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Avant de consulter le répertoire d’adjectifs, de verbes et d’adverbes pouvant ou devant se construire avec une
préposition, il serait bon d’examiner de près la préposition en tant que telle. Si l’utilisateur cerne bien la nature
de cet élément du discours, il devrait arriver à en faire bon usage.
1. Définition
Examinons la phrase suivante :
Pendant les vacances, les amis de Lise lui ont organisé, sans difficulté et avec la complicité de ses parents,
une surprise-partie formidable pour souligner son vingtième anniversaire.
Intuitivement, le lecteur se rend compte que les mots en gras (des prépositions) sont des outils dont dispose la
langue française pour conférer un sens à l’énoncé. Ils permettent d’établir une relation entre deux mots.
Voici une définition, plus savante, de la préposition prise au sens large : mot ou groupe de mots, invariable, qui
relie et subordonne, par tel ou tel rapport, l’élément qu’il introduit, appelé régime (R), à un autre élément de
la phrase, qui le commande, appelé complémenté (C).
C => P => R
Pour bien comprendre la nature de la préposition et mieux saisir les facteurs qui gouvernent son utilisation,
nous allons examiner plus à fond certains éléments de cette définition. Les questions auxquelles il faudrait
répondre pour mener à bien cet examen de la préposition sont les suivantes :
Quels sont donc ces mots ou groupes de mots qu’utilise la langue française
pour établir une relation entre les deux éléments C et R?
Quels sont les rapports que permettent d’exprimer ces mots ou groupes de
mots?
Quels genres de mots peuvent avoir pour complément un syntagme
prépositionnel, autrement dit quels genres de mots peuvent jouer le rôle de
complémenté?
Quels genres de mots peuvent introduire une préposition, autrement dit quels
genres de mots peuvent jouer le rôle de régime?
D’où nous viennent les prépositions?
Ont-elles évolué avec le temps et évoluent-elles encore aujourd’hui?
Est-ce que le schéma C => P => R est canonique; autrement dit, dans la
phrase, les éléments C, P et R doivent-ils toujours être dans cet ordre?
Quels sont les éléments qui orientent le locuteur dans son choix d’une
préposition, le complémenté ou le régime?
2. Principales prépositions
La préposition est définie, nous venons de le voir, comme « un mot ou un groupe de mots […] ».
Si l’outil en question est un seul mot, on parle de préposition simple; si c’est un groupe de mots qui a
fonction et valeur de préposition, on parle alors, selon les sources consultées, de préposition complexe ou de
locution prépositive.
Vouloir dresser la liste complète des prépositions et des locutions prépositives est une tâche irréaliste. Voici
plutôt quelques prépositions, simples et complexes, choisies parmi les plus courantes.
Prépositions simples
À
Après
Avant
Avec
Chez
Contre
Dans
De
Derrière
Devant
En
Entre
Excepté
Malgré
Moyennant
Outre
Par
Parmi
Passé
Pendant
Pour
Sans
Sauf
Selon
Sous
Suivant
Sur
Vers
Vu
Étant donné que les prépositions, simples ou complexes, sont très variées, les rapports qu’elles peuvent
exprimer doivent donc, eux aussi, être fort variés. Vouloir en dresser une liste complète serait, là encore,
irréaliste. Contentons-nous d’énumérer les rapports les plus couramment exprimés :
RAPPORTS EXEMPLES
agent Stockwell Day a été défait par Jean Chrétien
appartenance ce chien est à moi
attribution je l’ai donné à Pierre
but il faut étudier pour réussir
caractérisation un homme de cœur
cause ingénieux par besoin
conformité c’est ce qui est arrivé d’après ce témoin
destination aller à Québec
détermination le livre de Pierre
exception avoir tout perdu, sauf l’honneur
lieu habiter dans une chaumière
manière agir avec précaution
matière une table en marbre
moyen pêcher à la ligne
opposition se battre contre des moulins à vent
ordre cet extrait se trouve après le tableau X
origine il vient de Montréal
temps il régnait depuis deux ans
Il est, en français, de ces prépositions qui jouent des rôles multiples. Examinons plus attentivement le cas de la
préposition de. Dans les exemples qui suivent, cette préposition exprime différents rapports – et la liste n’est
pas nécessairement exhaustive.
EXEMPLES RAPPORTS
venir de Montréal origine
punir qqn de son crime origine figurée, ou cause
avancer de trois pas mesure
citer de mémoire manière
être aimé de ses enfants agent
famille de son ami appartenance
gentillesse de Frédéric détermination
pâté de foie matière
robe de bal genre, espèce
verre de vin contenu
membres de l’assemblée contenant
large du bassin limitation
protéger de la main moyen
Quand une préposition sert à exprimer plusieurs rapports, elle est dite polysémique. Toutes les prépositions ne
sont pas polysémiques, mais en énumérer qui ne le seraient pas s’avérerait plus ardu qu’on serait porté à le
croire3. La tendance à la monosémie se rencontre plus facilement dans le cas des prépositions complexes.
Cette polysémie impose à l’utilisateur de bien connaître les différents rapports que peut exprimer une
préposition donnée s’il veut en faire bon usage. Et cela, c’est sans compter les nombreux cas où les mêmes
prépositions doivent être utilisées sans que leurs sens soient analysables, c’est-à-dire en tant que prépositions
vides4. Dans ce dernier cas, c’est l’aspect syntaxique, et non l’aspect sémantique, qui prime.
Le temps, par exemple, peut s’exprimer par : avant, après, dès, depuis,
jusqu’à, en attendant, pendant, durant, etc.
La cause peut, elle aussi, s’exprimer par diverses prépositions : à cause de,
en raison de, vu, attendu, étant donné, etc.
Le but s’exprime par : en vue de, dans l’intention de, dans le but de,
pour, afin de, etc.
Cette pluralité ne signifie pas pour autant que ces diverses prépositions soient interchangeables. Il est bien
évident que avant et après ne le sont pas, mais qu’en est-il, par exemple, de pour et afin de? Selon
Girodet5 :
[…] si pour (que) peut toujours s’employer à la place de afin (de, que), l’inverse n’est pas vrai. Afin (de, que)
implique l’idée d’un but expressément conçu comme tel dans l’esprit de celui qui accomplit l’action. On évitera
donc afin (de, que) quand il n’y a pas de but formellement visé mais seulement un résultat ou quand le sujet de
l’action n’est pas une personne ou un être vivant assimilé à une personne. On doit donc dire : Il faut cent
hectares pour faire un kilomètre carré (et non afin de faire…). Certains mollusques sont pourvus d’une coquille
d’aspect semblable à celui du fond sur lequel ils vivent, pour échapper à leurs ennemis (et non afin
d’échapper…).
Qu’en est-il du couple pendant / durant? Étymologiquement, pendant et durant n’ont pas le même sens;
durant est réservé à l’expression de la durée entière. C’est ainsi que l’on dit il est resté debout durant le
discours, mais il est sorti pendant le discours. Cette distinction, quoique fort utile, est, d’après Hanse6,
généralement abandonnée. Selon Girodet7, ces deux prépositions sont à peu près synonymes.
