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DU TRAUMATISME AU PASSAGE À L'ACTE

Le corps pour seul témoin ?


Raphaëlle Bigex

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Association Recherches en psychanalyse | « Recherches en psychanalyse »

2014/2 n° 18 | pages 142 à 149


ISSN 1767-5448
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Recherches en Psychanalyse – Research in Psychoanalysis 18│2014

18│2014 – Psychanalyse et interdisciplinarité – II


Psychoanalysis and Interdisciplinarity – II
Corps et traumatisme
Du traumatisme au passage à l’acte
Le corps pour seul témoin ?
From Trauma to the Passage à l’acte
Is the Body the Only Witness? [En ligne] 26 décembre 2014

Raphaëlle Bigex
Résumé :
Nous accordons spontanément au traumatisme un rôle privilégié dans la genèse du passage à l’acte,
notamment criminel. L’expérience carcérale nous a donné l’occasion de penser ce déterminisme, et d’en
proposer des fondements métapsychologiques. Nous envisagerons ici le passage à l’acte comme une
réaction différée et inédite au traumatisme, avec l’hypothèse que le corps serait le vecteur principal de

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ce déplacement énigmatique. Le cours de notre argumentation nous amènera à remettre en question la
notion de pulsion – en la distinguant de l’excitation – et à concevoir le passage à l’acte comme un
« en deçà de la pulsion ».
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Abstract:
People spontaneously accord trauma a privileged role in the genesis of the passage à l’acte, especially in
criminal cases. Our clinical experience in prisons led us to rethink this determinism, and to explore its
metapsychological foundations. Here, we consider the passage à l’acte as a differed and unprecedented
reaction to trauma, with the hypothesis that the body assumes the role of the main vector of this
enigmatic displacement. We call into question the notion of the drive, by distinguishing it from
excitation, then offer a conception of the passage à l’acte as a formation that stands “prior to the
drive”.

Mots-clefs : traumatisme, passage à l’acte, corps, pulsion, excitation


Keywords: trauma, passage à l’acte, body, drive, excitation

Plan :
Une clinique du « sensationnel »
Des phénomènes aux antipodes
La pensée hors-jeu
Une situation économique commune
De l’excitation externe à l’excitation interne
Deux destins distincts
L’inscription du traumatisme
Un déterminisme inconscient
Un réveil accidentel du trauma
Un état « traumatique » chronique
Un sujet clivé
Le « passage » à l’acte criminel : une issue au traumatisme ?

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Une clinique du « sensationnel » « effracté », de l’autre : activité d’un corps


« effractant ».
Le passage à l’acte constitue l’un des aspects les Nous pouvons envisager le passage à l’acte
plus spectaculaires et les plus énigmatiques de comme la réaction alloplastique qui a fait défaut
la clinique. Cet acte impulsif et irrépressible lors du traumatisme.
semble recouvrir de nombreux cas d’agirs
criminels, auxquels nous avons été confrontés La pensée hors-jeu
au cours d’une pratique en milieu carcéral. Le
passage à l’acte criminel apparaît comme un Nous venons de voir ce qui opposait, à première
déchaînement du corps qui frappe, viole, tue, vue, le traumatisme et le passage à l’acte, voyons
transgresse tous les interdits et fait voler en maintenant ce qui les rapproche. Parallèlement
éclat les barrières et les digues psychiques qui à la paralysie motrice, la paralysie de l’activité
bordent habituellement les actions humaines. psychique caractérise le traumatisme : qu’en
Un acte à la fois incompréhensible, intolérable est-il du passage à l’acte ?
et fascinant pour la plupart des individus. Partons de la pulsion, ce fameux « concept
Le traumatisme se présente quant à lui sous une limite entre le psychique et le somatique » que
forme non moins spectaculaire : celle d’une Freud désigne comme le représentant psy-

