sociales des travailleurs et utilisé le
droit de grève pour les faire aboutir.

33o
A la suite de l'expulsion de Me Caille, ainsi que d'autres délé-
gués de la C.G.T., la confédération française a publié un commu-
niqué en date du 28 Septembre 1978, dans lequel elle déclare :
« Les brutalités policières auxquelles se sont livrées les forces de
police du gouvernementtunisien devant la salle du procès de H.
Achour et des syndicalistes tunisiens menacés de lourdes condam-
nations provoquent l'indignation des travailleurs français.
La C.G.T. proteste énergiquement contre de telles atteintes au
droit syndical et à la démocratie en matière juridique et tout sim-
plement aux droits de l'homme.
Elle demande à tous les travailleurs et à toutes les organisations
syndicales françaises, européennes et internationales de se join-
dre à sa protestation».
La C.G.T. a aussi réagi énergiquement- comme d'ailleurs tou-
tes les autres organisations syndicales françaises ou internationa-
les - à l'annonce du réquisitoire du procureur devant la cour de
sûreté de l'Etat, demandant la peine de mort contre les syndicalis-
tes inculpés.
Dans un message adressé le 5 Octobre 1978 au Président de la
République Tunisienne, le Secrétaire Général de la C.G.T. dé cl a-
rait : « Au moment où le réquisitoire réclame la peine de mort
pour trente dirigeants de l'U.G.T.T., j'ai le devoir de porter à
votre connaissance la profonde indignation que provoque parmi
les travailleurs de France la menace d'une telle sentence.
Je réitère auprès de vous, ma demande pour qu'il soit mis un terme
à cette parodie de procès au cours duquel les inculpés ont été pri-
vés de toute véritable défense et que soient libérés immédiatement
H. Achour, Secrétaire Général de l'U.G.T.T., ainsi que les 29
autres dirigeants syndicalistes ».
Après le verdict de la cour de sûreté de l'Etat condamnant à de
lourdes peines d'emprisonnement, le bureau confédéral de la
C.G.T. a élevé une protestation indignée. Il a lancé un appel aux
travailleurs pour se joindre à cette protestation. Il se prononce
pour que la protestation des travailleurs et de tous les démocrates
donne lieu à des manifestations à Paris et dans les autres villes de
France. Cette protestation a été encore concrétisée par une impor-
tante délégation rassemblée à l'appel de la C.G.T., devant l'am-
bassade de Tunisie à Paris. Le Diplomate tunisien n'ayant pas jugé
utile de recevoir une délégation du Bureau Confédéral de la
C.G.T., celui-ci a notamment déclaré :
« Toute une série d'actions sont en cours dans toute la France. Le
verdict du 9 Octobre est inique puisque les accusés sont innocents.
Il faut continuer l'action pour obtenir l'annulation du procès et la

337
libération de tous nos camarades emprisonnés ».
Il est à noter que la fédération C.G.T. des Ports et Docks a
appelé lès dockers de Marseille et du Havre à débrayer à chaque
chargement ou déchargement de navires battant pavillon tunisien.
La solidarité des dockers français a été accompagnée par les
débrayages des dockers d'Italie et de Grèce en protestation contre
les atteintes à la liberté syndicale par le pouvoir en place en Tuni-
sie.
La C.G.T. s'est indignée à la suite du transfert de deux membres
de la direction syndicale emprisonnés au bagne du Nador par un
communiqué en date du 19 Décembre 1978 adressé au Premier
Ministre. Pierre Gensous, Secrétaire de la C.G.T. a élevé une vive
protestation contre l'incarcération des dirigeants de l'U. G. T. T. au
bagne du Nador et exigé « Au nom des principes des droits de
l'homme et de la reconnaissance effective des libertés démocrati-
ques et syndicales, la libération de Habib Achour et de tous les
syndicalistes tunisiens ».
La C.F.D.T. a affirmé dès le 30 Janvier 1978 sa solidarité avec
les travailleurs tunisiens et leur centrale syndicale l'U. G. T. T. , qui
mène une action responsable et courageuse.
La C.F.D.T. a participé avec d'autres organisations syndicales à
l'e~voi d'avocats ou d'observateurs aux procès des syndicalistes
tunisiens. Leurs représentants avaient subi des intimidations du
pouvoir et de sa police, ils furent en général refoulés. Ce fut en
particulier le cas de Mr. Roland dépêché à Tunis pour suivre le
procès.
Le Secrétaire Général de la C.F.D.T. a demandé ati Président
de la République Française (pendant le déroulement du procès de
Tunis), d'intervenir en faveur des syndicalistes jugés devant la
cour de sûreté de l'Etat. Après avoir rappelé le réquisitoire scan•-
daleux du procureur général demandant la peine capitale pour
tous les accusés, M. Maire poursuit :«Devant une telle situation,
la France ne peut rester indifférente » et il prie le Président Fran-
çais d'intervenir pour empêcher ces condamnations.
La F.E.N. s'est jointe aux nombreuses initiatives françaises ou
internationales, pour affirmer son soutien aux travailleurs et aux
syndicalistes tunisiens. La F.E.N. et ses différentes fédérations
régionales ou professionnelles ont apporté leur soutien actif aux
différents syndicats tunisiens décapités (Enseignement Supérieur
Technique et Professionnel).
Force Ouvrière : Le Secrétaire Général André Bergeron a fait par-
tie d'une mission de la C.I.S.L. qui est intervenue auprès des auto-
rités tunisiennes en faveur des syndicalistes emprisonnés.

338
André Bergeron, au nom de son organisation Force Ouvrière a
demandé dans un télégramme au Chef de l'Etat ma libération

D.G.B. (Fédération des Syndicats Allemands) :


Le 29 Septembre 1978, Oscar Vetter, Président du D.G.B.,
reçoit une délégation du M. U.P. conduite par Ahmed Ben Salah.
L'entretien a porté sur la situation en Tunisie et sur les procès
intentés aux syndicalistes. Le Président de laD. G.B. a fait part, de
sa très vive inquiétude causée par la vague de répression qui
déferle sur les syndicalistes tunisiens. Les multiples considérations
sur le procès qui se déroule en ce moment devant la cour de sûreté
de l'Etat, ont occupé le centre de l'entretien.
La D.G.B. publie le 11 Octobre 1978 une déclaration à la suite
du verdict de Tunis dans laquelle elle déclare notamment :
« La non culpabilité des prévenus a été prouvée au cours du pro-
cès. La D.G.B. et les syndicats qui en font partie qualifient le ver-
dict de monstruosité. Ils exigent du Gouvernement tunisien de
tirer les conséquences de la procédure judiciaire, à savoir libérer
immédiatement tous les syndicalistes et leur rendre tous leurs
droits. La D.G.B. exige d'une façon impérieuse le rétablissement
des libertés en Tunisie. Elle considére Habib Achour et ses collè-
gues qui ont été condamnés avec lui comme étant encore les diri-
geants légaux des syndicats tunisiens ».
A la suite du procès des syndicalistes tunisiens à Tunis, Oscar
Vetter, Président du Syndicat Allemand D.G.B. se rend à l'Am-
bassade de Tunisie à Bonn et remet un mémorandum à Driss
Guiga dont voici le texte :
« Monsieur l'Ambassadeur,
En accord avec les organisations affiliées à la Confédération
Internationale des Syndicats Libres (C.I.S.L.), la Fédération des
Syndicats Allemands (D.G.B.) constate, en ce qui concerne le
procès qui s'est déroulé devant la cour de sûreté de l'Etat, procès
intenté contre Habib Achour, Vice-Président de la C.I.S.L. et
Secrétaire Général de l'U.G .T.T. et contre d'autres membres diri-
geants des syndicats tunisiens que :
1) Pendant le procès, aucune preuve n'a pu être apportée concer-
nant le crime reproché aux accusés.
2) Cette considération a été aussi faite par tous les observateurs de
la presse internationale sans exception, ainsi que par les observa-
teurs des organes de presse tunisiens ne représentant pas la ligne
officielle gouvernementale.
3) Selon l'opinion générale. il s'agit d'un règlement de compte poli-

339
-
tique avec I'U .G.T.T. Le déroulement du procès en a été la preu-
ve.
Au cours des dernières années, l'U.G.T.T. était devenue une
organisation forte ; elle pratiquait une politique indépendante
basée exclusivement sur les intérêts de ses adhérents. Le fait que
le Gouvernement tunisien considére qu'une telle politique est diri-
gée contre le bien public témoigne d'un manque d'esprit démocra-
tique.
4) Le 26 Janvier 1978, la grève générale était une action légale,
destinée à appuyer les revendications matérielles de l'U. G .T. T. et
à défendre la liberté syndicale tunisienne qui était en danger. Rien
ne prouve la responsabilité des syndicats pour ce qui est des trou-
bles qui ont éclaté pendant cette journée.
5) Habib Achour et ses collègues ont été condamnés en raison de
leur activité syndicale. De ce fait, les autorités tunisiennes ont
violé les engagements internationaux auxquels elles avaient sous-
crits en ratifiant la convention 87 de l'Organisation Internationale
du Travail.
Les syndicats de l'industrie ainsi que les syndicats membres de la
D. G. B. protestent de toutes leurs forces au nom de 7,6 millions
d'adhérents, contre le verdict de Tunis.
Ils réclament la libération immédiate et la réhabilitation d'Ha-
bib A ch our et de ses collègues. Ils protestent avec la même énergie
contre la violation en Tunisie des droits de l'homme et réclament
le rétablissement immédiat de la liberté syndicale. La D.G.B. et
les syndicats qui y adhèrent considèrent leurs collègues tunisiens
qui ont comparu devant les tribunaux tunisiens comme étant, tout
comme auparavant, les dirigeants légitimes de I'U.G.T.T.
Je vous prie, Monsieur l'Ambassadeur, de faire parvenir ce
mémorandum à votre Gouvernement. "Signé Vetter".

L'Union Syndicale Suisse (U.S.S.):


L 'U .S.S. dans un télégramme adressé au Président de la Répu-
blique tunisienne, exige la libération immédiate des dirigeants
syndicalistes tunisiens. Dans ce télégramme daté du 10 Octobre,
I'U .S.S. considére que les condamnés ont été victimes d'un déni de
justice.

Les Syndicats des Pays Nordiques :


A la suite des événements sanglants de janvier 78, les dirigeants
des organisations syndicales des cinq pays nordiques ont exigé au
cours d'une réunion à Stokholm que les prisonniers soient immé-
diatement relachés.

340
L'Organisation Internationale des Journalistes (O.I.J.) :
L'O.I.J. a protesté contre les pousuites et les sanctions qui ont
frappé de nombreux journalistes. L'O.I.J. a menacé de porter
plainte auprès de la Fédération Internationale des Journalistes
(F.I.J.).
Rappelons que des journalistes du Journal Ech-Chaab, organe
de l'U.G.T.T. ont été arrêtés, d'autres expulsés de leur emploi.
Des journalistes de la radio de ~fax-Tunis et de l'Agence T.A.P.
ont été touchés par ces mesures répressives.

Cette conscience mondiale s'est confirmée par le vaste mouve-


ment de solidarité qui n'a cessé de se développer à travers le mon-
de. Elle s'est aussi manifestée par la création quasi-immédiate,
d'un grand nombre d'associations ou comités, regroupant des
hommes épris de liberté et de démocratie, qu'ils soient tunisiens
ou non. Ces comités ont mené une action particulièrement effica-
ce, notamment pendant la période des procès.

Le Comité Français contre la répression et pour la défense des liber-


tés en Tunisie :
Ce comité a multiplié depuis sa création, au début de l'année
1978, les actions et les publications pour informer l'opinion fran-
çaise sur la répression en Tunisie. Au mois d'Août, il a adressé aux
autorités tunisiennes un appel de 600 universitaires, chercheurs,
artistes et avocats protestant contre les menaces de mort pesant
sur les inculpés de Sousse et exigeant le respect des droits de la
défense et des libertés fondamentales pour le peuple tunisien.
Il a participé au meeting de solidarité organi.sé par le M.U.P.le 25
Janvier 1979 à Paris.

Le Comité Suisse de Défense des Droits Démocratiques en Tunisie :


Il a participé à cet effort de solidarité et d'information sur la
situation du peuple tunisien. Dans un message adressé au Prési-
dent de la Commission des Droits de l'Homme, il écrit :
« Seule l'ampleur de la répression est nouvelle. Les condamna-
tions pour motifs politiques sont courantes en Tunisie. En Août
1977, par exemple 24 militants du Mouvement d'Unité Populaire
avaient été condamnés à des peines de 8 mois à 8 ans de prison par
la cour de sûreté de l'Etat.

341
Nous espérons vivement, Monsieur Le Président, que la com-
mission prendra les mesures nécessaires pour que la situation
actuelle en Tunisie soit examinée d'une manière impartiale ».
Association Française des Juristes Démocrates (A.F.J.D.) :
L'A.F.J.D. a manifesté sa solidarité active à maintes occasions,
avec les victimes de la répression en Tunisie et avec les travailleurs
traduits devant les tribunaux et condamnés arbitrairement. Elle a
notamment participé à l'envoi de missions d'informations à l'occa-
tion de la répression et des procès de 1978.
Nous citerons en particulier les missions qui ont été confiées à
Me Marigrine Auffray Milesy qui a rendu publics ses témoignages
et a déployé une intense activité d'information sur la répression
contre les syndicalistes.

Amnesty International :
·Depuis 1974, Amnesty International a consacré de longs articles
à la situation en Tunisie. Depuis la répression sanglante du 26 Jan-
vier 1978, elle a intensifié son action afin de dénoncer la pratique
de la torture et les violations des droits de l'homme par le régime
dims notre pays. La section française a adressé aux autorités tuni-
siennes un appel signé par près de 200 personnalités.

*
* *
De très nombreuses autres organisations politiques, syndicales
et humanitaires arabes, françaises et internationales ont apporté
une solidarité active aux travailleurs tunisiens et un soutien cons-
tamment renouvelé à la lutte des forces démocratiques et populai-
res et de l'ensemble du peuple tunisien. Des journaux et des
revues très nombreux ont consacré tout au long des années 78- 79
de longs articles pour informer l'opinion internationale de la situa-
tion dans notre pays et la répression qui s'abat'sur le peuple tuni-
sien. Ils ont contribué efficacement à briser le mur du silence édifié
par le pouvoir. Nous citerons, entre autres, Afrique-Asie, Al
Kifah Al Arabi, Ad-destour, El Ikhbar El Thaouri (opinion révo-
lutionnaire du Maroc), El Moujahid, l'Humanité, Libération, le
Monde, Le Matin, Tribune socialiste, l'Unité, l'Unita, Welt der
Arbeit, Berliner Stimme, Az Zaghlatt Für Osterrieih, Vorwarts,
etc ...
Cette vaste campagne d'information et de solidarité sur le plan
international a été une aide considérable aux travailleurs victimes
d'une répression féroce. Elle a contribué à accentuer l'isolement

342
sur la scène internationale d'un pouvoir anti-démocratique et sans
soutien populaire.
Cette campagne a été menée en Asie par la confédération régio-
nale sous la direction des plus prestigieux syndicalistes asiatiques
notamment Pépé Niaranane Président de la C.I.S.L. et Debon-
naire Vice-Président de la C.I.S.L.
En Amérique, l'A.F.L. - C.LO. est interven'te activement par
la voix de son Président Georges Meany qui m'a envoyé plusieurs
lettres et télégrammes de solidarité. Les syndicats de l'Amérique
latine affiliés eux aussi à la C.I.S.L. ont mené une intense activité
en vue d'obtenir notre libération.
Toute cette activité internationale jointe à une activité interne
solide mais presque clandestine a poussé le gouvernement tunisien
à améliorer le régime dans les prisons pour les syndicalistes. Et
c'est le 3 Août 1979 que j'ai été gracié et libéré du Bagne du Nador.
Le Gouvernement donne comme prétexte la détérioration de ma
santé, mais j'ai été mis en résidence surveillée à mon domicile à
Tunis et c'était pour une semaine d'après ce que m'avait dit le
Directeur des services de la sûreté nationale. Ça fait maintenant
près de deux ans et je suis encore en résidence surveillée.

