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Tidiane N’Diaye : C’est abject. Avec ces images rapportées par CNN, le monde, choqué,
semble découvrir l’esclavage moderne. Mais ces faits étaient connus. En avril dernier, La
Nouvelle Tribune (quotidien d’actualité béninoise et africaine) dénonçait un système
esclavagiste mis sur pied dans le pays, depuis la fermeture des accès européens. Les
passeurs, en manque de ressources, avaient décidé de vendre ceux qui attendaient de
pouvoir traverser la Méditerranée. En fait, le fléau de l’esclavage des Noirs est comme une
tradition chez les peuples arabo-musulmans.
Faut-il encore le rappeler, la traite négrière est une invention du monde arabo-musulman…
Bien avant les théories raciales nées en Europe au XIXe siècle, il existait un paradigme de
l’infériorité de l’homme noir dans cette région du monde. Le grand savant Ibn Khaldun, le
plus écouté et lu, écrivait au XIVe siècle : « Les seuls peuples à accepter l’esclavage sont
les Nègres en raison d’un degré inférieur d’humanité, leur place se situe au stade animal. »
C’est ainsi que la castration était planifiée, massive, pour que les Noirs ne fassent pas
souche chez eux. Ceci explique que les Noirs aient presque tous disparu aujourd’hui en
Turquie, au Yémen, en Irak, et qu’on les trouve en très petit nombre au Maghreb ou en
Arabie saoudite. Nous savons, sans toutefois pouvoir en chiffrer l’ampleur avec exactitude,
que l’esclavage perdure dans de nombreuses régions sahariennes, en Libye, au Niger, au
Tchad, au Mali, mais aussi en Arabie saoudite et au Qatar.
Pour condamner ou combattre efficacement le racisme anti-Noir des pays arabes, et leur
esclavagisme, encore faudrait-il accepter de le voir. Pour beaucoup, intellectuels et
politiques compris, le sujet est sensible et reste tabou. La prise de conscience est faible et
dérisoire, en dépit de quelques efforts, ici et là.
A Nouakchott, en Mauritanie, l’été dernier, les défenseurs africains des droits de l’homme
ont lancé un appel solennel à l’occasion du 27e sommet de la Ligue arabe. Mais tout ceci est
resté lettre morte, puisque dans l’inconscient collectif des arabo-musulmans, l’homme noir
reste un Abd, un esclave. L’esclavage est toujours pratiqué en Mauritanie au vu et au su de
tous. Mais les dirigeants de ce pays continuent de sillonner le continent, sans que l’Union
africaine ou leurs homologues leur demandent des comptes. L’omerta règne.
Comment définissez-vous l’esclavage moderne ?
Ce sont pour 71 % des femmes, dont une partie est mineure. La plupart sont exploitées
sexuellement. Des travailleurs et travailleuses domestiques, également, se voient confinés
entre les quatre murs du domicile où ils sont exploités, sans pouvoir disposer de leur
passeport. Ils ne peuvent rapporter les nombreux abus dont ils sont victimes.
En 2013, une affaire de trafiquants de femmes qui convoient des candidates à l’immigration
en Arabie saoudite pour les vendre comme des esclaves, avait défrayé la chronique au
Sénégal. Il semble que ce réseau soit toujours actif. Celles qui réussissent à s’enfuir n’ont
nulle part où se réfugier et se retrouvent dépouillées de tout statut légal.
Est-ce un phénomène en recrudescence ?
Quelles sont les formes d’exploitation les plus courantes de ces enfants ?
Par exemple, la moitié du chocolat produit aux Etats-Unis provient de cacao récolté par des
mineurs travaillant en Côte d’Ivoire. Ils sont généralement recrutés dans les pays voisins
comme le Mali et le Burkina Faso. Des filles sont souvent embarquées sur des bateaux à
destination du Gabon, où elles travaillent comme domestiques ou sur les marchés. Elles
sont forcées de travailler jour et nuit, se déplaçant sur les marchés pour y vendre des
marchandises, assurant la corvée d’eau et les soins à de jeunes enfants.
Au Sénégal se pose aussi le problème des enfants talibés. Ce sont des garçons âgés de 5 à
15 ans, issus de familles pauvres. Ils sont confiés par les parents à un maître coranique, qui
se charge de leur éducation religieuse. Celle-ci a lieu dans un daara, une école coranique.
En contrepartie, le talibé doit s’acquitter des travaux domestiques. Il est généralement
contraint de mendier dans les rues afin de subvenir à ses besoins et à ceux de son maître et
de sa famille. Cette exploitation peut être considérée comme de l’esclavage. La majorité de
ces talibés vivent dans des conditions précaires, logés en surnombre dans des maisons
délabrées, avec un accès limité à l’eau, l’électricité, la nourriture et la santé.