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immobilisation du corps qui se fige sous l’action chique des excitations provenant de l’intérieur
d’un trauma. Ce dernier est décrit par Ferenczi du corps.3
comme « un choc inattendu, non préparé et La décharge motrice est le mode de satisfaction
écrasant » agissant « comme un anesthésique » pulsionnelle primaire qui consiste à débarrasser
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et entraînant « l’arrêt de toute espèce d’activité l’appareil psychique des excitations par des
psychique », ainsi qu’un « état de passivité innervations corporelles immédiates. Mais à une
dépourvue de toute résistance ». 1 Il provoque la étape de développement supérieure, cette
paralysie de la mobilité, mais aussi celle de la décharge motrice se trouve normalement
pensée, voire de la perception. différée, au regard des obstacles extérieurs qui
La thèse que nous proposons ici consiste à relier imposent son ajournement. En ce sens, le
ces deux phénomènes en concevant le passage passage à l’acte constitue une modalité de
à l’acte criminel comme déterminé par un satisfaction pulsionnelle régressive, puisqu’il
traumatisme. s’agit d’une décharge massive d’excitation, en
rupture totale avec le principe de réalité.
Des phénomènes aux antipodes C’est normalement au processus de pensée qu’il
incombe d’assurer la suspension de la décharge
Au regard de la clinique, le traumatisme et le motrice, en s’intercalant entre l’excitation
passage à l’acte se présentent donc de façons pulsionnelle et l’acte propre à la satisfaire – qui
diamétralement opposées. D’un côté, la para- est alors appelé « action » et approprié à la
lysie motrice : l’individu traumatisé se trouve réalité.4 Sur son trajet qui va de la source au but,
incapable de se défendre physiquement contre la pulsion se « psychise » donc. Nous en dédui-
l’excitation nocive. De l’autre, le recours sons que le passage à l’acte aurait échappé à
impulsif à la motricité : le corps de l’individu se cette étape de « psychisation », d’où le fait qu’il
trouve précipité dans un acte erratique qui soit complètement inadapté. En effet, il
attaque le monde extérieur. Nous avons donc s’opérerait un « court-circuit » sur le trajet de la
affaire à deux types de réaction face à pulsion : celle-ci semble passer directement de
l’excitation : l’une autoplastique – qui modifie le la source au but, c’est-à-dire de l’excitation
soi, l’organisme –, l’autre alloplastique – qui somatique à la décharge motrice, sans détour
modifie le monde extérieur et in fine l’excitation par la psyché. Une excitation qui n’emprunterait
nocive.2 D’un côté donc : passivité d’un corps donc pas la « boucle » pulsionnelle classique.

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En nous référant à la seconde topique freu- Nous avons donc affaire à la même situation
dienne, nous pourrions désigner le Ça comme économique, celle d’un débordement d’excita-
l’agent du passage à l’acte. En effet, Freud tion pour le psychisme : dans les deux cas, une
définit cette instance-siège des pulsions comme situation « traumatique » donc. À ceci près que
entièrement soumise au principe de plaisir, pour le passage à l’acte il s’agirait d’un débor-
coupée du monde extérieur, sans pensée, sans dement interne, tandis que pour le traumatisme
volonté, ni même représentations.5 Au même il s’agirait a priori d’un débordement externe.
moment où le Moi, censé commander l’accès à
la motilité, perdrait le contrôle du Ça, tel « un De l’excitation externe à l’excitation interne
cavalier » – pour reprendre la célèbre métaphore
freudienne – embarqué par sa monture, l’indi- Il nous revient à présent d’établir le lien entre
vidu perdrait le contrôle de son corps et se l’excitation externe en jeu dans le traumatisme
trouverait engagé dans un acte à son insu : « Je et l’excitation interne propre au passage à l’acte.
ne sais pas ce qui m’a pris, c’était plus fort que Que devient l’excitation externe engendrée par
moi ! », déclarent effectivement certains le trauma, une fois qu’elle a fait effraction dans
criminels. le pare-excitation ? Tout d’abord, Freud a
Le passage à l’acte et le traumatisme auraient relativisé l’existence du trauma effectif