Faire un bon usage des prépositions suppose donc chez le locuteur ou le rédacteur une connaissance des
particularités de sens ou des changements de sens dont peuvent être l’objet les prépositions.
4. Nature du régime
Nous savons que la préposition sert à établir un rapport entre deux éléments de la phrase, à matérialiser le
sens qui relie ces deux mots. Dans un premier temps, examinons l’élément qu’elle introduit, que l’on appelle
régime.
La question est de savoir quels genres de mots peuvent jouer le rôle de régime dans l’ensemble prépositionnel :
C => P => R
La réponse est fort simple : tous les genres de mots. Cela ne signifie toutefois pas que tous les mots d’une
catégorie peuvent jouer ce rôle.
CATÉGORIES EXEMPLES
nom moulin à farine
pronom son style à lui
adjectif (numéral) mesure à deux temps
verbe (infinitif) pantalon à nettoyer
verbe (gérondif) réussir en travaillant
adverbe partir pour toujours8
proposition fidèle à ce qu’il a toujours prêché
préposition sortir de chez soi
5. Nature du complémenté
Le second élément qui participe au rapport établi par la préposition, c’est le complémenté. Et la même
question se pose : quels mots peuvent commander l’emploi d’une préposition ou avoir pour complément un
syntagme prépositionnel?
C => P => R
C => PR
La réponse est, ici encore, fort simple : toutes les catégories de mots de la phrase, sauf les mots outils. En voici
quelques exemples avec les prépositions à et de.
Si je dis Pierre est enclin, il faut préciser à quoi il est enclin. Le complément de l’adjectif est ici obligatoire. Si je
dis Pierre est content, nous sommes en droit de nous demander de quoi Pierre est content. La question se pose
parce que l’énoncé est hors contexte. En contexte, le complément peut ne pas être nécessaire, le sens
l’emportant alors sur l’exigence grammaticale.
Le complément de l’adjectif, obligatoire ou facultatif, est introduit, dans la plupart des cas, par à ou de. Ce ne
sont toutefois pas les seules prépositions possibles. En voici quelques autres :
EXEMPLES DE COMPLÉMENTS
PRÉPOSITIONS
DE L’ADJECTIF
à apte aux affaires
auprès de empressé auprès de son maître
avec froid avec ses amis
dans habile dans son art
de digne de vous
en pauvre en blé
envers ingrat envers son bienfaiteur
par sévère par devoir
pour bon pour les malheureux
sur tranquille sur son sort
5.1.2 Adverbe
L’adverbe peut aussi avoir besoin d’un complément. Si tel est le cas, c’est qu’il est sémantiquement incomplet.
Il faut que l’énoncé cela s’est produit antérieurement soit en contexte pour prendre tout son sens.
Antérieurement exige normalement un complément qui indique le point de référence nécessaire à sa
compréhension : antérieurement à quoi? L’adverbe facilement, par contre, ne demande pas de préposition,
parce que son sens est complet. Il signifie « avec facilité ».
5.1.3 Nom
Même si le verbe et son substantif peuvent commander la même préposition – ne dit-on pas recourir à la force
et le recours à la force ou encore obéir à ses chefs et l’obéissance à ses chefs –, tel n’est pas toujours le cas.
1. On compare deux choses entre elles, une chose à une autre ou avec une autre.
Le substantif correspondant comparaison, lui, commande généralement les
prépositions avec ou entre. La préposition à ne se rencontre que dans la
locution par comparaison à.
2. On conforme ses propos à la situation ou on se conforme au goût du jour, mais
on dit : la conformité entre deux choses, la conformité d’une chose avec une
autre. La conformité à qqch., au sens de : « fait d’être conforme à; », est
considérée comme vieillie par le Nouveau Petit Robert.
5.1.4 Verbe
Dans le cas du verbe, le besoin d’un complément est un peu plus complexe, car il existe trois types de verbes :
les verbes intransitifs, transitifs et pronominaux.
Ces verbes n’appellent pas obligatoirement de complément, mais l’idée qu’ils expriment peut très bien
s’accommoder d’une précision : il dort dans le fauteuil, sur sa chaise; il pleut depuis hier, sans arrêt; la neige
tombe en gros flocons.
1. le verbe transitif direct, dont le complément dit d’objet direct, ou c.o.d., n’a pas
besoin de préposition (je donne ø un livre);
2. le verbe transitif indirect, dont le complément dit d’objet indirect, ou c.o.i., exige
une préposition10 (on parle de tout).
Il existe un autre type de complément, dit circonstanciel, ou c.c. Ce dernier précise l’idée du verbe en marquant
la connexion de l’action avec un repère quelconque (temps, lieu, etc.) situé autour de cette action, sans que
pour autant sa présence soit essentielle. Ces repères sont extrêmement variés : cause, temps, lieu, manière,
but, moyen, destination, distance, poids, matière, etc. Le complément circonstanciel est, la plupart du temps,
introduit par une préposition, mais il arrive aussi qu’aucune préposition ne le rattache au verbe. C’est le cas
pour un grand nombre de compléments de temps, de prix, de poids, de contenance, de manière. En voici
quelques exemples : aller nu-tête (manière); coûter cent dollars (prix); peser trois kilogrammes (poids);
revenir toutes les fins de semaine (temps).
Dans le cas des verbes utilisés au passif11, on note la présence d’un autre type de complément, le complément
d’agent, qui désigne l’être ou l’objet par lequel l’action est accomplie, l’être ou l’objet qui agit. Exemples : le
camion a été renversé par le vent; il est détesté par tous ses collègues; la place est encombrée de curieux. Le
complément d’agent est généralement introduit par la préposition par, mais il arrive que de soit aussi utilisée.
Selon Grevisse, l’usage n’a établi aucune règle précise à ce sujet.
Selon l’analysabilité du pronom des verbes pronominaux, on distingue généralement deux grands groupes,
chacun se subdivisant en deux sous-groupes.
Dans le répertoire qui suit, le lecteur trouvera, comme son titre l’indique, des verbes pouvant se construire
avec une préposition :
verbe intransitif :
verbe pronominal :
[…] Je vous prie de me dire, un peu, pour voir, les diverses manières dont on
peut les mettre.
On peut les mettre, premièrement, comme vous avez dit : Belle marquise, vos
beaux yeux me font mourir d’amour; ou bien : D’amour mourir me font, belle
marquise, vos beaux yeux; ou bien : Vos beaux yeux d’amour me font, belle
marquise, mourir; ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle marquise, d’amour
me font; ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle marquise, d’amour.
Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure?
Celle que vous avez dite : Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir
d’amour.
