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LA MYSTIQUE, ENTRE RÉGRESSION ET PASSION SUBLIMATOIRE

Jean-Baptiste Lecuit

L’Esprit du temps | « Adolescence »

2008/1 n° 63 | pages 143 à 157


ISSN 0751-7696
ISBN 2847951240
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LA MYSTIQUE, ENTRE RÉGRESSION ET


PASSION SUBLIMATOIRE

JEAN-BAPTISTE LECUIT

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Le peu d’estime de Freud pour la mystique n’est pas le dernier mot
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de l’approche psychanalytique de ce phénomène, ainsi qu’en témoignent


les réflexions d’auteurs comme C. Parat, S. de Mijolla-Mellor ou
A. Vergote. Je veux montrer ici comment la réduction freudienne de la
mystique à une régression au narcissisme primaire peut être relativisée et
prolongée par la prise en compte de la passion sublimatoire animant
certaines figures mystiques, et de la dimension amoureuse
interpersonnelle de leur vie de foi1.
L’OPPOSITION FREUDIENNE ENTRE MYSTIQUE ET RELIGION

À l’opposé de son estime pour la spiritualisation qu’apporte


l’interdit de la représentation de Dieu dans la religion biblique2, Freud
assimile la mystique à une régression au narcissisme primaire. Ainsi dans
« Le malaise dans la culture », où il examine le rapport entre la religion et
le sentiment océanique, forme d’expérience mystique dont lui parlait son
ami Romain Rolland dans une lettre de 1927, en la tenant pour très
répandue. L’entendant comme le sentiment d’une absence de frontières et
d’un lien avec la totalité des choses, Freud l’interprète comme résultant de
la conservation du « sentiment du moi primaire »3, lequel correspond à
1. Ces pages reprennent largement certains extraits de mon récent ouvrage
L’anthropologie théologique à la lumière de la psychanalyse (Lecuit, 2007) publiés ici
avec l’aimable autorisation de l’éditeur. L’expression « passion sublimatoire » est,
comme nous le verrons, d’A. Green.
2. Voir notamment L’homme Moïse et la religion monothéiste (Freud, 1939, p. 177)
où Freud parle du « refus de la magie et de la mystique » par le peuple juif et de son
« grand cas des choses intellectuelles ».
3. Freud, 1930, p. 253, cf. p. 249s.
Adolescence, 2008, 26, 1, 143-157.
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l’état précédant, en chacun, la différenciation entre le moi et le monde


extérieur. Mais il lui refuse le statut de source de la religion que R. Rolland
lui attribue. C’est seulement après l’apparition de la religion que le
sentiment océanique a pu être relié à cette dernière, l’une et l’autre ayant
en commun d’être des tentatives de consolation et de déni des menaces du
monde extérieur. Freud se déclare étranger à une telle expérience, et à
l’époque même où il rédige son essai, il écrit à son ami : « Combien me

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sont étrangers les mondes dans lesquels vous évoluez ! La mystique m’est
aussi fermée que la musique »4. On peut même parler d’un mépris pour la
mystique, ainsi que cela transparaît dans quelques textes ou dans sa
correspondance5. Certes Freud, dans « Le malaise dans la culture »,
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n’assimile pas explicitement le sentiment océanique à une expérience