343
Les tractations.avec le pouvoir

Des tractations ont eu lieu entre de nombreux envoyés du gou-


vernement et moi-même. Ces émissaires ont commencé à me
contacter le 30 Janvier 1980 trois jours après l'attaque armée de
Gafsa par des gens venus de l'extérieur et précisément de la Libye.
Ces émissaires étaient : Abderrahmen Tlili, fils d'Ahmed Tlili,
leader syndicaliste et homme politique originaire de Gafsa et
Mohamed Azaïez, ancien membre de l'exécutif de l'U.G.T.T.
J'étais mis au courant de leur visite 2 heures avant leur arrivée,
mais j'ignorais l'objet de cette visite. J'étais très content de les voir
et de bavarder avec eux sur un ensemble de sujets politiques et
syndicaux. Ils n'ont pas trop attendu pour me dire qu'ils sont char-
gés d'une mission auprès de moi par le Président Bourguiba et son
épouse. Ils m'ont parlé longuement des événements de Gafsa et
voudraient un message de ma part au Président Bourguiba.
-Un message ? leur dis-je. Pas d'inconvénients ; mais il faudrait
qu'il soit digne. Je vous demande de le préparer et je verrai.
Spontanément Tlili présente un texte de plus d'une page et me
dit : "Voilà ! et dis-nous ce que tu penses". Après l'avoir lu je leur
ai répondu sans hésitation que je suis prêt à signer cet écrit sans
même y ajouter aucune rectification. Ils étaient visiblement très
satisfaits et sont partis annoncer la bonne nouvelle au Président et
par la même occasion préparer une rencontre avec lui qu'ils m'an-
noncent en me présentant la lettre mise au propre pour y apposer
ma signature.
Ils sont revenus le jour suivant de bonne heure me proposer une
rectification à propos de mon appréciation de nos relations avec le
parti et principalement avec Bourguiba. II fallait également
condamner l'attaque de Gafsa par les gens venus de Libye. C'est
un sujet que je ne connaissais qu'à travers la Radio, la Télévision
et la Presse. Je ne pouvais pas avoir la certitude que ces organes
d'information racontent la vérité, car en 1965 ensuite en 1977 et

344
1978, ces mêmes organes ont déversé de quoi écrire 1000 livres de
fausses déclarations concernant I'U.G.T.T. et m'ont attaqué
d'une façon particulière dans le but d'éliminer les syndicalistes sin-
cères et fidèles de leur organisation que le pouvoir veut à tout prix
domestiquer. Les négociateurs Tlili et Azaïez sont partis après un
entretien qui a duré plus de 3 heures en me promettant de revenir
après le contact qu'ils auront avec la Présidente.
Quatre jours après, ils sont revenus, l'air un peu fatigué.
Alors, leur dis-je et cette longue absence ?
Tlili répond : « Rien à faire la modification ne donne rien de nou-
veau. Ils tiennent à la condamnation de l'affaire de Gafsa ».
C'est alors que je leur ai répondu : « La première fois quand
vou~ étiez venus, il n'était pas question du tout de cette affaire et
maintenant vous en faites un préalable, alors que j'étais disposé à
signer la lettre que vous m'aviez soumise».
Tlili propose une. condamnation encore plus catégorique des
auteurs de l'attaque de Gafsa et un appui au Président Bourguiba
dans sa politique courageuse et clairvoyante. Cette autre proposi-
tion m'a incité à lui demander si elle émane de lui-même ou de
ceux qu'il représente.
Tlili se fâche et déclare : « Je ne suis pas un jouet entre les mains
de quiconque ».
-Ecoute Tlili lui dis-je : Tu parles au nom du Président et de la
Présidente. Tu dois traduire scrupuleusement leur pensée et pour
moi tu ne dois pas t'écarter de leurs instructions.
C'est alors qu'il se leva en déclarant : "Je romps les discussions
et je m'en vais".
-Je ne te retiens pas lui dis-je.
Mohamed Azaïez plus âgé et plus mûr que Tlili est resté un bon
moment après. Il semblait me donner raison.
Depuis ce jour là, ni Tlili, ni Azaïez ne sont revenus chez moi.
Mais dans les réunions des cellules de Tunis, on commence par
m'attaquer de nouveau me rendant complice dans cette affaire de
Gafsa en donnant pour preuve mon refus d'écrire au Président
pour condamner l'attaque dont Gafsa a été l'objet. Des inscrip-
tions sur les murs demandent la révision du procès des syndicalis-
tes du 26 Jan vier 1978 et exigent la mort aux traîtres que nous som-
mes. Ces inscriptions ont été effacées deux jours après parce que
le peuple a été scandalisé. Tlili ne s'est pas croisé les bras. Il s'est
rendu en prison ou des camarades responsables syndicalistes sont
jétenus. Il a vu Houcine Ben Gaddour, membre de l'exécutif de
l'U .G .T.T., originaire de Gafsa et ami de son père. Il l'a chargé
d'obtenir des camarades emprisonnés une déclaration condam-

345
nant l'attaque de Gafsa en échange d'une libération immédiate.
La protestation a été rapidement écrite et envoyée à Bouraoui
membre de l'exécutif libéré le jour du jugement des syndicalistes
et les signataires ont été libérés quelques jours après. Quant au
jeune Tlili il fut nommé P.D.G. d'une des plus grandes sociétés
nationales. Kraïem P.D.G. d'une société importante jouissant de
Ionfue date de la bénédiction de la présidente et ancien syndica-
liste qui a fait ses premiers pas avec moi à l'Union Régionale de
Sfax a été chargé par le Gouvernement de rentrer en contact avec
moi et d'essayer d'arriver à un dénouement de la crise entre
l'U.G.T.T. d'une part et le Gouvernement et le Parti de l'autre.
Il a commencé par me dire : « Ils ont eu tort de t'envoyer le fils
Tlili comme négociateur, c'est un gamin et il n'est pas du niveau de
ce genre de discussion »et il rentre aussitôt dans le vif du sujet.
-Je ne te cache pas et je veux être franc avec toi jusqu'au bout, j'ai
été chargé par la présidente, le Premier Ministre Mzali, le Direc-
teur du Parti Kooli et le Ministre de l'Intérieur Guiga. Tous ces
responsables sont de ton côté et voudraient bien en finir. Mais il
faudrait convaincre le Président et cela ne pourrait se faire que par
une lettre que tu lui adresseras et qui pourra l'apaiser.
-Que dois-je donc lui dire dans cette lettre, il faudrait qu'elle soit
digne et tu sais Kraïem ! il y a eu des morts, près d'une centaine,
il y a eu des infirmes et plus d'un millier d'emprisonnés. Je suis
encore une des victimes de ces événements ; on était trente pour
lesquels le procureur demandait la peine de mort et c'est grâce à la
solidarité internationle que nous avons pu échapper à la pendai-
son.
Tu veux maintenant que je demande des excuses à ceux-là mêmes
qui ont donné l'ordre de tirer sur la foule, qui ont arrêté des syndi-
calistes à la maison même de l'U.G.T.T. ou chez eux et qui nous
ont accusés de nombreux crimes en ajoutant que nous avons été
pris en flagrant délit.
Ecoute Kraïem ! tu m'as apporté un projet de lettre ; si je le juge
digne, je le signerai , sinon j'y ajouter ai quelques modifications.
Sur ces entrefaites, le m~diateur qui a eu une autorisation per-
manente de me rendre vi~te me quitte pour revenir 2 jours plus
tard.
Il me présente alors une lettre que je lis avec attention à 2 reprises.
Cette lettre a tout l'air d'un document entre un vainqueur et un
vaincu à la suite d'une guerre. Je le regarde bien dans les yeux et
lui dis : « Tu acceptes ! toi qui a travaillé avec moi que je me des-
honore en apposant ma signature sur pareil document ».
C'est alors qu'il me signale qu'il n'était pas seul à l'avoir prépa-

346
rée et qu'en outre je pouvais y porter les modifications que je juge
nécessaires.
Je lui ai demandé de revenir après 3 jours le temps de bien réflé-
chir et il trouvera la réponse toute prête.
J'ai éliminé de leur projet tout ce qui peut porter atteinte à la
dignité et j'ai rappelé certains services que nous avons rendus
ensemble à la patrie.
Je remets la lettre finie et signée à Kraïem qui, après l'avoir lue
m'a déclaré : « Je constate que tu rappelles au Président que tu es
son égal par les faits que tu as cités et tu connais l'esprit du Prési-
dent et ce n'est pas ça qu'on attend de toi pour pouvoir aller à une
solution du problème de l'U.G.T.T. ».
-Ça m'étonne de t'entendre parler ainsi toi qui connais la situation
pour juger, si ce que j'ai dit est vrai ou pas.
C'est alors que Kraïem réplique : « Tu me parles comme si tu ne
connais pas le Président, je sais que ce que tu as dis est vrai et tu
peux dire beaucoup plus encore. Nous voulons aller à une solution
digne ça va, mais lui écrire quelque chose d'acceptable. Néan-
moins il a pris la lettre et est parti voir les personnes qui l'ont
chargé de cette mission. Dans l'intervalle de 24 heures, il est
revenu 4 fois pour finalement tomber d'accord sur le texte sui-
vant :

Tunis, le 30 Mai 1980


Monsieur Habib Bourguiba,
Président de la République Tunisienne

Monsieur le Président,
Le désir constant de servir mon pays m'incite à rappeler les liens
qui nous ont toujours unis tout au long des années de lutte pour
l'indépendance de notre patrie.
Certains responsables se sont efforcés de souiller ce passé histo-
rique que vous connaissez, mieux que tout autre, en vue de déna-
turer le combat que nous avons mené avec vous pourdébarrasserle
pays du colonialisme, construire et asseoir un état où chaque tuni-
sien pourrait jouir du droit de vivre dans la paix, la dignité et la jus-
tice sociale.
C'est pour des raisons inavouées que ces responsables, rompant
le dialogue auquel vous n'avez jamàis cessé d'appeler, ont eu
recours à la provocation et à la violence pour diviser les tunisiens
et affaiblir l'organisation syndicale représentative et constructive,
sans laquelle, il ne saurait y avoir de paix sociale et de stabilité.

347
Les changements que vous avez opérés récemment sont suscep-
tibles d'engager le pays dans la voie de la concorde et de la cohé-
sion nécessaires pour assurer à notre peuple, en plus de sa sécurité,
le progrès social économique et politique auxquels il aspire.
Voilà Monsieur le Président ce que je voulais exprimer au
moment où le pays semble s'orienter vers un changement politique
de nature à renforcer les principes ayant servi de base à la Républi-
que Tunisienne.
Veuillez agréer, Monsieur Le Président de la République, l'as-
surance de ma haute considération.

Habib Achour

Cette lettre a été soumise avant d'être remise au Président au


Premier Ministre et au Directeur du Parti. Celui-ci a déclaré
d'après Kraïem : « On ne peut pas s'attendre à plus que ça de la
part de Habib Achour ». Il m'a fallu attendre plus d'une semaine
pour revoir le négociateur un bon matin de bonne heure.
Je m'attendais, comme il me le disait assez souvent que la lettre
que j'écrirai au Président permettrait un entretien direct avec lui
au cours duquel tout sera réglé. Ce n'était pas son opinion à lui
seul, mais le Premier Ministre et le Directeur du Parti lui disaient
la même chose. Quant au Ministre de l'Intérieur, il m'a envoyé
dire par un de ses anciens membres du cabinet au ministère de
l'Education Nationale que le Président me posera 3 questions qu'il
m'a soumises en m'indiquant les réponses à chacune d'elles.
Cependant, les nouvelles que m'apporte Kraïem sont toutes dif-
férentes. Après un temps d'hésitation, il m'a déclaré : « Je viens
de voir la Présidente, elle m'a dit textuellement : Le Président
Bourguiba ne veut pas entendre parler de Habib Achour ; c'est
moi qu'il exige à la tête de l'U.G.T.T. ». Kraïem lui aurait
répondu qu'illui est impossible d'être le premier responsable de
l'U.G.T.T. car quiconque à la tête de l'U.G.T.T. ne pourra réussir
sans le soutien de Habib Achour. Mais poursuit-il : il accepterait
d'être mon adjoint ainsi ils auraient une garantie.
C'est alors que je lui ai dit avec ironie que, depuis plus d'un an
et demi soit depuis ma libération de prison, les nombreux négocia-
teurs envoyés par le Gouvernement de Bourguiba et par le Parti de
Bourguiba se succèdent chez moi pour, en fin de compte, lorsqu'ils
obtiennent la lettre qu'on sollicite de moi, déclarer que Bourguiba
ne veut pas entendre parler de Habib A ch our. J'étais très heureux
de n'avoir pas cédé dans l'affaire de Gafsa et de n'avoir pas écrit

348
dans la lettre que j'ai envoyée à Bourguiba ce qu'on exigeait de
moi comme expressions humiliantes et dégradantes.
Cette position ne m'étonne guère de leur part, elle est dans leurs
coutumes et je savais à qui j'avais à faire- et c'est la raison de ma
grande prudence. Enfin, il a été décidé avec Kraïem d'obtenir à
mes camarades membres de l'exécutif l'autorisation de venir me
voir et de discuter de l'éventualité de soumettre la candidature de
Kraïem au congrès, car légalement et statutairement, il n'a pas ce
droit du fait qu'il est P.D.G. et aussi qu'il n'adhère pas à
l'U.G.T.T. depuis plus de 20 ans.
Une heure après son départ, il revient pour m'annoncer que les
membres de l'exécutif de l'U.G.T.T. sont autorisés à me rendre
visite le lendemain à 9h et il s'est chargé lui-même de les aviser car
mon téléphone est coupé depuis déjà plus de 3 mois à la suite d'une
discussion avec une agence de presse suisse.
Devenu méfiant à la suite de l'intervention du fils de Tlili
concernant l'affaire de Gafsa, j'ai pris conscience du danger de la
proposition de Kraïem dont l'aboutissement logique consisterait à
accaparer l 'U. G. T. T., à lui faire perdre son indépendance et à
reconnaître les fausses accusations qui avaient servi à notre arres-
tation au lendemain du massacre du 26 Janvier.
Les camarades membres de l'exécutif ont commencé à venir
chez moi à partir de 8 heures. Avant 9 heures, ils étaient tous pré-
sents. Kraïem leur a déjà indiqué l'objet de la réunion. En très peu
de temps on était tous d'accord pour proposer sa candidature au
prochain congrès de l'U.G.T.T., j'avais personnellement la certi-
tude qu'elle ne sera pas acceptée surtout qu'il nous a déclaré dans
quel but le Gouvernement entend le placer à l'U.G.T.T., mais il
faut sortir de l'impasse.
Au moment où on discutait des problèmes de l'U.G'.T.T,
Kraïem frappe à la porte de la salle où nous étions réunis et
demande s'il peut entrer.
-Cinq minutes lui dis-je.
Et la discussion était terminée justement en pas plus de 5 minu-
tes. J'ai demandé après Kraïem, on m'a dit qu'il est parti aussitôt.
Connaissant son tempérament, j'ai dit aux camarades : il s'est
vexé de l'avoir fait attendre.
Nous avons repris les discussions parce que l'occasion qui nous a
été offerte pour cette rencontre pouvait ne pas se renouveler.
Bouraoui a été chargé d'annoncer à Kraïem la bonne nouvelle
pour lui, la décision de l'exécutif de soumettre sa candidature au
prochain congrès, mais je m'attendais quand même à voir Kraïem
arriver d'une minute à l'autre. Vers 20h30 Bouraoui envoie me

349
dire que Kraïem est très fâché, mais il va passer te voir- essaye de
le calmer.
Vers 22 heures Kraïem est arrivé chez-moi l'air très abattu.
-Qu'est-ce qu'il t'arrive· lui dis-je ?
-Je frappe à ta porte, tu me chasses. Je ne m'attendais jamais à
cela et ajoute : « J'ai été téléphoner à la Présidente et je lui dis que
tu n'as pas voulu me recevoir. J'ai conclu que vous ne voulez pas
de moi».
-Tu as dit ce que tu as voùlu .dire, c'est ton affaire, mais tu sais
qu'au moment où nous étions en réunion, tu étais venu; j'ai arrêté
la réunion et je suis sorti discuter avec toi, durant plus d'une demi-
heure et pas un des camarades ne s'est senti vexé. Et toi pour 5
minutes que je t'ai demandées, tu es parti pour dire des choses
inexactes alors que la question pour laquelle tu étais venu était
décidée par l'exécutif et elle n'a pas demandée plus de 10 minutes
de discussions.
Kraïem r ·'"' répond qu'il ne s'occupe plus de ce problème de
l'U.G.T.T. et qu'il en a avisé la Présidente et le Directeur du Parti,
et il s'est levé pour sortir sans dire un mot de plus. J'ai écrit alors
une lettre aux camarades de l'exécutif pour les informer des der-
nières nouvelles.

Tunis, le 22 Août 1980

Chers camarades,
J'ai reçu ces derniers jours, la visite de Noureddine Hached,
Hakem Balaoui et Béchir Ben Yahmed envoyés de Mzali. La dis-
cussion s'est déroulée naturellement sur le sujet du jour, la crise de
l'U.G.T.T. Il ressort des discussions que notre rôle est détermi-
nant dans la solution de cette crise. Je ne pouvais naturellement
pas donner notre point de vue sans faire un exposé sur l'orignie de
cette crise ; je comprends que le gouvernement Mzali semble vou-
loir s'attaquer aux véritables responsables de ce drame dont nous
sommes encore les victimes.
On nous a demandé de faire un pas et la question sera réglée
dans la journée même par un entretien entre Bourguiba et moi.
Mais lorsque ce pas est fait, ils oublient leur promesse et me
demandent de faire un autre pas plus grand et j'en fais. Mais lors-
que ce pas porte atteinte à ma dignité, aux principes de notre orga-
nisation je ne marche plus.
Ben Yahmed est revenu me voir, après avoir rendu compte au
Premier Ministre Mzali de notre premier entretien qui a duré plus
de 2 heures. J'ai maintenant la certitude qu'une manœuvre de di vi-

350
sion comme celle qui a été accomplie par Tahar Belkhodja, il y a
quelques temps déjà va se jouer encore.
Mongi Kooli et Hached vont contacter Abdelaziz- Allouche- et
Khalifa pour les amener à former un comité avec un nombre des
membres des occupants de l'U.G.T.T.
Si nos camarades tiennent, les responsables du Gouvernement
et du Parti leur demanderont d'ajouter encore 3 ou 4 membres de
notre bureau exécutif auxquels la grâce amnistiante sera accordée.
J'ai compris aussi, qui si nos camarades tiennent bon à nos
revendications et que la manœuvre échoue, la grâce générale
interviendra avant le mois d'octobre. Il esf à signaler que le Prési-
dent Bourguiba a donné carte blanche à Mzali pour trouver une
solution à ce problème, mais il essaye de grignoter dans le but de
plaire.
Il est à signaler aussi que bon nombre de responsables au gou-
vernement et au Parti sont pour la solution radicale et directe :
Aller carrément dans le sens de nos demandes et ne pas perdre
de temps.
J'estime nécessaire la réunion urgente de l'exécutif afin de prendre
nos dispositions.