Cependant je n’ai point étudié, et j’ai fait cela tout du premier coup…
La question que se pose M. Jourdain n’est pas aussi simpliste qu’elle le semble. Il y a vraiment lieu de se
demander si, en français, les trois éléments de l’ensemble prépositionnel ne peuvent être utilisés que dans
l’ordre indiqué dans le titre de cette section. Prenons comme exemple : Je travaille avec un ami. Les quatre
séquences possibles sont les suivantes :
1. Je travaille avec un ami. (C – P – R)
2. Avec un ami je travaille. (P – R – C)
3. Un ami je travaille avec. (R – C – P)
4. Un ami avec je travaille. (R – P – C)
On pourrait, tout comme le maître de philosophie, répondre que la première formulation est la meilleure. Est-ce
à dire que les autres sont à condamner parce que grammaticalement incorrectes? Examinons donc chacun des
cas.
6.1 C – P – R
L’ordre des éléments C – P – R est certainement le plus courant dans une phrase normale.
C => P => R
Aboutir à une impasse
Fidèle en amour
Le chien de Paul
Contrairement à ce que tu dis
Cela ne signifie pas pour autant que ces trois éléments, comme dans les exemples qui viennent d’être donnés,
doivent toujours se succéder. Il peut arriver que des mots viennent s’interposer entre C et P ou entre P et R.
6.2 P – R – C
L’ordre des éléments P – R – C est correct, mais moins fréquent que C – P – R. On le rencontre surtout dans
deux cas précis : les propositions interrogatives et les propositions relatives.
Dans le premier cas, R est soit un pronom interrogatif, soit un adjectif interrogatif accompagné d’un nom.
Dans le second cas, celui des propositions relatives, cet ordre s’observe quelle que soit la nature du verbe :
Cet ordre peut également s’observer dans des propositions qui ne sont ni interrogatives ni relatives. Mais c’est
plus souvent sous la plume de grands auteurs qui veulent produire un effet de style. En voici deux exemples
tirés de l’œuvre de Victor Hugo :
R => C => P
Whom do you want to talk to?
Where are you from?
It depends on what you are used to.
6.4 R – P – C
Étant donné le caractère linéaire de l’énonciation en français, il est tout à fait improbable de rencontrer les trois
éléments dans cet ordre.
Le latin recourait à des prépositions pour exprimer certains rapports; la langue française en fait autant.
LATIN FRANÇAIS
Dicere apud centumviros. Plaider devant les centumvirs.
Remus a Romulo interfectus est. Rémus fut tué par Romulus.
Eo ad patrem. Je vais chez mon père.
Exire cum aliquo. Sortir en compagnie de quelqu’un.
Le latin faisait également usage des cas pour indiquer la fonction d’un mot dans la phrase. Prenons comme
exemple do vestem pauperi. La désinence -em dans vestem est celle d’un accusatif, ou complément d’objet
direct; la désinence -i dans pauperi, celle du datif, ou complément d’objet indirect (d’attribution). Cette phrase
veut donc dire : « Je donne un vêtement (c.o.d.) au pauvre (c.o.i.). »
Le français, à ses débuts, en faisait autant. Ces cas étaient initialement au nombre de cinq : nominatif (sujet),
génitif (complément du nom), datif (complément d’objet indirect, d’attribution), ablatif (complément d’objet
indirect, d’origine ou d’agent) et accusatif (complément d’objet direct). Au Moyen Âge, il n’en restait plus que
deux : le cas sujet et le cas régime; au XIVe siècle, qu’un.
Il fallait donc, pour indiquer la fonction des mots dans la phrase, recourir à un autre moyen. Ce furent les
prépositions qui prirent la relève13. La langue les a créées14 :
soit d’après des mots latins (exemples : avec [apud hoc], avant [ab ante],
après [ad pressum]);
soit par combinaison de mots français (exemples : préposition et nom – par-
mi; verbe et adverbe – voi-là; nom et adjectif – mal-gré);
soit par mutation de valeur d’un mot (exemples : sauf [ex-adjectif];
moyennant, attendu, excepté, vu [ex-participes]);
soit par combinaison de mots (exemples : préposition + nom – grâce à, faute
de; nom + deux prépositions – à cause de, de peur de, par suite de;
adverbe et préposition – loin de).
Ainsi s’explique la grande variété de prépositions dont il a été fait mention précédemment.
Le verbe marcher est un autre bel exemple. En ancien français, ce verbe signifiait « parcourir (une zone)16 ».
C’était donc un verbe transitif direct : on marchait sa terre. D’ailleurs cette tournure s’entend encore dans
certaines régions de la province, et certains la qualifient d’anglicisme alors qu’il s’agit plutôt d’un archaïsme. En
français moderne, ce verbe signifie « se mouvoir en mettant un pied devant l’autre ». Ce glissement de sens a
eu pour conséquence d’imposer l’utilisation d’une préposition, en l’occurrence sur, pour indiquer l’endroit où
l’action se produit, c’est-à-dire là où l’on met le pied.
Les changements dont il vient d’être question se sont produits à une époque révolue. Nous n’en avons pas été
témoins; il nous semble donc normal d’utiliser le verbe avec la préposition courante. Mais tel n’est pas toujours
le cas. Actuellement, des changements se font jour, qui en viendront peut-être à s’imposer, comme l’ont fait
ceux mentionnés précédemment. Examinons le cas des verbes se rappeler et pallier.
Faut-il se rappeler qqch. ou se rappeler de qqch.? Même si la construction se rappeler de est apparue à la fin
du XVIIIe siècle, par analogie avec se souvenir de, elle est toujours considérée comme incorrecte, pour ne pas
dire fautive. C’est du moins l’avis de divers spécialistes des difficultés de la langue française, notamment
Hanse, Girodet, Colin et Thomas. Il en est d’autres, par contre, qui se montrent plus ouverts à cette
construction17. Le Nouveau Petit Robert, pour sa part, se contente de dire que cette construction très répandue
est « considérée par les grammairiens comme incorrecte, sauf avec un pronom personnel complément
représentant un être humain : Tu te rappelles de moi. » Il est alors compréhensible que la personne qui peut se
rappeler de moi veuille bien également se rappeler de notre rencontre.
Passons au verbe pallier. Étymologiquement, ce verbe signifie « couvrir d’un manteau, d’un pallium ». On
couvre qqch.; c’est donc un verbe transitif direct. Avec le temps, son sens a évolué; il signifie aujourd’hui
« atténuer faute de remède véritable, résoudre d’une manière provisoire » : on pallie une faiblesse. Par
analogie avec parer à, remédier à, obvier à, la construction pallier à cherche à s’introduire dans la langue.
Cette forme est considérée fautive par Girodet; incorrecte et critiquée par le Nouveau Petit Robert; à éviter par
Hanse, et cela « malgré des exemples de bons écrivains18 ». Colin19, par contre, ne porte aucun jugement; il se
contente de préciser que son sens, proche de remédier à, parer à, entraîne souvent la construction indirecte,
par analogie avec ces verbes.
Si le dictionnaire prend soin de préciser un emploi même fautif, c’est que le phénomène décrié est
suffisamment courant pour mériter qu’on le mentionne. C’est là, peut-être, le début de la fin. Ces verbes
deviendront fort probablement des verbes transitifs indirects, avec le temps.