mystique, mais deux éléments au moins vont dans ce sens : la confidence
à R. Rolland citée à l’instant, et la référence à un autre de ses amis pour
qui ce type de sentiment est un fondement « de nombreuses sagesses
relevant de la mystique »6. Puisque le sentiment océanique relève aux
yeux de Freud de la « restauration du narcissisme illimité », c’est-à-dire
de la régression au narcissisme primaire, à la fusion avec la mère7, il doit
en être de même avec la mystique. L’étrangeté de Freud à cette dernière peut
du même coup être interprétée comme relevant de sa crainte envers la figure
maternelle, crainte qui serait d’ailleurs également à l’œuvre dans l’étrangeté
à la musique qu’il associe lui-même à son étrangeté à la mystique8.
« Mystique, l’obscure autoperception du royaume extérieur au moi,
du ça » est l’une des ultimes annotations de Freud9. Elle semble s’écarter
de l’interprétation de la mystique en termes de régression, pour lui préférer
l’idée d’une perception en soi-même de la présence et de la puissance du ça.
4. Lettre à Romain Rolland du 20/07/1929, Freud, 1873-1939, p. 424.
5. « Pourquoi quitter votre base solide pour vous précipiter dans la mystique,
pourquoi supprimer la différence entre le psychique et le somatique et vous arrêter à des
théories philosophiques qui ne sont pas de mise ? » Lettre à Georg Groddeck du 5 juin
1917, Freud, 1873-1939, p. 345. Voir aussi Freud, 1939, p. 177.
6. Freud, 1930, p. 259.
7. Le sentiment océanique « renvoie à un modèle fusionnel d’inclusion de type maternel,
nettement connoté par la référence à un “ Tout ” englobant » (Assoun, 1980, p. 66).
8. Cf. Sédat, 2002a, p. 123 : « Que la frontière entre le moi et l’objet puisse s’effacer,
c’est quelque chose pour lui [Freud] de l’ordre de cette régression de l’état amoureux, ou
du champ de la psychose, dont il avait horreur » ; voir également pp. 129 et 136. Cf.
Castarède, 1987, p. 126 et Assoun, 1980, p. 66, note 2.
9. Note du 22 août 1938. Freud, 1921-1938.
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Mais on peut rapprocher les deux interprétations en estimant que la


régression au narcissisme primaire est de l’ordre d’une « fusion régressive
avec la mère imaginaire telle qu’elle demeure présente dans le ça »10.
Il n’est donc pas trop schématique de dire que pour Freud, la
religion relève essentiellement du rapport au père et de la spiritualisation
qu’il implique, et à ce titre s’oppose clairement à la mystique, qui relève
de la régression au narcissisme primaire. Cela dit, que Freud ait une piètre

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estime de la mystique, en comparaison de la religion, n’enlève rien à son
opposition à cette dernière en tant qu’elle implique « intimidation de
l’intelligence », fixation dans l’infantilisme, et « inclusion dans un délire
de masse »11. Certes, le fait bien connu qu’il la considère comme une
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illusion implique seulement qu’elle trouve sa motivation fondamentale


dans l’« accomplissement de désir » (Wunscherfüllung) – principalement
celui d’être protégé de la détresse infantile –, et non qu’elle soit une erreur.
Mais dans la mesure où, pour des raisons extra-psychanalytiques, il la
tient pour infondée, elle peut être considérée comme « l’analogue d’une
idée délirante »12. La critique est donc beaucoup plus profonde que ne le
laisserait supposer une focalisation hâtive sur le caractère non
nécessairement erroné de l’illusion : certes, il ne s’agit pas « de prendre
position sur la valeur de vérité des doctrines religieuses », mais de montrer
qu’elles sont psychologiquement des illusions ; toutefois, ajoute Freud,
« cette mise à découvert influence puissamment aussi notre position » sur
la question de cette vérité13.

MYSTIQUE FUSIONNELLE, OU INTERPERSONNELLE ?

Il est notable que Freud, qui appuyait ses recherches sur de très
abondantes lectures, ait malgré tout fait « l’économie d’une exégèse des
textes dans lesquels et par lesquels l’homme religieux a “ formé ” et

10. Cf. J. Sédat : « Tout le travail psychique pour Freud, c’est que le je, ou le moi,
puisse venir recouvrir le monde du ça, qui pour lui représente à la fois la Terre, le
Cosmos, et le Maternel, dont la psyché doit se défendre. » (Sédat et al., 2002, p. 155).
11. Freud, 1930, p. 272.
12. Freud, 1927, p. 172. Sur les racines philosophiques de l’athéisme de Freud, voir
notamment, p. 176 : « Je n’ai fait – c’est la seule nouveauté de ma présentation –
qu’ajouter quelque fondement psychologique à la critique de mes grands devanciers. »
13. Ibid., p. 174.
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“ éduqué ” sa croyance », comme l’a souligné P. Ricœur14. La lecture


attentive des écrits des mystiques, notamment, aurait pu le conduire à
prendre en compte le caractère dynamique de leur vie de foi, selon une
histoire qui n’est pas a priori réductible à la simple répétition de
l’infantile, mais suppose une longue et difficile transformation des désirs
et des représentations. Dans la mystique chrétienne, cette transformation
vise notamment à développer un amour interpersonnel envers un Dieu lui-