Bon courage et bien fraternellement.


Signature

Le 13 Août 80, je reçois une lettre de l'exécutif signée Bouraoui.


Après avoir exposé les positions de chacun des camarades la lettre
conclut :
« Enfin et toujours dans le domaine de l'action, les camarades
pensent qu'il est utile de mettre la C.I.S.L. au courant- en détail
-et s'ils comptent venir au cours de la semaine prochaine, nous les
attendons, il faudrait s'en rassurer, sinon envoyer un émissaire
spécial d'urgence afin d'éviter toute équivoque possible dans ces
circonstances délicates qui risquent d~créer aussi bien l'espoir que
la déception avec tout ce que cette dernière comporte. Les cama-
rades sont également unanimes plus que jamais pour éviter toute
discussion parallèle avec les membres de l'exécutif dans ce
domaine et leur réponse ne sera que confirmation de cette position
sans détails. C'est-à-dire toute discussion de ce genre doit être
tenue avec Habib Achour, Secrétaire Général de l'U.G.T.T. que
les membres de l'exécutif chargent de mener ces négociations,
étant le seul interlocuteur valable et tout en lui demandant de les
mettre au fur et à mesure que les négociations avancent ou se blo-
quent- au courant de toute la situation avec ses données essentiel-

351
les afin qu'ils soient pleinement avertis et être en mesure de suivre
avec toi le déroulement de ces négociations tout en réaffirmant
encore une fois toute leur confiance en toi.
Bien fraternellement de la part de tout l'exécutif».

Quelques jours plus tard j'ai appris que Kraïem réapparait en


contactant certains membres de l'exécutif et que Mongi Kooli
Directeur du Parti ainsi que le Ministre du Travail Mohamed
Ennaceur font tout leur possible pour nous diviser allant jusqu'à
inciter des camarades à m'abandonner en échange de leur partici-
pation tous à la commission syndicale nationale et ce sans même
attendre l'amnistie.
Bouraoui m'a envoyé une lettre datée du 26 Septembre 1980
dans laquelle il me parle d'un entretien qu'il a eu avecKooliDirec-
teur du Parti. Il déclare : « J'ai été appelé au téléphone par Mongi
Kooli Directeur du Parti qui m'a demandé de le voir, je l'ai ren-
contré à 18 heures.
Je lui ai expliqué le contenu de certains paragraphes de la décla-
ration de l'exécutif pour éviter toute équivoque, surtout sur la
question de l'exclusive. Je lui ai dit également que je n'étais pas
venu pour négocier avec lui, car nous avons mandaté depuis des
mois, le Camarade Habib Achour, Secrétaire Général - à cette fin
dans le cadre des décisions prises par le bureau exécutif et la C.A.
Cette fois c'est également lui qui est le négociateur de cette décla-
ration et surtout de ses décisions. C'est l'essentiel de mon exposé
avec d'autres explications de forme et de fond concernant cette
déclaration de la C.A. du 21 Septembre 1980.

Le Directeur du Parti m'a répondu :


1) Nous constatons qu'il y a une acceptation de principe pour le
congrès, la désignation de la commission, mais ce n'est pas nou-
veau puisque vous l'aviez déjà accepté depuis l'année dernière.
Nous vous avons laissé le temps suffisant pour que vous puissiez
prendre votre décision librement et nous répondre sur les proposi-
tions que je vous avais formulées depuis le 26 Août.
Est-ce que vous êtes prêts à avancer les noms des membres pour
participer à cette commission et nous proposer sa composition, le
nombre de ses membres, son caractère etc ... Car nous avons per-
du beaucoup de temps et nous avons des contraintes qui nous
obligent à avancer.
Je lui ai rappelé ce que j'avais dit au début et dès que nous
aurons une réponse claire et nette, nous serons prêts à négocier
comme je l'ai dit plus haut.

352
Sa réponse:
Vous demandez un congrès démocratique, c'est notre décision
commune, une organisation représentative et indépendante dans
son action syndicale d'accord aussi, nous l'avons nous mêmes
annoncé publiquement ; vous voulez une commission qui soit syn-
dicale et qui se substitue au Bureau exécutif de Tijani Abid, j'en
ferai part au Bureau Politique ; vous demandez la réintégration
des licenciés à la suite de la grève du 26 Janvier. Le Premier Minis-
tre l'a déjà annoncée. Vous demandez le classement de l'affaire de
Sousse. C'est à l'étude.
Il ne reste que 3 points: La question de l'exclusive, la levée des res-
trictions et l'Amnistie Générale. Pour l'amnistie, personne ne
peut vous répondre autre que le Président de la République ainsi
que pour la levée des restrictions. Néanmoins cela dépendra dans
une certaine mesure et à mon avis de vos positions à l'avenir. Mais
en tout cas l'amnistie est d'abord et avant tout l'affaire du Prési-
dent ainsi que la levée des restrictions. Pour ce qui est de l'exclusi-
ve, nous sommes d'accord pour que tous les syndicalistes puissent
présenter leur candidature pour les responsabilités syndicales dans
le cadre de la loi à l'exception de ceux qui ont été condamnés à des
peines de prison ferme et qui ont bénéficié d'une grâce présiden-
tielle pour une liberté conditionnelle. C'est clair, je ne peux vous
dire plus jusqu'à nouvel ordre du Président. Pour le reste, nous
sommes prêts à négocier avec vous notamment sur la commission
syndicale nationale et au fur et à mesure que les choses s'éclairci-
ront pour le bien du pays et de l'U.G.T.T.
Enfin, il reste la question de l'interlocuteur avec nous au nom du
bureau exécutif légitime. Nous n'avons aucun choix- Cela Vous
regarde ! mais j'ai le devoir de vous dire qu'eri l'état actuel des
choses, je ne peux négocier qu'avec les membres de l'exécutif en
liberté et c'est à vous de désigner qui vous voulez et je suis prêt à
négocier avec n'importe quel membre de l'exécutif en liberté.
Nous attendons votre réponse dès que possible mais s'il vous plait
avant Samedi.
C'est alors que Bouraoui lui répondit à la fin de cette rencontre
qui a duré plus de 2 heures :J'en ferai part à tous les camarades du
Bureau exécutif légitime et je vous répondrai le plus tôt possible.
Je te signale que l'exécutif se réunira après demain.
-Je voudrais ton avis sur cette situation qui semble bloquée. Faut-
il trouver un moyen pour laisser toujours la porte ouverte sans
abandonner nos principes ou faut-il fermer la porte ? C'est ce que
nous allons discuter au Bureau exécutif, avec ton avis clair comme

353
d'habitude et assez détaillé. Je voudrais l'avoir avant 16h.
Bien fraternellement.
Signature

Le soir-même, j'ai écrit une longue lettre destinée à l'exécutif


par laquelle j'ai précisé toutes les mauvaises intentions mention-
nées dans la déclaration de Kooli et j'ai terminé ma lettre en leur
disant que nous n'avons pas le droit de nous tromper de jugement
après tout ce que nous avons vu et enduré.
Il est bien que l'exécutif se fP misse et qu'il étudie les déclara-
tions du Directeur du Parti, mais j'estime que la réponse doit éma-
ner de la commission administrative compte-tenu de l'importance
de la décision à prendre.
Mon point de vue, c'est que les déclarations du Directeur du
Parti sont en retrait par rapport à ce que Tabar Belkhodja essayait
d'obtenir au nom du gouvernement et bien en retrait aussi sur l'en-
semble des points qu'il a cités par rapport aux propositions des
nombreux négociateurs que le gouvernement et le Parti m'ont
envoyés.
Je vous demande donc beaucoup de prudence pour nous éviter
de glisser. Un faux pas est catastrophique et comme toujours, vous
me présenterez le projet de réponse au Directeur du Parti, d'ail-
leurs cette réponse doit être signée par moi-même en tant que
Secrétaire Général légitime de I'U.G.T.T. et désigné ensuite par
la C.A. comme seul interlocuteur avec tout négociateur envoyé
par le Gouvernement et le Parti.
Cette réponse préparée de nuit à été remise à Bouraoui le matin
de bonne heure avant la réunion de l'exécutif prévue pour 10 heu-
res. J'étais très inquiet de la façon dont Bouraoui interprète le sens
des déclarations du Directeur du Parti. J'ai attendu toute la jour-
née le travail de l'exécutif et rien n'arrivait jusqu'à 22 heures.
Quelle était ma grande surprise d'entendre la télévision annon-
cer que l'exécutif de l'U.G.T.T. a donné la liste des 9 membres,
ceux-ci avaient accepté de faire partie de la Commission Nationale
Syndicale.
Le matin, je reçois un message de l'exécutif qui, cette fois-ci,
n'est pas signé de Bouraoui comme à l'accoutumée disant en très
peu de mots que l'exécutif a décidé de participer à la formation de
la C.N.S. J'ai écrit alors aux membres de la commission adminis-
trative de l'U. G. T. T. pour leur demander de tenir une réunion et
de discuter de la position prise par l'exécutif quant à la désignation
des membres à la Commission Nationale Syndicale. La convoca-
tion a été lancée par les camarades Hassen Hammoudia et Moha-

354
med Ezzeddine, tous deux membres de l'exécutif issu du congrès
de mars 1977.
La grande majorité des membres de la C.A. ont répondu à la
convocation. Après plusieurs heures de discussions, ils ont décidé
de ne pas reconnaître la décision de l'exécutif qui est en contradic-
tion avec la motion de la C.A. du 21-9-80. Avisé de cette décision
et Jevant les menaces de division de la classe ouvrière, j'ai
demandé de tenir une nouvelle réunion avec tous les membres de
la C.A. y compris les 9 de l'exécutif qui se sont désignés membres
de la C.N.S. Elle s'est réunie le 12-10-80. Mohamed Ezzeddine y
a lu un message demandant le respect des principes de l'U.G.T.T.
et de la motion du 21-9-80 et du 5-10-80.
Après des discussions très difficiles l'accord est intervenu sur une
forme acceptable pour tous.
Les camarades de l'exécutif, membres de la C.N.S qui ont pris
leur fonction àl'U.G.T.T. ont été boycottés par les travailleurs qui
se sont rendus en masse à la maison de l'U.G.T.T., à la suite du
compromis du 12.10.80.
Après cet arrangement, je m'attendais comme d'habitude à
recevoir des renseignements sur les activités et donner également
mon opinion quand il s'agit de prendre une position ou bien sur les
sujets d'importance. J'ai attendu plusieurs jours durant sans rien
recevoir ce qui m'a poussé à écrire la lettre suivante à Khéreddine
Salhi, qui a eu pour responsabilité à la C.N.S., l'organisation inter-
ne.

Tunis, le 24 Octobre 1980

Cher Khéreddine,

Après la réunion de la C.A. du 12.10.80, je m'attendais à une


meilleure collaboration et entente entre responsables de notre
organisation. Or depuis cette réunion, personnellement, je n'ai
reçu aucune note sur les activités de l'exécutif, surtout que j'ap-
prends de temps à autre que le Comité National Syndical se réunit
san~ savoir de votre part ni la cause, ni la décision.

Dans ces moments difficiles, pour éviter des erreurs aux consé-
quences graves, il est indispensable de consulter le maximum de
camarades sur les sujets qui nous intéressent et nous tiennent à
c'l!ur :Le renouvellement des syndicats et la réponse du Gouver-
·w,ment sur les points énumérés dans la résolution de la C.A. du
2: .Y.80 et du 5.10.60. La seule lettre que j'ai reçue émane de Hou-
cine- elle est trè:; claire et précise dans le domaine financier.

355
J'espère donc que tu voudras bien m'écrire afin de pouvoir pren-
dre mes responsabilités et donner mon opinion sur les questions à
débattre.
Quant à moi, les autorités sont de plus en plus dures à mon
égard. Après la coupure du téléphone, la réduction des membres
de la famille pour les visites à mes seuls enfants, c'est maintenant
le tour du coiffeur qui a été refusé et tu sais bien qu'en prison
même on pouvait avoir un coiffeur deux fois par semaine.
Aussi je suis atteint d'un rhumatisme chronique à la hanche et
aux genoux. Je me suis rendu à l'hôpital Charles Nicolle le
10.10.80 où j'ai été examiné par le Professeur El Hila, qui m'a
recommandé un traitement thermal à Korbous, après avis du car-
diologue le Professeur Ben Ismaïl. Celui-ci a donné son accord et
depuis je n'ai pas de réponse. J'ai eu ce mal à Zaghouan en 1949
où j'étais en résidence surveillée. Sur certificat médical délivré par
le médecin de la santé publique Mohsen Bahri et à la suite de l'in-
tervention du Secrétaire Général de l'U.G.T.T. Farhat Hached,
j'ai été autorisé à passer un mois à Korbous qui m'a été très profi-
table. Mais Khéreddine ; tu me connais mieux que tout autre et la
pression que je subis me confirme que je suis sur la bonne voie que
je ne quitterai à aucun prix.
Il se confirme et des voix les plus officielles déclarent qu'on ne
veut plus de Habib Achour à l'U.G.T.T., comme sil'U.G.T.T. est
un poste ministériel. Celle-là, c'est la dernière et la plus grosse des
manœuvres d'intimidation des travailleurs.
Comprendront-ils ces messieurs du Gouvernement et du Parti
que la classe ouvrière tunisienne est mûre et que je suis immunisé
contre toutes sortes de tortures, qu'ils perdent leur temps et qu'ils
nous font perdre le nôtre pour aboutir à un résultat encore négatif
pour eux, pour le moment, et qui se traduira s'ils persistent à igno-
rer la réalité par un résultat dont personne ne peut évaluer les
conséquences.
Nos ennemis croient arriver à me voir abandonner l'U.G.T.T.
en me faisant souffrir, mais malgré mon âge, je résiste encore à
leurs tortures, sachant que la victoire finale est pour ceux qui
savent tenir et conduire leur juste cause à cette victoire qui sera le
couronnement des sacrifices consentis par la classe ouvrière
depuis le 26 Janvier 1978.
Salutations fraternelles.
Signature

Cette lettre a été remise à Khéreddine par l'entremise du Cama-


rade Hassen Hammoudia lui-même de l'exécutif de l'U.G.T.T.,

356
mais qui a refusé d'aller au Comité National Syndical sans la réu-
nion de la commission administrative de la centrale syndicale légi-
time.
Il parait qu'à la lecture de cette lettre Khéreddine a fait une
drôle de tête sans qu'il n'ait fait de déclarations. Les jours passent
et les nouvelles qui me parviennent ne font pas honneur à nos
camarades qui se sont désignés membres de la C.N.S. Dans les
comités provisoires qu'ils forment, ils évitent ou même éloignent
les meilleurs de nos militants actifs qui ne sont pas avec eux sur des
principes qu'ils entendent violer. J'ai eu alors l'idée d'écrire à la
Confédération Internationale des· Syndicats Libres qui a publié
dans "Nouvelles Syndicales" des informations erronées sur la
C.N.S.

