Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
on a oublié ce quʼest un
entrepreneur»
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Ancien salarié
de start-up, lʼessayiste Antoine Gouritin partage son
expérience et porte un regard très critique sur le
milieu du «startupisme». Tout en reconnaissant les
succès mérités de certaines start-ups, il juge que
des «mythes» sont entretenus autour dʼelles.
PAUL SUGY le 23/08/2019 à 18327
«Les griefs envers les start up se font entendre avec force aux Etats-Unis», explique Antoine Gouritin.
BRENDAN SMIALOWSKI/AFP
Autre souci: cette mode rend invisible des projets bénéfiques mais qui ne
rentrent pas dans ses cases. Lʼobjectif de ma critique est donc de faire
un état des lieux pour prendre un peu de recul et réfléchir aux
implications de ce qui peut apparaître comme un «folklore fun» à base
dʼanglicismes, mais qui a un impact sur nos sociétés de façon beaucoup
plus profonde.
Cʼest dʼautant plus important que le monde des start-ups tolère très peu
la critique. Cʼest devenu un rite de passage positif: si une entreprise est
attaquée, même de manière tout à fait constructive et argumentée, celle-
ci en fait un élément de langage marketing. Cʼest quʼelle dérange et donc
que la voie empruntée est la bonne!, assure-t-on. Les opposants ne sont
que des personnes toxiques et jalouses quʼil convient dʼignorer! Pourtant,
évoluer dans le milieu tech ne devrait pas être un totem dʼimmunité.
Le terme est resté parce quʼil a fait partie des marqueurs de la campagne
et du début de quinquennat dʼEmmanuel Macron. Cʼest lʼidée qui veut
que chaque citoyen de cette nation utopique doit pouvoir créer
facilement sa startup. La start-up nation «originelle» est Israël. Le
parcours de lʼÉtat hébreu en la matière est assez fascinant. Comment un
pays aussi jeune, petit et instable peut-il caracoler dans les premières
places des classements consacrés à lʼinnovation? Comme je lʼexplique
dans le livre, on retrouve de nombreux parallèles entre lʼhistoire de la
start-up nation israélienne et le développement récent de la French Tech.
Pourtant, nous restons bien loin du modèle. En France, ce soutien aux
startups est surtout évoqué pour se montrer à la mode et ouvert à des
investisseurs internationaux qui ont toujours plus de liquidités et
cherchent à éviter lʼinstabilité étasunienne et britannique. Mais derrière
lʼobjectif dʼavoir beaucoup de start-ups dopées aux levées de fonds, on
ne se pose pas la question de la finalité de la multiplication de ces
entreprises.
Le «startupisme» vous répondrait quʼil ne faut pas que les politiques sʼen
mêlent parce que lʼéconomie sʼautorégule. La Business Roundtable
américaine (association des patrons des plus grandes entreprises
américaines) dit vouloir mettre fin au court-termisme engendré par les
théories de Milton Friedman selon lesquelles la seule responsabilité des
entreprises est envers ses actionnaires. Sans les actes derrière cela reste
du marketing qui sʼinspire largement du storytelling du «startupisme».
Oui sans aucun doute. Je ne pense pas que la solution soit, comme le
proposait un ancien enseignant britannique [Martin Parker lʼauteur de
«Shut Down the Business School: Whatʼs wrong with Management
Education», ndlr.] , de «démolir toutes les écoles de commerce», mais
son constat est juste. Lʼéconomie y est professée comme une science du
marché irréfutable alors que cʼest une idéologie, très éloignée de
«lʼéconomie au service des humains».
La plupart des start-ups françaises qui sont des succès financiers sont le
fruit de ce formatage. Comme chez les «gourous», on cherche à faire
«des coups» avec «de lʼaudace». Cela dépasse largement les écoles de
commerce. On mʼa raconté récemment comment des étudiants dʼune
faculté de sciences économiques proposaient des projets de plateformes
de mises en relation avec des auto-entrepreneurs pour des services de
niche en expliquant quʼils feraient coder leur application en Inde et
utiliseraient les techniques de «piratage de croissance» des start-ups à
moindre coût. Le problème dépasse donc largement les écoles de
commerce.