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même reconnu comme personnel, et même interpersonnel (au sens
trinitaire : les trois « personnes » du Père, du Fils et de l’Esprit dans l’unité
d’un unique sujet divin, qui peut de ce fait être reconnu comme père,
comme amant-aimé, comme hôte intérieur, sans que ces trois pôles soient
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exactement superposables aux trois personnes). C’est ainsi que le


« Cantique des cantiques », poème d’amour entre une « bien-aimée » et
son « bien-aimé », n’a cessé d’être intériorisé et commenté par les auteurs
spirituels, comme poème d’amour réciproque entre Dieu et le croyant.
Parce qu’elle est mieux connue et documentée en Occident, c’est cette
forme de mystique que je prends principalement en compte, en soulignant
sa dimension amoureuse interpersonnelle, qui en est un trait distinctif.
La découverte de l’objet sexuel lors de la puberté consiste pour
Freud à re-découvrir l’objet sexuel premier : « Ce n’est pas sans de bonnes
raisons, écrit ce dernier, que la figure de l’enfant qui tète le sein de sa mère
est devenue le modèle de tout rapport amoureux. La découverte de l’objet
est à vrai dire une redécouverte (eine Wiederfindung) »15. Un auteur aussi
peu enclin à la défiance de Freud envers la mystique que le psychanalyste
et psychologue de la religion A. Vergote, n’hésitera pas à étendre cette
affirmation au cas de la mystique : « Ce n’est pas sans raison [que
Coventry Patmore] a pu dire de la mystique ce que Freud dit de l’amour :
“ Le nourrisson au sein de sa mère, et l’amoureux retournant, après vingt
ans de séparation, vers sa demeure et sa nourriture au même sein, sont les
types et les princes des mystiques ” »16. Cela dit, s’en tenir à cet aspect des
choses serait négliger la prise en compte de l’expérience et des écrits des

14. Ricœur, 1965, p. 522. Plus récemment, S. de Mijolla-Mellor a, elle aussi, relevé
la méconnaissance freudienne de la religion chrétienne (de Mijolla-Mellor, 2004, p. 53).
15. Freud, 1905, p. 165.
16. Vergote, 1978, p. 171.
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mystiques, en ce qu’ils témoignent de la longue et dure épreuve de


l’arrachement du désir à ses premiers attachements, et en affirment
clairement la nécessité à ceux qui, moins engagés sur cette voie, restent
par trop les jouets de l’illusion et de l’idéalisation : l’orientation de leur
désir vers l’autre divin reconnu comme personnel s’effectue toujours à
travers une épreuve que l’on peut considérer comme « homologue à celle
que représente le complexe d’Œdipe et la castration symbolique pour les

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désirs imaginaires du narcissisme »17. Les œuvres des grands auteurs
mystiques comportent bien des pages constituant un « traité du
désillusionnement dont la psychanalyse pourrait s’inspirer »18. Les textes
de Jean de la Croix sur les nuits que doit traverser le croyant en quête de
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l’union à Dieu en sont peut-être l’illustration la plus impressionnante. Le


fait qu’une des métaphores auxquelles il a recours est celle du sevrage,
indique tout à la fois son obscur savoir que le désir de Dieu s’enracine
lointainement dans le désir qui s’est constitué dans l’attachement à la mère
et sa conviction que le progrès du désir religieux « exige le
renouvellement de ce type de sevrage, l’entrée dans la nuit »19.
La mystique chrétienne n’est pas l’apanage des grands mystiques,
mais se caractérise « par la culture systématique du désir d’aimer Dieu et
donc de purifier et de rendre plus vrai l’amour qui est la source du
désir »20. Elle est fondée sur la relation interpersonnelle avec Dieu reconnu
comme Père, et adressant aux hommes une parole de révélation, dont
Jésus est l’incarnation. Cette mise en présence s’accompagne du premier
commandement de Dieu, qui demande « précisément une relation
d’amour : “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton
âme, de tout esprit et de toute ta force ” »21.

