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LE STYLE DU PSYCHANALYSTE

Salomon Resnik

ERES | « Connexions »

2006/1 no 85 | pages 37 à 45
ISSN 0337-3126
ISBN 2-7492-0609-X
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-connexions-2006-1-page-37.htm
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Salomon Resnik, « Le style du psychanalyste », Connexions 2006/1 (no 85), p. 37-45.
DOI 10.3917/cnx.085.0037
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Salomon Resnik
Le style du psychanalyste

Parler du style est une manière de présenter l’instrumentalité origi-


nale de l’auteur, de parler de la spécificité de son expérience et de dévoi-
ler, à travers le travail fait, sa manière d’être avec le patient. Comment
s’inscrit le discours du patient dans l’esprit (mind) du psychanalyste et

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vice versa ?
En effet, stilus signifie la manière de s’inscrire ou d’écrire, origi-
nellement avec un instrument pointu, dans la mémoire de l’autre.
Comme chacun laisse ses traces dans l’inconscient de l’autre, c’est-à-
dire dans cette « autre mémoire 1 ».
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En parlant de traces et de stilus, je pense au sculpteur et au graveur.


Pourquoi ne pas parler de l’art et de l’alchimie à propos de psycha-
nalystes motivés qui ont dédié une grande part de leur vie à la connais-
sance de l’autre ? Cela implique vocation, formation, et amour pour la
connaissance.
Le style ou stilus a une application esthétique et éthique dans le sens
d’influencer ou être influencé par l’autre dans « l’inscription » du trans-
fert.
Le transfert commence avec la vie, nous dit Melanie Klein, mais
son application en psychanalyse a un sens spécifique et est particulier à
chaque cas. Le modèle de relation d’objet fait partie de cette aventure
qu’on appelle processus psychanalytique.
Qu’est-ce que l’inconscient de chacun ? Y a-t-il une spécificité du
discours inconscient dans chacun de nous ? Cela m’intéresse beaucoup.
Pour ce qui concerne la méthode, je crois qu’après une solide formation
psychanalytique et une bonne expérience, il faut être capable de réin-
venter chaque fois la psychanalyse.

1. Dans La visibilité de l’inconscient à paraître chez Dunod, je développe la notion de cette


« autre mémoire » : la mémoire inconsciente.

Salomon Resnik, 20 rue Bonaparte, 75006 Paris.

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Quel est le discours que les associations libres, l’interprétation des


rêves et les vicissitudes du transfert nous dévoilent et nous révèlent ?
La psychanalyse est une recherche et une pratique clinique. S’enga-
ger dans le transfert signifie aussi manifester une curiosité pour l’in-
connu et pour la découverte de ce que l’on n’attendait pas. Entrer en
contact avec l’inconscient présent dans le geste, dans la parole, dans le
climat du champ analytique est une expérience labyrinthique. Le laby-
rinthe est habituellement mystérieux et Leibniz parlait des impressions
obscures de la conscience.
Psychanalyser est une manière de rendre visible et lucide ce qui
était inscrit dans « cette autre mémoire » que Freud appelle Inconscient.
Toute analyse a un double registre : transfert et contre-transfert.
Personnellement, je ne perds jamais de vue ma propre expérience de
patient analysé et toujours « en analyse » avec le patient. Je préfère uti-
liser l’expression « double transfert » pour dénoter qu’il s’agit d’un
échange, d’une relation de personne à personne, de « patient » à patient
et d’enfant à enfant. C’est une manière de privilégier le transfert infan-
tile, c’est-à-dire l’enfant qui nous habite et qui n’a pas oublié de jouer
et de se jouer…

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La notion de transfert est valable soit dans un contexte dyadique,
soit dans un contexte groupal ou institutionnel. Moi-même, je me suis
intéressé à parcourir ces trois aspects.
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Théorie et technique