Ce cas n’est pas unique. Autrefois, ou encore aujourd’hui dans un style littéraire, on disait exhorter de
(+ verbe); en langue courante, on dit exhorter à (+ verbe / nom). Acheminer à est devenu acheminer vers;
concorder à est devenu concorder avec, etc. D’ailleurs, dans son ouvrage désormais classique, Deux langues,
six idiomes, Irène de Buisseret21 mentionne qu’au XVIIe siècle on trouvait à là où aujourd’hui il faut mettre une
autre préposition :
AUTREFOIS AUJOURD’HUI
Armande, prenez soin d’envoyer au notaire. (Molière) chez
Vivez heureuse au monde, et me laissez en paix. dans
Je me laissai guider à cet aimable guide. (Racine) par
Je ferai mon possible à bien venger mon père. (Corneille) pour
Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux. (Molière) sous
Oui, nous jurons […] De rétablir Joas au trône de ses pères. (Racine) sur
Ce changement de préposition ne se rencontre pas qu’avec les verbes. La préposition commandée par un
adjectif change, elle aussi, à l’occasion : autrefois, on disait contemporain à; aujourd’hui, on dit contemporain
de.
Un tel changement n’est pas qu’histoire ancienne. Prenons le cas de l’adjectif spécifique. Doit-on dire spécifique
de ou spécifique à? Pour Hanse22, la question ne se pose pas. Même si la directive n’est pas très claire, la
formulation laisse peu de place au doute : « Le remède spécifique d’une maladie (noter que propre se construit
avec à) ». Colin est moins strict. « On hésite souvent, écrit-il, entre les prépositions de et à; il semble que la
première soit préférable (comme pour caractéristique, typique) : Un médicament spécifique de la toux. La
préposition à provient sans doute de l’influence des adjectifs spécial et propre, qui se construisent ainsi23. » Le
problème pourrait être envisagé différemment : y aurait-il analogie avec l’adjectif particulier, qui commande
tantôt de, tantôt à, selon son rôle dans la phrase?
La préposition devant n’indique plus aujourd’hui qu’une relation de lieu; la relation de temps a maintenant
disparu, d’après le Nouveau Petit Robert. On ne dit plus La poule ne doit pas chanter devant le coq, mais bien
La poule ne doit pas chanter avant le coq.
C’est aussi le cas de durant. La distinction qu’il est permis d’établir entre Il est resté debout durant la
cérémonie et Il est sorti pendant la cérémonie semble vouloir disparaître. Aujourd’hui, pendant la cérémonie
peut vouloir dire aussi bien « pendant toute la cérémonie » que « à un moment donné de la cérémonie ».
La préposition depuis, par contre, qui marque le commencement dans le temps, en est venue, au XXe siècle, à
marquer le point de départ dans l’espace. Exemple : Depuis ma fenêtre, je l’observais. Cette extension au sens
spatial est devenue courante, selon Colin, bien qu’elle soit condamnée par les grammairiens. Elle permet de
lever l’ambiguïté occasionnelle de la préposition de : « Depuis le toboggan du pont de Saint-Cloud, l’accès à
l’autoroute de l’Ouest sera direct24. »
La préposition sur est un autre bel exemple. Elle a, pour ainsi dire, pris du galon. Cette dernière est beaucoup
plus fréquente dans la langue actuelle qu’elle ne l’était auparavant. Sur acquiert des valeurs nouvelles, des
valeurs non répertoriées dans les dictionnaires, ces témoins habituels de l’usage.
AUTREFOIS AUJOURD’HUI
conclure par qqch. conclure sur qqch.
informer qqn de qqch. informer qqn sur qqch.
tourner à droite tourner sur la droite
abandonner à cause de / en raison d’un bris de moteur abandonner sur bris de moteur
Ce phénomène, surtout marqué en France, commence à se manifester au Québec. Les animateurs de radio ne
nous invitent plus à écouter une émission à Radio-Canada, mais bien sur Radio-Canada. Les journaux
emboîtent eux aussi le pas, surtout quand les informations leur parviennent d’agences européennes : « En
1983, quand j’ai commencé à Errázuriz, 100 % du chiffre d’affaires étaient réalisés sur le Chili25 ».
Dans les exemples qui viennent d’être cités, les syntagmes prépositionnels ne sont pas figés. Mais il arrive que
certains le deviennent avec le temps. Ils forment alors des locutions.
Dans frapper qqn à coup sûr sur la tête, le syntagme à coup sûr est devenu une locution adverbiale, car il
signifie « infailliblement, sûrement ». Dans parler de vive voix, le syntagme de vive voix est devenu lui aussi
une locution adverbiale. Il signifie « oralement ». Même si au départ les éléments du syntagme prépositionnel
étaient libres, il y a eu, avec le temps, figement. Les éléments du syntagme ont perdu leur autonomie. Ils
forment bloc. À belles dents dans croquer à belles dents en est un autre exemple.
Les syntagmes prépositionnels figés à coup sûr et à belles dents ne se distinguent pas morphologiquement des
syntagmes non figés, comme avec autorité, avec qqn, avec l’intention de. Mais il n’en est pas toujours ainsi.
Dans certains cas, le figement se voit dans la forme même du syntagme – l’union entre ses éléments.
Considérons l’évolution du syntagme à plain pied. Il signifiait, en 1611, « au niveau du sol ». Il est devenu de
plain-pied et fait maintenant partie de la classe des locutions. Le figement s’est ici accompagné de l’apparition
du trait d’union entre les deux éléments du régime.
Il peut même arriver que l’assimilation soit si forte que tous les mots du syntagme prépositionnel soient reliés
entre eux par des traits d’union. Sur-le-champ en est un excellent exemple. L’évolution du syntagme qu’était
au départ sur le champ l’a fait passer dans le camp des locutions adverbiales.
Bref, le degré d’assimilation des éléments du syntagme prépositionnel est variable. Dans la plupart des cas, il
est nul. Quand il ne l’est pas, le figement peut ou non s’inscrire morphologiquement par un trait d’union entre
les éléments du régime et parfois même entre tous les éléments du syntagme prépositionnel.
Tous conviendront que, pour interpréter d’emblée un segment de phrase contenant une préposition, le
récepteur doit connaître le rapport qui normalement existe entre le complémenté et le régime en cause, c’est-
à-dire entre le mot qui appelle la préposition utilisée et le mot que cette dernière commande, et constater que
cette préposition exprime bel et bien ce rapport. L’usage correct des prépositions n’est-il pas un critère pour
juger qu’un texte est bien écrit? La meilleure preuve en est le blocage momentané qui se produit dans l’esprit
du récepteur quand il se trouve devant un emploi inhabituel, que notre lecteur a sans doute éprouvé en lisant
les exemples mentionnés dans l’avant-propos.
C’est donc par son caractère inhabituel que l’emploi de telle ou telle préposition sème le doute dans l’esprit du
lecteur. Mais une telle hésitation ne signifie pas nécessairement qu’il y a faute. Cet effet peut, dans certains
cas, être recherché; dans d’autres, non.