LE RAPPORT ENTRE AMOUR MYSTIQUE ET LIBIDO

On sait combien la thèse freudienne de la provenance sexuelle de


toutes les formes d’amour a scandalisé, l’accusation de « pansexualisme »

17. Vergote, 1993, p. 320, cf. p. 322.


18. Vergote, 1978, p. 208.
19. Vergote, 1997a, p. 2286.
20. Ibid.
21. Vergote, 2003, p. 96 (cite Mc 12, 30, où Jésus cite Dt 6,4).
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venant en quelque sorte venger l’offense reçue, réparer le sacrilège


commis22. Le scandale provenait pour une part d’un malentendu, Freud
donnant à l’adjectif « sexuel » une signification bien différente de celle qui
venait spontanément à l’esprit de ses contemporains, pour qui il ne
pouvait s’agir que du génital, largement perçu à l’époque comme honteux
et dangereux. C’est sans trop de difficulté que beaucoup admettraient
aujourd’hui la provenance sexuelle de toutes les formes d’amour, ainsi

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énumérées par Freud : « l’amour entre les sexes avec pour but l’union
sexuée », mais aussi « d’une part l’amour de soi, d’autre part l’amour pour
les parents et pour l’enfant, l’amitié et l’amour pour les hommes en
général » de même que « le dévouement à des objets concrets et à des
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idées abstraites ». Freud fait d’ailleurs aussitôt valoir qu’en employant un


même mot pour toutes ces manifestations humaines – Liebe, amour –, la
langue exprime cette unité que la psychanalyse a explicitée. Il ajoute que
l’Éros de Platon, dans sa source, son activité et son rapport à l’amour entre les
deux sexes, correspond parfaitement à « la force d’amour, la libido de la
psychanalyse »23. S’il l’avait su (ce qui ne semble pas être le cas), il n’aurait
d’ailleurs pas manqué de relever que le terme Liebe, tout comme love,
provient précisément de la même racine indoeuropéenne (leubh-) que libido24.
Mais peut-on souscrire à cette affirmation de Freud : « […] lorsque
l’apôtre Paul dans la célèbre épître aux Corinthiens glorifie l’amour par-
dessus toute chose, il l’a certainement compris dans le même sens
“ élargi ” »25 ? À condition seulement que cette affirmation soit complétée
par la prise en compte attentive, absente chez Freud, de l’expérience et du
langage croyant. Il s’y manifeste une tension irréductible structurant
l’unité d’éros et d’agapè, ces deux termes grecs désignant respectivement
l’amour-désir et l’amour désintéressé pour tout être humain, dont parle
Paul, mais aussi l’amour pour le Christ ou pour Dieu, dont il est question
dans le reste du Nouveau Testament.
Pour aller plus loin, référons-nous à la conception freudienne de
22. Les termes d’« offense » et de « sacrilège » sont ceux-là mêmes de Freud. Cf.
Freud, 1921, pp. 29-30.
23. Freud, 1921, p. 29.
24. Grandsaignes d’Hauterive R. (1948). Dictionnaire des racines des langues
européennes. Paris : Larousse, p. 108.
25. Freud, 1921, p. 30.
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l’amour, telle qu’elle est formulée dans « Pulsions et destins de pulsions ».


Freud s’y demande si l’on peut dire qu’une pulsion aime ou hait un objet.
En raison de la difficulté à dire qu’une pulsion puisse « haïr », il conclut
par la négative. Les termes d’amour et de haine ne peuvent concerner que
« la relation du moi-total (Gesamt-Ich) aux objets ». La suite de ce texte
précise que l’amour peut s’attacher à des objets qui, bien que non sexuels,
permettent une satisfaction sublimatoire des pulsions sexuelles : « Le mot

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“aimer” entre donc toujours plus dans la sphère de la pure relation de
plaisir du moi à l’objet et se fixe finalement sur les objets sexuels, au sens
le plus étroit, et sur ceux des objets qui satisfont les besoins des pulsions
sexuelles sublimées »26. Avec A. Vergote, j’estime qu’en tant qu’animé par
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l’éros, l’amour-agapè relève de ce dernier cas. Il n’est en effet jamais