Théorie et technique sont des notions inséparables. On théorise à


partir d’une praxis ; cette dernière acquiert une signification scientifique
à mesure qu’elle peut être formulée. La technique est l’expression « ins-
trumentale » d’une manière « d’être » et de faire du psychanalyste vis-
à-vis de l’autre : le patient.
Tous les deux font partie d’un espace privilégié, le champ psycha-
nalytique, et de situations qui vont se dérouler à l’intérieur du processus
psychanalytique dans lequel patient et analyste sont impliqués.
Dans le champ analytique, chaque membre est à la fois sujet et objet
de ses intentions respectives. Ce qui donne sens et vie aux rencontres est
la disponibilité émotionnelle de l’un et de l’autre. L’échange affectif se
centre, d’après moi, au niveau ludique du transfert infantile.
Une de mes patientes, Mlle C., en analyse depuis de longues années,
avec un blocage affectif, est inquiète de sentir une partie de son visage
gelée et inexpressive, comme si cette partie était paralysée. Elle est
inquiète et moi aussi. Mais, heureusement, il y a un rêve dans lequel elle
voit que quelque chose de dur se liquéfie, se transforme en eau… Elle
associe avec le fait qu’elle se sente triste et qu’elle aimerait pleurer,
chose qu’elle trouve difficile. Elle associe aussi à la mort de son père et
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de sa mère… Comme une sorte de juxtaposition de deuils accumulés,


endurcis et congelés dans l’Inconscient.
Ces associations nous montrent qu’elle essaie de dégeler, dans le
rêve, une moitié de son visage (langage somatique), c’est-à-dire de
liquéfier et transformer en larmes une partie d’elle-même où elle a ren-
fermé ou enseveli une affectivité douloureuse toujours difficile à expri-
mer. Elle répond à mon interprétation en disant : « Mes yeux sont
humides... »
Ses sentiments commencent à se liquéfier, à se dégeler. Elle a peur
que si elle commence à se liquéfier, ou à dégeler un deuil après l’autre,
une vraie hémorragie émotionnelle, contenue depuis longtemps, puisse
se transformer en rivière.
Une jeune adolescente de 14 ans qui, par moments, est très rigide et
qui a une grande difficulté à exprimer ses émotions regarde avec atten-
tion un ancien dessin indien accroché dans mon cabinet. Il s’agit d’un
homme et d’une femme (la femme est en lévitation). De la tête de
l’homme jaillit la source d’une rivière où deux petits poissons vivants et
une amusante tortue jouent.
Chez la petite Mlle M., un drame se déroule entre son moi féminin

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qui, dans le tableau, implore l’homme de la laisser s’exprimer. Mais
celui-ci, un serpent autour du cou (qui dans son monde intérieur corres-
pond à son moi masculin dictatorial), coincé, finit par exprimer lui-
même, laisser sortir son moi infantile avec ses objets ludiques : les trois
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objets-jouets.
La fonction du transfert interpersonnel est de déclencher un trans-
fert intrapsychique entre les parties dissociées du patient. Dans le cas de
Mlle M., sa bisexualité psychique, la partie masculine et féminine peu-
vent s’entendre au niveau infantile, si chacun peut liquéfier ses duretés
et laisser sortir ses objets internes ludiques. Jouer avec ses idées
ludiques permet de résoudre un rite de passage, une situation drama-
tique qui évolue de l’enfance à l’adolescence. L’élément révélateur de
ce processus est l’inévitable deuil, qui signifie abandonner un stade,
l’enfance (abandonner quelques jouets), pour entrer petit à petit dans le
monde des adultes.
D’après Arnold van Gennep 2, dans chaque culture, tout passage au
cours de la vie est ritualisé. Pour revenir au tableau, la rivière qui sort
de la tête de l’homme peut représenter un état d’hémorragie psychique
(si la blessure narcissique s’ouvre) si l’acceptation de la féminité
implique un traumatisme psychique de la partie mentale. Dans la
mythologie indienne, l’âme, au moment de la mort, sort par la fonta-
nelle. Le passage à l’adolescence, comme tout grand changement dans
la vie, est une sorte de mort et de résurrection.