À la lecture de cette phrase, le lecteur hésite. Il se demande, un court instant, quel sens lui donner. Deux
interprétations sont possibles. Ou bien il prend la phrase au pied de la lettre ou bien il essaie d’en dégager le
message. Le rédacteur, lui, sait fort bien qu’en trouvant la préposition à immédiatement après le verbe le
lecteur prendra le message au pied de la lettre, qu’il comprendra que s’attacher à signifie « avoir de
l’attachement pour, éprouver un sentiment pour » le Québec. Mais tel n’est pas nécessairement le message
qu’il veut communiquer. En fait, l’association intime qui, à la première lecture, semble exister entre le verbe et
la préposition, donnant à ce verbe un sens particulier, n’est que pure illusion. Le message que le rédacteur veut
faire passer est le suivant : « Au Québec, tout le monde s’attache. » Le syntagme prépositionnel au Québec
n’est plus ici aussi intimement lié au verbe27. Quand on sait que ce slogan a été utilisé dans une campagne de
publicité pour inciter les gens à boucler leur ceinture de sécurité, on comprend pourquoi le rédacteur a mis au
Québec après le verbe. Il voulait dérouter le lecteur, rendre sa compréhension du message moins immédiate, le
forcer à refaire une lecture de son message, dans l’espoir sans doute qu’en en cherchant le sens, le lecteur
garderait plus longtemps à l’esprit ce message.
Si par contre il est écrit : Monsieur X s’est suicidé au café28, la situation est tout autre. Dire, à la première
lecture, quel rapport désigne ici la préposition n’est pas aisé. Le lecteur peut aussi se demander quel sens
donner à café. Ce dernier peut désigner aussi bien un endroit, un moment qu’un moyen. La personne s’est-elle
suicidée au café du coin, au moment où elle prenait le café ou en a-t-elle bu au point de mourir par intoxication
au café? L’hésitation tient au fait que la préposition et le régime café sont polysémiques. Si la phrase avait été :
il s’est fait hara-kiri au café, le rapport d’instrumentalité que peut désigner la préposition à disparaîtrait, car on
ne se fait pas hara-kiri en utilisant un café. L’ambiguïté se ramènerait alors à deux possibilités : le lieu et le
temps. Si, par hasard, le lecteur ne sait pas que café peut désigner le moment où l’on prend le café, alors
l’énoncé ne présente plus d’ambiguïté pour lui.
Quiconque sait que café a trois sens hésitera à se prononcer sur le sens de cette phrase. La phrase n’est pas
fautive, elle est seulement ambiguë, en raison d’un manque de contexte. Il est bien connu que c’est en
contexte qu’un terme perd son caractère polysémique.
C’est le genre de problème que le lecteur risque de rencontrer, par exemple, dans certaines manchettes.
L’économie recherchée dans la formulation crée parfois cette ambiguïté que seule la lecture de l’article
permettra de lever.
Prenons le cas de l’instrumentalité. Pour désigner un tel rapport, il est possible de recourir à diverses
prépositions :
PRÉPOSITIONS EXEMPLES
À: examiner au microscope; broder à l’aiguille
Avec : manger avec ses doigts
Par : obtenir qqch. par la force
Dans : l’âme s’épure dans l’épreuve; l’aigle étrangle sa proie dans ses serres
Il ne serait pas correct de dire examiner par le microscope, pas plus d’ailleurs que manger aux doigts, même si
ces deux prépositions peuvent, comme les exemples le montrent, servir à indiquer l’instrumentalité. Par contre,
on pourrait dire examiner avec un microscope ou encore obtenir qqch. avec la force, sans pour autant que ces
formulations soient les plus courantes. Il y a donc une certaine rigidité dans l’utilisation des prépositions
servant à désigner un rapport donné, et le locuteur doit recourir à telle préposition plutôt que telle autre pour
exprimer le rapport d’instrumentalité avec tel verbe. Un usage s’est imposé, que le locuteur doit connaître s’il
veut s’exprimer de façon idiomatique.
Il est un cas où l’idiomaticité fait toute une différence, c’est celui du verbe traiter ou de son substantif
traitement. Pour indiquer le moyen utilisé pour traiter qqn ou faire le traitement, il est possible d’utiliser les
prépositions à, avec ou par. Rien ne régit grammaticalement l’utilisation d’une préposition particulière, sauf
que l’usage a ses préférences. En langue médicale, dans plus de 95 % des cas, c’est la préposition par qui est
utilisée après traitement29. Rien ne dit par contre qu’en métallurgie ou en agriculture par serait la préposition
privilégiée. Le métallurgiste ne traite-t-il pas à froid ou à chaud et le jardinier ne traite-t-il pas ses plantes
avec un fongicide? C’est une question d’usage, une question d’idiomaticité.
Voyons un autre cas, moins géographiquement restreint dans son utilisation. Comparons les deux phrases
suivantes :
La Californie représente en 1) l’endroit vers lequel nous nous dirigeons. Vu que normalement on part d’un
endroit pour se rendre à un autre, on dirait plus volontiers partir pour la Californie. En 2), la Californie
représente l’endroit à l’intérieur duquel nous serons, une fois rendus. Dire aller en Californie est donc habituel.
Faut-il en conclure que partir en Californie est fautif? Selon Girodet30, partir en est un tour critiqué pour partir
pour; il vaudrait mieux dire Je pars pour la Bretagne que Je pars en Bretagne. Le Nouveau Petit Robert, pour
sa part, se contente de faire la remarque suivante : « On observe une tendance au remplacement de diverses
prép. par en : servir en salle, danser en boîte, ascension en glace, etc. »
Ces emplois qui nous semblent fautifs sont peut-être en cours d’évolution. Seul l’avenir nous dira s’ils
s’imposeront. Si tel est le cas, ces emplois, critiqués aujourd’hui, seront la norme de demain.
L’hispanophone qui, voulant dire en français Estoy responsable de la comida, dirait Je suis responsable de la
nourriture, empruntant pour ce faire la préposition qu’il utilise dans sa langue maternelle, afficherait une
parfaite maîtrise de l’emploi de la préposition. Mais il en serait tout autrement s’il disait Je mets les fleurs dans
la table parce qu’en espagnol il aurait dit Pongo las flores en la mesa.
Il en est de même pour l’anglophone. Il dira plus facilement au début J’ai emprunté 5 $ de mon frère pour dire
I borrowed $5 from my brother au lieu de J’ai emprunté 5 $ à mon frère. Ou encore L’idée me traversa la tête
ou m’est passée à travers la tête pour dire The idea passed through my head, au lieu de L’idée m’est passée
par la tête.
Cette contamination par la langue maternelle, qui s’explique fort bien chez un débutant, disparaît normalement
avec la maîtrise de la langue seconde.
C’est ce qui explique que l’on puisse lire Je suis responsable pour la nourriture parce que, dans le texte de
départ, écrit en anglais, il est dit I’m responsible for the food. Ou encore être infecté avec un grand nombre de
micro-organismes, au lieu de être infecté par un grand nombre de micro-organismes, parce que dans la langue
de départ il était écrit to be infected with a variety of microorganisms.