simplement amour du semblable, mais toujours aussi amour pour Dieu,
qui transcende la sphère du sexuel. À ce titre il n’est pas un amour sexuel
« au sens le plus étroit », même si des composantes proprement sexuelles,
non sublimées, sont toujours susceptibles de l’accompagner. Et ce non
seulement parce qu’il porte sur des êtres sexués, mais parce que l’amour
pour Dieu comporte lui aussi, plus ou moins consciemment, une
représentation sexuée du Christ ou même de Dieu. De fait, dans les formes
d’amour apparemment non sexuel que sont par exemple l’attachement
tendre, l’amitié ou la vénération, les « pulsions inhibées quant au but
maintiennent encore et toujours quelques-uns des buts sexuels
originels »27. La présence corporelle et la vue de la personne aimée ainsi
non sexuellement, mais en un sens que Freud qualifie de « paulinien » – il
s’agit évidemment de l’agapè de 1 Co 13, à laquelle il s’est déjà référé dans
le même texte28 –, sont recherchées par celui qui l’aime. Et Freud d’ajouter
qu’il est possible d’y reconnaître un commencement de sublimation29.
À ses yeux, la personne aimée peut être le partenaire sexuel, mais
aussi soi-même, les parents, l’enfant, l’ami, ou tout être humain, pour ceux
qui choisissent d’aimer les êtres humains « en général ». Cela dit, nous
pouvons penser qu’implicitement, Freud compte Dieu – qui pour lui n’est

26. Freud, 1915, p. 182 (souligné par moi).


27. Freud, 1921, p. 77.
28. Ibid., p. 30.
29. Ibid., pp. 77-78.
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qu’une représentation – parmi les objets d’amour « qui satisfont les


besoins des pulsions sexuelles sublimées »30. Cela découle de
l’affirmation par lui d’une sublimation religieuse, notamment lorsque
cette affirmation s’accompagne de la remarque suivante, faite au pasteur
Pfister : « Vous avez le bonheur de pouvoir conduire ce transfert [érotique
sur votre personne] jusqu’à Dieu et de rétablir ainsi ces temps bénis – du
moins sur ce point – où la foi religieuse étouffait les névroses »31.

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LA SUBLIMATION RELIGIEUSE, ACCESSIBLE AU GRAND NOMBRE

Sans pouvoir entrer ici dans les difficultés bien connues d’une
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métapsychologie de la sublimation, il est important de rappeler


premièrement qu’elle est pour Freud un destin pulsionnel en quelque sorte
opposé au refoulement, consistant « en ceci que la tendance sexuelle
abandonne son but dirigé vers un plaisir partiel ou un plaisir de
reproduction pour en adopter un autre qui est en corrélation génétique
avec le but abandonné, mais qui lui-même ne doit plus être qualifié de
sexuel, mais de social »32. Deuxièmement, qu’elle se produit « par
l’intermédiaire du moi, lequel transforme la libido d’objet sexuelle en
libido narcissique pour lui poser ensuite peut-être un nouveau but »33. Ce
qui est présenté par Freud comme une hypothèse est aujourd’hui
largement considéré comme acquis, notamment par ceux qui, à l’instar
d’A. Green, insistent sur les dangers, en termes de libération de
destructivité, de la désunion entre pulsions de vie et de mort entraînée par
ce moment narcissique de la sublimation34. Troisièmement, qu’elle ne
concerne pas seulement la science et l’art, habituellement privilégiés dans
les études sur la sublimation, mais accessibles à une minorité seulement,
mais aussi l’activité professionnelle, les sentiments sociaux et la religion,
qui sont accessibles au grand nombre. Dans une lettre adressée au pasteur
Pfister en 1909, Freud considère même la sublimation religieuse comme
la « forme la plus commode » de sublimation35. Quelques années plus tard
30. Freud, 1915, p. 184.
31. Freud, 1909-1939, pp. 46-47.
32. Freud, 1915-1917, p. 358.
33. Freud, 1923, p. 274.
34. Green, 1993, p. 300 ; cf. Freud, 1923, p. 289.
35. Lettre du 9 février 1909. Freud, 1909-1939, p. 46.
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il aura cette affirmation teintée d’humour évoquant la valeur thérapeutique


qu’il accorde à ce processus, y compris lorsqu’il concerne le domaine
religieux : « En tant que thérapeute je ne puis que vous envier la possibilité
de la sublimation religieuse »36 !
L’idée fondamentale est que les figures divines les plus élaborées
procèdent de la sublimation des figures parentales : « Le Dieu juste et tout-
puissant et la bonne Nature nous apparaissent comme des sublimations