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donc un point commun majeur : la mise hors-jeu (externe) au profit du trauma fantasmatique
de la pensée – voire, pour faire un jeu de mots, (interne). Ensuite, il a montré que tout trauma
la mise « hors-Je ». Nous aurions affaire à deux externe se répercute sur le processus pulsionnel
phénomènes dépourvus de participation pro- dès lors qu’il dépasse une certaine intensité7 et
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prement subjective, deux processus aveugles que l’ébranlement même qu’il constitue libère
dans lesquels le corps serait impliqué de un quantum d’excitation sexuelle qui constitue
manière privilégiée, voire exclusive. En en fait le véritable trauma, interne.8 Enfin, il a
revanche, si dans le traumatisme la disqua- mis à jour un phénomène qui se comporte
lification de la pensée conditionne la paralysie comme une excitation interne, quand bien même
du corps et l’inaction, dans le passage à l’acte sa source est à l’extérieur : c’est la douleur, qu’il
elle est précisément la condition de l’acte, mais désigne comme « pseudo-pulsion »9 ; or, cette
un acte impensé et impensable qui n’a plus rien douleur, en tant qu’effraction du pare-excitation
d’une « action » – caractérisée par l’élaboration sur une étendue limitée, se donne à voir comme
psychique qui la précède, comme nous l’avons un prototype réduit du traumatisme que nous
dit plus haut. étudions. En somme, la situation économique
du traumatisme et celle du passage à l’acte
Une situation économique commune criminel se recouvrent : toutes deux résultent,
en dernière analyse, d’un débordement interne.
Intéressons-nous maintenant aux conditions
économiques propres à ces processus. Selon Deux destins distincts
Freud, l’appareil psychique a pour tâche
principale la maîtrise et la liaison des exci- Néanmoins, si l’excitation traumatique provient
tations. Or le trauma apporte, d’après lui, « un si bien de la même source interne, elle ne subit
fort accroissement d’excitation à la vie psy- pas le même destin : dans le traumatisme, elle
chique que sa liquidation ou son élaboration par ne trouve pas d’issue puisque l’élaboration psy-
les moyens normaux et habituels échoue ».6 chique, l’action et même la décharge motrice sont
Dans le passage à l’acte, cette fonction est entravées ; dans le passage à l’acte, elle est au
également mise en échec, puisque l’appareil contraire déchargée de façon anarchique. Notre
psychique se trouve débordé par la poussée hypothèse de départ se précise : le passage à
pulsionnelle qui va se décharger malgré lui. l’acte criminel constituerait l’abréaction de

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l’excitation traumatique en stase depuis le inconscients sont atemporels : « Une impulsion,


trauma. Comment cette excitation pulsionnelle n’est pas nécessairement née là où nous la
va-t-elle se transférer du traumatisme au voyons se manifester », nous dit Freud.12 De
passage à l’acte ? quelle manière cette expérience traumatique
va-t-elle se réveiller, voire se répéter, et provo-
L’inscription du traumatisme quer le passage à l’acte ? Nous allons explorer
successivement trois pistes de recherche
Nous devons préalablement mettre à jour le susceptibles d’éclairer cette question sous des
mode d’inscription du traumatisme. La paralysie angles différents, sans toutefois s’opposer.
psychique propre au processus traumatique pri-
verait le traumatisme d’une existence psychique, Un réveil accidentel du trauma
il ne serait donc pas « inscrit » au sens classique.
Pour Ferenczi, la perception elle-même aurait Notre première hypothèse est la suivante :
fait défaut au moment du trauma : il s’agirait après un temps de latence, c’est un événement
d’une douleur sans contenu de représentation ponctuel, rappelant l’expérience traumatique de
donc inaccessible à la conscience, d’où façon associative, qui précipiterait l’individu
l’anesthésie. Un processus dépouillé de senti- dans l’acte. Cette idée revient à envisager le

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ment subjectif, donc. D’après lui, aucune trace passage à l’acte criminel sur le modèle de
mnésique ne subsisterait de ces « impressions », l’accès hystérique, c’est-à-dire comme la répé-
pas même dans l’inconscient ; elles laisseraient tition d’un traumatisme provoquée par un
tout au plus des « cicatrices mnésiques » inacces- souvenir « hyperesthésique ».
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sibles à la mémoire. Il précisera qu’au moment Mais comment une simple réminiscence peut-elle
du choc, « les sentiments sont arrachés aux provoquer un phénomène d’une telle ampleur ?
représentations et aux processus de pensée, et Reprenons l’une des premières théorisations,
profondément cachés dans l’inconscient, voire physicaliste, de Freud.13 Selon lui, lorsqu’une
dans l’inconscient corporel. »10 De même, pour quantité excessive fait effraction dans le
Freud, l’expérience traumatique non abréagie « système ψ », elle provoque un grand déplaisir
demeurerait dans le psychisme comme un et une tendance à la décharge équivalente : il y
« corps étranger » continuant à jouer un rôle a alors un « frayage » entre cette tendance et
actif longtemps après son irruption.11 Laplanche l’image mnémonique de l’objet qui a causé la
emploie occasionnellement d’autres termes douleur. Plus tard, quand une nouvelle percep-
comme « enkystement » et « épine dans l’écorce tion rappelle l’image mnémonique de l’objet
du moi ». hostile – quand bien même les conditions sont
Demeurant ainsi irreprésenté, « en souffrance », modifiées et qu’il n’y a pas de souffrance – il y a
le traumatisme serait idéalement en attente de quelque chose de semblable à la souffrance,
représentations auxquelles se lier, en attente nous dit Freud, qui comporte du déplaisir et un
d’être souffert : un temps « un » en attente d’un besoin de décharge correspondant (valeur
temps « deux », donc. Dans l’intervalle, cette sympathique de la perception). Sur ce modèle,
expérience initialement corporelle demeurerait le traumatisme agirait « comme un coup de
dans le corps à l’état latent. Nous désignons foudre » laissant derrière lui un frayage perma-
donc le corps comme le vecteur entre nent. À l’occasion d’une perception ponctuelle,
l’expérience traumatique et le passage à l’acte. le sujet traumatisé se trouverait replongé dans
la situation traumatique et le passage à l’acte
Un déterminisme inconscient criminel viendrait satisfaire, sur un objet
déplacé, la tendance à la décharge initialement
Pour comprendre le déterminisme du passage à empêchée. Dans cette optique, le passage à
l’acte criminel, rappelons que les processus l’acte pourrait être assimilé à une sorte d’acte