De telles erreurs, variantes de celles décrites en 9.3.1, manifestent, cette fois-ci, une méconnaissance non pas
de la langue d’arrivée, mais de la langue maternelle.
Lire à la une de La Presse : « Charest serait généreux avec les universités » instille insidieusement dans l’esprit
du lecteur que généreux commande la préposition avec. On dit plus volontiers être généreux envers qqn ou à
l’égard de qqn. Cette erreur n’aurait normalement pas dû échapper au réviseur, mais errare humanum est.
Il en est de même de toute personne, morale ou physique, qui est en position d’autorité. Personne n’est porté à
contester sa façon de dire. Il ne faut pas pour autant perdre son esprit critique.
1. C’est pour cette raison que je vous invite à vous procurer le premier numéro de
notre journal interne, de le lire et de nous faire part de vos commentaires.
2. L’examen, entre autres, des définitions de la traduction que nous offrent les
différents théoriciens nous livrera, nous l’espérons, l’essentiel des critères sur
lesquels on s’appuiera pour juger de la qualité d’une traduction et servira, dans
la seconde partie de notre travail, de toile de fond pour mieux apprécier les
recherches menées au cours des dernières années en matière d’évaluation des
traductions et d’éclairer un peu plus les choix de traduction non pas entre
traduction littérale et traduction libre, mais entre traduction dialectiquement
fonctionnelle et non fonctionnelle.
Ici le rédacteur n’a sans doute pas voulu répéter la préposition à. Il est certes louable de vouloir éviter une
allitération surtout quand elle n’a aucune fonction stylistique, mais pas au détriment de la norme. Ici, la norme
veut que le verbe servir commande la préposition à et que cette préposition soit répétée devant chaque
membre du régime31. Si le rédacteur tenait absolument à éviter la répétition, il aurait pu tourner sa phrase de
la façon suivante :
M. le ministre et ses assistants ont profité de cette rencontre pour prendre connaissance des orientations du
rapport de la Commission sur l’équité salariale.
Si le locuteur veut matérialiser le rapport qui existe entre d’une part se trouver et d’autre part branche ou cage,
il utilisera spontanément dans le premier cas la préposition sur et dans le second la préposition dans. La raison
en est simple : depuis toujours il entend utiliser la préposition sur pour indiquer qu’un objet se trouve
« dessus » un autre objet, ou encore la préposition dans pour indiquer qu’un objet se trouve à l’intérieur d’un
autre. Vu que l’oiseau se trouve bien « dessus » la branche ou à l’intérieur de la cage, le locuteur n’a pas
d’autre possibilité que d’utiliser ces prépositions et, du même coup, faire inconsciemment le bon choix.
Autrement dit, il a appris, par osmose, la façon correcte de dire.
Cette connaissance par osmose s’acquiert également par la lecture. Il est indéniable qu’à force de fréquenter
les bons auteurs, le lecteur en viendra à faire siennes leurs façons de dire.
Mais, ici, une mise en garde s’impose. Le fait que telle préposition soit employée par un grand auteur ou que ce
passage se retrouve cité dans un ouvrage digne de confiance ne signifie pas que l’utilisation de cette
préposition corresponde à la norme. Par exemple, décider que buter commande la préposition dans, parce que
Queffélec32 a écrit « Elle avait buté dans un caillou; », n’est pas très convaincant. Il ne faut jamais perdre de
vue que les écrivains jouissent d’un préjugé favorable. On leur accorde le privilège de ne pas s’exprimer comme
tout le monde et l’on hésite à les taxer d’incorrection quand ils usent de ce privilège. Pour s’en convaincre, il
suffit de lire Le Bon Usage, de Grevisse, où la règle est généralement suivie d’une série d’exemples d’auteurs
qui y ont dérogé.
Pour apprendre le français, un allophone utilise des manuels qui consacrent, eux aussi, une section à la
préposition. Cette section fait toujours l’objet d’une étude approfondie, car il est connu que la préposition
constitue un sérieux obstacle quand on passe d’un système linguistique à un autre. Cependant on n’y traite
généralement que des prépositions à et de en tant que prépositions vides de sens.
Il est une autre source que le rédacteur pourrait vouloir consulter pour trouver la bonne préposition : les
dictionnaires. Mais les dictionnaires de langue n’ont pas pour objectif, pour des raisons sans doute
économiques, de citer des exemples d’utilisation de toutes les prépositions avec tous les mots-vedettes. Par
exemple, celui qui voudrait savoir quelle préposition peut être employée avec l’adjectif audible sera fort déçu
s’il consulte son dictionnaire; l’adjectif n’y est utilisé que de façon absolue. Seule l’analyse du sens lui permettra
de trouver la bonne préposition.
Que le choix de la préposition soit, chez le francophone, inconscient ou non, la compréhension du sens est
essentielle. À plus forte raison pour l’allophone, car, comme nous l’avons mentionné précédemment, la
préposition à utiliser n’est pas nécessairement la même dans toutes les langues. L’analyse du sens s’impose
donc.
Mais cette analyse n’est pas toujours réalisable. Dans certains cas, la préposition s’est vidée de son sens pour
devenir un simple outil syntaxique : Pierre aime à jouer du piano; traiter quelqu’un d’imposteur; rien de
nouveau. C’est ce que les grammairiens appellent des prépositions vides33. Alors, analyser le sens pour trouver
la bonne préposition à utiliser est illusoire. Il faut plutôt s’efforcer de mémoriser les associations que l’usage
impose aux utilisateurs de la langue, d’où l’importance accordée aux prépositions vides dans les grammaires
destinées aux allophones qui veulent apprendre le français34.
Examinons cette relation ainsi que le rôle joué par chacun des éléments concernés.
Bref, le choix de la bonne préposition est à la fois affaire de sens et affaire d’usage. Quand c’est affaire de sens,
le rédacteur doit faire son choix en fonction de ce sens. Par contre, si c’est affaire d’usage, sa logique ne l’aide
en rien. Il est complètement démuni.
Sources consultées
Caput, J. et J.-P. Dictionnaire des verbes français, Paris, Larousse, 1988.
Colin, Jean-Paul. Dictionnaire des difficultés du français, Paris, Les usuels du
Robert, Dictionnaires Le Robert, 1994.
Dictionnaire historique de la langue française, 2 tomes, Paris, Dictionnaires Le
Robert, 1993.
Dictionnaire Quillet de la langue française, 20 vol., Paris, Librairie Aristide
Quillet, s. d.
Girodet, Jean. Pièges et difficultés de la langue française, Paris, Bordas, 1988.
Grevisse, Maurice. Quelle préposition? 3e édition, Paris–Louvain-la-Neuve,
Duculot, 1983.
Hanse, Joseph. Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne,
2e édition, Paris–Louvain-la-Neuve, Duculot, 1987.
Lasserre, E. Est-ce à ou de? Répertoire des verbes, adjectifs et locutions se
construisant avec une préposition, 14e édition, Lausanne, Payot, 1980.