2. Arnold van Gennep, Les rites de passage, Paris, Picard, 1981.


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L’enfant qui habite chez l’adulte 3 est source essentielle de commu-


nication dans tout être humain : le transfert commence avec la vie,
comme signalé précédemment. Dans les psychopathies (passage à
l’acte, comportement asocial) et dans le cas de la psychose, la capacité
de re-créer, de « jouer », se paralyse, se déshumanise et se réifie.
Psychanalyser est une manière de recréer avec l’autre des contenus
inconscients refoulés ou niés. La psychanalyse n’est pas une confession
ou une narration.
En effet, ce qui m’intéresse en tant qu’analyste, c’est ce que le
patient ne peut pas me raconter. C’est-à-dire son inconscient refoulé, ce
qu’il ne connaît pas de lui-même, qui va apparaître d’une certaine
manière selon les associations libres, les rêves, le langage du corps et le
climat du transfert.
Il y a quelques années, le Dr Léon Grinberg m’avait demandé
d’écrire un article sur la théorie et technique psychanalytique de la psy-
chose 4. Dans cette opportunité, je parlais du contact humain, de la
transmission et de la dramatisation du contenu inconscient dans le trans-
fert. Le système de médiation pour rechercher et formuler ce que l’on
découvre (patient et analyste), je l’appellerai : technique. Notre culture

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a dégradé son sens originaire en faisant de la technique un moyen méca-
nique et rationnel.
La biographie du mot « techne » en grec montre qu’originellement
il était synonyme d’art. La technologie analytique, tout à fait person-
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nelle, peut être conçue comme le logos de la techne qui essaie de mettre
à la lumière du jour (sur le champ analytique) ce qui était invisible ou
trop visible, aveuglant, pour être remarqué 5.
L’écoute analytique doit être comprise en termes d’une expérience
intentionnellement dialoguante avec « tous les sens » ; on écoute avec
tous les sens, les yeux, la peau, le nez, avec toute la sensorialité réveillée
ou vivante. La rencontre psychanalytique est une relation corps à corps,
une rencontre sensorielle et émotive.
Dans le monde de la psychose – qui est mon domaine –, il s’agit
d’évoquer et recréer un « logos » originaire, fondamental et « univer-
sel » à la fois. Un logos qui s’exprime à travers le corps, le silence, la
parole et la « climatique » (Stimmung) du transfert. Le traitement psy-
chanalytique de la psychose implique une confrontation profonde et
directe avec le langage de l’inconscient : ses règles et ses lois, sa
logique.

3. Conférence présentée à l’Institut psychanalytique de Milan, 1969.


4. Léon Grinberg, Praticas psicoanaliticas comparadas en las psicosis, Buenos Aires, Editorial
Paidos, 1977.
5. Salomon Resnik, La visibilité de l’inconscient, à paraître chez Dunod, 2006.
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Un cas singulier, les ombres du passé

Je vais donner un exemple. Samuel est un patient schizophrène que


je suis depuis six ans. Il était mutique, délirant et halluciné quand je l’ai
rencontré pour la première fois. J’ai appris, par la suite, qu’il était
entouré par une ronde de soldats carolingiens qui le protégeaient mais
qui l’empêchaient aussi de communiquer.
Plus tard, il commença à parler en disant que c’était très dur de sor-
tir de sa prison, ou de son cercueil (il s’identifie à un soldat carolingien
mort). Sortir de son refuge autistique, le cercle de soldats (plats), était
une chance mais un danger également, il craignait de trop souffrir.
J’avais l’impression que le soldat Samuel (le mort-vivant) était
encerclé, configurant un territoire autistique dominé par une idéologie
et une pensée circulaires.
Quand E. Bleuler décrit la pensée autistique, je crois la comprendre
comme une pensée en cercle qui revient de manière itérative sur elle-
même (stéréotypie mentale). À un moment donné, au début de son ana-
lyse, alors que Samuel commençait à parler et à sentir, donc à souffrir,
il me demanda que dans le cas où je ne pourrais pas l’aider à vivre, j’ac-