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réflexe, comparable aux violentes actions de dé- Dans tous les cas, nous avons affaire à un
charges entraînées par la douleur, c’est-à- dire phénomène hallucinatoire : le traumatisme se « re-
sans médiation proprement dite de l’appareil présente » davantage qu’il ne se « représente ».
psychique. De fait, le sujet ne discerne plus la situation
Mais nous pouvons également conférer au passage actuelle de la situation ancienne qu’il répète
à l’acte criminel une dimension plus psychique, sans distance et ponctue par la décharge.
plus « intentionnelle » – non moins inconsciente : Pontalis soutient cette idée : « Je crois qu’à
lorsque la perception d’un événement rappelle l’instant du meurtre la plupart des criminels
l’expérience traumatique au sujet, il éprouverait sont hallucinés et que ce n’est pas seulement
le même déplaisir que jadis et inaugurerait des pour leur défense qu’une fois redevenus
mouvements défensifs contre la source d’exci- conscients ils affirment : « J’ai été pris d’un coup
tation nocive passée. Seulement s’ils étaient de folie ».14
appropriés au moment du trauma, ils s’avèrent
désormais totalement inadaptés. En effet, le Un état « traumatique » chronique
processus de jugement faillit de telle sorte que
la décharge est déclenchée malgré la non- Notre seconde hypothèse est la suivante : le
coïncidence de la perception et du souvenir, trauma, du fait de la « perturbation durable du

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investi au point d’avoir acquis le même indice de fonctionnement énergétique » qu’il entraîne,
réalité. d’après Freud15, instaurerait, selon nous, un état
Enfin, nous pouvons envisager une troisième voie, chronique semblable à une véritable structure
plus économique qu’associative : pour Freud, prédisposant au passage à l’acte. N’ayant pas
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toute montée d’excitation interne entraîne la trouvé d’issue au moment du trauma, l’excita-
reviviscence d’expériences passées similaires ; tion traumatique demeurerait en stase dans le
nous en déduisons que l’événement nouveau, corps telle une bombe à retardement.
pour autant qu’il comporte déjà en lui-même un Nous avons vu que le traumatisme empêchait le
caractère péniblement excitant, ferait revivre au mécanisme de « psychisation » qui convertirait
sujet l’expérience traumatique, du simple fait qu’il l’excitation physique en libido psychique ; ainsi,
engendre une situation économique comparable. la pulsion, à défaut d’acquérir un représentant
Prenons un exemple pour illustrer nos propos : psychique, resterait à l’état d’excitation soma-
une violente dispute éclate au sein d’un couple, tique brute. Cette excitation pourrait alors revêtir
le ton monte et l’homme empoigne bruta- la forme de l’angoisse telle que Freud la conçoit
lement sa femme par les épaules en criant. La en 1894, c’est-à-dire une manifestation pure-
perception des cris masculins et de l’empoi- ment quantitative, un affect déqualifié résultant
gnade fait revivre à la jeune femme une scène d’un processus exclusivement somatique dont
traumatique de son enfance, lors de laquelle toute dimension psychique est absente.16 Cette
son beau père l’avait saisie de la même manière, structure traumatique pourrait être assimilable
en hurlant, avant de la rouer de coups. La jeune à la névrose d’angoisse qu’il isole à la même
femme se saisit alors d’un couteau de cuisine à période.17
sa portée et frappe son mari. Ce faisant, elle se Certes, Freud accorde à la névrose d’angoisse
défend de façon inédite contre son bourreau de une étiologie spécifiquement sexuelle, mais
l’époque. Mais, plutôt que la perception, il se dans la mesure où nous tenons pour acquis que
pourrait que ce soit l’état de tension déplaisante tout trauma génère de l’excitation sexuelle,
de la jeune femme, provoquée par la violence nous nous permettons de lui substituer une
de l’altercation conjugale, qui soit responsable étiologie traumatique.
de la reviviscence de l’expérience traumatique, Comme dans le tableau clinique de la névrose
qui avait engendré à l’époque un tel état de d’angoisse, nous retrouverions chez les trauma-
tension – resté sans issue. tisés une « excitabilité générale » : soit du fait