Tunis, le 30 Octobre 1980

Très Cher Camarade Kersten,

J'ai lu dans "Nouvelles Syndicales Internationales" du 15 Octo-


bre, trois paragraphes à la page 2 et 3 où la C.I.S.L. semble mani-
fester sa satisfaction quant à la formation de la commission ( ... )
,dont parlaient déjà depuis plus de 2 mois avant sa formation les
hommes du Parti et du Gouvernement est constituée d'un Prési-
dent qui n'a jamais adhéré à l'U. G. T. T. et qui a démissionné de sa
qualité de Directeur Général Adjoint du Parti exactement 2 jours
avant sa nomination à la présidence de cette commission. Deux
P.D.G. sont nommés d'office par le Gouvernement et le Parti
membres de cette commission.
Quant aux neuf anciens camarades, ils se sont désignés eux-mêmes
pour participer à cette commission sans en parler ni aux autres
membres de l'exécutif, ni à la C.A.; ni à moi-même qui étais à
moins de cent mètres de l'endroit où se tenait la réunion.
De plus comme d'habitude après chaque 'réunion de l'exécutif
ils m'ont envoyé un procès-verbal, mais qui ne parle pas du tout de
leur désignation à la Commission Nationale Syndicale. C'est à la
Radio que j'ai entendu un jour après la réunion, la formation de
cette commission.
Je me suis dépêché d'écrire aux camarades de l'exécutif restés
fidèles aux principes du syndicalisme libre et je leur ai demandé la
réunion de la C.A. de l'U.G.T.T. légitime. Seuls les 9 étaient
absents, il y avait donc une grande majorité de la commission
administrative qui a voté une résolution confirmant nos revendica-
tions connues de tous et souvent répétées tant par les responsables

357
syndicalistes que par la base et bien des fois par la C.I.S.L. elle
même et ses affiliés.
Cette résolution a été remise aux 9 qui, avec nos camarades ont
fixé la date d'une réunion de la C.A. qui a été très houleuse et où
les 9 se présentaient beaucoup plus proches du gouvernement que
des travailleurs.
Ils ont constaté qu'ils représentent une infime minorité et ils se
sont engagés à défendre les motions de la C.A. du 21 Novembre et
du 5 Octobre 1980, mais il a été constaté qu'ils appliquent à la let-
tre les ordres du Parti et du Gouvernement pour éliminer par tous
les moyens les syndicalistes libres appelés à superviser ies réu-
nions. Je leur ai écrit moi-même une lettre demandant de m'infor-
mer du travail qu'ils font à l'intérieur de la Commission Syndicale
Nationale et de respecter la Démocratie pour tous.
Depuis dix jours déjà et encore je n'ai rien reçu de leur part. Je
suppose qu'ils se considèrent, comme membres de la commission
n'ayant plus d'attache avec nous. Il y a là de quoi s'étonner de cette
tournure qui semble brusque ; mais en réalité son histoire est trop
longue à expliquer ; son origine remonte à la période où ils étaient
en prison où ils ont donné plus d'un signe de faiblesse et des mani-
festations écrites de dévouement à des représentants du gouverne-
ment venus les sonder.
Mais ce que je suis erl train de constater me comble de joie. Les
travailleur~ intellectuels et manuels ont prouvé leur maturité et.
leur désir d'indépendance par les nombreuses pétitions à la presse
qui ne publie malheureusement presque rien, mais dont copies
sont envoyées au Premier Ministre - au Ministre du Travail et à
moi-même en tant que Secrétaire Général légitime de l'U.G.T.T.
Je te demande donc cher Camarade Kersten de ne considérer
comme mon représentant et le représentant légal de l'U.G.T.T. à
l'exécutif de la C.I.S.L. et à tous les travaux où l'U.G.T.T. doit
participer le camarade Mohamed Tahar Chaïeb, qui je suis sûr
représentera le syndicalisme libre dans sa meilleure forme. Et si la
C.I.S.L. a besoin de désigner des Tunisiens en mission là où la
nécessité l'exige, le camarade Chaïeb saura avec les responsables
à Tunis trouver les éléments qu'il faut pour s'acquitter dignement
du travail qui leur sera confié.
Il est donc clair et c'est ce que la grande majorité des tunisiens
ont compris, que les autorités ont abusé de la naïveté ou du désir
du fils de Farhat Hached de parvenir à un poste ministériel -
comme ceux qui m'ont contacté avant lui, pour lui faire commettre
le crime odieux qui consiste à démolir le travail sacré réalisé par

358
son père et de nombreux militants syndicalistes morts comme lui
au champ d'honneur.
Je te demande cher Camarade Kersten de transmettre mes
remerciements à l'exécutif, à tous lt<s responsables des fédérations
internatiunales et aux camarades des pays affiliés à la C.I.S.L., ma
profonde gratitude pour le soutien de toutes sortes que vous ne
cessez de nous apporter. Quant à moi, depuis la formation de la
Commission Syndicale Nationale, je me trouve en présence d'un
durcissement de la part des autorités.
1) Les visites sont réduites à mes seuls enfants.
2) Ma femme n'a pas le droit de recevoir même sa sœur âgée de
94 ans.
3) Une ordonnance médicale signée des 2 plus éminents profes-
seurs me prescrivant une cure dans une station thermale a été refu-
sée.
4) Le coiffeur qui avait l'habitude de venir une fois par mois a
été refusé, il y a lieu de préciser qu'en prison, on avait le coiffeur
2 fois par semaine.
5) On ne peut compter les brimades pour ceux de ma famille qui
se présentent pour essayer l'autorisation de rentrer. Ma sœur âgée
de 83 ans venue de Kerkennah a été empêchée de rentrer chez
moi.
Malgré cette situation créée pour me démoraliser et qui d'ail-
leurs ne pèse d'aucun poids sur mon moral, tu peux croire cher
Kersten à ma détermination avec la classe ouvrière tunisienne de
résister jusqu'à la libération totale du syndicalisme de toute
influence et dépendance de qui que ce soit.

Salutations fraternelles.
Habib Achour

Plus d'un mois après la participation des membres de notre exé-


cutif à la commission nationale syndicale et malgré la lettre du
24.10.80 que j'ai envoyée à Khéreddine Salhi pour leur demander
une collaboration et une bonne entente afin de mieux réussir dans
le renouvellement des syndicats, je n'ai rien reçu de n~gatif ou de
positif à mes appels de leur part. Je me suis trouvé alors dans l'obli-
gation d'écrire la lettre suivante à Hassen Hammoudia, membre
de l'exécutif et aux camarades de la C.A.

Tunis, le 9 Novembre 1980

. 359
Très cher Hassen, très chers camarades,

Après la réunion de la C.A. du 12.10.80, je m'attendais à une


meilleure collaboration et entente entre responsables de notre
organisation. J'ai écrit à cet effet le 24.10.80 une longue lettre à
Khéreddine qui a été désigné par les camarades membres de l'exé-
cutif comme coordinateur en remplacement de Bouraoui le jour
où il est tombé malade.
Or depuis cette réunion, je n'ai reçu aucune note sur les activités
de l'exécutif surtout que j'apprends de temps à autre que le comité
syndical national se réunit sans que je sache ni l'objet des réu-
nions, ni les décisions prises à ces réunions. Dans ces moments dif-
ficiles, pour éviter des erreurs aux conséquences graves, il est
indispensable de consulter le maximum de camarades sur les sujets
qui nous intéressent et nous tiennent à cœur à savoir : Le renou-
vellement des syndicats et la réponse du gouvernement sur les
points énumérés dans les résolutions de la C.A. du 21.9.80 et du
5.10.80.
Le manque de renseignements et le désir de maintenir notre unité
m'ont poussé à écrire à Khéreddine en ces termes entre autres :
J'espère que tu voudras bien m'écrire afin de pouvoir prendre
mes responsabilités et donner mon opinion sur les questions à
débattre. Jusqu'à ce jour 9.11.80, je n'ai reçu aucune information
de la part de Khéreddine ni de quelqu'un d'autre parmi les 9 de la
C.N.S. Faut-il comprendre qu'ils considèrent que la création du
Comité National Syndical a mis fin aux syndicats fantoches,
comme à notre organisation.
Que les syndicalistes fantoches disparaissent ou non, c'est leur
affaire. Quant à nous, seul le résultat d'un congrès démocratique
et libre pourra assurer le remplacement qui sera respecté de tous
les syndicalistes et leur donnera confiance en l'avenir.
Je vous signale aussi que j'ai écrit au camarade Kersten, une lettre
à la suite de la parution des "Nouvelles Syndicales" du 15 Octobre
1980, où la C.I.S.L. semble manifester sa satisfaction quant à la
formation de la commission syndicale nationale.
Voici certains passages de cette lettre : Cette commission dont
parlaient déjà depuis plus de 2 mois avant sa formation les hom-
mes du Parti et du Gouvernement, est constituée d'un Président
qui n'a jamais adhéré àl'U.G.T.T. et qui a démissionné de sa qua-
lité de Directeur adjoint du Parti exactement deux jours avant sa
nomination à la Présidence de cette commission.
Lui-même m'a d'ailleurs annoncé chez moi quand il venait
négocier au nom du Parti et du Gouvernement qu'il sera le Prési-

360
dent de cette commission. Deux P.D.G. sont nommés d'office
membres de cette commission.-
Quant aux 9 anciens camarades, ils se sont désignés eux-mêmes
pour faire partie de cette commission, sans en parler aux autres
membres de l'exécutif, ni à la C.A., ni à moi-même qui était, à
moins de cent mètres de l'endroit où se tenait la réunion.
C'est à la Radio que j'ai entendu un jour après la réunion, la for-
matton de cette commission.
Je me suis dépêché d'écrire aux camarades de l'exécutif restés
fidèles aux principes du syndicalisme libre et je leur ai demandé la
réunion de la commission administrative qui a voté une résolution
confirmant nos revendications connues de tous et souvent répé-
tées tant par les responsables syndicalistes que par la base et bien
des fois par la C.I.S.L. elle-même et ses affiliés.
Cette résolution a été remise aux 9, qui avec nos camarades ont
fixé la date d'une réunion de la C.A. Elle a été très houleuse et où
les 9 se sont montrés beaucoup plus proches du Gouvernement
que des travailleurs.
Ils ont pu constater qu'ils étaient minoritaires, mais tous les
membres de la C.A. se sont engagés à défendre les motions du
21.9.80 et du 5.10.80, mais il a été remarqué ensuite que les 9
appliquent à la lettre les ordres du Parti et du Gouvernement pour
éliminer les syndicalistes libres. Appelés à superviser les réunions,
ils leur préfèrent les fantoches imposés à la suite de la grève géné-
rale du 26 Janvier 1978.
D'ailleurs, cela s'explique par leur énervement au contact de
nos meilleurs camarades, en discutant des problèmes posés par les
désignations injustes et surtout lorsque nos militants évoquent les
résolutions qui subordonnent la tenue du congres aux 4 revendica-
tions essentielles.
Mais ce que je suis en train de constater me comble de joie. Les
travailleurs intellectuels et manuels ont prouvé leur maturité et
leur désir d'indépendance par les nombreuses pétitions à la presse
qui ne les publie malheureusement pas en totalité mais dont copies
sont envoyées à moi-même et aux ministres intéressés.
La majorité du peuple tunisien et les travailleurs estiment que le
Président de la Commission Syndicale Nationale a été .désigné à ce
poste pour commettre l'acte odieux qui consiste à démolir le tra-
vail sacré réalisé par son père et de nombreux militants syndicalis-
tes morts comme lui au champ d'honneur.
C'est aux syndicalistes idéalistes de redoubler d'efforts et de
vigilance pour sauver encore l'U.G.T.T. du 3ème et plus grave
complot dont elle est victime depuis sa création :

361
-Le premier le 5 Août 1947.
-Le deuxième en Juin 1965.
-Le troisième le 26 Janvier 1978.
Les sacrifices consentis par nos nombreux martyrs, nous impo-
sent de suivre leur exemple afin de faire revivre pour le grand bien
de la démocratie et de la classe ouvrière notre glorieuse organisa-
tion syndicale l'U.G.T.T.
Ma foi en la victoire est inébranlable, d'autant plus que nous
combattons encore cette fois pour la liberté menacée dans ses fon-
dements : Le droit syndical et les libertés qui en découlent, sans
lesquels la vie ne vaudrait pas la peine d'être vécue.
Et si nos adversaires se voyant perdants, utilisent au congrès des
méthodes fascistes comme on en a vues le 26 Janvier 78, et impo-
sent des mercenaires à la tête de l'U.G.T.T., ils ne tiendront pas
plus que les fantoches, le peuple et les travailleurs rejettent la dic-
tature. J'estime enfin chers camarades que vous avez déjà vu et
organisé .votre travail dans l'ensemble des fédérations et unions
régionales en vue de la victoire de la justice et de la liberté sur tou-
tes formes d'oppressions.
Vive l'U.G.T.T. libre
Vive les travailleurs unis
Habib Achour
Secrétaire Général de l'U.G.T.T.

La C.A. s'est réunie naturellement sans les 9 de l'exécutif qui


sont passés à la C.N.S. Ils ont désigné le camarade Hassen
Hammoudia pour apporter la lettre à Khéreddine et attendre ses
impressions.
En la lisant son visage se métamorphosait et quand il a fini de la
lire ill' a tendue au camarade Hassen sans dire un mot. Un silence
s'en est suivi qui a contraint Hassen à sortir.
Nous avons compris que l'engagement des camarades est total
et pour preuve les nombreuses pétitions que votent les assemblées
générales demandant la levée des restrictioilspour moi, la levée de
l'exclusive, le retour des licenciés à leur poste et leurs dédomma-
gements,l'amnistie générale, ne paraissent jamais dans le journal
Ech-Chaab, organe de l'U.G.T.T. En plus, le responsable de ce
journal Sadok Bésbès ancien membre de l'exécutif et membre du
Comité National Syndical a donné ordre aux journalistes qu'il ne
veut pas voir le nom de Habib Achour paraître dans Ech-Chaab.
Cette position a provoqué une réaction assez énergique qui a
poussé le responsable du journal à proposer le licenciement de 6
journalistes.

362
Du congrès de Gafsa au conseil national
Durant le renouvellement des syndicats, les membres du Parti et
du Gouvernement considérent les camarades qui ont fait preuve
de détermination pour défendre les motions d'J 21.9.80 et du
5.10.80 comme "Achouristes" alors qu'il s'agitde travailleurs atta-
chés aux principes du syndicalisme pur et indépendant. Ceux-là
font face aux pressions, aux menaces et même aux arrestations lors
des opérations de renouvellement de leur syndicat.
De nombreux télégrammes et motions de protestations me sont
parvenus de tous les gouvernorats et notamment de Monastir, de
Mahdia, de Médenine, de Sfax, de Kairouan, etc ...
Le renouvellement des Unions Régionales donne l'occasion à
des réunions et de grandioses manifestations en faveur de l'appli-
cation des motions du 21.9.80 et du 5.10.80.
Les membres de la Commission Syndicale Nationale ne pouvant
confronter cette force ouvrière et pour s'attirer leur sympathie se
déclarent parfaitement d'accord avec eux et vont jusqu'à déclarer
devant les autorités présentes dans les réunions et leur demandent
d'enregistrer qu'il n'y aura pas de congrès sans le Secrétaire Géné-
ral quitte à fournir par la suite et sous la pression des autorités un
démenti de ce que la presse a rapporté la veille.
C'est dans cette atmosphère que le congrès a eu lieu le 29.4.81.
Les délégués au congrès sont partis à Gafsa avec des positions pri-
ses par les responsables des Unions régionales et des fédérations.
C'est ce qui explique la détermination, la matinée du 29 Avril,
des congressistes à faire triompher la décision de leur base syndi-
cale qui est en conformité avec les motions du 21.9.80 et du
5.10.80.
Mais qu'est ce qu'il y avait face à ces camarades :Les syndicalis-
tes désignés par le Parti et le Gouvernement un mois après les évé-
nements du26Janvier. Il y avait aussi le Directeur adjoint du Parti
qui a démissionné 2 jours avant sa nomination comme Président

363
du C.N .S. Il y avait 2 P .D. G. qui ont quitté le mouvement syndical
depuis plus de 12 ans. Il y avait le Gouvernement et il y avait éga-
lement des gens prêts à intervenir pour calmer les syndicalistes.
D'ailleurs leur intervention a càusé quelques dégâts à des camara-
des qui portent encore les traces des tortures à la suite de leur
détention dans les locaux de la police. Pour éviter des incidents
dont personne ne pouvait évaluer les conséquences, des camara-
des ont décidé de ne pas retourner au congrès en faisant la déclara-
tion •uivante :
« Nous sommes venus à Gafsa avec la volonté de contribuer à la
solution de la crise que connait l'U.G.T.T. Mais nous sommes
venus à ce congrès en nous considérant engagés par les décisions
que nous avons prises ensemble en tant que structures légitimes le
21.9.80, puis par les résolutions adoptées par les congrès de nos
instances syndicales tenus au cours des dernières semaines.
Notre fidélité à ces engagements signifie que le congrès national
extraordinaire que nous voulons, doit permettre à la base syndi-
cale de prendre librement ses décisions et d'élire une direction de
l'U.G.T.T. sans aucune intervention extérieure ni mainmise d'où
qu'elles viennent. Dans cet esprit et sur cette base, nous avons
posé dès l'ouverture du congrès, ce matin, la question de la levée
de l'exclusive comme question fondamentale et préalable et nous·
avons demandé à la C.N .S. de prendre ses responsablitités concer-
nant ce problème et de trancher quant à la candidature de Habib
Achour.
Nous avons affirmé solennellement que fidèles aux résolutions
votées par la base syndicale, nous considérons que la levée de l'ex-
clusive et la garantie de l'acceptation de toutes les candidatures
sans exception constituent un préalable au commencement effectif
des travaux du congrès et à notre participation à ses travaux.
A notre grande surprise, nous nous sommes heurtés, de la part
de la C.N.S à un refus catégorique de prendre position sur cette
question et de se prononcer sur la régularité de la candidature du
camarade Achour. En outre, nous avons été surpris par l'atmos-
phère créée dans la salle du congrès, les pratiques d'obstruction,
les pressions morales et matérielles exercées sur les congressistes
et les menaces et les intimidations et les agressions physiques.
Face à cette grave et regrettable situation, en particulier :
-Le refus de la C.N.S de prendre ses responsabilités en ce qui
concerne la candidature du Camarade Habib Achour ;
-Les pratiques préjudiciables qui ont marqué l'ouverture du con-
grès et qui ont créé un climat, qui est en contradiction avec les prin-

