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Pasi Marco. Conférence de M. Marco Pasi. In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire.
Tome 112, 2003-2004. 2003. pp. 343-349;
https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_2003_num_116_112_12250
ne lui est attribué en propre. Le nom en effet n'apparaît, du moins selon l'état
actuel de nos recherches, que dans une publication de 1907 d'Aleister Crowley
(1 875-1947)1, qui à l'époque n'était déjàplus membre de l'Ordre depuis un certain
nombre d'années. En conclusion, le nom d'un grade de la Golden Dawn que les
chercheurs ont jusqu'à présent considéré, sans doute un peu trop hâtivement,
comme établi, n'appartient probablement pas à son système originel.
Nous avons ensuite procédé à une comparaison entre la Golden Dawn et
d'autres groupes occultistes de l'époque, notamment l'H.B. of L., la S.R.I.A. et
la Société Théosophique. Nous avons remarqué comme, malgré les différences
certaines qui existent entre eux, il y a au moins un élément commun, représenté
par l'attitude critique, voire parfois explicitement négative, vis-à-vis du spiritisme.
Cela confirme l'idée que l'occultisme, en tant que courant de pensée, a formé
aussi son identité à partir d'une critique et d'une prise de distance à l'égard du
spiritisme. Cette attitude était déjà présente, au demeurant, chez Eliphas Lévi
(1810-1 875), qui peut être considéré ajuste titre comme l'initiateur de ce courant.
Mais, d'autre part, il faut noter aussi que plusieurs occultistes, surtout de la
première génération, viennent en réalité des milieux spirites, ou les ont du moins
traversés (P. B. Randolph, Frederick Hockley, H. P. Blavatsky et Henry Steel
Olcott). Il y a aussi d'autres cas exemplaires, plus tardifs mais moins connus,
comme celui de Frederick Leigh Gardner (1857-1930), devenu membre de la
Golden Dawn après avoir fréquenté assidûment des milieux spirites. Comme il
a été remarqué par J. Oppenheim et P. Deveney, au fil du temps la distance entre
occultisme et spiritisme se précise de plus en plus. Un discours anti-spirite est
donc présent dans la plupart des groupes occultistes (réciproque au demeurant
par un discours anti-occultiste de la part des spirites). De manière générale, les
points sensibles de la pratique et de la théorie spirites consistent, du point de
vue des occultistes, en l'identification des entités censées être à l'origine des
communications transmises par les médiums (s'agit-il vraiment des esprits de
personnes décédées ?), ainsi que dans la passivité des médiums lors des séances
spirites. Cette passivité, d'après les occultistes, ressemble trop à des formes de
« possession », et serait opposée à la maîtrise de soi que l'occultiste garderait
au moment du contact - établi par le truchement de pratiques magiques - avec
des forces ou des entités spirituelles.
K. R. H. Mackenzie est sans aucun doute l'une des figures les plus intéressantes
dans le panorama du premier occultisme anglais. Il a été l'un des premiers à lire
et à faire connaître l'œuvre d'Eliphas Lévi en Angleterre (bien avant l'important
travail de traduction et de diffusion des ouvrages principaux de Lévi effectué
par A.E. Waite). Mais son importance réside surtout dans le fait que, comme il
a été montré par R.A. Gilbert dans une importante série d'articles, il a été très
vraisemblablement l'auteur du fameux « manuscrit chiffré » qui est non seulement
à l'origine de la fondation de la Golden Dawn, mais est aussi l'un des éléments
fondamentaux de son histoire mythique, telle qu'elle a été élaborée par ses
fondateurs (Westcott et Mathers). Si la thèse de Gilbert doit être acceptée - et
nous ne voyons aucune raison sérieuse de la rejeter - cela confère à Mackenzie
un statut dans l'histoire de l'occultisme anglais qui contraste sensiblement avec
le peu d'intérêt qui lui a été accordé par les chercheurs jusqu'à présent. Nous
avons donc retracé les moments fondamentaux de sa vie, même si certains
points restent encore à eclaircir, puisqu'un travail biographique approfondi sur
lui reste à rédiger. Après s'être fait remarquer très jeune encore comme l'auteur
de plusieurs articles érudits, ce qui lui valut l'attention de certaines associations
savantes anglaises (comme la prestigieuse Royal Asiatic Society), Mackenzie
commença à s ' intéresser - probablement à la suite de sa rencontre avec une autre
figure fondamentale du premier occultisme anglais, Frederick Hockley - aux