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de l’accumulation d’excitation (absolue) en stase n’avait pas d’existence psychique, soit ils ne
depuis le traumatisme, soit parce que le peuvent en parler que comme quelque chose
traumatisme aurait altéré les capacités de d’extérieur à eux, sans aucune émotion, aucun
l’individu à supporter l’excitation (relative). Ce remords, aucune élaboration. Ils sont tout au
quantum d’excitation librement flottant se fixe- plus capables d’une description factuelle dé-
rait alors à la première représentation fortuite pourvue d’implication subjective. Certains vont
qui convienne – potentiellement excitante – et jusqu’à se désapproprier leur acte, comme s’il
déclencherait le passage à l’acte comme moyen avait été commis par une personne étrangère,
de résolution erratique de l’angoisse. Relè- ce qu’ils expriment par des phrases comme :
veraient de cette catégorie certains criminels « Je n’étais pas moi » ou même : « Ce n’était pas
réputés « bagarreurs » ou « sanguins » avant le moi ». Ce discours et cette impression d’avoir
passage à l’acte fatidique, c’est-à-dire enclins à été « hors soi » nous évoque immédiatement ce
l’impulsivité et à la violence qui lui est associée. que décrit Ferenczi des sujets traumatisés : dans
Mais nous pourrions aussi relier le passage à l’incapacité d’évoquer subjectivement les événe-
l’acte criminel à « l’accès d’angoisse », autre ments survenus, sinon sous une forme objectivée,
symptôme du tableau clinique de la névrose comme des événements arrivés à une autre
d’angoisse, qui consiste en une brusque irrup- personne. D’après lui, ce phénomène s’explique

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tion d’angoisse éveillée de façon autonome – par le fait que le sujet est effectivement dans un
indépendamment du cours des représenta- état d’« absence mentale » au moment du
tions – dont le passage à l’acte constituerait trauma, sous l’influence duquel le moi aban-
l’acmé. Il s’agirait d’un mécanisme encore moins donne entièrement ou partiellement son corps
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« psychisé » et plus « gratuit » en somme. pour se faire observateur de ses souffrances. Ce


Pontalis semble aller dans ce sens : « Qu’y a-t-il clivage constitue une véritable soupape de
avant qu’il [le passage à l’acte] ne soit franchi ? sécurité, visant à protéger le psychisme du
[…] Un trop : une violence pulsionnelle long- trauma par une réaction autoplastique : une
temps contenue, insoupçonnée, et voici qu’elle partie clivée du moi mesure, comme intelligence
surgit, éclate telle une irruption volcanique, pure, l’étendue du dommage et ne laisse accé-
comme si le dedans exigeait d’être dehors ».18 der à la perception que ce qui est acceptable
Ainsi en serait-il des criminels décrits comme pour le psychisme.20 Le criminel serait-il dans un
calmes et « sans histoires » jusqu’à leur passage état d’absence à lui-même semblable lors de
à l’acte, si soudain et imprévisible qu’il laisse son passage à l’acte ?
leurs proches sans voix. Encore que ceux-ci Voyons comment nous pouvons relier les deux
déclarent par la suite : « Certes, nous savions phénomènes. D’après Ferenczi, l’individu trau-
qu’il avait subi des sévices plus jeune… » matisé serait dédoublé en une partie vivante,
continuant son développement, et une partie
Un sujet clivé morte, apparemment inactive mais prête à se
réactiver à la première occasion. Cette partie
Orientons-nous pour finir vers une troisième clivée, émancipée du reste du moi pourrait
voie : celle de « l’auto-clivage narcissique ». 19 Si prendre la forme et le fonctionnement d’une
Ferenczi a forgé ce concept pour désigner une personne entière et se substituer au moi entier,
stratégie de survie au moment du trauma, c’est nous dit-il. Le passage à l’acte relèverait-il de la
la clinique auprès des criminels qui nous a réactivation de cette partie, essentiellement
conduits sur cette piste : en effet, ce qui nous a corporelle, sinistrée au moment du trauma, qui
frappés dans nos entretiens avec les criminels, se substituerait au moi pour le précipiter dans
c’est le détachement de la plupart d’entre eux l’acte ?21 Pontalis semble également proche de
vis-à-vis de leur acte. Soit ils sont incapables ne cette idée : « Leur corps explose dans le même
serait-ce que de l’évoquer, comme si l’acte moment où ils s’en prennent au corps de leur