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grandioses du père et de la mère. » Il est vrai que Freud atténue aussitôt
cette affirmation : … « ou plutôt comme des renouvellements et des
réinstaurations des représentations de l’un et de l’autre dans la prime
enfance »37, mais dans une lettre à J. J. Putnam, cette atténuation est
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absente : « Le “ Dieu juste ” et la “ bienveillante Nature ” ne sont que les


plus nobles sublimations de notre complexe parental, et notre détresse
infantile est la source ultime de toute religion »38. Étant donné sa
conception de la mystique comme régression, il n’est pas étonnant que
Freud n’y reconnaisse pas, explicitement tout au moins, une voie possible
de sublimation. Notons toutefois que dans « Pour introduire le
narcissisme », il estime qu’un anachorète ascétique « peut bien avoir
totalement détourné des êtres humains son intérêt sexuel et pourtant
l’avoir sublimé sous forme d’un intérêt accru pour le monde du divin, de
la nature et des animaux, sans avoir succombé à une introversion de sa
libido sur ses fantaisies ou à un retour à son moi »39. Reste le cas de
François d’Assise : dans « Le malaise dans la culture », Freud évoque le
cas particulier de ceux qui parviennent à se mettre à l’abri des peines de
la perte de l’objet d’amour en adressant leur amour à tous les êtres
humains plutôt qu’à l’un ou l’autre, moyennant la transformation de la
pulsion sexuelle « en une motion inhibée quant au but ». « Saint François
d’Assise, ajoute-t-il, pourrait bien être celui qui est allé le plus loin dans
cette utilisation de l’amour en faveur du sentiment de bonheur

36. Lettre du 9 octobre 1918. Freud, 1909-1939, p. 104 (traduction modifiée).


37. Freud, 1910, p. 149.
38. Lettre du 10-03-1910, citée dans L’introduction de la psychanalyse aux États-
Unis. Paris : Gallimard, 1971.
39. Freud, 1914, p. 225 (je souligne). Il peut sembler que Freud résume la position de
C. G. Jung, et non la sienne. Une lecture attentive du passage montre qu’il s’agit bien de sa
propre pensée, comme le pense par exemple J. Lacan (Lacan, 1975, p. 133).
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intérieur »40. Ainsi donc l’amour fraternel de François d’Assise relève-t-il


d’après ce texte de l’inhibition quant au but, qu’il arrive à Freud de
considérer comme un début de sublimation : « Si nous le voulons, écrit-il,
nous pouvons reconnaître dans cette déviation quant au but un début de
sublimation des pulsions sexuelles, mais nous pouvons aussi fixer encore
plus loin la frontière de cette dernière »41. Comme je vais à présent le montrer,
plusieurs auteurs contemporains n’hésitent pas à considérer la mystique

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amoureuse d’un François d’Assise comme une voie de sublimation.

L’AMOUR MYSTIQUE, PASSION SUBLIMATOIRE


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Ainsi C. Parat qui, à la différence d’A. Vergote, n’est pas impliquée


à titre personnel dans ce qu’elle appelle le « mythe chrétien ». Dans un
livre sur L’inconscient et le sacré, publié en 2002, elle estime que la
reconnaissance du rôle indéniable de la pathologie psychique dans
certaines expériences religieuses ou mystiques ne rend pas moins
indispensable la prise en compte des cas qui échappent très clairement à
ce reproche. Il faut s’interroger sur le degré extrême que les valeurs de la
civilisation peuvent atteindre chez des êtres comme Bouddha, Maître
Eckart ou François d’Assise, et qui résulte à ses yeux d’« une sublimation
hors du commun ». L’amour universel de François d’Assise serait ainsi le
« fruit d’une sublimation parfaite »42. Chez ceux qui, comme lui, ne se
sont pas arrêtés au moment narcissique de la sublimation de la libido, mais
l’ont réinvestie « à l’aide d’un mouvement centrifuge cette fois, vers le
monde extérieur, le monde humain, sous forme de compassion », « aimer
signifie désormais aider, donner au sens de l’Éros, et non posséder »43. Ici
aussi, le développement de l’amour-agapè est donc interprété comme
reposant sur un progrès dans la sublimation. Pour Freud il s’agissait
d’inhibition quant au but, et non, comme le dit C. Parat à son sujet, de
sublimation. Au-delà de cette légère différence, il est toutefois
remarquable que l’un et l’autre laissent de côté l’amour de François
d’Assise pour Dieu et le Christ, et ne retiennent que son amour d’autrui.
40. Freud, 1930, p. 288.
41. Freud, 1921, p. 78.
42. Parat, 2002, p. 95 ; cf. p. 94 (sur la pathologie) et p. 98 (sur Bouddha et Maître Eckart).
43. Ibid., p. 96.
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La prise en compte de l’unité de ces deux amours est pourtant neutre par
rapport à la question extra-psychanalytique de l’existence ou de la non-
existence de Dieu ; elle suppose de tenir compte de l’importance de la
référence à Dieu et au Christ dans l’économie psychique de François
d’Assise. C’est ainsi que pour l’un et l’autre, il est question du
commandement d’aimer le prochain comme soi-même, sans qu’un mot
soit dit du commandement d’aimer Dieu de tout son être ou d’aimer les