sciences occultes, au spiritisme (qui faisait alors sa première apparition sur le sol
britannique) et à ces connaissances que l'on pourrait définir plus généralement
comme « savoirs hétérodoxes » (p. ex. le magnétisme animal). C'est à cette époque
qu'il rend visite, lors d'un bref séjour à Paris, aux deux figures qui dominaient
à l'époque, du moins en France, cet univers « hétérodoxe » : Eliphas Lévi et
Allan Kardec (1803-1869). Ce dernier était alors en train, en une longue série
de publications, d'opérer une systématisation, à la fois théorique et pratique,
du spiritisme en France. Par chance, Mackenzie laissa de ces entretiens des
comptes rendus, publiés à des moments différents (immédiatement pour celui
avec Kardec, plus tard en ce qui concerne celui avec Lévi), et dont nous avons lu
les parties les plus intéressantes. Celles-ci nous ont permis de mieux comprendre
la manière dont le spiritisme et l'occultisme français de l'époque pouvaient être
perçus dans un contexte tout à fait différent, celui de l'Angleterre. Si, au début
des années 1 860, au moment de ces entretiens parisiens, Mackenzie ne semble
guère encore choisir entre l'occultisme de Lévi et le spiritisme de Kardec, ce
sera manifestement la première influence qui l'emportera dans la suite de son
existence. En témoignent d'une part la publication de l'entretien avec Lévi, qui
s'effectua en 1 873 dans la revue de la S.R.I.A., mouvement néo-rosicrucien qui
a joué un rôle fondamental dans la phase de formation de l'occultisme anglais,
et d'autre part son œuvre la plus significative, cette Royal Masonic Cyclopaedia
(1877) qui restera une source féconde d'inspiration et d'informations (souvent
assez fantaisistes, il est vrai) pour toute une génération d'occultistes anglo-saxons.
La version publiée de l'entretien avec Lévi, que nous avons pu comparer à la
version manuscrite autographe (conservée au Warburg Institute de Londres),
est précédée d'une introduction dans laquelle Mackenzie présente ses idées sur
la magie. Dans ce texte, Mackenzie met plutôt l'accent sur la notion de magie
« naturelle », qui n'inclut pas d'éléments évocatoires. La raison en est évidente :
Mackenzie choisit dans ce contexte de comparer la magie à la science, et aux
découvertes de celle-ci ; il préfère donc laisser ici de côté la question toujours
délicate des entités et de leur rôle dans la magie. À l'époque de Mackenzie,
l'existence et le statut des entités évoquées dans un contexte « magique », comme
cela avait déjà été le cas au cours des siècles précédents, continuait de poser
346 Histoire des courants ésotériques
certaines difficultés. Mais si, avant les Lumières, le problème était plutôt de nature
religieuse, et concernait la nature des ces entités, perçue comme nécessairement
démoniaque, le xixe siècle mettait toujours davantage en question la simple
rationalité de la croyance en leur existence. À cette contestation, tant les spirites
que les occultistes crurent pouvoir répondre en soulignant l'aspect empirique
et concret de leurs activités, censée apporter des preuves « matérielles », donc
irréfutables, de l'existence d'une dimension « immatérielle ». Si Mackenzie
n'insiste pas ici sur cet aspect, il présente en revanche la magie comme une
« branche psychologique de la science ». Cela indique déjà dans quelle direction
les successeurs de Mackenzie iront bientôt chercher la réponse aux problèmes
de légitimation de la magie : dans cette science de l'esprit humain qui était alors
en train de se constituer.
Nous avons consulté également des passages du dictionnaire maçonnique de
Mackenzie, et ce sont cette fois les notices consacrées à la magie, à la théurgie
et à la goëtie qui ont retenu notre attention. Il est intéressant de remarquer que
Mackenzie reprend ici la distinction traditionnelle entre goëtie, entendue comme
magie noire, et théurgie, entendue comme magie divine ou angélique. C'est une
distinction classique en l'espèce qui, dans le contexte anglais de l'époque, figurait
déjà dans le fameux roman Zanoni ( 1 842) de Edward Bulwer Lytton ( 1 803-1 873),
pour devenir ultérieurement un lieu commun de l'occultisme britannique. Nous
avons noté que, dans l'article consacré à la magie, Mackenzie mentionne cette
fois les aspects évocatoires de la magie, réintroduisant donc l 'élément qui faisait
défaut dans son introduction à l'entretien avec Lévi. La référence à la magie
naturelle est toujours présente mais, désormais, Mackenzie accorde également
une grande importance au rapport avec les entités.