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victime. Le corps se déchaîne et devient fou ».22 son sens : l’expérience traumatique, restée
Dans cette optique le dit « criminel » ne serait corps sans psyché, reviendrait par le corps et
plus qu’un « aliéné » au moment du passage à trouverait une issue par le corps au moment du
l’acte. De quoi réaborder la question de la passage à l’acte – sans passer davantage par la
responsabilité pénale et justifier l’expression : psyché. Mais s’agit-il d’une véritable « issue » –
« L’acte monstrueux ne fait pas un monstre ». résolutoire ? Pour Ferenczi, la réversibilité du
processus traumatique consiste au rétablisse-
Le « passage » à l’acte criminel : une ment de l’unité somato-psychique du sujet, qui
issue au traumatisme ? doit passer subjectivement par la souffrance à
laquelle il s’est soustrait au moment du trauma.
Nous avons proposé trois pistes de recherche À défaut, l’expérience traumatique s’obstinera à
visant à dégager différentes logiques inconscientes faire vainement retour. Dans cette optique, le
du passage à l’acte criminel, déterminé par un passage à l’acte ne serait qu’une modalité de la
traumatisme. De nos hypothèses, s’est dégagée compulsion de répétition23 qui n’aura pas plus
en filigrane l’idée d’une déliaison corps - psyché, d’effet qu’une crise d’hystérie ou qu’un rêve
instaurée par le traumatisme et actualisée par le traumatique – c’est-à-dire tout au plus celui
passage à l’acte criminel. Ce qui explique que, d’une abréaction momentanée. Les criminels

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de façon analogue au traumatisé, le criminel soit multirécidivistes en seraient l’exemple le plus
dans un état d’absence au moment du crime, et flagrant.
ne garde en mémoire qu’un « avant » et un Au stade actuel de nos recherches, nous défen-
« après », sans avoir véritablement accès au dons donc l’idée que certains passages à l’acte
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crime lui-même, dépourvu d’existence psy- criminels sont conditionnés par un traumatisme
chique. Si nous admettons que le traumatisé et et, qu’à défaut d’avoir un effet « traumato-
le criminel ne sont effectivement qu’une seule lytique », ils constituent plutôt un nouveau
et même personne, cette analogie prend tout traumatisme pour le psychisme.

Bibliographie :
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2
Termes d’abord employés par Freud pour distinguer deux « l’état de conscience modifié » décrits par Freud dans :
voies de satisfaction face au besoin de décharge, et repris Freud, S. (1956), Études sur l’hystérie (1895) et ainsi
par Ferenczi dans sa théorisation du traumatisme. concilier notre présente hypothèse avec la première.
3 21
Freud, S. (1968). Pulsions et destins des pulsions (1915). Ici encore nous pouvons faire le lien avec l’« état
Métapsychologie. Paris : Gallimard, p. 17. hypnoïde » qui, selon Freud, envahit toute l’existence du
4
Freud, S. (1933). Angoisse et vie pulsionnelle (1932). sujet et régit toute l’innervation corporelle au moment de
Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse. l’accès hystérique.
22
Paris : Gallimard. Pontalis, J.-B. (2011). Un jour le crime. Paris : Gallimard,
5
Freud, S. (1981). Le moi et le ça (1923). Essais de p. 55.
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psychanalyse. Paris : Payot. Ce concept est introduit par Freud dans : Freud, S.
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L’auteur : Référence électronique

Raphaëlle Bigex Raphaëlle Bigex, « Du traumatisme au passage


Psychologue clinicienne, chargée de cours à l’acte - Le corps pour seul témoin ? »,
Recherches en Psychanalyse [En ligne], 18|2014,
C.H. Théophile Roussel mis en ligne le 26 décembre 2014.
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9 Rue Armagis Texte intégral
78100 Saint-Germain-en-Laye
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