364
cipes syndicalistes et qui constitue une atteinte au prestige de
l'U.G.T.T.
Aussi avons-nous décidé de nous retirer des travaux du congrès.
Cette décision est conforme à celles des congressistes signataires
d'une pétition. Nous tenons à réaffirmer notre attachement à
notre centrale syndicale et à ses structures représentatives, sur la
base de l'autonomie de l'organisation syndicale et de la démocra-
tie en son sein et compte tenu des intérêts de la classe ouvrière et
du pays ».
La pétition à laquelle fait allusion la motion pQrte 187 signatai-
res - mais le boycottage du cqngrès est observé par 127 délégués.
Le congrès présidé toujours par le Directeur adjoint du Parti a
repris ses travaux le 29 au soir avec encore les mêmes questions :
Indépendance du mouvement syndical à l'égard des partis et du
Gouvernement, la levée de l'exclusive et des restrictions, le res-
pect du droit syndical etc ...
Au2ème jour du congrès le 30.4.81, la motion suivante qui a été
chaudement débattue a été votée :
« Le congrès extraordinaire de l'U. G. T. T. réuni à Gafsa les 29
et 30 Avril1981 :
-Considérant que l'U.G.T.T. est innocente de toute responsabi-
lité dans les événements du 26 Janvier 1978, que la responsabilité
de ces événements incombe à des parties qui ont voulu frapper
l'U.G.T.T. ·afin de la placer sous tutelle et de lui imposer leur
mainmise et que ce sont essentiellement la centrale syndicale, ses
militants et la classe ouvrière en général qui ont payé le prix de ces
événements.
-Considérant que la cause syndicale est une indivisible ayant pour
objectif la sauvegarde de la centrale et de son autonomie et que les
syndicalistes n'ont jamais cessé de revendiquer la proclamation
d'une amnistie générale pour tous les syndicalistes sans exclusive
afin d'effacer les traces de l'injustice qu'ils ont subie.
-Considérant que les mesures de grâce dont ont bénéficié les syn-
dicalistes sont restées incomplètes puisque ne concernant pas le
camarade Habib Achour dont nul ne peut nier le militantisme syn-
dical et national ainsi que ses attributions syndicales et internatio-
nales.
Les congressistes estiment d'une part, que le présent congrès
n'est qu'une étape dans l'itinéraire syndical et d'autre part que le
maintien en résidence surveillée du camarade Habib Achour spo-
lié de tous ses droits, constitue une entrave à l'autonomie de
l'U. G. T .T. et à la démocratie dont doit bénéficier l'action syndica-

365
le, conformément à la motion du 21.9.80 qui a suscité l'unanimité
des syndicalistes en diverses occasions.
-Le congrès demande au nouveau bureau exécutif d'œuvrer avec
détermination pour la levée des restrictions et de l'exclusive sur le
camarade Habib Achour afin qu'il recouvre ses droits civiques,
politiques et syndicaux.
-Le .;ongrès recommande la tenue d'un conseil national dans les
plus brefs délais et ce pour le suivi de l'action du bureau exécutif
concernant ce point particulier. Il délègue au bureau exécutif les
prérogatives de l'adoption des mesures pratiques susceptibles de
lui permettre d'exercer ses droits.
En conséquence, le congrès lance un pressant appel à tous les
travailleurs et cadres syndicaux pour qu'ils œuvrent à une plus
grande unité des rangs et à un soutien de leurs structures élues
pour la garantie de la pérénité et de l'autonomie de l'U.G.T.T. et
la poursuite de l'action militante, dont l'objectif est la concrétisa-
tion des aspirations de la classe ouvrière et des couches populaires
pour le bien de la patrie ».
Après le congrès et au retour de Gafsa, les responsables de
l'V. G. T. T. des deux tendances - ceux qui étaient pour la tenue du
congrès, comme ceux qui étaient pour le respect de la motion de la
C.A. du 21.9.80. (c'est-à-dire pas de congrès s'il y a exclusive, siles
restrictions dont est frappé le camarade Achour ne sont pas levées,
si les licenciés après le 26 Janvier ne sont pas tous réintégrés à leur
poste etc ... ) se sont rendus à l'U.G.T.T. où ils ont continué leurs
activités syndicales.
Toute la presse tunisienne a parlé du congrès dans ses moindres
détails insistant sur l'élimination totale de èeux que le Gouverne-
ment et le Parti ont imposé après les événements du 26 Janvier
1978.
Le camarade Hassen Hammoudia ancien secrétaire général
adjoint de l'U.G.T.T. qui a retiré sa candidature au congrès de
Gafsa à la suite de l'attitude du Président de la C.N.S. quant au
refus de discuter les termes de la motion du 21.9.80, m'a demandé
mon point de vue sur le congrès et les positions à prendre.
Je lui ai écrit le 2 Mai 1981le message suivant :

Très Cher Hassen,


J'ai appris avec beaucoup d'émotion ies positions courageuses
prises par nos camarades au congrès de Gafsa du 29.4.81 pour la
défense d'une U.G.T.T.libre et démocratique face à un Président
de la C.N.S qui, placé par les autorités à la tête de notre organisa-
tion, n'a fait que torpiller ses principes d'égalité et de justice.

366
Son seul souci est d'éliminer les militants dévoués à la classe
ouvrière et de faire de l'U.G.T.T. un organe du parti camouflé
sous une étiquette pompeuse qui ne trompe plus personne.
La détermination du Président du Comité National Syndical de
ne pas répondre aux congressistes à la question de l'exclusive,
condition émise par la motion du 21 Septembre 1980 et qui a été
depuis approuvée par tous les syndicalistes lors de toutes les réu-
nions tenues à travers le pays a incité les congressistes à exiger une
réponse. Il aurait été sage pour le Président de la C.N.S. de faire
voter une motion par le congrès, demandant au gouvernement la
levé.e de l'exclusive et de suspendre la réunion en attendant la
réponse.
Mais comble du sort- voilà que la milice intervient encore bruta-
lement et les camarades qui étaient contre l'exclusive ont quitté la
salle afin d'éviter le renouvellement d'événements sanglants. Pour
ma part, je les félicite de cette sage décision.
On parle de près de 200 camarades qui ont quitté la salle du con-
grès, et un grand nombre de ceux qui sont restés, sont eux-aussi
contre l'exclusive, comme ils l'ont déclaré dans leur motion finale.
Nous nous trouvons en présence de 2 tendances. La première
qui considère l'exclusive imposée par le gouvernement comme
étant, une ingérence grave dans les affaires de l'U.G.T.T et enta-
che le congrès d'illégalité. Cette tendance de syndicalistes libres
n'entend pas participer à un congrès de l'V. G. T. T. dominé par un
représentant du Parti et du Gouvernement etc' est pour ces mêmes
raisons que plusieurs candidats à l'exécutif ont retiré leur candida-
ture.
La deuxième tendance entend participer au congrès, même au
détriment· de certains principes tout en insistant sur le caractère
arbitraire de l'exclusive. Il est certain que si le congrès s'était
déroulé en toute liberté beaucoup de membres élus à ce congrès
n'auraient pas eu l'occasion de passer.
Mais alors une question se pose pour nous : Quelle estJa position
à prendre?
Pour nous syndicalistes libres, ces camarades qui ont renié la
motion du 21.9.80 qu'ils se sont engagés à respecter ont:
- En falsifiant les élections dans de nombreux syndicats et fédéra-
tions.
-En donnant plus de voix à ceux qui n'ont pas le droit et en dimi-
nuant à ceux qui ne les approuvent pas.
-En faisant subir des pressions par les autorités sur ceux des cama-
rades honnêtes dans l'accomplissement de leur devoir syndical.
Ils ont sapé le fondement même des libertés syndicales.

367
Ainsi le nouveau bureau exécutif est redevable d'une énorme
dette à l'Etat qui sera remboursé par une véritable soumission
dans les affaires syndicales et politiques importantes.
Mais dans l'apparence, nous entendrons de leur part( ... ) les slo-
gans les plus pompeux comme "Liberté syndicale", "Indépen-
dance de I'U. G. T. T", "la classe ouvrière est seule maîtresse de sa
destinée" etc... ·
J'estime qu'il ne s'agit pas pour nous de nous éloigner de
I'U.G.T.T, d'abandonner nos syndicats et nos responsabilités -
bien au contraire- nous syndicalistes libres, nous devons être plus
solidaires et plus unis que jamais, nous devons nous réunir plus
souvent que par le passé, arrêter en commun un plan de travail,
nous concerter sur toutes les questions pour prendre des positions
communes et ne manquer aucune réunion syndicale si petite soit-
elle.
Nous aurons prochainement à discuter des conventions collecti-
ves et des statuts. C'est là que la formation du 30 Avril sera con-
frontée à des réalités, et obligée de prendre position. Ses vérita-
bles intentions seront alors démasquées et connues par les travail-
leurs dont un certain nombre voit encore en eux des héros du 26
Janvier.
Il y a aussi les questions du retour des camarades licenciés de
leur emploi et aussi de l'exclusive qui se posent et ne doivent pas
souffrir de retard et qu'on peut utiliser en toute occasion.
Pour bien réussir dans notre action, une parfaite entente entre
nos militants est indispensable pour résister à toutes les difficultés
que nous aurons à subir de la part de l'équipe actuelle soutenue par
les autorités. -
Ainsi donc, il s'agit de sauver l'U.G.T.T. de la soumission, de
lui redonner son indépendance et sa puissance d'autant plus que
nul n'ignore que sans une U.G.T.T libre et démocratique, il ne
peut y avoir dans le pays ni progrès social, ni économique, ni
même de liberté.
J'estime donc que les camarades qui se sont toujours réunis au
moment voulu et dont le travail a été très fructueux doivent se ren-
contrer d'urgence pour débattre de la situation actuelle de
I 'U.G.T.T. et prendre les décisions qui s'imposent, tant sur le
plan national qu'international.
Reçois, cher si Hassen, mes fraternelles salutations.
' Habib Achour

Depuis la fin du congrès le 30.4.81, la presse aussi bien du Parti


que privée ne cesse de publier des déclarations de certains mem-

368
bres de l'exécutif de l'U.G.T.T. évoquant le congrès sous une
forme démocratique que notre organisation n'aurait jamais
connue.
Ils critiquent amèrement le comportement des camarades qui se
sont retirés du congrès en les taxant d'irresponsables, d'agitateurs,
de mauvais patriotes et d'agents à la remorque d'organisations
étrangères, de sécessionnistes etc ...
Plusieurs de nos camarades ont fait paraître des articles en
réponse à ces injustes accusations parus sur le journal "LE
MAGHREB". Salah Zeghidi, Secrétaire Général de la Fédéra-
tion des Banques et délégué au congrès de Gafsa a écrit :
« ... Une véritable cabale visant à dénaturer les positions de
ceux des congressistes qui se sont retirés dès la séance d'ouverture
a été organisée et savamment entretenus non seulement par des-
milieux directement liés au pouvoir (cf. articles d'El Amal) mais
malheureusement aussi par certains personnages se réclamant de
l'opposition politique ou certains syndicalistes dont l'hostilité à
l'égard de toute radicalisation du mouvement syndical pour s'être
estompée pendant les 3 années de crise, n'en est pas moins vivace.
[ ... ] Concernant ce qui s'est passé à Gafsa, plus exactement à
l'ouverture du Congrès et au fait marquant de l'ouverture, à savoir
·le retrait d'un grand nombre de congressistes.
1) Tout d'abord je dirai que la polémique sur le nombre des délé-
gués qui se sont retirés est marginale: qu'ils représentent le 1/4 ou
le 1/3 des Congressistes ne change rien. II reste que :
a) C'est la première fois dans l'liistoire pourtant mouvementée
de l'U.G.T.T. qu'un nombre impressionnant de délégués se reti-
rent d'un Congrès National.
b) Ceux qui se sont retirés appartiennent pour l'essentiel.à des
Secteurs Syndicaux connus pour leur dynamisme et leur combati-
vité et qui ont joué au cours des dernières années un rôle extrême-
ment important des les luttes revendicatives et syndicales de la
classe ouvrière.
c) Même si l'on s'en tient aux simples chiffres« officiels »et à
l'arithmétique, les délégués qui se sont retirés représentent près de
CINQUANTE MILLE ADHERENTS DE L'UGTT.
2) II faut être naïf ou myope, pour croire que ce grand nombre de
délégués représentant de tels secteurs se sont retirés parce que un
« manitou » ou quelques « meneurs » les ont manipulés à leur
guise en leur faisant jouer un scénario dont les ficelles se situaient
je ne sais où !
3) Pourquoi tenter de présenter ceux qui se sont retirés comme
ayant agi par « allégeance personnelle » à l'égard de Habib

369
Achour quand ON SAIT PERTINEMMENT QUE C'EST FAUX?
Pourquoi ne pas dire cette vérité : PLUS DE LA MOITIE DES
DELEGUES QUI SE SONT RETIRES N'ONT JAMAIS CONNU NI
VU PERSONNELLEMENT Habib ACHOUR ? Ne sait-on pas que
bon nombre de ces délégués n'ont débuté dans l'activité syndicale
que dans les années 1976-1977 et n'ont accédé à des responsabilités
syndicales qu'à la veille des évènements de 1978 ou lors du renou-
vellement des structures syndicales à partir de Novembre 1980 ? Si
l'on veut faire preuve d'un minimum d'honnêteté sinon d'objecti-
vité, ne doit-on pas au contraire admettre que ceux qui ont tou-
jours été connus pour agir en fonction« d'allégeance personnel-
le »,hier à X, aujourd'hui à Y, demain de nouveau à X ou à un
autre, CEUX-LA ETAIENT, EUX FORTEMENT REPRESEN-
TES parmi les délégués qui NE SE SONT PAS RETIRES ?
Et puis, n'y a-t-il pas quelque impudeur à parler« d'allégeance
personnelle » à ceux dont la position consistait précisément à refu-
ser concrètement « le diktat personnel » qui prétend imposer« sa
loi »à l'U.G.T.T. en se plaçant au-dessus des lois qui régissent le
pays et des conventions internationales ?
4) On parle de« l'irréalisme »de ceux qui se sont retirés, de leur
refus de considérer« le rapport de forces »etc.[ ... ]
L'indépendance de l'U. G. T. T. ne sera jamais offerte sur un pla-
teau d'argent, elle sera conquise, à travers une série de batailles,
dont certaines seront EXEMPLAIRES.
Les délégués qui se sont retirés du Congrès de Gafsa ont la
conviction profonde que la bataille menée à l'ouverture du Con-
grès sur la question du diktat gouvernemental était précisément de
ces batailles exemplaires qu'il fallait mener ouvertement, jusqu'au
bout. Ils savaient que la majorité des congressistes ne « marche-
raient » pas jusqu'au bout. Mais c'est le propre des batailles
« exemplaires » de ne pas aboutir dans l'immédiat. Elles mar-
quent un tournant, elles sèment un esprit nouveau, elles consti-
tuent un jalon, elles « dérangent » au sens noble du terme, elles
faussent les petits calculs mesquins, elles gênent les artistes de« la
politique politicienne » : et cela c'est beaucoup, c'est important.
Et c'est important non seulement pour l'U.G.T.T. qui avait, à
Gafsa, à faire face à ce diktat, mais c'est important aussi pour toute
la lutte démocratique dans le pays :il n'y a pas de démocratie pos-
sible si les lois sont transgressées ou bafouées à coup de diktats suc-
cessifs. Comment réagirait tel ou tel parti politique tunisien si les
autorités, par un diktat absolument contraire à la loi, lui « of-
fraient »la légalisation (à laquelle il a droit) à la condition que soit
mis à 1'écart son Président ou son Secrétaire Général ? .. . »

370
J'ai été amené moi-aussi à rendre publique en Juin 1981la lettre
suivante:
« Depuis quelques mois, la politique de notre pays semble avoir
entamé une évolution dans· un sens d'ouverture démocratique.
Tous mes camarades, jugés avec moi, ont été libérés, les responsa-
bles syndicalistes ont réintégré leurs emplois et ont repris leurs
activités syndicales.
Mais ces mesures d'apaisement étaient accompagnéesâ'un dur-
ci:.-sement inexplicable à mon égard : renforcement de la garde,
coupure du téléphone, réduction du droit de visite à mes seuls
eafants ... , enfin, quelques jours avant le congrès de Gafsa et pour
couronner le tout, même mes enfants ont été empêchés de me ren-
dre visite et mon fils Thameur a été assigné en résidence surveillée
chez moi ! Aujourd'hui encore, presqu'un mois après le congrès
de Gafsa, je suis l'objet des mêmes tracasseries et des mêmes res-
trictions injustifiées !
Toutes ces pressions n'ont en rien entamé ma détermination,
maintes fois exprimée aux représentants du pouvoir, à refuser tout
ce qui pourrait écorner les principes du syndicalisme authentique.
Cette situation n'a guère, non plus, entamé la détermination des
travailleurs qui, au congrès de Gafsa, ont manifesté courageuse-
ment et de façons diverses, leur attachement indéfectible à l'indé-
pendance du mouvement syndical, à la justice et à la démocratie et
leur rejet de toute exclusive.
Cependant, des "politiciens", certains journalistes, quelques
intellectuels et même de rares syndicalistes, tous plus soucieux de
leurs intérêts, de leurs carrières et des privilèges qu'ils espérent
obtenir que de la justice et de l'honnêteté, répètent qu'il ne faut
pas personnaliser les problèmes de l'U.G.T.T.
Mais qui donc cherche à personnaliser ces questions ? Ceux qui
privent un citoyen de ses droits légitimes ou ceux qui rejettent une
telle injustice ?
L'U.G.T.T. a eu à débattre de telles questions car chaque fois
que l'employeur s'était trouvé en face d'une structure syndicale
qui défend honnêtement et efficacement les intérêts légitimes des
travailleurs, il a eu tendance à adopter l'une des deux attitudes sui-
vantes :
-Mettre son véto contre tel ou tel syndicaliste jugé indésirable ;
-Renvoyer purement et simplement l'ensemble ou une partie du
bureau syndical.
Ayant longuement étudié ce problème, nous étions arrivés à la
conclusion que tolérer de telles pratiques entraînera la mort cer-
taine du syndicalisme par suite de l'élimination rapide des syndica-