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cepte de l’euthanasier.
Je vois toujours Samuel et, à l’occasion de cet article, j’ai décidé de
transcrire une séance que j’ai eu, dernièrement, avec lui.
Je suis sorti quelques minutes avant le début de la séance et en pas-
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sant devant le café du coin, je vois Samuel, assis, avec une tasse de café
comme d’habitude (depuis quelques années, il paraît commencer la
séance dans le café, halluciné, en parlant avec moi). Je crois avoir com-
pris que le territoire du transfert s’étend et se prolonge dans le quartier,
où certains lieux (tel le café) deviennent des lieux privilégiés.
Ce jour-là, je m’approche de lui en lui demandant : « Tu as com-
mencé déjà ? » ; et il répond : « J’attends la séance, je n’hallucine pas,
je parlais avec mon ombre. » Il se met debout, avec un sourire amical,
et tous les deux nous marchons vers notre espace analytique formel.
Une fois passé le seuil de la porte verte de mon immeuble, il continue à
parler des ombres et des hommes noirs… Dans le cabinet même, on
décide de faire un dessin de notre itinéraire. Il est assez habile pour des-
siner, c’est donc lui qui se saisit du crayon. Il prend une feuille de papier
et commence à faire son schéma. Ainsi, il dessine l’angle du café situé
entre la rue Bonaparte et la rue Jacob. Et il dit : « Tout corps a son
ombre.
– Est-ce que j’ai aussi une ombre ? », lui demandai-je.
Il répond : « Il y a mon ombre et la vôtre. » Et dans le dessin, il y a
une juxtaposition de nos deux ombres qui configurent un triangle
s’étendant du café à la porte de l’immeuble. Il se produit, ainsi, une
rétraction, une réduction de l’espace de transfert (shrinking process) sur
la page du dessin.
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J’ai trouvé que chez les psychotiques l’espace de transfert dépasse


souvent celui du cabinet. Quelquefois, il y a un rétrécissement de l’es-
pace de transfert qui peut être contenu, alors, dans un angle du cabinet,
dans un objet ou sur une feuille de papier, comme c’est le cas ici.
Dans le cas de Samuel, il s’est produit une sorte d’expansion de
l’espace de transfert qui inclut le café du coin et d’autres endroits
autour. Et puis, un rétrécissement dans l’espace du cabinet et enfin dans
les dessins. Il commence, donc, à faire un dessin en croix (l’axe rue
Bonaparte et rue Jacob) et prend un crayon bleu avant d’ajouter : « Mon
ombre est bleue et votre ombre est rouge. » Déjà dans le cabinet, il avait
dit tristement : « Il y a aussi les ombres du passé. » Sa mère était restée
deux ans alitée dans un état mélancolique provoqué par le départ du père
à la naissance de Samuel. J’ai parlé avec le thérapeute qui a suivi sa
mère, parallèlement aux premières périodes de l’analyse de Samuel, qui
m’a dit : « La mère était morte durant deux ans et son fils était son
ombre vivante. »
En effet, Samuel parle dans cette séance d’un corps mort avec une
jupe (le corps de la mère) et d’une ombre bleue vivante.
« Il est temps d’assumer ton propre corps qui est plus vivant et n’est

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pas resté une ombre », lui dis-je.
Lui-même est resté, durant des années, une sorte de mort-vivant,
une espèce de Nosferatu. Comme je reste distrait en pensant au Nosfe-
ratu, il me demande « À quoi vous pensez, docteur ?
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– Est- ce que tu as vu le vieux film Nosferatu ?


– Oui, répond-il, j’avais une copie à la maison, je me souviens de
lui avec son ombre gigantesque. »
Avant le traitement, Samuel restait isolé dans sa maison, regardait
des films sur sa télé et avait une collection de cassettes vidéo. C’est avec
moi qu’il commença à sortir de son bunker et à venir à la séance.
Je remarque une souffrance sur son visage et, après une pause, il
dit : « Je me suis réveillé, je ne suis pas un soldat carolingien : je suis
un homme médiocre. »
J’étais très ému et je lui répondis : « Ton monde délirant et tes hal-
lucinations se dégonflent, et tu découvres tristement que tu es comme
les autres. »
Après un moment, il réagit et dit : « Mais je suis content aussi, j’ar-
rive maintenant à étudier et suivre mes cours au Louvre sur l’art et la
photographie. L’œil est comme une caméra photographique avec son
angle de vision. »
Je lui signale que la juxtaposition de nos ombres vivantes était deux
angles, deux points de vue qui travaillent ensemble. Il reconnaît en effet
que dans ses études il a appris que, pendant la Renaissance, Bruneleschi
avait parlé de la pyramide visuelle. À la fin de la séance, je lui signale
la différence de sa pensée géométrique entre le cercle autistique du
début (lui protégé par une barrière circulaire) et à présent un aperçu tri-
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angulaire de la vie, de l’existence, dans lequel son œil découvre des