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autres comme le Christ a aimé44. Mais si l’on prend en compte l’unité
profonde entre amour de Dieu et amour des hommes, la sublimation
apparaît tout autant mobilisée par l’amour de Dieu que par celui des
hommes. J’ajoute que ce qui est à l’œuvre de manière tout à fait
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exceptionnelle chez un François d’Assise peut l’être également dans une


moindre mesure en qui s’engage dans un amour d’autrui non limité à l’amour
sexuel, à l’amour familial ou à l’amour d’amitié, mais reconnaît en tout homme
une personne à respecter en tant que telle et non pour ses seules qualités.
Plus récemment, S. de Mijolla-Mellor a elle aussi écrit que l’amour
universel de François d’Assise et plus généralement l’amour-agapè
relevaient de la sublimation45. Elle évoque notamment les « ivresses
sacrées », impliquant une intense « dérivation pulsionnelle sublimatoire »,
et non cette « réalisation pulsionnelle amoindrie » par rapport à la
réalisation directe, qui caractérisait pour Freud la sublimation46.
G. Bonnet s’est lui aussi exprimé sur le cas particulier de ces
hommes exceptionnels « qui représentent encore aujourd’hui des modèles
considérés comme universels », et parmi lesquels, aux côtés de Socrate et
Léonard de Vinci, il compte Jésus et Paul47. Mais à la différence de
C. Parat, S. de Mijolla-Mellor ou A. Vergote, il n’interprète pas leur
dynamisme créateur et leur valeur sociale comme relevant essentiellement
de la sublimation. Ce qui est en jeu ne serait pas d’abord la sexualité
44. Cf. Deutéronome 6,4 ; cf. Matthieu 22,37, Jean 15,12. L’importance du lien entre
amour des hommes et amour du Christ n’est pourtant pas ignorée de Freud : « Chaque
chrétien aime le Christ comme son idéal et se sent lié aux autres chrétiens par
identification. Mais l’Église exige plus de lui. Il doit en outre s’identifier avec le Christ
et aimer les autres chrétiens comme le Christ les a aimés. » (Freud, 1921, p. 73).
45. de Mijolla-Mellor, 2004, pp. 131-132 (à propos de l’agapè, qu’elle appelle
« amour christique »). Sur le cas de François d’Assise et la lecture qu’en fait Freud, voir
aussi de Mijolla-Mellor, 2005a, p. 94 ; 2005b, p. 108.
46. de Mijolla-Mellor, 2004, p. 121.
47. Bonnet, 2001, p. 184.
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pulsionnelle, mais ce qu’il appelle la sexualité « idéale » et, plus encore,


la sexualité « fondamentale ». La sexualité idéale est celle « qui trouve son
plaisir dans la satisfaction de certains idéaux »48, par exemple dans les
« engagements mystiques ou religieux »49. Elle en vient parfois à
s’abstenir de toute activité sexuelle manifeste « pour laisser la place à des
jouissances symboliques ou sociales de tous ordres ». Or, estime G.
Bonnet, « cela ne tient pas d’abord à la sublimation comme on l’a dit