371
listes authentiques et l'émergence dans les structures syndicales de
personnages arrivistes et corrompus, totalement à la solde de l'em-
ployeur. L'U.G.T.T., après avoir saisi à maintes reprises les auto-
rités compétentes qui n'ont pas pu mettre fin à ces entraves à
l'exercice du droit syndical, avait alors décidé de déclencher une
grève sans préavis pour tout licenciement d'un responsable syndi-
cal su~ te à l'accomplissement de sa mission. C'est ainsi que les syn-
dicalistes protégés par leur centrale, ont pu défendre dignement et
efficacement leurs camarades.
Quant aux groupements politiques, qui espérent obtenir bientôt
l'autorisation de se constituer en partis et qui semblent admettre la
politique de l'exclusive, ne devraient-ils pas longuement méditer
sur les dangers qui pourraient les menacer ? Si demain on exige
d'eux que leur Président, leur Secrétaire général ou un autre mem-
bre de leur direction soit exclu à priori de son propre parti, quelle
sera leur attitude ? Accepteront-ils d'organiser leur congrès dans
de telles conditions ?
Dans ce domaine, on sait comment et où commence l'injustice
mais on ne sait jamais quand ni où elle s'arrêtera ; si cette pratique
de l'exclusive entre dans les mœurs politique du pays, qui l'empê-
chera d'être appliquée dans les élections municipales ou dans les
élections législatives ?
Pourtant, les travaux du congrès extraordinaire du P.S.D. et ses
décisions ont fait naître un immense espoir dans le cœur des
citoyens : celui de voir enfin notre pays évoluer vers la démocra-
tie. Mais si l'application vide ces décisions de leur contenu le plus
noble la déception risque d'être à la mesure de l'espoir initial ; la
confiance sera alors difficile à reconquérir.
Quant à l'U.G.T.T., formée dans la lutte et pour la lutte, elle
continuera son chemin. Sa politique ancrée dans l'esprit de ses
adhérents et de ses militants est claire ; l'U.G.T.T. ne s'en écar-
tera sous aucun prétexte. Si, pour une raison quelconque, on
essaye de la dévier de son chemin par la contrainte, ce sera au
détriment de la classe ouvrière et du peuple tout entier ; ce serait
d'ailleurs la troisième fois depuis l'indépendance que l'organisa-
tion syndicale subit une telle agression mais les effets de ces entra-
ves ne dureront qu'un temps ; l'U.G.T.T. retrouvera vite sa force
et son indépendance et continuera à apporter sa contribution sur
le chemin de la démocratie.
Par contre, si le régime s'engage, comme le souhaite l'ensemble
des citoyens, sur une voie véritablement démocratique et s'il aban-
donne les précautions tatillonnes qui risquent de noyer dans des
détours inutiles les meilleures intentions, le peuple tout entier se

372
mettra à l'œuvre avec enthousiasme pour assurer à notre pays un
épanouissement total dans la paix et la fraternité ».
Le durcissement à mon égard ne cesse pas pour autant, bien au
contraire : La garde de ma maison est portée à plus de 30 policiers
et un contrôle systématique des entrées est instauré.
Ce durcissement est lié entre autres, à mon refus de l'offre qui
m'a été faite, qui consiste à me consacrer après ma libération seu-
lement aux activités de l'U.G.T.T. au sein de la C.I.S.L. et au
B.I.T.
Pendant ce temps les syndicats les plus combatifs dont ceux du
transport ont déclenché des grèves afin d'obtenir ma libération. La
C.I.S.L. et ses affiliés surtout européens et les partis socialistes de
par le monde sont intervenus vigoureusement auprès du gouver-
nement tunisien pour exiger ma libération. Le Directeur général
du B.I.T. en personne est venu à trois reprises me rendre visite.
Des gouvernements, dont certains sont particulièrement influents
sont intervenus également auprès de Bourguiba.
Quelque temps après ces interventions, des rumeurs commen-
cent à circuler faisant entendre mon éloignement à Kerkennah.
Des éléments de la police m'ont parlé d'une façon non officielle de
cette éventualité.
Deux ou trois jours avant mon départ, on m'a avisé que la nou-
velle destination était Korbous et non Kerkennah. Je me suis
opposé, en disant que je préfère ne pas partir et rester à Tunis,
mais les autorités m'ont notifié que c'est un ordre en ajoutant qu'à
Korbous je serais libre de recevoir n'importe qui sans restrictions.
Dès le premier jour de mon installation à Korbous, la nouvelle
de mon transfert a été connue de tous et les syndicalistes ont com-
mencé par arriver en grand nombre tranformant cette petite sta-
tion thermale qui ne compte que de rares habitants en Korbous des
grands jours de la saison estivale. Je suis passé aussi brusquement
de l'isolement total aux bains de foules. C'était la grande joie de
recevoir les syndic:1listes qui viennent de toutes les régions, auprès
dequels je me plaisais de me renseigner sur la situation syndicale.
On comptait parmi eux des vieux militants, des jeunes et de très
jeunes. Je recevais aussi de nombreux syndicalistes de la C.I.S.L.,
dont son Secrétaire Général Kersten et des membres des fédéra-
tions internationales dont quelques uns ont logé quelques jours à
Korbous. Ils m'ont mis au courant de ce qu'ils ont pu faire comme
actes de solidarité à mon égard et Kersten m'a même déclaré que
jamais dans la vie de la C.I.S.L. la solidarité n'a été aussi agissan-
te.

373
Un soir, la police est venue me demander de me préparer pour
partir immédiatement à Kerkennah. Je me suis opposé croyant
que, du fait qu'il s'agit d'îles relativement isolées, je ne pourrais
pas avoir des contacts aussi faciles qu'à Korbous. Mais la police
m'a notifié que c'est un ordre à exécuter.
Je suis arrivé à Sfax vers 4 heures du matin alors que le bateau
ne partait pour Kerkennah qu'à 7 heures et demi. Je ne croyais pas
encore pouvoir disposer d'une liberté de contacts. J'ai alors sondé
les policiers en leur demandant est ce que je pouvais aller prendre
un café ? Mais oui ! répondirent-ils et ils ajoutèrent :Dès mainte-
nant vous êtes libre et nous avons pour mission de vous amener à
votre maison à Kerkennah où vous serez entièrement libre de
recevoir qui vous voulez.
Sur le bateau, ma première rencontre depuis mon arrestation
avec les insulaires fut très gaie.
A Kerkennah, comme à Korbous, les syndicalistes affluaient de
toutes parts et les Samedi et Dimanche étaient les grandes jour-
nées. Heureusement que la maison est grande et qu'on peut bien
y recevoir et discuter avec de nombreux amis à la fois. Là aussi, à
Kerkennah, de très nombreux policiers ont été dépêchés sur les
lieux et la plupart de ceux qui prennent contact avec moi sont
interpellés. J'ai assisté moi-même, lorque j'accompagne certains
groupes au bateau, à l'hôtel ou au café, à quelques interpellations.
A la veille des élections législatives, des hommes politiques du
M.D.S. et du M. U .P. sont passés me voir polir discuter de la situa-
tion dans le pays. J'en connais plusieurs de longue date. Après leur
départ, le chef de police de la région m'a rendu visite pour me dire
qu'il est chargé par son Ministre de me notifier qu'il dispose d'in-
formations, selon lesquelles j'aurais donné des instructions à ceux
qui me rendent visite, pour voter en faveur de l'opposition et
notamment du M.D.S. Je suis chargé, me dit-il aussi, de vous pré-
venir pour que vous cessez de réunir des gens, sinon vous qui êtes
en liberté provisoire vous retournerez au bagne. J'ai répondu que
je ne refuserai aucune personne venant frapper à ma porte et que
s'ils ne voulaient pas de ces contacts, ils n'avaient qu'à faire
comme ils l'ont fait à Tunis c'est à dire les empêcher d'entrer.
Un jour, le Samedi 28 Novembre 1981, je suis avisé par le Gou-
verneur de Sfax qU'il allait m'envoyer le lendemain un délégué du
gouvernorat pour m'annoncer que le Président allait me recevoir
le surlendemain. Il m'a également indiqué que la police m'accom-
pagnera jusqu'à Tunis.
A Tunis, la police m'a ordonné de ne pas quitter la maison et de
ne recevoir personne. Elle m'a signifié qu'elle m'amènera à la Pré-

374
sidence. Pendant ce temps, j'ai appris que le Conseil National de
l'U.G.T.T. était en réunion. J'ai été mis au courant également de
ce qui s'y déroulait et de ses exigences en ce qui concerne ma libé-
ration et la levée de l'exclusive.
Au Palais de Carthage, le Lundi 30Novembre, il y avait l'exécu-
tif de l'U.G.T.T. On nous a fait entrer auprès de Bourguiba qu'on
trouve entouré par Mzali et Driss Guiga. Très ému le Président me
dit :
-Ainsi, tu nous laisses inquiets au sujet de ta santé.
Je lui ai répondu : -Merci, je me porte très bien.
Il s'est mis alors à parler de ce que j'avais fait avec lui dans l'in-
térêt du pays. Ce n'est qu'après un bon moment qu'il me dit :
-Maintenant que tu es devenu vieux on va te charger de la prési-
dence de l'U.G.T.T. ertu te reposeras.
Vexé par ces propos j'ai dit au président:
-Il ne s'agit pas de me nommer à tel ou tel poste ou de me mettre
à la retraite, seuls les travailleurs ont le droit de juger s'ils veulent
de moi ou pas. Ils sont les seuls qualifiés pour me charger de telle
ou telle autre attribution.
Le Président répondit alors sur un ton assez sec :
-Si tu as été grâcié c'est parce que tu étais gravement malade et si
tu persistes dans ce que tu dis, n'oublie pas que tu es en liberté pro-
visoire et que tu retourneras au bagne de Borj Erroumi.
Je lui ai alors répondu que je n'ai jamais demandé de grâce, j'ai été
condamné comme mes camarades et je ne demande rien de plus
que de bénéficer de la même situation qu'eux et si vous voulez me
renvoyer à Borj Erroumi je sais que vous pouvez le faire.
Après quoi, plusieurs camarades ont insisté auprès du Président
sur la nécessité de lever l'exclusive et de ne pas faire durer une
situation particulière qui ne fera qu'accroître le mécontentement
au sein de l'U.G.T.T. alors que nous avons besoin de l'Union de
tous pour faire un travail sérieux au profit du pays. Seul Bouraoui
a déclaré :les suggestions du Président sont constructives.
Puis, après un lourd moment de silence, le Président déclara :
"L'U.G.T.T est la vôtre faites en ce que vous voulez".
L'ambiance s'est décontractée, de larges sourires de part et d'au-
tres et enfin les félicitations de Mzali se succédèrent.
Les responsables de l'U.G.T.T. se sont rendus joyeux au Palais
des congrès où se tenait le Conseil National. C'était pour moi un
bain de foule dans un enthousiasme rarement vu. Des embrassa-
des, des chants, des slogans. Le Conseil National se transforme
pour un temps en salle de fêtes. Bousculé de toute part, je tenais
difficilement sur mes jambes et j'étais tout en sueur. Difficilement

375
les camarades reprennent leur place, le Conseil National poursuit
ses travaux, celui qui préside me donne la parole.
J'ai manifesté ma grande joie d'être de nouveau parmi les syndi-
calistes à ce Conseil National deuxième instance de l'U.G.T.T. Je
les ai remerciés pour l'action qu'ils ont menée pour exiger ma libéra-
tion et mon retour parmi eux. J'ai déclaré aussi que nos différends
avec le gouvernement étaient motivés par la décision du congrès
de Bizerte du Parti de 1964 qui consistait à faire des organisations
nationales des filiales du Parti, or aujourd'hui le Président Bour-
guiba a dit : I'U.G.T.T. est la vôtre, faites-en ce que vous voulez.
J'estime que c'est la première fois que le gouvernement reconnaît
l'indépendance totale de l'U.G.T.T. vis-à-vis du pouvoir et du
Parti. Nous fêtons donc aujourd'hui avec le retour à l'U. G .T. T. de
son exécutif d'avant les événements de 1978, la reconnaissance par
le Gouvernement de notre indépendance totale.

376
Annexe 1 : Etude présentée par Maître
Georges Levasseur lors du procès
de "1 'Affaire du bateau"

Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de Paris
91- Orsay (Essonne) J:. 27 Février 1966
12, rue de Chartres.

Affaire Habib ACHOUR :

Mon cher Maître,


Je réponds à votre lettre non datée écrite le 21 Février 1966 et
qui m'a été remise par M. KEPPLER, le vendredi 25 en même
temps qu'un dossier comportant un certain nombre de pièces du
dossier de cette affaire et notamment le jugement rendu par le Tri-
bunal de Sfax, le 12 Janvier 1966, qui a condamné M. Habib
Achour, entre autres chefs, pour complicité d'émission de chèque
sans provision. Le peu de temps dont je dispose ne me permet pas
de vous fournir une consultation sous la forme complète et détail-
lée que j'ai l'habitude d'adopter, mais, ainsi que nous en avons
convenu avec M. Keppler, je vous adresse ci-dessous un résumé
des réflexions que m'inspire la consultation des documents que
vous m'avez communiqués, et l'examen rapide'mais attentif du
droit positif français auquel je me suis livré.
Il apparait, en effet, que la législation tunisienne ne diffère pas
sensiblement de la législation française sur le point qui nous
occupe. Aussi bien le Tribunal de Sfax n'a-t-il pas hésité à faire lui-
même appel largement à la doctrine et à la jurisprudence françai-
ses pour motiver la décision qu'il a rendue.
Le texte d'incrimination est situé dans l'article 411 du code de
commerce tunisien, qui punit celui qui a émis un chèque sans pro-

378
vision préalbale et disponible ou avec une provision inférieure au
montant du chèque ; cette disposition ne diffère que par un détail
de l'Article 66 du Décret-loi français du 30 Octobre 1935 unifiant
le droit en matière de chèque, le texte français précise, en effet,
que l'auteur doit avoir agi "de mauvaise foi" ; quoique cette préci-
sion ne figure pas dans l'article 411 C. Comm. tunisien, il résulte
des éléments de la poursuite et du jugement lui-même que le droit
positif tunisien ne diffère pas sur ce point de l'interprétation que la
jurisprudence française a donnée du texte susvisé.
Quant à l'incrimination de la complicité, elle est prévue dans
l'Article 32 du code pénal tunisien, dont le paragraphe 1 invoqué
en la cause reproduit littéralement l'Article 60, al 1, c Pen, Fran-
çais.
Je n'examinerai pas le point de savoir si l'attitude reprochée à M.
Habib Achour réalise bien "l'abus d'autorité ou de pouvoir" qui
aurait provoqué M. Attia directeur de la SOMVIK à signer des
chèques sans provision. Quoique la question que vous me posiez
soit :"M. Achour est-il coupable de complicité d'émission de chè-
que sans provision au sens des articles 411 du code de commerce
Tunisien, 32 et 291 du code pénal Tunisien ?", je me bornerai à
étudier ici le point principal, c'est à dire celui de savoir si la signa-
ture des chèques par M. Attia, sur l'insistance de M .. Achour,
constitue ou non le délit d'émission de chèque sans provision visé
à l'Article 411 du Code de Commerce Tunisien et assimilé par ce
texte à l'escroquerie prévue à l'Article 291 du code pénal.
Le délit d'émission de chèque sans provision parait comporter
en droit tunisien comme en droit français, deux éléments :un élé-
ment matériel consistant à avoir tiré un chèque sans provision
préalable et disponible, et un élément moral consistant dans une
faute du tireur.
On examinera, en premier lieu, le problème de la provision.
Al La provision consiste en une créance dont le tireur est titulaire
sur le tiré.
Cette créance doit exister au moment de l'émission du titre,
puisque, par le fait même de cett~ émission, le bénéficiaire
acquiert la propriété de la provision et un droit personnel de
créance sur le tiré. Il est exact, comme l'indique le jugement (p.22-
23 de la traduction communiquée), que la provision doit exister au
moment de l'émission. réelle du titre, sans attendre la date indi-
quée comme étant celle de la création lorsque cette date est posté-
rieure, comme cela est le cas dans l'espèce présente, où il n'est pas
contesté que les chèques étaient postdatés (Patin et Rousselet,
"Droit pénal spécial" 7° ed du Précis de M. Goyet N° 862 : Vouin,

379
"Droit pénal spécial" N° 622 - 2°, Pagraud, jurisclasseur pénal,
"Infractions en matière de chèque" N° 58: Faustain-Helie et Brou-
chat, "Pratique criminelle des cours et tribunaux" 6° ed. N° 724 et
ss.p. 458 ; voir la jurisprudence citée par ces auteurs).
Il est exact également que le fait de compléter la provision avant
la présentation du chèque, ou le fait que le bénéficiaire était au
courant de l'insuffisance de la provision, voir qu'un accord était
intervenu pour que le chèque ne soit pas présenté au paiement
avant un certain temps, sont sans influence sur l'existence de l'élé-
ment matériel du délit (Derrida, op. cit. N° 39 et 43 ; Pageaud, op.
cit. N° 78 & 79 : Vouin, op. cit. N° 622, et références citées).
Cependant, M. Derrida (à l'avis duquel le jugement se refère plu-
sieurs fois) ne manque pas d'observer dès le début de son étude
(Encyclopédie Dalloz, Répertoire de droit criminel, V° Chèque
N° 25) qu'en pratique il suffit que la provision existe avant la pré-
sentation du chèque au paiement (le délit n'en étant pas moins
théoriquement constitué).
BI Y avait-il provision préalable et disponible à la Banque du peu-
ple le jour où le chèque actuellement en cause (celui de 3.000
dinars) a été émis au bénéfice de la Compagnie d'Assurances
l'Union, c'est à dire le 8 Juin 1965 ?
Ici, une remarque liminaire s'impose. L'absence de provision
étant un élément constitutif de l'infraction, il est évident que c'est
au ministère public d'en rapporter la preuve (Derrida, op. cit. N°
36 et 44). A ma connaissance, ce fait n'a jamais été contesté par
personne et cette exigence figure dans toutes les législations.
On est donc surpris de lire dans le jugement attaqué (p. 26 al. 2 de
la traduction) : "Attention, en résumé, que la réalité du crédit et
l'existence préalable de la provision et la possibilité d'en disposer
ne sont pas établis ; qu'il n'a pas été prouvé à ce Tribunal, de façon
matérielle non équivoque et sans soupçon, que le crédit était un
droit existant." Ainsi, le Tribunal affirme que le prévenu n'a pas
rapporté une preuve qui lui incombait et qu'une équivoque sub-
siste sur l'existence de la provision. C'est renverser manifestement
la charge de la preuve, et, si un doute subsistait dans l'esprit du Tri-
bunal quant à l'existence de la provision le 8 Juin 1965, les règles
fondamentales du droit pénal lui imposaient d'acquitter le préve-
nu. Le délit d'émission de chèque sans provision ne déroge pas, sur
ce point, au droit pénal commun tunisien (semblable lui-même•au
droit pénal commun de tous les pays civilisés et à la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme).
Précisons donc bien que c'est au ministère public de rapporter la
preuve, hors de tout doute possible, que la provision n'existait pas.