Le Grand Robert de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993.
Le Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue
française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1996.
Le Petit Larousse illustré, Paris, Larousse, 2000.
Sctrick, R. Encyclopédie de la conjugaison, Paris, Garnier, 1986.
Thomas, Adolphe V. Dictionnaire des difficultés de la langue française, Paris,
Librairie Larousse, 1956.
La norme
Cette norme, nous l’avons empruntée à des ouvrages énumérés dans la section Sources consultées.
L’unanimité ne règne toutefois pas toujours entre ces sources. En voici quelques exemples.
Selon le Nouveau Petit Robert : « (avec l’inf.) Elle adore faire la sieste. »
Girodet écrit : « [adorer] se construit avec l’infinitif seul ou bien avec l’infinitif
précédé de de (tour plus recherché) : Il adore se promener seul dans la forêt.
Il adore de se chauffer au soleil. »
D’après Hanse : « Devant un infinitif, il se construit aujourd’hui sans
préposition (de est très rare) : Ils adoraient boire. »
Colin et Thomas, pour leur part, ne considèrent pas qu’il y a problème, car
cette construction ne fait l’objet d’aucune mention. Ils en font toutefois une à
aimer.
Dans ce cas-ci, nous nous sommes rallié à la majorité et avons considéré que le verbe se construit sans
préposition. Nous avons donc omis du répertoire la construction avec la préposition de.
Dans le Grand Robert, nous pouvons lire : Dîner avec un sandwich; dans le
Nouveau Petit Robert : Dîner d’un simple potage.
Dans le Quillet, l’utilisation de avec est condamnée.
Girodet et Colin réservent l’emploi de la préposition avec au cas où cette
dernière est suivie du nom d’une personne, mais, pour indiquer ce que l’on
mange au dîner, ils prescrivent l’emploi exclusif du de : Pierre dîne avec Jean
d’un sandwich.
Hanse accepte les deux prépositions.
Nous avons donc pris le parti d’inclure la préposition avec dans le répertoire en précisant qu’il s’agit d’un
emploi contesté.
Devant un tel partage d’opinions, nous avons opté pour l’inscription des deux prépositions.
Faut-il dire : repartir à zéro ou de zéro? On trouve les deux usages selon les
sources consultées. Nous les avons donc mentionnés dans le répertoire.
Peut-on dire : courir après qqch., qqn? L’emploi de cette préposition est
déconseillé par Girodet, mais admis par Hanse. Comme l’expression s’utilise
couramment au Québec, nous l’avons retenue.
Mot-vedette
Nous avons vu à la section 5 de La préposition que toutes les catégories de mots, sauf les mots outils, peuvent
commander une préposition. Faire le tour de la question, c’est-à-dire étudier l’emploi de la préposition avec
toutes ces catégories, ne cadrait pas avec notre objectif de produire un ouvrage aux dimensions raisonnables.
Nous avons donc délibérément écarté les noms – et les pronoms – de notre nomenclature, car ils représentent
à eux seuls tout un monde. Nous nous sommes donc limité aux trois autres catégories : l’adjectif, le verbe et
l’adverbe.
Le choix des verbes inclus dans le répertoire est basé principalement sur l’ouvrage de Sctrick. Les adjectifs et
les adverbes sont ceux que le lecteur rencontre dans tout dictionnaire de langue générale. Les mots argotiques
ou à usage limité n’ont pas été retenus.
Si un mot – adjectif, verbe ou adverbe – formé d’un préfixe (exemples : re- ou in-) ne figure pas dans la liste,
le lecteur est invité à consulter l’entrée qui correspond à son radical. Par exemple, inapplicable et reparler ne
sont pas consignés, mais applicable et parler le sont.
Les homographes
Les mots homographes qui n’ont pas la même étymologie, donc pas le même sens, ont été numérotés, suivant
en cela la tradition dictionnairique.
1. causer
2. causer
Leur présentation varie selon qu’il s’agit d’un verbe essentiellement ou occasionnellement pronominal. Dans le
premier cas, le verbe sera accompagné du pronom se entre parenthèses : « colleter (se) » ou « abstenir (s’) ».
Dans le second cas, le pronom ne figure pas dans la première colonne. L’utilisation du verbe comme verbe
pronominal n’étant qu’occasionnelle, il en sera fait mention dans la deuxième colonne :
La nature du mot vedette (adjectif, adverbe ou verbe) est indiquée dans la deuxième colonne. Dans le cas d’un
verbe, nous y avons indiqué soit sa nature (si le verbe n’a qu’un emploi), soit son emploi particulier (quand le
verbe a plus d’un emploi). Cette addition, pour banale qu’elle puisse paraître à première vue, n’est pas une
opération sans risque. En effet, le lecteur pourrait être tenté de contester la classification, et il n’aurait pas
nécessairement tort, car même « les grammairiens ont parfois de la peine à s’entendre sur cette répartition37 ».
Nous en voulons pour preuve le verbe abdiquer.
Selon le Nouveau Petit Robert, abdiquer est un verbe transitif, même en construction absolue : tous ces héros
abdiquent (se déclarer vaincus) et abdiquer en faveur de son fils. Selon Le Petit Larousse (2000), abdiquer est
un verbe tantôt transitif, au sens de « renoncer au pouvoir; », et il accepte un emploi absolu : Le roi a abdiqué;
tantôt intransitif, au sens de « renoncer à agir, abandonner, se déclarer vaincu; » : abdiquer devant les
difficultés. La classification varie donc selon la source consultée.
À cela vient s’ajouter une autre difficulté, celle de l’interprétation de la construction absolue. Dans le Nouveau
Petit Robert, l’emploi ainsi qualifié (ABSOLT) désigne l’usage du verbe sans le complément attendu. C’est
pourquoi, dans Le roi a abdiqué, le verbe est considéré comme transitif, car il y a un complément direct attendu
mais non écrit, à savoir le trône. Il en serait de même dans Le Petit Larousse (2000). Dans le Dictionnaire
Quillet de la langue française, par contre, le verbe est dit intransitif dans cet emploi : Charles Quint abdiqua. Le
classer intransitif rejoint la tendance actuelle en grammaire, qui veut que le verbe soit classé en fonction de son
emploi réel, c’est-à-dire en fonction de la présence ou non du complément sur lequel l’action exprimée par le
verbe passe. Autrement dit, la transitivité ou l’intransitivité d’un verbe ne serait pas une caractéristique
intrinsèque du verbe, mais une caractéristique de son emploi. C’est ainsi que, par exemple, le verbe pleurer
est, selon les emplois, tantôt intransitif, tantôt transitif, même si l’idée exprimée suppose un complément
d’objet direct.
intransitif :
Compte tenu de ces difficultés, nous avons opté pour des exemples où le problème de la présence ou non du
complément pour classer le verbe ne se pose pas. Nous indiquons v. tr. si le verbe en question est employé
avec un c.o.d.; v. tr. ind. s’il est utilisé avec un c.o.i.; v. intr. s’il est employé sans c.o.d. ni c.o.i., mais avec un
complément circonstanciel, ou complément de la phrase. Nous précisons aussi si le verbe est utilisé sous sa
forme pronominale (v. pron.) ou sous forme de participe passé adjectif (p. p. adj.). Certains verbes ne se
construisent que de façon impersonnelle. Nous l’indiquons alors par la mention : v. impers. Il arrive aussi que
certains verbes admettent une construction impersonnelle – c’est le cas de bien des verbes intransitifs ou
pronominaux (exemples : il manque des étudiants dans la classe; il se vend des armes dans bien des pays).
