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la tierce neutre) et chez leurs confrères turcs (pour qui le mode râst
procède de la tierce majeure naturelle, voir plus bas). Aussi le contraste
observé en ce cas est-il bien plus saisissant que lorsqu’on entend une
même phrase de musique italienne du début du XVIIe siècle interprétée
alternativement sur des clavecins accordés en tempérament mésoto-
nique et en tempérament égal.
Nous allons tenter dans ce qui suit d’approcher les fondements
structurels des échelles mélodiques de la tradition musicale savante de
l’Orient arabe, tout en explicitant l’imbroglio théorique à forte conno-
tation identitaire culturelle qui leur est associé. Dans ce dessein, nous
allons aborder en un premier temps la question de la spécificité cultu-
relle des échelles mélodiques à l’aune de la diversité historique et géo-
graphique des langages musicaux et ce, en passant en revue différents
schémas de génération des échelles. Cela nous permettra de mettre en
exergue les dangers encourus par l’application du système théorique de
la Grèce antique à des réalités mélodiques appartenant à l’aire culturelle
sémitique et aux traditions musicales religieuses monodiques relevant du
monothéisme. La question de l’élaboration du genre à intervalles neutres
et des autres échelles fondamentales de la tradition musicale artistique
de l’Orient arabe pourra ensuite être abordée à partir des points histo-
riques de rencontre et de clivage entre cette tradition, d’une part, et,
d’autre part, la théorie grecque et les traditions indo-européennes et
touraniennes du Proche et Moyen-Orient.
Les différences entre les langages musicaux s’expriment souvent par des
dissemblances structurelles régissant l’intonation. Cette diversité peut
s’observer sur le même territoire géographique en synchronie entre des
traditions appartenant à des groupements culturels (ethniques, religieux,
etc.) différents et en diachronie entre des traditions successives au sein
d’une même entité nationale ayant vécu d’importantes mutations cultu-
relles le long de son histoire. Ces réalités contrastées peuvent aller jusqu’à
se cumuler et se juxtaposer dans un même cadre géographique tout en
conservant leurs affiliations culturelles originaires.
Mitlat
Mitnâ
Zı̄r
Mitlat
Mitnâ
Zîr
Médius Adjointes
Auriculaire Annulaire ancien Index 256/243 2176/2187
4/3 81/64 32/37 9/8
Bamm
Mitlat
Mitnâ
Zîr
Hâmis
Médius
de Zalzal 18/17
27/22
2187/2048 729/704
Médius des Perses
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ASPECT 2
Sabbâbat fî majrâ wustâ zalza (index dans la course du médius de
Zalzal) : I – 12/11 – II – 88/81 – III – 9/8 – IV.
Le voici appliqué aux degrés ré, sol et la :
ASPECT 3
Wustâ ‘zalzal fî majrâhâ (médius de Zalzal dans sa propre course) :
I – 88/81 – II – 9/8 – III – 12/11 – IV.
Application aux degrés si´b , mi´b et fa# :
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6. Conclusion
signe bb´ signifie que le son est abaissé d’un intervalle de seconde
neutre. L’intervalle la-sibb
´ est un demi-ton minime) ;
b) l’aspect 2 pentacordal du diatonique, jhârkâh, nécessite l’adjonc-
tion d’un degré supplémentaire qui se place au grave, soit : fa – 9/8 –
´– 8/7 – ut.
sol – 9/8 – la – 28/27 – si bb
La nuance chromatique zalzalienne est dérivée à partir des aspects
zalzaliens 1 et 2 :
a) l’aspect 1 du genre zalzalien se transforme en “tétracorde chro-
matique du registre de récitation”, par abaissement du deuxième
degré, ce qui donne : sol – 16/15 – lab – 7/6 – si´b (+ 1 C) – 15/14 – ut ;
b) l’aspect 2 du genre zalzalien se transforme en “tétracorde chro-
matique du registre de base”, par élévation du troisième degré, ce qui
donne : sol – 15/14 – la´b (– 1 C) – 7/6 – si – 16/15 – ut.
Il est possible de construire ce schéma philologique mélodique à
partir de l’un des accords instrumentaux non pythagoriciens précé-
demment évoqués.
Pentaphone naturel : ut – 10/9 – ré – 6/5 – fa – 9/8 – sol – 10/9 – la
– 6/5 – ut ; ce qui donne l’échelle zalzalienne de base : ut – 10/9 – ré
– 243/220 – mi´b – 88/81 – fa – 9/8 – sol – 10/9 – la – 243/220 – si´b –
88/81 – ut.
Pentaphone moyen : ut – (√5)/2 – ré – 6/5 – fa – (√5)/2 – sol – (√5)/2
– la – 8/(3√5) – ut ; ce qui donne l’échelle zalzalienne de base : ut –
(√5)/2 – ré – 27/(11√5) – mi´b – 22/9√5 – fa – (√5)/2 – sol – (√5)/2 – la –
27/(11√5) – si´b – 88/81 – ut.
Les autres configurations sont dérivables à partir de ces deux struc-
tures.
6.2. Postlude
La tradition musicale savante de l’Orient arabe a été mise à mal depuis
les années 1930, et ce, pour une multiplicité de raisons historiques,
sociologiques et culturelles, au premier chef desquelles se dessine la
tendance à l’acculturation occidentalisante. La pratique de cette tradi-
tion est marginalisée, ou, pire, dénaturée par les propensions progres-
sistes, sous couvert de l’application d’une prétendue “norme universelle”,
autrement dit occidentale. Les mutilations sont nombreuses. Nous les
regroupons sous trois intitulés :
a) fixation du phrasé musical par l’élimination de toute velléité
d’improvisation, usage d’une notation prescriptive définitive, emploi
d’effectifs orchestraux et vocaux démesurés incompatibles avec une
esthétique de musique de chambre fortement improvisative ;
b) introduction d’une harmonisation simpliste dans un contexte
monodique modal strictement horizontal ;
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