angles nouveaux…
Trouver un état de médiation, par hasard, dans la rue (du café au
cabinet), était une sorte de rituel qui précédait la séance formelle, et
c’était en arrivant à la porte verte que le seuil entre le dehors et le dedans
se délimitait. Telle situation s’associe à une autre séance précédente
durant laquelle, arrivé avant moi, il m’attendait dans l’encoignure de la
porte en fumant une cigarette. Il était comme endormi à l’intérieur du
nuage de fumée. Quand j’arrive, il se réveille, étonné, et dit : « C’est
vous ? Je me réveille, je trouve intéressant d’explorer le quartier à tra-
vers ma fumée. »
Je voulais ainsi donner une image de mon approche de la psychose,
chaque fois différente selon le cas et selon mon état d’esprit : c’est ça,
mon style.
Samuel et moi continuons notre aventure de transfert avec un
énorme intérêt. On a la chance d’être passionnés par notre travail et de
découvrir des choses intéressantes. L’expérience psychanalytique
devient de cette manière une aventure, une découverte. C’est le senti-
ment que je peux traduire comme psychanalyste des enfants autistes et

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des adultes psychotiques depuis plus de cinquante ans de formation per-
manente dans différentes cultures analytiques (Buenos Aires, Londres,
Paris, Venise).
Le patient psychotique vit son délire hallucinatoire dans un stade
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onirique, les yeux ouverts. C’est à un instant précis du processus psy-


chanalytique que la différence entre hallucination onirique à l’intérieur
du rêve et le niveau imaginaire de l’existence se fait.
Freud dans le Livre des rêves dit : « Le rêve est une psychose très
brève. » Évidemment, le rêve et le délire ont une source commune mais
ce n’est pas la même chose.
Dans mon style de travail, je suis toujours la triade « associations
libres-transfert-interprétation des rêves ». Le délire, je le répète, est un
rêve aux yeux ouverts ; les hallucinations oniriques dépassent les
limites du corps pour devenir des hallucinations pathologiques.
Pour Bion, les hallucinations ont un caractère « évacuatif » à travers
les sens. Samuel m’a même dit un jour : « Mes hallucinations visuelles
étaient autrefois des pensées.
– Des pensées intolérables ?
– Certainement », répondit-il.

Discussion

Il y a fréquemment des trains de pensées (trains of thoughts) qui


débutent à partir de plus d’un centre, bien qu’ils aient plusieurs points
de contact. Chaque « train de pensée » est presque invariablement
accompagné de sa contrepartie contradictoire : association antithétique.
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Freud va développer cette notion dans son célèbre article « La signifi-


cation antithétique des mots primitifs 6 ».
Freud s’inspire du livre de Kurt Abel, Uber den Gegensinn der
Urworte (1884), à l’automne 1909, alors qu’il écrivait sur le sens anti-
thétique des mots primitifs. Il mentionna Abel dans une note qu’il ajouta
en 1911 dans L’interprétation des rêves (1900a) dans le chapitre VI sur
la représentation, « Die Traumarbeit ». Freud écrit : « Les plus anciens
langages se comportent exactement comme les rêves sur ce point 7. » En
ce sens, un simple mot peut parfois prendre deux sens presque distincts
et pourtant contradictoires. Abel démontre cette particularité non seule-
ment à partir de sources de l’ancienne Égypte mais aussi à partir de lan-
gages sémitiques et indo-germaniques.
Dans son article sur les significations antithétiques, Freud parle de
la manière dont les rêves traitent les catégories de contraires et d’élé-
ments contradictoires. Les rêves, écrit-il, négligent le sens de « non »,
cette notion semble ne pas exister. Les rêves montrent une préférence
particulière pour combiner les contraires en une seule unité ou pour les
représenter en une seule et même chose.
Dans l’oniromancie, « l’interprète des rêves » de l’Antiquité clas-