Nous n’avons pas cru bon de fournir des exemples dans tous ces cas.
Si un verbe est accidentellement pronominal et qu’il commande les mêmes prépositions que lorsqu’il est
employé comme verbe intransitif ou transitif (direct ou indirect), nous n’avons pas jugé nécessaire de le
répéter. C’est ainsi qu’à astreindre le lecteur ne trouvera pas la mention v. pron., car, dans un tel emploi
(s’astreindre à), la préposition est la même que pour l’entrée consignée à v. tr.
Si le verbe employé comme participe passé adjectif ne commande pas de prépositions différentes de celles
indiquées pour les autres emplois de ce verbe, nous n’avons pas non plus jugé utile de le noter, pour ne pas
allonger indûment le répertoire. C’est ainsi qu’à briser, brisé en mille morceaux n’est pas consigné, pas plus
d’ailleurs que la forme pronominale se briser en mille morceaux. De plus, le complément d’agent d’un verbe
transitif utilisé au passif, introduit par par ou de, n’a généralement pas fait l’objet d’une mention. Le lecteur
devrait en prévoir l’utilisation.
Prépositions utilisables
Présentation
Les prépositions retenues sont présentées par ordre alphabétique pour chacune des indications de la deuxième
colonne.
La décision d’inscrire une préposition dans ce répertoire est une opération qui se veut objective, mais qui, dans
bien des cas, paraîtra, et sera, fort probablement subjective. Elle se veut objective parce qu’elle est
fondamentalement fonction de l’usage, et que ce n’est pas l’auteur qui établit l’usage. Cette décision sera
subjective parce que c’est l’auteur en dernier ressort qui la prend. Les prépositions choisies sont celles qui nous
venaient à l’esprit après nous être posé la question en titre, ou que nous rencontrions au hasard de nos lectures
ou au moment de la consultation de certains ouvrages.
Nous avons donc, pour ainsi dire, appliqué la méthode introspective, nous demandant, chaque fois qu’il en était
besoin, si l’utilisation de telle ou telle préposition était courante. En cas de doute, nous n’avons pas insisté, de
crainte d’en arriver à nous imaginer, à tort, qu’elle s’utilisait. Nous avons préféré ne pas la consigner, selon le
principe qu’une abstention vaut mieux qu’une erreur. Une telle façon de faire n’est pas sans conséquence. Nous
avons certainement oublié quelques prépositions utilisables, et nous nous en excusons.
Le facteur qui nous a guidé dans le choix des prépositions utilisables, c’est le public visé, autrement dit tous
ceux qui éprouvent des difficultés à savoir quelle préposition employer avec tel mot. Le répertoire s’adresse
donc non seulement au francophone qui, à l’occasion, peut se demander si une préposition s’utilise dans tel cas,
mais aussi à tous ceux qui travaillent à cheval sur deux systèmes linguistiques. Les besoins de celui qui traduit
ou qui étudie le français comme langue seconde sont évidemment bien différents de ceux du francophone.
L’inscription de certaines prépositions paraîtra donc tout à fait inutile à ce dernier, mais pourra être fort utile à
un allophone. Ce sont d’ailleurs les besoins particuliers des allophones qui nous ont amené à inclure non
seulement les mots devant se construire avec une préposition, mais aussi les mots pouvant se construire avec
une préposition.
Les prépositions complexes, ou locutions prépositives, sans être exclues du répertoire, ne sont pas légion, car
ces locutions ont généralement un sens plein, par exemple : à l’aide de, à propos de, etc. Elles posent donc
moins de problèmes que certaines prépositions simples comme à, avec, de.
Exemples d’utilisation
Les exemples fournis se veulent une illustration de l’emploi du mot-vedette avec la préposition indiquée. Il
arrive qu’il y ait plus d’un emploi pour une préposition particulière, en raison notamment du caractère
polysémique de cette préposition. Voici un aperçu des facteurs intervenus.
Notes
Lorsqu’une locution se termine par que plutôt que par de (exemples : afin
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1
que, de peur que, sous prétexte que), elle cesse d’être une locution
prépositive pour devenir une locution conjonctive.
2
Pour être locution prépositive, étant donné doit être suivie d’un nom
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(exemple : étant donné l’importance de sa tâche); étant donné que est une
locution conjonctive.
3
Le lecteur qui aurait la curiosité de vérifier, dans son dictionnaire, le sens
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les opposant aux prépositions pleines) les prépositions qui ont abandonné leur
valeur précise et qui se sont "vidées" de leur sens pour devenir de simples
outils syntaxiques […] ». Le Bon Usage, 11e édition, nº 2240. Exemples
d’utilisation du de en tant que préposition vide : la ville de Québec; parler de
tout; indépendamment de vous; la moyenne est de 65 %; avoir quatre jours
de libres; rien de nouveau; il est facile de faire cela.
5
J. Girodet. Pièges et difficultés de la langue française, Paris, Bordas, 1988,
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p. 23.
6
J. Hanse. Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne,
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8
Parmi les adverbes, seuls ceux qui marquent une localisation spatiale ou
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cette fonction est occupée par un pronom personnel. Exemple : Je lui donne
un livre.
11
Seuls les verbes transitifs directs peuvent être mis au passif. L’objet du
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verbe actif devient alors sujet du verbe passif; et le sujet du verbe actif,
complément d’agent du verbe passif. Exemple : un automobiliste a renversé
un piéton / un piéton a été renversé par un automobiliste.
12
Acte II, scène IV.
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13
« Au fur et à mesure que se consumait la ruine de la déclinaison nominale,
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16
A. Rey. Dictionnaire historique de la langue française, 2 tomes, Paris,
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p. 83.
22
J. Hanse. Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne,
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23
J.-P. Colin. Dictionnaire des difficultés du français, Paris, Dictionnaires Le
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25
La Presse, 14 oct. 1998. Déclaration de Eduardo Chadwick, président de la
Retour à la no te
choix de la préposition.
27
Nous abordons plus loin l’affinité qui peut exister entre la préposition et les
Retour à la no te
p. 273.
31
Les trois seules prépositions qui sont généralement répétées sont à, de et
Retour à la no te
en.
32
Cité par M. Grevisse, Quelle préposition?, 3e édition, Paris–Louvain-la-
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34
C. Fay-Baulu, H. Poulin-Mignault, H. Riel-Salvatore. Vouloir… c’est pouvoir,
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37
G. Le Bidois et R. Le Bidois. Syntaxe du français moderne, tome I, Paris,
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