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souvent, mais à une forme d’idéalisation solidement ancrée dans la
réalité »50. Quant à la sexualité fondamentale, elle est « la plus importante
et la plus significative » des formes de sexualité. Elle est la sexualité des
« pulsions originaires », ces « pulsions innombrables fondées sur des
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signifiants inconnus hérités des relations premières »51 et qu’il ne faut pas
confondre avec les pulsions partielles, sur lesquelles la sublimation porte
électivement. Même si A. Vergote ne rattache pas les pulsions les plus
fondamentales de « l’inconscient originaire » à des signifiants, mais à des
représentations-chose (Sachvorstellungen), il les prend lui aussi en
compte. Sa conception large de la sublimation lui fait considérer ces
pulsions fondamentales comme sublimables. Cela apparaît nettement
lorsqu’il écrit, à propos de la sublimation des mystiques : « Le silence dans
lequel se retranche la présence à l’Autre […] correspond au noyau de
l’inconscient de l’investissement archaïque, de même que les sentiments
qualifiés, dirigés vers les aspects divins signifiés, correspondent aux
fantasmes qui structurent déjà inchoativement l’inconscient originaire »52.
Là où G. Bonnet parlerait de sexualité fondamentale, A. Vergote fait
intervenir la sublimation.

Conscient, avec A. Green, que lorsque « l’on se porte dans la


direction […] des différentes formes de sublimations, la part d’aléatoire et
de spéculation y sera plus importante »53, je défends l’interprétation
48. Ibid., p. 125.
49. Ibid., p. 139.
50. Ibid., p. 142 (souligné par moi).
51. Ibid., p. 169. Ces « signifiants inconnus » sont évidemment à rapprocher des
« signifiants énigmatiques » de la théorie de J. Laplanche. « Pulsions originaires » est une
expression de Freud, 1915, p. 171, cité par G. Bonnet, 2001, p. 167.
52. Vergote, 1997b, p. 217.
53. Green, 2002b, p. 43.
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d’A. Vergote, de C. Parat ou S. de Mijolla-Mellor. Je m’en tiens à


l’interprétation habituelle des rapports entre activité culturelle créatrice et
sublimation, telle qu’A. Green la met en œuvre lorsqu’il considère
l’activité créatrice de Freud comme relevant de la sublimation.
Il faut souligner, chez certains créateurs comme chez certains
chercheurs de vérité, ce qu’on ne peut appeler autrement qu’une passion
sublimatoire. Si la sublimation suppose un détournement des buts sexuels, elle

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laisse le champ libre à une passion qui n’a rien à envier à la passion
amoureuse. Freud était animé d’un amour de la vérité dont on ne peut dire qu’il
est présent chez tous les psychanalystes, aujourd’hui plus encore qu’hier54.
C’est cette passion sublimatoire qui est à l’œuvre dans la passion
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amoureuse de ces chercheurs de vérité singuliers que sont les mystiques,


tout au moins ceux qu’un long et difficile chemin de désillusionnement et
d’amour universel aura suffisamment dégagé de la pente régressive
particulièrement signalée par Freud. A. Green semble d’ailleurs le
suggérer lorsqu’il souligne, à propos des « arborescences » de la vie
affective, que « l’Autre joue un rôle décisif, l’objet primaire à l’Autre de
la transcendance divine », et affirme que « le psychanalyste lit sans
s’étonner les études modernes qui n’hésitent pas à relier les productions
des grands mystiques (Sainte Thérèse d’Avila, Saint Jean de la Croix) aux
relations érotiques et sexuelles les plus fondamentales »55. S’il est vrai
– tout au moins dans le cadre de la foi chrétienne –, que la mystique est
avant tout caractérisée par sa dimension interpersonnelle, filiale et
amoureuse, au-delà des « productions » plus ou moins spectaculaires
auxquelles elle est souvent réduite, ce qui est dit ici des grandes figures
mystiques habituellement évoquées peut être appliqué, toutes proportions
gardées, à la foi plus ordinaire, elle aussi tendue entre régression au
narcissisme primaire et amour interpersonnel sublimé.

54. Green, 2002a, p. 308 (souligné par moi).


55. Ibid., p. 185 (je souligne). D. Anzieu, sans parler de sublimation, souligne
également l’importance de la libido dans la vie des mystiques : il parle d’une « recharge
libidinale » (« fortement génitalisée : Jésus-Christ est l’époux divin ; l’âme, l’Église sont
l’épouse »), d’une « recharge génitale » conférant aux mystiques « une énergie
exceptionnelle » permettant d’affronter les épreuves ou de se livrer à une activité de
fondation (Anzieu, 1980, p. 166). Sur le fait que la vocation animant les mystiques
« procède d’un processus sublimatoire poussé à son extrême », voir Decourt, 2005, p. 1752.
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