380
Nous allons néanmoins nous efforcer d'apporter des éléments de
discussion sur cette question.
1°1 Le premier point à éclaircir est de savoir quel était l'état du
compte de la SOMVIK à la Banque du Peuple à la date en ques-
tion?
Le jugement du 12 Janvier 1966 répète à diverses reprises (p. 12,
13, 24 et 25 al. 2 et 6 de la traduction communiquée) que ce compte
était débiteur de D.I. 086. 985 ; il s'appuie sur le rapport du Pre-
mier Commissaire chef de la police criminelle qui aurait recueilli
cette information auprès de la Banque du Peuple, précisant même
qu'après le virement de 2.000 Dinars, dont il sera question ci-des-
sous, le compte était devenu créditeur de D. 913. 015.
Or il semble qu'en l'occurence le Tribunal a commis une grave
erreur matérielle : le compte de la SOMVIK à la Banque du Peu-
ple, le 8 Juin 1965, n'était pas débiteur de D .I. 086. 985 mais crédi-
teur de cette somme.
Ce point paraît hors de discussion pour les raisons suivantes :
a) Le solde du compte est affirmé tel dans l'attestation émanant
de la Banque et figurant en pièce 4 au dossier communiqué ;
b) Ce solde positif est confirmé pour la même somme sur la fiche
comptable mécanographique produite le 23 Février 1966 devant la
Cour de Sfax ;
c) Au cours des actes terminant l'information, il n'a pas été mis
en doute que le compte permettait de payer le plus faible des deux
chèques émis le 8 Juin 1965 (celui de 750 Dinars). Si l'on consulte,
en effet, le réquisitoire définitif (pièce communiquée N° 27), l'or-
donnance de clôture (No 28) et l'arrêt de la chambre d'accusation
(Pièce No 30), on constate que les uns et les autres parlent toujours
de falsification de deux chèques, mais de défaut de provision pour
un seul des deux : "inexistence de provision à la Banque du Peuple
en faveur du compte de la SOMVIK pour payer l'un des deux chè-
ques" (réquisitoire) ; complicité d'émission d'un chèque sans pro-
. vision et émission de deux chèques à date falsifiée ... sachant fer-
mement que le chèque de 3.000 Dinars sur la Banque du Peuple est
sans provision ; deux chèques à date falsifiée et l'und' eux sans pro-
vision" (ordonnance de clôture), deux chèques à date falsifiée et un
chèque sans provision" (formule trois fois répétée dans l'arrêt de
la chambre d'accusation).
En présence de ces éléments, il me semble que le Tribunal de
Sfax a dû commettre une erreur matérielle, et l'existence d'un
solde positif de D.I. 086. 985 au compte de la SOMVIK à la date
du 8 Juin 1965 ne paraît pas douteuse.

381
L'erreur qui aurait été ainsi commise est d'autant plus regretta-
ble que le Tribunal s'appuie sur l'existence de ce compte débiteur
pour contester celle de l'ouverture de crédit de D. 4. 000.000 (p. 25
article 6 de la traduction) et celle de l'ouverture de crédit de D.
15.000.000 (p. 25 article 3 de la traduction) étudiées infra en 2° b
etc).
2°/ Le second point à éclaircir est de savoir si l'on peut ajouter à
ce compte une ouverture de crédit autorisant la SOMVIK d'avoir
un certain découvert.
Lorsque le client bénéficie d'une ouverture de crédit, il n'est pas
douteux, en effet, que celle-ci constitue une provision préalable et
disponible qui l'autorise à tirer des chèques jusqu'à épuisement de
son compte augmenté du montant de l'ouverture de crédit en
question (Bouteron, "Le chèque" p. 205 ; Lyon-Caen et Renaudt,
"Traité de droit commercial", 5° ed. par Amiaud, IV N° 568 ;
Hamel, "Banque et opérations de Banque", 1 No 499, Escarra,
"Manuel de droit commercial", II, N° 1217, Notel, Cabrillac, "Le
chèque et le virement" No 78 et 85 ; Drouets, "La provision en
matière de chèque", N°21 et ss. Derrida, op. cit. N° 32 et ss ; Patin
et Rousselet, op. cit. p 587 ; Vouin, op. cit. W 622 p. 629 ;
Pageaud op. cit. No 98 ; Pageaud, J.C.P 1951- 1- 920 W 7 ; Seine
20Novembre 1922, D. 1923-2-7NoteH.L. Nimes2Janvier 1929.
Recueil-Sommaires Août 1924 ; Paris 13 Mai 1927, Gaz. Tri b. 6
Juillet 1927 ; Trib. comm. Havre 5 Mars 1930, Gaz. Pal. Table
1930 - 1935, yo Chèque N° 26, Seine 22 Juillet 1938, DH 1938 -
590).
Le principe est unanimement admis depuis longtemps et la
seule question qui se pose en jurisprudence est celle de la preuve
de l'ouverture de crédit.
a) Or, aucune décision n'a jamais refusé de tenir compte d'une
ouverture de crédit qui a été inscrite par le banquier dans les fiches
de sa clientèle. On est alors, en effet, en présence d'un "engage-
ment formel et préalable du tiré, ayant pour objet de constituer
dans la banque, au profit du tireur, unavoir dûment contacté",
selon la formule actuelle employée par la Cour de Cassation fran-
çaise (Crim. 19 Décembre 1957, Bull. p. 1. 550 ; Crim 4 Février
1959, Bull. p 148, Crim. 19 Janvier 1960, Bull. p. 48).
Précisément le cas de l'espèce présente un exemple de cette
catégorie d'ouverture de crédit. L'attestation délivrée par la Ban-
que du Peuple (communiquée sous le N° 4) précise que le 3 Juin
1965 est intervenu un accord pour un découvert en compte courant
de D. 2.000.000. D'après les indications qui m'ont été fournies, la
même mention figure à la même date sur la fiche comptable méca-

382
nographique qui a été produite à la Cour de Sfax le 23 Février
1966.
S'il en est ainsi, la question juridique posée par la présente
espèce est résolue : disposant d'un solde créditeur de D. 1. 086,985
et d'une ouverture de crédits de C. 2.000,000 à la date du 8 Juin
1965, la SOMVIK pouvait, à cette même date, tirer un chèque sur
la Banque du Peuple, ce chèque était parfaitement provisionné.
Je me permettrai, à ce propos, une remarque en liaison avec ce
que j'ai dit tout à l'heure, concernant la charge de la preuve. La
défense a plaidé devant le Tribunal de Sfax que la partie poursui-
vante était irrecevable parce qu'elle n'avait pas fait dresser protêt
dans les conditions prévues par les articles 400 et ss. du code de
commerce tunisien, le Tribunal n'a pas admis cette argumenta-
tion, il a estimé, à bon droit, que le protêt n'était pas une formalité
indispensable à la poursuite.
Il n'empêche que le protêt a l'avantage de règler le problème de
la preuve, et qu'en ne recourant pas à cette procédure le ministère
s'est placé dans une situation difficile. Le meilleur moyen de prou-
ver l'inexistence de la provision, c'est, en effet, de faire constater .
que le tiré refuse de payer. Or les chèques établis à Sfax le 8 Juin
et datés du 10 ont été saisis le 10 Juin à 17h00 à Tunis à la Banque
où ils étaient parvenus par plusieurs intermédiaires avant qu'ils
n'aient été présentés à l'encaissement. Cette situation, si elle ne
rend certainement pas la poursuite irrecevable, n'en complique
pàs moins la tâche du ministère public. En l'occurence, la présence
d'une provision largement suffisante à la date du 8 juin 1965 paraît
ressortir clairement de la comptabilité.
b) L'attestation de la Banque, visée ci-dessus, mentionne que le
8 Juin 1965 un nouveau crédit a été ouvert pour un dépassement
supplémentaire de D. 4.000,000 portant ainsi l'ouverture de crédit
à D. 6.000,000.
Il est superflu de discuter si cette nouvelle ouverture de crédit
doit-être prise en considération puisqu'aussi bien le chèque que-
rellé était approvisionné, même aux yeux de la jurisprudence la
plus exigeante, celle qui exige une trace écrite du crédit consenti
avant la date de l'émission.
Ici, nous trouvons une trace écrite qui n'aurait été portée en
comptabilité, d'après le jugement, que le 9 Juin 1965 vers six heu-
res du soir à la suite d'une communication téléphonique de Sfax,
se reférant à un accord intervenu la veille (le Tribunal parle d'un
virement de D. 2.000,000 qu'il parait confondre avec l'ouverture
de crédit du 3 Juin précédent).

383
Quoique la question ne présente pas d'intérêt direct en la cause
(puisqu'aussi bien il existait d'ores et déjà une provision suffisante
avant cette opération), je me permettrai de faire allusion à la con-
troverse qui existe dans la jurisprudence française pour savoir si
l'ouverture de crédit constitue bien une provision alors que l'ac-
cord est simplement verbal et n'a pas encore donné lieu à une trace
écrite.
Je pense personnellement que si l'accord peut être prouvé, il
forme provision dès le moment où il est intervenu, et il n'est nulle-
ment nécessaire qu'il ait déjà laissé une trace écrite. Nous som-
mes, en effet en matière commerciale, où la preuve peut-être rap-
portée par témoignages (Art. 598, 7° C. Commerce tunisien). Tel
est l'avis formel d'auteurs nombreux et considérables (Derrida op.
cit. N° 33, Cabrillac, "Réflexions sur le chèque sans provision",
Banque 1950, p 540, Vouin, op. cit. N° 622, p. 629 et 630) et de cer-
taines décisions non négligeables (Cif. 10 Mars 1936, Gaz. Pal.
1936- 1- 826) : l'ouverture de crédit peut être purement verbale et
doit produire dès ce moment ses effets. S'il en est ainsi, la SOM-
VIK p~mvait le 8 Juin (sauf à discuter sur l'heure de l'accord verbal
en question), tirer des chèques jusqu'à concurrence D. 7.086,985,
sans dépasser la provision.
Il est vrai qu'une jurisprudence (Derrida, op. cit. No 33) assez
critiquée (Vouin, op. cit. P. 630) ne partage pas ce sentiment et
exige un écrit. Mais cette jurisprudence ne comprend aucune déci-
sion de la cour de cassation. Celle-ci se contente, nous l'avons dit,
d'un engagement formel et préalable, sans exiger qu'il soit écrit.
C'est ce, dont le jugement de Sfax ne parait pas s'être aperçu (p.
24 art. 2 de la traduction).
Par contre, il paraît certain qu'il faut que l'accord sur l'ouver-
ture de crédit soit exprès (même verbal) mais non tacite. II existe
une jurisprudence abondante dont le jugement a utilisé divers élé-
ments (pas toujours à bon escient) qui affirme que certaines "faci-
lités de caisse" (sur les opérations juridiques variées que recouvre
cette expression, voir Derrida, D. 1960 chr. P. 222 et ss.) ou la
complaisance révocable du banquier ne constituent pas une provi-
sion valable au regard du droit pénal (Crim. 4Janvier 1951, J.C.P.
1951- II- 6 558 bis, Crim. 30 Décembre 1952, Rec. D. pen. 1953
-89, Bull p. 333, Crim. 28Janvier 1959, Bull. p. 134, Crim 7 Octo-
bre 1959, Bull. p. 804, Crim 27 Juin 1963, Bull. p. 498, Crim. 17
Décembre 1963, D. 1964- 121).
L'arrêt du 30 Décembre 1952 précité sur lequel insiste le juge-
ment de. Sfax réserve expréssement le cas où il existerait une
convention à raison de laquelle le banquier ne serait pas libre d'ar-

384.
rê ter ses avances à découvert sans préavis.
Remarquons que le jugement de Sfax parait admettre la validité
d'une ouverture de crédit même tacite lorqu'il parle d'une "provi-
sion préalable et disponible immédiatement constituée en liquide
ou selon une convention explicite ou implicite donnant droit au
tireur de disposer de cet argent" (Traduction p. 23, at.3).
c) M. Habib Achour paraît avoir fondé sa défense, du moins au
début de l'instruction, sur le fait que la SOMVIK disposait d'un
crédit d'environ 15.000 dinars à la Banque Populaire, reliquat d'un
crédit global de 50.000 dinars dont 35.460.930 avaient été utilisés
du 22 Janvier au 4 Mai 1965 inclus (une nouvelle tranche de D.
5.000.000 a été utilisée le 18 Juin 1965).
Cette ouverture de crédit peut-elle être prise en considération
dans le calcul de la provision préalable et disponible le 8 Juin
1965?
Il est difficile de répondre à cette question sans disposer de rensei-
gnements complémentaires. S'il est exact que, comme le prétend
M. Habib A chour, le crédit était ferme et que l'utilisation de ses
tranches était subordonnée simplement à mi ordre en ce sens du
bénéficiaire, la division en tranches n'ayant lieu que pour éviter le
paiement d'intérêts trop élevés, on devrait effectivement considé-
rer qu'il y a engagement formel et préalable, constituant au profit
du tireur un avoir dont l'existence est indubitable.
Mais il parait superflu de s'engager dans cette discussion alors
que les points a) et b) établissent d'ores et déjà l'existence d'une
provision suffisante pour couvrir le chèque en cause.