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sique fait un usage extensif de la notion que chaque élément d’un rêve
peut aussi signifier son opposé. Ignacio Matte Blanco développe d’une
manière personnelle les idées de Freud sur la logique de l’inconscient
dans son livre The Unconscious as Infinite Sets 8.
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C’est à partir des auteurs mentionnés que je développe ma


recherche sur la logique de la pensée délirante au niveau inconscient,
qui dépasse le cadre de cet article. La notion d’équivalence symbolique
chez Hanna Segal 9 constitue une contribution importante à ce sujet.
Moi-même, je concentre mes recherches sur la pensée et le langage du
schizophrène à travers un phénomène de symétrie de la pensée ( suggé-
rée déjà par Matte Blanco), à partir de ma notion d’équivalence proto-
symbolique que je développe dans mes nouveaux travaux.
Dans un séminaire tenu à Londres sur la psychose à la fin de l’an-
née dernière, quelqu’un avait parlé d’un patient psychotique qui disait :
« Mes idées se sont liquéfiées et elles sortent de mon nez comme du
mucus. » À propos des équivalences proto-symboliques en anglais, « the
leaking nose » était associé avec « the linking nose », qui établit un lien
entre la tête (thinking) et la bouche (talking). Entre leaking et linking, il
y a une équivalence phonétique symétrique et proto-symbolique qui fait
partie de la logique de l’inconscient chez les psychotiques. Pour ce
patient, les pensées liquéfiées qui ne pouvaient être tolérées dans son

6. Freud, The Antithetical Meaning of Primal Words, 1910, vol. XI, p. 153, S.E., The Hogarth
Press, London, 1958.
7. Voir The Dream-Work, p. 318, vol. IV, Standard Edition, London, The Hogarth Press, 1958.
8. Ignacio Matte Blanco, The Unconscious as Infinite Sets, London, Duckworth, 1975.
9. Hanna Segal, The Work of Hanna Segal, New York, London, Jason Aronson, 1981.
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esprit étaient évacuées par le nez sous forme de sentiments liquides (the
liquefied thoughts, that could not be tolerated in the mind, were eva-
cuated through the nose as liquefied feelings). J’imagine qu’ici il s’agis-
sait de pensées tristes, les « leaking thoughts » qui pouvaient se
transformer en larmes (tears).

Conclusion

J’essaie dans cette contribution de transmettre ce qui constitue mon


style de travail, certains de mes vécus de contre-transfert et mon expé-
rience de transfert avec des patients psychotiques. Le fait que je me sois
aussi occupé du monde du rêve et que j’aie écrit un livre à ce sujet est
lié au fait que j’ai redécouvert une nouvelle dimension de mon incons-
cient pendant ma psychanalyse à Londres avec Herbert Rosenfeld, lui-
même particulièrement doué dans l’interprétation des rêves. Cela m’a
permis d’approcher, de manière plus spécifique, le discours inconscient
de mes patients, la logique de leurs délires et la signification de leur
monde.

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Évidemment, la connaissance de la psychose m’a enrichi même
pour la compréhension du patient névrotique. La différence est une
question de degrés.
Psychanalyser est toujours une aventure pour moi : un discours
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d’inconscient à inconscient. La relation patient-analyste est un travail de


champ (fieldwork) où la corporéité de l’un et de l’autre, le climat créé
(climatique ou Stimmung) font partie d’un discours inconscient, d’une
manière d’être et de paraître, d’un style ou d’une identité qui se joue
dans le transfert.
J’ai essayé d’illustrer ma manière d’être et de paraître dans l’analyse,
mon stilus, à travers des cas cliniques qui correspondent à mon contact
avec les patients psychotiques. J’essaie de montrer ma manière de décou-
vrir certaines règles et certains codes dans la logique du délire et de la
confronter avec la logique de la conscience et du principe de réalité.

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