Nous sommes ensuite passé aux deux autres figures fondamentales pour
comprendre la formation du système magique de la Golden Dawn, à savoir
S. L. Mathers et de W. W. Westcott, qui furent les fondateurs de l'Ordre. Nous
avons retracé leurs profils biographiques, profitant pour cela des recherches
ayant abouti à la rédaction par nos soins des notices qui leur sont consacrées
dans le Dictionary of Gnosis and Western Esotericism, publié en 2005 par
l'éditeur Brill, et auxquelles nous renvoyons. Westcott et Mathers représentent
déjà une seconde génération d'occultistes anglais, qui suit celle des Mackenzie
et des Hockley. Leur rôle dans la mise en système de l'occultisme dans les
pays anglo-saxons a été capital, et ce non seulement pour la création de la
Golden Dawn, mais aussi de par les nombreuses publications dont ils furent les
auteurs. Pendant cette série de conférences, nous nous sommes intéressé plus
particulièrement à la période qui va de leur premier contact, en 1 882, jusqu'à la
fondation de la Golden Dawn. Nous avons lu des parties de leur correspondance
inédite, dont l'original est conservé aujourd'hui dans une collection privée.
Nous disposons presque exclusivement de lettres de Mathers à Westcott, l'autre
coté de la correspondance ayant disparu. Le gros de la série correspond aux
années 1882-1884 et se termine avec deux lettres de 1886 et 1887. C'est une
période- clé de l'activité occultiste des deux auteurs, pendant laquelle les bases
de leur future collaboration, si fructueuse, sont jetées. C'est à cette époque en
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effet que les deux auteurs fréquentent assidûment les rencontres de la S.R.I.A.
et de la Société Théosophique, se liant particulièrement au projet d'ésotérisme
« chrétien » et « occidental » proposé par Anna Kingsford. Si la correspondance
n'apporte pas d'éclairages nouveaux sur la naissance de la Golden Dawn, elle
nous aide au moins à comprendre la démarche des deux auteurs, en nous donnant
des informations précieuses, par exemple sur leurs lectures de l'époque.
Nous avons enfin consacré la dernière conférence à l'exposé des résultats d'une
recherche en cours, et qui porte sur l'origine et l'histoire de la formule « Konx
Om Pax ». Cette formule apparaît dans certains rituels et textes doctrinaires de
la Golden Dawn. Selon les auteurs de ce mouvement, il s'agirait d'une formule
prononcée au moment culminant des rites initiatiques des mystères d'Eleusis.
Dans les textes de la Golden Dawn, il est expliqué que l'origine des mots serait
à chercher dans l'ancien égyptien, et que leur signification serait « Lumière en
extension ». Nous avons essayé de suivre à rebours les traces de cette tradition,
et nous en avons été récompensé par quelques découvertes inattendues. La
surprise principale est que la tradition en question n'est point si ancienne que le
croyaient les fondateurs et les membres de la Golden Dawn. Elle ne remonte en
effet pas plus loin que les écrits d'un érudit néerlandais du xvne siècle, Joannes
Meursius (Jan van Meurs, 1579-1639), qui fit dans un ouvrage sur les mystères
d'Eleusis (Eleusinia, sive de Cereris Eleusinae sacro acfesto, 1619) une lecture
tendancieuse et erronée d'une notice du Lexicon d'Hésychius. À partir de là, la
réputation de cette formule s'accrut jusqu'à devenir, à la fin du xvme siècle, un
topos inévitable de la littérature sur les mystères de l'Antiquité. Pour beaucoup
d'auteurs elle semble devenir, en effet, le « mystère des mystères ». La phrase en
question n'ayant aucun sens en grec classique, il fallait bien en chercher l'origine
dans d'autres cultures, voisines ou lointaines, auxquelles les Grecs l'auraient
empruntée. Nous avons vu, avec un certain étonnement, des auteurs comme
Kant et Voltaire eux-mêmes prêter foi à cette légende, et essayer d'apporter, eux
aussi, une réponse au mystère linguistique de la formule. Ramener les savants
sur terre, c'est la tâche que s'assignera, dans la première moitié du xixe siècle,
l'un des plus grands philologues allemands de l'époque, Christian AugustLobeck
(1781-1860) qui, dans son Aglaophamus (1829) expliquera l'erreur d'interprétation
de Meursius et croira ainsi donner finalement congé à la vénérable formule. Fin de
l'histoire ? Non, évidemment, parce que grâce à l'un de ces paradoxes dont l'histoire
de l'ésotérisme n'est pas avare, c'est justement à la même époque que la formule,
apanage jusque là des philologues et des érudits, entama une nouvelle carrière dans la
littérature ésotérique. C ' est donc dans ce sillage particulier que se situent les auteurs de
la Golden Dawn. Il faut cependant rappeler que, même dans le champ de l'érudition
et de la recherche scientifique, la leçon de Lobeck ne fut pas entendue par tous, si
bien que l'on retrouve encore ici et là, dans la littérature scientifique du xxe siècle,
des références perplexes à ce « mystère des mystères » !