*
* *
On examinera maintenant (de façon subsidiaire, puisque à mon
avis, l'élément matériel n'est pas réalisé), l'élément moral de l'in-
fraction.
Al On a signalé plus haut que l'Article 411 du code de Commerce
tunisien ne contient pas les mots "mauvaise foi" qui figurent dans
le texte français. On peut penser qu'il en est ainsi parce que le
législateur tunisien a estimé que cette expression correspondait
mal à l'état actuel du droit positif français, elle semble impliquer,
en effet, une faute intentionnelle caractérisée, alors qu'il est cons-
tant que la jurisprudence française se contente, en fait d'une faute
d'imprudence ou de négligence.
Cependant le droit positif tunisien ne supprime pas tout élément
moral dans le délit d'émission de chèque sans provision. On en

385
trouve la preuve très nette dans le réquisitoire qui déclare : "le
législateur considère le simple fait de remettre un chèque sans pro-
vision en connaissance de cause ..•. comme suffisant pour établir le
délit reproché aux inculpés." D'ailleurs, le jugement de Sfax s'ef-
force d'établir que M. Habib A chour a agi en connaissance de l'in-
suffisance de la provision. Remarquons, à ce sujet, qu'il importe-
rait peu que M. Habib Achour ait cru qu'il n'y avait pas de provi-
sion alors qu'en réalité, comme on l'a vu il y en avait une, en effet,
le droit pénal tunisien, pas plus que le droit français, ne cannait le
délit putatif, aucune poursuite ne peut avoir lieu si l'élément maté-
riel défini par la loi n'est pas réalisé. (L'article I consacre implicite-
ment le principe Nullum crimennulla poena sine lege).
BI Il importe donc de rechercher si M. Habib Achour, a supposé
même qu'il n'y ait pas eu provision, a fait signer le chèque en
connaissance de cause de l'inexistence de celle-ci.
Comme l'observe M. Pageaud (Jurisclasseur N°71), lorsqu'il est
établi qu'il n'y avait pas de provision suffisante, il faut encore se
demander si le tireur pouvait ignorer qu'il n'y avait pas provision
disponible et préalable, c'est-à-dire s'il est de bonne foi.
On remarquera qu'en dépit du caractère équivoque de certaines
de ses déclarations, et de l'interprétation difficile des propos de M.
Attia ("Je n'ài pas d'argent", propos que la défense et les témoins
attribuent à une attitude systématique de sa part), le prévenu a
toujours protesté de sa bonne foi.
Soulignons d'abord que si la jurisprudence française, ainsi que
le relève le jugement attaqué et tous les auteurs (Patin et Rousse-
let, op. cit. N° 862- c-p. 587 ; Faustin- Helie et J. ·Brouchot, op.
cit. N° 725 et ss. p. 460 ; Pageaud, jurisclasseur précité N° 85 et
ss.), se montre actuellement très exigeante pour admettre la
bonne foi du prévenu, il n'en reste pas moins que la nécessité de
l'élément moral n'a jamais cessé d'être soulignée par la Cour de
Cassation, son existence doit être constatée par le juge dans cha-
que cas d'espèce "en termes exprès ou non équivoques" (Crim. 2
Mai 1963, J.C.P. 1963- IV -78, Crim. 17 Juillet 1963, J.C.P. 1963
-IV- 122, crim 28 Janvier 1964, Bull. N° 30, Pageaud op. cit. N°
78, Faustin- Helie et Brouchot, op. cit. II, p. 460, Derrida, op. cit.
N° 45).
Il ne suffit donc aucunement au juge de constater l'absence
d'une provision préa~able et disponible pour pouvoir condamner
le prévenu (Crim. 20 Février 1925, D.H. 1925-222, Crim. 10 Jan-
vier 1956, Bull p. 50, Crim. 7 Mai 1957, Bull. p. 689).
Soulignons également que la preuve de l'élément moral, comme
celle de l'élément matériel, incombe exclusivement au ministère

386
public (Faustin-Helie et Brouchot, op. cit. II, p. 460, Derrida op.
cit. No 44). La tentative de renversement de la preuve essayée en
France par l'acte dit loi du 22 Novembre 1940 a été promptement
abandonnée (acte dit loi du JO Février 1943).
Contrairement à ce que le jugement de Sfax paraît penser le seul
fait qu'un chèque soit postdaté ne signifie pas nécessairement que
la provision soit insuffisante, ni que le prévenu a connu cette insuf-
fisance (AIX, 28 Novembre 1952, JCP. 1953- IV- 114).
Il est inexact par contre que la simple connaissance de l'insuffi-
sance de la provision suffit à établir la faute du tireur, si cette
connaissance est certaine (Crim. p Avrill934, Gaz. Pal. 1934-2
- 63, Crim. 3 Février 1938, DH. 1938-214, AIX 15 Février 1-949,
Rev. Sc. Crim. 1949,386 ; Rabat lü Janvier 1955, D. 1956, Somm.
21) et même que son ignorance ne suffit pas à établir sa bonne foi
si elle témoigne d'une négligence grave (dans l'arrêt de crim. 3
Février 1938, D.H. 1938, 214, souvent cité, la Cour de Cassation
a relevé que le prévenu avait négligé de s'informer de l'état de son
compte alors qu'il savait que ses affaires étaient en grande difficul-
té).
Il faut cependant noter que les décisions ayant admis que l'élé-
ment moral n'éta1t pas réalisé et que le tireur était de bonne foi,
ont été très nombreuses en jurisprudence même au cours des
années récentes (Caen 18 Décembre 1924, D.H 1925- 150, Seine
22 Juillet 1938, D.H. 1938- 590, Paris 23 Février 1937, J.C.P 1937
-II- 167, AIX 12 Juillet 1941, J.C.P 1941 -II- 1709, Seine 8
Novembre 1949, Gaz. 1950- I- 78, Nancy 9 Juin 1954, Gaz. Pal.
1954-2-213 ; Seine 17 Décembre 1954, Gaz. Pal. 1955- I- 179,
Lille 15 Novembre 1955, Gaz. Pal. 1956- I- 83, Seine 7 Ma,rs 1956,
Gaz. Pal. 1956 - 2- 10, Douai 16 Février 1956, ibidem, Lyon 1er
février 1959, Gaz. Pal. 1957- 1- 381).
Un bon nombre de ces décisions ont admis que le tireur était de
bonne foi parcequ'il pouvait légitimement compter sur la bienveil-
lance habituelle de son banquier. Une telle position n'est pas exac-
tement en harmonie avec la rigueur de la cour de cassation, mais
elle s'explique par les nécessités de fait de la pratique bancaire. M.
Pageaud (jurisclasseur précité, No 70) souligne que les relations
entre banquier et client sont complexes et équivoques et qu'il faut
tenir compte des situations concrètes. M. Derrida, de sont côté
(J.C.P. 1951-II-6.489), signale qu'au cours d'une visite au direc-
teur d'une grande banque d'Alger, il a vu celui-ci être dérangé
quatre fois en un quart d'heure, pour autoriser le paiement de chè-
ques insuffisamment provisionnés. En effet les banquiers doivent,
par profession, faire confiance au commerçant qu'ils ont agréé et

387
lui donner satisfaction pour conserver sa clientèle, c'est seulement
à partir du moment où la situation de ce commerçant est notoire-
ment compromise que le banquier cessera toute complaisance,
voire s'efforcera de mettre fin brutalement aux facilités consen-
ties. (Voir Derrida, loc. cit).
Ces exemples montrent que les situations concrètes doivent être
prises en considération lorqu'il s'agit d'apprécier la bonne foi du
tireur. Dans l'affaire jugée par la Cour de Caen le 18 Décembre
1924 précité, le tireur avait des titres en dépôt dans la Banque et le
Directeur de l'établissement était en congé au moment du refus du
paiement. La Cour de Cassation, elle même n'est pas insensible à
de telles situations : un arrêt récent du 22 Jan vier 1963 (Bull No 35,
D. 1963'-425), encore peu connu, souligne que le fait que le tireur
disposait à sa Banque d'un compte garantie lui assurant un crédit
important, peut influer sur l'appréciation de sa bonne foi.
Précisément, de telles hypothèses sont à rapprocher du cas de
M. Habib Achour.
Cl La situation de M. Habib Achour est extrêmement particu-
lière. Il est Président Général de la SOMVIK, les bateaux de cette
entreprise sont assurés à la Coopérative d'assurances L'Union,
dont M. Habib Achour est également Président Directeur Géné-
ral, pour payer les primes de cette assurance, la SOMVIK tire des
chèques sur le compte qu'elle a à la Banque du Peuple dont M.
Habib Achour est, là aussi, le Président Directeur Général.
Certes, il s'agit là de Sociétés distinctes ayant chacune leur per-
sonnalité juridique, mais au point de vue de l'appréciation psycho-
logique de la faute éventuellement commise par M. Habib A ch our
et de la connaissance qu'il pouvait avoir d'une provision suffisante
au moment où les chèques étaient émis, cette situation n'est nulle-
ment négligeable. La jurisprudence française, lorsqu'elle refuse
parfois d'admettre la bonne foi d'un tireur qui comptait exclusive-
ment sur la complaisance, même habituelle, de son banquier, lui
reproche d'avoir préjugé de la décision de celui-ci et d'avoir tablé
sur la stabilité d'une situation précaire (comp. Derrida, "Ouvertu-
res de crédit et chèques sans provision", D. 1960, ch. 222 col. 1) ;
mais comment pourrait-on faire le même reproche à M. Habib
Achour Président Directeur Général ge la SOMVIK, alors que
son banquier était la Banque du Peuple dont il était également
Directeur Général et où la souveraineté des décisions lui apparte-
nait pratiquement (il pouvait, d'après les statuts, ouvrir des crédits
considérables sans avoir à consulter le Conseil d'Administration).
Sur le plan de l'élément moral, il est impossible de faire abstrac-
tion de cette situation, il ne m'appartient pas de donner la solution

388
de ce problème, mais simplement d'attirer l'attention sur les ter-
mes dans lesquels il se pose.

*
* *
Telles sont, mon cher Maître, les réflexions rapides que je peux
présenter sur le cas que vous m'avez soumis.
PCiur répondre à la question que vous m'avez posée, j'estime
personnellement, en l'état des informations qui m'ont été four-
nies, que M. Habib Achour n'est pas coupable de complicité
d'émission de chèques sans provision, faute de fait principal punis-
sable (les règles juridiques conduisant à penser que le chèque en
cause paraissant parfaitement provisionné au moment où il a été
établi). Il m'apparait, d'autre part que l'existence de l'élément
moral, dont l'appréciation est une question de fait, est assez dou-
teuse aussi bien en ce qui concerne le fait reproché à l'auteur prin-
cipal qu'en ce qui concerne le comportement de M. Achour
Habib, lui même.
Je vous prie d'agréer, Mon cher Maître, l'expression de ma
considération et de mes sentiments dévoués.

Signé Georges LEVASSEUR

389
Annexe II : Principales préoccupations
de l'U.G.T.T. à travers l'ordre du jour
de sa C.A. entre le XIIIe et XIVe congrès
1) 26 Mai 1973 :
Principaux sujets inscrits à l'ordre du jour:
- Amendement du Code de Travail.
- La conclusion des conventions collectives, après celle de la
eenvention wllective cadre.
-Préparation des statuts des entreprises étatiques.
-Détermination du salaire minimum.
-Examen de l'amendement du règlement intérieur de l'U. G. T. T.

2) 11 Octobre 1973 :
Principaux sujets inscrits à l'ordre du jour:
- Les développements de la situation au Moyen Orient après la
récupération du Canal de Suez par les forces armées égyptiennes.
-L'organisation d'une campagne du collecte de sang et de dons
financiers.
- Réaffirmation de l'appui aux activités déployées par les délégués
de l'Union au sein de la commission nationale des salaires.

3) 12 Avril1974 :
Principaux sujets figurants à l'ordre du jour:
- Etude de la situation syndicale générale à l'intérieur du pays et
à l'étranger.
-Convocation du Conseil National.

4) 9 Décembre 1974:
Sujet principal inscrit à l'ordre du jour:
-Remaniement partiel du Bureau Exécutif de l'U.G.T.T. (exclu-
sion des membres de l'exécutif qui ne se consacrent pas entière-
ment à l'activité syndicale dont deux étaient responsables au

390
Comité de Coordination du Parti (Ameur Ben Aïcha et Mustapha
Makhlouf).

5) 11 Janvier 1975 :
Principaux sujets inscrits à l'ordre du jour :
-Examen des principales questions syndicales.
-Réclamation pour la publication des statuts et conventions col-
lecâves déjà signés.
-Révision et uniformisation du montant des indices, afin d'amé-
liorer la condition des petits fonctionnaires.

6) 30 Mai 1975 :
Principaux sujets inscrits à l'ordre du jour :
-Examen du bilan des nouveaux acquis réalisés par l'Union au
profit des travailleurs et consistant en la majoration du S.M.I.G.
et du S.M.A.G.
-Amélioration des allocations familiales.
-Amélioration de la prime de rendement pour les petits fonction-
naires.
-Amélioration des salaires des petits ouvriers de l'Etat.

7) 30 Août 1975 :
Principaux sujets inscrits à l'ordre du jour:
-Exprimer l'inquiétude que suscite l'escalade des prix.
- Le non respect par certaines entreprises, des statuts et des
conventions collectives.

8) 4 Mars 1976 :
Principaux sujets inscrits à l'ordre du jour :
-Examen de l'activité syndicale.
-Ouverture d'une souscription générale pour aider à la construc-
tion de la Maison de l'U.G.T.T. à Tunis.

9) 29 Mars 1976 :
Sujet principal inscrit à l'ordre du jour:
- Evolution de la situation politique et syndicale générale dans le
pays, à la suite du différend entre la Tunisie et la Libye.

10) 1er Juillet 1976 :


Sujet principal inscrit à l'ordre du jour :
-Etude de la situation au Liban à l'issue de l'épreuve que venait
de subir ce pays.et appel au cessez-le feu à tous les antagonistes.

391
11) 18 Novembre 1976 :
Principaux sujets inscrits à l'ordre du jour :
-Examen des salaires et des prix.
-Constitution de trois commissions pour la révision des salaires et
leur indexation sur les pri,'{,
- Réexaminer la politique de l'habitat, en prévision des négocia-
tions avec le gouvernement.

12) 12 Févxie:r 1977 :


Sujet principal inscrit à l'ordre du jour :
-Préparation du XIVe Congrès de l'U.G.T.T.

392
POSTFACE
Le retour aùx responsabilités syndicales à la fin du mois de
novembre 1981 daris un enthousiasme délirant ne constitue pas
pour autant la fin des déceptions. Réélu secrétaire général au
XVIè congrès national de l'U.G.T.T. en décembre 1984, il se
retrouve en résidence surveillée dès novembre 1985 après avoir
été soumis à des pressions sans précédent et à un véritable chanta-
ge: On arrête son fils aîné pour l'amener à démissionner. Il refuse
de se soumettre et à nouveau il est incarcéré, le jour de l'an 1986.
La; détention jalonnée par une série de procès et accompa-
gnée d'une campagne de diffamation orchestrée par l'ensemble
des moyens d'information dont dispose le pouvoir, se déroule dans
des conditions particulièrement pénibles et inhumaines. Au bagne
du Nador, il n'est pas autorisé cette fois,ci à introduire même de
quoi se chauffer. Il est installé dans une grande salle. Ce qui accroit
l'effet de la forte humidité ambiante et du froid et contribue à une
grave détérioration de son état de santé. Il y frôle la mort. En mars
1987 suite à des évanouissements répétés consécutifs à une
arthrose cervicale il est hospitalisé à l'Hopital Militaire de Tunis et
transféré dans un premier temps à la prison de Tunis. (Boulevard
du 9 Avril). Puis il est à nO\IVeau en résidence surveillée dans son
domicile.
Son calvaire ne s'achévera qu'au lendemain du départ de
Bourg~iba qui semble alors lui vouer une haine implacable. Le 8
novembre 1987, une des premières mesures prises par le nouveau
pouvoir issu du 7 Novembre a été sa libération. Depuis, il est réta-
bli dans ses droits, une rue porte son nom et il est décoré de l'ordre
du 7 novembre.

A.B.H.

393
TABLE DES MATIERES

Préface Ooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooo ........ oooooooooo 5


Un anniversaire de l'UoGoToTo :Janvier 1980 .................. 9
La fondation de l'UoGoToTo ooooooooooooooooooooo o.......... ooooooo 11 00

Les pre mi ères grèves .. 0o 14


...... 0 .. , .... 0 .... 0 .... 0 ................. 0 ..

La prison 0 o0 0o o o o. o oooo oooo.... ooo o.... ooo 21


0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Départ pour Zaghouan · o oo oo.. ooooo o.. oo 0 25


0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 .... 0 0 .. 0 0 0 0..

La résistance nationale o o o oo ooo oooo oo 28 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

A nouveau la prison et un autre procès o oo 32 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

De Tabarka à Béja oooooooooooooooooo oooooooo oo ooooooooooooooooooo 36


000 00

De Sfax à Maharès 0 0 0 0 0 0 40
0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Le retour aux responsabilités syndicales ooo oo oooo oo 45 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

La scission syndicale o o 0 oooo oo 53


0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 .... 0 0 0 0 0

Nouvel élan syndical et manœuvres anti-UoGoToTo .......... o 63


"L'affaire du bateau" et ses suites ................................ o 80
Le retour à l'UoGoToTo ooooooooooooooooooooooooooooo oooooooooooooooooo 108
Le congrès de Monastir du parti et ses répercussions ooooooooo 117
Elaboration et signature d'une convention collective cadre o 129
Les négociations des conventions collectives o o 137 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Le renforcement de l'organisation intérieure de l'UoGoToTo o 147


La recherche et les études .... o 161 00 00 00 00 00 00 00 00 00 00 00 00 00 00 00 . . . . 00 . .

La formation syndicale et l'éducation ouvrière o o•o o. oo 166 0 0 0 0 0 00 0 0

Les relations avec les organisations nationales et internationales 172


Le complot contre l'UoG.ToTo oooooooo ...... oo .... oo .... oo ........ o 181
La répression et le déroulement de l'enquête o• o oo o 207 00 0 0 0 0 00 00 0 00

Le procès de Sousse 0 0 0 0 0 246


0 0 0 0 0 0 0 0 00 0 .. 0 0 0 0 0 .. 0 0 0 0 0 0 0 0 .. 0 0 0 0 0 0 0 0 0 00 0 0 0 0 0

Le procès de Sfax o oo oo. ooo oo oo 269


0 .. 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 .. 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Le procès des Syndicalistes de Gafsa oo ...... o........... o 2'/6 00 . . 0000

Le procès de Tunis o 0 0 .. 0 o oo 279


...... 0 .. 0 .. 0 0 0 0 00 0 0 0 0 0 0 0 0 .. 0 . . . . 00 . . . . 0 0 0 0

Au Bagne du Nadhor o.. oooooooooooooo oooo .... ooooooooooooo 305


000 ........

Le mouvement de Solidarité oooo•oooooooooooooo oooo oooooo•ooooo•oooo 312


Plaintes syndicale's contre la Tunisie o o oo 313 0 00 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

395
L'affaire de l'intoxication ...................................... 317
Sur le plan national ............................................. 319
La résistance des familles et le Hsalaire de la honte" .... 322
Sur la scène internationale .................................... 322
Les tractations avec le pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 344
Du congrès de Gafsa au conseil national .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . 363
Annexes
Annexe 1·: Etude présentée par Maitre Levasseur lors
du procès de Hl'affaire du bâteau" ............. 378
Annexe II: Principales préoccupations de l'U.G.T.T.
à travers l'ordre du jour de sa C.A. entre
le 13ème et 14ème congrès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 390
Postface : . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . 393

396
Il a été tiré de cet ouvrage
10.000 exemplaires daos sa première édition
dont 100 hors commerce numérotés

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